Affaire C-507/08

Commission européenne

contre

République slovaque

«Manquement d’État — Aide d’État — Remise partielle d’une dette fiscale d’une société dans le cadre d’une procédure de concordat — Décision de la Commission constatant l’incompatibilité de cette aide avec le marché commun et ordonnant sa récupération — Inexécution»

Sommaire de l'arrêt

1.        Recours en manquement — Non-respect de l'obligation de récupérer les aides illégales — Moyens de défense

(Art. 88, § 2, CE; art. 4, § 3, TUE)

2.        Aides accordées par les États — Décision de la Commission constatant l'incompatibilité d'une aide avec le marché commun et ordonnant sa restitution — Obligations des États membres

(Art. 88, § 2, CE; règlement du Conseil nº 659/1999, 13e considérant et art. 14, § 3)

3.        Aides accordées par les États — Récupération d'une aide illégale — Application du droit national — Conditions et limites

(Art. 88, § 2, CE; règlement du Conseil nº 659/1999, art. 14, § 3)

1.        Le seul moyen de défense susceptible d’être invoqué par un État membre dans le cadre d’un recours en manquement introduit par la Commission sur le fondement de l’article 88, paragraphe 2, CE est celui tiré d’une impossibilité absolue d’exécuter correctement la décision de récupération.

En cas de difficultés d’exécution, la Commission et l’État membre doivent, en vertu de la règle imposant aux États membres et aux institutions de l’Union européenne des devoirs réciproques de coopération loyale, qui inspire notamment l’article 4, paragraphe 3, TUE, collaborer de bonne foi en vue de surmonter ces difficultés dans le plein respect des dispositions du traité FUE, et notamment celles relatives aux aides d’État.

(cf. points 43-44)

2.        Ne saurait être approuvée l'interprétation littérale d'une décision de la Commission constatant l'incompatibilité d'une aide d'État avec le marché commun, dont l'État membre concerné se prévaut afin de justifier son inexécution et selon laquelle cette décision impose la «récupération» au lieu du «recouvrement», ce qui, selon cet État, n’impliquerait qu’une obligation d’entreprendre différentes démarches aux fins de récupérer l’aide illégale, sans pour autant qu’il soit tenu de la récupérer effectivement.

En effet, dans le contexte de la réglementation de l’Union, et au vu, en particulier, du treizième considérant et de l’article 14, paragraphe 3, du règlement nº 659/1999, relatif à l'application de l'article 88 CE, la finalité d'une telle décision de la Commission est le rétablissement d’une concurrence effective, de sorte que cette décision impose à l’État membre destinataire l’obligation d’obtenir effectivement, et sans délai, la restitution de l’aide d’État illégale.

(cf. points 5, 46-48)

3.        Un État membre qui, en vertu d’une décision de la Commission constatant l'existence d'une aide d'État incompatible avec le marché commun, se trouve obligé de récupérer des aides illégales est libre de choisir les moyens par lesquels il exécutera cette obligation, pourvu que les mesures choisies ne portent pas atteinte à la portée et à l’efficacité du droit de l’Union. Le droit de l’Union impose donc une obligation de prendre toutes les mesures propres à assurer l’exécution des décisions de la Commission imposant la récupération d’une aide illégale tout en respectant les particularités des différentes procédures qui sont prévues par les États membres à cet égard.

S'agissant, en particulier, de la question de savoir si le caractère définitif d’une décision juridictionnelle nationale par laquelle est approuvé, dans le cadre d’une procédure de redressement judiciaire, un concordat duquel résulte l’abandon partiel d’une créance publique, abandon ultérieurement qualifié par la Commission d’aide d’État, peut faire échec à la récupération de cette aide, le droit de l’Union n’impose pas dans tous les cas à une juridiction nationale d’écarter l’application des règles de procédure internes conférant force de chose jugée à une décision juridictionnelle, même si cela permettrait de remédier à une violation du droit de l’Union par la décision en cause. Toutefois, lorsque les autorités de l'État membre concerné disposent, selon le droit national, de moyens dont l'utilisation diligente aurait pu donner audit État la possibilité de récupérer l'aide en cause, et que cet État n'apporte pas suffisamment d'éléments permettant de considérer qu'il aurait entrepris, dans le délai qui lui était imparti, toutes les démarches qu'il lui était possible de mettre en oeuvre afin d'obtenir le remboursement de l'aide illégale, cet État doit être considéré comme ayant manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 249, quatrième alinéa, CE et de la décision de la Commission.

(cf. points 51-52, 55, 60-61, 64-65)







ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

22 décembre 2010 (*)

«Manquement d’État – Aide d’État – Remise partielle d’une dette fiscale d’une société dans le cadre d’une procédure de concordat – Décision de la Commission constatant l’incompatibilité de cette aide avec le marché commun et ordonnant sa récupération – Inexécution»

Dans l’affaire C‑507/08,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE, introduit le 21 novembre 2008,

Commission européenne, représentée par MM. C. Giolito et J. Javorský ainsi que par Mme K. Walkerová, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République slovaque, représentée par Mme B. Ricziová, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. J.-C. Bonichot, président de chambre, MM. K. Schiemann (rapporteur), L. Bay Larsen, Mme C. Toader et M. M. Safjan, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 juin 2010,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 9 septembre 2010,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n’exécutant pas la décision 2007/254/CE de la Commission, du 7 juin 2006, concernant l’aide d’État C 25/05 (ex NN 21/05) mise à exécution par la République slovaque en faveur de Frucona Košice a.s. (JO L 112, p. 14), la République slovaque a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 249, quatrième alinéa, CE et de l’article 2 de ladite décision.

 Le cadre juridique

2        Le treizième considérant du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE (JO L 83, p. 1), est libellé comme suit:

«considérant que, en cas d’aide illégale incompatible avec le marché commun, une concurrence effective doit être rétablie; que, à cette fin, il importe que l’aide, intérêts compris, soit récupérée sans délai; qu’il convient que cette récupération se déroule conformément aux procédures du droit national; que l’application de ces procédures ne doit pas faire obstacle au rétablissement d’une concurrence effective en empêchant l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission; que, afin d’atteindre cet objectif, les États membres doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’effet utile de la décision de la Commission».

3        L’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999 énonce:

«Sans préjudice d’une ordonnance de la Cour de justice des Communautés européennes prise en application de l’article [242 CE], la récupération s’effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. À cette fin et en cas de procédure devant les tribunaux nationaux, les États membres concernés prennent toutes les mesures prévues par leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit communautaire.»

4        Aux termes de l’article 23, paragraphe 1, du même règlement:

«Si l’État membre concerné ne se conforme pas à une décision conditionnelle ou négative, en particulier dans le cas visé à l’article 14, la Commission peut saisir directement la Cour de justice des Communautés européennes conformément à l’article [88, paragraphe 2, CE].»

 La procédure précontentieuse

5        Par la décision 2007/254, la Commission a constaté que les mesures prises par la République slovaque en faveur de Frucona Košice a.s. (ci‑après «Frucona») constituaient une aide d’État et que cette aide n’était pas compatible avec le marché commun.

6        Il ressort de cette décision que, à l’époque des faits, Frucona opérait dans le secteur de la production d’alcools et de spiritueux, de boissons sans alcool, de fruits et légumes en conserve ainsi que de vinaigre. La mesure d’État en cause consistait dans l’annulation d’une dette fiscale par le bureau local des impôts de Košice IV (ci-après le «bureau des impôts») dans le cadre d’un concordat, procédure régie par la loi n° 328/91 relative aux faillites et aux concordats. Il résulte de cette législation que, à l’instar de la procédure de faillite, le concordat vise à régler la situation financière d’une société endettée, mais que son objectif est de permettre la poursuite des activités de celle-ci en parvenant à un accord avec les créanciers en vertu duquel cette société s’engage à rembourser partiellement ses dettes en échange de l’annulation du solde restant dû. Cet accord doit être approuvé par la juridiction chargée du contrôle de la procédure.

7        Le 8 mars 2004, Frucona a introduit une demande de concordat auprès de la cour régionale compétente, son passif comportant notamment une dette de droits d’accise sur l’alcool. Après que les créanciers eurent voté en faveur du concordat, l’accord a été confirmé par ladite cour régionale le 14 juillet 2004. À l’expiration du délai de recours, la décision de celle-ci a acquis force de chose jugée.

8        L’accord concordataire prévoyait que Frucona rembourserait ses dettes à concurrence de 35 % dans un délai d’un mois, les créanciers renonçant au solde de 65 %.

9        La somme totale que Frucona devait au bureau des impôts s’élevait à 640 793 831 SKK (soit 16,86 millions d’euros). Dans le cadre du concordat, celui-ci a récupéré la somme de 224 277 841 SKK (soit 5,86 millions d’euros), l’abandon de créance fiscale portant donc sur un montant de 416 515 990 SKK (soit 11 millions d’euros).

10      Au terme de la procédure d’examen de la remise fiscale en question au titre de l’article 88, paragraphe 2, premier alinéa, CE, la Commission a constaté que, par cette remise, la République slovaque avait illégalement accordé une aide à Frucona, en disposant, dans la décision 2007/254, ce qui suit:

«Article premier

L’aide d’État mise à exécution par la République slovaque en faveur de [Frucona], d’un montant de 416 515 990 [SKK], est incompatible avec le marché commun.

Article 2

1.      La République slovaque adopte toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès du bénéficiaire l’aide visée à l’article 1er qui lui a été accordée illégalement.

2.      La récupération a lieu sans délai, conformément aux procédures du droit national, pour autant qu’elles permettent une exécution immédiate et effective de la présente décision.

3.      L’aide à récupérer inclut les intérêts dus pour la période allant de la date où elle a été mise [à] exécution en faveur de [Frucona] à la date où elle a été effectivement récupérée.

[…]

Article 3

La République slovaque informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, des mesures qu’elle a prises pour s’y conformer. […]

[…]»

11      Le 12 janvier 2007, Frucona a introduit un recours devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes visant à l’annulation de cette décision (affaire Frucona Košice, T‑11/07), mais sans en demander la suspension à titre de mesure provisoire. La République slovaque n’a pas formé de recours contre ladite décision, qui lui avait été notifiée le 12 juin 2006.

12      En exécution de celle-ci, le bureau des impôts a, le 4 juillet 2006, mis Frucona en demeure de rembourser dans un délai de huit jours l’aide illégale augmentée des intérêts. Cette dernière n’ayant pas satisfait à cette injonction, le bureau des impôts a, le 21 juillet 2006, introduit une action en recouvrement devant le tribunal départemental de Košice II.

13      Par jugement du 11 juin 2007, ce dernier a rejeté la demande, décidant que Frucona n’avait pas l’obligation de rembourser ladite aide. Cette décision a été confirmée par l’arrêt du 21 avril 2008 de la cour régionale de Košice, inter alia au motif qu’il n’était pas possible de réviser la décision de concordat dès lors que celle-ci est passée en force de chose jugée.

14      Par lettre du 2 juillet 2008, le bureau des impôts a demandé au procureur général de la République de former un recours extraordinaire contre cette dernière décision. La République slovaque n’a pas clairement précisé quelle suite avait été réservée à cette demande.

15      Tout au long de la procédure de récupération de l’aide illégale, la Commission a insisté sur l’exécution immédiate et effective de la décision 2007/254, reprochant aux autorités slovaques de ne pas avoir directement procédé à son exécution, en vertu du droit national, mais d’avoir jugé nécessaire d’introduire une action en recouvrement devant le tribunal départemental.

16      À cet égard, les autorités slovaques ont avancé, en substance, deux arguments principaux:

–        la procédure judiciaire aurait été incontournable pour recouvrer le montant de l’aide en principal et intérêts, le droit fiscal slovaque ne comportant pas de base légale pour récupérer une créance d’une administration fiscale qui a été remise dans le cadre d’un concordat. Il aurait donc été nécessaire d’obtenir un titre exécutoire. En d’autres termes, eu égard au droit slovaque, une décision administrative du bureau des impôts ne pourrait avoir l’effet d’«annuler» la décision de la juridiction chargée de contrôler le concordat entre Frucona et ses créanciers ayant approuvé l’accord conclu entre ceux-ci, décision qui a acquis force de chose jugée;

–        la décision 2007/254 ne lierait pas directement Frucona, mais imposerait à la République slovaque d’adopter toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide illégalement octroyée. Cette décision, qui constituerait une décision administrative «étrangère», ne créerait pas l’obligation pour Frucona de rembourser cette aide. Il ne serait donc pas possible de procéder à l’exécution de ladite décision au niveau national.

17      À la suite de différents échanges et rappels postérieurs à l’expiration du délai de deux mois prévu à l’article 3 de la décision 2007/254 pour la communication des mesures prises pour l’exécution de celle-ci, la Commission, estimant que la République slovaque n’avait toujours pas procédé à ladite exécution d’une manière effective, a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

18      La Commission soutient que la suppression d’une aide illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité, par référence aux arrêts du 21 mars 1990, Belgique/Commission (C‑142/87, Rec. p. I‑959, point 66), et du 21 mars 1991, Italie/Commission (C‑305/89, Rec. p. I‑1603, point 41). L’État membre destinataire d’une décision l’obligeant à récupérer des aides illégales serait tenu, en vertu de l’article 249 CE, de prendre toutes les mesures propres à assurer l’exécution de ladite décision, conformément à l’arrêt du 26 juin 2003, Commission/Espagne (C‑404/00, Rec. p. I‑6695, point 21).

19      Or, la Commission constate que, en l’espèce, plus de 29 mois après la notification de la décision 2007/254, l’aide octroyée à Frucona n’avait toujours pas été récupérée. Elle soutient, par conséquent, que la République slovaque a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la décision 2007/254 et de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999.

20      Le fait que l’administration fiscale a introduit une action en recouvrement du montant de l’aide illégale, la lenteur de la procédure judiciaire et la teneur de la décision du tribunal départemental de Košice II et, ensuite, de celle de la cour régionale de Košice ont empêché, selon la Commission, l’exécution immédiate et effective de la décision 2007/254, et ce même si l’autorité chargée du recouvrement a agi en accord avec le droit national. La Commission estime que les autorités slovaques ont méconnu le principe de l’effet direct des dispositions du droit communautaire en cas de conflit avec une disposition légale d’un État membre.

21      Quant au fait que la décision de la juridiction ayant approuvé l’accord intervenu dans le cadre de la procédure de concordat aurait acquis force de chose jugée, ce qui empêcherait, selon la République slovaque, de récupérer l’aide octroyée, la Commission invoque l’arrêt du 18 juillet 2007, Lucchini (C‑119/05, Rec. p. I‑6199, point 63), dans lequel la Cour a jugé que le droit communautaire s’oppose à l’application d’une disposition du droit national visant à consacrer le principe de l’autorité de la chose jugée en tant que son application fait obstacle à la récupération d’une aide d’État octroyée en violation du droit communautaire, et dont l’incompatibilité avec le marché commun a été constatée par une décision de la Commission devenue définitive.

22      Selon la Commission, la solution adoptée en l’espèce par les juridictions slovaques revient aussi à méconnaître les objectifs poursuivis par les règles communautaires en matière d’aides d’État, ce qui empêche l’exécution effective de la décision 2007/254 et le rétablissement immédiat de la situation antérieure, et prolonge donc l’avantage concurrentiel indu résultant de l’aide en cause, ainsi qu’il résulterait de l’arrêt du 5 octobre 2006, Commission/France (C-232/05, Rec. p. I‑10071, point 52).

23      Par ailleurs, la Commission critique le comportement des autorités slovaques du point de vue du principe d’équivalence, principe qui, à l’instar du principe d’effectivité, doit être pris en considération dans le cadre de l’appréciation de l’autonomie procédurale reconnue aux États membres pour l’exécution du droit communautaire. Selon elle, ledit principe d’équivalence aurait été méconnu eu égard au fait que la décision 2007/254 a été privée de la force exécutoire dont disposeraient, par exemple, les avis d’imposition émis par le bureau des impôts.

24      Dans le cadre de sa défense, la République slovaque fait valoir que l’interprétation littérale de l’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2007/254, en particulier du fait de l’utilisation du terme «récupération» («vymáhanie» en langue slovaque) au lieu du terme «recouvrement» («vymoženie»), indique que, contrairement à l’interprétation que proposerait la Commission, il ne saurait en être déduit l’obligation pour la République slovaque de récupérer effectivement l’aide dans le délai fixé. La seule obligation qui en découlerait serait celle d’adopter dans le délai fixé toutes les mesures nécessaires pour récupérer le montant de l’aide concernée.

25      La République slovaque soutient avoir effectivement entrepris différentes démarches pour recouvrer rapidement et effectivement celui-ci, en particulier en mettant Frucona en demeure de le rembourser et, ensuite, en cherchant à l’y contraindre par voie judiciaire. Elle soulignait également dans le cadre de ses observations que la décision 2007/254 n’était pas encore définitive, étant donné qu’elle avait été attaquée devant le Tribunal.

26      Par conséquent, la République slovaque estime s’être conformée à la décision 2007/254 et aux exigences de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999.

27      La République slovaque insiste également sur le fait que l’octroi de l’aide d’État à Frucona dans le cadre du concordat a été autorisé par une décision de la juridiction chargée de contrôler celui-ci, décision qui, après avoir acquis force de chose jugée, ne peut pas être annulée par le bureau des impôts, qui est un organe administratif. Elle soutient que le droit communautaire n’exige pas qu’un tel organe administratif soit tenu d’annuler des décisions de juridictions nationales passées en force de chose jugée.

28      La République slovaque estime en outre que l’arrêt Lucchini, précité, ne serait pas pertinent en l’espèce. En effet, à la différence de la décision de la juridiction italienne en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la décision de la cour régionale du 14 juillet 2004 a acquis force de chose jugée du fait de l’expiration des délais légaux permettant un recours conformément aux dispositions procédurales internes, bien avant l’adoption de la décision 2007/254. De plus, ledit arrêt a été rendu après que la République slovaque a entamé les démarches en vue de récupérer le montant de l’aide ici en cause par voie judiciaire.

29      L’introduction d’une action en recouvrement de celui-ci contre Frucona devant une juridiction interne aurait donc été le moyen adéquat d’y procéder, qui respecte les exigences d’immédiateté et d’efficacité.

30      Quant à l’allégation de la Commission selon laquelle la République slovaque a méconnu le principe d’équivalence, cette dernière fait valoir que, la décision 2007/254 n’étant pas un titre directement exécutoire, elle n’aurait pas été contrainte de reconnaître son application directe, sauf à nier l’autonomie procédurale dont disposent les États membres dans le cadre de l’exécution d’une décision adoptée en application de l’article 88, paragraphe 2, CE.

31      En outre, le principe d’équivalence aurait été développé dans le domaine de la protection des droits des particuliers, et non pas dans le domaine concernant exclusivement les obligations des États membres à l’égard de la Communauté européenne, dont relèvent les décisions de la Commission au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE.

32      La Commission conteste, dans sa réplique, l’interprétation littérale de la décision 2007/254 suggérée par la République slovaque. Selon la Commission, cette décision comporte l’obligation pour cet État membre d’obtenir concrètement la restitution de l’aide d’État illégale, et non pas seulement d’entamer le processus de récupération dans le délai de deux mois fixé à son article 3, ce qui correspondrait au principe selon lequel les procédures de droit national engagées par un État membre pour exécuter des décisions doivent permettre l’exécution immédiate et effective de celles-ci.

33      La seule exception à l’obligation d’exécution d’une décision de la Commission serait l’existence de circonstances exceptionnelles telles qu’il serait absolument impossible pour l’État membre d’exécuter correctement ladite décision. Or, en l’espèce, la République slovaque n’aurait jamais invoqué de telles circonstances.

34      En outre, la Commission fait valoir que, le droit communautaire ne déterminant pas la procédure à suivre par l’État membre concerné pour exécuter une décision ordonnant la récupération d’une aide illégale conformément à l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999, cette récupération doit avoir lieu, en principe, conformément aux dispositions pertinentes du droit national, ces dispositions devant toutefois être appliquées de manière à ne pas rendre pratiquement impossible la récupération exigée par le droit communautaire et en prenant pleinement en considération l’intérêt de la Communauté, par référence à l’arrêt du 27 juin 2000, Commission/Portugal (C‑404/97, Rec. p. I‑4897, point 55).

35      À cet égard, la Commission souligne que, bien qu’elle n’eût aucune intention d’imposer à la République slovaque la manière dont l’aide d’État en question devait être récupérée, le procédé choisi par celle‑ci ne répond pas à l’exigence d’une récupération immédiate et effective de l’aide illégale, puisque, 29 mois après la notification de la décision 2007/254, cette récupération n’avait toujours pas eu lieu.

36      En outre, contrairement à ce que soutient la République slovaque, la Commission n’aurait pas exigé que le bureau des impôts annule une décision de justice définitive, mais aurait suggéré comme l’une des procédures possibles pour l’exécution de la décision 2007/254 que l’autorité compétente retire la décision d’octroi de l’aide illégale, ce qui serait conforme à la jurisprudence de la Cour. Elle aurait également fait valoir que cette jurisprudence impose aux juridictions nationales compétentes de ne pas appliquer les dispositions de droit interne qui sont contraires au droit communautaire.

37      La Commission rappelle que ce principe de primauté du droit communautaire implique de faire prévaloir ce dernier sur tout acte interne, qu’il s’agisse d’un acte administratif ou législatif ou même d’un jugement définitif, comme il ressortirait de l’arrêt Lucchini, précité. Le fait que cet arrêt a été rendu après l’adoption de la décision de justice ayant approuvé l’aide d’État octroyée à Frucona ne serait pas déterminant, puisque ledit arrêt ne fait qu’interpréter le droit en vigueur tel qu’il doit être appliqué.

38      Enfin, la Commission conteste l’affirmation de la République slovaque selon laquelle le principe d’équivalence ne s’applique pas dans le contexte de l’exécution d’une décision de la Commission en matière d’aides d’État et soutient que l’autonomie procédurale de l’État membre est limitée par le principe général d’effectivité. À défaut, l’obligation de récupération perdrait tout sens et il serait impossible de garantir une application uniforme du droit communautaire.

39      La République slovaque, quant à elle, conteste l’affirmation de la Commission selon laquelle les autorités slovaques compétentes ne devaient pas simplement se limiter à prendre toutes les mesures nécessaires à la récupération de l’aide, mais devaient effectivement la récupérer. Elle estime qu’elle s’est pleinement conformée aux obligations qui découlent de la version slovaque de la décision 2007/254, qui est la seule version authentique.

40      Par ailleurs, la République slovaque continue à soutenir que les autorités fiscales ne pouvaient pas annuler une décision judiciaire et estime qu’elles ont mis en œuvre le seul moyen possible de récupération de l’aide en cause.

 Appréciation de la Cour

41      Avant de procéder à l’examen du manquement imputé à la République slovaque quant à son obligation d’exécution de la décision 2007/254, il importe de rappeler certains principes qui découlent de la jurisprudence constante de la Cour en la matière.

42      La suppression d’une aide illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité et cette conséquence ne saurait dépendre de la forme dans laquelle l’aide a été octroyée (voir, notamment, arrêts du 10 juin 1993, Commission/Grèce, C-183/91, Rec. p. I-3131, point 16, et Commission/Portugal, précité, point 38).

43      En cas de décision constatant le caractère illégal d’une aide, la récupération de celle-ci, ordonnée par la Commission, a lieu dans les conditions prévues à l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999. Le seul moyen de défense susceptible d’être invoqué par un État membre dans le cadre d’un recours en manquement introduit par la Commission sur le fondement de l’article 88, paragraphe 2, CE est celui tiré d’une impossibilité absolue d’exécuter correctement la décision de récupération (voir arrêt du 13 novembre 2008, Commission/France, C-214/07, Rec. p. I‑8357, points 43 et 44 ainsi que jurisprudence citée).

44      En cas de difficultés d’exécution, la Commission et l’État membre doivent, en vertu de la règle imposant aux États membres et aux institutions de l’Union européenne des devoirs réciproques de coopération loyale, qui inspire notamment l’article 4, paragraphe 3, TUE, collaborer de bonne foi en vue de surmonter ces difficultés dans le plein respect des dispositions du traité FUE, et notamment celles relatives aux aides d’État (voir arrêt du 13 novembre 2008, Commission/France, précité, point 45 et jurisprudence citée).

45      Dans la présente affaire, il convient de constater d’emblée que, au moment de l’introduction, par la Commission, du présent recours, à savoir 29 mois après la notification de la décision 2007/254, aucune somme n’avait été recouvrée à charge de Frucona. La République slovaque ne conteste pas ce fait et, par ailleurs, n’invoque aucune impossibilité absolue d’exécution de la décision de la Commission.

46      Quant aux circonstances dont la République slovaque fait état afin de justifier l’inexécution de la décision 2007/254, et donc la non‑récupération de l’aide illégale octroyée à Frucona, son argumentation comprend en substance deux volets.

47      En premier lieu, dans ses observations écrites, elle a avancé une interprétation littérale de l’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2007/254 et s’est appuyée à cet égard sur l’utilisation, dans la version slovaque de celle-ci, du terme «récupération» au lieu du terme «recouvrement», ce qui, selon elle, n’impliquerait qu’une obligation d’entreprendre différentes démarches aux fins de récupérer l’aide illégale, sans pour autant qu’elle soit tenue de la récupérer effectivement.

48      Il convient de relever qu’une telle interprétation des termes de la décision 2007/254 méconnaît d’évidence la véritable portée de celle‑ci. Dans le contexte de la réglementation de l’Union, et au vu, en particulier, du treizième considérant et de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999, il est manifeste, comme le soutient la Commission, que la finalité de la décision 2007/254 est le rétablissement d’une concurrence effective, de sorte que cette décision impose à l’État membre destinataire l’obligation d’obtenir effectivement, et sans délai, la restitution de l’aide d’État illégale. Partant, l’interprétation littérale que la République slovaque fait des termes de ladite décision ne saurait être approuvée.

49      En second lieu, la position de la République slovaque se fonde sur l’argument selon lequel la procédure judiciaire entamée par le bureau des impôts, d’abord devant le tribunal départemental de Košice II et ensuite devant la cour régionale de Košice, aux fins de la récupération de l’aide d’État accordée à Frucona était inévitable, dès lors que l’accord de concordat, autorisé par une décision de la juridiction compétente ayant acquis force de chose jugée, n’aurait pas pu être annulé par le bureau des impôts, qui est un organe administratif.

50      À cet égard, il convient tout d’abord de rappeler que, conformément à l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 659/99, la récupération d’une aide illégale imposée par une décision de la Commission doit s’effectuer sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l’exécution immédiate et effective de ladite décision.

51      Ainsi, un État membre qui, en vertu d’une telle décision de la Commission, se trouve obligé de récupérer des aides illégales est libre de choisir les moyens par lesquels il exécutera cette obligation, pourvu que les mesures choisies ne portent pas atteinte à la portée et à l’efficacité du droit de l’Union (voir arrêts du 12 décembre 2002, Commission/Allemagne, C-209/00, Rec. p. I-11695, point 34, ainsi que du 20 mai 2010, Scott et Kimberly Clark, C-210/09, non encore publié au Recueil, point 21).

52      Le droit de l’Union impose donc une obligation de prendre toutes les mesures propres à assurer l’exécution des décisions de la Commission imposant la récupération d’une aide illégale tout en respectant les particularités des différentes procédures qui sont prévues par les États membres à cet égard. Il importe de souligner que c’est en conformité avec ce droit que, dans le cadre du présent recours, la Commission a soutenu n’avoir aucune intention d’imposer aux autorités compétentes de la République slovaque la manière précise dont l’aide d’État illégale octroyée à Frucona aurait dû être récupérée, tout en estimant que le procédé mis en œuvre à cet effet ne répond pas à l’exigence d’une récupération immédiate et effective de cette aide.

53      Le fait que, par suite de la décision 2007/254, le bureau des impôts a entrepris de récupérer l’aide d’État illégale par voie judiciaire n’est donc pas critiquable en tant que tel, un État membre étant libre, comme il a été relevé ci-dessus, de choisir les moyens par lesquels il exécutera l’obligation de récupération qui s’impose à lui.

54      Toutefois, dans la présente affaire, les mesures prises par les autorités compétentes slovaques n’ont pas abouti à la récupération de l’aide illégale et les conditions normales de concurrence n’ont donc pas été rétablies. L’obstacle principal à cette récupération a été le refus, opposé d’abord par le tribunal départemental de Košice II et ensuite par la cour régionale de Košice, de faire droit à l’action en recouvrement introduite par le bureau des impôts, eu égard au fait que la décision de la juridiction compétente du 14 juillet 2004 validant l’accord de concordat avait acquis force de chose jugée.

55      La présente affaire pose ainsi la question de savoir si le caractère définitif d’une décision juridictionnelle nationale par laquelle est approuvé, dans le cadre d’une procédure de redressement judiciaire, un concordat duquel résulte l’abandon partiel d’une créance publique, abandon ultérieurement qualifié par la Commission d’aide d’État, peut faire échec à la récupération de cette aide.

56      À cet égard, il doit être souligné, en premier lieu, que la situation ici en cause se distingue de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Lucchini, précité, mis en avant par la Commission, dans lequel la Cour a jugé que le droit de l’Union s’oppose à l’application d’une disposition du droit national visant à consacrer le principe de l’autorité de la chose jugée en tant que son application fait obstacle à la récupération d’une aide d’État octroyée en violation du droit de l’Union et dont l’incompatibilité avec le marché commun a été constatée par une décision de la Commission devenue définitive (voir point 63 dudit arrêt Lucchini).

57      En effet, dans la présente affaire, la décision juridictionnelle dotée de la force de chose jugée dont se prévaut la République slovaque est antérieure à la décision par laquelle la Commission a imposé la récupération de l’aide litigieuse.

58      Par conséquent, comme le soutient la République slovaque, l’arrêt Lucchini, précité, ne saurait être directement pertinent dans la présente affaire.

59      En second lieu, il y a lieu de rappeler l’importance que revêt le principe de l’autorité de la chose jugée, tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques nationaux. En effet, en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que les décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces recours ne puissent plus être remises en cause (arrêts du 30 septembre 2003, Köbler, C-224/01, Rec. p. I-10239, point 38; du 16 mars 2006, Kapferer, C‑234/04, Rec. p. I-2585, point 20, et du 3 septembre 2009, Fallimento Olimpiclub, C‑2/08, Rec. p. I‑7501, point 22).

60      Partant, le droit de l’Union n’impose pas dans tous les cas à une juridiction nationale d’écarter l’application des règles de procédure internes conférant force de chose jugée à une décision juridictionnelle, même si cela permettrait de remédier à une violation du droit de l’Union par la décision en cause (voir, en ce sens, arrêts précités Kapferer, point 21, et Fallimento Olimpiclub, point 23).

61      Ainsi que l’a souligné M. l’avocat général dans ses conclusions, il ressort tant du dossier que des observations présentées lors de l’audience par la République slovaque que les autorités de cet État membre disposaient, selon le droit national, de moyens dont l’utilisation diligente aurait pu donner audit État la possibilité de récupérer l’aide en cause.

62      Néanmoins, la République slovaque n’a pas apporté d’éléments précis quant aux conditions dans lesquelles lesdites autorités auraient utilisé les moyens ainsi mis à leur disposition.

63      En particulier, ainsi qu’il a été relevé au point 14 du présent arrêt, cet État membre n’a pas clairement précisé les suites qui ont été données à la demande du bureau des impôts relative à la formation d’un recours extraordinaire contre l’arrêt de la cour régionale de Košice du 21 avril 2008.

64      La Cour ne peut dès lors que constater que, face aux critiques précises de la Commission, la République slovaque n’apporte pas suffisamment d’éléments permettant de considérer qu’elle aurait entrepris, dans le délai qui lui était imparti, toutes les démarches qu’il lui était possible de mettre en œuvre afin d’obtenir le remboursement de l’aide en cause.

65      Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que, en n’ayant pas pris, dans le délai imparti, toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès de son bénéficiaire l’aide illégale visée par la décision 2007/254, la République slovaque a manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 249, quatrième alinéa, CE et de l’article 2 de ladite décision.

 Sur les dépens

66      En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République slovaque et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête:

1)      En n’ayant pas pris, dans le délai imparti, toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès de son bénéficiaire l’aide illégale visée par la décision 2007/254/CE de la Commission, du 7 juin 2006, concernant l’aide d’État C 25/05 (ex NN 21/05) mise à exécution par la République slovaque en faveur de Frucona Košice a.s., la République slovaque a manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 249, quatrième alinéa, CE et de l’article 2 de ladite décision.

2)      La République slovaque est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le slovaque.