Affaire C-239/09

Seydaland Vereinigte Agrarbetriebe GmbH & Co. KG

contre

BVVG Bodenverwertungs- und -verwaltungs GmbH

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Landgericht Berlin)

«Aides d’État — Aides accordées par la République fédérale d’Allemagne pour l’acquisition de terres — Programme de privatisation des terres et de restructuration de l’agriculture dans les nouveaux Länder allemands»

Sommaire de l'arrêt

Aides accordées par les États — Notion — Vente de terrains à usage agricole et sylvicole par des autorités publiques — Réglementation nationale prévoyant des méthodes de calcul pour la détermination de la valeur des terrains — Admissibilité — Conditions

(Art. 87 CE)

La notion d’aide peut recouvrir non seulement des prestations positives, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui grèvent normalement le budget d’une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du terme, sont de même nature et ont des effets identiques. Il ne peut donc, en principe, pas être exclu qu’une vente de terres publiques à un prix inférieur à celui du marché puisse constituer une aide d’État.

Peut ainsi receler des éléments d’aide d’État une vente par les autorités publiques de terres ou de bâtiments à une entreprise ou à un particulier exerçant une activité économique, telle que l’agriculture ou la sylviculture, notamment lorsque cette vente ne s’effectue pas à la valeur du marché, c’est-à-dire au prix qu’un investisseur privé, agissant dans des conditions de concurrence normales, aurait pu fixer. Il s'ensuit que, lorsque le droit national instaure des règles de calcul de la valeur du marché des terres pour leur vente par les autorités publiques, l’application desdites règles doit, en vue de leur conformité avec l’article 87 CE, aboutir dans tous les cas à un prix le plus proche possible de la valeur du marché. Cette dernière étant théorique, sauf pour les ventes au plus offrant, une marge de variation du prix obtenu par rapport au prix théorique doit nécessairement être tolérée.

Il doit cependant être noté que, dans le contexte de la politique agricole commune, toute vente de terres publiques à un prix inférieur à celui du marché ne doit pas nécessairement être considérée comme incompatible avec le traité. En effet, dans le cadre du large pouvoir d’appréciation en matière de politique agricole commune dont il dispose, le législateur de l’Union a édicté de nouvelles règles spécifiques sur l’octroi d’aides dans le domaine de la politique agricole, dont notamment des aides aux investissements dans les exploitations agricoles, moyennant d’abord le règlement nº 950/97, concernant l’amélioration de l’efficacité des structures de l’agriculture, applicable ratione temporis aux faits du litige au principal, puis le règlement nº 1257/99, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole.

En tout état de cause, l’article 87 CE ne s’oppose pas à une réglementation nationale prévoyant des méthodes de calcul pour la détermination de la valeur de terrains à usage agricole et sylvicole mis en vente par les autorités publiques dans le cadre d’un plan de privatisation, pour autant que lesdites méthodes prévoient l’actualisation des prix dans des cas de forte hausse de ceux-ci, de façon à ce que le prix effectivement payé par l’acheteur se rapproche le plus possible de la valeur marchande de ces terrains.

(cf. points 30-35, 43, 54 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

16 décembre 2010 (*)

«Aides d’État – Aides accordées par la République fédérale d’Allemagne pour l’acquisition de terres – Programme de privatisation des terres et de restructuration de l’agriculture dans les nouveaux Länder allemands»

Dans l’affaire C‑239/09,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Landgericht Berlin (Allemagne), par décision du 18 juin 2009, parvenue à la Cour le 1er juillet 2009, dans la procédure

Seydaland Vereinigte Agrarbetriebe GmbH & Co. KG

contre

BVVG Bodenverwertungs- und -verwaltungs GmbH,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A Tizzano (rapporteur), président de chambre, MM. J.‑J. Kasel, A. Borg Barthet, E. Levits et M. Safjan, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour Seydaland Vereinigte Agrarbetriebe GmbH & Co. KG, par Me G. Korth, Rechtsanwalt,

–        pour BVVG Bodenverwertungs- und -verwaltungs GmbH, par Me C. von Donat, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma et B. Klein, en qualité d’agents,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par MM. B. Stromsky et B. Martenczuk, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 septembre 2010,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 87 CE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Seydaland Vereinigte Agrarbetriebe GmbH & Co. KG (ci-après «Seydaland») à BVVG Bodenverwertungs- und -verwaltungs GmbH (ci-après «BVVG») au sujet des méthodes de calcul utilisées par cette dernière pour déterminer le prix de vente de terres agricoles.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Les règles sur les aides d’État

3        Le titre II, point 1, premier alinéa, de la communication de la Commission du 10 juillet 1997 concernant les éléments d’aide d’État contenus dans des ventes de terrains et de bâtiments par les pouvoirs publics (JO C 209, p. 3, ci-après la «communication») est libellé comme suit:

«Une vente de terrains et de bâtiments au plus offrant ou à l’unique offrant, dans le cadre d’une procédure d’offre ouverte et inconditionnelle ayant fait l’objet d’une publicité suffisante, qui s’apparente à une vente publique, s’effectue, par définition, à la valeur du marché et, partant, ne recèle pas d’aide d’État. […]»

4        Selon le titre II, point 2, sous a), premier alinéa, de la communication, lorsque «les pouvoirs publics envisagent de ne pas recourir à la procédure décrite au [titre II, point 1]», seule permettrait d’exclure la présence d’éléments d’aide d’État «une évaluation […] effectuée par un ou plusieurs expert(s) indépendant(s) chargé(s) d’évaluer les actifs, préalablement aux négociations précédant la vente, pour fixer la valeur marchande sur la base d’indicateurs du marché et de critères d’évaluation communément acceptés».

5        Aux termes du titre II, point 2, sous a), cinquième alinéa, de la communication:

«Par ‘valeur du marché’, on entend le prix auquel les terrains et les bâtiments pourraient être vendus, à la date de l’évaluation, sous contrat privé entre un vendeur consentant et un acheteur non lié, étant entendu que le bien a fait l’objet d’une offre publique sur le marché, que les conditions de celui-ci permettent une vente régulière et que le délai disponible pour la négociation de la vente est normal compte tenu de la nature du bien [...]»

6        Par sa décision 1999/268/CE, du 20 janvier 1999, concernant l’acquisition de terres en vertu de la loi sur les compensations (JO L 107, p. 21, ci-après la «décision du 20 janvier 1999»), la Commission des Communautés européennes a déclaré partiellement incompatible avec le marché commun le régime d’aides instauré par un programme de la République fédérale d’Allemagne visant la reprivatisation de terres dans le territoire des nouveaux Länder.

7        L’article 2, deuxième alinéa, de cette décision énonçait:

«Les aides […] qui dépassent les intensités d’aides maximales de 35 % pour les terres agricoles en zones non défavorisées aux termes du règlement (CE) n° 950/97 [du Conseil, du 20 mai 1997, concernant l’amélioration de l’efficacité des structures de l’agriculture (JO L 142, p. 1),] ne sont pas compatibles avec le marché commun.»

8        Après l’examen des modifications introduites dans ledit programme par la République fédérale d’Allemagne à la suite de la décision du 20 janvier 1999, la Commission a adopté la décision du 22 décembre 1999 portant autorisation des aides d’État dans le cadre des dispositions des articles 87 et 88 (ex-articles 92 et 93) du traité CE (JO 2000, C 46, p. 2, ci-après la «décision du 22 décembre 1999»), communiquée à la République fédérale d’Allemagne par lettre de la Commission du 19 janvier 2000, et concernant ce même programme tel que modifié.

9        Cette dernière décision n’a, en particulier, pas soulevé d’objections à l’encontre de la modification du régime en cause concernant le critère utilisé pour le calcul du prix de vente des terres agricoles. Selon ce critère, les autorités allemandes devraient désormais se fonder sur la valeur vénale des terres mises à la vente, avec un abattement de 35 %.

 Les règles spécifiques aux aides en matière de politique agricole

10      Le règlement nº 950/97 prévoyait, à son article 7, paragraphe 2:

«La valeur totale de l’aide, exprimée en pourcentage du volume d’investissement, est limitée:

[…]

b)      en ce qui concerne les […] zones [non défavorisées]:

–        à 35 % pour les investissements en biens immobiliers,

[…]»

11      L’article 12, paragraphe 2, de ce règlement disposait:

«(Aides généralement autorisées) Les États membres peuvent accorder des aides aux investissements qui visent:

a)      l’achat de terres;

[…]»

12      Par la suite, ledit règlement a été abrogé et remplacé par le règlement (CE) n° 1257/1999 du Conseil, du 17 mai 1999, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) et modifiant et abrogeant certains règlements (JO L 160, p. 80), en vigueur depuis le 3 juillet 1999. L’article 7, deuxième alinéa, de ce règlement se lit comme suit:

«La valeur totale de l’aide, exprimée en pourcentage du volume d’investissement éligible, est limitée à 40 % au maximum […]»

 Le droit national

13      En vue d’adapter le régime de la propriété foncière agricole ou sylvicole des nouveaux Länder à l’ordre juridique de la République fédérale d’Allemagne, celle-ci a édicté la loi sur les compensations (Ausgleichleistungsgesetz), du 27 septembre 1994 (BGBl. I 1994, p. 2624, ci-après l’«AusglLeistG»). Cette loi incluait le programme d’acquisition de terres, développé ultérieurement par le règlement sur l’acquisition de terres (Flächenerwerbsverordnung), du 20 décembre 1995 (BGBl. I 1995, p. 2072, ci-après la «FlErwV»).

14      Dans le but de se conformer à la décision du 20 janvier 1999, la République fédérale d’Allemagne a introduit par la suite certaines modifications aussi bien dans l’AusglLeistG que dans la FlErwV, modifications auxquelles se réfère la décision du 22 décembre 1999.

15      Ainsi, l’AusglLeistG a modifié la valeur de référence des terres agricoles qui doit désormais être calculée en soumettant la valeur vénale à un abattement de 35 %, et non pas, comme il était initialement prévu, en multipliant par trois certaines unités de valeurs établies en 1935.

16      L’article 5, paragraphe 1, de la FlErwV introduit une méthode de calcul de ladite valeur de référence, basée non plus sur la valeur vénale des terres agricoles, mais sur des expertises réalisées par des experts immobiliers régionaux. Cette disposition est libellée comme suit:

«La valeur vénale des terres agricoles au sens de l’article 3, paragraphe 7, […] de l’AusglLeistG est calculée conformément aux prescriptions du règlement relatif à l’évaluation des biens immobiliers du 6 décembre 1988 […]. Cette valeur vénale doit être déterminée sur la base des valeurs de référence régionales pour les terres de culture et de pâturage, lorsqu’elles existent. Les valeurs de référence régionales sont publiées au Bundesanzeiger [journal des annonces officielles du gouvernement fédéral] par le ministre fédéral des Finances. L’acheteur ou l’organisme de privatisation peuvent demander à ce qu’une expertise, réalisée par la commission d’experts immobiliers, constituée et compétente localement en vertu de l’article 192 de la loi sur l’urbanisme, détermine une valeur qui s’en écarte, s’il existe des indices réels montrant que les valeurs de référence régionales ne constituent pas une base de calcul appropriée.»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

17      Seydaland est une société active dans le secteur de l’agro-industrie. BVVG est une filiale à 100 % de la Bundesanstalt für vereinigungsbedingte Sonderaufgaben (établissement public chargé de missions spécifiques résultant de l’unification de l’Allemagne), chargée de la privatisation des terres agricoles et sylvicoles.

18      Il ressort de la décision de renvoi que, par un contrat du 18 décembre 2007, BVVG a vendu à Seydaland des terres propres à un usage agricole. Le prix de vente total s’élevait à 245 907,91 euros, dont 210 810,18 euros correspondaient aux terres agricoles.

19      Estimant que le prix payé était excessif, Seydaland a demandé le remboursement d’une partie du prix de vente de ces terres, faisant valoir que le prix de vente de celles-ci calculé sur la base des valeurs de référence régionales s’élevait seulement à 146 850,24 euros.

20      BVVG n’ayant pas donné une suite favorable à cette demande, Seydaland a saisi le Landgericht Berlin d’un recours visant à obtenir ce remboursement. À l’appui de ce recours, Seydaland a fait valoir que l’article 2, point 5, du contrat du 18 décembre 2007 permet expressément à l’acheteur de soumettre le prix de vente et son mode de calcul à une vérification, ainsi que de faire valoir en justice un droit d’ajustement de ce prix.

21      En effet, selon Seydaland, BVVG aurait dû soit calculer le prix de vente des terres en cause sur la base des valeurs de référence régionales, soit saisir la commission d’experts mentionnée à l’article 5, paragraphe 1, de la FlErwV. Seydaland a également soutenu que, en tout état de cause, ce prix de vente ne saurait être déterminé sur la base de la situation actuelle du marché, comme l’aurait fait BVVG.

22      En revanche, BVVG a fait valoir qu’il n’y avait pas lieu de prendre en compte les valeurs de référence régionales pour calculer le prix de vente des terres en cause, car, en général, ces valeurs reflètent non pas la situation actuelle du marché, mais plutôt celle existant un à deux ans auparavant. Ainsi, fixer un prix basé sur lesdites valeurs reviendrait à octroyer une aide contraire au droit de l’Union.

23      À cet égard, BVVG a expliqué que le ministère fédéral des Finances s’était rendu compte de cet écart et, le 10 juillet 2007, il lui a donné pour instruction de soumettre les valeurs de référence régionales publiées au Bundesanzeiger à un examen sérieux, dès lors que ces valeurs ne pouvaient plus servir de base au calcul de la valeur vénale des terres agricoles lorsqu’elles s’écartaient de plus de 20 % du prix de vente moyen de biens comparables. D’après le calcul de la défenderesse au principal, tel était le cas en l’espèce.

24      C’est dans ces circonstances que le Landgericht Berlin, estimant que l’issue du litige dont il est saisi dépend de l’interprétation du droit de l’Union, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 5, paragraphe 1, deuxième et troisième phrases, de la FlErwV, édictée pour préciser l’article 4, paragraphe 3, point 1, de l’AusglLeistG, est-il incompatible avec l’article 87 CE?»

 Sur la question préjudicielle

25      Par sa question, la juridiction de renvoi demande à la Cour d’apprécier la compatibilité avec l’article 87 CE de l’article 5, paragraphe 1, de la FlErwV.

26      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la procédure établie à l’article 267 TFUE se fonde sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, cette dernière étant uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité des actes de l’Union visés à cet article, sans qu’il lui appartienne d’apprécier l’interprétation des dispositions du droit national (voir, notamment, arrêts du 18 janvier 2007, Auroux e.a., C‑220/05, Rec. p. I‑385, point 25, ainsi que du 7 octobre 2010, Dos Santos Palhota e.a., C‑515/08, non encore publié au Recueil, point 18).

27      Toutefois, dans l’optique de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi, il incombe à la Cour, le cas échéant, de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêts du 4 mai 2006, Haug, C‑286/05, Rec. p. I‑4121, point 17, et du 11 mars 2008, Jager, C‑420/06, Rec. p. I-1315, point 46).

28      Eu égard à cette jurisprudence, il convient de comprendre la question posée en ce sens que la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 87 CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale prévoyant des méthodes de calcul pour la détermination de la valeur de terrains à usage agricole et sylvicole mis en vente par les autorités publiques dans le cadre d’un plan de privatisation, telles que celles établies à l’article 5, paragraphe 1, deuxième et troisième phrases, de la FlErwV.

29      En outre, afin de fournir à la juridiction nationale une réponse utile, il y a lieu de considérer, ainsi que le demande le gouvernement allemand, que la question se rapporte audit article 5, paragraphe 1, dans son ensemble, c’est-à-dire, en tenant compte également des première et quatrième phrases de ce paragraphe.

30      Cela étant précisé, il convient de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, la notion d’aide peut recouvrir non seulement des prestations positives, telles que des subventions, des prêts ou des prises de participation au capital d’entreprises, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui grèvent normalement le budget d’une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du terme, sont de même nature et ont des effets identiques (voir, notamment, arrêts du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C‑156/98, Rec. p. I‑6857, point 25; du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, Rec. p. I‑4777, point 123, ainsi que du 17 novembre 2009, Presidente del Consiglio dei Ministri, C‑169/08, Rec. p. I‑10821, point 56).

31      Il ne peut donc, en principe, pas être exclu qu’une vente de terres publiques à un prix inférieur à celui du marché puisse constituer une aide d’État.

32      Toutefois, il y a également lieu de relever que, dans le contexte de la politique agricole commune, toute vente de terres publiques à un prix inférieur à celui du marché ne doit pas nécessairement être considérée comme incompatible avec le traité CE. En effet, dans le cadre du large pouvoir d’appréciation en matière de politique agricole commune dont il dispose (arrêts du 29 octobre 1980, Maizena/Conseil, 139/79, Rec. p. 3393, point 23, et du 20 mai 2010, Agrana Zucker, C‑365/08, non encore publié au Recueil, point 30), le législateur de l’Union avait édicté de nouvelles règles spécifiques sur l’octroi d’aides dans le domaine de la politique agricole, dont notamment des aides aux investissements dans les exploitations agricoles, moyennant d’abord le règlement nº 950/97, applicable ratione temporis aux faits du litige au principal, et abrogé ensuite par le règlement n° 1257/1999.

33      Ainsi, en vertu de l’article 7, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 950/97, la valeur totale de l’aide, exprimée en pourcentage du volume d’investissement éligible, était limitée à 35 % pour les investissements en biens immobiliers, cette limite ayant été portée à 40 % dans le cadre du règlement n° 1257/1999.

34      En outre, en ce qui a trait à la vente par les autorités publiques de terres ou de bâtiments à une entreprise ou à un particulier exerçant une activité économique, telle que l’agriculture ou la sylviculture, il y a lieu de signaler que la Cour a dit pour droit qu’une telle vente peut receler des éléments d’aide d’État, notamment lorsqu’elle ne s’effectue pas à la valeur du marché, c’est-à-dire au prix qu’un investisseur privé, agissant dans des conditions de concurrence normales, aurait pu fixer (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2010, Commission/Scott, C‑290/07 P, non encore publié au Recueil, point 68).

35      Il découle des considérations précédentes que, lorsque le droit national instaure des règles de calcul de la valeur du marché des terres pour leur vente par les autorités publiques, l’application desdites règles doit, en vue de leur conformité avec l’article 87 CE, aboutir dans tous les cas à un prix le plus proche possible de la valeur du marché. Cette dernière étant théorique, sauf pour les ventes au plus offrant, une marge de variation du prix obtenu par rapport au prix théorique doit nécessairement être tolérée, comme l’indique à juste titre la Commission au titre II, point 2, sous b), de la communication.

36      S’agissant de la disposition en cause au principal, force est tout d’abord de constater que, contrairement à ce que soutiennent Seydaland et le gouvernement allemand, la décision du 22 décembre 1999 n’a pas déclaré ladite disposition compatible avec l’article 87 CE. En effet, ainsi que le relève Seydaland, il ressort de cette décision que la Commission ne s’est référée à la disposition en cause que dans le but de décrire les modifications apportées à la FlErwV par rapport au même régime d’aides, tel qu’elle l’avait examiné lors de la décision du 20 janvier 1999.

37      Au demeurant, l’article 5, paragraphe 1, de la FlErwV n’a pas fait l’objet, dans la décision du 22 décembre 1999, d’une appréciation quant au fond, la Commission s’étant limitée à analyser l’intensité des aides octroyées par le plan de privatisation allemand et les aspects qu’elle avait estimés discriminatoires dans la décision du 20 janvier 1999.

38      Ensuite, il convient de relever que la juridiction de renvoi considère que seule la vente au plus offrant et la détermination du prix par un expert sont aptes à établir la valeur marchande d’un terrain. De ce fait, elle estime que les méthodes prévues à l’article 5, paragraphe 1, deuxième et quatrième phrases, de la FlErwV ne permettent pas de déterminer correctement ladite valeur.

39      À cet égard, il y a lieu de préciser que, s’il est certain que les méthodes du plus offrant et de l’expertise sont susceptibles de fournir des prix correspondant aux valeurs réelles du marché, ainsi que le relève la Commission au titre II, points 1 et 2, sous a), de la communication, il n’est pas exclu que d’autres méthodes puissent également atteindre ce même résultat.

40      Or, l’article 5, paragraphe 1, de la FlErwV envisage justement certaines de ces méthodes.

41      En premier lieu, il prévoit une méthode de calcul consistant à établir la valeur des terres agricoles par rapport aux valeurs de référence régionales. La juridiction de renvoi considère que cette méthode ne permettrait de fixer la valeur marchande des terres en vente que de façon inexacte, notamment en ce qu’elle ne refléterait pas la hausse importante subie par les prix des terres agricoles dans l’est de l’Allemagne à partir de l’année 2007.

42       À cet égard, le gouvernement allemand reconnaît dans ses observations écrites que cette évolution des prix du marché se répercutait avec un certain retard sur les valeurs foncières utilisées dans le cadre de cette procédure d’évaluation. En outre, ainsi que l’indiquent BVVG et ce gouvernement, il faut tenir compte du fait que, en règle générale, lesdites valeurs ne sont mises à jour que tous les deux ans.

43      Dans ces conditions, force est de constater, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 47 de ses conclusions, que dans les cas où la méthode basée sur les valeurs de référence régionales ne serait pas assortie d’un mécanisme d’actualisation permettant un rapprochement le plus précis possible de la valeur marchande du prix de vente des terres, notamment en période de forte hausse, elle ne serait pas apte à refléter la réalité des prix du marché en cause. Cette appréciation requérant une interprétation du droit national, il incombe à la juridiction de renvoi de l’effectuer.

44      Par ailleurs, est sans pertinence l’allégation de Seydaland selon laquelle la méthode basée sur les valeurs de référence régionales prévue à la disposition en cause au principal aboutirait à un prix compris entre celui du marché et celui résultant de l’abattement de 35 % correspondant à l’intensité de l’aide établie par la réglementation nationale conformément au règlement nº 950/97.

45      En effet, une telle allégation méconnaît le fait que le calcul de la valeur marchande d’un terrain ou d’un bâtiment constitue la condition préalable et nécessaire avant d’appliquer sur cette valeur l’indice de l’intensité de l’aide selon les règles spécifiques de l’Union rappelées aux points 32 et 33 du présent arrêt.

46      En deuxième lieu, l’article 5, paragraphe 1, de la FlErwV prévoit une autre méthode consistant en la possibilité, lorsqu’il existe des indices réels montrant que les valeurs de référence régionales ne constituent pas une base appropriée pour déterminer la valeur d’un bien immobilier déterminé, que l’acheteur ou l’organisme de privatisation demandent à ce qu’une commission d’experts immobiliers réalise une expertise afin de déterminer ladite valeur selon l’article 192 de la loi sur l’urbanisme.

47      S’agissant de cette dernière disposition, le gouvernement allemand a indiqué, en réponse à une question écrite posée par la Cour, que les experts de ladite commission ont recours à un bureau qui prépare une expertise en tenant compte de plusieurs paramètres pertinents pour l’évaluation de terrains, tels que les valeurs foncières de référence, les valeurs de référence de l’ensemble des prix, les loyers, les taux d’intérêt, les coûts de construction normaux et les facteurs d’adaptation au marché.

48      À cet égard, pour les raisons exposées au point 43 du présent arrêt, il y a lieu de constater que seul un fonctionnement de ladite commission d’experts immobiliers aboutissant à la détermination d’un prix équivalent à celui du marché sera susceptible de remplir les critères de compatibilité avec les règles du traité en matière d’aides d’État.

49      En troisième lieu, pour autant qu’il puisse être affirmé, comme le fait le gouvernement allemand, que l’article 5, paragraphe 1, de la FlErwV prévoit une troisième méthode de calcul en ce qu’il renvoie au règlement relatif à l’évaluation des biens immobiliers du 6 décembre 1988, il y a lieu de rappeler, d’une part, qu’il incombe à la juridiction de renvoi de déterminer, dans les affaires dont elle est saisie, quelle est l’interprétation correcte du droit national (arrêt du 22 juin 2010, Melki et Abdeli, C-188/10 et C-189/10, non encore publié au Recueil, point 49).

50      D’autre part, le principe d’interprétation conforme du droit national, qui est inhérent au système du traité en ce qu’il permet à la juridiction nationale d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la pleine efficacité du droit de l’Union lorsqu’elle tranche le litige dont elle est saisie (voir, en ce sens, arrêt du 15 mai 2003, Mau, C‑160/01, Rec. p. I‑4791, point 34), requiert que la juridiction nationale prenne en considération l’ensemble du droit national pour apprécier dans quelle mesure celui-ci peut recevoir une application telle qu’il n’aboutit pas à un résultat contraire au droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 25 février 1999, Carbonari e.a., C‑131/97, Rec. p. I-1103, points 49 et 50, ainsi que du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C-397/01 à C‑403/01, Rec. p. I‑8835, point 115).

51      En l’occurrence, il incombe donc à la juridiction de renvoi d’examiner si l’article 5, paragraphe 1, de la FlErwV peut être interprété en conformité avec l’article 87 CE, notamment à la lumière d’autres dispositions nationales éventuellement applicables, telles que le règlement relatif à l’évaluation des biens immobiliers du 6 décembre 1988 et, ainsi que le relève BVVG, le cas échéant, l’article 404, paragraphe 2, du code de procédure civil allemand.

52      Par ailleurs, il y a encore lieu d’observer que, quand bien même la juridiction de renvoi serait amenée à constater la conformité au regard de l’article 87 CE de l’article 5, paragraphe 1, de la FlErwV, il ne saurait être exclu que, dans certains cas, la méthode prévue à cette disposition du droit national aboutisse à un résultat s’écartant de la valeur du marché. Dans de telles circonstances, en vertu de l’obligation qui incombe à tous les organes de l’État, en ce compris les juridictions nationales et les autorités administratives, d’écarter une règle du droit national contraire au droit de l’Union, ladite juridiction et les autorités administratives chargées de son application seraient tenues de laisser inappliquée ladite disposition nationale (voir, en ce sens, arrêts du 22 juin 1989, Costanzo, 103/88, Rec. p. 1839, point 31, ainsi que du 9 septembre 2003, CIF, C‑198/01, Rec. p. I‑8055, points 48 et 49).

53      À ce titre, le juge national doit prendre notamment en compte que cela implique, le cas échéant, l’obligation de prendre toutes les mesures pour faciliter la réalisation du plein effet du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 13 juillet 1972, Commission/Italie, 48/71, Rec. p. 529, point 7, et CIF, précité, point 49).

54      Dans ces conditions, il convient de répondre à la question posée que l’article 87 CE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale prévoyant des méthodes de calcul pour la détermination de la valeur de terrains à usage agricole et sylvicole mis en vente par les autorités publiques dans le cadre d’un plan de privatisation, telles que celles établies à l’article 5, paragraphe 1, de la FlErwV, pour autant que lesdites méthodes prévoient l’actualisation des prix dans des cas de forte hausse de ceux-ci, de façon à ce que le prix effectivement payé par l’acheteur se rapproche le plus possible de la valeur marchande de ces terrains.

 Sur les dépens

55      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

L’article 87 CE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale prévoyant des méthodes de calcul pour la détermination de la valeur de terrains à usage agricole et sylvicole mis en vente par les autorités publiques dans le cadre d’un plan de privatisation, telles que celles établies à l’article 5, paragraphe 1, du règlement sur l’acquisition de terres (Flächenerwerbsverordnung), du 20 décembre 1995, pour autant que lesdites méthodes prévoient l’actualisation des prix dans des cas de forte hausse de ceux-ci, de façon à ce que le prix effectivement payé par l’acheteur se rapproche le plus possible de la valeur marchande de ces terrains.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.