ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

19 février 2009 ( *1 )

Dans l’affaire C-557/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Autriche), par décision du 13 novembre 2007, parvenue à la Cour le 14 décembre 2007, dans la procédure

LSG-Gesellschaft zur Wahrnehmung von Leistungsschutzrechten GmbH

contre

Tele2 Telecommunication GmbH,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. G. Arestis et J. Malenovský (rapporteur), juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: M. R. Grass,

la Cour se proposant de statuer sur la seconde question par voie d’ordonnance motivée conformément à l’article 104, paragraphe 3, premier alinéa, de son règlement de procédure,

la juridiction de renvoi ayant été informée que la Cour se propose de statuer sur la première question par voie d’ordonnance motivée conformément à l’article 104, paragraphe 3, second alinéa, de son règlement de procédure,

les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice ayant été invités à présenter leurs observations éventuelles à ce sujet,

l’avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des directives 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO L 167, p. 10), 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (directive vie privée et communications électroniques) (JO L 201, p. 37), et 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO L 157, p. 45).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant LSG-Gesellschaft zur Wahrnehmung von Leistungsschutzrechten GmbH (ci-après «LSG») à Tele2 Telecommunication GmbH (ci-après «Tele2») au sujet du refus de cette dernière de lui communiquer les noms et adresses des personnes auxquelles elle fournit un accès à l’Internet.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

Les dispositions relatives à la société de l’information et à la protection de la propriété intellectuelle, notamment du droit d’auteur

— La directive 2000/31/CE

3

Selon son article 1er, paragraphe 1, la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique») (JO L 178, p. 1), a pour objectif de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en assurant la libre circulation des services de la société de l’information entre les États membres.

— La directive 2001/29

4

Le cinquante-neuvième considérant de la directive 2001/29 énonce:

«Les services d’intermédiaires peuvent, en particulier dans un environnement numérique, être de plus en plus utilisés par des tiers pour porter atteinte à des droits. Dans de nombreux cas, ces intermédiaires sont les mieux à même de mettre fin à ces atteintes. Par conséquent, sans préjudice de toute autre sanction ou voie de recours dont ils peuvent se prévaloir, les titulaires de droits doivent avoir la possibilité de demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre d’un intermédiaire qui transmet dans un réseau une contrefaçon commise par un tiers d’une œuvre protégée ou d’un autre objet protégé. Cette possibilité doit être prévue même lorsque les actions de l’intermédiaire font l’objet d’une exception au titre de l’article 5. Les conditions et modalités concernant une telle ordonnance sur requête devraient relever du droit interne des États membres.»

5

Selon l’article 1er, paragraphe 1, de ladite directive, celle-ci porte sur la protection juridique du droit d’auteur et des droits voisins dans le cadre du marché intérieur, avec une importance particulière accordée à la société de l’information.

6

L’article 5 de la directive 2001/29, intitulé «Exceptions et limitations», énonce à son paragraphe 1:

«Les actes de reproduction provisoires visés à l’article 2, qui sont transitoires ou accessoires et constituent une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique et dont l’unique finalité est de permettre:

a)

une transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire, ou

b)

une utilisation licite

d’une œuvre ou d’un objet protégé, et qui n’ont pas de signification économique indépendante, sont exemptés du droit de reproduction prévu à l’article 2.»

7

Aux termes de l’article 8 de la même directive, intitulé «Sanctions et voies de recours»:

«1.   Les États membres prévoient des sanctions et des voies de recours appropriées contre les atteintes aux droits et obligations prévus par la présente directive et prennent toutes les mesures nécessaires pour en garantir l’application. Ces sanctions sont efficaces, proportionnées et dissuasives.

2.   Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour faire en sorte que les titulaires de droits dont les intérêts sont lésés par une infraction commise sur son territoire puissent intenter une action en dommages-intérêts et/ou demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue ainsi que, le cas échéant, demander la saisie du matériel concerné par l’infraction ainsi que des dispositifs, produits ou composants visés à l’article 6, paragraphe 2.

3.   Les États membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin.»

— La directive 2004/48

8

L’article 8 de la directive 2004/48 est libellé comme suit:

«1.   Les États membres veillent à ce que, dans le cadre d’une action relative à une atteinte à un droit de propriété intellectuelle et en réponse à une demande justifiée et proportionnée du requérant, les autorités judiciaires compétentes puissent ordonner que des informations sur l’origine et les réseaux de distribution des marchandises ou des services qui portent atteinte à un droit de propriété intellectuelle soient fournies par le contrevenant et/ou toute autre personne qui:

a)

a été trouvée en possession des marchandises contrefaisantes à l’échelle commerciale;

b)

a été trouvée en train d’utiliser des services contrefaisants à l’échelle commerciale;

c)

a été trouvée en train de fournir, à l’échelle commerciale, des services utilisés dans des activités contrefaisantes; ou

d)

a été signalée, par la personne visée aux points a), b) ou c), comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution des marchandises ou la fourniture des services.

2.   Les informations visées au paragraphe 1 comprennent, selon les cas:

a)

les noms et adresses des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs antérieurs des marchandises ou des services, ainsi que des grossistes destinataires et des détaillants;

b)

des renseignements sur les quantités produites, fabriquées, livrées, reçues ou commandées, ainsi que sur le prix obtenu pour les marchandises ou services en question.

3.   Les paragraphes 1 et 2 s’appliquent sans préjudice d’autres dispositions législatives et réglementaires qui:

a)

accordent au titulaire le droit de recevoir une information plus étendue;

b)

régissent l’utilisation au civil ou au pénal des informations communiquées en vertu du présent article;

c)

régissent la responsabilité pour abus du droit à l’information;

d)

donnent la possibilité de refuser de fournir des informations qui contraindraient la personne visée au paragraphe 1 à admettre sa propre participation ou celle de ses proches parents à une atteinte à un droit de propriété intellectuelle; ou

e)

régissent la protection de la confidentialité des sources d’information ou le traitement des données à caractère personnel.»

Les dispositions relatives à la protection des données à caractère personnel

— La directive 95/46/CE

9

L’article 13, paragraphe 1, de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JO L 281, p. 31), dispose sous l’intitulé «Exceptions et limitations»:

«1.   Les États membres peuvent prendre des mesures législatives visant à limiter la portée des obligations et des droits prévus à l’article 6 paragraphe 1, à l’article 10, à l’article 11 paragraphe 1 et aux articles 12 et 21, lorsqu’une telle limitation constitue une mesure nécessaire pour sauvegarder:

a)

la sûreté de l’État;

b)

la défense;

c)

la sécurité publique;

d)

la prévention, la recherche, la détection et la poursuite d’infractions pénales ou de manquements à la déontologie dans le cas des professions réglementées;

e)

un intérêt économique ou financier important d’un État membre ou de l’Union européenne, y compris dans les domaines monétaire, budgétaire et fiscal;

f)

une mission de contrôle, d’inspection ou de réglementation relevant, même à titre occasionnel, de l’exercice de l’autorité publique, dans les cas visés aux points c), d) et e);

g)

la protection de la personne concernée ou des droits et libertés d’autrui.»

— La directive 2002/58

10

L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2002/58 prévoit:

«Les États membres garantissent, par la législation nationale, la confidentialité des communications effectuées au moyen d’un réseau public de communications et de services de communications électroniques accessibles au public, ainsi que la confidentialité des données relatives au trafic y afférentes. En particulier, ils interdisent à toute autre personne que les utilisateurs d’écouter, d’intercepter, de stocker les communications et les données relatives au trafic y afférentes, ou de les soumettre à tout autre moyen d’interception ou de surveillance, sans le consentement des utilisateurs concernés sauf lorsque cette personne y est légalement autorisée, conformément à l’article 15, paragraphe 1. Le présent paragraphe n’empêche pas le stockage technique nécessaire à l’acheminement d’une communication, sans préjudice du principe de confidentialité.»

11

L’article 6 de ladite directive dispose:

«1.   Les données relatives au trafic concernant les abonnés et les utilisateurs traitées et stockées par le fournisseur d’un réseau public de communications ou d’un service de communications électroniques accessibles au public doivent être effacées ou rendues anonymes lorsqu’elles ne sont plus nécessaires à la transmission d’une communication sans préjudice des paragraphes 2, 3 et 5 du présent article ainsi que de l’article 15, paragraphe 1.

2.   Les données relatives au trafic qui sont nécessaires pour établir les factures des abonnés et les paiements pour interconnexion peuvent être traitées. Un tel traitement n’est autorisé que jusqu’à la fin de la période au cours de laquelle la facture peut être légalement contestée ou des poursuites engagées pour en obtenir le paiement.

3.   Afin de commercialiser ses services de communications électroniques ou de fournir des services à valeur ajoutée, le fournisseur d’un service de communications électroniques accessible au public peut traiter les données visées au paragraphe 1 dans la mesure et pour la durée nécessaires à la fourniture ou à la commercialisation de ces services, pour autant que l’abonné ou l’utilisateur que concernent ces données ait donné son consentement. Les utilisateurs ou abonnés ont la possibilité de retirer à tout moment leur consentement pour le traitement des données relatives au trafic.

[…]

5.   Le traitement des données relatives au trafic effectué conformément aux dispositions des paragraphes 1, 2, 3 et 4 doit être restreint aux personnes agissant sous l’autorité des fournisseurs de réseaux publics de communications et de services de communications électroniques accessibles au public qui sont chargées d’assurer la facturation ou la gestion du trafic, de répondre aux demandes de la clientèle, de détecter les fraudes et de commercialiser les services de communications électroniques ou de fournir un service à valeur ajoutée; ce traitement doit se limiter à ce qui est nécessaire à de telles activités.

6.   Les paragraphes 1, 2, 3 et 5 s’appliquent sans préjudice de la possibilité qu’ont les organes compétents de se faire communiquer des données relatives au trafic conformément à la législation en vigueur dans le but de régler des litiges, notamment en matière d’interconnexion ou de facturation.»

12

Aux termes de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58:

«Les États membres peuvent adopter des mesures législatives visant à limiter la portée des droits et des obligations prévus aux articles 5 et 6, à l’article 8, paragraphes 1, 2, 3 et 4, et à l’article 9 de la présente directive lorsqu’une telle limitation constitue une mesure nécessaire, appropriée et proportionnée, au sein d’une société démocratique, pour sauvegarder la sécurité nationale — c’est-à-dire la sûreté de l’État — la défense et la sécurité publique, ou assurer la prévention, la recherche, la détection et la poursuite d’infractions pénales ou d’utilisations non autorisées du système de communications électroniques, comme le prévoit l’article 13, paragraphe 1, de la directive 95/46/CE. À cette fin, les États membres peuvent, entre autres, adopter des mesures législatives prévoyant la conservation de données pendant une durée limitée lorsque cela est justifié par un des motifs énoncés dans le présent paragraphe. Toutes les mesures visées dans le présent paragraphe sont prises dans le respect des principes généraux du droit communautaire, y compris ceux visés à l’article 6, paragraphes 1 et 2, du traité sur l’Union européenne.»

La réglementation nationale

13

L’article 81 de la loi fédérale relative au droit d’auteur sur les œuvres littéraires et artistiques et aux droits voisins (Bundesgesetz über das Urheberrecht an Werken der Literatur und der Kunst und über verwandte Schutzrechte), dans sa rédaction publiée au BGBl. I, 81/2006 (ci-après l’«UrhG»), dispose:

«1)   Toute personne dont un droit exclusif conféré par la présente loi a été violé, ou qui redoute une telle violation, peut engager une action en abstention. Le propriétaire d’une entreprise peut aussi être poursuivi en justice si la violation a été commise au cours de l’activité de son entreprise par un de ses employés ou par un mandataire, ou si elle menace de l’être.

1 a)   Si l’auteur d’une telle atteinte ou la personne dont une telle atteinte est à craindre utilise à cette fin les services d’un intermédiaire, une action en abstention peut également être introduite contre ce dernier.

[…]»

14

L’article 87 b, paragraphes 2 à 3, de l’UrhG est libellé comme suit:

«2)   Toute personne dont un droit exclusif conféré par la présente loi a été violé peut exiger des renseignements sur l’origine et les circuits de distribution des produits et services contrefaisants, sous réserve que cette exigence ne soit pas disproportionnée par rapport à la gravité de l’atteinte et qu’elle ne soit pas contraire aux obligations légales de confidentialité; sont tenus de fournir ces renseignements le contrevenant ainsi que les personnes qui, à titre commercial:

1.

ont été en possession de marchandises contrefaisantes;

2.

ont utilisés des services contrefaisants, ou

3.

ont fourni des services utilisés dans des activités contrefaisantes.

2 a)   L’obligation d’information visée au paragraphe 2 porte, selon les cas:

1.

sur les noms et adresses des fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs antérieurs des marchandises ou des services, ainsi que des grossistes et détaillants destinataires;

2.

sur les quantités fabriquées, livrées, reçues ou commandées, ainsi que sur le prix payé pour les marchandises ou services en question.

3)   Les intermédiaires au sens de l’article 81, paragraphe 1 a, sont tenus de fournir à la personne lésée, à sa demande écrite et dûment motivée, les renseignements qui concernent l’identité du contrevenant (nom et adresse) ou qui sont nécessaires à l’identification de ce dernier. Cette demande doit être motivée notamment au moyen d’indications suffisamment concrètes des faits fondant le soupçon d’infraction. La personne lésée est tenue de dédommager l’intermédiaire des frais raisonnables occasionnés par la fourniture de ces informations.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

15

LSG est une société de gestion collective. En sa qualité de gestionnaire fiduciaire, elle défend les droits des producteurs de phonogrammes sur leurs enregistrements produits à travers le monde ainsi que les droits des artistes interprètes sur leurs exécutions en Autriche. Ces droits sont, notamment, les droits de reproduction et de distribution ainsi que le droit de mise à disposition du public.

16

Tele2 est un fournisseur d’accès à l’Internet qui attribue à ses clients une adresse IP («Internet Protocol»), le plus souvent dynamique. À partir de celle-ci et de la période ou du moment précis auquel cette adresse a été attribuée, Tele2 est en mesure d’identifier un client.

17

En raison de la mise en place de systèmes de partage de fichiers, permettant aux participants d’échanger des copies de données stockées, les titulaires des droits que représente LSG subissent un préjudice financier. Afin de pouvoir engager une procédure civile contre les contrevenants, LSG a demandé qu’il soit ordonné à Tele2 de lui communiquer les noms et adresses des personnes auxquelles cette dernière fournit un service d’accès à l’Internet et dont l’adresse IP ainsi que le jour et l’heure de connexion sont connus. Tele2 estimait, quant à elle, que la demande d’informations devait être rejetée. Elle soutenait qu’elle n’est pas un intermédiaire et n’est pas autorisée à stocker les données relatives à l’accès.

18

Par un jugement du 21 juin 2006, le Handelsgericht Wien a fait droit à la demande de LSG, en considérant que Tele2, en tant que fournisseur d’accès à l’Internet, est un intermédiaire au sens de l’article 81, paragraphe 1 a, de l’UrhG et que, à ce titre, elle est tenue de fournir les renseignements prévus à l’article 87 b, paragraphe 3, de l’UrhG.

19

Il ressort de la décision de renvoi que l’Oberlandesgericht Wien a confirmé, en appel, le jugement de première instance par un arrêt du 12 avril 2007, qui a fait l’objet d’un recours en «Revision» devant l’Oberster Gerichtshof.

20

Dans le cadre de ce recours, Tele2 soutient, d’une part, qu’elle n’est pas un intermédiaire au sens des articles 81, paragraphe 1 a, de l’UrhG et 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29, car, en tant que fournisseur d’accès à l’Internet, elle permet certes à l’utilisateur d’accéder au réseau, mais n’exerce aucun contrôle, de droit ou de fait, sur les services utilisés par ce dernier. D’autre part, les tensions existant entre le droit d’information, qu’implique la protection juridique du droit d’auteur, et les limites à la conservation et à la communication de données à caractère personnel imposées par le droit de la protection des données auraient été résolues par les directives communautaires en faveur de la protection des données.

21

L’Oberster Gerichtshof estime que les conclusions de l’avocat général dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 29 janvier 2008, Promusicae (C-275/06, Rec. p. I-271), rendu après le présent renvoi préjudiciel, font naître des doutes sur le point de savoir si le droit d’information, consacré à l’article 87 b, paragraphe 3, de l’UrhG, lu en combinaison avec l’article 81, paragraphe 1 a, de la même loi, est conforme aux directives adoptées en matière de protection des données et, en particulier, aux articles 5, 6 et 15 de la directive 2002/58. Lesdites dispositions du droit national imposeraient en effet de fournir, à des personnes privées tierces, des informations concernant des données à caractère personnel relatives au trafic, cette obligation d’information exigeant au préalable le traitement et le stockage des données relatives au trafic.

22

Dans ces conditions, l’Oberster Gerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Convient-il d’interpréter le terme ‘intermédiaire’, utilisé aux articles 5, paragraphe 1, sous a), et 8, paragraphe 3, de la directive [2001/29] en ce sens que relève également de cette notion un fournisseur d’accès qui ne fait que permettre à l’utilisateur d’accéder au réseau en lui attribuant une adresse IP dynamique, mais qui ne fournit pas lui-même de services à cet utilisateur, tels que des services de courrier électronique, de téléchargement ou de partage des fichiers, et qui n’exerce aucun contrôle de droit ou de fait sur le service utilisé par l’utilisateur ?

2)

En cas de réponse affirmative à la première question, convient-il, eu égard aux articles 6 et 15 de la directive [2002/58], d’interpréter l’article 8, paragraphe 3, de la directive [2004/48] (de façon restrictive) en ce sens qu’il n’autorise pas la transmission, à des personnes privées tierces, de données à caractère personnel relatives au trafic afin de poursuivre devant les juridictions civiles des atteintes, établies à première vue, à des droits d’exclusivité conférés par le droit d’auteur (droits d’exploitation et d’utilisation de l’œuvre)?»

Sur les questions préjudicielles

23

Conformément à l’article 104, paragraphe 3, du règlement de procédure, à savoir, notamment, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à une telle question ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut statuer par voie d’ordonnance motivée.

Sur la seconde question

24

Par sa seconde question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit communautaire, notamment l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2004/48, lu en combinaison avec les articles 6 et 15 de la directive 2002/58, s’oppose à ce que les États membres établissent une obligation de transmission à des personnes privées tierces de données à caractère personnel relatives au trafic pour permettre d’engager, devant les juridictions civiles, des poursuites contre les atteintes au droit d’auteur.

25

La réponse à cette question peut être clairement déduite de la jurisprudence de la Cour.

26

En effet, au point 53 de l’arrêt Promusicae, précité, la Cour a jugé que, parmi les exceptions prévues à l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58, qui se réfère expressément à l’article 13, paragraphe 1, de la directive 95/46, figurent les mesures indispensables à la protection des droits et libertés d’autrui. Dès lors que la directive 2002/58 ne précise pas les droits et libertés concernés par cette exception, elle doit être interprétée comme exprimant la volonté du législateur communautaire de ne pas exclure de son champ d’application la protection du droit de propriété ni les situations dans lesquelles les auteurs cherchent à obtenir cette protection dans le cadre d’une procédure civile.

27

La Cour en a inféré, aux points 54 et 55 dudit arrêt Promusicae, que la directive 2002/58, notamment son article 15, paragraphe 1, n’exclut pas la possibilité, pour les États membres, de prévoir l’obligation de divulguer, dans le cadre d’une procédure civile, des données à caractère personnel, mais qu’elle n’oblige pas non plus ces États à prévoir une telle obligation.

28

La Cour a par ailleurs précisé que la liberté laissée aux États membres de faire prévaloir le droit au respect de la vie privée ou le droit de propriété est atténuée par plusieurs exigences. Ainsi, lors de la transposition des directives 2000/31, 2001/29, 2002/58 et 2004/48, il appartient aux États membres de veiller à se fonder sur une interprétation de celles-ci qui permette d’assurer un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux protégés par l’ordre communautaire. En outre, les autorités ainsi que les juridictions des États membres doivent, lors de la mise en œuvre des mesures de transposition desdites directives, non seulement interpréter leur droit national d’une manière conforme à ces dernières, mais également veiller à ne pas se fonder sur une interprétation de ces directives qui entrerait en conflit avec lesdits droits fondamentaux ou avec les autres principes généraux du droit communautaire, tels que le principe de proportionnalité (arrêt Promusicae, précité, point 70).

29

Il convient donc de répondre à la seconde question que le droit communautaire, notamment l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2004/48, lu en combinaison avec l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58, ne s’oppose pas à ce que les États membres établissent une obligation de transmission à des personnes privées tierces de données à caractère personnel relatives au trafic pour permettre d’engager, devant les juridictions civiles, des poursuites contre les atteintes au droit d’auteur. Toutefois, le droit communautaire exige que les États membres, lors de la transposition des directives 2000/31, 2001/29, 2002/58 et 2004/48, veillent à se fonder sur une interprétation de celles-ci qui permette d’assurer un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux en présence. Par ailleurs, les autorités ainsi que les juridictions des États membres doivent, lors de la mise en œuvre des mesures de transposition desdites directives, non seulement interpréter leur droit national d’une manière conforme à ces dernières, mais également veiller à ne pas se fonder sur une interprétation de ces directives qui entrerait en conflit avec les droits fondamentaux ou avec les autres principes généraux du droit communautaire, tels que le principe de proportionnalité.

Sur la première question

30

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si un fournisseur d’accès, qui se limite à procurer aux utilisateurs l’accès à l’Internet sans proposer d’autres services ni exercer un contrôle de droit ou de fait sur le service utilisé, relève de la notion d’«intermédiaire» au sens des articles 5, paragraphe 1, sous a), et 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29.

31

Considérant que la réponse à cette question ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour a, conformément à l’article 104, paragraphe 3, second alinéa, de son règlement de procédure, informé la juridiction de renvoi qu’elle se proposait de statuer par voie d’ordonnance motivée et invité les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice à présenter leurs observations éventuelles à ce sujet.

32

LSG, les gouvernements espagnol et du Royaume-Uni ainsi que la Commission des Communautés européennes ont indiqué à la Cour qu’ils n’avaient aucune objection à formuler quant à l’intention de la Cour de statuer par voie d’ordonnance motivée.

33

Tele2 limite ses observations à cet égard, en substance, aux éléments déjà soulevés dans ses observations écrites. En vertu du droit communautaire, le fournisseur d’accès à l’Internet bénéficierait, en ce qui concerne sa responsabilité, d’un traitement privilégié, incompatible avec une obligation d’information illimitée. Toutefois, cette société considère que son argumentation ainsi réitérée ne devrait pas conduire la Cour à écarter la voie procédurale envisagée.

34

Il découle clairement tant de la décision de renvoi que du libellé des questions posées que, par sa première question, la juridiction nationale cherche à savoir si un fournisseur d’accès à l’Internet, qui se borne à permettre à l’utilisateur d’accéder au réseau, peut être tenu de fournir les renseignements mentionnés dans la seconde question.

35

À titre liminaire, il y a lieu de constater que l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2001/29 autorise les États membres à prévoir des exemptions du droit de reproduction.

36

Or, le litige dont est saisie la juridiction de renvoi vise à savoir si LSG peut faire valoir un droit d’information à l’endroit de Tele2 et non pas si celle-ci a enfreint un droit de reproduction.

37

Il s’ensuit qu’une interprétation de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2001/29 ne présente aucune utilité pour la solution du litige au principal.

38

Tele2 soutient, notamment, que les intermédiaires doivent être à même de mettre fin aux atteintes portées au droit d’auteur. Or, les fournisseurs d’accès à l’Internet, dans la mesure où ils n’ont aucun contrôle de droit ou de fait sur les services auxquels l’utilisateur accède, ne seraient pas en mesure de mettre fin à de telles atteintes et, dès lors, ne relèveraient pas de la notion d’«intermédiaire» au sens de ladite disposition de la directive 2001/29.

39

Il convient de relever d’emblée que, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Promusicae, précité, concernait la communication par Telefónica de España SAU, société commerciale ayant pour activité, notamment, la fourniture de services d’accès à l’Internet, de l’identité et de l’adresse physique de certaines personnes auxquelles elle fournissait de tels services et dont l’adresse IP ainsi que la date et l’heure de connexion étaient connues (arrêt Promusicae, précité, points 29 et 30).

40

Il est constant, ainsi qu’il ressort de la question posée et des faits du litige au principal dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Promusicae, précité, que la société commerciale Telefónica de España SAU était un fournisseur d’accès à l’Internet (arrêt Promusicae, précité, points 30 et 34).

41

Dès lors, en jugeant, au point 70 de l’arrêt Promusicae, précité, que les directives 2000/31, 2001/29, 2002/58 et 2004/48 n’imposent pas aux États membres de prévoir, dans une situation telle que celle de l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, l’obligation de communiquer des données à caractère personnel en vue d’assurer la protection effective du droit d’auteur dans le cadre d’une procédure civile, la Cour n’a pas d’emblée exclu la possibilité pour les États membres de prévoir, en application de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2004/48, un devoir d’information à l’endroit du fournisseur d’accès à l’Internet.

42

Il importe également de relever que, en vertu de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29, les États membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin.

43

Or, un fournisseur d’accès, qui se borne à permettre au client d’accéder à l’Internet même sans proposer d’autres services ni exercer un contrôle de droit ou de fait sur le service utilisé, fournit un service susceptible d’être employé par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin, dans la mesure où il procure à l’utilisateur la connexion qui lui permettra de porter atteinte à de tels droits.

44

Au demeurant, selon le cinquante-neuvième considérant de la directive 2001/29, les titulaires de droits doivent avoir la possibilité de demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre d’un intermédiaire qui transmet dans un réseau une contrefaçon commise par un tiers d’une œuvre protégée ou d’un autre objet protégé. Or, il est constant que le fournisseur d’accès, en octroyant l’accès au réseau de l’Internet, permet la transmission d’une telle contrefaçon entre un abonné et un tiers.

45

Cette interprétation est corroborée par la finalité de la directive 2001/29 qui, telle qu’elle ressort notamment de l’article 1er, paragraphe 1, de celle-ci, vise à assurer la protection juridique effective du droit d’auteur et des droits voisins dans le cadre du marché intérieur. En effet, exclure de la notion d’«intermédiaire», au sens de l’article 8, paragraphe 3, de cette directive, un fournisseur d’accès, seul détenteur des données permettant d’identifier les utilisateurs ayant porté atteinte à ces droits, diminuerait substantiellement la protection voulue par ladite directive.

46

Compte tenu de ce qui précède, il convient de répondre à la première question qu’un fournisseur d’accès, qui se limite à procurer aux utilisateurs l’accès à l’Internet, sans proposer d’autres services tels que, notamment, des services de courrier électronique, de téléchargement ou de partage des fichiers, ni exercer un contrôle de droit ou de fait sur le service utilisé, doit être considéré comme un «intermédiaire» au sens de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29.

Sur les dépens

47

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit:

 

1)

Le droit communautaire, notamment l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, lu en combinaison avec l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (directive vie privée et communications électroniques), ne s’oppose pas à ce que les États membres établissent une obligation de transmission à des personnes privées tierces de données à caractère personnel relatives au trafic pour permettre d’engager, devant les juridictions civiles, des poursuites contre les atteintes au droit d’auteur. Toutefois, le droit communautaire exige que les États membres, lors de la transposition des directives 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique»), 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, 2002/58 et 2004/48, veillent à se fonder sur une interprétation de celles-ci qui permette d’assurer un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux en présence. Par ailleurs, les autorités ainsi que les juridictions des États membres doivent, lors de la mise en œuvre des mesures de transposition desdites directives, non seulement interpréter leur droit national d’une manière conforme à ces dernières, mais également veiller à ne pas se fonder sur une interprétation de ces directives qui entrerait en conflit avec les droits fondamentaux ou avec les autres principes généraux du droit communautaire, tels que le principe de proportionnalité.

 

2)

Un fournisseur d’accès, qui se limite à procurer aux utilisateurs l’accès à l’Internet, sans proposer d’autres services tels que, notamment, des services de courrier électronique, de téléchargement ou de partage des fichiers, ni exercer un contrôle de droit ou de fait sur le service utilisé, doit être considéré comme un «intermédiaire» au sens de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.