ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

21 octobre 2008 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Parlement européen — Tract contenant des propos injurieux émis par un membre de celui-ci — Demande de réparation du préjudice moral — Immunité des membres du Parlement européen»

Dans les affaires jointes C-200/07 et C-201/07,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduites par la Corte suprema di cassazione (Italie), par décisions du 20 février 2007, parvenues à la Cour respectivement les 12 et 13 avril 2007, dans les procédures

Alfonso Luigi Marra

contre

Eduardo De Gregorio (C-200/07),

Antonio Clemente (C-201/07),

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot et T. von Danwitz, présidents de chambre, MM. J. Makarczyk, P. Kūris, E. Juhász, L. Bay Larsen, Mmes P. Lindh et C. Toader (rapporteur), juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 avril 2008,

considérant les observations présentées:

pour M. Marra, par lui-même et Me L. A. Cucinella, avvocato,

pour M. De Gregorio, par Me G. Siporso, avvocato,

pour M. Clemente, par Mes R. Capocasale et E. Chiusolo, avvocati,

pour le gouvernement italien, par M. R. Adam, en qualité d’agent, assisté de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,

pour le Parlement européen, par MM. H. Krück, C. Karamarcos et A. Caiola, en qualité d’agents,

pour la Commission des Communautés européennes, par Mme I. Martínez del Peral ainsi que par MM. F. Amato et C. Zadra, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 juin 2008,

rend le présent

Arrêt

1

Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des règles communautaires relatives aux immunités des membres du Parlement européen, notamment les articles 9 et 10 du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes, du 8 avril 1965 (JO 1967, 152, p. 13, ci-après le «protocole»), et 6, paragraphes 2 et 3, du règlement intérieur du Parlement européen (JO 2005, L 44, p. 1, ci-après le «règlement intérieur»).

2

Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant M. Marra, ancien membre du Parlement européen, à MM. De Gregorio et Clemente qui ont engagé une action en dommages et intérêts à son encontre pour obtenir réparation du préjudice qu’il leur aurait causé en distribuant un tract contenant des propos injurieux à leur égard.

Le cadre juridique

Le droit communautaire

Le protocole

3

L’article 9 du protocole dispose:

«Les membres du Parlement européen ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinions ou votes émis par eux dans l’exercice de leurs fonctions.»

4

L’article 10 du protocole prévoit:

«Pendant la durée des sessions du Parlement européen, les membres de celui-ci bénéficient:

a.

sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur pays,

b.

sur le territoire de tout autre État membre, de l’exemption de toute mesure de détention et de toute poursuite judiciaire.

L’immunité les couvre également lorsqu’ils se rendent au lieu de réunion du Parlement européen ou en reviennent.

L’immunité ne peut être invoquée dans le cas de flagrant délit et ne peut non plus mettre obstacle au droit du Parlement européen de lever l’immunité d’un de ses membres.»

5

L’article 19 du protocole dispose:

«Pour l’application du présent protocole, les institutions des Communautés agissent de concert avec les autorités responsables des États membres intéressés.»

Le règlement intérieur

6

L’article 5, paragraphe 1, du règlement intérieur, intitulé «Privilèges et immunités», énonce:

«Les députés jouissent des privilèges et immunités prévus par le protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes.»

7

L’article 6 du règlement intérieur, intitulé «Levée de l’immunité», est libellé comme suit:

«1.   Dans l’exercice de ses pouvoirs relatifs aux privilèges et aux immunités, le Parlement vise avant tout à conserver son intégrité en tant qu’assemblée législative démocratique et à assurer l’indépendance des députés dans l’accomplissement de leurs tâches.

2.   Toute demande adressée au Président par une autorité compétente d’un État membre en vue de lever l’immunité d’un député est communiquée en séance plénière et renvoyée à la commission compétente.

3.   Toute demande adressée au Président par un député ou un ancien député en vue de défendre l’immunité et les privilèges est communiquée en séance plénière et renvoyée à la commission compétente.

Le député ou ancien député peut être représenté par un autre député. La demande ne peut être adressée par un autre député sans l’accord du député concerné.

[…]»

8

L’article 7 du règlement intérieur, qui contient les règles sur les procédures relatives à l’immunité des députés européens, prévoit à ses paragraphes 6 et 7:

«6.   Dans les cas de défense d’un privilège ou d’une immunité, la commission précise si les circonstances constituent une entrave d’ordre administratif ou autre à la liberté de déplacement des députés se rendant au lieu de réunion du Parlement ou en revenant, d’une part, ou à l’expression d’une opinion ou d’un vote dans l’exercice de leur mandat, d’autre part, ou encore si elles sont assimilables aux aspects de l’article 10 du protocole sur les privilèges et immunités qui ne relèvent pas du droit national, et présente une proposition invitant l’autorité concernée à tirer les conclusions qui s’imposent.

7.   La commission peut émettre un avis motivé sur la compétence de l’autorité en question et sur la recevabilité de la demande, mais ne se prononce en aucun cas sur la culpabilité ou la non-culpabilité du député ni sur l’opportunité ou non de le poursuivre au pénal pour les opinions ou actes qui lui sont imputés, même dans le cas où l’examen de la demande permet à la commission d’acquérir une connaissance approfondie de l’affaire.»

Le droit national

9

Aux termes de l’article 68 de la Constitution italienne:

«Les membres du Parlement ne peuvent être appelés à répondre des opinions exprimées et des votes qu’ils ont émis dans l’exercice de leurs fonctions.

Sans l’autorisation de la Chambre à laquelle il appartient, aucun membre du Parlement ne peut être soumis à une fouille personnelle ou domiciliaire, arrêté ou privé d’une manière ou d’une autre de sa liberté individuelle ou maintenu en détention, sauf en cas d’exécution d’un jugement définitif de condamnation ou de flagrant délit passible d’arrestation obligatoire.

Une autorisation semblable est requise pour soumettre les membres du Parlement [italien] à l’interception, sous quelque forme que ce soit, de leurs conversations ou communications et à la saisie de leur correspondance.»

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

10

Il ressort des deux décisions de renvoi que M. Marra, ancien député européen, a été condamné par le Tribunale di Napoli à réparer le préjudice qu’il aurait causé à MM. De Gregorio et Clemente en distribuant un tract, contenant des propos injurieux envers ces derniers, alors qu’il était député européen.

11

Par deux arrêts rendus les 23 janvier 2001 et 25 janvier 2002, la Corte d’appello di Napoli a confirmé, en substance, les deux jugements de condamnation du Tribunale di Napoli. Dans ces arrêts, celle-ci n’a pas admis que les agissements de M. Marra à l’égard de MM. De Gregorio et Clemente constituaient des opinions exprimées dans l’exercice de ses fonctions de député européen et n’a pas non plus accueilli la thèse de M. Marra selon laquelle il était nécessaire, en vue d’engager des poursuites civiles à son encontre, de demander l’autorisation préalable du Parlement, conformément à l’article 6 du règlement intérieur.

12

Par lettre du 26 mars 2001, adressée à la présidente du Parlement, M. Marra a indiqué qu’il était assigné en justice devant plusieurs tribunaux italiens, en faisant référence, notamment, aux procédures introduites par MM. De Gregorio et Clemente. Il a dénoncé la violation, par les autorités judiciaires italiennes, de l’article 6 du règlement intérieur dans la mesure où celles-ci n’ont pas demandé d’«autorisation» avant d’engager des poursuites à son encontre.

13

À la suite de cette demande, le Parlement a adopté, le 11 juin 2002, une résolution sur l’immunité des membres élus en Italie et les pratiques des autorités italiennes en cette matière (JO 2003, C 261 E, p. 102), dont le dispositif est libellé comme suit:

«1.

[Le Parlement] décide que les affaires de […] et de Alfonso Marra constituent à première vue un problème d’irresponsabilité parlementaire et que les juridictions compétentes devraient être invitées à transmettre au Parlement la documentation nécessaire pour établir si les affaires en question constituent un problème d’irresponsabilité conformément à l’article 9 du Protocole en ce qui concerne les opinions et les votes exprimés par les membres dans l’exercice de leurs fonctions; décide aussi que les juridictions compétentes doivent être invitées à suspendre les poursuites en attendant la décision définitive du Parlement;

2.

charge son Président de transmettre la présente décision et le rapport de sa commission à la représentation permanente italienne pour qu’elle soit communiquée à l’autorité compétente de la République italienne.»

14

Il ressort des décisions de renvoi que cette résolution n’est parvenue ni aux juges du fond ni à la Corte suprema di cassazione.

15

Devant cette dernière juridiction, M. Marra a invoqué son immunité et a soutenu que, conformément à l’article 6 du règlement intérieur, les juges de première instance et d’appel, pour pouvoir rendre des décisions de condamnation à son encontre, auraient dû demander auparavant la levée de son immunité au Parlement.

16

La juridiction de renvoi souligne que l’article 68 de la Constitution italienne exonère les membres du Parlement italien de toute responsabilité civile, pénale et administrative en raison d’une opinion exprimée ou d’un vote émis dans l’exercice de leurs fonctions aux fins de garantir la liberté de décision et de jugement de ces derniers pendant l’exercice de leur mandat.

17

Elle rappelle en outre que le bénéfice d’une telle immunité n’est pas soumis, en principe, à un «recours préjudiciel au Parlement» italien. Néanmoins, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la Corte costituzionale, si ce dernier se prononce sur cette immunité, une telle décision produit des effets contraignants à l’égard de l’autorité juridictionnelle devant laquelle l’action contre le parlementaire concerné est engagée. Dans le cas où ledit parlement et cette autorité émettraient des avis discordants, le système prévoit la possibilité de porter le conflit devant la Corte costituzionale.

18

La juridiction de renvoi relève enfin que, dans le système conçu par le législateur communautaire, qui diffère de celui prévu en droit italien, l’article 6 du règlement intérieur prévoit que la demande de défense des privilèges et immunités peut être adressée au président du Parlement soit par une autorité compétente d’un État membre, soit directement par un député européen.

19

Compte tenu de ces observations, la Corte suprema di cassazione a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, lesquelles sont rédigées dans les mêmes termes dans les deux affaires au principal:

«1)

En cas d’inertie du parlementaire européen, qui ne se prévaut pas des pouvoirs qui lui sont attribués par l’article 6, paragraphe 2, du [règlement intérieur] pour demander directement au président la défense de ses privilèges et immunités, la juridiction devant laquelle l’affaire civile est pendante est-elle néanmoins tenue de demander au président la levée de l’immunité, aux fins de la poursuite de la procédure et de l’adoption de la décision?

ou

2)

En l’absence de communication par le Parlement européen de son intention de défendre les immunités et privilèges du parlementaire, la juridiction devant laquelle l’affaire civile est pendante peut-elle se prononcer sur l’existence de l’irresponsabilité eu égard aux conditions concrètes du cas d’espèce?»

20

Par ordonnance du président de la Cour du 18 juin 2007, les affaires C-200/07 et C-201/07 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

Sur la recevabilité des observations présentées par le Parlement

21

L’article 23, premier et deuxième alinéas, du statut de la Cour de justice prévoit le droit du Parlement de présenter ses observations sur les renvois préjudiciels qui portent sur les actes adoptés «conjointement» par ce dernier et le Conseil de l’Union européenne. Cette disposition ne reconnaît donc pas expressément au Parlement le droit de présenter des observations dans les affaires telles que celles au principal, lesquelles concernent le protocole ainsi que le règlement intérieur.

22

Toutefois, dès lors que ledit article 23 reconnaît au Parlement le droit de présenter des observations écrites dans les affaires portant sur la validité ou l’interprétation d’un acte dont il est le colégislateur, un tel droit, dès lors qu’il s’agit d’une demande de décision préjudicielle portant sur l’interprétation d’un acte adopté par cette institution qui en est l’unique auteur, tel que le règlement intérieur, doit a fortiori lui être reconnu.

23

Il s’ensuit qu’il y a lieu de reconnaître le droit du Parlement de présenter ses observations dans la présente procédure.

Sur les questions préjudicielles

24

Il y a lieu de relever, à titre liminaire, que l’immunité parlementaire des députés européens, telle que prévue aux articles 9 et 10 du protocole, comprend les deux formes de protection normalement reconnues aux membres des parlements nationaux des États membres, à savoir l’immunité en raison des opinions et des votes exprimés dans l’exercice des fonctions parlementaires ainsi que l’inviolabilité parlementaire, comportant, en principe, une protection contre les poursuites judiciaires.

25

L’article 10 du protocole prévoit que, pendant la durée des sessions du Parlement, les membres de celui-ci bénéficient, sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur pays et, sur le territoire de tout autre État membre, de l’exemption de toute mesure de détention et de toute poursuite judiciaire. Le dernier alinéa de cet article prévoit également que le Parlement peut décider de lever l’immunité de l’un de ses membres.

26

L’article 9 du protocole énonce le principe de l’immunité des députés européens pour les opinions exprimées et les votes émis dans l’exercice de leurs fonctions. Cet article ne faisant aucun renvoi aux droits nationaux, l’étendue de cette immunité doit ainsi être établie sur la base du seul droit communautaire (voir, par analogie, arrêt 10 juillet 1986, Wybot, 149/85, Rec. p. 2391, point 12).

27

Or, une telle immunité, qui est celle invoquée par M. Marra dans les litiges au principal, doit être considérée, dans la mesure où elle vise à protéger la libre expression et l’indépendance des députés européens, comme une immunité absolue faisant obstacle à toute procédure judiciaire en raison d’une opinion exprimée ou d’un vote émis dans l’exercice des fonctions parlementaires.

28

Il convient de préciser que, par les présentes demandes de décision préjudicielle, la Cour est interrogée non pas sur la question de savoir si un acte tel que celui en cause dans les affaires au principal constitue une opinion exprimée dans l’exercice des fonctions parlementaires au sens de l’article 9 du protocole, mais il lui est uniquement demandé de clarifier les modalités de mise en œuvre de cet article par les juridictions nationales ainsi que par le Parlement.

29

En effet, par ses deux questions, la juridiction de renvoi demande en substance si, lorsqu’un député européen n’introduit pas une demande de défense de son immunité devant le Parlement ou lorsqu’une décision de ce dernier sur cette immunité n’a pas été communiquée aux autorités juridictionnelles nationales saisies d’une action telle que celles au principal, ces autorités sont tenues de demander au Parlement la levée de l’immunité de ce député et d’attendre la décision de cette institution avant de se prononcer sur l’existence d’une telle immunité.

30

La juridiction de renvoi part de la prémisse selon laquelle, dans les affaires au principal, le requérant ne s’est pas adressé au Parlement pour la défense de son immunité et que, en conséquence, cette institution n’a adopté aucune décision à cet égard. Toutefois, ainsi qu’il ressort des pièces produites par le Parlement, M. Marra a introduit une demande de défense de son immunité et le Parlement a adopté une résolution qui a été transmise à la représentation permanente de la République italienne. Il est constant que les juges du fond et la Corte suprema di cassazione n’ont eu connaissance ni de la demande de M. Marra ni de ladite résolution.

31

En considération de ces éléments et pour donner à la juridiction de renvoi une réponse utile aux fins de la solution des litiges au principal, il convient de comprendre les questions préjudicielles comme demandant, premièrement, si, lorsque la juridiction nationale appelée à juger une action en dommages et intérêts engagée contre un député européen en raison des opinions exprimées par lui n’a reçu aucune information relative à une demande de ce dernier devant le Parlement visant à défendre son immunité, cette juridiction peut se prononcer sur l’existence de l’immunité prévue à l’article 9 du protocole au regard des éléments du cas d’espèce, deuxièmement, si, lorsque la juridiction nationale est informée du fait que ce même député a introduit devant le Parlement une telle demande, cette même juridiction doit attendre la décision de celui-ci avant de poursuivre la procédure contre ledit député et, troisièmement, si, lorsque la juridiction nationale constate l’existence de ladite immunité, elle doit demander la levée de celle-ci aux fins de la poursuite de la procédure judiciaire. La réponse à ces questions se fondant sur les mêmes considérations, il convient de les traiter conjointement.

32

Afin d’établir si les conditions de l’immunité absolue prévue à l’article 9 du protocole sont remplies, la juridiction nationale n’est pas obligée de soumettre la question au Parlement. En effet, le protocole ne prévoit pas la compétence du Parlement pour vérifier, en cas de poursuites judiciaires à l’encontre d’un député européen en raison des opinions et des votes exprimés par celui-ci, si les conditions de mise en œuvre de cette immunité sont remplies.

33

Dès lors, une telle appréciation relève de la compétence exclusive des juridictions nationales appelées à appliquer une telle disposition, lesquelles ne peuvent que tirer les conséquences de cette immunité, si elles constatent que les opinions et les votes en cause ont été exprimés dans l’exercice des fonctions parlementaires.

34

Si, dans l’application de l’article 9 du protocole, lesdites juridictions ont des doutes sur l’interprétation de celui-ci, elles peuvent poser à la Cour, en application de l’article 234 CE, une question relative à l’interprétation de cet article du protocole, les juridictions de dernière instance étant, dans un tel cas, obligées de saisir la Cour.

35

En outre, des articles 6 et 7 du règlement intérieur, qui contiennent les règles internes relatives à la procédure de levée de l’immunité parlementaire, il ne saurait être déduit, même de manière implicite, une obligation des juridictions nationales de remettre au Parlement la décision sur l’existence des conditions permettant de reconnaître une telle immunité avant de se prononcer sur les opinions et votes des députés européens.

36

En effet, l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur se limite à fixer les règles de procédure de la levée de l’immunité parlementaire prévue à l’article 10 du protocole.

37

L’article 6, paragraphe 3, du même règlement intérieur institue une procédure de défense de l’immunité et des privilèges pouvant être déclenchée par le député européen, procédure qui concerne également l’immunité pour les opinions et les votes exprimés dans l’exercice des fonctions parlementaires. L’article 7, paragraphe 6, dudit règlement prévoit, en effet, que le Parlement «précise» si une procédure judiciaire engagée contre un député européen constitue une entrave à l’expression d’une opinion ou d’un vote et «présente une proposition invitant l’autorité concernée à tirer les conclusions qui s’imposent».

38

Ainsi qu’il a été souligné par le Parlement et la Commission des Communautés européennes, le règlement intérieur est un acte d’organisation interne ne pouvant instituer au profit du Parlement des compétences qui ne sont pas expressément reconnues par un acte normatif, en l’occurrence par le protocole.

39

Il s’ensuit que, même si le Parlement, à la suite de la demande du député européen concerné, adopte, sur le fondement du règlement intérieur, une décision de défense de l’immunité, celle-ci constitue un avis qui ne produit pas d’effets contraignants à l’égard des autorités juridictionnelles nationales.

40

Par ailleurs, la circonstance que le droit d’un État membre prévoit une procédure de défense des membres du parlement national, permettant à celui-ci d’intervenir lorsque la juridiction nationale ne reconnaît pas cette immunité, n’implique pas la reconnaissance des mêmes pouvoirs au Parlement européen à l’égard des députés européens provenant de cet État, dès lors que, ainsi qu’il a été constaté au point 32 du présent arrêt, l’article 9 du protocole ne prévoit pas expressément une telle compétence du Parlement et ne renvoie pas aux règles de droit national.

41

Cependant, selon une jurisprudence constante, l’obligation de coopération loyale entre les institutions européennes et les autorités nationales, telle que consacrée à l’article 10 CE et rappelée à l’article 19 du protocole, qui s’impose tant aux autorités juridictionnelles des États membres agissant dans le cadre de leurs compétences qu’aux institutions communautaires, revêt une importance particulière lorsque la coopération concerne les autorités judiciaires des États membres chargées de veiller à l’application et au respect du droit communautaire dans l’ordre juridique national (voir, notamment, ordonnance du 13 juillet 1990, Zwartveld e.a., C-2/88 IMM, Rec. p. I-3365, point 17, et arrêt du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C-94/00, Rec. p. I-9011, point 93).

42

Il y a lieu de considérer que ce devoir de coopération s’applique dans le cadre d’un litige tel que ceux au principal. Le Parlement européen et les autorités juridictionnelles nationales doivent ainsi coopérer aux fins d’éviter tout conflit dans l’interprétation et l’application des dispositions du protocole.

43

Dès lors, lorsqu’une action a été engagée contre un député européen devant une juridiction nationale et que celle-ci est informée qu’une procédure de défense des privilèges et immunités de ce même député, telle que prévue à l’article 6, paragraphe 3, du règlement intérieur, est déclenchée, ladite juridiction doit suspendre la procédure juridictionnelle et demander au Parlement qu’il émette son avis dans les meilleurs délais.

44

Une fois que la juridiction nationale a constaté l’existence des conditions pour reconnaître l’immunité absolue prévue à l’article 9 du protocole, le respect de celle-ci s’impose à cette juridiction ainsi qu’au Parlement. Il s’ensuit qu’une telle immunité ne peut pas être levée par ce dernier et que, en conséquence, ladite juridiction est tenue d’écarter l’action diligentée contre le député européen concerné.

45

En effet, d’une part, l’article 9 du protocole n’accorde pas un tel pouvoir au Parlement. D’autre part, cet article constituant une disposition spéciale applicable à toute procédure judiciaire pour laquelle le député bénéficie de l’immunité en raison des opinions et des votes exprimés dans l’exercice des fonctions parlementaires, la levée de celle-ci ne saurait être effectuée en application de l’article 10, troisième alinéa, du protocole, lequel concerne l’immunité dans les procédures judiciaires ayant pour objet un acte autre que ceux auxquels se réfère ledit article 9. Il s’ensuit que seule cette dernière immunité peut être levée aux fins de poursuivre la procédure judiciaires contre un député européen.

46

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que les règles communautaires relatives aux immunités des membres du Parlement doivent être interprétées en ce sens que, dans une action en dommages et intérêts engagée contre un député européen en raison des opinions qu’il a exprimées,

lorsque la juridiction nationale appelée à juger une telle action n’a reçu aucune information relative à une demande dudit député devant le Parlement visant à défendre l’immunité prévue à l’article 9 du protocole, elle n’est pas tenue de demander au Parlement de se prononcer sur l’existence des conditions de celle-ci;

lorsque la juridiction nationale est informée du fait que ce même député a introduit devant le Parlement une demande de défense de ladite immunité, au sens de l’article 6, paragraphe 3, du règlement intérieur, elle doit suspendre la procédure juridictionnelle et demander au Parlement qu’il émette son avis dans les meilleurs délais;

lorsque la juridiction nationale considère que ledit député jouit de l’immunité prévue à l’article 9 du protocole, elle est tenue d’écarter l’action diligentée contre le député européen concerné.

Sur les dépens

47

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

 

Les règles communautaires relatives aux immunités des membres du Parlement européen doivent être interprétées en ce sens que, dans une action en dommages et intérêts engagée contre un député européen en raison des opinions qu’il a exprimées,

 

lorsque la juridiction nationale appelée à juger une telle action n’a reçu aucune information relative à une demande dudit député devant le Parlement européen visant à défendre l’immunité prévue à l’article 9 du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes, du 8 avril 1965, elle n’est pas tenue de demander au Parlement européen de se prononcer sur l’existence des conditions de celle-ci;

 

lorsque la juridiction nationale est informée du fait que ce même député a introduit devant le Parlement européen une demande de défense de ladite immunité, au sens de l’article 6, paragraphe 3, du règlement intérieur du Parlement européen, elle doit suspendre la procédure juridictionnelle et demander au Parlement européen qu’il émette son avis dans les meilleurs délais;

 

lorsque la juridiction nationale considère que le député européen jouit de l’immunité prévue à l’article 9 du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes, elle est tenue d’écarter l’action diligentée contre le député européen concerné.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’italien.