ORDONNANCE DE LA COUR (première chambre)

11 septembre 2008 (*)

«Pourvoi – Article 119 du règlement de procédure – Concurrence – Ententes – Amende – Conclusions visant à la réduction du montant de l’amende fixé par le Tribunal»

Dans l’affaire C-468/07 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 22 octobre 2007,

Coats Holdings Ltd,

J & P Coats Ltd,

établies à Uxbridge, Middlesex (Royaume-Uni), représentées par M. W. Sibree et Mme C. Jeffs, solicitors,

parties requérantes,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission des Communautés européennes, représentée par M. F. Castillo de la Torre et Mme K. Mojzesovicz, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann (rapporteur), président de chambre, MM. A. Tizzano, A. Borg Barthet, M. Ilešič et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: M. R. Grass,

l’avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par leur pourvoi, les sociétés Coats Holdings Ltd et J & P Coats Ltd (ci-après ensemble «Coats») demandent la réduction du montant de l’amende qui leur a été infligée, tel que ce montant est fixé au point 2 du dispositif de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 12 septembre 2007, Coats et Coats/Commission (T‑36/05, non encore publié au Recueil, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a partiellement accueilli leur recours tendant à l’annulation de la décision C (2004) 4221 final de la Commission, du 26 octobre 2004, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (Affaire COMP/F-1/38.338 – PO/Needles) (ci-après la «décision litigieuse»).

 Les faits à l’origine du litige

2        Coats regroupe deux entreprises qui, à l’époque des faits, exerçaient des activités de fabrication et de distribution d’aiguilles.

3        À la suite des informations fournies par le directeur du marketing et des ventes d’une autre entreprise présente sur ce marché, la Commission des Communautés européennes a effectué des vérifications dans les locaux de plusieurs producteurs et distributeurs communautaires d’articles de mercerie.

4        Le 26 octobre 2004, la Commission a adopté la décision litigieuse par laquelle elle a, d’une part, constaté que Coats avait pris part à de nombreuses réunions avec des entreprises de ce secteur, signant avec elles une série d’accords procédant ou contribuant à une répartition des marchés de produits et des marchés géographiques, et, d’autre part, infligé une amende à Coats.

5        Se référant à l’article 23, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), la Commission a fixé l’amende en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction.

6        S’agissant de la gravité de l’infraction, la Commission a qualifié celle-ci de «très grave», qualification qui l’a conduite à fixer le montant de départ de l’amende à la charge de Coats à 20 millions d’euros.

7        Quant à la durée de l’entente, la Commission a estimé que les accords conclus par Coats avaient été appliqués du 10 septembre 1994 jusqu’au 31 décembre 1999 au moins, soit pendant au moins cinq ans et trois mois. La Commission a en conséquence majoré le montant de départ de l’amende de 50 % et a ainsi fixé le montant de base de celle infligée à Coats à 30 millions d’euros.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

8        Le 31 janvier 2005, Coats a introduit devant le Tribunal un recours tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision litigieuse et, à titre subsidiaire, à l’annulation ou à la réduction de l’amende en ce qui la concernait.

9        À l’appui de son recours, Coats soulevait deux moyens dont l’un, tiré de l’appréciation erronée des preuves, était invoqué au soutien de la demande d’annulation de la décision litigieuse, tandis que l’autre venait au soutien de la conclusion tendant à l’annulation ou à la réduction de l’amende.

10      Au terme de son examen du premier moyen, le Tribunal a, aux points 168 et 191 de l’arrêt attaqué, constaté que la responsabilité de Coats devait être considérée comme établie pour la période allant du 10 septembre 1994 au 13 mars 1997, mais pas pour la période postérieure à cette date. Le Tribunal a donc annulé la décision litigieuse en tant qu’elle constate que Coats a violé l’article 81, paragraphe 1, CE au-delà du 13 mars 1997.

11      S’agissant du second moyen, le Tribunal a rappelé, au point 199 de l’arrêt attaqué, que, pour déterminer le montant d’une amende, la Commission doit prendre en considération toutes les circonstances pertinentes, notamment la gravité et la durée de l’infraction, le montant de base de l’amende pouvant être majoré, afin de tenir compte de circonstances aggravantes, ou bien réduit en fonction de circonstances atténuantes.

12      Pour ce qui est de l’appréciation de la gravité de l’infraction, le Tribunal a, au point 203 de l’arrêt attaqué, estimé fondée la qualification de «très grave» retenue par la Commission à l’égard de cette infraction qui justifiait, de ce fait, que cette dernière ait choisi comme sanction financière le montant minimal de départ prévu pour une telle infraction par les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les «lignes directrices»), à savoir 20 millions d’euros.

13      En ce qui concerne l’appréciation de la durée de l’infraction, le Tribunal a fait application de sa compétence de pleine juridiction «afin de tenir compte de la durée démontrable de l’infraction» qui, selon ses constatations, correspond à environ la moitié de la durée constatée par la Commission. Il a donc jugé, au point 206 de l’arrêt attaqué, qu’il y avait lieu de réduire le taux de majoration de 50 % appliqué par la Commission et de le ramener à 25 %, aboutissant ainsi à un montant supplémentaire de 5 millions d’euros et à une amende totale de 25 millions d’euros.

14      S’agissant de la prise en considération de circonstances atténuantes, le Tribunal a considéré, au point 214 de l’arrêt attaqué, que le rôle de Coats s’était rapproché davantage de celui d’un médiateur que de celui d’un membre à part entière de l’entente. Il a dès lors estimé opportun de réduire, en application de sa compétence de pleine juridiction, le montant de l’amende de 20 % afin de tenir compte de ces circonstances, ce qui l’a conduit à retenir, au point 215 de l’arrêt attaqué, comme montant total de l’amende, une somme de 20 millions d’euros.

 Les conclusions des parties

15      Par son pourvoi, Coats conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–        dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, réduire l’amende en ce qui la concerne.

16      La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–        rejeter le pourvoi dans son intégralité,

–        condamner Coats à supporter les dépens exposés par la Commission dans le présent pourvoi.

 Sur le pourvoi

 Argumentation des parties

17      Coats souligne qu’elle ne conteste nullement l’appréciation, tant en fait qu’en droit, faite par le Tribunal de la décision litigieuse, mais conteste seulement la manière dont les constatations du Tribunal se sont traduites sur le montant de l’amende. Selon elle, la Cour dispose d’un pouvoir de pleine juridiction pour réviser ce point.

18      En premier lieu, Coats reproche au Tribunal de s’être contenté de constater que la Commission, ayant conclu à un partage du marché par les entreprises incriminées dans le secteur en cause et, par conséquent, à la commission d’une infraction «très grave» par ces dernières, pouvait mécaniquement fixer comme sanction financière une amende d’un montant de départ de 20 millions d’euros. D’une part, la Commission aurait retenu ce montant en raison de la constatation, dont le Tribunal a reconnu le caractère erroné, de l’équivalence des rôles des parties à l’entente. D’autre part, un tel montant n’aurait pas été imposé dans d’autres affaires. Dans ces conditions, l’approche mécanique retenue par le Tribunal constituerait une violation du principe de l’égalité de traitement.

19      En second lieu, Coats fait grief au Tribunal de ne pas avoir suffisamment tenu compte, au titre des circonstances atténuantes, du fait qu’elle a joué non pas un rôle actif mais seulement passif au sein de l’entente. Les constatations du Tribunal à cet égard impliqueraient, pour des raisons d’équité et de logique, une réduction nettement plus élevée du montant de l’amende qui lui a été infligée.

20      S’agissant du premier grief, la Commission fait valoir que celui-ci relève d’une confusion entre la gravité de l’infraction, d’une part, et la gravité de la participation spécifique d’une entreprise donnée à l’infraction, d’autre part. Or, en ce qui concerne l’infraction à laquelle Coats a participé, le Tribunal a jugé qu’il était justifié de la qualifier de «très grave», ce que Coats ne conteste pas. Quant à l’existence d’une prétendue contradiction dans la pratique décisionnelle de la Commission, résultant des divergences, quant à la fixation de l’amende, entre le montant de départ retenu dans la présente affaire et celui retenu dans d’autres affaires, la Commission objecte qu’il s’agit d’un argument nouveau et, à ce titre, irrecevable.

21      S’agissant du second grief avancé par Coats, la Commission considère qu’il est manifestement infondé dès lors qu’il ressort de la lecture du point 214 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a bien pris en considération le rôle joué par Coats au sein de l’entente. La Commission ajoute que, dans le cadre d’un pourvoi, la Cour n’est pas habilitée à substituer, pour des motifs d’équité, son appréciation à celle du Tribunal.

 Appréciation de la Cour

22      En vertu de l’article 119 du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur rapport du juge rapporteur, l’avocat général entendu, rejeter le pourvoi par voie d’ordonnance motivée.

23      Dans le cadre d’un pourvoi dirigé contre un arrêt du Tribunal par lequel celui-ci s’est prononcé sur la validité d’une décision de la Commission relative à une procédure d’application de l’article 81 CE, le contrôle de la Cour a pour objet, d’une part, d’examiner dans quelle mesure le Tribunal a pris en considération, d’une manière juridiquement correcte, tous les facteurs essentiels pour apprécier la gravité d’un comportement déterminé à la lumière des articles 81 CE et 23 du règlement n° 1/2003 et, d’autre part, de vérifier si le Tribunal a répondu à suffisance de droit à l’ensemble des arguments invoqués par les entreprises requérantes tendant à la suppression ou à la réduction de l’amende (voir, notamment, arrêts du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I-8417, point 128; du 29 avril 2004, British Sugar/Commission, C‑359/01 P, Rec. p. I-4933, point 47, et du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189/02 P, C-202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C-213/02 P, Rec. p. I-5425, point 244).

24      En revanche, il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle se prononce dans le cadre d’un tel pourvoi, de substituer, pour des motifs d’équité, son appréciation à celle du Tribunal statuant, dans l’exercice de sa pleine juridiction, sur le montant des amendes infligées à des entreprises en raison de la violation, par celles-ci, du droit communautaire (voir, notamment, arrêts précités Baustahlgewebe/Commission, point 129; British Sugar/Commission, point 48, et Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 245).

25      Il s’ensuit que le présent pourvoi doit être rejeté comme manifestement irrecevable pour autant qu’il vise à ce que la Cour, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, réduise pour des motifs d’équité le montant de l’amende, tel qu’il a été fixé par le Tribunal.

26      Pour autant que le pourvoi puisse être interprété comme une demande d’annulation partielle de l’arrêt attaqué, fondée sur une violation, par le Tribunal, du principe de l’égalité de traitement dans la détermination du montant de l’amende, il s’agit certes d’une question de droit qu’il incombe à la Cour d’examiner (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2000, Weig/Commission, C‑280/98 P, Rec. p. I‑9757, point 63).

27      Toutefois, dans cette interprétation, le pourvoi doit être rejeté comme manifestement non fondé.

28      En effet, s’agissant, en premier lieu, de la prétendue discrimination de la requérante par rapport aux autres entreprises impliquées dans la même procédure d’infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, en ce que le Tribunal n’aurait pas pris en compte le rôle moins actif de Coats dans l’appréciation de la gravité de l’infraction, il suffit de rappeler que, selon le point 1, A, premier alinéa, des lignes directrices, dont la Cour a jugé qu’elles s’inscrivent dans le cadre légal imposé par le législateur communautaire (voir arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, point 252), l’évaluation de la gravité d’une infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné. Il s’ensuit que le Tribunal, qui s’est expressément référé à ces lignes directrices, au point 200 de l’arrêt attaqué, n’a pas commis d’erreur de droit en ne prenant pas en compte, au stade de l’appréciation de la gravité de l’infraction, le rôle joué par Coats dans la mise en œuvre de celle-ci.

29      Par ailleurs, il ne saurait être soutenu que le Tribunal a omis de tirer les conséquences de ses constatations quant au rôle moins actif de Coats, puisqu’il les a prises en compte à titre de circonstance atténuante, au point 214 de l’arrêt attaqué, et en a déduit, au point 215 dudit arrêt, une réduction du montant de l’amende de 20 %.

30      S’agissant, en second lieu, de la prétendue discrimination de la requérante par rapport à des entreprises impliquées dans d’autres cas d’infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, à supposer que cet argument puisse être considéré comme recevable en tant que développement d’un moyen débattu en première instance, il suffit de rappeler que le fait que la Commission a pu sanctionner, dans le passé, d’amendes d’un certain niveau certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées au règlement n° 1/2003, si cela est nécessaire pour assurer l’efficacité de la politique communautaire de la concurrence (voir arrêts du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 109; du 2 octobre 2003, Aristrain/Commission, C‑196/99 P, Rec. p. I‑11005, point 81, et Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, points 169, 171 et 172).

31      Compte tenu de ce qui précède il convient de rejeter le présent pourvoi dans sa totalité, comme manifestement irrecevable et, en tout état de cause, comme manifestement non fondé.

 Sur les dépens

32      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de Coats et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour ordonne:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Coats Holdings Ltd et J & P Coats Ltd sont condamnées aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais