ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

17 juillet 2008 ( *1 )

«Manquement d’État — Articles 43 CE et 49 CE — Liberté d’établissement et libre prestation des services — Police sanitaire — Centre d’insémination artificielle des bovins — Réglementation nationale conférant à des centres agréés le droit exclusif de fournir le service d’insémination artificielle des bovins sur un territoire donné et subordonnant la délivrance des licences d’inséminateur à la conclusion d’une convention avec l’un de ces centres»

Dans l’affaire C-389/05,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 27 octobre 2005,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. A. Bordes et E. Traversa, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République française, représentée par M. G. de Bergues, Mme A. Colomb et M. G. Le Bras, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, M. G. Arestis, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász (rapporteur) et J. Malenovský, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. H. von Holstein, greffier-adjoint,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 mai 2007,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 avril 2008,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en réservant l’exercice des activités liées à l’insémination artificielle des bovins aux seuls centres de mise en place de semence bovine agréés en France, notamment en établissant un régime général d’exclusivité géographique au bénéfice de ces centres et en subordonnant l’exercice de l’insémination artificielle à la possession d’une licence d’inséminateur, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 43 CE et 49 CE.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

2

Les articles 43 CE et 49 CE concernent, respectivement, la liberté d’établissement et la libre prestation des services.

3

Selon l’article 2 de la directive 77/504/CEE du Conseil, du 25 juillet 1977, concernant les animaux de l’espèce bovine reproducteurs de race pure (JO L 206, p. 8), telle que modifiée par la directive 94/28/CE du Conseil, du 23 juin 1994 (JO L 178, p. 66, ci-après la «directive 77/504»), les États membres veillent à ce que ne soient pas interdits, restreints ou entravés pour des raisons zootechniques les échanges intracommunautaires de sperme et d’ovules et d’embryons provenant de bovins reproducteurs de race pure.

4

En vertu de l’article 5 de la directive 77/504, les États membres peuvent exiger que les bovins reproducteurs de race pure ainsi que le sperme ou les ovules et les embryons qui en proviennent soient accompagnés, dans les échanges intracommunautaires, d’un certificat généalogique conforme à un modèle établi selon la procédure prévue à l’article 8 de cette directive, notamment en ce qui concerne les performances zootechniques.

5

Les premier, deuxième, quatrième et septième considérants de la directive 87/328/CEE du Conseil, du 18 juin 1987, relative à l’admission à la reproduction des bovins reproducteurs de race pure (JO L 167, p. 54), énoncent:

«considérant que la directive 77/504[…] a entendu libérer progressivement les échanges intracommunautaires de bovins reproducteurs de race pure; que, à cette fin, une harmonisation complémentaire s’impose en ce qui concerne l’admission de ces animaux et de leur semence à la reproduction;

considérant que, à cet égard, il convient d’éviter que des dispositions nationales relatives à l’admission à la reproduction des bovins reproducteurs de race pure et de leur semence ne constituent une interdiction, une restriction ou une entrave aux échanges intra-communautaires, qu’il s’agisse de la monte naturelle ou de l’insémination artificielle;

[…]

considérant que l’insémination artificielle représente une technique importante pour la diffusion des meilleurs reproducteurs et, partant, pour l’amélioration de l’espèce bovine; qu’il convient toutefois d’éviter toute détérioration du patrimoine génétique, notamment en ce qui concerne les reproducteurs mâles qui doivent présenter toutes les garanties de leur valeur génétique et de leur absence de tares héréditaires;

[…]

considérant que la prescription que les semences doivent provenir des centres chargés de l’insémination artificielle officiellement agréés est de nature à présenter les garanties nécessaires à la réalisation du but poursuivi».

6

En vertu de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 87/328, un État membre ne peut interdire, restreindre ou entraver l’admission à l’insémination artificielle sur son territoire de taureaux de race pure ou l’utilisation de leur semence, lorsque ces taureaux ont été admis à l’insémination artificielle dans un État membre sur la base de tests effectués conformément à la décision 86/130/CEE de la Commission, du 11 mars 1986, fixant les méthodes de contrôle des performances et d’appréciation de la valeur génétique des animaux de l’espèce bovine reproducteurs de race pure (JO L 101, p. 37).

7

Les troisième à cinquième considérants de la directive 88/407/CEE du Conseil, du 14 juin 1988, fixant les exigences de police sanitaire applicables aux échanges intracommunautaires et aux importations de sperme d’animaux de l’espèce bovine (JO L 194, p. 10), telle que modifiée par la directive 2003/43/CE du Conseil, du 26 mai 2003 (JO L 143, p. 23, ci-après la «directive 88/407»), énoncent:

«[…] il est […] nécessaire de créer un régime harmonisé pour les échanges intracommunautaires et les importations dans la Communauté de sperme de bovins;

[…] pour les échanges intracommunautaires de sperme, l’État membre dans lequel le sperme est recueilli doit être tenu de garantir que le sperme soit recueilli et traité dans des centres de collecte agréés et contrôlés, qu’il provienne d’animaux dont l’état sanitaire est de nature à écarter les risques de propagation des maladies des animaux, qu’il ait été recueilli, traité, stocké et transporté conformément à des normes qui permettent de préserver son état sanitaire et qu’il soit accompagné d’un certificat sanitaire pendant son acheminement vers le pays destinataire pour assurer le respect de ces garanties;

[…] les politiques différentes menées au sein de la Communauté en matière de vaccination contre certaines maladies justifient le maintien de dérogations, limitées dans le temps, autorisant les États membres à exiger, au regard de certaines maladies, une protection supplémentaire contre ces maladies».

8

En vertu de son article 1er, premier alinéa, la directive 88/407 établit les conditions de police sanitaire applicables aux échanges intracommunautaires et aux importations de sperme d’animaux de l’espèce bovine, en provenance des pays tiers. Selon le deuxième alinéa dudit article, cette directive n’affecte pas les dispositions communautaires et/ou nationales en matière zootechnique réglementant l’organisation de l’insémination artificielle en général et la distribution de sperme en particulier.

9

Les articles 3, 5 et 6 de la directive 88/407 figurent au chapitre II de cette dernière, intitulé «Échanges intracommunautaires».

10

L’article 3 de cette directive prévoit que chaque État membre veille à ce que soit seul expédié, à partir de son territoire vers celui d’un autre État membre, du sperme satisfaisant aux conditions générales fixées par ce même article. Le sperme doit, notamment, avoir été collecté, traité et stocké dans des centres de collecte ou de stockage agréés à cet effet, en vue de l’insémination artificielle et à des fins d’échanges intracommunautaires.

11

Selon l’article 5, paragraphe 1, de la directive 88/407, l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre de collecte ou de stockage de sperme veille à ce que l’agrément prévu à l’article 3 de cette directive ne soit accordé que si les dispositions de l’annexe A de ladite directive relatives aux conditions d’agrément et de surveillance des centres sont respectées et si le centre de collecte ou de stockage de sperme est en mesure de respecter les autres dispositions de cette même directive. En vertu de cet article 5, paragraphe 1, l’État membre veille également à ce que le vétérinaire officiel contrôle le respect de ces dispositions et il retire l’agrément, lorsqu’une ou plusieurs des dispositions cessent d’être respectées.

12

L’article 5, paragraphe 2, de la directive 88/407 prévoit, d’une part, que tous les centres de collecte ou de stockage de sperme agréés sont enregistrés et que chacun d’eux reçoit un numéro d’enregistrement vétérinaire et, d’autre part, que chaque État membre communique la liste des centres de collecte ou de stockage de sperme et leurs numéros d’enregistrement vétérinaire aux autres États membres et à la Commission, auxquels il notifie, le cas échéant, tout retrait d’agrément.

13

En vertu de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, les États membres subordonnent l’admission de sperme à la présentation d’un certificat sanitaire établi par un vétérinaire officiel de l’État membre de collecte, conformément à l’annexe D de ladite directive.

14

Aux termes de l’annexe C, point 3, sous a), de la directive 88/407, le sperme destiné aux échanges intracommunautaires doit être stocké dans des conditions agréées pendant une période minimale de trente jours avant l’expédition. Toutefois, cette exigence ne s’applique pas au sperme frais.

15

Selon l’article 2 de la directive 91/174/CEE du Conseil, du 25 mars 1991, relative aux conditions zootechniques et généalogiques régissant la commercialisation d’animaux de race et modifiant les directives 77/504 et 90/425/CEE (JO L 85, p. 37), les États membres veillent à ce que la commercialisation d’animaux de race et de leurs spermes, ovules ou embryons ne soit pas interdite, restreinte ou entravée pour des raisons zootechniques ou généalogiques.

16

L’article 18 du règlement (CE) no 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires (JO L 31, p. 1), intitulé «Traçabilité», est libellé comme suit:

«1.   La traçabilité des denrées alimentaires, des aliments pour animaux, des animaux producteurs de denrées alimentaires et de toute autre substance destinée à être incorporée ou susceptible d’être incorporée dans des denrées alimentaires ou des aliments pour animaux est établie à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution.

2.   Les exploitants du secteur alimentaire et du secteur de l’alimentation animale doivent être en mesure d’identifier toute personne leur ayant fourni une denrée alimentaire, un aliment pour animaux, un animal producteur de denrées alimentaires ou toute substance destinée à être incorporée ou susceptible d’être incorporée dans des denrées alimentaires ou dans des aliments pour animaux.

À cet effet, ces exploitants disposent de systèmes et de procédures permettant de mettre l’information en question à la disposition des autorités compétentes, à la demande de celles-ci.

3.   Les exploitants du secteur alimentaire et du secteur de l’alimentation animale disposent de systèmes et de procédures permettant d’identifier les entreprises auxquelles leurs produits ont été fournis. Cette information est mise à la disposition des autorités compétentes à la demande de celles-ci.

4.   Les denrées alimentaires et les aliments pour animaux qui sont mis sur le marché dans la Communauté ou susceptibles de l’être sont étiquetés ou identifiés de façon adéquate pour faciliter leur traçabilité, à l’aide des documents ou informations pertinents conformément aux prescriptions applicables prévues par des dispositions plus spécifiques.

[…]»

La réglementation nationale

17

Aux termes de l’article L. 653-5 du code rural qui codifie, conformément à la loi no 98-565, du 8 juillet 1998 (JORF du 9 juillet 1998, p. 10458), les dispositions correspondantes de la loi no 66-1005, du 28 décembre 1966, sur l’élevage (JORF du29 décembre 1966, p. 11619), l’exploitation des centres d’insémination artificielle des bovins est soumise, en France, à une autorisation ministérielle.

18

L’article R.* 653-103 du code rural, disposition réglementaire d’application de ce code, codifiant la disposition correspondante du décret no 69-258, du 22 mars 1969, relatif à l’insémination artificielle (JORF du 23 mars 1969, p. 2948), établit une distinction entre les centres chargés de la production de la semence et les centres assurant la mise en place de celle-ci, un même centre pouvant, toutefois, exercer ces deux types d’activité. En vertu de cet article, les activités de production consistent à entretenir un dépôt de reproducteurs mâles, à mettre ces derniers à l’épreuve sur la descendance ainsi qu’à procéder à la récolte, au conditionnement, à la conservation et à la cession de la semence, tandis que les activités de mise en place de la semence consistent à assurer l’insémination des femelles avec la semence fournie par les centres de production.

19

Selon l’article 1er de l’arrêté du ministre de l’Agriculture, du 17 avril 1969, relatif aux autorisations de fonctionnement des centres d’insémination artificielle (JORF du 30 avril 1969, p. 4349), tel que modifié par l’arrêté du ministre de l’Agriculture et de la Forêt, du 24 janvier 1989 (JORF du 31 janvier 1989, p. 1469, ci-après l’«arrêté de 1969»), l’autorisation d’ouvrir et de faire fonctionner un centre d’insémination artificielle peut être accordée à des personnes physiques ou morales. Ce même article dispose que, pour la délivrance de cette autorisation, aucune distinction n’est faite entre les citoyens français et les citoyens des autres États membres de la Communauté.

20

L’article L. 653-7 du code rural prévoit que chaque centre de mise en place de la semence dessert une zone qui est délimitée par l’autorisation et à l’intérieur de laquelle il est le seul habilité à intervenir. Toutefois, les éleveurs se trouvant dans la zone d’action d’un centre de mise en place peuvent demander à celui-ci de leur fournir de la semence provenant de centres de production de leur choix.

21

En vertu de l’article 10 de l’arrêté de 1969, tout opérateur économique autre qu’un centre de mise en place, qui importe des semences provenant d’un État membre de la Communauté, doit les livrer à un centre de mise en place ou de production agréé de son choix. Selon l’article 7 de cet arrêté, la semence doit être conservée dans un dépôt placé sous la responsabilité d’un chef de centre titulaire d’une licence. En ce qui concerne les centres de mise en place, il peut s’agir d’un dépôt «principal» ou de l’un des dépôts «annexes» répartis dans la zone assignée au centre de mise en place, lesquels peuvent aussi se trouver à l’intérieur d’une exploitation agricole.

22

L’article 6 de l’arrêté du ministre de l’Agriculture et de la Pêche, du 27 décembre 2000, relatif à la mise en place de la semence bovine par les éleveurs (JORF du 27 janvier 2001, p. 1477), prévoit, pour des raisons sanitaires, que la semence provenant d’un autre centre d’insémination artificielle autorisé ou d’un autre État membre ou importée directement d’un pays tiers doit transiter par le dépôt principal d’un centre d’insémination artificielle qui la dirige vers le dépôt annexe destinataire.

23

Selon les articles L. 653-4 et R.* 653-102 du code rural, l’opération de mise en place de la semence ne peut être effectuée que par les titulaires d’une licence de chef de centre d’insémination artificielle ou d’inséminateur, sous l’autorité d’un centre de mise en place de la semence autorisé territorialement compétent, et sous la responsabilité technique du chef de ce centre.

24

En vertu de l’article 2 de l’arrêté du ministre de l’Agriculture et de la Forêt, du 21 novembre 1991, relatif à la formation des inséminateurs et des chefs de centre et à l’attribution des licences correspondantes (JORF du 6 décembre 1991, p. 15936), tel que modifié par l’arrêté du ministre de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation, du 30 mai 1997 (JORF du 1er juin 1997, p. 8791), la licence d’inséminateur est délivrée par le préfet sur présentation du certificat d’aptitude à la fonction d’inséminateur pour l’espèce concernée et d’une attestation du directeur du centre de mise en place autorisé territorialement compétent, certifiant que le demandeur est placé sous son autorité pour ce qui concerne les opérations de mise en place de la semence. Selon cette même disposition, pour les agents n’ayant pas le statut de salarié du centre de mise en place, en particulier les docteurs vétérinaires d’exercice libéral, cette attestation est délivrée après la signature d’une convention entre le président du centre de mise en place et l’intéressé, convention qui doit préciser les conditions techniques, administratives et financières dans lesquelles ce dernier pratiquera l’insémination conformément à la réglementation en vigueur.

La procédure précontentieuse

25

À la suite d’une plainte dont elle aurait été saisie, la Commission a adressé, le 3 avril 2003, une lettre de mise en demeure à la République française, en attirant l’attention de cette dernière sur l’incompatibilité de la réglementation nationale pertinente avec les dispositions des articles 43 CE et 49 CE.

26

Après avoir examiné les observations présentées par la République française dans sa réponse du 27 juin 2003 à cette lettre de mise en demeure, la Commission a, le 19 décembre 2003, adressé à cet État membre un avis motivé, dans lequel elle a conclu à l’incompatibilité de la réglementation en cause avec lesdits articles du traité CE.

27

Estimant que les explications données par la République française dans sa réponse du 17 mars 2004 à cet avis motivé n’étaient pas satisfaisantes, la Commission a introduit le présent recours.

Sur le recours

Sur l’existence d’une restriction à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services

Argumentation des parties

28

La Commission reproche à la République française de violer les articles 43 CE et 49 CE en entravant l’exercice de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services dans le secteur de l’insémination artificielle des bovins en raison, d’une part, de l’exclusivité géographique conférée aux centres de mise en place agréés, s’agissant de l’exercice des activités de distribution et de mise en place de la semence, et, d’autre part, des conditions restrictives et discrétionnaires auxquelles est soumise la délivrance de la licence d’inséminateur.

29

En premier lieu, en ce qui concerne la liberté d’établissement, la Commission estime que l’octroi aux seuls centres de mise en place agréés, pour une durée illimitée, du droit d’exercer, dans une zone géographique déterminée, les activités de distribution et de mise en place de la semence rend impossible ou extrêmement difficile l’exercice de cette liberté en France en vue d’y poursuivre ces activités. La Commission soutient, à la lumière de l’arrêt du 31 mars 1993, Kraus (C-19/92, Rec. p. I-1663), que la réglementation française, sans être formellement discriminatoire, n’en constitue pas moins une entrave au droit d’établissement.

30

La Commission ne conteste pas le bien-fondé du mécanisme de vérification des aptitudes institué par la réglementation française ni même le fait qu’une preuve objective de qualification est légitimement requise pour qu’une personne soit autorisée à procéder à la mise en place de semence bovine. Néanmoins, selon elle, la restriction en cause repose sur les autorisations géographiques exclusives interdisant l’activité de tout autre prestataire de services.

31

La Commission se dit prête à accueillir les motifs avancés par la République française pour justifier l’entrave à la liberté d’établissement, si les mesures nationales devaient se limiter à soumettre les opérateurs privés à des exigences d’information et de contrôle. De telles mesures pourraient être considérées comme légitimes, alors que l’octroi des droits exclusifs en cause serait injustifié ou, en tout cas, disproportionné par rapport aux objectifs d’intérêt général invoqués.

32

En outre, la Commission estime que la liberté d’établissement est également entravée par le fait que les vétérinaires ne peuvent obtenir la licence d’inséminateur pour pratiquer la mise en place de la semence à titre libéral qu’après la signature d’une convention avec le président d’un centre de mise en place.

33

En second lieu, la Commission soutient que la réglementation en cause porte atteinte à la libre prestation des services, à savoir la libre prestation des services de distribution et d’insémination.

34

Selon la Commission, la restriction à la libre prestation du service de distribution consiste dans l’obligation de stockage des semences dans les centres agréés d’insémination artificielle qui en assurent seuls la livraison aux éleveurs. Les services de distribution seraient affectés par la prohibition de toute intervention non autorisée par le centre de mise en place, lequel bénéficie du droit d’intervention exclusif. Elle souligne que l’entrave à la prestation des services transfrontaliers est susceptible d’affecter l’ensemble des activités des prestataires de services. Elle soutient que, à supposer même qu’un motif tiré de la protection de la santé publique puisse être pertinent en l’espèce, le régime français s’avère excessif.

35

La Commission précise que l’obligation de stockage de la semence destinée aux échanges intracommunautaires, imposée pour des motifs sanitaires par la directive 88/407, ne concerne que la semence congelée et la phase antérieure à l’expédition de celle-ci, au départ du lieu de production, alors que le grief formulé à l’encontre de la République française vise l’obligation de stockage au cours de la phase postérieure à cette expédition.

36

S’agissant du service d’insémination, la Commission estime que la libre prestation de celui-ci est entravée en raison de l’obligation, pour les personnes qui souhaitent exercer cette activité, de signer, au préalable, une convention avec le président d’un centre de mise en place agréé pour pouvoir obtenir la licence d’inséminateur requise. La Commission souligne que la conclusion de ces conventions est, en fait, laissée à la discrétion et à la bonne volonté des présidents des centres de mise en place, qui refusent, cependant, de conclure de telles conventions avec certains inséminateurs indépendants.

37

La Commission ne conteste pas la légitimité d’un régime d’autorisation d’exercice en matière d’insémination artificielle, mais à condition que celui-ci ne constitue qu’un moyen, pour l’inséminateur, de démontrer son aptitude auprès de l’autorité vétérinaire compétente. En revanche, elle refuse que cette autorisation ne soit accordée que dans le cadre d’une convention avec un centre d’insémination artificielle agréé, condition qui ne concerne en rien la compétence de l’inséminateur. La Commission ajoute que l’État membre doit tenir compte des connaissances et des qualifications déjà acquises par l’intéressé dans un autre État membre (arrêt du 7 mai 1991, Vlassopoulou, C-340/89, Rec. p. I-2357, point 15) et que l’obligation, pour les vétérinaires libéraux, de conclure une convention avec un centre de mise en place afin de pouvoir obtenir une licence d’inséminateur ne remplit pas les critères établis par la jurisprudence relative à la justification des régimes d’autorisation administrative préalable (arrêt du 20 février 2001, Analir e.a., C-205/99, Rec. p. I-1271, points 35 à 38).

38

La Commission invoque comme entrave additionnelle le fait que les prestataires de services des autres États membres souhaitant assurer la distribution ainsi que l’insémination de la semence sont dans l’impossibilité d’effectuer cette offre conjointe de services, en raison de l’obligation de remettre la semence aux centres qui seuls peuvent livrer cette dernière aux éleveurs.

39

La République française soutient, à titre liminaire, que la réglementation française a été profondément modifiée à compter du 1er janvier 2007 et que, notamment, la suppression de l’exclusivité géographique a été prévue. Elle souligne, cependant, que cette réforme ne vise pas à mettre fin à une prétendue incompatibilité de la réglementation faisant l’objet du présent recours avec le droit communautaire.

40

S’agissant de la réglementation en cause, la République française ne conteste pas que celle-ci constitue une entrave à la liberté d’établissement. Néanmoins, cette restriction serait dépourvue de caractère discriminatoire, étant donné qu’elle permettrait aux ressortissants des autres États membres d’ouvrir et de faire fonctionner sur le territoire français un centre d’insémination, dans les mêmes conditions que celles qui sont requises en ce qui concerne les ressortissants français. En tout état de cause, selon cet État membre, cette réglementation est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général.

41

La République française fait valoir que l’exclusivité territoriale vise non pas à délimiter une zone géographique donnée, mais à assurer une collecte d’informations. Une adaptation de l’étendue des zones serait donc possible et une trentaine de mutations seraient intervenues depuis l’entrée en vigueur de la loi no 66-1005. Selon cet État membre, des autorisations accordant des droits exclusifs pour une durée illimitée aux prestataires en place n’excluent pas la possibilité d’établissement de nouveaux centres.

42

S’agissant du service de distribution, la République française admet que la vente, en France, de semence provenant d’un opérateur situé dans un autre État membre puisse porter non seulement sur de la semence congelée, mais également sur de la semence fraîche. Toutefois, selon cet État membre, de telles transactions portant sur de la semence fraîche, si elles ne sont pas interdites, ne présentent aucun intérêt économique et sont quasi inexistantes.

43

En ce qui concerne le service d’insémination, la République française reconnaît que la mise en place de la semence ne peut être effectuée que par les titulaires d’une licence de chef de centre d’insémination ou d’inséminateur. Il ajoute que, pour les opérateurs qui n’ont pas le statut de salarié d’un tel centre, en particulier les vétérinaires d’exercice libéral, cette attestation est délivrée après la signature d’une convention entre le président du centre et ces opérateurs. Cet État membre relève, cependant, que cette obligation imposée à l’opérateur indépendant ne revient pas à interdire la pratique de l’insémination par un vétérinaire exerçant sa profession dans le cadre libéral. En effet, la République française fait valoir que cette convention assure le respect de la réglementation en vigueur et garantit que le chef du centre sera correctement informé de la nature et du contenu des prestations effectuées.

44

Cet État membre admet que, à l’instar des vétérinaires, les éleveurs doivent solliciter une licence spéciale et temporaire d’inséminateur pour l’insémination des femelles de leur propre cheptel et qu’ils doivent obtenir un accord du centre de mise en place territorialement compétent. Il ajoute que les éleveurs doivent justifier de leur capacité ou de leur expérience professionnelle à être exploitant agricole ou, à défaut, qu’ils doivent recevoir une formation à l’insémination de l’espèce bovine. Ledit État membre en conclut que tout opérateur qui dispose de la qualification ou de la formation requise peut demander à bénéficier de la licence nécessaire pour pratiquer l’acte d’insémination artificielle.

Appréciation de la Cour

45

À titre liminaire, il convient d’indiquer, d’une part, que, selon une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre en cause telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé (voir, notamment, arrêts du 14 septembre 2004, Commission/Espagne, C-168/03, Rec. p. I-8227, point 24, et du 27 octobre 2005, Commission/Luxembourg, C-23/05, Rec. p. I-9535, point 9). Ainsi, le processus législatif national postérieur à l’expiration de ce délai ne peut faire l’objet de l’examen de la Cour.

46

D’autre part, il y a lieu de relever que la Cour n’a pas encore statué sur la compatibilité de la réglementation française en cause avec les dispositions du traité en matière de liberté d’établissement et de libre prestation des services.

47

En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 28 juin 1983, Société coopérative d’amélioration de l’élevage et d’insémination artificielle du Béarn (271/81, Rec. p. 2057), la juridiction nationale s’est interrogée uniquement sur le point de savoir si les centres de mise en place présentaient un caractère commercial au sens de l’article 37 du traité CE (devenu, après modification, article 31 CE), en considérant que le caractère monopolistique de ces centres n’est pas contestable. Les droits exclusifs de ces centres n’ont été examinés que du seul point de vue de la libre circulation des marchandises.

48

Dans l’affaire à l’origine de l’arrêt du 5 octobre 1994, Centre d’insémination de la Crespelle, C-323/93, Rec. p. I-5077, était en cause la compatibilité de la réglementation française avec les dispositions du traité sur la libre circulation des marchandises [articles 30 et 36 du traité CE (devenus, après modification, articles 28 CE et 30 CE)] ainsi qu’avec les règles de concurrence énoncées par ce même traité [articles 86 et 90, paragraphe 1, du traité CE (devenus articles 82 CE et 86, paragraphe 1, CE)], et non la compatibilité de cette réglementation avec la liberté d’établissement et la libre prestation des services.

49

S’agissant de l’affaire à l’origine de l’arrêt du 7 décembre 1995, Gervais e.a. (C-17/94, Rec. p. I-4353), il y a lieu de faire observer que la Cour a jugé que les dispositions du traité en matière de liberté d’établissement et de libre prestation des services ne s’appliquent pas aux activités dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (points 24, 28 et 39). Elle a, en outre, examiné la compatibilité de la réglementation nationale uniquement avec les directives 77/504 et 87/328 (point 33).

50

Contrairement aux affaires susmentionnées, la présente procédure en manquement pose la question de savoir si la réglementation française, conférant à des centres agréés le droit exclusif de fournir le service d’insémination artificielle des bovins sur un territoire donné et subordonnant la délivrance des licences d’inséminateur à la conclusion d’une convention avec l’un de ces centres, est contraire aux articles 43 CE et 49 CE.

51

En premier lieu, en ce qui concerne la restriction à la liberté d’établissement, il convient d’emblée de constater que la République française reconnaît que l’exclusivité géographique instituée en faveur des centres de mise en place et la condition soumettant la délivrance de la licence d’inséminateur à la conclusion d’une convention avec le centre de mise en place territorialement compétent constituent une entrave à cette liberté, bien qu’elle estime que ces mesures n’empêchent pas totalement les opérateurs originaires d’autres États membres d’exercer, en France, l’activité d’insémination artificielle des bovins.

52

À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 43 CE impose la suppression des restrictions à la liberté d’établissement et que, selon une jurisprudence constante de la Cour, doivent être considérées comme de telles restrictions, au sens de cet article, toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté (arrêt du 5 octobre 2004, CaixaBank France, C-442/02, Rec. p. I-8961, point 11 et jurisprudence citée).

53

L’exclusivité géographique conférée aux centres de mise en place agréés limitant le nombre global d’opérateurs auxquels il est permis d’ouvrir et de gérer de tels centres sur le territoire français et la durée indéterminée de cette exclusivité représentent une entrave à l’accès d’autres opérateurs, y compris ceux provenant d’autres États membres, au marché de l’insémination. La circonstance que les zones géographiques sur lesquelles porte cette exclusivité puissent, ainsi que le soutient la République française, faire l’objet d’ajustement ou de division ne saurait avoir une incidence sur cette appréciation.

54

À défaut de pouvoir acquérir des droits sur une zone géographique donnée, un opérateur ayant comme objectif d’exercer des activités dans le secteur de l’insémination artificielle a l’obligation de conclure une convention avec le centre de mise en place territorialement compétent, afin d’obtenir une licence d’inséminateur. Or, dès lors que la conclusion d’une telle convention dépend des présidents des centres agréés, une telle obligation est susceptible de faire échec à la réalisation d’un tel objectif.

55

Il convient donc de constater, ainsi que le soutient la Commission, que les mesures nationales en cause, en raison de leur nature, rendent difficile, voire impossible ou, en tout cas, moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement en vue de poursuivre, sur le territoire français, des activités de distribution et de mise en place de semence bovine.

56

La circonstance que ces mesures sont indistinctement applicables aux opérateurs nationaux et à ceux d’autres États membres ne fait pas obstacle à cette constatation, étant donné que de telles mesures nationales, même applicables sans discrimination tenant à la nationalité, sont susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice par les ressortissants communautaires, y compris ceux de l’État membre auteur de la mesure, d’une liberté fondamentale garantie par le traité (voir, en ce sens, arrêt Kraus, précité, point 32).

57

En second lieu, en ce qui concerne la libre prestation des services, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’article 49 CE exige non seulement l’élimination de toute discrimination à l’encontre du prestataire de services en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s’applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu’elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues (arrêts du 9 novembre 2006, Commission/Belgique, C-433/04, Rec. p. I-10653, point 28, et du 11 janvier 2007, ITC, C-208/05, Rec. p. I-181, point 55).

58

Il est constant que, selon la réglementation française, un prestataire transfrontalier, qui veut distribuer des semences bovines ou pratiquer l’insémination sur le territoire français au titre de la libre prestation des services, doit nécessairement stocker ces semences dans les centres agréés d’insémination artificielle, qui sont seuls habilités à effectuer des livraisons de semences aux éleveurs, et obtenir une licence d’inséminateur afin de pouvoir intervenir en tant qu’inséminateur.

59

La République française conteste l’argumentation tirée de ce que cette réglementation constituerait une entrave à la libre prestation du service de distribution de la semence bovine. En revanche, elle ne conteste pas le fait que celle-ci constitue un obstacle à la libre prestation du service de mise en place de ce produit.

60

La Commission soutient, s’agissant du service de distribution et en précisant que son grief ne concerne pas l’obligation de stockage des semences surgelées avant leur expédition au sens de l’annexe C, point 3, sous a), de la directive 88/407, que la libre prestation de ce service est affectée, d’une part, par l’obligation de stockage des semences dans les centres agréés d’insémination artificielle qui en assurent seuls la livraison aux éleveurs et, d’autre part, par la prohibition de toute intervention non autorisée par le centre de mise en place bénéficiant d’un droit exclusif d’intervention.

61

Il convient de relever que, même si les éleveurs disposent, comme le soutient la République française, de la faculté de faire commander par le centre dont ils dépendent des semences spécifiques provenant d’un producteur établi dans un autre État membre, l’obligation de stockage de ces semences dans ledit centre, après leur expédition, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayante la prestation du service de distribution par ce producteur.

62

Il en va de même en ce qui concerne la prohibition de toute intervention d’insémination non autorisée par le centre de mise en place territorialement compétent, dès lors que cette prohibition, en raison de la connexité des activités de distribution et d’insémination, est également de nature à gêner ou à rendre moins attrayante la prestation du service de distribution des semences.

63

S’agissant spécifiquement de la libre prestation du service de mise en place de la semence, la République française reconnaît que la réglementation nationale constitue, à l’égard de celle-ci, un obstacle.

64

Les prestataires transfrontaliers voulant pratiquer l’insémination sur le territoire français au titre de la libre prestation des services doivent obtenir, en France, une licence d’inséminateur. Le fait d’exiger cette licence, indépendamment des conditions de délivrance de celle-ci, constitue une restriction à la libre prestation des services, car il est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayante la prestation du service d’insémination en France par des opérateurs établis et opérant déjà légitimement dans d’autres États membres (voir, en ce sens, arrêts du 9 mars 2000, Commission/Belgique, C-355/98, Rec. p. I-1221, point 35, et du 18 juillet 2007, Commission/Italie, C-134/05, Rec. p. I-6251, point 23).

65

En outre, après l’obtention de ladite licence, ces opérateurs ne peuvent effectuer la mise en place de la semence bovine que sous l’autorité d’un centre d’insémination territorialement compétent.

66

Dans ces conditions, il convient de constater que la réglementation française, en tant qu’elle confère à des centres agréés le droit exclusif de fournir le service d’insémination artificielle des bovins sur un territoire donné et qu’elle subordonne l’activité d’insémination à la délivrance d’une licence d’inséminateur, constitue une restriction à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services.

67

De telles mesures ne pourraient être admises que si elles poursuivaient un objectif légitime compatible avec le traité et se justifiaient par des raisons impérieuses d’intérêt général, pour autant qu’il n’existe pas de mesure communautaire d’harmonisation prévoyant des mesures nécessaires pour assurer la protection de ces intérêts. En outre, selon une jurisprudence constante de la Cour, ces mesures restrictives ne peuvent être justifiées par ces raisons que si elles sont nécessaires pour la protection des intérêts qu’elles visent à garantir et dans la mesure où ces objectifs ne peuvent être atteints par des mesures moins restrictives (arrêt du 14 décembre 2006, Commission/Autriche, C-257/05, point 23 et jurisprudence citée).

Sur la justification de la restriction à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services

Sur la protection du patrimoine génétique des bovins

— Argumentation des parties

68

La République française soutient que la réglementation en cause vise à assurer la valorisation du patrimoine génétique bovin, que la Cour a déjà reconnue, dans l’arrêt du 19 novembre 1998, Nilsson e.a. (C-162/97, Rec. p. I-7477), comme constituant une raison impérieuse d’intérêt général. Il ajoute que, si les directives 77/504 et 87/328 ont harmonisé les conditions de circulation intracommunautaire des bovins reproducteurs de race pure et de leur semence, elles n’ont pas, en revanche, harmonisé les règles relatives à l’insémination des femelles de l’espèce bovine.

69

Cet État membre, se référant à la mise en œuvre sur son territoire de programmes de sélection sur descendance et de conservation génétique, fait valoir que l’exclusivité géographique conférée aux centres de mise en place agréés et les conditions de délivrance de la licence d’inséminateur constituent le seul moyen de garantir une collecte précise et complète des informations génétiques concernant les bovins, ces dernières étant indispensables pour obtenir une amélioration génétique de cette espèce. Les mesures en cause seraient nécessaires afin de centraliser auprès d’un seul organisme, dans chaque zone caractérisée par l’exclusivité, toutes les données relatives aux opérations d’insémination effectuées.

70

La Commission soutient que l’objectif de protection du patrimoine génétique bovin, qui relève du domaine des exigences d’ordre zootechnique et généalogique, a fait l’objet, ainsi que la Cour l’a admis au point 33 de l’arrêt Centre d’insémination de la Crespelle, précité, d’une harmonisation complète au niveau communautaire. En tout état de cause, selon elle, l’absence de dispositions communautaires ne constitue pas, en soi, une justification à une restriction.

71

La Commission fait valoir que la valorisation génétique dépend de l’éleveur, et non des activités de l’inséminateur, dès lors que l’acte accompli par ce dernier, qui, tout au plus, relève de considérations d’ordre sanitaire, n’a d’effet ni sur la qualité ni sur la provenance de la semence inséminée.

72

La Commission ajoute que, pour garantir une collecte précise des informations génétiques concernant les bovins en centralisant des données dans un seul lieu, une simple obligation d’envoi des informations nécessaires à un centre recueillant les données génétiques suffirait.

— Appréciation de la Cour

73

En premier lieu, il convient de rappeler que, ainsi qu’il découle, d’une part, des dispositions des directives 77/504, 87/328 et 91/174, mentionnées aux points 3 à 6 et 15 du présent arrêt et, d’autre part, du point 33 de l’arrêt Centre d’insémination de la Crespelle, précité, les conditions généalogiques, en ce qui concerne les échanges intracommunautaires de semence bovine de race pure, ont fait l’objet d’une harmonisation complète au niveau communautaire.

74

Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 67 du présent arrêt, une raison impérieuse d’intérêt général ne peut être invoquée s’il existe une harmonisation communautaire prévoyant des mesures nécessaires pour assurer la protection du même intérêt (voir, en ce sens, arrêt Commission/Autriche, précité, point 23).

75

Dès lors, l’objectif de protection du patrimoine génétique des bovins de race pure par des exigences généalogiques nationales ne saurait justifier des entraves aux échanges intracommunautaires de semence de tels bovins non prévues par la réglementation communautaire d’harmonisation du domaine concerné.

76

L’article 1er, second alinéa, de la directive 88/407, qui ne modifie pas le contenu des directives 77/504, 87/328 et 91/174, et ne contredit pas la jurisprudence citée au point 73 du présent arrêt, n’infirme pas cette appréciation. En effet, cette disposition, en précisant que la directive 88/407 n’affecte pas les dispositions communautaires et/ou nationales en matière zootechnique réglementant l’organisation de l’insémination artificielle en général et la distribution de sperme en particulier, vise uniquement les mesures zootechniques, alors que la justification alléguée par la République française n’est fondée que sur des considérations d’ordre génétique.

77

En deuxième lieu, dans la mesure où l’argumentation invoquée par la République française vise à justifier le régime national litigieux en tant qu’il institue des restrictions à l’exercice de l’activité de mise en place de la semence bovine et à la délivrance des licences d’inséminateur, il convient de relever que les considérations exposées par cet État membre ne sont pas d’ordre généalogique, mais relèvent, ainsi qu’il est soutenu par la Commission, du domaine sanitaire.

78

En effet, l’aspect génétique d’une insémination dépend non pas de l’acte accompli par l’inséminateur, mais des caractéristiques des bovins femelles et de la semence mise en place.

79

En troisième lieu, à supposer même que l’harmonisation communautaire des échanges intracommunautaires de semence des bovins autres que ceux de race pure, effectuée par la directive 88/407, ne soit pas complète en ce qui concerne les conditions généalogiques, d’une part, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que l’absence de dispositions communautaires n’est pas susceptible de constituer, en soi, une justification à une restriction.

80

D’autre part, les affirmations de la République française, selon lesquelles le régime national litigieux poursuit la protection du patrimoine génétique en tant qu’il permet la centralisation de la collecte des informations relatives aux inséminations artificielles réalisées sur le territoire de cet État membre, laquelle est indispensable aux fins de programmes de sélection sur descendance et de conservation génétique, ne démontrent ni la nécessité ni la proportionnalité des restrictions résultant de ce régime.

81

En effet, une telle collecte centralisée d’informations, à supposer qu’elle présente une utilité en ce qui concerne les bovins autres que ceux de race pure, aurait pu être réalisée grâce à des mesures moins restrictives que l’octroi aux centres agréés de l’exclusivité géographique du service de mise en place de la semence. Il aurait été possible, notamment, d’imposer aux opérateurs effectuant des inséminations artificielles de bovins l’obligation de communiquer à un organisme désigné à cette fin les données relatives aux inséminations réalisées, la collecte centralisée de ces mêmes données étant ainsi effectuée sans qu’il soit créé d’entraves à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services.

82

Dès lors, la justification invoquée par la République française, tirée de la protection du patrimoine génétique des bovins, doit être écartée.

Sur la protection de la santé publique

— Argumentation des parties

83

La République française soutient que le régime de qualification des agents pratiquant l’insémination répond à des préoccupations de protection de la santé animale et humaine.

84

Tout d’abord, en ce qui concerne la santé animale, elle fait valoir que l’acte de mise en place de la semence doit respecter des normes sanitaires et des règles d’hygiène, tant lors de la manipulation de la semence que lors du contact avec l’animal. Cet acte exigerait une parfaite maîtrise, afin d’éviter des atteintes à l’intégrité physique de l’animal faisant l’objet de l’insémination. En outre, le choix même des accouplements serait susceptible d’avoir une incidence sur la santé de l’animal, notamment sur la fertilité de ce dernier, laquelle pourrait être compromise par des croisements inconsidérés.

85

Ensuite, s’agissant de la protection de la santé de l’agent pratiquant la mise en place de la semence, la République française estime que l’octroi d’une licence attestant l’aptitude de l’intéressé à l’acte d’insémination est nécessaire, dès lors que l’acte de mise en place présente des risques, tant en raison du contact avec un animal lourd qu’en raison de l’utilisation de l’azote liquide, lequel peut provoquer de graves brûlures.

86

Enfin, en ce qui concerne la protection de la santé des personnes du point de vue de la sécurité alimentaire, cet État membre allègue que la délivrance d’une licence contribue à satisfaire à l’exigence de traçabilité des produits. Il soutient que, conformément à l’article 18 du règlement no 178/2002, la traçabilité des denrées alimentaires doit être établie à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution. Il fait donc valoir que le principe de traçabilité s’applique à la semence qui, constituant un produit biologique vivant, se situe en amont du processus de production des animaux d’élevage et il ajoute que les centres de mise en place assurent la sécurité des échanges de semence ainsi que le contrôle documentaire, physique et identitaire de ce produit.

87

La Commission estime que l’acte d’insémination, même s’il nécessite certaines compétences et précautions, ne présente pas de difficulté particulière pouvant justifier une entrave aussi grave à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services. La Commission fait valoir que les objectifs sanitaires invoqués pourraient être atteints de manière satisfaisante, dès lors que la preuve de l’aptitude de l’inséminateur serait apportée, que ce soit par la détention d’un certificat d’aptitude, par la justification d’une formation vétérinaire ou bien, pour les ressortissants communautaires, par un mécanisme de reconnaissance. En tout état de cause, selon la Commission, les dispositions françaises litigieuses doivent être considérées comme non justifiées et disproportionnées.

88

S’agissant de la traçabilité des semences, la Commission rappelle, en se référant aux directives 87/328 et 88/407, que l’harmonisation communautaire dans les domaines sanitaire et zootechnique vise, notamment, à assurer le respect des préoccupations d’ordre sanitaire à tous les niveaux de la collecte et du transport de sperme ainsi que l’identification de ce dernier. Elle considère donc que la responsabilisation des centres d’insémination artificielle disposant d’une exclusivité territoriale ne constitue pas le moyen approprié pour garantir un niveau élevé de protection et que la réglementation en cause ne peut être fondée sur une méfiance systématique à l’égard des opérateurs indépendants, notamment, de ceux provenant d’autres États membres.

— Appréciation de la Cour

89

En ce qui concerne les objectifs de protection de la santé animale et de celle de l’agent pratiquant la mise en place de la semence, il convient de faire observer, à l’instar de la Commission, que ces objectifs invoqués par la République française pourraient être atteints par des mesures moins restrictives, notamment par l’exigence d’une preuve d’aptitude appropriée.

90

En effet, un mécanisme de contrôle et de reconnaissance des diplômes vétérinaires ou l’exigence d’un certificat d’aptitude seraient susceptibles de démontrer la possession par les personnes concernées des connaissances et des qualifications nécessaires à la sauvegarde desdits intérêts.

91

Or, le régime en cause est fondé sur des mesures beaucoup plus restrictives, à savoir l’octroi d’une exclusivité géographique aux centres d’insémination agréés et la subordination de la délivrance d’une licence d’inséminateur à la conclusion d’une convention avec un tel centre.

92

Certes, il est légitime que, afin de s’assurer de l’aptitude du candidat aux fonctions d’inséminateur, un État membre soumette l’exercice de l’activité d’insémination à une exigence de licence. Toutefois, en l’occurrence, cette licence n’est accordée qu’à la condition qu’une convention ait été conclue entre ce candidat et un centre d’insémination artificielle agréé.

93

Or, s’agissant d’une procédure d’autorisation d’exercice d’une activité, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que, dans l’application qu’il fait des dispositions nationales, l’État membre concerné doit tenir compte des connaissances et des qualifications déjà acquises par l’intéressé dans un autre État membre (voir, en ce sens, arrêt Vlassopoulou, précité, point 15). Dans le cadre de cette procédure d’autorisation, l’examen des aptitudes et des qualifications doit être effectué par les autorités nationales selon une procédure conforme aux exigences du droit communautaire concernant la protection effective des droits fondamentaux conférés par le traité aux ressortissants communautaires. Par conséquent, une décision prise à l’issue de cet examen doit être motivée et susceptible d’un recours de nature juridictionnelle (voir, en ce sens, arrêts du 15 octobre 1987, Heylens e.a., 222/86, Rec. p. 4097, point 17, et Vlassopoulou, précité, point 22).

94

En outre, un régime d’autorisation administrative préalable doit être fondé, notamment, sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, de manière à encadrer l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités afin que celui-ci ne soit pas utilisé de manière arbitraire (voir arrêt Analir e.a., précité, point 38).

95

Or, ladite convention doit être signée avec un centre d’insémination artificielle qui est en concurrence potentielle, sur le marché de l’insémination, avec le même opérateur dont il est censé vérifier les compétences d’inséminateur. En outre, la conclusion de cette convention est laissée à la discrétion des présidents de ces centres, qui ne sont pas tenus de la signer même si le candidat remplit les critères d’aptitude objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance.

96

Dans ces conditions, la conclusion de la convention ne constitue pas une procédure d’examen appropriée, permettant aux autorités de l’État membre d’accueil de s’assurer uniquement et objectivement des aptitudes des inséminateurs provenant d’un autre État membre, et ne satisfait pas aux critères mentionnés aux points 93 et 94 du présent arrêt.

97

Par conséquent, il y a lieu de constater que la réglementation litigieuse, à supposer même qu’elle soit propre à garantir la réalisation de la protection de la santé animale et de celle de l’agent pratiquant la mise en place de la semence, va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi (voir, en ce sens, arrêts du 29 mars 2007, Rewe Zentralfinanz, C-347/04, Rec. p. I-2647, point 37, et du 25 octobre 2007, Geurts et Vogten, C-464/05, Rec. p. I-9325, point 24).

98

S’agissant de la sécurité alimentaire et de la traçabilité des semences, il y a lieu de constater que, contrairement à ce que soutient la République française, l’article 18 du règlement no 178/2002 ne saurait être interprété en ce sens qu’il puisse justifier les restrictions résultant du régime en question. En effet, cet article vise le domaine de la sécurité alimentaire dont les exigences relatives à la traçabilité peuvent être satisfaites par un régime prévoyant que le service de mise en place de la semence est assuré par des personnes qualifiées et dûment identifiées, sans que soient appliquées des restrictions telles que celles qui résultent du régime en cause.

99

Par ailleurs, il convient de relever que cet État membre n’établit nullement que l’exclusivité géographique conférée aux centres agréés et la subordination de la délivrance de la licence d’inséminateur à la conclusion d’une convention avec le président d’un tel centre constituent des mesures nécessaires et proportionnées aux fins d’assurer la sécurité alimentaire et la traçabilité. En effet, aucun élément de preuve n’a été présenté pour démontrer que les obligations imposées aux inséminateurs en ce qui concerne la qualité et l’utilisation de la semence ainsi que les contrôles du respect de ces obligations rendraient indispensable cette exclusivité géographique ou la condition à laquelle est ainsi soumise la délivrance de ladite licence.

100

Dans ces conditions, la justification invoquée par la République française, tirée de la protection de la santé publique, ne saurait être accueillie.

Sur les exigences d’aménagement du territoire

— Argumentation des parties

101

La République française soutient que le régime en cause poursuit un objectif d’aménagement du territoire et que la Cour a reconnu celui-ci comme constituant une raison impérieuse d’intérêt général (arrêt du 13 janvier 2000, TK-Heimdienst, C-254/98, Rec. p. I-151, point 34). Cet État membre affirme que ce régime a permis le maintien d’une activité agricole dans la plus grande partie du territoire français, où les zones à faible densité d’élevage et les zones montagneuses sont dominantes. Il fait valoir que le maintien de races bovines adaptées à des contraintes climatiques et de relief a permis de préserver l’élevage dans des régions menacées de désertification en raison de leurs caractéristiques climatiques ou géographiques.

102

Selon la Commission, l’exclusivité géographique accordée aux centres de mise en place agréés ne pourrait être justifiée, faute de données statistiques, par l’affirmation selon laquelle, en l’absence de cette exclusivité, une grande partie du territoire français pourrait être privée de services d’insémination. En tout état de cause, la Commission fait valoir que le maintien de races adaptées à des contraintes climatiques et de relief ne pourrait être affecté par la levée des entraves litigieuses.

— Appréciation de la Cour

103

Il convient de relever, à l’instar de la Commission, que les allégations de la République française ne sont étayées par aucune information ou donnée statistique. Cet État membre n’a pas démontré de manière circonstanciée que l’exclusivité géographique conférée auxdits centres agréés était nécessaire pour garantir l’offre du service de mise en place de la semence sur l’ensemble du territoire français.

104

En outre, cette justification ne pourrait être invoquée en ce qui concerne les zones du territoire français qui ne présentent pas les caractéristiques désavantageuses exposées par ledit État membre.

105

Par conséquent, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 83 de ses conclusions, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les exigences d’aménagement du territoire sont, dans l’abstrait, susceptibles de justifier des restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services, il n’a pas été établi que de telles exigences existent en l’espèce et qu’elles sont de nature à rendre nécessaire ladite exclusivité géographique.

106

Dans ces conditions, la justification invoquée par la République française, tirée des exigences d’aménagement du territoire, doit également être écartée.

107

Il s’ensuit que, en l’absence de justification valable des restrictions en cause, il convient de considérer le recours de la Commission comme fondé.

108

Dès lors, au vu des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en réservant le droit de fournir le service d’insémination artificielle des bovins à des centres d’insémination artificielle agréés, disposant d’une exclusivité géographique, ainsi qu’aux personnes titulaires d’une licence d’inséminateur dont la délivrance est subordonnée à la conclusion d’une convention avec l’un de ces centres, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 43 CE et 49 CE.

Sur les dépens

109

Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête:

 

1)

En réservant le droit de fournir le service d’insémination artificielle des bovins à des centres d’insémination artificielle agréés, disposant d’une exclusivité géographique, ainsi qu’aux personnes titulaires d’une licence d’inséminateur dont la délivrance est subordonnée à la conclusion d’une convention avec l’un de ces centres, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 43 CE et 49 CE.

 

2)

La République française est condamnée aux dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le français.