CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 10 juillet 2008 ( 1 )

Affaire C-452/06

The Queen, à la demande de:

Synthon BV

contre

Licensing Authority of the Department of Health

«Code communautaire relatif aux médicaments à usage humain — Autorisation de mise sur le marché — Médicaments essentiellement similaires — Procédure abrégée — Procédure de reconnaissance mutuelle — Motifs de refus — Responsabilité d’un État membre — Violation caractérisée du droit communautaire»

1. 

Dans le cadre du présent renvoi préjudiciel, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) (Royaume-Uni) demande à la Cour d’interpréter l’article 28 de la directive 2001/83/CE ( 2 ) qui établit une procédure de reconnaissance mutuelle des autorisations de mise sur le marché des médicaments.

2. 

La Cour est, en substance, invitée à se prononcer sur l’étendue de la marge d’appréciation dont dispose un État membre lorsque celui-ci est saisi d’une demande de reconnaissance mutuelle d’une autorisation de mise sur le marché (ci-après l’«État membre concerné») qui a été délivrée par un autre État membre (ci-après l’«État membre de référence») dans le cadre de la procédure abrégée visée à l’article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de la directive 2001/83. Cette procédure dispense le demandeur de fournir, à l’appui de son dossier, les résultats des essais toxicologiques, pharmacologiques et cliniques lorsqu’il peut démontrer que le médicament en cause est «essentiellement similaire» à un médicament déjà autorisé dans la Communauté et commercialisé dans l’État membre visé par la demande ( 3 ).

3. 

Les questions préjudicielles ont été soulevées dans le cadre d’un litige opposant Synthon BV ( 4 ) à la Licensing Authority of the Department of Health, l’autorité britannique compétente ( 5 ), qui a rejeté sa demande de reconnaissance mutuelle de l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’autorité danoise compétente pour le Varox, au motif que ce médicament n’était, selon elle, pas essentiellement similaire au médicament de référence.

4. 

Dans les présentes conclusions, nous exposerons les raisons pour lesquelles nous considérons que le rejet d’une demande de reconnaissance mutuelle, dans des circonstances telles que celles en cause dans le litige au principal, est contraire à l’article 28 de la directive 2001/83 et peut, dès lors, constituer une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire.

I — Le cadre juridique

A — Le droit communautaire

5.

Les questions posées par la juridiction de renvoi visent l’interprétation de l’article 28 de la directive 2001/83. Celle-ci était, en effet, en vigueur lorsque la requérante a déposé, le 21 novembre 2002, sa deuxième demande de reconnaissance mutuelle de l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’autorité danoise ( 6 ).

6.

Néanmoins, il ressort de la décision de renvoi que les dispositions des directives 65/65/CEE ( 7 ) et 75/319/CEE ( 8 ) sont également applicables.

7.

En effet, l’autorisation de mise sur le marché du Varox a été délivrée par l’autorité danoise compétente dans le cadre de la procédure abrégée visée, à l’origine, à l’article 4, deuxième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65.

8.

Nous comprenons également que la première demande de reconnaissance mutuelle de cette autorisation a été introduite par Synthon auprès de la Licensing Authority sur la base de l’article 9 de la directive 75/319 ( 9 ).

9.

Néanmoins, dans le cadre des présentes conclusions, nous nous référerons uniquement aux dispositions applicables de la directive 2001/83, et ce pour des raisons de clarté. En effet, chacune des dispositions des directives 65/65 et 75/319 visées aux points précédents a été codifiée, dans des termes quasi identiques, aux articles 10, paragraphe 1, sous a), iii), et 28 de la directive 2001/83.

10.

Cette directive poursuit le rapprochement des législations nationales qu’avaient amorcé les directives 65/65, 75/318/CEE ( 10 ) et 75/319 afin d’éliminer les entraves aux échanges de médicaments dans le marché commun. Elle codifie les textes susmentionnés dans un ensemble plus structuré.

11.

Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/83, aucun médicament ne peut être mis sur le marché d’un État membre sans qu’une autorisation de mise sur le marché n’ait été préalablement délivrée.

12.

Cette autorisation peut être octroyée soit par les autorités compétentes d’un État membre, soit, depuis l’entrée en vigueur du règlement (CEE) no 2309/93 ( 11 ), par la Commission des Communautés européennes.

13.

Les articles 8 à 12 de la directive 2001/83 fixent les conditions d’octroi de l’autorisation de mise sur le marché.

14.

En vertu de l’article 8, paragraphes 1 et 2, de cette directive, la demande d’autorisation de mise sur le marché doit être introduite auprès de l’autorité compétente de l’État membre concerné par un demandeur établi dans la Communauté. Cette demande doit être accompagnée des renseignements et des documents mentionnés à l’article 8, paragraphe 3, de ladite directive. Parmi ces documents figurent sous i) les résultats des essais physico-chimiques, biologiques, microbiologiques, toxicologiques, pharmacologiques et cliniques du médicament. Ladite demande doit également être accompagnée d’une copie de toute autorisation de mise sur le marché précédemment obtenue pour le médicament dans un autre État membre [sous l)].

15.

L’article 10 de la directive 2001/83 fixe, ensuite, les cas dans lesquels une procédure abrégée peut être mise en œuvre.

16.

En vertu de l’article 10, paragraphe 1, sous a), iii), premier alinéa, de cette directive ( 12 ), le demandeur n’est pas tenu de fournir les résultats des essais toxicologiques, pharmacologiques et cliniques s’il peut démontrer que le médicament en cause est essentiellement similaire à un médicament déjà autorisé depuis au moins six ans dans la Communauté et commercialisé dans l’État membre concerné par la demande ( 13 ). Cette disposition ne couvre pas le cas où le médicament est destiné à un usage thérapeutique différent ou doit être administré par des voies différentes ou sous un dosage différent par rapport aux autres médicaments commercialisés. Dans ce cas, les résultats de ces essais doivent être fournis.

17.

L’article 18 de la directive 2001/83 établit une procédure de reconnaissance mutuelle des autorisations de mise sur le marché lorsqu’un État membre est informé, grâce aux renseignements et aux documents joints à une demande d’autorisation, que le médicament en cause a déjà été autorisé par un autre État membre ( 14 ).

18.

L’État membre concerné doit reconnaître cette autorisation dans les 90 jours suivant la réception du rapport d’évaluation établi par cet autre État membre, à moins qu’il considère que ladite autorisation peut présenter un risque pour la santé publique ( 15 ). Dans une telle hypothèse, les procédures de concertation et d’arbitrage communautaires visées aux articles 29 à 34 sont applicables.

19.

La directive 2001/83 intègre, ensuite, un chapitre 4, intitulé «Reconnaissance mutuelle des autorisations». Ce chapitre, qui comprend les articles 27 à 39, occupe une place centrale dans la présente procédure préjudicielle.

20.

Aux termes de l’article 27 de cette directive, un comité des spécialités pharmaceutiques est institué afin de faciliter l’adoption par les États membres d’une attitude commune en ce qui concerne les autorisations de mise sur le marché des médicaments dans la Communauté ( 16 ). Il est, notamment, chargé d’examiner toutes les questions relatives à l’octroi, à la modification, à la suspension ou au retrait des autorisations de mise sur le marché.

21.

L’article 28 de ladite directive vise, ensuite, le cas dans lequel un État membre est formellement saisi d’une demande de reconnaissance mutuelle ( 17 ).

22.

Afin d’obtenir la reconnaissance par un État membre de l’autorisation de mise sur le marché délivrée par un autre État membre, le titulaire de l’autorisation doit, en vertu de l’article 28, paragraphe 2, de la directive 2001/83, soumettre une demande de mise sur le marché à l’autorité compétente de l’État membre concerné, ainsi que les informations et documents visés aux articles 8 (procédure normale d’autorisation), 10, paragraphe 1 (procédure abrégée d’autorisation), et 11 de cette directive. Il doit attester l’identité de ce dossier avec celui accepté par l’État membre de référence ou identifier, s’il y a lieu, les additions ou modifications qu’il contient.

23.

L’article 28, paragraphe 4, de ladite directive est rédigé de la manière suivante:

«Sauf dans le cas exceptionnel visé à l’article 29, paragraphe 1, chaque État membre reconnaît l’autorisation de mise sur le marché octroyée par l’État membre de référence dans les quatre-vingt-dix jours suivant la réception de la demande et du rapport d’évaluation[ ( 18 )] […]»

24.

La réserve prévue à l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2001/83 vise le cas dans lequel «un État membre considère qu’il y a des motifs de supposer que l’autorisation de mise sur le marché du médicament concerné peut présenter un risque pour la santé publique» ( 19 ). Dans ce cas, l’État membre concerné doit informer immédiatement le demandeur, l’État membre de référence, les autres États membres concernés par la demande et l’agence européenne pour l’évaluation des médicaments. Il doit également motiver sa position de façon détaillée et indiquer quelles mesures seraient susceptibles de corriger les insuffisances de la demande.

25.

L’article 29, paragraphe 2, de cette directive prévoit alors une procédure de concertation entre les États membres concernés qui doit leur permettre de trouver un accord sur les mesures à prendre concernant la demande. Dans l’éventualité d’un désaccord entre les États membres sur la qualité, la sécurité et l’efficacité d’un médicament, cette disposition prévoit une procédure d’arbitrage communautaire dont les modalités sont fixées à l’article 32 de ladite directive. Cette procédure, dans laquelle le comité joue un rôle central, doit permettre de procéder à une évaluation scientifique de la question afin d’aboutir à une décision unique sur les points litigieux, et contraignante pour les États membres concernés ( 20 ).

B — Le droit national

26.

En vertu de la section 6 de la loi sur les médicaments de 1968 (Medicines Act 1968) et de la deuxième règle du règlement sur les médicaments à usage humain de 1994 [(Medicines for Human Use (Marketing Authorisations Etc.) Regulations 1994], la Licensing Authority est responsable de la délivrance des autorisations de mise sur le marché des spécialités pharmaceutiques au Royaume-Uni.

27.

Toutes les demandes d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament au Royaume-Uni doivent respecter les dispositions du règlement sur les médicaments à usage humain de 1994. Les troisième à cinquième règles de ce règlement précisent que la demande d’une autorisation de mise sur le marché au Royaume-Uni d’un médicament relevant du champ d’application de la directive 2001/83 ainsi que la délivrance de celle-ci par l’autorité nationale compétente doivent respecter les dispositions communautaires applicables.

II — Les faits et la procédure au principal

28.

Synthon est une société néerlandaise active dans le secteur pharmaceutique. Elle consacre son activité au développement, à l’enregistrement, à la mise sur le marché et à la distribution d’une large gamme de médicaments.

A — L’autorisation de mise sur le marché du médicament délivrée au Danemark, conformément à la procédure abrégée

29.

Le 23 octobre 2000, Synthon a obtenu une autorisation de mise sur le marché au Danemark d’un médicament dénommé Varox. Ce médicament contient de la paroxétine mésilate. Cette autorisation a été délivrée par l’agence danoise des médicaments en application de la procédure abrégée, visée à l’époque des faits au principal à l’article 4, deuxième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65 [codifié à l’article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de la directive 2001/83].

30.

En vue d’obtenir ladite autorisation, Synthon a démontré, conformément aux dispositions susmentionnées, que le médicament en cause était essentiellement similaire à un médicament déjà autorisé dans la Communauté depuis au moins six ans et commercialisé par l’entreprise pharmaceutique SmithKline Beecham plc (ci-après «SmithKline») sous la dénomination Seroxat (paroxétine hydrochloride semi-hydrate). Ces deux médicaments contenant le même principe actif, à savoir la paroxétine, Synthon s’est référée au Seroxat comme étant le médicament de référence.

31.

L’agence danoise des médicaments a considéré que la condition de la similarité essentielle entre les deux médicaments était effectivement satisfaite et a donc accordé à Synthon l’autorisation de mise sur le marché du Varox.

32.

Le 30 octobre 2000, SmithKline a contesté la validité de cette autorisation de mise sur le marché et, notamment, l’appréciation portée par l’agence danoise des médicaments quant à la similarité essentielle des deux médicaments devant l’Østre Landsret (Danemark). Par une décision du 19 février 2003, cette juridiction a sursis à statuer et a invité la Cour, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, à se prononcer sur le point de savoir si deux médicaments ayant la même substance active, mais sous différentes formes de sels, pouvaient néanmoins être considérés comme essentiellement similaires.

33.

Dans son arrêt du 20 janvier 2005, SmithKline Beecham ( 21 ), la Cour a jugé qu’une demande d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament peut être traitée dans le cadre de la procédure abrégée lorsque ce médicament contient la même fraction active sur le plan thérapeutique que le médicament de référence, même si celui-ci est associé à un autre sel.

B — La demande d’autorisation de mise sur le marché du médicament au Royaume-Uni, conformément à la procédure de reconnaissance mutuelle

34.

Alors que la procédure engagée par SmithKline était pendante, Synthon a saisi la Licensing Authority d’une demande d’autorisation de mise sur le marché du Varox au Royaume-Uni, conformément à la procédure de reconnaissance mutuelle prévue à l’article 28 de la directive 2001/83. La requérante fondait sa demande sur l’autorisation délivrée par l’agence danoise des médicaments.

35.

Par une lettre en date du 19 janvier 2001, la Licensing Authority a rejeté la demande de reconnaissance mutuelle formulée par Synthon, au motif que des sels différents du même principe actif (en l’occurrence la paroxétine mésilate et la paroxétine hydrochloride semi-hydrate) ont des compositions qualitatives et quantitatives différentes et ne peuvent donc pas être considérés comme essentiellement similaires.

36.

Le 12 février 2001, Synthon a informé la Licensing Authority que le Royaume d’Espagne, la République portugaise et le Royaume de Norvège avaient également refusé de reconnaître l’autorisation de mise sur le marché délivrée par les autorités danoises, en raison de divergences quant à la base juridique de la demande.

37.

Le 21 novembre 2002, la requérante a introduit une deuxième demande de reconnaissance mutuelle que la Licensing Authority a, une nouvelle fois, rejetée.

38.

Le 28 février 2003, Synthon a introduit, devant la High Court of Justice, un recours tendant à l’annulation de cette décision.

39.

La requérante a fait notamment valoir que la Licensing Authority était, en vertu de la directive 2001/83, tenue de reconnaître dans un délai de 90 jours l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’agence danoise des médicaments, à moins qu’elle ne considère qu’il existe un risque pour la santé publique, ce qu’elle n’aurait pas invoqué dans le cas d’espèce. En outre, Synthon a soutenu que la pratique administrative de la Licensing Authority consistant à considérer que des sels différents d’un même principe actif ne pouvaient pas, en tant que tels, être considérés comme essentiellement similaires était contraire au droit communautaire. À cet égard, la requérante a fait valoir que le refus opposé par les autorités britanniques de reconnaître l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’État membre de référence constituait une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire au sens de l’arrêt de la Cour Brasserie du pêcheur et Factortame ( 22 ) et a demandé, à ce titre, l’octroi de dommages et intérêts.

40.

Il ressort de l’exposé des faits établi par le juge de renvoi que la Licensing Authority n’a pas rejeté les demandes de la requérante pour le motif exposé à l’article 29 de la directive 2001/83, tiré d’un risque pour la santé publique.

III — Les questions préjudicielles

41.

Ayant des doutes quant à l’interprétation du droit communautaire, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Lorsque:

[l’État membre concerné] reçoit une demande, présentée en vertu de l’article 28 de la [directive 2001/83], de reconnaissance mutuelle sur son territoire d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament […] délivrée par [l’État membre de référence];

que cette autorisation de mise sur le marché a été délivrée par l’État membre de référence conformément à la procédure abrégée de demande visée à l’article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de la [directive 2001/83], au motif que le [médicament en cause] est essentiellement similaire [au médicament de référence];

et que l’État membre concerné applique une procédure de validation de la demande durant laquelle il vérifie qu’elle contient les renseignements et documents exigés par les articles 8, 10, paragraphe 1, sous a), iii), et 28 de la [directive 2001/83], et que les renseignements fournis sont compatibles avec la base juridique sur laquelle la demande est présentée,

a)

est-il compatible avec [cette] directive et, en particulier, son article 28, que l’État membre concerné vérifie que le [médicament en cause] est essentiellement similaire au [médicament de référence] (sans porter aucune appréciation matérielle), qu’il refuse d’accepter et qu’il examine la demande et qu’il ne reconnaisse pas l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’État membre de référence au motif qu’il estime que le [médicament en cause] n’est pas essentiellement similaire au [médicament de référence]? ou

b)

l’État membre concerné est-il tenu de reconnaître l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’État membre de référence dans les 90 jours de la réception de la demande et du rapport d’évaluation conformément à l’article 28, paragraphe 4, de la [directive 2001/83], à moins que l’État membre concerné n’invoque la procédure visée aux articles 29 à 34 de [cette] directive (qui est applicable lorsqu’il y a des motifs de supposer que l’autorisation de mise sur le marché du médicament concerné peut présenter un risque pour la santé publique au sens de l’article 29 de [ladite] directive)?

2)

Si la première question, sous a), reçoit une réponse négative, que la première question, sous b), reçoit une réponse positive, et si l’État membre concerné rejette la demande au stade de la validation au motif que le [médicament en cause] n’est pas essentiellement similaire au [médicament de référence], s’abstenant ainsi de reconnaître l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’État membre de référence ou d’invoquer la procédure visée aux articles 29 à 34 de la directive [2001/83], cette abstention de l’État membre concerné de reconnaître l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’État membre de référence dans les circonstances exposées ci-dessus constitue-t-elle une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire au sens de la deuxième condition énoncée dans l’[arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité]? À titre subsidiaire, quels facteurs le juge national doit-il prendre en compte pour déterminer si cette abstention constitue une violation suffisamment caractérisée?

3)

Si l’abstention de l’État membre concerné de reconnaître l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’État membre de référence, comme exposé dans la première question, est fondée sur une pratique générale adoptée par l’État membre concerné, selon laquelle des sels différents de la même fraction thérapeutique ne peuvent pas, en droit, être considérés comme étant essentiellement similaires, le fait pour l’État membre concerné de s’abstenir de reconnaître l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’État membre de référence dans les circonstances exposées ci-dessus constitue-t-il une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire au sens de la deuxième condition énoncée dans l’[arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité]? À titre subsidiaire, quels facteurs le juge national doit-il prendre en compte pour déterminer si cette abstention constitue une violation suffisamment caractérisée?»

42.

Depuis l’introduction du présent renvoi préjudiciel, il semblerait que la Licensing Authority ait modifié sa pratique décisionnelle à la suite des modifications apportées à la directive 2001/83 par la directive 2003/63/CE de la Commission, du 25 juin 2003 ( 23 ). Cette autorité accepterait désormais les demandes faisant valoir une similarité essentielle entre des médicaments contenant différents sels du même principe actif.

43.

Synthon a, dès lors, introduit, en avril 2005, une troisième demande de reconnaissance mutuelle de l’autorisation de mise sur le marché délivrée par les autorités danoises pour le Varox. La Licensing Authority a autorisé la mise sur le marché de ce médicament le 6 février 2006.

IV — Analyse

44.

Après avoir examiné la première question préjudicielle, nous traiterons ensemble les deuxième et troisième questions posées par la juridiction de renvoi.

A — Sur la première question préjudicielle

45.

Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi invite, en substance, la Cour à se prononcer sur le point de savoir si un État membre, saisi, en vertu de l’article 28 de la directive 2001/83, d’une demande de reconnaissance mutuelle d’une autorisation de mise sur le marché délivrée par l’État membre de référence dans le cadre d’une procédure abrégée, peut rejeter cette demande au motif que le médicament en cause n’est pas, selon lui, essentiellement similaire au médicament de référence.

46.

La Cour est donc invitée à se prononcer sur l’étendue du pouvoir discrétionnaire dont jouit un État membre dans le cadre de la procédure de reconnaissance mutuelle visée à l’article 28 de la directive 2001/83.

1. Observations des parties

47.

Outre Synthon, SmithKline, la Commission, la République de Pologne, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, ainsi que le Royaume de Norvège ont présenté des observations sur les questions posées par le juge de renvoi.

48.

Synthon, la Commission et la République de Pologne soutiennent, en substance, que l’article 28 de la directive 2001/83 s’oppose à ce qu’un État membre rejette une demande de reconnaissance mutuelle d’une autorisation de mise sur le marché délivrée par un autre État membre sur la base de la procédure abrégée prévue à l’article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de cette directive, au motif que le médicament en cause n’est pas essentiellement similaire au médicament de référence. Ils estiment, au contraire, que tout État membre est obligé de reconnaître, dans un délai de 90 jours, une autorisation de mise sur le marché octroyée par une autre autorité nationale, à moins qu’il n’invoque l’exception prévue à l’article 29, paragraphe 1, de ladite directive.

49.

Ainsi que le reconnaissent la Commission et la République de Pologne, l’État membre concerné a certes la possibilité d’appliquer, en vertu de l’article 28 de la directive 2001/83, une procédure de «validation», visant à exercer un contrôle de la régularité administrative du dossier présenté par le demandeur. Cependant, cette procédure n’aurait qu’un caractère formel et ne permettrait pas à un État membre concerné d’effectuer de nouveau l’évaluation effectuée par un autre État membre afin de déterminer si le médicament autorisé est effectivement essentiellement similaire au médicament de référence.

50.

En outre, Synthon relève que l’approche adoptée par la Licensing Authority est également contraire aux objectifs poursuivis par l’établissement d’une procédure de reconnaissance mutuelle des autorisations de mise sur le marché et, notamment, à l’objectif d’éviter la répétition inutile des essais toxicologiques, pharmacologiques et cliniques dans le cadre de l’évaluation du médicament en cause.

51.

Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ainsi que le Royaume de Norvège ne partagent pas cet avis. Ils rappellent, tout d’abord, que, afin d’obtenir la reconnaissance mutuelle d’une autorisation de mise sur le marché au titre de l’article 28 de la directive 2001/83, le demandeur doit présenter une demande accompagnée des «informations et documents visés à l’article 8, à l’article 10, paragraphe 1, et à l’article 11» de cette directive. Ainsi, il serait nécessaire, selon eux, que l’État membre concerné vérifie la validité juridique de ladite demande. Dès lors, dans le cadre d’une procédure abrégée, ils considèrent que l’État membre concerné devrait contrôler si le médicament en question est essentiellement similaire au médicament de référence. Si tel n’est pas le cas, la demande ne satisferait donc pas aux conditions de l’article 28, paragraphe 2, de ladite directive, et serait, de ce fait, invalide.

52.

SmithKline souligne, quant à elle, la distinction entre l’évaluation scientifique approfondie du médicament qui précède l’octroi d’une autorisation de mise sur le marché et la procédure de validation qui fait partie, en revanche, de l’application de la procédure de reconnaissance mutuelle d’autorisation de mise sur le marché. En ce qui concerne cette dernière procédure, SmithKline estime que, nonobstant les nombreuses modifications réglementaires ainsi que les différentes instructions publiées par la Commission, celle-ci conserve les caractéristiques essentielles d’un système d’agrément national. Il en découlerait que les États membres concernés restent libres d’apprécier le bien-fondé des autorisations délivrées par d’autres autorités nationales.

2. Analyse

53.

Comme Synthon, la Commission et la République de Pologne, nous pensons qu’un État membre, saisi, en vertu de l’article 28 de la directive 2001/83, d’une demande de reconnaissance mutuelle d’une autorisation de mise sur le marché qui a été délivrée par un autre État membre dans le cadre d’une procédure abrégée, ne peut pas rejeter cette demande au motif que le médicament en cause n’est pas essentiellement similaire au médicament de référence.

54.

Nous fondons notre appréciation non seulement sur les termes de l’article 28 de cette directive, mais également sur l’économie et la finalité de la procédure de reconnaissance mutuelle visée par cette disposition.

55.

Avant d’entamer l’examen de ladite disposition, nous souhaitons souligner que l’article 28 de la directive 2001/83 repose, comme l’article 18 de cette directive, sur le principe de reconnaissance mutuelle des autorisations nationales de mise sur le marché. Or, ces deux procédures doivent être distinguées.

56.

En effet, l’article 18 de ladite directive vise le cas dans lequel une autorité nationale, saisie d’une demande d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament, constate, à travers l’examen des documents et des renseignements joints au dossier par le demandeur, qu’une autorisation a déjà été délivrée pour ce médicament par une autre autorité nationale. Ce cas était visé à l’article 7 bis de la directive 65/65. Nous ne sommes pas dans ce cas de figure.

57.

L’article 28 de la directive 2001/83 vise, quant à lui, le cas dans lequel un État membre est formellement saisi d’une demande de reconnaissance mutuelle d’une autorisation de mise sur le marché. Tel est le cas dans la présente affaire. Le champ et les modalités d’application de cette procédure étaient fixés aux articles 9 et 10 de la directive 75/319 avant d’être codifiés, dans des termes quasi identiques, aux articles 28 et 29 de la directive 2001/83.

a) Le libellé de l’article 28 de la directive 2001/83, en lien avec l’économie de la procédure établie par cette disposition

58.

Nous rappelons que l’article 28 de la directive 2001/83 est intégré au chapitre 4, intitulé «Reconnaissance mutuelle des autorisations». Il fixe les conditions dans lesquelles une autorisation de mise sur le marché délivrée par un État membre peut être reconnue par un autre État membre.

59.

L’article 28, paragraphe 4, de cette directive précise, nous le rappelons, que, «[s]auf dans le cas exceptionnel visé à l’article 29, paragraphe 1, chaque État membre reconnaît l’autorisation de mise sur le marché octroyée par l’État membre de référence dans les quatre-vingt-dix jours suivant la réception de la demande et du rapport d’évaluation».

60.

La réserve visée à l’article 29, paragraphe 1, de ladite directive est fondée, comme nous le verrons, sur l’existence d’un risque potentiel pour la santé publique.

61.

L’article 28, paragraphe 4, de la directive 2001/83 emprunte une formulation générale en faveur de la reconnaissance mutuelle des autorisations de mise sur le marché.

62.

Ses termes sont dépourvus d’équivoque. Il s’agit, comme l’a relevé le juge communautaire, d’un mécanisme contraignant ( 24 ).

63.

Ainsi, à moins de soulever la réserve visée à l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2001/83, un État membre saisi d’une demande de reconnaissance mutuelle est tenu de reconnaître l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’État membre de référence.

64.

Afin de comprendre les obligations qui découlent pour un État membre de la mise en œuvre d’une procédure de reconnaissance mutuelle, il est nécessaire de préciser les fondements de celle-ci.

65.

La procédure de reconnaissance mutuelle repose, tout d’abord, sur l’unicité du droit. La reconnaissance d’une autorisation de mise sur le marché exige, en effet, qu’il y ait une concordance entre les différents régimes nationaux d’autorisations de mise sur le marché. La législation pharmaceutique communautaire harmonise entièrement les conditions de mise sur le marché des médicaments et, notamment, les conditions de délivrance des autorisations de mise sur le marché. Elle fixe des règles concernant les normes et protocoles analytiques, toxico-pharmacologiques et cliniques que les États membres doivent adopter afin de permettre aux autorités compétentes de se prononcer sur la base d’essais uniformisés et en fonction de critères communs. Elle fixe également les conditions dans lesquelles les médicaments doivent être fabriqués, importés et étiquetés.

66.

La procédure de reconnaissance mutuelle repose, ensuite, sur la confiance mutuelle entre les États membres.

67.

En effet, dans le cadre de cette procédure, l’autorisation de mise sur le marché n’est plus une décision rendue sur la base du droit de l’État membre concerné. Celui-ci doit, en effet, s’en remettre à l’examen et à l’évaluation scientifique menés par les autorités compétentes de l’État membre de référence.

68.

Dans cet esprit, l’État membre concerné dispose d’une marge d’appréciation très restreinte. Au regard des termes de l’article 28 de la directive 2001/83, son rôle se limite à vérifier la conformité de la demande de reconnaissance mutuelle aux prescriptions énoncées au paragraphe 2 de cette disposition.

69.

L’État membre concerné doit donc s’assurer que le dossier qui lui est remis comprend les documents et les renseignements visés aux articles 8 et 10 de cette directive ainsi que le résumé des caractéristiques du médicament. Il doit également vérifier que ce dossier est identique à celui accepté par l’État membre de référence et que les additions ou modifications qu’il contient ont été identifiées par le demandeur.

70.

Contrairement au rôle qu’il joue dans le cadre de l’examen d’une demande d’autorisation de mise sur le marché, précisé à l’article 19 de la directive 2001/83, l’État membre concerné par une demande de reconnaissance mutuelle voit donc son contrôle réduit à l’aspect strictement juridique de la demande. Il ne peut donc pas, selon nous, procéder à un nouvel examen au fond de la demande d’autorisation de mise sur le marché et répéter les contrôles qui ont déjà été effectués, à cet égard, par l’État membre de référence. Il ne peut pas, non plus, décider de soumettre le médicament à des contrôles supplémentaires ou exiger du demandeur qu’il complète le dossier au-delà des exigences fixées à l’article 28, paragraphe 2, de cette directive.

71.

Enfin, la procédure de reconnaissance mutuelle limite les motifs pour lesquels un État membre peut refuser de reconnaître une autorisation de mise sur le marché, ce qui s’oppose à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire de la part de celui-ci.

72.

Ainsi, en vertu de l’article 28, paragraphe 4, de la directive 2001/83, l’État membre concerné peut uniquement se prévaloir de la réserve visée à l’article 29, paragraphe 1, de cette directive pour ne pas reconnaître, dans le délai, l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’État membre de référence. Il doit, dès lors, démontrer «qu’il y a des motifs de supposer que l’autorisation […] du médicament concerné peut présenter un risque pour la santé publique» ( 25 ).

73.

Cette réserve est la seule exception prévue au principe de reconnaissance mutuelle des autorisations de mise sur le marché.

74.

Comme toute dérogation à un principe, elle doit être d’interprétation stricte.

75.

La notion de «risque pour la santé publique», au sens de l’article 1er, point 28, de la directive 2001/83, recouvre les risques liés à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité du médicament ( 26 ). L’État membre concerné n’est pas tenu d’attester l’existence d’un danger pour la santé publique. Il doit uniquement, en vertu de l’article 29, paragraphe 1, de cette directive, démontrer qu’il existe des «motifs» de le supposer. Aux termes du douzième considérant de ladite directive, ces motifs doivent néanmoins être «sérieux».

76.

L’État membre concerné peut ainsi remettre en cause les appréciations portées par l’État membre de référence dans le cadre de l’évaluation du médicament ( 27 ) s’il existe des éléments de nature scientifique tendant à démontrer que le médicament en cause ne réunit pas les conditions de sécurité, d’efficacité ou de qualité requises. C’est uniquement dans ce cadre, selon nous, qu’un État membre saisi d’une demande de reconnaissance mutuelle peut contester l’évaluation effectuée par l’État membre de référence, et ce en vertu du principe de précaution. Conformément à l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2001/83, l’État membre concerné doit, dès lors, motiver sa position de façon détaillée et, à notre avis, produire les données scientifiques sur le fondement desquelles il estime que la mise sur le marché du médicament peut entraîner un risque pour la santé publique.

77.

Lorsque l’État membre concerné éprouve des doutes quant à l’efficacité, à la qualité ou à la sécurité du médicament, le législateur communautaire n’a pas prévu qu’il puisse rejeter, de sa seule initiative, la demande de reconnaissance mutuelle. Il a, au contraire, fixé, à l’article 29 de la directive 2001/83, une procédure de concertation entre tous les États membres concernés et d’arbitrage communautaire ( 28 ).

78.

Cette procédure doit permettre aux États membres d’adopter une attitude commune en ce qui concerne les autorisations de mise sur le marché. C’est donc uniquement dans le cadre de ladite procédure qu’est réalisée l’évaluation scientifique des points litigieux et qu’est décidée la suite à réserver à la demande de reconnaissance mutuelle ( 29 ).

79.

Comme l’a relevé le juge communautaire, il s’agit également d’une procédure contraignante ( 30 ).

80.

Compte tenu de ce qui précède, un État membre, saisi, en vertu de l’article 28 de la directive 2001/83, d’une demande de reconnaissance mutuelle d’une autorisation de mise sur le marché, ne dispose que d’une marge d’appréciation très restreinte. Force est de constater que cette disposition ne confère aucunement à l’État membre concerné la faculté de soumettre la reconnaissance d’une autorisation à des conditions autres que celle visée à l’article 29, paragraphe 1, de cette directive.

81.

Cette interprétation de l’article 28 de ladite directive vaut, selon nous, que l’autorisation de mise sur le marché ait été délivrée par l’État membre de référence dans le cadre de la procédure normale visée à l’article 8 de la directive 2001/83 ou dans le cadre de la procédure abrégée fixée à l’article 10, paragraphe 1, de cette directive ( 31 ).

82.

Cette dernière procédure, nous le rappelons, dispense le demandeur de fournir les résultats des essais toxicologiques, pharmacologiques et cliniques s’il démontre que le médicament en cause est «essentiellement similaire» à un médicament déjà autorisé depuis au moins six ou dix ans dans la Communauté et commercialisé dans l’État membre concerné par la demande. Dans ce cas de figure, l’autorité compétente se réfère à la documentation toxicologique, pharmacologique et clinique relative au médicament de référence. Ladite procédure permet de réduire la période de préparation d’une demande d’autorisation, en dispensant le demandeur de l’obligation de réaliser une partie des essais indiqués à l’article 8, paragraphe 3, sous i), de la directive 2001/83. Conformément au dixième considérant de cette directive, la procédure abrégée permet également d’éviter, pour des raisons d’ordre public, que les essais sur l’homme ou sur l’animal soient répétés sans nécessité impérieuse.

83.

Cette procédure est expressément visée à l’article 28, paragraphe 2, de la directive 2001/83, qui précise, nous le rappelons, les conditions dans lesquelles une demande de reconnaissance mutuelle peut être déposée. En effet, aux termes de cette disposition, le titulaire de l’autorisation doit joindre à sa demande de reconnaissance mutuelle les «informations et documents visés à l’article 8, à l’article 10, paragraphe 1, et à l’article 11» ( 32 ). En procédant ainsi, le législateur communautaire a donc voulu permettre au demandeur d’obtenir la reconnaissance d’une autorisation de mise sur le marché qu’il aurait obtenue soit dans le cadre d’une procédure normale, soit dans le cadre d’une procédure abrégée.

84.

Ensuite, à l’article 28, paragraphe 4, de la directive 2001/83, le législateur communautaire ne fait aucune distinction dans la mise en œuvre de la procédure de reconnaissance mutuelle selon que l’autorisation a été délivrée dans le cadre de la procédure normale ou dans le cadre de la procédure abrégée.

85.

Cela s’explique par le fait qu’une autorisation de mise sur le marché délivrée dans le cadre d’une procédure abrégée présente les mêmes garanties en termes de sécurité et d’efficacité qu’une autorisation octroyée dans le cadre d’une procédure normale. Comme l’a relevé la Cour, la procédure abrégée n’assouplit pas les normes de sécurité et d’efficacité auxquelles doivent satisfaire les médicaments ( 33 ).

86.

En effet, bien que le demandeur soit dispensé de fournir les résultats des essais toxicologiques, pharmacologiques et cliniques du médicament, il reste néanmoins tenu de démontrer que celui-ci est «essentiellement similaire» à un médicament qui a déjà été autorisé, selon les dispositions communautaires en vigueur, depuis au moins six ou dix ans dans la Communauté et qui est commercialisé dans l’État membre concerné par la demande.

87.

La notion de médicament «essentiellement similaire» n’a pas été définie par le législateur communautaire, mais elle l’a été par la Cour dans un arrêt du 3 décembre 1998, Generics (UK) e.a. ( 34 ).

88.

Au regard de cette jurisprudence, le demandeur qui se prévaut de la similarité essentielle de deux médicaments doit démontrer que le médicament en cause présente la même composition qualitative et quantitative en principes actifs ainsi que la même forme pharmaceutique que le médicament de référence. Il doit également prouver que ces deux médicaments sont bioéquivalents ( 35 ) et que le médicament pour lequel il demande une autorisation de mise sur le marché ne présente pas de différences significatives en termes de sécurité ou d’efficacité par rapport au médicament de référence.

89.

Au regard de ce qui précède, et notamment du libellé de l’article 28 de la directive 2001/83, nous considérons qu’un État membre, saisi d’une demande de reconnaissance mutuelle d’une autorisation de mise sur le marché délivrée dans le cadre d’une procédure abrégée, doit examiner cette demande de la même façon qu’il examine une demande concernant une autorisation de mise sur le marché octroyée dans le cadre d’une procédure normale.

90.

L’examen auquel il procède doit donc se limiter à vérifier la conformité de la demande aux prescriptions énoncées à l’article 28, paragraphe 2, de cette directive. Dans un tel cas, l’État membre concerné ne peut davantage recourir à de nouvelles évaluations scientifiques du médicament. Il ne peut pas, selon nous, répéter les contrôles qui ont déjà été effectués par l’État membre de référence et, dans ce cadre, procéder de nouveau à l’examen de la similarité essentielle du médicament avec le médicament de référence. Un tel comportement serait, par nature, contraire au principe de la reconnaissance mutuelle. Il priverait, en outre, de tout effet utile la procédure de concertation et d’arbitrage établie par le législateur communautaire qui veut que l’évaluation scientifique des points litigieux soit réalisée au niveau communautaire.

91.

De plus, l’État membre concerné par une telle demande reste tenu de reconnaître cette autorisation, à moins qu’il puisse se prévaloir d’une raison objective tirée de la protection de la santé publique. Dans ce cas, la directive 2001/83 ne lui offre pas d’autre choix que d’initier la procédure prévue à l’article 29 de cette directive.

92.

C’est pourquoi nous sommes d’avis que l’article 28 de ladite directive s’oppose non seulement à ce qu’un État membre, saisi d’une demande de reconnaissance mutuelle d’une autorisation de mise sur le marché délivrée par l’État membre de référence dans le cadre de la procédure abrégée, procède à un nouvel examen de la similarité essentielle des deux médicaments, mais également à ce qu’il puisse rejeter cette demande au motif que le médicament en cause n’est pas essentiellement similaire au médicament de référence.

93.

Cette interprétation de l’article 28 de la directive 2001/83 est corroborée par l’esprit et la finalité de la procédure de reconnaissance mutuelle établie par le législateur communautaire.

b) L’esprit et la finalité de la procédure de reconnaissance mutuelle

94.

L’interprétation de l’article 28 de la directive 2001/83 doit également s’effectuer au regard des objectifs poursuivis par le législateur communautaire ( 36 ).

95.

Ainsi que nous l’avons indiqué, cette disposition est intégrée au chapitre 4 de la directive 2001/83, intitulé «Reconnaissance mutuelle des autorisations». En mettant en place une procédure dite «de reconnaissance mutuelle», le législateur communautaire poursuit plusieurs objectifs.

96.

Le système mis en place doit, tout d’abord, permettre d’assurer, dans la gestion des autorisations de mise sur le marché des médicaments, le niveau de protection de la santé le plus élevé ( 37 ). Il doit garantir aux citoyens européens que les médicaments autorisés à être mis sur le marché ont été soumis à une évaluation fondée sur des normes scientifiques strictes en matière de qualité, de sécurité et d’efficacité et que ces médicaments seront utilisés dans les mêmes conditions dans l’ensemble de l’Union européenne. La réserve figurant à l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2001/83, tirée de la protection de la santé publique, permet en présence d’une incertitude scientifique de s’en remettre à une évaluation scientifique commune aux États membres. Cette procédure permet ainsi de garantir l’uniformité des décisions d’autorisation de mise sur le marché sur l’ensemble du territoire de l’Union.

97.

Hormis la protection de la santé publique, la procédure de reconnaissance mutuelle vise, ensuite, à faciliter la libre circulation des médicaments dans le marché commun et à encourager le développement de l’industrie pharmaceutique ( 38 ). À cette fin, cette procédure tend à harmoniser les autorisations nationales de mise sur le marché en éliminant les évaluations multiples et les appréciations divergentes entre les autorités nationales compétentes. Elle permet ainsi aux entreprises pharmaceutiques d’avoir un accès plus rapide au marché unique européen, en diminuant la durée des procédures administratives nationales, et en permettant une utilisation plus rationnelle des ressources qu’exigent l’autorisation et la surveillance des médicaments ( 39 ).

98.

Au regard des objectifs que poursuit l’article 28 de la directive 2001/83, nous ne pouvons pas adhérer à l’interprétation suggérée par le Royaume-Uni selon laquelle un État membre saisi d’une demande de reconnaissance mutuelle pourrait procéder à un nouvel examen de la demande et rejeter celle-ci pour un motif autre que l’existence d’un risque potentiel pour la santé publique.

99.

Une telle interprétation reviendrait à vider de sa substance le principe de reconnaissance mutuelle qui constitue la clé de voûte de l’article 28 de la directive 2001/83.

100.

En effet, si nous permettions à l’État membre concerné d’examiner et d’apprécier la demande de reconnaissance mutuelle de la même façon qu’il examine une demande d’autorisation de mise sur le marché, cela priverait de tout sens la procédure de reconnaissance mutuelle. Avec une telle interprétation, nous courrions le risque d’avoir des appréciations divergentes selon les autorités nationales. En outre, le recours à de nouvelles évaluations scientifiques du médicament par l’État membre concerné pourrait être interprété comme une marque de méfiance vis-à-vis des contrôles déjà effectués par les autorités compétentes de l’État membre de référence. Un tel comportement aboutirait donc à ruiner la confiance réciproque qui doit inspirer les États membres en la matière.

101.

Par ailleurs, si l’État membre concerné pouvait rejeter de sa seule initiative une demande de reconnaissance mutuelle, nous n’aurions aucune uniformité entre les autorisations nationales de mise sur le marché et une telle attitude priverait de tout effet utile la procédure de concertation et d’arbitrage établie, à cet effet, par le législateur communautaire.

102.

Enfin, si nous permettions à l’État membre concerné de se prévaloir d’un motif autre que celui expressément visé à l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2001/83, pour ne pas reconnaître une autorisation de mise sur le marché, un tel comportement aboutirait à restreindre la portée de l’obligation édictée par l’article 28, paragraphe 4, de cette directive.

103.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, nous proposons donc à la Cour de dire pour droit que l’article 28 de la directive 2001/83 doit être interprété en ce sens qu’un État membre, saisi d’une demande de reconnaissance mutuelle d’une autorisation de mise sur le marché qui a été délivrée par l’État membre de référence dans le cadre d’une procédure abrégée visée à l’article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de cette directive, est tenu de reconnaître cette autorisation dans un délai de 90 jours suivant la réception de la demande et du rapport d’évaluation, à moins qu’il ne soulève la réserve prévue à l’article 29, paragraphe 1, de ladite directive, tirée de l’existence d’un risque potentiel pour la santé publique.

104.

Par conséquent, nous considérons que l’article 28 de la directive 2001/83 s’oppose à ce que l’État membre concerné procède, de nouveau, dans le cadre de l’examen de la demande de reconnaissance mutuelle, au contrôle de la similarité essentielle des deux médicaments et rejette la demande en cause au motif que ces deux médicaments ne seraient pas essentiellement similaires au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de cette directive.

105.

La juridiction de renvoi souhaite, ensuite, savoir si, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, l’État membre concerné a commis une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire.

106.

Dans les développements qui suivent, nous examinerons ensemble les deuxième et troisième questions préjudicielles.

B — Sur les deuxième et troisième questions préjudicielles

107.

Par ses deuxième et troisième questions préjudicielles, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si un État membre qui a rejeté une demande de reconnaissance mutuelle d’une autorisation nationale de mise sur le marché, au motif que le médicament en cause n’est pas essentiellement similaire au médicament de référence, s’abstenant ainsi de reconnaître cette autorisation selon les conditions fixées à l’article 28 de la directive 2001/83, a commis une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire au sens de la deuxième condition énoncée par la Cour dans l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité.

108.

La juridiction de renvoi demande, en outre, si cette condition est remplie lorsque l’abstention de l’État membre concerné est fondée sur une pratique générale de cet État selon laquelle des sels différents de la même fraction thérapeutique ne peuvent pas, en droit, être considérés comme étant essentiellement similaires.

1. Observations des parties

109.

Synthon et la République de Pologne soutiennent que, compte tenu de la clarté et de la précision du libellé de l’article 28 de la directive 2001/83 ainsi que de la marge d’appréciation limitée dont jouit la Licensing Authority, le refus de celle-ci de faire droit à une demande de reconnaissance mutuelle de l’autorisation de mise sur le marché déjà délivrée dans un autre État membre constitue une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire.

110.

En outre, Synthon soutient que la pratique administrative de la Licensing Authority, sur laquelle était fondé le refus d’accepter la demande de reconnaissance mutuelle en cause, représente, en soi, une violation grave et manifeste du droit communautaire qui justifierait l’octroi de dommages et intérêts.

111.

La Commission et le Royaume-Uni considèrent au contraire que, conformément à la jurisprudence de la Cour, les facteurs à prendre en compte afin de déterminer le caractère «suffisamment caractérisé» de la violation du droit communautaire, à savoir la marge d’appréciation réservée aux États membres, le caractère intentionnel ou involontaire du manquement ainsi que le caractère excusable ou inexcusable de l’erreur de droit, relèvent de la seule compétence du juge national. Dès lors, dans le cadre du litige au principal, la Cour ne devrait pas se prononcer sur ce point.

112.

À titre subsidiaire, la Commission et le Royaume-Uni estiment que l’infraction ne doit pas être considérée comme une violation caractérisée du droit communautaire, car les notions de «produit essentiellement similaire» et de «produit générique» sont complexes et très difficiles à cerner, de sorte que l’approche adoptée par la Licensing Authority ne serait pas déraisonnable.

113.

Par ailleurs, le Royaume-Uni ajoute que l’infraction a été commise de façon involontaire. L’autorité nationale aurait été de bonne foi compte tenu du fait qu’il n’existait aucune jurisprudence communautaire consolidée dans cette matière.

2. Analyse

114.

Nous rappelons que le principe de la responsabilité de l’État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables a été posé par la Cour dans l’arrêt du19 novembre 1991, Francovich e.a. ( 40 ). Selon la Cour, «[ce principe] est inhérent au système du traité [CE]» ( 41 ).

115.

Ledit principe a connu de nombreux développements depuis l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, s’agissant de la responsabilité de l’État du fait du législateur ou de l’administration. Le principe de la responsabilité de l’État — dès lors qu’il est inhérent au système du traité — est valable pour toute hypothèse de violation du droit communautaire, et ce quel que soit l’organe de l’État dont l’action ou l’omission est à l’origine du manquement ( 42 ).

116.

Il convient d’indiquer à la juridiction de renvoi que, lorsqu’une violation du droit communautaire par un État membre est imputable à une autorité publique, les particuliers lésés ont droit à réparation, dès lors que trois conditions sont réunies, à savoir que la règle de droit violée a pour objet de leur conférer des droits, que la violation est suffisamment caractérisée et qu’il existe un lien de causalité direct entre cette violation et le préjudice subi par les particuliers ( 43 ). Sous cette réserve, c’est dans le cadre du droit national de la responsabilité qu’il incombe à l’État de réparer les conséquences du préjudice causé par la violation du droit communautaire qui lui est imputable, étant entendu que les conditions fixées en droit national ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne ni aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’obtention de la réparation.

117.

Dans l’affaire au principal, il ressort clairement de la décision de renvoi et du libellé de la question posée que celle-ci est limitée à la deuxième condition énoncée par la jurisprudence. Les deux autres conditions n’ont pas suscité de question de la part de la High Court of Justice.

118.

La nature de la violation en cause a été précisée par la Cour dans l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité. La Cour a distingué deux cas de figure.

119.

Premièrement, dans l’hypothèse où l’État membre en cause, au moment où il a commis l’infraction, n’était pas confronté à des choix normatifs et disposait d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée. C’est le cas, par exemple, lorsque le droit communautaire impose au législateur national, dans un domaine régi par le droit communautaire, des obligations de résultat ou des obligations de comportement ( 44 ) ou d’abstention. Cette conception large de la responsabilité de l’État a été appliquée à plusieurs reprises par la Cour, notamment, à raison de l’absence de transposition d’une directive ( 45 ), d’une transposition méconnaissant les effets dans le temps d’une directive ( 46 ), du refus de l’administration de délivrer une licence d’exportation alors que l’octroi d’une telle délivrance aurait dû être quasi automatique eu égard à l’existence de directives d’harmonisation dans le domaine concerné ( 47 ).

120.

Deuxièmement, la Cour considère que, dans l’hypothèse où un État membre agit dans un domaine dans lequel il dispose d’un large pouvoir d’appréciation, la responsabilité de celui-ci ne peut être engagée qu’en cas de violation suffisamment caractérisée, c’est-à-dire lorsque, dans l’exercice de sa fonction normative, il a méconnu de manière manifeste et grave les limites qui s’imposent à l’exercice de ses pouvoirs ( 48 ).

121.

Néanmoins, il semble que cette distinction ne soit plus pertinente au regard de l’évolution de la jurisprudence de la Cour. En effet, celle-ci se fonde aujourd’hui sur des critères comparables pour apprécier l’existence d’une violation suffisamment caractérisée, selon qu’elle est dans l’une ou l’autre hypothèse.

122.

Ainsi, pour déterminer si une infraction au droit communautaire constitue une violation suffisamment caractérisée, la Cour considère qu’il est nécessaire de tenir compte de tous les éléments qui caractérisent la situation qui est soumise au juge national ( 49 ).

123.

Parmi ces éléments, figurent notamment le degré de clarté et de précision de la règle violée et l’étendue de la marge d’appréciation que la règle enfreinte laisse aux autorités nationales, le caractère intentionnel ou involontaire du manquement commis ou du préjudice causé, le caractère excusable ou inexcusable d’une éventuelle erreur de droit, et la circonstance que les attitudes prises par une institution communautaire ont pu contribuer à l’omission, à l’adoption ou au maintien de mesures ou de pratiques nationales contraires au droit communautaire ( 50 ).

124.

Il convient, à présent, de rappeler que, dans l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, la Cour a jugé qu’elle «ne saurait substituer son appréciation à celles des juridictions nationales, seules compétentes pour établir les faits des affaires au principal et pour caractériser les violations du droit communautaire en cause» ( 51 ).

125.

Néanmoins, elle «[a estimé] […] utile de rappeler certaines circonstances dont les juridictions nationales pourraient tenir compte» ( 52 ). Cette jurisprudence a été confirmée à plusieurs reprises ( 53 ). Elle s’applique pleinement dans le cas d’une action mettant en cause la responsabilité de l’État du fait de la violation du droit communautaire par une autorité publique. Conformément à ladite jurisprudence, nous formulerons quelques observations sur le cas d’espèce, au regard des éléments dont nous disposons.

126.

Comme nous avons pu le constater dans le cadre de l’examen de la première question, l’article 28 de la directive 2001/83 laisse une marge d’appréciation particulièrement réduite à l’autorité nationale compétente.

127.

Comme nous l’avons indiqué, les termes de l’article 28, paragraphe 4, de cette directive sont, selon nous, très clairs et précis. Ils obligent l’État membre saisi d’une demande de reconnaissance mutuelle d’une autorisation de mise sur le marché à reconnaître celle-ci dans un délai de 90 jours suivant la réception de la demande et du rapport d’évaluation, à moins seulement que celui-ci ne fasse valoir la réserve expressément visée à l’article 29, paragraphe 1, de ladite directive, tirée de l’existence d’un risque potentiel pour la santé publique.

128.

En outre, nous sommes d’avis que l’article 29 de la directive 2001/83 décrit, avec toute la clarté nécessaire, la procédure que doit initier un État membre lorsque celui-ci a un doute concernant la qualité, la sécurité ou l’efficacité d’un médicament.

129.

La Commission et le Royaume-Uni relèvent que la notion de médicament «essentiellement similaire» visée à l’article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de la directive 2001/83 est complexe et difficile à cerner, de sorte que la violation commise par la Licensing Authority ne serait pas déraisonnable.

130.

Cet argument ne nous semble pas pertinent. Le fait que cette notion ait pu donner lieu à des difficultés d’interprétation peut, certes, engendrer des difficultés dans le cadre de la délivrance, par l’État membre de référence, d’une autorisation de mise sur le marché selon la procédure abrégée, mais elle ne peut pas, selon nous, entraîner de conséquences dans le cadre de la reconnaissance de cette autorisation par l’État membre concerné. En effet, nous avons démontré que la mise en œuvre de la procédure de reconnaissance mutuelle est dépourvue d’ambiguïté et ne permet pas de remettre en cause l’appréciation portée par l’État membre de référence pour un motif autre que celui tiré d’un risque pour la santé publique.

131.

En conséquence, l’interprétation que le Royaume-Uni a donnée de l’article 28, paragraphe 4, de la directive 2001/83 ne nous paraît pas pouvoir être accueillie.

132.

En procédant, de nouveau, à un examen que l’État membre de référence avait déjà effectué, en rejetant la demande de reconnaissance mutuelle, pour un motif autre que celui visé expressément par la directive 2001/83 et en n’initiant pas la procédure de concertation et d’assistance mutuelle prévue, à cet effet, par celle-ci, l’interprétation que le Royaume-Uni a retenue revient, à notre avis, à vider de sa substance et à priver de tout sens le principe de reconnaissance mutuelle et les procédures de concertation et d’arbitrage fixées aux articles 28 et 29 de la directive 2001/83.

133.

Une telle interprétation a donc pour effet de diminuer l’efficacité du droit communautaire, ce qui est incompatible avec les exigences inhérentes à la nature même de ce droit.

134.

Par conséquent, nous pouvons considérer que, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, l’interprétation retenue par l’État membre concerné sur le sens et la portée de l’article 28 de la directive 2001/83 est susceptible de constituer une violation caractérisée du droit communautaire.

V — Conclusion

135.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles posées par la High Court of Justice:

«1)

L’article 28 de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, doit être interprété en ce sens qu’un État membre, saisi d’une demande de reconnaissance mutuelle d’une autorisation de mise sur le marché délivrée par un autre État membre dans le cadre de la procédure abrégée visée à l’article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de la directive 2001/83, est tenu de reconnaître cette autorisation dans un délai de 90 jours suivant la réception de la demande et du rapport d’évaluation, à moins qu’il ne soulève la réserve prévue à l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2001/83, tirée de l’existence d’un risque potentiel pour la santé publique.

2)

L’article 28 de la directive 2001/83 s’oppose à ce qu’un État membre, saisi d’une demande de reconnaissance mutuelle d’une autorisation de mise sur le marché délivrée par un autre État membre dans le cadre de la procédure abrégée visée à l’article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de la directive 2001/83, procède, de nouveau, au contrôle de la similarité essentielle des deux médicaments et rejette cette demande au motif que ces deux médicaments ne seraient pas ‘essentiellement similaires’ au sens de cette disposition.

3)

Dans des circonstances telles que celles du litige au principal, l’interprétation retenue par l’État membre saisi d’une telle demande sur le sens et la portée de l’article 28 de la directive 2001/83 est susceptible de constituer une violation caractérisée du droit communautaire.»


( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67), dans sa version applicable à l’époque des faits du litige au principal. Dans le cadre des présentes conclusions, le terme «médicament(s)» visera uniquement les médicaments à usage humain.

( 3 ) Ci-après le «médicament de référence».

( 4 ) Ci-après «Synthon» ou la «requérante».

( 5 ) Ci-après la «Licensing Authority».

( 6 ) Décision de renvoi (point 14).

( 7 ) Directive du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO 1965, 22, p. 369), telle que modifiée par les directives 87/21/CEE du Conseil, du 22 décembre 1986 (JO 1987, L 15, p. 36) et 93/39/CEE du Conseil, du 14 juin 1993 (JO L 214, p. 22, ci-après la «directive 65/65»). La directive 87/21 a déterminé les exigences applicables à la délivrance des autorisations de mise sur le marché dans le cas particulier d’une procédure abrégée. La directive 93/39 a, quant à elle, introduit, dans la législation communautaire existante, une procédure de reconnaissance mutuelle des autorisations nationales de mise sur le marché, assortie d’une procédure de concertation et d’arbitrage communautaires.

( 8 ) Deuxième directive du Conseil, du 20 mai 1975, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO L 147, p. 13), telle que modifiée par la directive 93/39 (ci-après la «directive 75/319»).

( 9 ) La décision de renvoi ne précise pas la date exacte à laquelle Synthon a déposé cette demande.

( 10 ) Directive du Conseil, du 20 mai 1975, relative au rapprochement des législations des États membres concernant les normes et protocoles analytiques, toxico-pharmacologiques et cliniques en matière d’essais de spécialités pharmaceutiques (JO L 147, p. 1).

( 11 ) Règlement du Conseil, du 22 juillet 1993, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et à usage vétérinaire et instituant une agence européenne pour l’évaluation des médicaments (JO L 214, p. 1). Ce règlement institue une procédure centralisée d’autorisation de mise sur le marché au niveau communautaire, produisant des effets juridiques uniformes sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne, ainsi qu’une agence européenne pour l’évaluation des médicaments appelée à coordonner les ressources scientifiques existantes mises à disposition par les États membres en vue de l’évaluation, de la surveillance et de la pharmacovigilance des médicaments.

( 12 ) Ancien article 4, deuxième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65, telle que modifiée par la directive 87/21.

( 13 ) En vertu de cette même disposition, cette période peut être portée à dix ans lorsqu’il s’agit d’un médicament de haute technologie ou lorsqu’un État membre, par une décision unique couvrant tous les médicaments mis sur le marché de son territoire, estime que les besoins de la santé publique l’exigent. Néanmoins, ladite disposition ne semble pas avoir d’incidence sur l’obligation de fournir les renseignements relatifs à la nature physico-chimique du produit.

( 14 ) Cette procédure, applicable à compter du 1er janvier 1998, a été introduite par la directive 93/39 à l’article 7 bis de la directive 65/65. L’article 18, premier alinéa, de la directive 2001/83 vise spécifiquement les documents et renseignements joints au titre de l’article 8, paragraphe 3, sous l), de cette directive, c’est-à-dire, entre autres, la copie de toute autorisation de mise sur le marché obtenue pour ce médicament dans les autres États membres, la liste des États membres dans lesquels une demande est en cours d’examen, ainsi qu’une copie du résumé des caractéristiques du produit.

( 15 ) La notion de «risque pour la santé publique» est définie à l’article 1er, point 28, de la directive 2001/83 comme étant «tout risque lié à la qualité, la sécurité et l’efficacité du médicament».

( 16 ) Ce comité, qui a été institué par la directive 75/319, relève de l’agence européenne pour l’évaluation des médicaments.

( 17 ) Cette procédure a été introduite par la directive 93/39 à l’article 9 de la directive 75/319.

( 18 ) En vertu de l’article 28, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2001/83, le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché demande à l’État membre de référence d’élaborer un rapport d’évaluation pour le médicament concerné ou, au besoin, de mettre à jour ce rapport s’il existe.

( 19 ) Voir note 15.

( 20 ) Voir douzième considérant.

( 21 ) C-74/03, Rec. p. I-595.

( 22 ) Arrêt du 5 mars 1996 (C-46/93 et C-48/93, Rec. p. I-1029).

( 23 ) JO L 159, p. 46.

( 24 ) Arrêt du Tribunal du 31 janvier 2006, Merck Sharp & Dohme e.a./Commission (T-273/03, Rec. p. II-141, point 87 et jurisprudence citée).

( 25 ) Cette réserve est l’expression du principe de précaution. Elle est également un motif légitime au titre de l’article 30 CE.

( 26 ) Voir, également, ligne directrice, adoptée par la Commission en mars 2006, concernant la définition d’un risque potentiel grave pour la santé publique dans le cadre de l’article 29, paragraphes 1 et 2, de la directive 2001/83 (JO C 133, p. 5). La ligne directrice vise l’article 29, paragraphes 1 et 2, de cette directive, telle que modifiée par la directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004 (JO L 136, p. 34).

( 27 ) Aux termes de l’article 28, paragraphe 1, de la directive 2001/83, l’État membre de référence est tenu d’établir, de mettre à jour et de communiquer à l’État membre concerné un rapport d’évaluation du médicament. Conformément à l’article 21, paragraphe 4, de cette directive, ce rapport contient les commentaires de l’État membre de référence quant aux résultats des essais analytiques, pharmaco-toxicologiques et cliniques du médicament et doit, en outre, être mis à jour «dès que de nouvelles informations qui s’avèrent importantes pour l’évaluation de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité du médicament deviennent disponibles».

( 28 ) Conformément à cette disposition, les États membres concernés doivent, tout d’abord, essayer de se mettre d’accord sur les mesures à prendre concernant la demande. En cas d’échec, le comité des spécialités pharmaceutiques est saisi afin d’émettre un avis motivé sur la question soulevée, conformément à l’article 32 de la directive 2001/83. La décision définitive est, enfin, adoptée par la Commission au terme de la procédure prévue aux articles 33 et 34 de cette directive.

( 29 ) Voir douzième considérant de la directive 2001/83.

( 30 ) Arrêt Merck Sharp & Dohme e.a./Commission, précité (point 87 et jurisprudence citée).

( 31 ) Il convient, en effet, de rappeler que, dans la présente affaire, l’autorisation de mise sur le marché délivrée à Synthon par l’agence danoise des médicaments a été octroyée dans le cadre de la procédure abrégée, visée, à l’époque des faits au principal, à l’article 4, deuxième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65 [codifié à l’article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de la directive 2001/83].

( 32 ) Souligné par nos soins.

( 33 ) Arrêt du 5 octobre 1995, Scotia Pharmaceuticals (C-440/93, Rec. p. I-2851, point 17).

( 34 ) C-368/96, Rec. p. I-7967, point 36.

( 35 ) Deux médicaments sont bioéquivalents s’il s’agit de produits pharmaceutiques équivalents ou alternatifs et si leur biodisponibilité (degré et vitesse) après administration, dans la même dose molaire, est à tel point similaire que leurs effets, tant du point de vue de leur efficacité que de celui de leur sécurité, sont essentiellement les mêmes [voir guide de la Commission sur la réglementation des médicaments dans l’Union européenne (The Rules governing medicinal products in the European Union), Eudralex, vol. 3 C, Guidelines on medicinal products for human use, Efficacy, Édition 1998, p. 235].

( 36 ) Voir, pour une application récente par la Cour de cette méthode d’interprétation, arrêt du 15 avril 2008, Impact (C-268/06, Rec. p. I-2483, point 110 et jurisprudence citée).

( 37 ) Nous rappelons que, aux termes du deuxième considérant de la directive 2001/83, la sauvegarde de la santé publique est qualifiée d’«objectif essentiel».

( 38 ) Troisième considérant de la directive 2001/83.

( 39 ) Quinzième considérant de cette directive.

( 40 ) C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357 (point 37).

( 41 ) Ibidem (point 35). Cette formule a été invariablement reprise par la Cour, notamment dans les arrêts Brasserie du pêcheur et Factortame, précité (point 31); du 26 mars 1996, British Telecommunications (C-392/93, Rec. p. I-1631, point 38); du 23 mai 1996, Hedley Lomas (C-5/94, Rec. p. I-2553, point 24); du 8 octobre 1996, Dillenkofer e.a. (C-178/94, C-179/94 et C-188/94 à C-190/94, Rec. p. I-4845, point 20); du 17 octobre 1996, Denkavit e.a. (C-283/94, C-291/94 et C-292/94, Rec. p. I-5063, point 47); du 24 septembre 1998, Brinkmann (C-319/96, Rec. p. I-5255, point 24); du 4 juillet 2000, Haim (C-424/97, Rec. p. I-5123, point 26); du 18 janvier 2001, Stockholm Lindöpark (C-150/99, Rec. p. I-493, point 36); du 28 juin 2001, Larsy (C-118/00, Rec. p. I-5063, point 34), et du 30 septembre 2003, Köbler (C-224/01, Rec. p. I-10239, point 30).

( 42 ) Arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité (points 31 et 32). Cette formule a, notamment, été reprise et étendue par la Cour dans l’arrêt du 1er juin 1999, Konle (C-302/97, Rec. p. I-3099, point 62); ainsi que dans les arrêts précités Haim (point 27); Larsy (point 35), et Köbler (point 36).

( 43 ) Voir, notamment, arrêt du 25 janvier 2007, Robins e.a. (C-278/05, Rec. p. I-1053, point 69 et jurisprudence citée).

( 44 ) Voir arrêt Francovich e.a., précité (point 46 faisant référence à la situation de non-transposition d’une directive).

( 45 ) Voir arrêt Dillenkofer e.a., précité (point 26).

( 46 ) Voir arrêt du 15 juin 1999, Rechberger e.a. (C-140/97, Rec. p. I-3499, point 51).

( 47 ) Voir arrêt Hedley Lomas, précité (points 18, 28 et 29).

( 48 ) Voir arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité (points 45, 47, 51 et 55).

( 49 ) Voir arrêt Robins e.a., précité (point 76 et jurisprudence citée).

( 50 ) Ibidem (point 77 et jurisprudence citée). Nous signalons que la Cour n’établit aucune hiérarchie entre ces différents critères.

( 51 ) Point 58 de l’arrêt. Confirmé depuis par une jurisprudence constante [voir, notamment, arrêts précités, British Telecommunications (point 41); Brinkmann (point 26), et Stockholm Lindöpark (point 38)].

( 52 ) Arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité (point 58).

( 53 ) Voir, notamment, arrêts précités Konle (point 59); Haim (point 44); Stockholm Lindöpark (point 38), et, récemment, Robins e.a. (points 78 à 82). Néanmoins, nous souhaitons indiquer que, dans quelques arrêts, la Cour a elle-même apprécié l’existence d’une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire. Nous nous référons, à cet égard, aux arrêts précités British Telecommunications (point 41); Brinkmann (point 26), et Larsy (point 40). Dans la présente affaire, nous nous limiterons à fixer quelques orientations dont le juge national pourra tenir compte dans le cadre de son appréciation, et ce en raison de l’esprit qui prévaut dans le cadre du mécanisme de coopération juridictionnelle que constitue le renvoi préjudiciel.