Affaires jointes C-14/06 et C-295/06
Parlement européen
et
Royaume de Danemark
contre
Commission des Communautés européennes
«Directive 2002/95/CE — Équipements électriques et électroniques — Limitation de l’utilisation de certaines substances dangereuses — Décabromodiphényléther (décaBDE) — Décision 2005/717/CE de la Commission — Exemption du décaBDE de l’interdiction d’utilisation — Recours en annulation — Compétences d’exécution de la Commission — Violation de la disposition d’habilitation»
Sommaire de l'arrêt
1. Rapprochement des législations — Limitation de l'utilisation de substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques — Directive 2002/95 — Compétences d'exécution conférées par le Conseil à la Commission — Limites
(Art. 202, 3e tiret, CE; directive du Parlement européen et du Conseil 2002/95, art. 4, § 1, et 5, § 1; décision de la Commission 2005/717)
2. Recours en annulation — Arrêt d'annulation — Effets — Limitation par la Cour
(Art. 231, al. 2, CE; directive du Parlement européen et du Conseil 2002/95, art. 4 et 5, et annexe, point 10; décision de la Commission 2005/717)
1. Dans le cadre des compétences d'exécution conférées par le Conseil à la Commission aux termes de l’article 202, troisième tiret, CE, dont les limites s’apprécient notamment en fonction des objectifs généraux essentiels de la réglementation en cause, la Commission est autorisée à adopter toutes les mesures d’application nécessaires ou utiles pour la mise en œuvre de la réglementation de base, pour autant qu’elles ne soient pas contraires à celle-ci.
La décision de la Commission 2005/717 modifiant, aux fins de son adaptation au progrès technique, l’annexe de la directive 2002/95, relative à la limitation de l’utilisation de certaines substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques, et qui a notamment exempté toutes les applications polymérisées du décabromodiphényléther (décaBDE), est fondée sur cette directive et sur son article 5, paragraphe 1, sous b), en particulier, qui précise les conditions d'exemption au principe d'interdiction imposé par l'article 4, paragraphe 1, de la même directive de certaines substances et composants, dont le décaBDE, dans lesdits équipements et qui doit, dès lors, être interprété de manière stricte.
Or, ladite décision, qui équivaut à une exemption généralisée de l'utilisation du décaBDE dans les équipements électriques et électroniques, a été adoptée sans que soient respectées les conditions imposées par le législateur communautaire audit article 5, paragraphe 1, de la directive 2002/95 et va à l’encontre de l’objectif poursuivi par ce législateur d’établir le principe de l’interdiction des composants visés à cette directive. En adoptant ladite décision, la Commission a ainsi violé ledit article 5, paragraphe 1, en ce que cette décision concerne l'exemption du décaBDE.
(cf. points 52-53, 56, 71, 76, 78)
2. Aux termes de l'article 231, second alinéa, CE, la Cour peut, si elle l'estime nécessaire, indiquer ceux des effets d'un règlement annulé qui doivent être considérés comme définitifs. Une telle disposition est susceptible de s'appliquer également à une décision adoptée à l'effet de modifier une annexe contenue dans une directive. En tenant compte du fait que le litige est dû essentiellement à la manière dont la directive 2002/95, relative à la limitation de l’utilisation de certaines substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques, a été rédigée, notamment à la relation particulièrement complexe entre les articles 4 et 5 de celle-ci et le point 10 de son annexe, ainsi que du fait que la Commission a adopté la décision 2005/717 modifiant, aux fins de son adaptation au progrès technique, l'annexe de ladite directive, neuf mois avant que l’interdiction du décabromodiphényléther ne devienne effective, la Cour peut, même d'office, afin de tenir compte des intérêts des entreprises concernées, maintenir, pour des motifs de sécurité juridique, les effets de la disposition annulée pour une période d’adaptation strictement nécessaire.
(cf. points 84-86)
ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
1er avril 2008 (*)
«Directive 2002/95/CE – Équipements électriques et électroniques – Limitation de l’utilisation de certaines substances dangereuses – Décabromodiphényléther (décaBDE) – Décision 2005/717/CE de la Commission – Exemption du décaBDE de l’interdiction d’utilisation – Recours en annulation – Compétences d’exécution de la Commission – Violation de la disposition d’habilitation»
Dans les affaires jointes C‑14/06 et C‑295/06,
ayant pour objet des recours en annulation au titre de l’article 230 CE, introduits les 11 janvier 2006 (C-14/06) et 9 janvier 2006 (C-295/06, inscrit initialement au registre du Tribunal de première instance des Communautés européennes sous le numéro T‑5/06),
Parlement européen, représenté par MM. K. Bradley et A. Neergaard ainsi que Mme I. Klavina, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante dans l’affaire C‑14/06,
Royaume de Danemark, représenté par M. J. Molde, Mme B. Weis Fogh et M. J. Bering Liisberg, en qualité d’agents,
partie requérante dans l’affaire C-295/06,
soutenus par:
Royaume de Danemark (affaire C-14/06), représenté par M. J. Molde, Mme B. Weis Fogh et M. J. Bering Liisberg, en qualité d’agents,
République portugaise, représentée par M. L. Fernandes et Mme M. J. Lois, en qualité d’agents,
République de Finlande, représentée par Mme A. Guimaraes-Purokoski, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,
Royaume de Suède, représenté par M. A. Kruse, en qualité d’agent,
Royaume de Norvège, représenté par Mmes I. Djupvik et K. Waage, ainsi que par M. K. B. Moen, en qualité d’agents, assistés de Me E. Holmedal, advokat,
parties intervenantes,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. X. Lewis, M. Konstantinidis et H. Støvlbæk, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse,
soutenue par:
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Mme V. Jackson, en qualité d’agent, assistée de M. J. Maurici, barrister,
partie intervenante,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. V. Skouris, président, MM. C. W. A. Timmermans, A. Rosas (rapporteur), K. Lenaerts et L. Bay Larsen, présidents de chambre, MM. K. Schiemann, J. Makarczyk, P. Kūris, E. Juhász, E. Levits et A. Ó Caoimh, Mme P. Lindh et M. J.-C. Bonichot, juges,
avocat général: M. Y. Bot,
greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 décembre 2007,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, inscrite sous le numéro C‑14/06, le Parlement européen demande l’annulation de la décision 2005/717/CE de la Commission, du 13 octobre 2005, modifiant, aux fins de son adaptation au progrès technique, l’annexe de la directive 2002/95/CE du Parlement européen et du Conseil relative à la limitation de l’utilisation de certaines substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques (JO L 271, p. 48, ci-après la «décision attaquée»).
2 Par ordonnance du président de la Cour du 10 juillet 2006, le Royaume de Danemark, la République portugaise, la République de Finlande, le Royaume de Suède et le Royaume de Norvège ont été admis à intervenir à l’appui des conclusions du Parlement, tandis que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a été admis à intervenir à l’appui des conclusions de la Commission des Communautés européennes.
3 Par sa requête déposée au greffe du Tribunal de première instance des Communautés européennes le 9 janvier 2006, enregistrée sous le numéro T-5/06, le Royaume de Danemark a également demandé l’annulation de la décision attaquée. Par ordonnance du 27 juin 2006, le Tribunal s’est dessaisi de l’affaire, en application des articles 54, quatrième alinéa, du statut de la Cour de justice, et 80 du règlement de procédure du Tribunal, afin que la Cour puisse statuer sur la demande en annulation. L’affaire a été inscrite au registre de la Cour sous le numéro C‑295/06.
4 Par ordonnance du président de la Cour du 13 septembre 2006, la République portugaise, la République de Finlande, le Royaume de Suède et le Royaume de Norvège ont été admis à intervenir à l’appui des conclusions du Royaume de Danemark, tandis que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a été admis à intervenir à l’appui des conclusions de la Commission.
5 Par ordonnance du président de la Cour du 16 novembre 2006, les affaires C‑14/06 et C‑295/06 ont été jointes aux fins de la procédure écrite, dans la mesure où celle-ci n’était pas encore achevée, et aux fins de la procédure orale ainsi que de l’arrêt.
Le cadre juridique
6 Les cinquième, sixième et onzième considérants de la directive 2002/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 janvier 2003, relative à la limitation de l’utilisation de certaines substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques (JO L 37, p. 19) sont rédigés comme suit:
«(5) Les éléments disponibles indiquent que les mesures sur la collecte, le traitement, le recyclage et l’élimination des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) prévues dans la directive 2002/96/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 2003 relative aux déchets d’équipements électriques et électroniques [JO L 37, p. 24] sont nécessaires pour réduire les problèmes de gestion des déchets liés aux métaux lourds et aux retardants de flamme concernés. Cependant, malgré ces mesures, des proportions significatives de DEEE continueront à être éliminées par le biais des circuits actuels d’élimination. Même si les DEEE étaient ramassés séparément et soumis à des processus de recyclage, il est probable que leur contenu en mercure, en cadmium, en plomb, en chrome hexavalent, en [polybromobiphényles (PBB)] et [polybromodiphényléthers (PBDE)] présenterait des risques pour la santé et l’environnement.
(6) En prenant en compte la faisabilité technique et économique, le moyen le plus efficace de réduire significativement les risques pour la santé humaine et l’environnement liés à ces substances afin d’atteindre le niveau de protection choisi dans la Communauté est le remplacement de ces substances par des matériaux sûrs ou plus sûrs dans les équipements électriques et électroniques. La limitation de l’utilisation de ces substances dangereuses est susceptible d’augmenter les possibilités de recyclage des DEEE, d’en améliorer la rentabilité et de réduire leur incidence négative sur la santé des travailleurs dans les installations de recyclage.
[...]
(11) Il convient d’accorder des exemptions à l’obligation de substitution si cette substitution n’est pas possible, d’un point de vue technique ou scientifique, ou s’il est probable que l’incidence négative potentielle sur la santé humaine et l’environnement de la substitution dépasse les bénéfices qu’elle apporte à l’homme et à l’environnement. Il y a lieu d’effectuer également le remplacement des substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques d’une manière compatible avec la santé et la sécurité des utilisateurs d’équipements électriques et électroniques (EEE).»
7 L’article 4 de la directive 2002/95, intitulé «Prévention», dispose à ses paragraphes 1 et 2:
«1. Les États membres veillent à ce que, à compter du 1er juillet 2006, les nouveaux équipements électriques et électroniques mis sur le marché ne contiennent pas de plomb, de mercure, de cadmium, de chrome hexavalent, de [PBB] ni de [PBDE]. Les mesures nationales limitant ou interdisant l’utilisation de ces substances dans les équipements électriques et électroniques qui ont été adoptées conformément à la législation communautaire avant l’adoption de la présente directive peuvent être maintenues jusqu’au 1er juillet 2006.
2. Le paragraphe 1 ne s’applique pas aux applications énumérées dans l’annexe.»
8 L’article 5 de cette directive, intitulé «Adaptation au progrès scientifique et technique», prévoit à son paragraphe 1:
«1. Les modifications nécessaires pour adapter l’annexe au progrès scientifique et technique sont adoptées conformément à la procédure visée à l’article 7, paragraphe 2; elles consistent à:
[...]
b) exempter des matériaux et composants d’équipements électriques et électroniques des dispositions de l’article 4, paragraphe 1, si leur élimination ou leur remplacement sur la base de modifications de la conception ou de matériaux et composants ne nécessitant aucun des matériaux ou substances visés audit paragraphe est techniquement ou scientifiquement impraticable ou s’il est probable que les incidences négatives sur l’environnement, sur la santé et/ou sur la sécurité du consommateur liées à la substitution l’emportent sur les bénéfices qui en découlent pour l’environnement, la santé et/ou la sécurité du consommateur;
[...]»
9 L’article 7 de la directive 2002/95 prévoit que la Commission est assistée du comité institué par l’article 18 de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO L 194, p. 39).
10 L’annexe de la directive 2002/95 est intitulée «Applications du plomb, du mercure, du cadmium et du chrome hexavalent exemptées des dispositions de l’article 4, paragraphe 1».
11 Le point 10 de cette annexe est rédigé comme suit:
«Dans le cadre de la procédure visée à l’article 7, paragraphe 2, la Commission évalue les applications relatives aux substances suivantes:
– le décabromodiphényléther,
– le mercure dans les tubes fluorescents classiques pour usages spéciaux,
– le plomb dans les soudures pour les serveurs, les systèmes de stockage et de matrices de stockage, les équipements d’infrastructure de réseaux destinés à la commutation, la signalisation, la transmission ainsi qu’à la gestion de réseaux dans le domaine des télécommunications (dans le but de fixer un délai particulier pour cette exemption), et
– les ampoules électriques,
en priorité afin de déterminer dès que possible si ces points doivent être modifiés en conséquence.»
12 Le 13 octobre 2005, la Commission a adopté la décision attaquée. Celle-ci est fondée sur la directive 2002/95 et, notamment, sur son article 5, paragraphe 1, sous b).
13 Les deuxième à quatrième et septième considérants de cette décision sont rédigés comme suit:
«(2) Certains matériaux et composants contenant du plomb, du mercure, du cadmium, du chrome hexavalent, des polybromobiphényles (PBB) ou des polybromodiphényléthers (PBDE) doivent être exemptés de l’interdiction, dans la mesure où l’élimination de ces substances dangereuses ou leur remplacement dans ces matériaux et composants reste impraticable.
(3) Étant donné que l’évaluation des risques réalisée sur le décabromodiphényléther (décaBDE) au titre du règlement (CEE) n° 793/93 du Conseil, du 23 mars 1993, concernant l’évaluation et le contrôle des risques présentés par les substances existantes [(JO L 84, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 1882/2003 du Parlement européen et du Conseil (JO L 284, p. 1)], a abouti à la conclusion que des mesures autres que celles qui sont déjà appliquées pour réduire les risques que présente cette substance pour les consommateurs sont pour le moment inutiles, mais que des études complémentaires sont demandées, le décaBDE peut être exempté jusqu’à nouvel ordre des dispositions de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/95/CE. Si, du fait d’éléments nouveaux, l’évaluation des risques devait aboutir à une conclusion différente, la présente décision serait revue et modifiée en conséquence. Parallèlement, l’industrie met spontanément en œuvre un programme de réduction des émissions.
(4) Les exemptions accordées pour certains matériaux ou composants spécifiques devraient être de portée limitée, de manière à éliminer progressivement les substances dangereuses des équipements électriques et électroniques, dès lors que leur emploi pour ces applications n’est plus indispensable.
[...]
(7) La Commission a soumis les mesures prévues par la présente décision au comité institué par l’article 18 de la directive 75/442/CEE [...]. Il ne s’est pas dégagé de majorité qualifiée en faveur de ces mesures. En conséquence, conformément à la procédure prévue à l’article 18 de la directive 75/442/CEE, une proposition de décision du Conseil a été présentée au Conseil le 6 juin 2005. Le Conseil n’ayant pas adopté les mesures proposées à l’expiration du délai prévu à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2002/95/CE ni indiqué qu’il s’opposait à ces mesures conformément à l’article 5, paragraphe 6, de la décision 1999/468/CE du Conseil du 28 juin 1999 fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission [(JO L 184, p. 23)], il convient que la Commission adopte ces mesures.»
14 L’article unique de la décision attaquée prévoit que l’annexe de la directive 2002/95 est modifiée conformément à l’annexe de cette décision.
15 L’annexe de cette dernière dispose:
«L’annexe de la directive 2002/95/CE est modifiée comme suit:
1) Le titre est remplacé par le texte suivant:
‘Utilisations du plomb, du mercure, du cadmium, du chrome hexavalent, des polybromobiphényles (PBB) ou des polybromodiphényléthers (PBDE) qui étaient exemptées des dispositions de l’article 4, paragraphe 1.’;
2) Le point 9 bis suivant est ajouté:
‘9 bis. Le décaBDE dans les applications polymérisées.’
3) Le point 9 ter suivant est ajouté:
‘9 ter. Le plomb dans les coussinets et demi-coussinets en plomb/bronze.’»
Le produit en cause
16 Le décaBDE est un type de retardant de flammes à base de brome faisant partie des PBDE. Il est utilisé principalement en tant que retardant de flammes dans les polymères, en particulier dans ceux utilisés pour les boîtiers d’équipement électrique et électronique et également dans les revêtements textiles.
17 Cette substance a fait l’objet d’évaluations en vertu du règlement n° 793/93. Le Royaume-Uni avait la responsabilité d’évaluer son impact sur l’environnement, tandis que la République française était chargée d’examiner son impact sur la santé humaine.
18 Un premier rapport, le «European Union Risk Assessment Report» (rapport de l’Union européenne d’évaluation des risques) de 2002 (ci-après le «rapport de 2002»), a été soumis au comité scientifique de la toxicité, de l’écotoxicité et de l’environnement (CSTEE) qui a remis un avis.
19 Au mois de mai 2004, le Royaume-Uni a adopté une mise à jour de la section environnementale de la première évaluation des risques du décaBDE, intitulée «Final environmental assessment report for décaBDE» (rapport final d’évaluation des risques pour l’environnement du décaBDE, ci-après le «rapport de 2004»). Ce rapport a été adressé au comité scientifique des risques sanitaires et environnementaux (ci-après le «CSRSE») de la Commission. Ce dernier remplace le CSTEE en vertu de la décision 2004/210/CE de la Commission, du 3 mars 2004, instituant des comités scientifiques dans le domaine de la sécurité des consommateurs, de la santé publique et de l’environnement (JO L 66, p. 45). Le CSRSE a émis un avis le 18 mars 2005.
20 Au mois d’août 2005, le rapporteur du Royaume-Uni a fait circuler un document intitulé «Addendum to the May 2004 Environmental Risk Assessment Report for DecaBDE» (Addendum au rapport d’évaluation des risques pour l’environnement du décaBDE de mai 2004). Ce document a conclu qu’il n’apparaissait pas nécessaire de modifier ce dernier rapport en raison des nouveaux éléments devenus entre-temps disponibles.
Sur l’objet des recours
Argumentation des parties
21 Le Parlement demande l’annulation de la décision attaquée. Le Royaume de Danemark demande l’annulation du point 2 de son annexe et, par voie de conséquence, du point 1.
22 La Commission considère que le Parlement ne motive pas en quoi les points 1 et 3 de l’annexe de la décision attaquée devraient être annulés et demande que le recours soit restreint au point 2 de cette annexe.
23 Le Parlement réplique que le titre figurant audit point 1 fait référence au décaBDE et relève que le point 3 de ladite annexe, relatif à l’exemption du «plomb dans les coussinets et demi-coussinets en plomb/bronze» n’est pas motivé. À titre subsidiaire, le Parlement demande à la Cour de déclarer sa requête recevable pour ce qui concerne les points 1 et 2 de l’annexe de la décision attaquée.
24 Dans son mémoire en duplique dans l’affaire C‑14/06, la Commission signale que l’adoption de sa décision 2005/618/CE, du 18 août 2005, modifiant la directive 2002/95/CE du Parlement européen et du Conseil aux fins de la fixation de valeurs maximales de concentration de certaines substances dans les équipements électriques et électroniques (JO L 214, p. 65), en ce qu’elle s’appliquerait aux impuretés de PBDE et rendrait difficile la commercialisation de décaBDE, pourrait restreindre la portée du litige.
Appréciation de la Cour
25 L’examen du recours du Parlement ne comporte aucun moyen visant spécifiquement le point 3 de l’annexe de la décision attaquée. En revanche, l’annulation de son point 2 pourrait entraîner, par voie de conséquence, l’annulation du point 1.
26 La modification du titre de l’annexe de la directive 2002/95 à laquelle procède ce point 1 en y insérant notamment une référence aux PBDE semble résulter de la nécessité d’assurer une correspondance entre ledit titre et le contenu de cette annexe telle que modifiée par le point 2 susdit.
27 Ce dernier insère en effet dans ladite annexe un nouveau point 9 bis consacré au décaBDE, une substance relevant de la catégorie des PBDE. Il s’ensuit que les points 1 et 2 de l’annexe de la décision attaquée pourraient n’être pas détachables dans la perspective d’une annulation éventuelle dudit point 2. Il y a dès lors lieu de restreindre l’objet du recours du Parlement à ces deux points.
28 S’agissant de l’adoption de la décision 2005/618 qui, selon la Commission, pourrait rendre difficile la commercialisation du décaBDE, il n’apparaît pas qu’elle ait fait perdre aux recours leur objet, dès lors qu’une difficulté de commercialisation n’a pas le même effet qu’une interdiction totale d’utilisation, ce qui serait la conséquence d’une annulation de la décision d’exemption de ce produit.
Sur les recours
29 Le Parlement et le Royaume de Danemark font valoir les moyens suivants, qui peuvent être regroupés et synthétisés comme suit: en premier lieu, ils soutiennent que la Commission, en adoptant la décision attaquée, n’a pas respecté les conditions posées par l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2002/95 et que, ce faisant, celle-ci a excédé les pouvoirs que lui avait délégués le législateur; en deuxième lieu, ils font valoir que la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation en ce qu’elle n’indique aucunement en quoi les conditions prévues à cette disposition seraient remplies; en troisième lieu, ils allèguent que la Commission n’a pas respecté, en adoptant la décision attaquée, le principe de précaution. Par ailleurs, le Parlement soulève un moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité en ce que la décision attaquée a exempté toutes les applications polymérisées du décaBDE.
Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2002/95 ainsi que de l’excès et/ou du détournement de pouvoir
Argumentation des parties
30 Le Parlement et le Royaume de Danemark soutiennent que la Commission n’a pas respecté les conditions posées par l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2002/95 et que, ce faisant, elle a excédé les pouvoirs que lui avait délégués le législateur communautaire.
31 Le Royaume de Danemark rappelle que, lorsque le Parlement et le Conseil confèrent à la Commission des compétences d’exécution conformément à l’article 202 CE, celle-ci doit, en application du principe d’attribution des compétences, s’attacher à respecter les finalités et à appliquer les critères fixés par le législateur communautaire. En l’espèce, la Commission aurait non seulement violé les conditions imposées par la directive 2002/95, mais aussi utilisé les pouvoirs qui lui avaient été délégués pour imposer sa propre évaluation des risques à la place de celle du législateur, commettant ainsi un détournement de pouvoirs.
32 Les requérants considèrent que, dans la mesure où, par son article 4, paragraphe 1, la directive 2002/95 pose le principe de l’interdiction des substances qu’il énumère, la possibilité d’exemption prévue à son article 5, paragraphe 1, sous b), doit être interprétée de manière restrictive. Elle ne pourrait viser que des applications de substances, et non une substance en tant que telle, sous peine de violer l’article 4 de cette directive.
33 À l’appui de cet argument, les requérants citent les autres décisions adoptées sur le fondement de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2002/95, qui ne visent que des applications particulières, ainsi que le quatrième considérant de la décision attaquée, selon lequel «les exemptions accordées pour certains matériaux ou composants spécifiques devraient être de portée limitée».
34 Les requérants relèvent, tout d’abord, que la condition indiquée à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2002/95 qui vise les modifications «nécessaires pour adapter l’annexe au progrès scientifique et technique» n’est pas remplie. Au contraire, les données scientifiques disponibles après l’adoption de cette directive renforceraient les doutes existants quant à la dangerosité du décaBDE.
35 Selon les requérants, la Commission n’a pas non plus démontré que l’une des deux conditions prévues à l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2002/95 était remplie, mais aurait utilisé un critère non prévu par cette directive, et par conséquent illicite, en constatant, au troisième considérant de la décision attaquée, que «l’évaluation des risques réalisée sur le décabromodiphényléther (décaBDE) au titre du règlement (CEE) n° 793/93 [...] a abouti à la conclusion que des mesures autres que celles qui sont déjà appliquées pour réduire les risques que présente cette substance pour les consommateurs sont pour le moment inutiles».
36 Ce faisant, la Commission se serait fondée sur une étude adoptée dans le cadre d’un règlement qui a une philosophie différente, étude qui ne serait pas élaborée dans un objectif de respect du principe de précaution et qui ne viserait pas à déterminer si l’une des conditions prévues à l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2002/95 était remplie. La Commission aurait procédé à une nouvelle appréciation générale du risque et, en exemptant, sur cette base, la substance en cause en tant que telle, aurait contourné la décision du législateur communautaire et ôté l’effet utile de cette directive.
37 Le Royaume de Danemark soutient que la Commission n’a aucunement examiné les possibilités de remplacement du décaBDE alors que de nombreux producteurs ont cessé de l’utiliser et le font valoir dans le cadre de leur politique environnementale. Le deuxième considérant de la décision attaquée, selon lequel «l’élimination de ces substances dangereuses ou leur remplacement [...] reste impraticable», serait à cet égard erroné. La première condition prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2002/95 ne serait donc, en tout état de cause, pas remplie.
38 Le Royaume de Norvège souligne que la Commission a utilisé les conclusions des différents rapports présentés dans le cadre du règlement n° 793/93 de manière sélective, en sous-estimant tant les vives inquiétudes ressortant clairement de ces rapports et des avis des comités scientifiques que la prise de conscience croissante des dangers liés au décaBDE. Au troisième considérant de la décision attaquée, notamment, la Commission ne ferait allusion qu’au risque encouru par les consommateurs, alors que lesdits rapports auraient traité respectivement des travailleurs, des consommateurs et de l’homme exposé indirectement par la voie de l’environnement.
39 La Commission rappelle les difficultés d’adoption de la décision attaquée et soutient que l’article 5 de la directive 2002/95 ne doit pas être interprété de manière restrictive.
40 Elle relève, premièrement, que l’article 4, paragraphe 1, de cette directive, qui interdit l’utilisation de certaines substances dangereuses, est immédiatement suivi de l’article 4, paragraphe 2, de la même directive qui prévoit des exemptions à cette interdiction, et que ces dispositions ont, par conséquent, pour effet d’établir une interdiction dont la portée est plus restreinte qu’elle ne semble l’être.
41 Elle observe, deuxièmement, que l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2002/95 n’a pas pour effet de lui conférer une compétence strictement définie, mais bien de l’obliger à agir si l’une des conditions prévues à l’article 5, paragraphe 1, sous b), de cette directive était remplie, ce qui ne lui laisserait aucune marge d’appréciation.
42 La Commission fait valoir, enfin, que si l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2002/95 constitue la base juridique de la décision attaquée, il convient néanmoins de prendre en considération le point 10 de l’annexe de cette directive. Celui-ci aurait des effets juridiques, en ce qu’il ferait entrer toute action de la Commission concernant le décaBDE dans le champ d’application de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2002/95. En conséquence, elle ne serait pas tenue de démontrer qu’une quelconque de ses actions ayant trait au décaBDE et qui relève du champ d’application de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2002/95 constitue une adaptation au progrès scientifique et technique.
43 À cet égard, le Royaume-Uni ajoute que ce point 10 reflète l’hésitation du législateur communautaire, lequel a reconnu qu’une évaluation complémentaire était justifiée. Cet État membre estime, par ailleurs, que, pour l’évaluation de tels problèmes techniques, la Commission dispose d’une large marge d’appréciation et qu’il conviendrait de démontrer qu’elle a commis une erreur manifeste.
44 La Commission fait valoir que, en l’espèce, la seconde condition prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2002/95 était remplie. Il ressortirait du rapport de 2002 que «aucun essai et/ou informations supplémentaires ou mesure de réduction des risques allant au-delà de celles déjà appliquées ne sont actuellement nécessaires».
45 Cette conclusion aurait été entérinée par le CSTEE ainsi que par la recommandation politique formulée dans le cadre du rapport de 2004, dans laquelle aurait été convenue la mise en œuvre d’un programme volontaire de réduction des émissions en parallèle avec une collecte de données supplémentaires. Le projet d’addendum de 2005 aurait estimé que la conclusion figurant dans le rapport de 2004 ne devait pas être modifiée en fonction des données nouvelles, mais qu’il était recommandé d’étendre les programmes de suivi existants.
46 Eu égard au fait que l’interdiction du décaBDE n’a jamais été envisagée par les avis scientifiques, la Commission n’aurait pas été tenue d’examiner l’incidence des produits de remplacement sur l’environnement, la santé et la sécurité. Ce n’est, en effet, que si une telle interdiction avait été requise qu’il aurait fallu procéder à cet examen. De même, il n’y aurait eu aucune raison de limiter l’exemption à des applications spécifiques du décaBDE.
47 La Commission relève, par ailleurs, qu’elle n’est pas tenue de consulter le CSRSE ou de tenir compte de son avis, dès lors que l’article 7 de la directive 2002/95 prévoit qu’elle est assistée par le comité institué au titre de l’article 18 de la directive 75/442, c’est-à-dire le comité pour l’adaptation au progrès technique.
48 Le Parlement ainsi que le Royaume de Danemark, le Royaume de Suède et le Royaume de Norvège font valoir que le point 10 de l’annexe de la directive 2002/95 n’avait pour effet que de créer une priorité dans le temps, et non de constituer une habilitation ni de créer une procédure d’évaluation séparée de celle déjà prévue par la directive 2002/95. Cette interprétation du point 10 de celle-ci serait confortée par le contexte dans lequel cette directive a été adoptée.
49 En réponse à l’argument du Royaume-Uni selon lequel la Commission disposerait d’une large marge d’appréciation pour évaluer de tels problèmes techniques, le Parlement souligne que ses moyens tirés d’une violation du principe de précaution, du principe de proportionnalité et d’une obligation de motivation constituent des moyens autonomes et subsidiaires à son premier moyen, qui porte sur l’obligation, pour la Commission, de respecter les conditions et les limites de ses compétences d’exécution.
Appréciation de la Cour
50 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 7, paragraphe 1, second alinéa, CE, les institutions de la Communauté ne peuvent agir que dans les limites des attributions qui leur sont conférées par le traité CE (arrêt du 23 octobre 2007, Parlement/Commission, C‑403/05, non encore publié au Recueil, point 49).
51 Aux termes de l’article 202, troisième tiret, CE, en vue d’assurer la réalisation des objets fixés par le traité et dans les conditions prévues par celui-ci, le Conseil confère à la Commission, dans les actes qu’il adopte, les compétences d’exécution des règles qu’il établit. Le Conseil peut soumettre l’exercice de ces compétences à certaines modalités et il peut également se réserver, dans des cas spécifiques, d’exercer directement des compétences d’exécution (arrêt Parlement/Commission, précité, point 50).
52 Dans le cadre de ces compétences, dont les limites s’apprécient notamment en fonction des objectifs généraux essentiels de la réglementation en cause, la Commission est autorisée à adopter toutes les mesures d’application nécessaires ou utiles pour la mise en œuvre de la réglementation de base, pour autant qu’elles ne soient pas contraires à celle-ci (voir, en ce sens, arrêts du 17 octobre 1995, Pays-Bas/Commission, C‑478/93, Rec. p. I‑3081, points 30 et 31; du 19 novembre 1998, Portugal/Commission, C‑159/96, Rec. p. I‑7379, points 40 et 41, ainsi que Parlement/Commission, précité, point 51).
53 La décision attaquée étant fondée sur la directive 2002/95 et, notamment, sur son article 5, paragraphe 1, sous b), il convient d’examiner cette disposition.
54 L’article 5 de la directive 2002/95 traite des modifications de l’annexe de celle-ci. Selon l’article 4, paragraphe 2, de cette directive, ladite annexe comprend la liste des applications auxquelles ne s’applique pas l’interdiction de la mise sur le marché d’équipements électriques et électroniques contenant du plomb, du mercure, du cadmium, du chrome hexavalent, du PBB ou du PBDE telle que prévue à l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive.
55 L’article 5 de la directive 2002/95 est intitulé «Adaptation au progrès scientifique et technique». Il résulte de la partie introductive de son paragraphe 1 que, afin d’adapter l’annexe de cette directive au progrès scientifique et technique et de la modifier, en conséquence, aux fins prévues aux points a) à c) dudit paragraphe 1, la procédure visée à l’article 7, paragraphe 2, de la même directive doit être respectée.
56 L’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2002/95 est spécifique à l’exemption des matériaux et composants d’équipements électriques et électroniques de l’interdiction visée à l’article 4, paragraphe 1, de la directive. Une telle exemption ne peut intervenir que si l’une ou l’autre des deux conditions énoncées est remplie, c’est-à-dire soit si leur élimination ou leur remplacement sur la base de modifications de la conception ou de matériaux et de composants ne nécessitant aucun des matériaux ou substances visés audit paragraphe est techniquement ou scientifiquement impraticable, soit s’il est probable que les incidences négatives sur l’environnement, sur la santé et/ou sur la sécurité du consommateur liées à la substitution l’emportent sur les bénéfices qui en découlent pour l’environnement, la santé et/ou la sécurité du consommateur.
57 Aucune indication de texte ne permet de penser que cette condition alternative d’exemption figurant à l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2002/95 peut être interprétée indépendamment de l’intitulé de l’article 5 et du texte de la partie introductive du paragraphe 1 de cet article. Au contraire, dès lors que la directive 2002/95 ne comprend qu’une seule annexe et que celle-ci énumère seulement les matériaux et composants exemptés, une extension de cette liste impose que soit remplie la condition de nécessité de la modification pour adapter cette annexe au progrès scientifique et technique, en sus de l’une des deux conditions énoncées à l’article 5, paragraphe 1, sous b), de cette directive.
58 Partant, si les conditions de la partie introductive du paragraphe 1 de l’article 5 de la directive 2002/95 ou l’une de celles édictées à l’article 5, paragraphe 1, sous b), ne sont pas remplies, la mise sur le marché des équipements électriques et électroniques en cause ne saurait être soustraite à l’interdiction énoncée à l’article 4, paragraphe 1, de cette directive.
59 À cet égard, force est de constater que, excepté la condition relative à l’assistance du comité visé à l’article 7 de la directive 2002/95, les autres conditions de l’article 5, paragraphe 1, de cette directive n’ont pas été respectées par la Commission lors de l’adoption de la décision attaquée.
60 En effet, cette dernière a été adoptée en tenant compte des conclusions du rapport de 2002, conclusions non modifiées par les rapports de 2004 et de 2005. Il s’ensuit que, eu égard à la date à laquelle cette directive a été adoptée, le 27 janvier 2003, la condition de la nécessité de l’adaptation de l’annexe de celle-ci au progrès scientifique et technique, visée à la partie introductive de l’article 5, paragraphe 1, de ladite directive n’était pas remplie.
61 La Commission fait valoir que la mention du décaBDE au point 10 de l’annexe de la directive 2002/95 la dispense de démontrer qu’une quelconque de ses actions ayant trait au décaBDE et qui relève du champ d’application de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2002/95 constitue une adaptation au progrès scientifique et technique. Quand bien même cela serait-il le cas, force est de constater que cela ne la dispense pas d’établir que l’une des conditions énoncées à l’article 5, paragraphe 1, sous b), de cette même directive était remplie.
62 Dans ses écrits, la Commission soutient à cet égard que, en l’espèce, c’est la seconde condition prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2002/95 qui est remplie, dès lors que les différents rapports d’évaluation indiquaient qu’il n’était pas nécessaire d’appliquer d’autres mesures de réduction des risques que celles qui l’étaient déjà. Il résulterait du troisième considérant de la décision attaquée, lequel considérant aurait, selon la Commission, été rédigé par le Conseil, que cette condition a été respectée.
63 Il convient, cependant, de relever que ni le troisième considérant de la décision attaquée ni la conclusion des rapports à laquelle la Commission fait allusion ne démontrent que la seconde condition visée à l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2002/95 serait remplie.
64 En effet, ces rapports n’examinent en aucune manière les possibilités de substitution du décaBDE ni, par conséquent, les incidences négatives que ces possibilités de substitution pourraient avoir. Selon les déclarations du Parlement à l’audience, qui n’ont pas été contestées par la Commission, ce ne serait qu’au mois de juin 2006 que celle-ci a demandé une étude relative aux possibilités de remplacement du décaBDE.
65 La Commission et le Royaume-Uni estiment, toutefois, que l’article 5 de la directive 2002/95 doit être replacé dans le contexte de l’adoption de celle-ci, qu’il doit être lu à la lumière de l’article 4, paragraphe 2, de cette même directive, cette dernière disposition ne devant pas être interprétée de manière restrictive, que le point 10 de l’annexe de ladite directive imposait à la Commission d’agir comme elle l’a fait et que cette dernière disposait d’une large marge d’appréciation.
66 Certes, ainsi que le relèvent la Commission et le Royaume-Uni, le point 10 de l’annexe de la directive 2002/95 prévoit que la Commission évalue les applications relatives, notamment, au décaBDE en priorité «afin de déterminer dès que possible si ces points doivent être modifiés en conséquence». Toutefois, rien dans la directive 2002/95 ne permet de conforter la thèse selon laquelle cette disposition permettrait à la Commission de ne pas respecter les conditions de l’article 5, paragraphe 1, de cette directive, conclusion d’ailleurs admise par la Commission à l’audience.
67 En effet, selon une jurisprudence constante, pour l’interprétation d’une disposition de droit communautaire, il importe de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir, notamment, arrêts du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C‑156/98, Rec. p. I‑6857, point 50, et du 7 décembre 2006, SGAE, C‑306/05, Rec. p. I‑11519, point 34).
68 Il y a lieu, tout d’abord, de relever qu’il résulte du libellé de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/95 que l’utilisation des PBDE, une catégorie de substances dont relève le décaBDE, est interdite dans les équipements électriques et électroniques à compter du 1er juillet 2006.
69 Certes, selon le paragraphe 2 de cet article, cette interdiction ne s’applique pas aux applications énumérées à l’annexe de ladite directive. Toutefois, ainsi qu’il ressort du libellé du point 10 de cette annexe, le décaBDE y est mentionné non pas en tant que substance exemptée, mais en tant que substance devant faire l’objet d’une évaluation par la Commission dans le cadre de la procédure visée à l’article 7, paragraphe 2, de ladite directive. Or, la modification de l’annexe à la directive 2002/95 conformément à cette procédure aux fins d’exempter des matériaux et composants d’équipements électriques et électroniques exige, selon le libellé clair et précis de l’article 5, paragraphe 1, de ladite directive, que soient remplies les conditions figurant à cette disposition, lesquelles ne se réfèrent en rien au point 10 de l’annexe de cette directive.
70 Ainsi que l’ont fait valoir à juste titre le Parlement, le Royaume de Danemark, le Royaume de Suède et le Royaume de Norvège, le point 10 de l’annexe de la directive 2002/95 n’avait dès lors pour effet que de créer une priorité dans le temps et non de constituer une habilitation ni de créer une procédure d’évaluation séparée de celle déjà prévue par cette directive.
71 Examinant ensuite l’article 5 de ladite directive dans son contexte, il importe de rappeler que ce dernier précise les conditions d’exemption au principe d’interdiction imposé par l’article 4, paragraphe 1, de cette directive et doit, dès lors, être interprété de manière stricte.
72 Or, ainsi que l’ont souligné les requérants, l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2002/95 ne prévoit une possibilité d’exemption que pour les applications de substances et non pour une substance en tant que telle.
73 À cet égard, la Commission n’a pas contesté l’argument des requérants selon lequel, le décaBDE étant principalement utilisé dans les polymères, l’exemption «dans les applications polymérisées», telle que visée à la décision attaquée, équivaut à une exemption généralisée de l’utilisation du décaBDE dans les équipements électriques et électroniques. Elle a indiqué, à l’audience, que le décaBDE pouvait être utilisé dans les textiles, mais il y a lieu de constater que ceux-ci ne sont pas visés à la directive 2002/95 qui, ainsi que son titre l’indique, ne concerne que les équipements électriques et électroniques.
74 Enfin, s’agissant des objectifs de la directive 2002/95, il ressort de ses cinquième, sixième et onzième considérants que la volonté du législateur communautaire est d’interdire les produits visés à ladite directive et de n’accorder des exemptions qu’à des conditions définies avec précision.
75 Un tel objectif, conforme à l’article 152 CE, selon lequel un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de la Communauté (voir, à cet égard, arrêt du 12 janvier 2006, Agrarproduktion Staebelow, C‑504/04, Rec. p. I‑679, point 39), ainsi qu’à l’article 174, paragraphe 2, CE, selon lequel la politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé et est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive (voir, arrêt du 7 septembre 2004, Waddenvereniging et Vogelbeschermingsvereniging, C‑127/02, Rec. p. I‑7405, point 44), justifie cette interprétation stricte des conditions d’exemption.
76 En l’espèce, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’étendue de la marge d’appréciation de la Commission, il suffit de constater que la décision attaquée, qui équivaut à une exemption généralisée de l’utilisation du décaBDE dans les équipements électriques et électroniques, a été adoptée sans que soient respectées les conditions imposées par le législateur communautaire à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2002/95 et va à l’encontre de l’objectif poursuivi par ce législateur d’établir le principe de l’interdiction des composants visés à cette directive.
77 La Commission et le Royaume-Uni invoquent encore l’existence d’un programme de réduction volontaire des émissions, mentionné au troisième considérant de la décision attaquée. Un tel programme n’est cependant pas pertinent au regard des conditions de délégation de compétence imposées par la directive 2002/95.
78 Il résulte des différents éléments susmentionnés que, en adoptant la décision attaquée en ce qu’elle concerne l’exemption du décaBDE, la Commission a violé l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2002/95.
79 Eu égard à cette conclusion, il n’y a pas lieu de se prononcer sur les qualifications d’excès et/ou de détournement de pouvoirs invoquées dans le cadre du premier moyen.
Sur les deuxième à quatrième moyens
80 Le premier moyen étant fondé, il n’apparaît pas nécessaire d’examiner les deuxième à quatrième moyens.
81 Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’annuler le point 2 de l’annexe de la décision attaquée. Il appartient à la Commission de vérifier si, par voie de conséquence, il est nécessaire d’adapter le titre de l’annexe de la directive 2002/95 dont il est question au point 1 de l’annexe de la décision attaquée.
Sur le maintien des effets de la disposition annulée
82 À l’audience, la Commission et le Royaume-Uni ont demandé à la Cour, dans le cas où celle-ci annulerait les dispositions contestées de la décision attaquée, d’en maintenir les effets pendant à tout le moins neuf mois, qui était le délai d’adaptation dont les entreprises produisant ou utilisant du décaBDE auraient bénéficié si, en octobre 2005, la Commission avait décidé de ne pas exempter le décaBDE et que ce produit avait fait l’objet de l’interdiction prévue à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/95.
83 Les parties requérantes et les autres parties intervenantes se sont opposées à une telle demande au motif qu’elle aurait dû être formulée dans les mémoires écrits et que, en tout état de cause, les entreprises concernées devaient savoir, après l’adoption de la directive 2002/95, que le décaBDE avait été interdit par le législateur communautaire.
84 Aux termes de l’article 231, second alinéa, CE, la Cour peut, si elle l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets d’un règlement annulé qui doivent être considérés comme définitifs. Une telle disposition est susceptible de s’appliquer également à une décision adoptée à l’effet de modifier une annexe contenue dans une directive (à propos de la directive elle-même, voir en ce sens, notamment, arrêt du 5 juillet 1995, Parlement/Conseil, C-21/94, Rec. p. I-1827, point 31).
85 Compte tenu du libellé de cette disposition dont il résulte que, si elle l’estime nécessaire, la Cour pourrait, même d’office, limiter l’effet d’annulation de son arrêt, il n’y a pas lieu de se prononcer sur les conséquences du caractère prétendument tardif de la demande de la Commission et du Royaume-Uni.
86 Dans la présente affaire, en tenant compte du fait que le litige est dû essentiellement à la manière dont la directive 2002/95 a été rédigée, notamment à la relation particulièrement complexe entre les articles 4 et 5 de celle-ci et le point 10 de son annexe, ainsi que du fait que la Commission a adopté la décision attaquée le 13 octobre 2005, soit neuf mois avant que l’interdiction du décaBDE ne devienne effective, le 1er juillet 2006, il y a lieu, afin de tenir compte des intérêts des entreprises concernées, de maintenir, pour des motifs de sécurité juridique, les effets de la disposition annulée pour une période d’adaptation strictement nécessaire, à savoir jusqu’au 30 juin 2008.
Sur les dépens
87 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Parlement et le Royaume de Danemark, dans l’affaire C‑295/06, ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il convient de la condamner aux dépens du Parlement et du Royaume de Danemark dans l’affaire C‑295/06.
88 Le Royaume de Danemark, dans l’affaire C‑14/06, la République portugaise, la République de Finlande, le Royaume de Suède et le Royaume de Norvège, d’une part, ainsi que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, d’autre part, qui sont intervenus au soutien des conclusions présentées par les requérants, pour les premiers, et par la défenderesse, pour le dernier, supportent, conformément à l’article 69, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement, leurs propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:
1) Le point 2 de l’annexe de la décision 2005/717/CE de la Commission, du 13 octobre 2005, modifiant, aux fins de son adaptation au progrès technique, l’annexe de la directive 2002/95/CE du Parlement européen et du Conseil relative à la limitation de l’utilisation de certaines substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques, est annulé.
2) Les effets du point 2 de l’annexe de la décision 2005/717 sont maintenus jusqu’au 30 juin 2008 inclus.
3) La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens du Parlement européen et du Royaume de Danemark dans l’affaire C‑295/06.
4) Le Royaume de Danemark, dans l’affaire C‑14/06, la République portugaise, la République de Finlande, le Royaume de Suède, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ainsi que le Royaume de Norvège supportent leurs propres dépens.
Signatures
* Langues de procédure: l’anglais et le danois.