Parties
Motifs de l'arrêt
Dispositif

Parties

Dans l’affaire C‑158/06,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le College van Beroep voor het bedrijfsleven (Pays-Bas), par décision du 16 mars 2006, parvenue à la Cour le 23 mars 2006, dans la procédure

Stichting ROM-projecten

contre

Staatssecretaris van Economische Zaken ,

LA COUR (première chambre),

composée de M. R. Schintgen, président de la cinquième chambre, faisant fonction de président de la première chambre, MM. A. Tizzano, A. Borg Barthet, M. Ilešič (rapporteur) et E. Levits, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: M me M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1 er février 2007,

considérant les observations présentées:

– pour Stichting ROM-projecten, par M e J. Roeleveld, advocaat,

– pour le gouvernement néerlandais, par M me C. ten Dam, en qualité d’agent,

– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. L. Flynn et A. Weimar, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 mars 2007,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6 de la décision C(95) 1753 de la Commission, du 16 octobre 1995, concernant l’octroi d’un concours du Fonds européen de développement régional (FEDER) et du Fonds social européen (FSE) pour un programme opérationnel dans le cadre de l’initiative communautaire PME au bénéfice de zones éligibles au titre des objectifs 1 et 2 aux Pays-Bas (ci-après la «décision d’octroi») et de l’article 249 CE.

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la fondation de droit néerlandais Stichting ROM-projecten (ci-après «ROM-projecten») au Staatssecretaris van Economische Zaken (secrétaire d’État aux affaires économiques, ci-après le «secrétaire d’État»), au sujet de la suppression et de la demande de remboursement d’un concours financier octroyé dans le cadre de l’initiative communautaire en faveur des petites et moyennes entreprises.

Le cadre juridique

3. Le 1 er juillet 1994, la Commission des Communautés européennes a publié la communication aux États membres fixant les principes directeurs des programmes opérationnels ou des subventions globales que les États membres sont invités à proposer dans le cadre d’une initiative communautaire sur l’adaptation des petites et moyennes entreprises au marché unique (JO C 180, p. 10).

4. La décision d’octroi énonce:

« Article 1 er

Le programme opérationnel PME Pays-Bas, arrêté pour la période du 30 novembre 1994 au 31 décembre 1999 et décrit dans les annexes, qui comporte un ensemble cohérent de mesures pluriannuelles dans le cadre de l’initiative communautaire PME, au bénéfice des zones éligibles au titre des objectifs 1 et 2 aux Pays-Bas, est approuvé.

[…]

Article 6

Le concours communautaire concerne les dépenses liées aux opérations couvertes par ce programme qui auront fait l’objet, dans l’État membre concerné, de dispositions juridiques obligatoires et pour lesquelles les moyens financiers nécessaires auront été spécifiquement engagés au plus tard le 31 décembre 1999. La date limite pour la prise en compte des dépenses pour ces actions est fixée au 31 décembre 2001.

[…]

Article 9

Le Royaume des Pays-Bas est destinataire de la présente décision.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

5. Par lettre du 31 août 1999, ROM-projecten a demandé au secrétaire d’État l’octroi d’une subvention dans le cadre du programme opérationnel PME Pays-Bas, au titre du projet «Kenniskaart Medische Technologie en Life Sciences» (carte de connaissance en technologie médicale et sciences de la vie).

6. Par décision du 29 décembre 1999, le secrétaire d’État a accordé à ROM-projecten une subvention dans le cadre dudit programme, plafonnée à 200 000 NLG. Entre autres conditions, il était prévu que ledit projet devait avoir été réalisé au 31 décembre 2000 et que les dépenses effectuées avant le 1 er  janvier 2000 et après le 31 décembre de la même année ne seraient pas éligibles.

7. À la demande de ROM-projecten, le secrétaire d’État a versé à cette dernière, tant en 2000 qu’en 2001, une avance de 80 000 NLG.

8. Par décision du 11 juillet 2002, le secrétaire d’État a fait savoir à ROM-projecten qu’elle n’avait pas respecté la condition posée à l’article 6 de la décision d’octroi, selon laquelle les engagements devaient avoir été pris par le bénéficiaire de la subvention au plus tard le 31 décembre 1999 (ci-après la «condition de délai»). La question de savoir si la subvention devait en conséquence être ramenée à zéro a été soumise par le secrétaire d’État à la Commission, ce à quoi les services de cette dernière auraient de façon informelle répondu par la négative. Dans l’attente d’une confirmation formelle de la position de la Commission, le secrétaire d’État a, sous toutes réserves, fixé la subvention à 69 788 NLG. Il a également invité ROM-projecten à rembourser la somme de 90 212 NLG.

9. Par décision du 27 février 2003, le secrétaire d’État a fixé la subvention à zéro et invité ROM-projecten à rembourser également la somme de 69 788 NLG, au motif que la Commission considérait que les engagements devaient avoir été pris par le bénéficiaire de la subvention au plus tard le 31 décembre 1999.

10. Par décision du 26 mai 2003, le secrétaire d’État a rejeté la réclamation introduite à l’encontre des décisions des 11 juillet 2002 et 27 février 2003.

11. Par jugement du 23 janvier 2004, le Rechtbank te Roermond a annulé la décision du 26 mai 2003. Il a enjoint au secrétaire d’État d’adopter une nouvelle décision sur la réclamation dont il était saisi.

12. Par décision du 16 août 2004, le secrétaire d’État a fixé le montant de la subvention à zéro et exigé le remboursement de 72 604,84 euros, au motif que ROM-projecten n’avait pas respecté la condition de délai.

13. Saisi du recours introduit par ROM-projecten contre cette décision, le College van Beroep voor het bedrijfsleven se demande si le secrétaire d’État pouvait opposer à ROM-projecten le fait que cette dernière n’avait pas satisfait à cette condition. À cet égard, il relève que, en droit néerlandais, une telle condition ne peut être opposée au bénéficiaire d’une subvention que s’il a été informé de celle-ci à l’avance. Cette règle découlerait tant du principe de sécurité juridique que de la législation néerlandaise. Or, en l’espèce, ladite condition ne figure ni dans la décision du 29 décembre 1999 prise par le secrétaire d’État ni dans les conditions annexées à cette dernière. Elle n’apparaît pas non plus dans le formulaire de demande de subvention ni dans la note d’instructions qui accompagne celui-ci.

14. La juridiction de renvoi en déduit que, du point de vue du seul droit néerlandais, la condition de délai ne peut être opposée à ROM-projecten. Elle se demande toutefois si cette condition peut être opposée à ROM-projecten en vertu du droit communautaire.

15. C’est dans ces circonstances que le College van Beroep voor het bedrijfsleven a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) L’article 6 de la décision [d’octroi] constitue-t-il une disposition inconditionnelle et suffisamment précise pour être directement applicable dans l’ordre juridique national?

2) En cas de réponse affirmative à la première question:

L’article 249 CE doit-il être interprété en ce sens que l’article 6 de la décision précitée imposait directement au justiciable ayant la qualité de bénéficiaire final de prendre des dispositions juridiques obligatoires et d’engager spécifiquement les moyens financiers nécessaires au plus tard le 31 décembre 1999?

3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question:

Considéré[e] à la lumière des principes du droit communautaire, [l’obligation pour les États membres de prendre les mesures nécessaires pour récupérer les fonds perdus à la suite d’une irrégularité], laisse-t-[elle] aux États membres une marge d’appréciation leur permettant de renoncer à la récupération pour violation d’une disposition lorsque le bénéficiaire de la subvention n’avait pas connaissance de cette disposition et que cette ignorance ne peut lui être reprochée?»

Sur les questions préjudicielles

Considérations liminaires

16. Dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 234 CE, il appartient à celle-ci de donner au juge de renvoi une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêt du 23 mars 2006, FCE Bank, C-210/04, Rec. p. I-2803, point 21 et jurisprudence citée).

17. En l’espèce, la juridiction de renvoi a posé sa troisième question à titre subsidiaire, à savoir dans l’hypothèse où les première et deuxième questions seraient, au préalable, examinées et qu’une réponse affirmative serait apportée à ces dernières.

18. Force est de constater que la troisième question peut également être examinée de façon autonome et qu’une réponse affirmative à celle-ci rendrait les première et deuxième questions inopérantes. En effet, à supposer que les conditions d’octroi du concours, dont la condition de delai, doivent être considérées comme étant, en tout état de cause, non opposables au bénéficiaire final au motif qu’elles ne lui ont pas été communiquées, il n’y aurait pas lieu d’examiner si ladite condition de délai est inconditionnelle, suffisamment précise et susceptible d’imposer directement des obligations audit bénéficiaire.

19. Dès lors, il est opportun d’examiner la troisième question en premier lieu et de la reformuler comme suit:

«Lorsque les conditions d’octroi d’un concours financier accordé par la Communauté à un État membre sont énoncées dans la décision d’octroi mais n’ont été ni publiées ni communiquées par cet État membre au bénéficiaire final du concours, le droit communautaire s’oppose-t-il à ce qu’il soit fait application du principe de sécurité juridique aux fins d’exclure le remboursement par ledit bénéficiaire de montants indûment versés?»

Sur la troisième question

Observations soumises à la Cour

20. ROM-projecten soutient qu’elle n’avait pas connaissance de l’article 6 de la décision d’octroi et qu’il ne saurait lui être fait grief de cette ignorance. Par conséquent, les principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique feraient obstacle au remboursement du concours financier dont elle a bénéficié. En effet, le droit communautaire ne s’opposerait pas à ce qu’il soit fait application desdits principes aux fins d’exclure un tel remboursement, à condition que l’intérêt de la Communauté soit pris en compte et que la bonne foi du bénéficiaire soit établie.

21. Le gouvernement néerlandais souligne que le droit communautaire doit être connu des justiciables et que son application doit être prévisible pour ces derniers. Il en déduit que la condition de délai ne peut pas être opposée à ROM-projecten, celle-ci n’en ayant pas été informée.

22. La Commission estime, elle aussi, que la condition de délai ne saurait être opposée à ROM-projecten. La juridiction de renvoi ayant constaté que cette condition n’a pas été portée à la connaissance de ROM-projecten et que l’ignorance de cette dernière ne saurait lui être reprochée, le principe de sécurité juridique s’opposerait à ce que ladite condition soit invoquée à l’encontre de ROM-projecten.

Réponse de la Cour

23. Il ressort de la jurisprudence de la Cour que les litiges relatifs à la récupération de montants indûment versés en vertu du droit communautaire doivent, en l’absence de dispositions communautaires, être tranchés par les juridictions nationales, en application de leur droit national, sous réserve des limites qu’impose le droit communautaire en ce sens que les modalités prévues par le droit national ne peuvent aboutir à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile la récupération des aides indues et que l’application de la législation nationale doit se faire d’une façon non discriminatoire par rapport aux procédures visant à trancher des litiges nationaux du même type (arrêts du 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor e.a., 205/82 à 215/82, Rec. p. 2633, point 19; du 12 mai 1998, Steff-Houlberg Export e.a., C-366/95, Rec. p. I-2661, point 15, et du 19 septembre 2002, Huber, C-336/00, Rec. p. I-7699, point 55).

24. Ainsi, il ne saurait être considéré comme contraire au droit communautaire que le droit national, en matière de retrait d’actes administratifs et de répétition de prestations financières indûment versées par l’administration publique, prenne en considération, en même temps que le principe de légalité, le principe de sécurité juridique, étant donné que ce dernier fait partie de l’ordre juridique communautaire (arrêts Deutsche Milchkontor e.a., précité, point 30; du 9 octobre 2001, Flemmer e.a., C-80/99 à C-82/99, Rec. p. I-7211, point 60, et Huber, précité, point 56).

25. En particulier, ce principe de sécurité juridique exige qu’une réglementation communautaire permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose (arrêts du 1 er octobre 1998, Royaume-Uni/Commission, C-209/96, Rec. p. I-5655, point 35; du 20 mai 2003, Consorzio del Prosciutto di Parma et Salumificio S. Rita, C-108/01, Rec. p. I-5121, point 89, et du 21 février 2006, Halifax e.a., C-255/02, Rec. p. I-1609, point 72). Les justiciables doivent, en effet, pouvoir connaître sans ambiguïté leurs droits et obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (arrêts du 13 février 1996, Van Es Douane Agenten, C-143/93, Rec. p. I-431, point 27, et du 26 octobre 2006, Koninklijke Coöperatie Cosun, C-248/04, Rec. p. I-10211, point 79).

26. Cet impératif de sécurité juridique s’impose avec une rigueur particulière en présence d’une réglementation susceptible de comporter des conséquences financières (arrêts du 16 mars 2006, Emsland-Stärke, C-94/05, Rec. p. I-2619, point 43, et Koninklijke Coöperatie Cosun, précité, point 79).

27. En l’espèce, tout d’abord, ainsi qu’il ressort de l’article 9 de la décision d’octroi, le Royaume des Pays-Bas est le seul destinataire de cette décision. Or, nonobstant le fait que ladite décision n’a pas été publiée et qu’elle était donc connue d’elles seules, les autorités néerlandaises se sont abstenues de communiquer les conditions d’octroi énoncées dans cette dernière à ROM-projecten.

28. En outre, en accordant une subvention dans le cadre de la décision d’octroi à ROM-projecten le 29 décembre 1999, à savoir deux jours seulement avant l’expiration du délai fixé à l’article 6 de cette décision, sans que ROM-projecten soit informée de ce délai, le secrétaire d’État a créé une situation aboutissant presque nécessairement au non-respect des conditions d’octroi.

29. Force est de constater que, dans de telles circonstances, le bénéficiaire final d’un concours financier communautaire n’est pas en mesure de connaître sans ambiguïté ses droits et obligations et de prendre ses dispositions en conséquence.

30. Ainsi que ROM-projecten, le gouvernement néerlandais et la Commission l’ont fait valoir, dans une telle situation, caractérisée par l’ignorance dans laquelle se trouvait le bénéficiaire final des conditions énoncées dans la décision d’octroi, le principe de sécurité juridique s’oppose à ce que ces conditions soient invoquées à l’encontre de ce dernier.

31. Ce n’est cependant qu’à la condition que ledit bénéficiaire ait été de bonne foi quant à la régularité de l’emploi du concours financier qu’il est en mesure d’en contester la suppression et le remboursement. Il appartient à la juridiction nationale d’examiner si cette condition est remplie (voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 1998, Oelmühle et Schmidt Söhne, C‑298/96, Rec. p. I-4767, point 29, et Huber, précité, point 58).

32. Il y a lieu, enfin, de rappeler que lorsque le principe de sécurité juridique s’oppose à ce que le bénéficiaire d’un concours financier communautaire soit tenu de rembourser celui-ci, l’intérêt de la Communauté à la récupération de ce concours doit néanmoins être pris en considération (arrêt Huber, précité, point 57).

33. Dans une situation telle que celle décrite dans l’affaire au principal, où l’absence de remboursement du concours par le bénéficiaire est due à une négligence commise par les autorités nationales, il résulte du principe de coopération énoncé à l’article 10 CE que l’État membre concerné peut être tenu financièrement responsable des sommes non récupérées afin de rendre effectif le droit de la Communauté à obtenir le remboursement du montant du concours.

34. Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre à la troisième question que lorsque les conditions d’octroi d’un concours financier accordé par la Communauté à un État membre sont énoncées dans la décision d’octroi, mais n’ont été ni publiées ni communiquées par cet État membre au bénéficiaire final du concours, le droit communautaire ne s’oppose pas à ce qu’il soit fait application du principe de sécurité juridique aux fins d’exclure le remboursement par ce bénéficiaire de montants indûment versés, à condition que soit établie la bonne foi dudit bénéficiaire. Dans un tel cas, l’État membre concerné peut être tenu financièrement responsable des sommes non récupérées afin de rendre effectif le droit de la Communauté à obtenir le remboursement du montant du concours.

Sur les première et deuxième questions

35. Compte tenu de la réponse donnée à la troisième question, il n’y a plus lieu de répondre à la question de savoir si la condition de délai est inconditionnelle et suffisamment précise pour être directement applicable dans l’ordre juridique national ni à celle de savoir si ladite condition est susceptible d’imposer directement des obligations au bénéficiaire final du concours financier.

Sur les dépens

36. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Dispositif

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

Lorsque les conditions d’octroi d’un concours financier accordé par la Communauté à un État membre sont énoncées dans la décision d’octroi, mais n’ont été ni publiées ni communiquées par cet État membre au bénéficiaire final du concours, le droit communautaire ne s’oppose pas à ce qu’il soit fait application du principe de sécurité juridique aux fins d’exclure le remboursement par ce bénéficiaire de montants indûment versés, à condition que soit établie la bonne foi dudit bénéficiaire. Dans un tel cas, l’État membre concerné peut être tenu financièrement responsable des sommes non récupérées afin de rendre effectif le droit de la Communauté à obtenir le remboursement du montant du concours.