Parties
Motifs de l'arrêt
Dispositif
Dans l’affaire C-60/05,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (Italie), par décision du 14 décembre 2004, parvenue à la Cour le 10 février 2005, dans la procédure
WWF Italia e.a.
contre
Regione Lombardia,
en présence de:
Associazione migratoristi italiani
LA COUR (deuxième chambre)
composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, M. J. Makarczyk, M me R. Silva de Lapuerta (rapporteur), MM. P. Kūris et J. Klučka, juges,
avocat général: M. L. A. Geelhoed,
greffier: M me K. Sztranc, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 décembre 2005,
considérant les observations présentées:
– pour le WWF Italia et la Lega per l’abolizione de la caccia, par M e C. Linzola, avvocato,
– pour la Regione Lombardia, par M es P. D. Vivone et S. Gallonetto, avvocati,
– pour l’Associazione migratoristiitaliani, par M es I. Gorlani et S. A. Pappas, avvocati,
– pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. A. Cingolo, avvocato dello Stato,
– pour la Commission des Communautés européennes, par M. M. van Beek et M me D. Recchia, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 février 2006,
rend le présent
Arrêt
1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 9 de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO L 103, p. 1, ci-après la «directive»).
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige qui oppose l’association WWF Italia et trois autres associations à la Regione Lombardia au sujet du prélèvement cynégétique des espèces pinson des arbres (Fringilla coelebs) et pinson du Nord (Fringilla montifringilla) pour la saison de chasse 2003/2004.
Le cadre juridique
Le droit communautaire
3. Conformément à son article 1 er , la directive a pour objet la protection, la gestion et la régulation de toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage, et vise à en réglementer l’exploitation.
4. À cette fin, la directive impose aux États membres d’instaurer un régime général de protection comprenant, notamment, l’interdiction de tuer, de capturer ou de perturber les oiseaux visés à l’article 1 er et de détruire leurs nids.
5. L’article 9 de la directive autorise toutefois certaines dérogations dans les termes suivants:
«1. Les États membres peuvent déroger aux articles 5, 6, 7 et 8 s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pour les motifs ci-après:
a) – dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques,
– dans l’intérêt de la sécurité aérienne,
– pour prévenir les dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux pêcheries et aux eaux,
– pour la protection de la flore et de la faune;
b) pour des fins de recherche et d’enseignement, de repeuplement, de réintroduction ainsi que pour l’élevage se rapportant à ces actions;
c) pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités.
2. Les dérogations doivent mentionner:
– les espèces qui font l’objet des dérogations,
– les moyens, installations ou méthodes de capture ou de mise à mort autorisés,
– les conditions de risque et les circonstances de temps et de lieu dans lesquelles ces dérogations peuvent être prises,
– l’autorité habilitée à déclarer que les conditions exigées sont réunies, à décider quels moyens, installations ou méthodes peuvent être mis en œuvre, dans quelles limites et par quelles personnes,
– les contrôles qui seront opérés.
[…]»
Le droit interne
6. L’article 9 de la directive a été transposé dans l’ordre juridique italien par l’article 19 bis de la loi n° 157/1992, du 11 février 1992, sur la faune sauvage homéotherme et le prélèvement cynégétique (legge 11 febbraio 1992, n. 157, Norme per la protezione della fauna selvatica omeoterma e per il prelievo venatorio, supplément ordinaire à la GURI n° 46, du 25 février 1992), telle que modifiée par la loi n° 221, du 3 octobre 2002 (GURI n° 239, du 11 octobre 2002, ci-après la «loi n° 157/1992»), qui dispose:
«1. Les régions réglementent l’exercice des dérogations prévues par la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, en se conformant aux prescriptions de l’article 9, aux principes et aux finalités des articles 1 er et 2 de ladite directive ainsi qu’aux dispositions de la présente loi.
2. Les dérogations, en l’absence d’autres solutions satisfaisantes, ne peuvent être accordées que pour les finalités visées à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 79/409/CEE et doivent mentionner les espèces qui en font l’objet, les moyens, les installations et les méthodes de prélèvement autorisés, les conditions de risque, les circonstances de temps et de lieu du prélèvement, le nombre d’animaux pouvant être prélevés par jour et sur l’ensemble de la période, les contrôles et les formes de surveillance auxquels le prélèvement est soumis et les organes chargés de celle-ci, sans préjudice de l’article 27, paragraphe 2. Les personnes autorisées au prélèvement dérogatoire sont désignées par les régions, en accord avec les cercles de chasse territoriaux […] et les zones alpines.
3. Les dérogations visées au paragraphe 1 sont valables pour des périodes déterminées, après avis de l’Istituto Nazionale per la Fauna Selvatica (INFS) ou des institutions reconnues au niveau régional, et ne peuvent en tout cas avoir pour objet des espèces dont l’importance numérique est en grave diminution.
4. Sur proposition du ministre des Affaires régionales, en concertation avec le ministre de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire, et après délibération du Conseil des ministres, le président du Conseil des ministres peut, après avoir mis en demeure la région concernée, annuler les dérogations adoptées par celle-ci en violation des dispositions de la présente loi et de la directive 79/409/CEE.
5. Pour le 30 juin de chaque année, chaque région transmet au président du Conseil des ministres, ou au ministre des Affaires régionales le cas échéant, au ministre de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire, au ministre des Politiques agricoles et forestières, au ministre des Politiques communautaires ainsi qu’à l’Istituto Nazionale per la Fauna Selvatica (INFS) un rapport sur la mise en œuvre des dérogations visées au présent article; ce rapport est également transmis aux commissions parlementaires compétentes. Le ministre de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire transmet chaque année à la Commission des Communautés européennes le rapport visé à l’article 9, paragraphe 3, de la directive 79/409/CEE. »
7. La loi régionale de la Regione Lombardia n° 18/2002, du 2 août 2002, a été adoptée sur la base de l’article 19 bis de la loi n° 157/1992. L’article 2, paragraphe 2, de cette loi régionale autorise le prélèvement cynégétique des espèces pinson des arbres et pinson du Nord.
8. L’article 4 de cette loi prévoit que le président de la Giunta regionale de la Lombardia, après avoir entendu l’Istituto nazionale per la Fauna Selvatica (institut national de la faune sauvage, ci-après l’«INFS»), arrête des mesures de limitation ou de suspension des prélèvements autorisés par ladite loi en fonction de l’apparition d’évolutions négatives de l’état des populations faisant l’objet du prélèvement dérogatoire visé à l’article 2 susmentionné.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
9. Par leur recours devant la juridiction de renvoi, les parties requérantes au principal visent à obtenir l’annulation, après suspension de ses effets, de la décision n° 14250 de la Giunta regionale della Lombardia, du 15 septembre 2003, relative au prélèvement cynégétique de certaines quantités d’oiseaux sauvages appartenant aux espèces pinson des arbres et pinson du Nord pendant la saison de chasse 2003/2004. Cette décision a été adoptée sur la base de l’article 2, paragraphe 2, de la loi régionale n° 18/2002, précitée.
10. Dans deux notes datées des 14 mai et du 24 juin 2003, l’INFS a estimé que le contingent maximal pouvant être chassé sur l’ensemble du territoire italien pour la saison cynégétique 2003/2004 était de 1 500 000 spécimens pour l’espèce pinson des arbres et de 52 000 spécimens pour l’espèce pinson du Nord.
11. Certaines régions italiennes se sont ensuite réparti les contingents des espèces pouvant être chassées. Ainsi, sur la base des accords qui ont été passés, la Regione Lombardia s’est vu attribuer un quota de chasse de 360 000 pinsons des arbres et de 32 000 pinsons du Nord.
12. Devant la juridiction de renvoi, les requérantes ont soutenu que l’autorisation de prélèvement dérogatoire octroyée par la Regione Lombardia n’est pas légale, justifiant leur prétention par les considérations suivantes:
– cette autorisation prévoit la possibilité d’utiliser les spécimens des espèces concernées comme appelants vivants alors que toutes deux sont des espèces protégées;
– elle résulte de la répartition entre seulement cinq régions d’un quota maximal établi par l’INFS au niveau national;
– les contrôles requis par l’article 9 de la directive afin de garantir le respect des quotas maximaux de prélèvement n’ont pas été prévus.
13. Les requérantes au principal ont également fait valoir que l’article 19 bis de la loi n° 157/1992 est contraire à la directive dans la mesure où il confie aux régions le pouvoir de réglementer la mise en œuvre des dérogations prévues dans la directive sans établir la manière dont il y a lieu de déterminer et de respecter le contingent maximal de spécimens pouvant être prélevés sur l’ensemble du territoire national.
14. La partie défenderesse au principal a souligné, pour sa part, que l’article 19 bis de la loi n° 157/1992 confie aux régions la charge de réglementer les prélèvements cynégétiques dérogatoires au régime de protection établi par la directive après obtention obligatoire de l’avis, non contraignant, de l’INFS ou d’autres instituts reconnus au niveau régional.
15. Le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia doute que l’article 19 bis de la loi n° 157/1992 assure l’application effective de l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive. Il observe, en effet, que cette disposition soumet la détermination du contingent maximal de spécimens pouvant être prélevés à l’avis non contraignant, quoique obligatoire, de l’INFS ou d’autres instituts reconnus au niveau régional, sans prévoir un système de nature à fixer ce contingent de manière contraignante pour l’ensemble du territoire national ni aucun mécanisme apte à déterminer la répartition entre les régions du contingent national pouvant être chassé. Enfin, ladite juridiction estime que le système de contrôle de la conformité des mesures régionales avec les réglementations nationale et communautaire, du fait de sa durée, ne répond pas à l’exigence de célérité liée à la nécessité d’éviter les prélèvements illégaux au cours de la brève période (40 jours environ) durant laquelle la dérogation s’applique.
16. Dans ces conditions, le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes:
«1) La directive 79/409/CEE doit-elle être comprise en ce sens que les États membres, indépendamment de la répartition interne des compétences établie par les ordres juridiques nationaux entre l’État et les régions, sont tenus de prévoir des dispositions de transposition qui couvrent toutes les situations que ladite directive juge dignes de protection, notamment en ce qui concerne la garantie que le prélèvement cynégétique dérogatoire n’excède pas les petites quantités visées à l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive?
2) S’agissant plus particulièrement des quantités du prélèvement dérogatoire, la directive 79/409/CEE doit-elle être interprétée en ce sens que la disposition nationale de transposition doit faire référence à un paramètre déterminé ou déterminable, même confié à des organismes techniques qualifiés, de telle sorte que la réalisation dudit prélèvement ait lieu sur la base d’indicateurs qui fixent objectivement un seuil quantitatif infranchissable à l’échelon national, voire régional, eu égard à l’existence éventuelle de conditions environnementales différentes?
3) La disposition nationale énoncée à l’art icle 19 bis de la loi n° 157/1992, en soumettant à un avis obligatoire mais non contraignant de l’INFS la détermination de ce paramètre, sans cependant prévoir une procédure d’accord entre les régions qui fixe de manière contraignante, pour chaque espèce, la répartition du nombre maximal de spécimens susceptibles de prélèvement dérogatoire déterminé au niveau national comme correspondant à une petite quantité, constitue-t‑elle une application correcte de l’article 9 de la directive 79/409/CEE?
4) La procédure de contrôle prévue à l’article 19 bis de la loi n° 157/1992 en ce qui concerne la conformité à la réglementation communautaire des prélèvements cynégétiques dérogatoires qui sont autorisés par les régions italiennes est-elle de nature à assurer l’application effective de la directive 79/409/CEE eu égard au fait que cette procédure est précédée d’une phase de mise en demeure et, partant, soumise à des délais techniques auxquels s’ajoutent les délais nécessaires pour l’adoption et la publication de la mesure, délais pendant lesquels s’écoule la brève période durant laquelle ces prélèvements sont permis?»
Sur la recevabilité des questions préjudicielles
17. La Regione Lombardia et l’Associazione migratoristi italiani contestent la recevabilité des questions préjudicielles au motif que la juridiction nationale demanderait à la Cour, entre autres, de se prononcer sur la pertinence et la légalité de la répartition des compétences à l’intérieur de la République italienne. Par ailleurs, les questions posées par la juridiction nationale auraient pour objet la conformité de dispositions internes avec l’article 9 de la directive.
18. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence établie, s’il est vrai que la Cour, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, ne peut se prononcer ni sur des questions qui relèvent du droit interne des États membres ni sur la conformité de dispositions nationales au droit communautaire, elle peut cependant fournir les éléments d’interprétation du droit communautaire qui sont de nature à permettre à la juridiction nationale de trancher le litige dont elle se trouve saisie (voir, notamment, arrêts du 23 novembre 1989, Parfümerie-Fabrik 4711, C‑150/88, Rec. p. I‑3891, point 12, et du 21 septembre 2000, Borawitz, C‑124/99, Rec. p. I‑7293, point 17).
19. Il en irait certes différemment dans l’hypothèse où il serait manifeste que la disposition de droit communautaire soumise à l’interprétation de la Cour ne peut trouver à s’appliquer (voir, notamment, arrêt du 18 octobre 1990, Dzodzi, C‑297/88 et C‑197/89, Rec. p. I‑3763, point 40). Tel n’est cependant pas le cas.
20. Il résulte du libellé des questions préjudicielles ainsi que des motifs de la décision de renvoi que la juridiction nationale vise à obtenir une interprétation de l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive en ce qui concerne les conditions d’exercice, par les États membres, des dérogations que cette disposition prévoit. Ladite juridiction souhaite notamment être éclairée sur la portée de ladite disposition au regard de son application dans le cadre d’une structure étatique décentralisée.
21. Il ressort également de la décision de renvoi que cette interprétation de l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive est susceptible de fournir à la juridiction nationale les éléments nécessaires pour que cette dernière puisse se prononcer sur le litige au principal.
22. Dans ces conditions, le renvoi préjudiciel doit être considéré comme recevable.
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
23. Par cette question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si les dispositions nationales de transposition de la directive doivent régir l’ensemble des situations soumises au régime de protection prévu par cette directive, notamment la condition résultant de l’article 9, paragraphe 1, sous c), selon laquelle les éventuels prélèvements cynégétiques dérogatoires doivent être limités à des «petites quantités» d’oiseaux.
24. À cet égard, il convient tout d’abord de rappeler que la Cour a jugé que les critères sur la base desquels les États membres peuvent déroger aux interdictions prévues dans la directive doivent être repris dans des dispositions nationales suffisamment claires et précises, étant donné que l’exactitude de la transposition revêt une importance particulière dans une matière où la gestion du patrimoine commun est confiée, pour leur territoire respectif, aux États membres (voir, en ce sens, notamment, arrêts du 8 juillet 1987, Commission/Belgique, 247/85, Rec. p. 3029, point 9, et du 27 avril 1988, Commission/France, 252/85, Rec. p. 2243, point 5).
25. Il importe également de relever que, dans l’exercice de leurs compétences relatives à l’octroi de dérogations, conformément à l’article 9 de la directive, les autorités des États membres doivent tenir compte de nombreux éléments d’appréciation qui portent sur des données de nature géographique, climatique, environnementale et biologique ainsi que, en particulier, sur la situation en ce qui concerne la reproduction et la mortalité annuelle totale pour cause naturelle des espèces.
26. Quant à ces éléments d’appréciation, la Cour, dans ses arrêts du 9 décembre 2004, Commission/Espagne (C‑79/03, Rec. p. I‑11619, point 36) et du 15 décembre 2005, Commission/Finlande (C‑344/03, non encore publié au Recueil, point 53), a relevé que, selon le document intitulé «Deuxième rapport de la Commission sur l’application de la directive 79/409/CEE concernant la conservation des oiseaux sauvages», du 24 novembre 1993 [COM(93) 572 final], constitue une petite quantité tout prélèvement inférieur à 1 % de la mortalité annuelle totale de la population concernée (valeur moyenne) pour les espèces ne pouvant pas être chassées et de l’ordre de 1 % pour les espèces pouvant être l’objet d’actes de chasse. La Cour a souligné à ce sujet que ces éléments quantitatifs se fondent sur les travaux du comité ORNIS pour l’adaptation au progrès technique et scientifique de la directive, institué conformément à l’article 16 de celle-ci et composé de représentants des États membres.
27. Il ressort également des arrêts précités, Commission/Espagne, point 41, et Commission/Finlande, point 54, que, s’il est vrai que les pourcentages susvisés ne revêtent pas un caractère juridiquement contraignant, ils peuvent néanmoins constituer, en raison de l’autorité scientifique dont jouissent les travaux du comité ORNIS et de l'absence de production de tout élément de preuve scientifique contraire, une base de référence pour apprécier si une dérogation accordée en vertu de l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive est conforme à cette disposition (voir, par analogie, en ce qui concerne la pertinence de données scientifiques dans le domaine ornithologique, arrêts du 19 mai 1998, Commission/Pays-Bas, C‑3/96, Rec. p. I‑3031, points 69 et 70, ainsi que du 7 décembre 2000, Commission/France, C‑374/98, Rec. p. I‑10799, point 25).
28. Il en résulte que, quelle que soit la répartition interne des compétences établie par l’ordre juridique national, les États membres sont tenus de prévoir un cadre législatif et réglementaire garantissant que les prélèvements d’oiseaux ne soient effectués que dans le respect de la condition relative aux «petites quantités», prévue à l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive, et ce sur la base d'informations scientifiques rigoureuses, quelle que soit l’espèce concernée.
29. Il y a dès lors lieu de répondre à la première question que l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive oblige les États membres, quelle que soit la répartition interne des compétences établie par l’ordre juridique national, lors de l’adoption des mesures de transposition de cette disposition, à garantir que, dans tous les cas d’application de la dérogation y prévue et pour toutes les espèces protégées, les prélèvements cynégétiques autorisés ne dépassent pas un plafond conforme à la limitation desdits prélèvements à de petites quantités imposée par cette disposition, ce seuil devant être déterminé sur la base de données scientifiques rigoureuses.
Sur la deuxième question
30. Par cette question, la juridiction nationale s’interroge essentiellement sur le degré de précision devant caractériser les dispositions nationales de transposition en ce qui concerne les paramètres techniques sur la base desquels un contingent correspondant à de «petites quantités» d’oiseaux est susceptible d’être fixé, conformément à l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive.
31. Il convient de relever que le onzième considérant de la directive indique que la condition relative aux «petites quantités» auxquelles les prélèvements autorisés à titre dérogatoire doivent être limités n’est pas susceptible d’être déterminée par référence à un critère absolu mais doit être mise en relation avec le niveau de la population de l’espèce concernée, ses taux de reproduction et de mortalité annuels.
32. À cet égard, la Cour a précisé que des dérogations au titre de l’article 9 de la directive ne sauraient être octroyées que si la garantie existe que la population des espèces concernées est maintenue à un niveau satisfaisant. À défaut, les prélèvements d’oiseaux ne sauraient, en tout état de cause, être regardés comme judicieux et, partant, comme constituant une exploitation admissible, au sens du onzième considérant de la directive (voir, en ce sens, arrêt du 16 octobre 2003, Ligue pour la protection des oiseaux e.a., C‑182/02, Rec. p. I‑12105, point 17).
33. Dans ces conditions, et afin de permettre aux autorités compétentes de ne recourir aux dérogations prévues à l’article 9 de la directive que d’une manière qui soit conforme au droit communautaire, le cadre législatif et réglementaire national doit être conçu de telle sorte que la mise en œuvre des dispositions dérogatoires y énoncées réponde au principe de sécurité juridique.
34. En effet, ainsi qu’il ressort de l’arrêt de la Cour du 7 mars 1996, Associazione italiana per il WWF e.a. (C‑118/94, Rec. p. I‑1223, points 23, 25 et 26), la réglementation nationale applicable en cette matière doit énoncer les critères de dérogation de manière claire et précise, et obliger les autorités chargées de leur application à en tenir compte. S’agissant d’un régime d’exception, qui doit être d’interprétation stricte et faire peser la charge de la preuve de l’existence des conditions requises, pour chaque dérogation, sur l’autorité qui en prend la décision, les États membres sont tenus de garantir que toute intervention touchant aux espèces protégées ne soit autorisée que sur la base de décisions comportant une motivation précise et adéquate se référant aux motifs, conditions et exigences prévus aux paragraphes 1 et 2 de l’article 9 de la directive.
35. Il ressort, par ailleurs, de la décision de renvoi que d’importantes variations quantitatives existent entre les différentes populations d’oiseaux si bien que toute décision qui déroge au régime de protection requis par la directive doit tenir compte de la situation de l’espèce dont il s’agit.
36. Il y a donc lieu de répondre à la deuxième question que les dispositions nationales de transposition relatives à la notion de «petites quantités» énoncée à l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive doivent permettre aux autorités chargées d’autoriser des prélèvements dérogatoires d’oiseaux d’une espèce donnée de s’appuyer sur des indicateurs revêtus d’une précision suffisante quant aux plafonds quantitatifs à respecter.
Sur la troisième question
37. Par cette question, la juridiction nationale souhaite obtenir une interprétation de l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive concernant le point de savoir comment les autorités compétentes des États membres doivent garantir que, lors de la mise en œuvre de cette disposition, le nombre maximal d’oiseaux d’une espèce donnée pouvant être prélevés n’est pas dépassé pour l’ensemble du territoire national. En particulier, la juridiction de renvoi vise à savoir si ladite disposition doit être interprétée en ce sens qu’il en découle une obligation d’instaurer une concertation entre les entités infra-étatiques chargées d’octroyer les autorisations de prélèvement dérogatoire afin qu’une répartition des quantités d’oiseaux pouvant être prélevés pour l’ensemble desdites entités puisse être fixée de manière contraignante.
38. À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a jugé que, dans le domaine de la conservation des oiseaux sauvages, les critères sur la base desquels les États membres peuvent déroger aux interdictions prescrites par la directive doivent être repris dans des dispositions nationales précises (voir, notamment, arrêt du 15 mars 1990, Commission/Pays-Bas, C‑339/87, Rec. p. I‑851, point 28).
39. Il découle, en outre, de l’arrêt du 17 janvier 1991, Commission/Italie (C‑157/89, Rec. p. I‑57, points 16 et 17), qu’une situation dans laquelle les dispositions nationales de transposition de la directive n’assurent pas que les autorités infra-étatiques chargées de la mise en œuvre de celle-ci soient obligées de tenir compte desdits critères serait contraire au principe de sécurité juridique.
40. Par conséquent, lorsque la mise en œuvre de l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive est déléguée à des entités infra-étatiques, le cadre législatif et réglementaire applicable doit garantir que la somme des prélèvements d’oiseaux susceptibles d’être autorisés par lesdites entités reste dans la limite des «petites quantités» imposée par ledit article.
41. Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question que, lors de la transposition de l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive, les États membres sont tenus de garantir que, indépendamment du nombre et de l’identité des autorités chargées, en leur sein, de la mise en œuvre de cette disposition, la somme des prélèvements cynégétiques autorisés, pour chaque espèce protégée, par chacune desdites autorités, n’excède pas le seuil de «petites quantités» fixé pour cette même espèce, pour l’ensemble du territoire national.
Sur la quatrième question
42. Par cette question, la juridiction de renvoi s’interroge sur l'exigence éventuelle de délais maximaux dans lesquels devraient intervenir les décisions administratives liées au contrôle des autorisations de prélèvement et du respect de leurs conditions. Plus particulièrement, ladite juridiction vise à savoir si l'article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une procédure de contrôle des décisions administratives autorisant des prélèvements dérogatoires d’oiseaux qui comporte une phase préalable de mise en demeure et qui est soumise à des délais techniques pendant lesquels s’écoule la courte période au cours de laquelle ces prélèvements sont autorisés.
43. À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a jugé, au point 28 de l’arrêt du 27 avril 1988, Commission/France, précité, que la législation nationale de transposition doit assurer que les prélèvements d’oiseaux s’effectuent d’une manière strictement contrôlée et sélective. Ceci implique qu’un contrôle effectif soit exercé pendant les périodes visées par les décisions dérogatoires au régime de protection prévu par la directive.
44. Il en découle que le cadre procédural national applicable en la matière doit garantir non seulement que la légalité des décisions octroyant des autorisations dérogatoires au régime de protection prévu par la directive puisse être vérifiée en temps utile mais également que les conditions dont sont assorties lesdites décisions soient respectées.
45. Or, un mécanisme de contrôle dans le cadre duquel l’annulation d’une décision autorisant un prélèvement dérogatoire adoptée en violation de l’article 9 de la directive ou le constat d’une violation des conditions dont est assortie une décision autorisant un tel prélèvement n’interviendrait qu’à l’expiration de la période prévue pour effectuer ce prélèvement priverait d’effet utile le système de protection établi par la directive.
46. En effet, comme l’a observé à juste titre M. l’avocat général au point 62 de ses conclusions, le pouvoir d’intervenir en temps utile et de manière suffisante dans des situations où des décisions des autorités compétentes conduisent ou menacent de conduire à un résultat contraire aux prescriptions de protection de la directive relève de la garantie relative au respect des quantités maximales de prélèvements d’oiseaux découlant du régime de dérogation établi par l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive.
47. Il y a dès lors lieu de répondre à la quatrième question que l’obligation incombant aux États membres de garantir que des prélèvements d’oiseaux ne s’effectuent qu’en «petites quantités», conformément à l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive, requiert que les procédures administratives prévues soient organisées de telle façon que tant les décisions des autorités compétentes autorisant des prélèvements dérogatoires que la manière dont lesdites décisions sont appliquées soient soumises à un contrôle effectif exercé en temps utile.
Sur les dépens
48. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:
1) L’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages, oblige les États membres, quelle que soit la répartition interne des compétences établie par l’ordre juridique national, lors de l’adoption des mesures de transposition de cette disposition, à garantir que, dans tous les cas d’application de la dérogation y prévue et pour toutes les espèces protégées, les prélèvements cynégétiques autorisés ne dépassent pas un plafond conforme à la limitation desdits prélèvements à de petites quantités imposée par cette disposition, ce seuil devant être déterminé sur la base de données scientifiques rigoureuses.
2) Les dispositions nationales de transposition relatives à la notion de «petites quantités» énoncée à l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive doivent permettre aux autorités chargées d’autoriser des prélèvements dérogatoires d’oiseaux d’une espèce donnée de s’appuyer sur des indicateurs revêtus d’une précision suffisante quant aux plafonds quantitatifs à respecter.
3) Lors de la transposition de l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive, les États membres sont tenus de garantir que, indépendamment du nombre et de l’identité des autorités chargées, en leur sein, de la mise en œuvre de cette disposition, la somme des prélèvements cynégétiques autorisés, pour chaque espèce protégée, par chacune d esdites autorités, n’excède pas le seuil de «petites quantités» fixé pour cette même espèce, pour l’ensemble du territoire national.
4) L’obligation incombant aux États membres de garantir que des prélèvements d’oiseaux ne s’effectuent qu’en «petites quantités», conformément à l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive, requiert que les procédures administratives prévues soient organisées de telle façon que tant les décisions des autorités compétentes autorisant des prélèvements dérogatoires que la manière dont lesdites décisions sont appliquées soient soumises à un contrôle effectif exercé en temps utile.