Affaire C-213/04

Ewald Burtscher

contre

Josef Stauderer

(demande de décision préjudicielle, introduite par l'Oberster Gerichtshof)

«Liberté des mouvements de capitaux — Article 56 CE — Procédure de déclaration d'acquisition de terrains à bâtir — Nullité rétroactive de la transaction en cas de déclaration tardive de l'acquéreur»

Conclusions de l'avocat général M. F. G. Jacobs, présentées le 29 septembre 2005 

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 1er décembre 2005 

Sommaire de l'arrêt

1.     Questions préjudicielles — Saisine de la Cour — Conformité de la décision de renvoi aux règles d'organisation et de procédure judiciaires du droit national, y compris celles concernant la compétence internationale — Vérification n'incombant pas à la Cour

(Art. 234 CE; convention du 27 septembre 1968)

2.     Libre circulation des capitaux — Restrictions à l'acquisition de biens immobiliers — Régime de déclaration d'acquisition de biens immobiliers — Nullité rétroactive de la transaction en cas de déclaration tardive — Inadmissibilité — Justification — Absence — Violation du principe de proportionnalité

(Art. 56, § 1, CE)

1.     Dans le cadre de la procédure prévue à 234 CE, il n'appartient pas à la Cour de vérifier si la décision de renvoi a été prise conformément aux règles nationales d'organisation et de procédure judiciaires.

La Cour n'a pas davantage compétence pour examiner si la juridiction de renvoi a été saisie du litige au principal dans le respect des règles de compétence juridictionnelle énoncées par la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, à moins que les conditions d'application desdites règles constituent l'objet même du renvoi préjudiciel.

La Cour doit s'en tenir à la décision de renvoi émanant d'une juridiction d'un État membre, tant que cette décision n'a pas été rapportée dans le cadre des voies de recours prévues éventuellement par le droit national.

(cf. points 30-32)

2.     L'article 56, paragraphe 1, CE s'oppose à l'application d'une réglementation nationale en matière d'acquisition de la propriété foncière, subordonnant l'effectivité des transactions au dépôt d'une déclation par l'acquéreur, en vertu de laquelle le simple dépôt tardif de la déclaration d'acquisition exigée entraîne la nullité rétroactive de la transaction foncière concernée.

Il est vrai qu'un régime de déclaration préalable, lorsqu'il est assorti d'instruments juridiques adéquats, peut effectivement constituer une mesure proportionnée à l'objectif d'intérêt général poursuivi, tenant à maintenir, dans un but d'aménagement du territoire, une population permanente et une activité autonome par rapport au secteur touristique en instaurant des restrictions à l'installation de résidences secondaires dans une zone géographique déterminée. Toutefois, l'annulation rétroactive de la transaction foncière n'est pas une sanction proportionnée dès lors qu'elle est prononcée automatiquement, à la suite d'un simple dépassement du délai de dépôt de la déclaration exigée, quelles que soient les raisons de la tardiveté du dépôt et remet en cause de façon radicale, sans raison tirée de la violation des règles de fond applicables, une convention exprimant les intentions des parties, ne pouvant, de ce fait, correspondre aux exigences de sécurité juridique, particulièrement importantes en matière d'acquisition foncière.

(cf. points 46, 52-56, 62 et disp.)




ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

1er décembre 2005 (*)

«Liberté des mouvements de capitaux – Article 56 CE – Procédure de déclaration d’acquisition de terrains à bâtir – Nullité rétroactive de la transaction en cas de déclaration tardive de l’acquéreur»

Dans l’affaire C-213/04,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Autriche), par décision du 29 avril 2004, parvenue à la Cour le 19 mai 2004, dans la procédure

Ewald Burtscher,

contre

Josef Stauderer,

LA COUR (troisième chambre)

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. J. Malenovský, J.‑P. Puissochet (rapporteur), S. von Bahr et U. Lõhmus, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,

greffier: Mme K. Sztranc, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 juillet 2005,

considérant les observations présentées:

–       pour M. Burtscher, par Mes G. Lins et T. Lins, Rechtsanwälte,

–       pour M. Stauderer, par Me W. Weh, Rechtsanwalt,

–       pour le gouvernement autrichien, par M. E. Riedl et Mme S. Pfanner, en qualité d’agents,

–       pour le gouvernement espagnol, par M. E. Braquehais Conesa, en qualité d’agent,

–       pour Commission des Communautés européennes, par MM. G. Braun et H. Støvlbaek, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 septembre 2005,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 56 CE.

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours formé par M. Burtscher, propriétaire d’une habitation et d’un terrain situés dans la commune de Sonntag, en vue d’obtenir l’expulsion de M. Stauderer, titulaire d’un bail de longue durée portant sur ces biens immobiliers et qui revendique un droit à l’acquisition de ces derniers.

 Le cadre juridique

 Le droit communautaire

3       Aux termes de l’article 56, paragraphe 1, CE:

«Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.»

 La réglementation autrichienne

4       La loi portant révision de la Constitution fédérale (Bundes-Verfassungsgesetznovelle, BGBl. 276/1992), du 5 juin 1992, a habilité les Länder à introduire des contrôles administratifs sur les transactions foncières portant sur des terrains à bâtir.

5       En vertu de l’article VII de la loi de 1974 portant révision de la Constitution fédérale (Bundes-Verfassungsgesetznovelle 1974, BGBl. 444/1974), les Länder ont été également habilités à introduire des restrictions administratives sur les transactions foncières dans l’intérêt général du maintien, du renforcement ou de la création d’une population agricole viable.

6       En ce qui concerne le Land de Vorarlberg, la loi sur les transactions foncières (Vorarlberger Grundverkehrsgesetz, LGBl. 61/1993), du 23 septembre 1993, telle que modifiée (LGBl. 29/2000, ci-après le «VGVG»), dispose, à son article 7, intitulé «Acquisition non soumise à autorisation, déclaration»:

«1.      Les acquisitions de terrains bâtis, conformément à l’article 6, paragraphe 1, ne sont pas soumises à autorisation de l’autorité compétente en matière de transactions foncières si l’acquéreur fournit à la commission du Land chargée des transactions foncières ou à la commune sur le territoire de laquelle le terrain est situé, une déclaration écrite conformément aux paragraphes 2 à 4.

2.       L’acquéreur déclare que

a)      le terrain est bâti,

b)       il est citoyen autrichien ou – au cas où il ne s’agit pas d’une personne physique – qu’il n’est pas considéré comme étranger conformément à l’article 2, paragraphe 4, points b) à d) ou qu’il remplit l’une des conditions visées à l’article 3, paragraphes 1 et 2, et que

c)       l’acquisition a ou n’a pas lieu en vue d’établir une résidence de vacances.

3.       Dans sa déclaration, l’acquéreur fournit des renseignements montrant son identité et sa citoyenneté ou dont il ressort qu’il n’est pas considéré comme étranger conformément à l’article 2, paragraphe 4, points b) à d), ou qu’il est assimilé conformément à l’article 3. Des attestations sont présentées dans la mesure du possible.

[…]»

7       L’article 17 du VGVG est ainsi libellé:

«1.       La demande d’autorisation de l’autorité compétente en matière de transactions foncières est faite par écrit. La demande comprend les indications et documents nécessaires à la décision, notamment celles concernant la finalité de l’acquisition du droit ainsi qu’une copie certifiée conforme des documents attestant du droit de l’acquéreur.

2.       La demande peut être déposée avant même la conclusion du contrat qui constitue la base de l’acquisition soumise à autorisation. Elle contient, le cas échéant, les points essentiels de la transaction envisagée et porte la signature de toutes les parties. Si le contrat constitue la base du droit, la demande d’autorisation est introduite ou la déclaration fournie dans les trois mois qui suivent la conclusion du contrat.

[…]»

8       L’article 29 du VGVG prévoit:

«1.       Tant que l’autorisation ou la déclaration requise en vertu de la présente loi n’a pas été accordée ou fournie, la transaction en cause ne peut être exécutée; en particulier, le droit ne peut être inscrit au registre foncier. Ladite transaction lie cependant les parties.

2.       Lorsque l’autorisation est refusée ou que, deux ans après l’écoulement du délai fixé à l’article 17, paragraphe 2, dernière phrase, l’autorisation n’a pas été sollicitée ou la déclaration visée à l’article 7 n’a pas été fournie, la transaction est rétroactivement nulle.»

9       Aux termes de l’article 32 du VGVG:

«1.       Si une transaction portant sur un refus d’autorisation est nulle en raison du refus de l’autorisation ou de l’écoulement du délai instauré à l’article 29, paragraphe 2, le vendeur peut refuser la restitution à l’acheteur s’il ne savait pas ou n’était pas tenu de savoir que l’acte était soumis à autorisation ou à déclaration conformément à l’article 7 ou que les conditions relatives à l’autorisation ou à l’émission de la déclaration n’étaient pas réunies.

2.       Si la transaction est annulée, le vendeur peut exiger l’extinction des droits enregistrés qui n’ont pas été acquis en considérant de bonne foi l’effet du droit à éteindre conformément à l’article 31, paragraphe 5, notamment après une notification au titre de l’article 31, paragraphe 2.

[…]»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

10     M. Burtscher possède un terrain bâti dans la commune de Sonntag, que sa mère lui a transmis en 1995.

11     M. Stauderer, de nationalité allemande, avait convenu en 1974 avec les parents de M. Burtscher, alors propriétaires de ce terrain, d’acheter celui-ci au prix de 250 000 ATS. M. Stauderer a engagé dès cette date d’importants travaux de remise en état du bien. Il utilise depuis lors cette propriété comme résidence de vacances.

12     En 1975, les parents de M. Burtscher et M. Stauderer ont conclu simultanément deux conventions. D’une part, un «contrat de location» a été signé, pour une durée de 99 ans, sans possibilité de résiliation. Ce contrat, qui stipulait que les droits et obligations qu’il comportait seraient transmis aux ayants droit des parties, prévoyait le versement d’un loyer mensuel de 291 ATS ainsi que d’un acompte sur loyer de 350 000 ATS. Par la même convention, le preneur s’engageait à assumer toutes les charges, y compris fiscales, liées à l’utilisation du bien. D’autre part, une convention a été conclue, aux termes de laquelle si le locataire obtenait la possibilité d’acheter ce bien, ce que lui interdisait la législation alors en vigueur, les bailleurs s’obligeaient à lui céder ce dernier au prix de 350 000 ATS.

13     Lors de la transmission dudit bien en 1995 à M. Burtscher, ce dernier a déclaré reprendre à son compte tous les droits et obligations découlant du contrat de location conclu entre ses parents et M. Stauderer.

14     Par une décision du 12 juillet 1994, la commune de Sonntag a interdit à M. Stauderer d’utiliser le bien en cause comme résidence de vacances. S’appuyant sur les dispositions de la loi modifiant la loi sur l’aménagement du territoire du Land de Vorarlberg (Vorarlberger Raumplanungsgesetznovelle, LGBl. 27/1993), elle a considéré que le contrat de location susmentionné produisait les mêmes effets qu’un contrat de vente et qu’il avait été conclu pour contourner les dispositions législatives régissant l’acquisition de propriétés foncières par les étrangers.

15     M. Stauderer a formé un recours gracieux contre cette décision, lequel a été rejeté par la Bezirkshauptmannschaft (autorité administrative cantonale). Le recours introduit par l’intéressé devant le Verwaltungsgerichtshof a également été rejeté.

16     Le 11 septembre 2000, M. Burtscher a demandé au Bezirksgericht Bludenz (tribunal cantonal de Bludenz) d’ordonner à M. Stauderer d’évacuer le terrain concerné, en faisant valoir que les conventions conclues en 1975 étaient des actes frauduleux, entachés de nullité ab initio. Le défendeur a conclu au rejet de la demande en invoquant les droits tirés desdites conventions.

17     Cette demande d’évacuation a été rejetée par le Bezirksgericht, mais, saisi en appel par le demandeur, le Landesgericht Feldkirch a annulé le jugement de première instance et renvoyé l’affaire devant le Bezirksgericht. L’Oberster Gerichtshof a rejeté le recours introduit contre la décision dudit Landesgericht.

18     Tant le Landesgericht que l’Oberster Gerichtshof ont estimé que les actes ayant pour objet de contourner la loi devaient être soumis aux règles applicables à l’acte réellement visé et leurs effets suspendus jusqu’à ce que lesdites règles soient respectées. Or, les nouvelles dispositions régissant l’acquisition de terrains bâtis, adoptées à la suite de la signature de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3), n’exigent plus des acquéreurs qu’ils obtiennent une autorisation préalable de l’autorité compétente en matière de transactions foncières. Depuis l’entrée en vigueur du VGVG dans sa version publiée au LGBl. 61/1993, les acquéreurs doivent seulement présenter, dans un délai de deux ans, une déclaration à ladite autorité, conformément à l’article 7, paragraphe 2, du VGVG, sous peine de voir la transaction rétroactivement frappée de nullité.

19     Le Landesgericht comme l’Oberster Gerichtshof en ont déduit, en l’espèce, faute pour M. Stauderer d’avoir fourni cette déclaration dans un délai de deux ans, courant au plus tard à compter de l’entrée en vigueur du VGVG, dans sa version figurant au LGB1. 29/2000, que les conventions de 1975 devaient être considérées comme nulles et que, dès lors, M. Stauderer devait quitter les lieux.

20     Dans le cadre d’une deuxième procédure, le Bezirksgericht a fixé à 38 280,57 euros le montant des impenses effectuées par M. Stauderer pour ce terrain et ordonné à ce dernier d’évacuer la propriété en contrepartie du versement de cette somme. Le Landesgericht a confirmé ce jugement et déclaré que son arrêt était insusceptible de recours en révision ordinaire. Il a estimé que cette deuxième procédure se limitait au montant à restituer au titre de la répétition de l’indu, lequel ne soulevait pas de questions juridiques majeures.

21     M. Stauderer a formé un recours en révision extraordinaire devant l’Oberster Gerichtshof. Il a soutenu que l’analyse développée par cette juridiction dans son premier arrêt n’avait pas de caractère obligatoire, compte tenu de la jurisprudence récente de la Cour. Celle-ci aurait dit pour droit, dans l’arrêt du 15 mai 2003, Salzmann (C-300/01, Rec. p. I-4899), que le régime d’autorisation préalable institué par le VGVG était contraire à la liberté des mouvements de capitaux garantie par l’article 56, paragraphe 1, CE. La même conclusion s’imposerait à l’égard de la sanction de nullité de la transaction dont est assorti le régime de déclaration préalable prévu à l’article 7, paragraphe 2, du VGVG.

22     L’Oberster Gerichtshof précise que la loi modifiant le VGVG et publiée au BGBl. 29/2000 a permis, en ce qui concerne les résidences de vacances, l’acquisition des terrains bâtis par voie de déclaration. Il considère que cette procédure, à la différence du régime d’autorisation préalable, a pour objet d’informer les autorités compétentes de l’acquisition foncière. Il indique cependant que M. Stauderer n’a fourni la déclaration requise qu’en janvier 2003, après l’expiration du délai de deux ans qui lui était imparti, et que la sanction de nullité de la transaction s’applique également en cas de déclaration simplement tardive. Aucun élément ne permettrait en effet de penser que le législateur autrichien a entendu limiter la sanction de nullité aux hypothèses de refus d’autorisation ou d’absence de toute démarche auprès des autorités compétentes.

23     La juridiction de renvoi indique que, dans le cadre de la première procédure, elle a estimé, au regard de l’arrêt du 1er juin 1999, Konle (C‑302/97, Rec. p. I-3099), qu’une réglementation telle que le VGVG, prévoyant un régime de déclaration assorti de possibilités de sanction pouvant aller jusqu’à l’interdiction de la transaction, n’était pas contraire à la liberté des mouvements de capitaux, dans la mesure où les conditions d’une interdiction étaient suffisamment déterminées par cette loi pour exclure tout risque de discrimination à l’égard d’un acquéreur étranger.

24     Toutefois, ladite juridiction considère que l’arrêt Salzmann, précité, rendu depuis lors par la Cour et qu’elle doit prendre en compte, pourrait remettre en cause cette analyse. Elle exprime notamment des doutes sur le caractère proportionnel des dispositions de l’article 29, paragraphe 2, du VGVG, qui sanctionnent la violation d’une règle de forme par la perte d’un droit.

25     C’est dans ces conditions que l’Oberster Gerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Convient-il d’interpréter l’article 56 CE en ce sens qu’il fait obstacle à une réglementation nationale [le VGVG] en vertu de laquelle, dans le cadre de l’acquisition d’un bien foncier par acte juridique, le fait de fournir en dehors du délai imparti la déclaration de l’acquéreur que le terrain est bâti, que l’acquisition n’a pas lieu en vue d’y établir une résidence de vacances et qu’il est citoyen autrichien ou doit bénéficier du même traitement qu’un citoyen autrichien entraîne la nullité rétroactive de la transaction?»

 Sur la recevabilité

 Argumentation du défendeur au principal

26     M. Stauderer soutient que la question préjudicielle est irrecevable à plusieurs égards.

27     D’abord, les juridictions autrichiennes ne seraient pas compétentes pour statuer sur le litige au principal, l’article 16 de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et – texte modifié – p. 77), par la convention du 25 octobre 1982 relative à l’adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1), par la convention du 26 mai 1989 relative à l’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1) et par la convention du 29 novembre 1996 relative à l’adhésion de la République d’Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède (JO 1997, C 15, p. 1, ci-après la «convention de Bruxelles»), ne pouvant s’appliquer en l’espèce.

28     Ensuite, ladite question serait dépourvue de pertinence. Le régime de déclaration d’acquisition prévu à l’article 7, paragraphe 2, du VGVG, étendu en 2000 aux résidences de vacances, ne serait pas applicable aux acquéreurs étrangers. L’article 3, paragraphe 2, du VGVG disposerait en effet que, «lorsque l’acquisition a lieu en vue d’établir une résidence de vacances, il ne résulte de la libre circulation des capitaux aucune exception aux règles régissant les transactions foncières avec les étrangers». M. Stauderer n’aurait donc pu, en tout état de cause, bénéficier de la procédure de déclaration et fournir la déclaration requise.

29     Enfin, depuis le 1er juin 2004, cette procédure aurait été abrogée. La juridiction de renvoi devant statuer sur la base du droit en vigueur à la date à laquelle elle rendra son arrêt dans le litige au principal, la question préjudicielle serait privée d’objet.

 Appréciation de la Cour

30     En ce qui concerne la prétendue incompétence de la juridiction de renvoi, il y a lieu de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour de vérifier si la décision de renvoi a été prise conformément aux règles nationales d’organisation et de procédure judiciaires (voir arrêts du 14 janvier 1982, Reina, 65/81, Rec. p. 33, points 7 et 8; du 20 octobre 1993, Balocchi, C-10/92, Rec. p. I-5105, points 16 et 17, et du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C-39/94, Rec. p. I-3547, point 24).

31     La Cour n’a pas davantage compétence pour examiner si la juridiction de renvoi a été saisie du litige au principal dans le respect des règles de compétence juridictionnelle énoncées par la convention de Bruxelles, à moins que les conditions d’application desdites règles constituent l’objet même du renvoi préjudiciel (voir en ce sens arrêt du 5 juin 1997, Celestini, C-105/94, Rec. p. I‑2971, point 20).

32     La Cour doit s’en tenir à la décision de renvoi émanant d’une juridiction d’un État membre, tant que cette décision n’a pas été rapportée dans le cadre des voies de recours prévues éventuellement par le droit national (arrêts précités Reina, point 7, Balocchi, point 17, et SFEI e.a., point 24).

33     En ce qui concerne les autres motifs d’irrecevabilité invoqués par M. Stauderer, tirés de la réglementation nationale, il convient de rappeler, d’une part, que, en vertu de l’article 234 CE, la Cour est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur des questions de droit communautaire qui lui sont soumises par une juridiction d’un des États membres. Cette procédure n’a pas pour objet l’interprétation de dispositions législatives ou réglementaires nationales. D’éventuelles imprécisions contenues dans la description des dispositions nationales en cause faite, dans sa décision de renvoi, par la juridiction nationale ne sauraient avoir pour effet de priver la Cour de la compétence pour répondre à la question préjudicielle posée par cette juridiction (voir, notamment, arrêt du 30 avril 1986, Asjes e.a., 209/84 à 213/84, Rec. p. 1425, point 12).

34     D’autre part, ainsi que la Cour le juge constamment, il appartient en principe aux seules juridictions nationales d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une question préjudicielle que sa pertinence (voir en ce sens, notamment, arrêts du 5 mars 2002, Reisch e.a., C-515/99, C-519/99 à C‑524/99 et C-526/99 à C-540/99, Rec. p. I-2157, point 25, et Salzmann, précité, point 30).

35     Il en résulte que les questions posées par le juge national, dans le cadre réglementaire et factuel qu’il établit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence (voir arrêts du 7 septembre 1999, Beck et Bergdorf, C-355/97, Rec. p. I-4977, points 22 à 24, et Salzmann, précité, point 31).

36     Or, dans la présente affaire, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit communautaire serait dépourvue de pertinence pour la juridiction de renvoi.

37     Il résulte des considérations qui précèdent que la question préjudicielle est recevable.

38     Dès lors, il y a lieu d’examiner si l’article 56, paragraphe 1, CE s’oppose à l’application d’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle le dépôt tardif de la déclaration d’acquisition exigée entraîne la nullité rétroactive de la transaction.

 Sur le fond

39     Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, une réglementation, telle que le VGVG en cause au principal, qui a pour objet d’interdire ou de soumettre à des conditions spécifiques l’acquisition de la propriété foncière aux fins d’installation de résidences secondaires, est soumise aux stipulations du traité CE concernant la liberté des mouvements de capitaux (voir, en ce sens, arrêts précités Konle, point 22, Reisch e.a., point 28, et Salzmann, point 39).

40     Il y a donc lieu, ainsi que la juridiction de renvoi y invite la Cour, d’examiner la portée de la mesure nationale en cause au principal au regard des dispositions de l’article 56, paragraphe 1, CE.

41     Selon les explications données par le gouvernement autrichien, dans le régime d’acquisition de la propriété foncière institué par le VGVG, l’effectivité des transactions est subordonnée au dépôt de la déclaration prévue à l’article 7, paragraphe 2, dudit VGVG. Le caractère automatique de la sanction de nullité rétroactive de la transaction vise à limiter dans le temps l’effet juridique de la déclaration auprès de l’autorité compétente, à celui d’une «condition suspensive» affectant la transaction en cause.

42     Il ressort de ces explications que ladite déclaration, même si elle ne conditionne pas la réalisation matérielle de la transaction, constitue néanmoins une formalité obligatoire préalable à l’inscription juridique de l’acte de vente au livre foncier, seule à même de garantir l’effectivité de cet acte à l’égard de l’autorité publique et des tiers. En outre, aux termes de l’article 12, paragraphe 1, première phrase, du VGVG, cette déclaration s’accompagne de l’obligation de ne pas utiliser le terrain à d’autres fins que celles déclarées.

43     Un tel régime de déclaration, par son objet même, a donc pour effet de restreindre la liberté des mouvements de capitaux (voir en ce sens, à propos d’un régime de déclaration/autorisation préalable à l’acquisition de biens immobiliers, arrêt Reisch, précité, point 32).

44     De telles restrictions peuvent néanmoins être admises à condition que les mesures nationales concernées poursuivent un objectif d’intérêt général, soient appliquées de manière non discriminatoire et respectent le principe de proportionnalité, c’est‑à-dire qu’elles soient propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint (voir, en ce sens, arrêts Konle, précité, point 40; du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, C‑390/99, Rec. p. I‑607, point 33; Reisch e.a., précité, point 33, et l’arrêt Salzmann, précité, point 42).

45     S’agissant, d’abord, de la condition tenant à la satisfaction d’un but d’intérêt général, le gouvernement autrichien soutient que, en instaurant la procédure de déclaration susmentionnée, le Landtag Vorarlberg poursuit un objectif d’aménagement du territoire, l’utilisation la plus judicieuse de l’espace foncier impliquant des limitations à l’installation de résidences secondaires, et cherche à concilier les impératifs de contrôle par les autorités compétentes du respect des règles d’urbanisme et l’exigence de sécurité juridique des transactions foncières.

46     À cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante que des restrictions à l’installation de résidences secondaires dans une zone géographique déterminée, qu’un État membre instaure afin de maintenir, dans un but d’aménagement du territoire, une population permanente et une activité autonome par rapport au secteur touristique, peuvent être regardées comme contribuant à un objectif d’intérêt général (voir arrêts précités Konle, point 40, Reisch e.a., point 34, et Salzmann, point 44). Il ne saurait davantage faire de doute que le souci des autorités nationales d’assurer l’application des règles d’urbanisme dans le respect de l’exigence de sécurité juridique des transactions constitue un but d’intérêt général.

47     S’agissant, ensuite, de la condition d’application non discriminatoire de la réglementation nationale concernée, condition qui doit en l’espèce être examinée au regard de la procédure de déclaration dans son ensemble, M. Stauderer prétend que le VGVG a un caractère discriminatoire, en ce qu’il exclurait que les ressortissants d’un autre État membre puissent acquérir une résidence secondaire. Le gouvernement espagnol considère de même que le VGVG présente un caractère formellement discriminatoire, en ce qu’il fait obligation aux acquéreurs, ressortissants d’un autre État membre, de mentionner leur nationalité, sans pour autant préciser quelles conséquences s’attachent à cette mention lors de l’examen au fond de la déclaration.

48     Il ressort cependant des observations du gouvernement autrichien comme de la décision de renvoi que, dans le litige au principal, la réglementation nationale relative aux résidences secondaires s’applique indistinctement aux ressortissants autrichiens et aux ressortissants des autres États membres de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen (ci-après l’«EEE»).

49     En effet, les ressortissants d’un autre État membre de l’Union, tel M. Stauderer, comme ceux d’un État de l’EEE sont soumis à la procédure de déclaration et peuvent acquérir un bien immobilier en respectant les mêmes formalités que celles auxquelles sont tenus les ressortissants autrichiens.

50     En outre, l’obligation pour l’acquéreur de mentionner sa nationalité dans la déclaration qu’il fournit a pour objet de distinguer les situations respectives des ressortissants d’un État de l’Union ou de ceux de l’EEE, dont les droits à acquisition sont identiques à ceux des ressortissants autrichiens, de celle des ressortissants d’États tiers, qui ne peuvent se porter acquéreurs de biens immobiliers dans les mêmes conditions. Cette obligation de mentionner la nationalité et celle d’indiquer dans la déclaration, le cas échéant, que le terrain sera utilisé à titre de résidence de vacances ne visent donc pas à interdire l’acquisition de résidences secondaires par les ressortissants d’autres États membres, mais seulement, comme l’a précisé le gouvernement autrichien, à assurer le respect des conditions spéciales d’installation de ces résidences.

51     S’agissant, enfin, de la condition de proportionnalité, le gouvernement autrichien affirme que la déclaration visée à l’article 7, paragraphe 2, du VGVG, contrairement à ce qu’indique la juridiction de renvoi, n’a pas qu’un caractère formel. Il ressortirait des travaux préparatoires du VGVG tel que publié au LGB1. 61/1993 (et tel que publié au LBG1. 29/2000) que la déclaration est non seulement destinée à informer les autorités compétentes d’un projet d’acquisition, mais a également pour objet de garantir que le terrain bâti sera bien utilisé aux fins mentionnées dans ladite déclaration, notamment qu’une éventuelle utilisation à titre de résidence de vacances réponde aux conditions spécifiques à ce type d’utilisation. Les contrôles exercés a posteriori par ces autorités n’affecteraient pas la réalisation du projet d’acquisition, l’inscription au livre foncier étant consécutive au seul dépôt de la déclaration. Quant à la sanction de nullité prévue en cas d’absence de déclaration dans un délai de deux ans, elle permettrait, par son caractère automatique, d’assurer la bonne information desdites autorités des acquisitions de terrains bâtis et de mettre ces autorités à même de prendre, dans un délai raisonnable, les mesures de contrôle nécessaires. Cette sanction serait donc proportionnée à l’objectif d’empêcher l’utilisation illégale des terrains comme résidences de vacances. Une sanction administrative qui se substituerait à celle de la nullité du contrat ne serait pas nécessairement moins lourde pour l’acquéreur, puisqu’elle pourrait être infligée dès l’expiration d’un délai de trois mois et serait moins efficace.

52     À cet égard, il est vrai qu’un régime de déclaration préalable, lorsqu’il est assorti d’instruments juridiques adéquats, peut effectivement constituer une mesure proportionnée à l’objectif d’intérêt général poursuivi. La Cour a ainsi déjà jugé qu’un tel régime peut permettre d’éliminer l’exigence d’autorisation préalable, en règle générale plus restrictive de la liberté des mouvements de capitaux, sans pour autant nuire à l’efficacité des buts poursuivis par l’autorité publique (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 1995, Sanz de Lera e.a., C-163/94, C‑165/94 et C‑250/94, Rec. p. I-4821, point 27, ainsi que arrêts précités Konle, points 46 et 47, et Salzmann, point 50). Ainsi que le soutient la Commission des Communautés européennes à juste titre, un tel régime de déclaration ne peut en soi constituer une mesure disproportionnée.

53     Cependant, la question préjudicielle ne porte pas sur la procédure de déclaration instituée par le VGVG, prise dans son ensemble, mais uniquement sur la mesure de sanction prévue en cas de dépôt tardif de la déclaration requise, à savoir l’annulation rétroactive de la transaction foncière.

54     Or, une telle sanction n’est pas proportionnée aux buts d’intérêt général poursuivis en l’espèce.

55     En effet, d’une part, elle est prononcée automatiquement, à la suite d’un simple dépassement du délai de dépôt de la déclaration exigée, quelles que soient les raisons de la tardiveté du dépôt. Ainsi, dans le litige au principal, il semble que le dépôt tardif de la déclaration par M. Stauderer ait été en partie lié à l’incertitude juridique dans laquelle celui-ci s’était trouvé, la juridiction de renvoi ayant, dans une précédente procédure, estimé qu’il était en tout état de cause trop tard pour que l’intéressé s’acquitte de cette obligation.

56     D’autre part, une telle sanction remet en cause de façon radicale, sans raison tirée de la violation des règles de fond applicables, une convention exprimant les intentions des parties et ne peut, de ce fait, correspondre aux exigences de sécurité juridique, particulièrement importantes en matière d’acquisition foncière. La circonstance que le délai soit, comme l’indique la Commission, «généreusement calculé» n’est donc pas suffisante pour que ladite sanction soit considérée comme proportionnée aux buts visés.

57     Certes, la Cour a admis qu’une action en nullité d’un contrat de vente pouvait constituer une mesure de sanction proportionnée, dans le cadre d’un régime de déclaration préalable (arrêt Salzmann, précité, point 51). De même, la Cour a déjà considéré que certains objectifs d’aménagement du territoire, tels que le soutien et le développement d’une agriculture stable par la maîtrise de l’évolution des structures foncières agricoles, pouvaient ne pas être atteints par un simple système de déclaration préalable et que, dès lors, même un régime d’autorisation préalable pouvait, dans certaines conditions, être compatible avec la liberté des mouvements de capitaux (voir en ce sens, notamment, arrêt du 23 septembre 2003, Ospelt et Schlössle Weissenberg, C-452/01, Rec. p. I-9743, points 41 à 45).

58     Il n’est donc pas en principe exclu qu’un régime de déclaration préalable, moins restrictif de la liberté des mouvements de capitaux qu’un régime d’autorisation préalable, puisse être assorti du prononcé a posteriori de mesures de sanction rigoureuses, suffisamment dissuasives pour que les finalités d’aménagement du territoire et d’urbanisme soient effectivement respectées.

59     Toutefois, si une sanction telle que celle en cause au principal peut être admise en cas de violation des règles de fond fixées par la législation concernée, dûment constatée par l’autorité compétente au vu de l’ensemble des circonstances du dossier, une telle mesure est excessive en tant qu’elle tire des conséquences automatiques d’un dépôt tardif de la déclaration, en interdisant à cette autorité d’examiner si, sur le fond, le projet d’acquisition est conforme aux règles d’urbanisme applicables.

60     D’autres mesures moins étendues dans leurs effets pourraient sanctionner le dépôt tardif d’une déclaration, telles que des amendes. L’article 34 du VGVG comporte d’ailleurs une liste de faits justifiant l’infliction de sanctions pécuniaires. De même, il pourrait être envisagé de donner au demandeur la possibilité de s’expliquer sur les raisons de son retard ou de reconnaître à l’autorité compétente la possibilité, notamment si les droits des tiers ne sont pas en cause, d’accepter, à certaines conditions, même une déclaration tardive ou de maintenir, également sous certaines conditions, la validité de la convention.

61     Une sanction telle que celle en cause au principal ne peut donc être regardée comme indispensable pour assurer le respect de l’obligation de déclaration d’acquisition et pour atteindre le but d’intérêt général poursuivi par le VGVG.

62     Il y a donc lieu de répondre à la juridiction de renvoi que l’article 56, paragraphe 1, CE s’oppose à l’application d’une réglementation nationale telle que le VGVG, en vertu de laquelle le simple dépôt tardif de la déclaration d’acquisition exigée entraîne la nullité rétroactive de la transaction foncière concernée.

 Sur les dépens

63     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

L’article 56, paragraphe 1, CE s’oppose à l’application d’une réglementation nationale telle que la loi sur les transactions foncières (Vorarlberger Grundverkehrsgesetz), du 23 septembre 1993, dans sa version modifiée, en vertu de laquelle le simple dépôt tardif de la déclaration d’acquisition exigée entraîne la nullité rétroactive de la transaction foncière concernée.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.