Affaires jointes C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et

C-213/02 P

Dansk Rørindustri e.a.

contre

Commission des Communautés européennes

«Pourvoi — Concurrence — Conduites de chauffage urbain (conduites précalorifugées) — Article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) — Entente — Boycottage — Amendes — Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes — Non-rétroactivité — Confiance légitime — Légalité — Communication sur la coopération — Obligation de motivation»

Conclusions de l'avocat général M. A. Tizzano, présentées le 8 juillet 2004 

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 28 juin 2005 

Sommaire de l'arrêt

1.     Procédure — Mesures d'instruction — Audition des témoins — Pouvoir d'appréciation du Tribunal — Incidence du principe général de droit communautaire du droit à un procès équitable

(Règlement de procédure du Tribunal, art. 68, § 1)

2.     Procédure — Requête introductive d'instance — Exigences de forme — Exposé sommaire des moyens invoqués — Moyens de droit non exposés dans la requête — Renvoi à des éléments figurant dans une annexe — Irrecevabilité

(Règlement de procédure du Tribunal, art. 44, § 1, c))

3.     Concurrence — Règles communautaires — Entreprise — Notion

(Traité CE, art. 85 et 86 (devenus art. 81 CE et 82 CE))

4.     Concurrence — Règles communautaires — Infraction commise par une entreprise — Imputation à une autre entreprise eu égard aux liens économiques et juridiques les unissant — Conditions — Insuffisance d'un contrôle capitalistique unique

(Traité CE, art. 85, § 1 (devenu art. 81, § 1, CE))

5.     Concurrence — Ententes — Participation d'une entreprise à une initiative anticoncurrentielle — Caractère suffisant, pour engager la responsabilité de l'entreprise, d'une approbation tacite sans distanciation publique ni dénonciation aux autorités compétentes

(Traité CE, art. 85, § 1 (devenu art. 81, § 1, CE))

6.     Concurrence — Ententes — Atteinte à la concurrence — Critères d'appréciation — Objet anticoncurrentiel — Constatation suffisante

(Traité CE, art. 85, § 1 (devenu art. 81, § 1, CE))

7.     Pourvoi — Moyens — Moyen présenté pour la première fois dans le cadre du pourvoi — Irrecevabilité

(Statut CE de la Cour de justice, art. 51)

8.     Concurrence — Règles communautaires — Infractions — Amendes — Détermination — Critères — Élévation du niveau général des amendes — Admissibilité — Conditions

(Traité CE, art. 85, § 1, et 86 (devenus art. 81, § 1, CE et 82 CE); règlement du Conseil nº 17)

9.     Droit communautaire — Principes — Protection de la confiance légitime — Limites — Répression des infractions aux règles de concurrence — Détermination du montant des amendes — Méthode de calcul des amendes — Pouvoir d'appréciation des institutions — Absence d'incidence de la communication sur la coopération

(Communication de la Commission 96/C 207/04)

10.   Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité des infractions — Circonstances atténuantes — Obligation pour la Commission de se tenir à sa pratique décisionnelle antérieure — Absence

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)

11.   Droit communautaire — Principes généraux du droit — Non-rétroactivité des dispositions pénales — Champ d'application — Amendes infligées à raison d'une violation des règles de concurrence — Inclusion — Violation éventuelle en raison de l'application à une infraction antérieure à leur introduction des lignes directrices pour le calcul des amendes — Caractère prévisible des modifications introduites par les lignes directrices — Absence de violation

(Convention européenne des droits de l'homme, art. 7; règlement du Conseil nº 17, art. 15; communication de la Commission 98/C 9/03)

12.   Actes des institutions — Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en cas d'infractions aux règles de concurrence — Acte de portée générale — Effets

(Communication de la Commission 98/C 9/03)

13.   Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Chiffre d'affaires global de l'entreprise concernée — Chiffre d'affaires réalisé avec les marchandises faisant l'objet de l'infraction — Prise en considération respective — Limites

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)

14.   Pourvoi — Compétence de la Cour — Remise en cause, pour des motifs d'équité, de l'appréciation portée par le Tribunal sur le montant des amendes infligées aux entreprises — Exclusion — Contrôle limité à la vérification de la prise en considération par le Tribunal des facteurs essentiels d'appréciation de la gravité de l'infraction et de l'ensemble des arguments avancés à l'encontre de l'amende infligée

(Traité CE, art. 85 (devenu art. 81 CE); statut CE de la Cour de justice, art. 51; règlement du Conseil nº 17, art. 15)

15.   Concurrence — Lignes directrices pour le calcul des amendes — Méthode de calcul prenant en compte divers éléments de flexibilité au détriment du chiffre d'affaires de l'entreprise priviligié antérieurement — Conformité avec l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03)

16.   Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Montant maximal — Calcul — Distinction entre montant final et montant intermédiaire de l'amende — Conséquences

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)

17.   Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Situation financière de l'entreprise concernée — Prise en considération — Obligation — Absence

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)

18.   Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Réduction du montant de l'amende en contrepartie d'une coopération de l'entreprise incriminée — Conditions — Pouvoir d'appréciation de la Commission

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2; communication de la Commission 96/C 207/04, chapitre D, points 1 et 2)

19.   Concurrence — Procédure administrative — Respect des droits de la défense — Communication des griefs — Contenu nécessaire — Indication des critères de calcul de l'amende envisagée — Indication prématurée — Absence d'oligation d'indiquer un changement éventuel de politique concernant le niveau du montant des amendes

(Règlement du Conseil nº 17)

20.   Pourvoi — Moyens — Insuffisance de motivation — Compétence de la Cour — Prise en considération des faits retenus par le Tribunal — Inclusion

(Traité CE, art. 190 (devenu art. 253 CE))

21.   Actes des institutions — Motivation — Obligation — Portée — Décisions — Régularisation d'un défaut de motivation au cours de la procédure contentieuse — Inadmissibilité

(Traité CE, art. 190 (devenu art. 253 CE))

1.     Même si une demande d'audition de témoins, formulée dans la requête, indique avec précision les faits sur lesquels il y a lieu d'entendre le ou les témoins et les motifs de nature à justifier leur audition, il appartient au Tribunal d'apprécier la pertinence de la demande par rapport à l'objet du litige et à la nécessité de procéder à l'audition des témoins cités.

L'existence d'un pouvoir d'appréciation à cet égard de la part du Tribunal ne saurait être contestée en invoquant le principe général de droit communautaire, qui s'inspire de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l'homme, selon lequel toute personne a droit à un procès équitable, et, plus particulièrement, celui découlant du paragraphe 3, sous d), de ce même article, selon lequel tout accusé a notamment droit d'obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge, principe qui constitue un aspect particulier du droit à un procès équitable.

En effet, cette dernière disposition ne reconnaît pas à l'accusé un droit absolu d'obtenir la comparution de témoins devant un tribunal et il incombe en principe au juge national de décider de la nécessité ou de l'opportunité de citer un témoin.

L'article 6, paragraphe 3, précité n'impose donc pas la convocation de tout témoin, mais vise une complète égalité des armes assurant que la procédure litigieuse, considérée dans son ensemble, a offert à l'accusé une occasion adéquate et suffisante de contester les soupçons qui pesaient sur lui.

(cf. points 68-71)

2.     Il découle de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal que les éléments de droit et de fait sur lesquels se fonde un recours doivent ressortir, de manière à tout le moins sommaire, du texte même de la requête et qu'il ne suffit donc pas qu'il soit fait référence dans la requête à de tels éléments figurant dans une annexe à celle-ci.

De même, il n'appartient pas au Tribunal de rechercher et d'identifier, dans les annexes, les moyens qu'il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, celles-ci ayant une fonction purement probatoire et instrumentale.

(cf. points 94, 97, 100)

3.     Dans le contexte du droit de la concurrence, la notion d'entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. Elle n'exige pas que l'unité économique concernée soit dotée de la personnalité juridique.

(cf. points 112-113)

4.     Le comportement anticoncurrentiel d'une entreprise peut être imputé à une autre lorsqu'elle n'a pas déterminé son comportement sur le marché de façon autonome, mais a appliqué pour l'essentiel les directives émises par cette dernière, eu égard en particulier aux liens économiques et juridiques qui les unissaient.

À cet égard, la circonstance que le capital social de deux sociétés commerciales distinctes appartient à une même personne ou à une même famille n'est pas suffisante, en tant que telle, pour établir l'existence, entre ces deux sociétés, d'une unité économique ayant pour conséquence, en vertu du droit communautaire de la concurrence, que les agissements de l'une peuvent être imputés à l'autre et que l'une peut être tenue de payer une amende pour l'autre.

(cf. points 117-118)

5.     Il suffit que la Commission démontre qu'une entreprise a participé à des réunions au cours desquelles des accords de nature anticoncurrentielle ont été conclus, sans s'y être manifestement opposée, pour prouver à suffisance la participation de ladite entreprise à l'entente. Lorsque la participation à de telles réunions a été établie, il incombe à cette entreprise d'avancer des indices de nature à prouver que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu'elle avait indiqué à ses concurrents qu'elle participait à ces réunions dans une optique différente de la leur.

À cet égard, l'approbation tacite d'une initiative illicite, sans se distancier publiquement de son contenu ou la dénoncer aux entités administratives, a pour effet d'encourager la continuation de l'infraction et compromet sa découverte. Cette complicité constitue un mode passif de participation à l'infraction qui est donc de nature à engager la responsabilité de l'entreprise dans le cadre d'un accord unique.

De plus, la circonstance qu'une entreprise ne donne pas suite aux résultats d'une réunion ayant un objet anticoncurrentiel n'est pas de nature à écarter sa responsabilité du fait de sa participation à une entente, à moins qu'elle ne se soit distanciée publiquement de son contenu.

(cf. points 142-144)

6.     Aux fins de l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité (devenu article 81, paragraphe 1, CE), il suffit qu'un accord ait pour objet de restreindre, d'empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence, indépendamment de ses effets concrets. En conséquence, dans le cas d'accords se manifestant lors de réunions d'entreprises concurrentes, une infraction à cette disposition est constituée lorsque ces réunions ont un tel objet et visent, ainsi, à organiser artificiellement le fonctionnement du marché. Dans un tel cas, la responsabilité d'une entreprise déterminée du chef de l'infraction est valablement retenue lorsqu'elle a participé à ces réunions en ayant connaissance de leur objet, même si elle n'a pas, ensuite, mis en oeuvre l'une ou l'autre des mesures convenues lors de celles-ci.

La circonstance d'une participation à l'entente d'entreprises dominantes ou particulièrement puissantes, susceptibles de prendre des mesures de rétorsion envers d'autres participants, nettement moins puissants, au cas où ceux-ci se distancieraient publiquement du contenu des réunions dont l'objet est anticoncurrentiel, l'assiduité plus ou moins grande de l'entreprise auxdites réunions ainsi que la mise en oeuvre plus ou moins complète des mesures convenues ont des conséquences non pas sur l'existence de sa responsabilité, mais sur l'étendue de celle-ci et donc sur le niveau de la sanction.

(cf. points 145, 150)

7.     Permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu'elle n'a pas soulevé devant le Tribunal reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d'un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d'un pourvoi, la compétence de la Cour est donc limitée à l'examen de l'appréciation par le Tribunal des moyens qui ont été débattus devant lui.

(cf. point 165)

8.     Le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d'un certain niveau à certains types d'infractions ne saurait la priver de la possibilité d'élever ce niveau dans les limites indiquées dans le règlement nº 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de la concurrence; au contraire, l'application efficace des règles communautaires de la concurrence exige que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique.

En effet, la mission de surveillance que confèrent à la Commission les articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité (devenus articles 81, paragraphe 1, CE et 82 CE) ne comprend pas seulement la tâche d'instruire et de réprimer des infractions individuelles, mais comporte également le devoir de poursuivre une politique générale visant à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens le comportement des entreprises.

(cf. points 169-170, 227)

9.     Les opérateurs économiques ne peuvent placer une confiance légitime dans le maintien d'une situation existante pouvant être modifiée par la Commission dans le cadre de son pouvoir d'appréciation. Ce principe s'applique clairement dans le cadre de la politique de la concurrence qui est caractérisée par un large pouvoir d'appréciation de la Commission, notamment pour ce qui concerne la détermination du montant des amendes.

Les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne sauraient donc acquérir une confiance légitime dans le fait que la Commission ne dépassera pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement. Il s'ensuit qu'une confiance légitime ne saurait pas davantage être fondée sur une méthode de calcul des amendes.

En outre, la confiance légitime que sont en mesure de tirer les opérateurs de la communication sur la coopération se limite à l'assurance de pouvoir bénéficier d'un certain pourcentage de réduction, mais ne s'étend pas à la méthode de calcul des amendes ni, à plus forte raison encore, à un niveau déterminé de l'amende pouvant être calculé au moment où l'opérateur décide de concrétiser son intention de coopérer avec la Commission.

(cf. points 171-173, 187-188, 228)

10.   Lors de la détermination du montant de l'amende à infliger pour infraction aux règles de concurrence, le seul fait que la Commission a accordé, dans sa pratique décisionnelle antérieure, un certain taux de réduction pour un comportement déterminé n'implique pas qu'elle est tenue d'accorder la même réduction proportionnelle lors de l'appréciation d'un comportement similaire dans le cadre d'une procédure administrative ultérieure.

(cf. point 192)

11.   Le principe de non-rétroactivité des lois pénales, consacré à l'article 7 de la convention européenne des droits de l'homme comme droit fondamental, constitue un principe général du droit communautaire dont le respect s'impose lorsque des amendes sont infligées pour infraction aux règles de concurrence, et exige que les sanctions prononcées correspondent à celles qui étaient fixées à l'époque où l'infraction a été commise.

La notion de «droit» au sens dudit article 7, paragraphe 1, correspond à celle de «loi» utilisée dans d'autres dispositions de la convention précitée et englobe le droit d'origine tant législative que jurisprudentielle. Cette disposition, qui consacre notamment le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege), si elle ne saurait être interprétée comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale, peut s'opposer à l'application rétroactive d'une nouvelle interprétation d'une norme établissant une infraction. Tel est en particulier le cas s'il s'agit d'une interprétation jurisprudentielle dont le résultat n'était pas raisonnablement prévisible au moment où l'infraction a été commise, au vu notamment de l'interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause.

À l'instar de cette jurisprudence relative à de nouveaux développements jurisprudentiels, la modification d'une politique répressive, en l'occurrence la politique générale de la concurrence de la Commission en matière d'amendes, en particulier si elle est opérée par l'adoption de règles de conduite telles que les lignes directrices arrêtées par la Commission pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, peut avoir des incidences au regard du principe de non-rétroactivité. En effet, eu égard notamment à leurs effets juridiques et à leur portée générale, de telles règles de conduites relèvent, en principe, de la notion de «droit» au sens de l'article 7, paragraphe 1, de la convention précitée.

Afin de contrôler le respect du principe de non-rétroactivité, il y a lieu de vérifier si la modification en cause était raisonnablement prévisible à l'époque où les infractions concernées ont été commises. À cet égard, la portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s'agit, du domaine qu'il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. La prévisibilité de la loi ne s'oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé. Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d'une grande prudence dans l'exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d'eux qu'ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu'il comporte.

Eu égard au fait que l'application efficace des règles communautaires de la concurrence exige que la Commission puisse à tout moment adapter, dans les limites indiquées au règlement nº 17, le niveau des amendes aux besoins de la politique communautaire de la concurrence et, partant, qu'elle puisse élever le niveau du montant des amendes par rapport à celui appliqué dans le passé, non seulement en procédant à un relèvement du niveau dudit montant en prononçant des amendes dans des décisions individuelles, mais également en opérant un tel relèvement par l'application, à des cas d'espèce, de règles de conduite ayant une portée générale telles que les lignes directrices, il s'ensuit que ces dernières et, en particulier, la nouvelle méthode de calcul des amendes qu'elles comportent, à supposer qu'elle ait eu un effet aggravant quant au niveau des amendes infligées, étaient raisonnablement prévisibles pour des entreprises à l'époque de la commission de leurs infractions antérieure à leur adoption.

(cf. points 202, 216-219, 222-224, 227-231)

12.   En adoptant des règles de conduite visant à produire des effets externes, comme c'est le cas des lignes directrices qui visent des opérateurs économiques, et en annonçant par leur publication qu'elle les appliquera dorénavant aux cas concernés par celles-ci, l'institution en question s'autolimite dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation et ne saurait se départir de ces règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d'une violation de principes généraux du droit, tels que l'égalité de traitement ou la protection de la confiance légitime. Il ne saurait dès lors être exclu que, sous certaines conditions et en fonction de leur contenu, de telles règles de conduite ayant une portée générale puissent déployer des effets juridiques.

À cet égard, les lignes directrices arrêtées par la Commission pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, si elles ne constituent pas le fondement juridique de la décision infligeant une amende à un opérateur économique, cette dernière étant basée sur les articles 3 et 15, paragraphe 2, du règlement nº17, déterminent, de manière générale et abstraite, la méthodologie que la Commission s'est imposée aux fins de la fixation du montant des amendes infligées par cette décision et assurent, par conséquent, la sécurité juridique des entreprises.

(cf. points 210-213)

13.   La gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments, tels que les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce, sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte.

Figurent parmi les éléments de nature à entrer dans l'appréciation de la gravité des infractions le comportement de chacune des entreprises, le rôle joué par chacune d'elles dans l'établissement des pratiques concertées, le profit qu'elles ont pu tirer de ces pratiques, leur taille et la valeur des marchandises concernées ainsi que le risque que des infractions de ce type représentent pour les objectifs de la Communauté.

Il s'ensuit, d'une part, qu'il est loisible, en vue de la détermination du montant de l'amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d'affaires global de l'entreprise qui constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de la taille de celle-ci et de sa puissance économique que de la part de ce chiffre qui provient des marchandises faisant l'objet de l'infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l'ampleur de celle-ci. Il en résulte, d'autre part, qu'il ne faut attribuer ni à l'un ni à l'autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d'appréciation et, par conséquent, que la fixation d'une amende appropriée ne peut être le résultat d'un simple calcul basé sur le chiffre d'affaires global. Il en est particulièrement ainsi lorsque les marchandises concernées ne représentent qu'une faible fraction de ce chiffre.

(cf. points 241-243, 257, 292, 312)

14.   Dans le cadre du pourvoi, le contrôle de la Cour a pour objet, d'une part, d'examiner dans quelle mesure le Tribunal a pris en considération, d'une manière juridiquement correcte, tous les facteurs essentiels pour apprécier la gravité d'un comportement déterminé à la lumière des articles 85 du traité (devenu article 81 CE) et 15 du règlement nº 17 et, d'autre part, de vérifier si le Tribunal a répondu à suffisance de droit à l'ensemble des arguments invoqués par le requérant tendant à la suppression ou à la réduction de l'amende.

En revanche, il n'appartient pas à la Cour, lorsqu'elle se prononce sur des questions de droit dans le cadre d'un pourvoi, de substituer, pour des motifs d'équité, son appréciation à celle du Tribunal statuant, dans l'exercice de sa pleine juridiction, sur le montant des amendes infligées à des entreprises en raison de la violation, par celles-ci, du droit communautaire.

(cf. points 244-245, 303)

15.   En annonçant, dans ses lignes directrices, la méthode qu'elle envisageait d'appliquer pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, la Commission est restée dans le cadre légal imposé par cette disposition et n'a aucunement dépassé le pouvoir discrétionnaire qui lui a été attribué par le législateur.

Cette méthode, si elle s'écarte de la pratique antérieure de la Commission qui accordait d'avantage d'importance au chiffre d'affaires des entreprises sanctionnées, ne contrevient nullement aux dispositions dudit article, telles qu'interprétées par la jurisprudence, qui n'imposent nullement de calculer les amendes à partir de montants basés sur le chiffre d'affaires des entreprises concernées. Au contraire, en prévoyant la prise en compte d'un grand nombre d'éléments, parmi lesquels figurent notamment les gains procurés par l'infraction ou le besoin d'assurer l'effet dissuasif des amendes, lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction, tout en n'excluant aucunement la prise en compte du chiffre d'affaires, et donc en introduisant des éléments de flexibilité, elle permet à la Commission d'exercer son pouvoir discrétionnaire en pleine conformité avec lesdites dispositions.

(cf. points 252, 254, 258, 260-261, 267)

16.   La limite supérieure du montant de l'amende visée à l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 doit être comprise en ce sens que le montant de l'amende finalement infligée à une entreprise ne peut pas dépasser cette limite. Cette disposition n'interdit donc pas à la Commission de se référer, pour son calcul, à un montant intermédiaire dépassant cette même limite. Elle ne s'oppose pas non plus à ce que des opérations de calcul intermédiaires prenant en compte la gravité et la durée de l'infraction soient effectuées sur un montant supérieur à ladite limite. S'il s'avère que, au terme du calcul, le montant final de l'amende doit être réduit à concurrence de ce qui dépasse ladite limite supérieure, le fait que certains facteurs tels que la gravité et la durée de l'infraction ne se répercutent pas de façon effective sur le montant de l'amende infligée n'est qu'une simple conséquence de l'application de cette limite supérieure audit montant final.

Ladite limite supérieure vise à éviter que soient infligées des amendes dont il est prévisible que les entreprises, au vu de leur taille, telle que déterminée par leur chiffre d'affaires global, fût-ce de façon approximative et imparfaite, ne seront pas en mesure de s'acquitter. Il s'agit donc d'une limite, uniformément applicable à toutes les entreprises et articulée en fonction de la taille de chacune d'elles, visant à éviter des amendes d'un niveau excessif et disproportionné. Cette limite supérieure a ainsi un objectif distinct et autonome par rapport à celui des critères de gravité et de durée de l'infraction. Elle a comme seule conséquence possible que le montant de l'amende calculé sur la base de ces critères est réduit jusqu'au niveau maximal autorisé. Son application implique que l'entreprise concernée ne paie pas l'amende qui, en principe, serait due au titre d'une appréciation fondée sur lesdits critères.

(cf. points 277-283, 323)

17.   La Commission n'est pas obligée, lors de la détermination du montant de l'amende, de tenir compte de la situation financière déficitaire d'une entreprise, étant donné que la reconnaissance d'une telle obligation reviendrait à procurer un avantage concurrentiel injustifié aux entreprises les moins adaptées aux conditions du marché.

(cf. point 327)

18.   La Commission dispose d'un pouvoir pour apprécier que des éléments d'information fournis par une entreprise qui peuvent, en principe, relever de situations permettant une réduction du montant de l'amende au titre du chapitre D, point 2, de la communication sur la coopération ne doivent pas nécessairement l'amener à reconnaître à cette entreprise une réduction au titre de ladite communication.

De plus, une réduction sur le fondement de la communication sur la coopération ne saurait être justifiée que lorsque les informations fournies et, plus généralement, le comportement de l'entreprise concernée pourraient à cet égard être considérés comme démontrant une véritable coopération de sa part. Ainsi qu'il résulte de la notion même de coopération, telle que mise en évidence dans le texte de la communication sur la coopération, et notamment l'introduction et le chapitre D, point 1, de cette communication, c'est en effet uniquement lorsque le comportement de l'entreprise concernée témoigne d'un tel esprit de coopération qu'une réduction sur la base de ladite communication peut être accordée.

Dès lors, une entreprise ayant fourni des renseignements incomplets et, partiellement, inexacts ne pourrait pas se prévaloir d'un tel comportement.

(cf. points 393-397)

19.   Dès lors que la Commission indique expressément, dans sa communication des griefs, qu'elle va examiner s'il convient d'infliger des amendes aux entreprises concernées et qu'elle énonce les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d'entraîner une amende, tels que la gravité et la durée de l'infraction supposée et le fait d'avoir commis celle-ci «de propos délibéré ou par négligence», elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises d'être entendues. Ce faisant, elle leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l'infraction, mais aussi contre le fait de se voir infliger une amende.

Toutefois, donner des indications concernant le niveau des amendes envisagées, aussi longtemps que les entreprises n'ont pas été mises en mesure de faire valoir leurs observations sur les griefs retenus contre elles, reviendrait à anticiper de façon inappropriée la décision de la Commission.

De même, la Commission n'est pas non plus tenue d'indiquer, dans la communication des griefs, la possibilité d'un changement éventuel de sa politique en ce qui concerne le niveau du montant des amendes, possibilité qui dépend de considérations générales de politique de concurrence sans rapport direct avec les circonstances particulières des affaires en cause.

(cf. points 428, 434-435)

20.   La question de la portée de l'obligation de motivation constitue une question de droit qui est soumise au contrôle de la Cour dans le cadre d'un pourvoi, dès lors que le contrôle de la légalité d'une décision qui est exercé dans ce cadre doit nécessairement prendre en considération les faits sur lesquels le Tribunal s'est fondé pour aboutir à la conclusion selon laquelle la motivation est suffisante ou insuffisante.

(cf. point 453)

21.   L'obligation de motiver une décision individuelle a pour but de permettre à la Cour d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est éventuellement entachée d'un vice permettant d'en contester la validité.

La motivation doit donc, en principe, être communiquée à l'intéressé en même temps que la décision lui faisant grief. L'absence de motivation ne saurait être régularisée par le fait que l'intéressé apprend les motifs de la décision au cours de la procédure devant la Cour.

(cf. points 462-463)




ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

28 juin 2005 (*)

Table des matières

I – Le cadre juridique

La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

Le règlement n° 17

Les lignes directrices

La communication sur la coopération

II – Les faits à l’origine des litiges

III – Les recours devant le Tribunal et les arrêts attaqués

IV – Les conclusions des parties au pourvoi

V – Les moyens d’annulation des arrêts attaqués

VI – Sur les pourvois

A – Sur les moyens de procédure

1. Sur le moyen tiré d’une violation de l’article 68, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, en ce que ce dernier a rejeté la demande du groupe Henss/Isoplus d’auditionner certains témoins à titre de mesure d’instruction

2. Sur le moyen tiré par ABB d’une violation des articles 44, paragraphe 1, sous c), et 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal en raison du rejet par celui-ci de la production d’un avis juridique annexé au mémoire en réplique

B – Sur les moyens au fond, relatifs à l’imputabilité de l’infraction

1. Sur le moyen tiré d’une violation de l’article 85, paragraphe 1, du traité en raison de la prise en compte de certaines entreprises dans le groupe Henss/Isoplus et de l’imputation de l’infraction à ce groupe en tant qu’«entreprise» au sens de cette disposition

2. Sur les moyens tirés d’une violation de l’article 85, paragraphe 1, du traité en raison de l’imputation au groupe Henss/Isoplus et à Brugg d’une infraction aux règles de concurrence du fait de leur participation à une réunion ayant un objet anticoncurrentiel

C – Sur les moyens au fond, relatifs à la détermination du montant des amendes

1. Sur les moyens relatifs à la violation des principes de protection de la confiance légitime et de non-rétroactivité du fait de l’application des lignes directrices aux infractions en cause

a) Sur les moyens tirés d’une violation du principe de protection de la confiance légitime

b) Sur les moyens tirés d’une violation du principe de non-rétroactivité

2. Sur les moyens relatifs à la légalité de la méthode de calcul du montant des amendes telle que consacrée par les lignes directrices ou appliquée dans la décision litigieuse

a) Sur les moyens tirés d’une violation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 lors de la détermination, dans la décision litigieuse, du montant des amendes selon la méthode de calcul prévue par les lignes directrices

b) Sur les moyens tirés d’une violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement lors de la détermination, dans la décision litigieuse, du montant des amendes selon la méthode de calcul prévue par les lignes directrices

c) Sur les moyens tirés par le groupe Henss/Isoplus d’une violation des droits de la défense dans l’appréciation des circonstances aggravantes

d) Sur le moyen tiré par LR A/S du défaut de prise en compte de circonstances atténuantes

e) Sur les moyens tirés par le groupe Henss/Isoplus et LR A/S du défaut ou de l’insuffisance de prise en compte de leur coopération lors de la procédure administrative

D – Sur les moyens relatifs au droit d’être entendu et à l’obligation de motivation

1. Sur les moyens tirés d’une violation du droit d’être entendu

2. Sur les moyens tirés d’une violation de l’obligation de motivation concernant le calcul des amendes

VII – Sur les dépens

«Pourvoi – Concurrence – Conduites de chauffage urbain (conduites précalorifugées) – Article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) – Entente – Boycottage – Amendes – Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes – Non-rétroactivité – Confiance légitime – Légalité – Communication sur la coopération – Obligation de motivation»

Dans les affaires jointes C-189/02 P, C-202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P,

ayant pour objet des pourvois au titre de l’article 49 du statut CE de la Cour de justice, introduits les 17 mai 2002, s’agissant de la première affaire, 29 mai 2002, s’agissant de la deuxième, 3 juin 2002, s’agissant des quatre suivantes, et 5 juin 2002, s’agissant de la dernière,

Dansk Rørindustri A/S, établie à Fredericia (Danemark), représentée par Mes K. Dyekjær-Hansen et K. Høegh, advokaterne (C-189/02 P),

Isoplus Fernwärmetechnik Vertriebsgesellschaft mbH, établie à Rosenheim (Allemagne),

Isoplus Fernwärmetechnik Gesellschaft mbH, établie à Hohenberg (Autriche),

Isoplus Fernwärmetechnik GmbH, établie à Sondershausen (Allemagne),

représentées par Me P. Krömer, Rechtsanwalt, ayant élu domicile à Luxembourg (C‑202/02 P),

KE KELIT Kunststoffwerk GmbH, établie à Linz (Autriche), représentée par Me W. Löbl, Rechtsanwalt, ayant élu domicile à Luxembourg (C-205/02 P),

LR af 1998 A/S, anciennement Løgstør Rør A/S, établie à Løgstør (Danemark), représentée par Mes D. Waelbroeck, avocat, et H. Peytz, advokat (C-206/02 P),

Brugg Rohrsysteme GmbH, établie à Wunstorf (Allemagne), représentée par Mes T. Jestaedt, H.-C. Salger et M. Sura, Rechtsanwälte, ayant élu domicile à Luxembourg (C-207/02 P),

LR af 1998 (Deutschland) GmbH, anciennement Lögstör Rör (Deutschland) GmbH, établie à Fulda (Allemagne), représentée par Me H.-J. Hellmann, Rechtsanwalt, ayant élu domicile à Luxembourg (C‑208/02 P),

ABB Asea Brown Boveri Ltd, établie à Zurich (Suisse), représentée par Mes A. Weitbrecht, Rechtsanwalt, J. Ruiz Calzado, abogado, et M. Bay, avvocato, ayant élu domicile à Luxembourg (C-213/02 P),

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant:

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. W. Mölls, P. Oliver et H. Støvlbæk, en qualité d’agents, assistés de Me A. Böhlke, Rechtsanwalt (C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P et C‑208/02 P), et M. R. Thompson, QC (C-206/02 P et C-213/02 P), ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

HFB Holding für Fernwärmetechnik Beteiligungsgesellschaft mbH & Co. KG,

HFB Holding für Fernwärmetechnik Beteiligungsgesellschaft mbH Verwaltungsgesellschaft,

représentées par Me P. Krömer, Rechtsanwalt, ayant élu domicile à Luxembourg (C-202/02 P),

parties demanderesses en première instance,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans (rapporteur) et Mme R. Silva de Lapuerta, présidents de chambre, MM. C. Gulmann, R. Schintgen, Mme N. Colneric, MM. S. von Bahr et J. N. Cunha Rodrigues, juges,

avocat général: M. A. Tizzano,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint, et Mme M.-F. Contet, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 mars 2004,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 juillet 2004,

rend le présent

Arrêt

1       Les présents pourvois ont été introduits par les entreprises Dansk Rørindustri A/S (ci-après «Dansk Rørindustri») (C-189/02 P), Isoplus Fernwärmetechnik Vertriebsgesellschaft mbH, Isoplus Fernwärmetechnik Gesellschaft mbH et Isoplus Fernwärmetechnik GmbH (ci-après, ensemble, le «groupe Henss/Isoplus») (C-202/02 P), KE KELIT Kunststoffwerk GmbH (ci-après «KE KELIT») (C‑205/02 P), LR af 1998 A/S, anciennement Løgstør Rør A/S (ci-après «LR A/S») (C-206/02 P), Brugg Rohrsysteme GmbH (ci-après «Brugg») (C-207/02 P), LR af 1998 (Deutschland) GmbH, anciennement Lögstör Rör (Deutschland) GmbH (ci-après «LR GmbH») (C-208/02 P) et ABB Asea Brown Boveri Ltd (ci-après «ABB») (C-213/02 P).

2       Par leurs pourvois, ces entreprises ont demandé l’annulation des arrêts du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 20 mars 2002 les concernant, à savoir, respectivement, les arrêts Dansk Rørindustri/Commission (T-21/99, Rec. p. II-1681), HFB e.a./Commission (T-9/99, Rec. p. II‑1487), KE KELIT/Commission (T‑17/99, Rec. p. II‑1647), LR AF 1998/Commission (T‑23/99, Rec. p. II‑1705), Brugg Rohrsysteme/Commission (T-15/99, Rec. p. II‑1613), Lögstör Rör/Commission (T-16/99, Rec. p. II-1633) et ABB Asea Brown Boveri/Commission (T‑31/99, Rec. p. II-1881) (ci-après, en référence à l’un de ces arrêts, par exemple, l’«arrêt attaqué Dansk Rørindustri/Commission», et en référence à l’ensemble desdits arrêts, les «arrêts attaqués»).

3       Par les arrêts attaqués, le Tribunal a, notamment, réduit l’amende infligée à ABB par la décision 1999/60/CE de la Commission, du 21 octobre 1998, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (IV/35.691/E-4 – Conduites précalorifugées) (JO 1999, L 24, p. 1, ci-après la «décision litigieuse»), et rejeté pour l’essentiel les recours en annulation dirigés contre cette décision.

 I – Le cadre juridique

 La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

4       L’article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»), intitulé «Pas de peine sans loi», prévoit, à son paragraphe 1:

«Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.»

 Le règlement n° 17

5       L’article 15 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), prévoit:

«1.       La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes d’un montant de cent à cinq mille unités de compte lorsque, de propos délibéré ou par négligence:

[…]

b)      elles fournissent un renseignement inexact en réponse à une demande faite en application de l’article 11, paragraphe 3 ou 5

[…]

2.       La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes de mille unités de compte au moins et d’un million d’unités de compte au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence:

a)      elles commettent une infraction aux dispositions de l’article 85, paragraphe 1, ou de l’article 86 du traité, […]

[…]

         Pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci.»

 Les lignes directrices

6       La communication de la Commission intitulée «Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17 et de l’article 65 paragraphe 5 du traité CECA», publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 14 janvier 1998 (JO C 9, p. 3, ci-après les «lignes directrices»), énonce dans son préambule:

«Les principes posés par les […] lignes directrices devraient permettre d’assurer la transparence et le caractère objectif des décisions de la Commission tant à l’égard des entreprises qu’à l’égard de la Cour de justice, tout en affirmant la marge discrétionnaire laissée par le législateur à la Commission pour la fixation des amendes dans la limite de 10 % du chiffre d’affaires global des entreprises. Cette marge devra toutefois s’exprimer dans une ligne politique cohérente et non discriminatoire adaptée aux objectifs poursuivis dans la répression des infractions aux règles de concurrence.

La nouvelle méthodologie applicable pour le montant de l’amende obéira dorénavant au schéma suivant, qui repose sur la fixation d’un montant de base auquel s’appliquent des majorations pour tenir compte des circonstances aggravantes et des diminutions pour tenir compte des circonstances atténuantes.»

 La communication sur la coopération

7       Dans sa communication concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes, publiée au Journal officiel des Communautés européennes le 18 juillet 1996 (JO C 207, p. 4, ci-après la «communication sur la coopération»), dont un projet avait été publié le 19 décembre 1995 (JO C 341, p. 13, ci-après le «projet de communication sur la coopération»), la Commission a défini les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec elle au cours de son enquête sur une entente pourront être exemptées de l’amende ou bénéficier d’une réduction du montant de celle qu’elles auraient autrement dû acquitter, ainsi qu’il ressort du chapitre A, point 3, de cette communication.

8       Aux termes du chapitre A, point 5, de ladite communication:

«La coopération d’une entreprise avec elle n’est qu’un élément parmi d’autres dont la Commission tient compte dans la fixation d’une amende. […]»

9       Le chapitre E, point 3, de la même communication, relatif à la procédure, énonce notamment:

«[L]a Commission est consciente du fait que la présente communication crée des attentes légitimes sur lesquelles se fonderont les entreprises souhaitant l’informer de l’existence d’une entente».

 II – Les faits à l’origine des litiges

10     Les faits qui sont à l’origine des recours devant le Tribunal et tels qu’exposés dans les arrêts attaqués peuvent, aux fins du présent arrêt, être résumés comme suit.

11     Les requérants sont des sociétés opérant dans le secteur du chauffage urbain. Ils produisent, voire commercialisent, des conduites précalorifugées destinées à ce secteur.

12     À la suite d’une plainte du 18 janvier 1995 de l’entreprise suédoise Powerpipe AB (ci-après «Powerpipe»), la Commission et les représentants des autorités de la concurrence des États membres concernés ont, le 28 juin 1995, effectué certaines vérifications, fondées sur l’article 14 du règlement n° 17, auprès de dix entreprises ou associations présentes dans le secteur du chauffage urbain, y inclus les requérants, voire certains établissements appartenant à ceux-ci.

13     La Commission a, en vertu de l’article 11 du règlement n° 17, adressé des demandes de renseignements à la plupart des entreprises concernées par les faits litigieux.

14     Le 20 mars 1997, la Commission a adressé une communication des griefs à certains des requérants et aux autres entreprises concernées conformément à l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 99/63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l’article 19 paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17 (JO 1963, 127, p. 2268).

15     Une audition des entreprises concernées a eu lieu les 24 et 25 novembre 1997.

16     Le 21 octobre 1998, la Commission a adopté la décision litigieuse, constatant la participation de diverses entreprises, et notamment de certains des requérants, à un ensemble d’accords et de pratiques concertées au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) (ci-après l’«entente»).

17     Selon ladite décision, un accord a été conclu, à la fin de l’année 1990, entre les quatre producteurs danois de conduites de chauffage urbain sur le principe d’une coopération générale sur leur marché national. Cet accord aurait réuni ABB IC Møller A/S, la filiale danoise d’ABB, Dansk Rørindustri, aussi connue sous le nom de Starpipe, LR A/S et Tarco Energi A/S (ci-après «Tarco» et, pour les quatre sociétés prises ensemble, les «producteurs danois»).

18     L’une des premières mesures aurait consisté à coordonner une augmentation des prix tant pour le marché danois que pour les marchés à l’exportation. Aux fins de partager le marché danois, des quotas auraient été fixés, puis appliqués et contrôlés par un groupe de contact réunissant les responsables des ventes des entreprises concernées.

19     Selon cette même décision, deux producteurs allemands, le groupe Henss/Isoplus et Pan-Isovit GmbH [devenue, par la suite, Lögstör Rör (Deutschland) GmbH, puis, LR GmbH], se sont joints, à partir de l’automne 1991, aux réunions régulières des producteurs danois. Dans le cadre de ces réunions, se seraient tenues des négociations en vue de la répartition du marché allemand. Celles-ci auraient abouti, en août 1993, à des accords fixant des quotas de vente pour chaque entreprise participante.

20     Toujours selon cette décision, il a été convenu d’un accord entre tous ces producteurs, en 1994, afin de fixer des quotas pour l’ensemble du marché européen. Cette entente de dimension communautaire aurait été structurée à deux niveaux. Le club des directeurs, réunissant les présidents ou des directeurs généraux des entreprises participantes à l’entente, aurait attribué des quotas à chaque entreprise tant sur l’ensemble du marché que sur chacun des marchés nationaux, notamment les marchés danois, allemand, italien, néerlandais, autrichien, finlandais et suédois. Pour certains marchés nationaux, un groupe de contact aurait été institué, composé de responsables locaux des ventes, qui se seraient vu confier la tâche de gérer les accords en attribuant les projets et en coordonnant les soumissions aux appels d’offres.

21     En ce qui concerne le marché allemand, la décision litigieuse mentionne que, à la suite d’une réunion, le 18 août 1994, des six principaux producteurs européens, à savoir ABB, Dansk Rørindustri, le groupe Henss/Isoplus, LR A/S, LR GmbH et Tarco, ainsi que de Brugg, une première réunion du groupe de contact pour l’Allemagne s’est tenue le 7 octobre 1994. Les réunions de ce groupe se seraient poursuivies longtemps après les vérifications de la Commission, à la fin de juin 1995, bien que, à partir de ce moment, elles se soient tenues à l’extérieur de l’Union européenne, à Zurich (Suisse). Les réunions dans cette ville se seraient poursuivies jusqu’au 25 mars 1996, soit quelques jours après que certaines de ces entreprises ont reçu les demandes de renseignements adressées par la Commission.

22     Comme élément de l’entente, ladite décision cite, notamment, l’adoption et la mise en œuvre de mesures concertées visant à éliminer la seule entreprise importante à ne pas en faire partie, Powerpipe. La Commission précise que certains participants à l’entente ont recruté des «salariés clés» de ladite société et ont fait comprendre à cette dernière qu’elle devait se retirer du marché allemand.

23     À la suite de l’attribution à Powerpipe d’un important projet allemand, en mars 1995, une réunion se serait tenue à Düsseldorf (Allemagne), à laquelle auraient participé les sept entreprises qui s’étaient réunies le 18 août 1994. Il aurait été décidé, lors de cette réunion, d’instituer un boycottage collectif des clients et des fournisseurs de Powerpipe. Ce boycottage aurait ensuite été mis en œuvre.

24     Dans la décision litigieuse, la Commission expose les motifs pour lesquels non seulement l’arrangement exprès de partage des marchés conclu entre les producteurs danois à la fin de 1990, mais également les arrangements conclus à compter d’octobre 1991 peuvent, ensemble, être considérés comme formant un accord prohibé par l’article 85, paragraphe 1, du traité.

25     De plus, la Commission souligne que l’entente au Danemark et celle de dimension communautaire ne constituaient que l’expression d’une seule entente qui a débuté au Danemark, mais qui avait, dès le départ, pour objectif, à plus long terme, d’étendre le contrôle des participants à tout le marché commun. Selon la Commission, l’accord continu entre producteurs a eu un effet sensible sur le commerce entre États membres.

26     Dans les arrêts attaqués, le Tribunal a relevé qu’il n’est pas contesté que, dans la décision litigieuse, le montant des amendes a été calculé selon la méthode prévue par les lignes directrices, ainsi qu’il ressort notamment des points 222 et 275 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission.

27     Il est constant en outre que la décision litigieuse ne comporte aucune référence aux lignes directrices, que les entreprises n’ont pas été informées au cours de la procédure administrative que la méthode prévue par ces lignes directrices leur serait appliquée et que ladite méthode n’a notamment pas été mentionnée dans la communication des griefs ni évoquée lors des auditions des entreprises.

28     Il convient également de relever que, à l’exception du groupe Henss/Isoplus, toutes les entreprises concernées par la décision litigieuse ont obtenu de la Commission une réduction de leur amende au titre de la communication sur la coopération. Cette réduction, accordée sous forme d’un pourcentage appliqué au montant de l’amende qui serait dû en principe, leur a été octroyée en contrepartie de leur coopération respective lors de la procédure administrative. Cette coopération a consisté à avoir renoncé à contester les éléments essentiels des infractions ou à avoir contribué, à des degrés divers, à l’établissement de la preuve des infractions.

29     La décision litigieuse comprend les dispositions suivantes:

«Article premier

ABB […], Brugg […], Dansk Rørindustri […], le groupe Henss/Isoplus, [KE KELIT], Oy KWH Tech AB, Løgstør Rør A/S, Pan-Isovit GmbH, Sigma Tecnologie di rivestimento Srl et Tarco […] ont enfreint les dispositions de l’article 85, paragraphe 1, du traité, en participant, de la manière et dans la mesure indiquées dans la motivation à un ensemble d’accords et de pratiques concertées qui a été mis en place, vers novembre ou décembre 1990, entre les quatre producteurs danois, qui a ensuite été étendu à d’autres marchés nationaux, auquel se sont ralliées Pan-Isovit et Henss/Isoplus, et qui a fini par constituer, fin 1994, une entente générale couvrant l’ensemble du marché commun.

La durée de l’infraction était la suivante:

–      dans le cas d’ABB, Dansk Rør[industri], Løgstør, Pan-Isovit […]: plus ou moins à partir de novembre-décembre 1990, et au moins jusqu’en mars ou avril 1996,

–      dans le cas [du groupe] Henss/Isoplus: plus ou moins à partir d’octobre 1991, jusqu’à la même date,

–      dans le cas de Brugg: à peu près à partir d’août 1994, jusqu’à la même date,

–      dans le cas de [KE KELIT]: plus ou moins à partir de janvier 1995, jusqu’à la même date,

[…]

Les principales caractéristiques de l’entente étaient:

–      la répartition entre producteurs des différents marchés nationaux, puis de l’ensemble du marché européen, grâce à un système de quotas,

–      l’attribution de marchés nationaux à certains producteurs et l’organisation du retrait des autres producteurs,

–      la fixation des prix du produit et de chaque projet,

–      l’attribution de projets à des producteurs désignés à cet effet et la manipulation des procédures de soumission, afin que les marchés en question soient attribués à ces producteurs,

–      pour protéger l’entente de la concurrence de la seule entreprise importante à ne pas en faire partie, Powerpipe […], l’adoption et la mise en œuvre de mesures concertées visant à entraver son activité commerciale, à nuire à la bonne marche de ses affaires ou à l’évincer purement et simplement du marché.

[…]

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises énumérées à l’article 1er, en raison de l’infraction constatée audit article:

a)      ABB […], une amende de 70 000 000 d’écus;

b)      Brugg […], une amende de 925 000 écus;

c)      Dansk Rørindustri […], une amende de 1 475 000 écus;

d)      groupe Henss/Isoplus, une amende de 4 950 000 écus,

à laquelle sont solidairement tenues les entreprises suivantes:

–      HFB Holding für Fernwärmetechnik Beteiligungsgesellschaft mbH & Co. KG,

–      HFB Holding für Fernwärmetechnik Beteiligungsgesellschaft mbH Verwaltungsgesellschaft,

–      Isoplus Fernwärmetechnik Vertriebsgesellschaft mbH (anciennement Dipl.-Kfm Walter Henss GmbH Rosenheim),

–      Isoplus Fernwärmetechnik GmbH, Sondershausen,

–      Isoplus Fernwärmetechnik Ges.mbH - stille Gesellschaft,

–      Isoplus Fernwärmetechnik Ges.mbH, Hohenberg;

e)      [KE KELIT], une amende de 360 000 écus;

[…]

g)      Løgstør Rør A/S, une amende de 8 900 000 écus;

h)      Pan-Isovit GmbH, une amende de 1 500 000 écus;

[…]»

 III – Les recours devant le Tribunal et les arrêts attaqués

30     Par requêtes déposées au greffe du Tribunal, huit des dix entreprises sanctionnées par la décision litigieuse, parmi lesquelles les sept requérants au présent pourvoi, ont introduit des recours, concluant toutes à l’annulation, en tout ou en partie, de cette décision et, à titre subsidiaire, à l’annulation de l’amende qui leur a été infligée ou à la réduction de son montant.

31     Par l’arrêt attaqué Dansk Rørindustri/Commission, le Tribunal a:

–      annulé l’article 1er de ladite décision en ce qu’il retenait la participation de Dansk Rørindustri à l’infraction reprochée durant la période allant d’avril à août 1994;

–      rejeté le recours pour le surplus;

–      condamné Dansk Rørindustri à supporter ses propres dépens et 90  % des dépens exposés par la Commission;

−      condamné la Commission à supporter 10 % de ses propres dépens.

32     Par l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission, le Tribunal a:

–      annulé les articles 3, sous d), et 5, sous d), de la décision litigieuse à l’égard de HFB Holding für Fernwärmetechnik Beteiligungsgesellschaft mbH & Co. KG et HFB Holding für Fernwärmetechnik Beteiligungsgesellschaft mbH Verwaltungsgesellschaft;

–      rejeté le recours pour le surplus;

–      condamné les sociétés constituant ledit groupe à supporter leurs propres dépens, y compris ceux afférents à la procédure en référé, et 80 % des dépens exposés par la Commission, y compris ceux afférents à la procédure en référé;

−      condamné la Commission à supporter 20 % de ses propres dépens, y compris ceux afférents à la procédure en référé.

33     Par les arrêts attaqués KE KELIT/Commission, LR AF 1998/Commission, Brugg Rohrsysteme/Commission et Lögstör Rör/Commission, le Tribunal a:

–      rejeté les recours;

–      condamné les requérantes concernées aux dépens.

34     Par l’arrêt attaqué ABB Asea Brown Boveri/Commission, le Tribunal a:

–      ramené à 65 millions d’euros le montant de l’amende infligée à ABB à l’article 3 de la décision litigieuse;

–      rejeté le recours pour le surplus;

–      condamné ladite requérante à supporter ses propres dépens et 90 % des dépens exposés par la Commission;

−      condamné la Commission à supporter 10 % de ses propres dépens.

 IV – Les conclusions des parties au pourvoi

35     Dansk Rørindustri conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–      réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée par la décision litigieuse;

–      à titre subsidiaire, annuler l’arrêt attaqué Dansk Rørindustri/Commission et renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin que ce dernier statue à nouveau sur le montant de l’amende;

–      condamner la Commission aux dépens supportés par ladite requérante dans le cadre des procédures devant le Tribunal et devant la Cour.

36     Le groupe Henss/Isoplus conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–      annuler l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission à l’exception du premier point de son dispositif ainsi que la décision litigieuse;

–      à titre subsidiaire, annuler ledit arrêt attaqué à l’exception du premier point de son dispositif et renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin que ce dernier complète la procédure et rende un nouvel arrêt;

–      à titre plus subsidiaire encore, annuler l’arrêt attaqué en son deuxième point du dispositif et réduire le montant de l’amende qui a été infligée aux sociétés dudit groupe par la décision litigieuse ;

–      condamner la Commission aux dépens supportés par ces sociétés dans le cadre des procédures devant le Tribunal et devant la Cour.

37     KE KELIT conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–      annuler l’arrêt attaqué KE KELIT/Commission;

–      à titre subsidiaire, annuler ledit arrêt et renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour nouvel examen;

–      à titre plus subsidiaire encore, réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée par la décision litigieuse;

–      en tout état de cause, condamner la Commission aux dépens supportés par ladite requérante dans le cadre des procédures devant le Tribunal et devant la Cour.

38     LR A/S conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–      annuler l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission;

–      annuler la décision litigieuse, lui infligeant une amende ou, à tout le moins, réduire substantiellement le montant de celle-ci ou, à titre subsidiaire, renvoyer l’affaire devant le Tribunal;

–      déclarer illégales, en vertu de l’article 184 du traité CE (devenu article 241 CE), les lignes directrices;

–      condamner la Commission aux dépens.

39     Brugg conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–      annuler l’arrêt attaqué Brugg Rohrsysteme/Commission ainsi que les articles 1er et 3 de la décision litigieuse;

–      à titre subsidiaire, réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée par ladite décision;

–      en tout état de cause, condamner la Commission aux dépens supportés par ladite requérante dans le cadre des procédures devant le Tribunal et devant la Cour.

40     LR GmbH conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–      annuler l’arrêt attaqué Lögstör Rör/Commission et statuer définitivement comme suit: annuler la décision litigieuse pour autant qu’elle concerne ladite requérante ou, à titre subsidiaire, réduire le montant de l’amende et condamner la Commission aux dépens;

–      à titre très subsidiaire, annuler ledit arrêt attaqué et renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

41     ABB conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–      annuler les points 2 et 3 du dispositif de l’arrêt attaqué ABB Asea Brown Boveri/Commission;

–      annuler l’article 3 de la décision litigieuse pour autant qu’il concerne ladite requérante;

–      réduire davantage le montant de l’amende que lui a été infligée par cette décision;

–      à titre subsidiaire, renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue conformément à l’arrêt de la Cour;

–      condamner la Commission aux dépens de l’ensemble des procédures, y compris ceux exposés par ABB dans le cadre du pourvoi.

42     La Commission conclut, dans chacune des présentes affaires, à ce qu’il plaise à la Cour:

–      confirmer les arrêts attaqués;

–      condamner les requérants aux dépens de l’instance.

 V – Les moyens d’annulation des arrêts attaqués

43     Dansk Rørindustri soulève trois moyens d’annulation:

–      violation du règlement n° 17 et des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement, en ce que le Tribunal n’a pas sanctionné le fait que le montant de l’amende infligée à cette requérante est disproportionné par rapport à l’infraction commise;

–      violation du règlement n° 17 et des principes de protection de la confiance légitime et de non-rétroactivité, en ce que le Tribunal n’a pas sanctionné le fait que le montant de l’amende infligée à ladite requérante a été fixé sur la base des principes des lignes directrices alors que celles-ci sont sensiblement différentes des principes qui étaient en vigueur au moment des actes incriminés, de la communication des griefs et de l’audition;

–      violation des droits de la défense, en ce que le Tribunal n’a pas sanctionné le fait que, lors de la procédure administrative, Dansk Rørindustri n’a pas eu la possibilité de s’exprimer sur les modifications apportées par les lignes directrices à la pratique de la Commission en matière de détermination du montant de l’amende pour infraction aux règles de concurrence.

44     Le groupe Henss/Isoplus soulève sept moyens d’annulation dont certains comportent plusieurs branches:

–      illégalité des lignes directrices en raison de:

–      l’incompétence de la Commission;

–      la violation du principe d’égalité de traitement;

–      la violation des droits de la défense;

–      la violation du principe de non-rétroactivité;

–      violation du droit d’être entendu en ce qui concerne l’application des lignes directrices lors de la fixation du montant des amendes;

–      violation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 lors de la fixation du montant des amendes en raison de:

–      la non-application à l’égard des sociétés concernées de la communication sur la coopération;

–      la violation des droits de la défense en tant que droit fondamental lors de l’appréciation de circonstances aggravantes;

–      violation de l’article 85, paragraphe 1, du traité en raison des conséquences tirées de la participation des sociétés concernées à une réunion ayant un objet anticoncurrentiel;

–      violation de l’article 85, paragraphe 1, du traité en raison du regroupement des sociétés concernées dans le groupe Henss/Isoplus et de l’imputation de l’infraction à ce groupe en tant qu’«entreprise»;

–      vice de procédure en raison du refus du Tribunal d’ordonner l’audition de témoins à titre de mesure d’instruction telle que demandée par le requérant;

–      vice de procédure en raison de certaines contradictions entre l’arrêt attaqué et le dossier.

45     KE KELIT soulève cinq moyens d’annulation:

–      violation des principes d’égalité de traitement et de protection de la confiance légitime en raison de la détermination de l’amende selon les lignes directrices;

–      violation du principe d’égalité de traitement pour ce qui concerne la durée de l’infraction;

–      violation du principe de non-rétroactivité;

–      violation des droits de la défense;

–      violation de l’obligation de motivation.

46     LR A/S soulève quatre moyens d’annulation:

–      violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement ainsi que du règlement n° 17, en raison du caractère excessif et discriminatoire de l’amende et, à titre subsidiaire, illégalité des lignes directrices;

–      violation des principes de protection de la confiance légitime et de non-rétroactivité ainsi que de l’article 190 du traité CE (devenu article 253 CE), en ce que la Commission s’est écartée à tort de sa pratique antérieure en matière de coopération et a appliqué rétroactivement les lignes directrices ainsi qu’un code sur la coopération plus strict, et, à tout le moins, de l’absence de motivation d’une telle application rétroactive;

–      prise en compte insuffisante des circonstances atténuantes applicables à ladite requérante;

–      prise en compte insuffisante de la coopération de cette requérante.

47     Brugg soulève cinq moyens d’annulation:

–      violation des principes de non-rétroactivité, de protection de la confiance légitime et de bonne administration, en raison de l’application des lignes directrices pour la détermination du montant de l’amende;

–      violation du principe de protection de la confiance légitime en raison du changement de la méthode de calcul de l’amende après que ladite requérante a coopéré;

–      violation des droits de la défense en raison de l’application des lignes directrices sans que cette requérante ait été entendue;

–      violation du principe d’égalité de traitement du fait de la non-réduction du montant de base retenu pour la fixation de l’amende de Brugg;

–      erreurs dans l’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité en ce qui concerne la participation de ladite requérante au boycottage de Powerpipe.

48     LR GmbH soulève quatre moyens d’annulation:

–      violation des principes de non-rétroactivité et de protection de la confiance légitime en raison de l’application rétroactive des lignes directrices;

–      violation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et du principe de légalité de l’action administrative en raison du non-respect par la Commission, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, des limites de l’habilitation de ce pouvoir prévues par ladite disposition ainsi que d’un exercice erroné de ce pouvoir dans l’application en l’espèce de cette même disposition, du fait de la violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement au détriment de LR GmbH;

–      violation de l’obligation de motivation visée à l’article 190 du traité en ce que la décision litigieuse ne comporte pas de motivation s’agissant de l’application rétroactive des lignes directrices;

–      violation des droits de la défense en raison de l’inobservation par la Commission du droit de ladite requérante d’être entendue à propos d’une telle application rétroactive.

49     ABB soulève trois moyens d’annulation:

–      violation des articles 44, paragraphe 1, sous c), et 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal pour ce qui concerne la décision de ce dernier de rejeter comme irrecevable un avis juridique joint à la réplique;

–      violation du principe de protection de la confiance légitime en ce que, au vu notamment de la communication sur la coopération, ladite requérante pouvait se fier à la pratique établie de la Commission en matière de calcul du montant de l’amende, de sorte que cette institution ne pouvait pas s’écarter arbitrairement d’une telle pratique;

–      violation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, en ce que le Tribunal a approuvé la détermination par la Commission de la gravité de l’infraction commise par ABB sans tenir compte du chiffre d’affaires de celle-ci sur le marché pertinent.

 VI – Sur les pourvois

50     Les parties et M. l’avocat général ayant été entendus sur ce point, il y a lieu, pour cause de connexité, de joindre les présentes affaires aux fins de l’arrêt, conformément à l’article 43 du règlement de procédure de la Cour.

 A – Sur les moyens de procédure

51     Il convient de traiter en premier lieu des moyens, soulevés par le groupe Henss/Isoplus ainsi que par ABB, tirés de certaines violations du règlement de procédure du Tribunal.

 1. Sur le moyen tiré d’une violation de l’article 68, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, en ce que ce dernier a rejeté la demande du groupe Henss/Isoplus d’auditionner certains témoins à titre de mesure d’instruction

52     Par son sixième moyen, le groupe Henss/Isoplus fait grief au Tribunal d’avoir rejeté, aux points 36 à 38 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission, sa demande d’ordonner l’audition en tant que témoins de MM. Boysen, B. Hansen, N. Hansen, Hybschmann, Jespersen et Volandt conformément à l’article 68, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal. Ces points seraient entachés d’un vice de procédure.

53     Contrairement au point 37 dudit arrêt attaqué, la demande d’audition des six personnes visées aurait bien mentionné les faits sur lesquels la vérification par témoins devait être ordonnée. Au point 72 de la requête du groupe Henss/Isoplus déposée devant le Tribunal, il aurait été indiqué que cette demande avait été faite afin de prouver que les entreprises dudit groupe n’avaient pas participé à l’entente avant octobre 1994.

54     Ce moyen doit être rejeté.

55     Il ressort en effet du point 34 du même arrêt attaqué que le Tribunal a bien pris acte de ce que cette audition était demandée «pour prouver que les requérantes ou le groupe Henss/Isoplus n’ont pas participé à une pratique/mesure illégale ou à un autre comportement similaire au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité […] avant octobre 1994».

56     Le Tribunal a toutefois rappelé au point 36 dudit arrêt que, selon l’article 68, paragraphe 1, dernier alinéa, de son règlement de procédure, la demande d’une partie tendant à l’audition d’un témoin indique avec précision les faits sur lesquels il y a lieu de l’entendre et les raisons de nature à justifier son audition.

57     Au point suivant de cet arrêt, le Tribunal a relevé que, notamment aux points 20, 40, 50, 66 à 71, 94, 96, 125 et 142 de la requête, étaient citées certaines personnes pouvant intervenir comme témoins concernant les faits exposés dans chacun des points en question, mais que les noms des six personnes dont le témoignage a été expressément demandé devant le Tribunal ne figuraient pas à ces points. Ce dernier a constaté que, dès lors, pour ces six personnes, le groupe Henss/Isoplus avait omis de préciser d’une quelconque manière les faits sur lesquels la vérification par témoins devait être ordonnée.

58     Le Tribunal en a tiré la conséquence, au point 38 du même arrêt, qu’il n’y avait pas lieu de donner suite à la demande d’audition de témoins, sans qu’il soit nécessaire d’examiner l’opportunité d’entendre les six personnes mentionnées.

59     Il convient de constater que le Tribunal était confronté, d’une part, à un ensemble considérable de faits précis pour lesquels le groupe Henss/Isoplus avait fait une offre de preuves dans sa requête moyennant l’audition possible d’une série de personnes et, d’autre part, à une demande formelle d’audition en tant que témoins de six autres personnes conformément à l’article 68, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, également formulée dans cette requête, en vue de prouver de façon générale que les entreprises concernées dudit groupe n’avaient pas participé à l’entente avant octobre 1994, laquelle requête ne faisait toutefois pas référence aux faits précis pour lesquels une offre de preuves était faite.

60     Face au manque de clarté évident sur ce point d’une requête pourtant volumineuse, le Tribunal a jugé à bon droit que la demande tendant à l’audition des six personnes concernées n’indiquait pas avec précision les faits sur lesquels il y avait lieu d’entendre ces personnes en tant que témoins.

61     Le groupe Henss/Isoplus avance en outre que l’audition de personnes autres que lesdites six personnes devait être comprise non comme une simple offre de preuve, mais comme une demande d’audition en tant que témoins, au sens de l’article 68, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

62     Par ce grief, le groupe Henss/Isoplus reproche donc au Tribunal d’avoir sur ce point dénaturé la portée de sa requête.

63     Ce grief n’est pas fondé.

64     Il ressort en effet de cette requête, et notamment de son point 145 auquel se réfère d’ailleurs spécifiquement ledit requérant, que ce dernier a lui-même distingué entre ses offres de preuve au sens de l’article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal et sa demande formelle de la mesure d’instruction que constitue l’audition en tant que témoins de six autres personnes au titre de l’article 68, paragraphe 1, du même règlement. Une dénaturation sur ce point n’est donc pas démontrée.

65     À titre subsidiaire, le groupe Henss/Isoplus soutient que, à supposer même que sa demande d’audition en tant que témoins des personnes concernées n’ait pas été introduite en conformité avec ledit article 68, paragraphe 1, le Tribunal devait en tout état de cause ordonner d’office cette audition.

66     Les amendes infligées au titre du droit de la concurrence devant être qualifiées de «pénales» au sens de l’article 6 de la CEDH, le Tribunal serait en tout état de cause tenu, conformément au paragraphe 3 de cette disposition et au principe général de droit communautaire du droit à un procès équitable, de convoquer et d’entendre les témoins à décharge nommément désignés par le défendeur.

67     À cet égard, il convient de rappeler que le Tribunal est seul juge de la nécessité éventuelle de compléter les éléments d’information dont il dispose sur les affaires dont il est saisi (voir, notamment, arrêts du 30 septembre 2003, Freistaat Sachsen e.a./Commission, C-57/00 P et C‑61/00 P, Rec. p. I-9975, point 47, et du 7 octobre 2004, Mag Instrument/OHMI, C-136/02 P, non encore publié au Recueil, point 76).

68     De plus, ainsi que la Cour l’a jugé dans le cadre d’une affaire concernant le droit de la concurrence, même si une demande d’audition de témoins, formulée dans la requête, indique avec précision les faits sur lesquels il y a lieu d’entendre le ou les témoins et les motifs de nature à justifier leur audition, il appartient au Tribunal d’apprécier la pertinence de la demande par rapport à l’objet du litige et à la nécessité de procéder à l’audition des témoins cités (arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C-185/95 P, Rec. p. I-8417, point 70).

69     L’existence d’un pouvoir d’appréciation à cet égard de la part du Tribunal ne saurait être contestée en invoquant, comme le fait le groupe Henss/Isoplus, le principe général de droit communautaire, qui s’inspire de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, selon lequel toute personne a droit à un procès équitable et, plus particulièrement, celui découlant du paragraphe 3, sous d), de ce même article, selon lequel tout accusé a notamment droit d’obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge, principe qui constitue un aspect particulier du droit à un procès équitable.

70     Il ressort en effet de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que cette dernière disposition ne reconnaît pas à l’accusé un droit absolu d’obtenir la comparution de témoins devant un tribunal et qu’il incombe en principe au juge national de décider de la nécessité ou de l’opportunité de citer un témoin (voir, notamment, Cour eur. D. H., arrêts Pisano c. Italie du 27 juillet 2000, non publié au Recueil des arrêts et décisions, § 21; S.N. c. Suède du 2 juillet 2002, Recueil des arrêts et décisions, 2002-V, § 43, et Destrehem c. France du 18 mai 2004, non encore publié au Recueil des arrêts et décisions, § 39).

71     Selon cette jurisprudence, l’article 6, paragraphe 3, de la CEDH n’impose pas la convocation de tout témoin, mais vise une complète égalité des armes assurant que la procédure litigieuse, considérée dans son ensemble, a offert à l’accusé une occasion adéquate et suffisante de contester les soupçons qui pesaient sur lui (voir, notamment, arrêt Pisano c. Italie, précité, § 21).

72     En l’espèce, il est constant, ainsi qu’il ressort du point 21 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission, que le Tribunal a, à titre de mesure d’organisation de la procédure, demandé au groupe Henss/Isoplus de répondre à des questions écrites ainsi que de produire certains documents et que les parties ont déféré à ces demandes. Il ne saurait donc être reproché au Tribunal d’avoir enfreint à son obligation d’instruire les faits (voir, en ce sens, arrêt Baustahlgewebe/Commission, précité, point 76).

73     Il convient de constater en outre que, aux points 137 à 181 dudit arrêt attaqué, le Tribunal a examiné un grand nombre de documents versés au dossier pour en conclure que la Commission était en droit de reprocher au groupe Henss/Isoplus la participation à une entente à partir d’octobre 1991 jusqu’à octobre 1994.

74     Il en résulte que ledit requérant a eu amplement l’occasion de démontrer que les entreprises qui le constituent n’avaient pas participé à l’entente avant octobre 1994.

75     Partant, contrairement à ce que soutient le même requérant, le Tribunal n’était pas obligé d’ordonner d’office l’audition des témoins à décharge concernés.

76     Eu égard à ce qui précède, le moyen examiné doit être rejeté.

 2. Sur le moyen tiré par ABB d’une violation des articles 44, paragraphe 1, sous c), et 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal en raison du rejet par celui-ci de la production d’un avis juridique annexé au mémoire en réplique

77     Par son premier moyen, ABB soutient que, en jugeant, aux points 112 à 114 de l’arrêt attaqué ABB Asea Brown Boveri/Commission, que l’avis juridique du professeur J. Schwarze (ci-après l’«avis juridique»), joint en annexe à son mémoire en réplique déposé devant le Tribunal, ne pouvait être pris en considération en tout ou en partie, ce dernier aurait violé les articles 44, paragraphe 1, sous c), et 48, paragraphe 2, de son règlement de procédure.

78     Par la première branche de ce moyen, ABB reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en jugeant, au point 112 dudit arrêt attaqué, que, conformément à l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, la production de l’avis juridique ne pouvait être admise pour autant que cet avis comporte certains principes généraux qui fondent des moyens non soulevés dans la requête devant le Tribunal.

79     Dès lors que les points 115 à 136 du même arrêt ne traitent que du principe de protection de la confiance légitime, le Tribunal se serait fondé à cet égard sur la prémisse selon laquelle ledit moyen ne porte que sur ce principe de sorte que tout autre principe de droit administratif analysé dans l’avis juridique constituerait un moyen nouveau et, partant, serait irrecevable au sens de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal.

80     Or, l’avis juridique, en se référant notamment à certains principes de droit administratif, ne développerait que des arguments clarifiant la base juridique précise et surtout la portée du principe de protection de la confiance légitime. Ces arguments viseraient essentiellement à démontrer que le pouvoir discrétionnaire de la Commission dans la fixation du montant de l’amende était limité dans les circonstances des présentes affaires.

81     L’avis juridique ne comporterait donc que des arguments invoqués à l’appui d’un moyen déjà soulevé dans la requête devant le Tribunal, mais pas de moyen nouveau.

82     À cet égard, il convient de constater que ledit avis, qui compte au total 101 paragraphes, développe notamment 6 principes de droit communautaire, à savoir le principe de protection de la confiance légitime, le principe d’autolimitation de l’administration («self-binding»), le principe d’estoppel, le principe d’administration équitable, le principe venire contra factum proprium et le droit à un procès équitable, voire la protection des droits de la défense.

83     Il ressort du paragraphe 19 de l’avis juridique que ces principes sont examinés afin d’établir si le droit communautaire comporte des règles limitant le pouvoir discrétionnaire de la Commission pour infliger des amendes dans le domaine du droit de la concurrence et qui s’opposent à ce que cette institution change sa pratique établie en matière de détermination du montant des amendes et applique sa nouvelle pratique dans un cas tel que celui de l’espèce.

84     Le paragraphe 43 du même avis indique que chacun de ces principes peut, sous différents aspects et éventuellement à des degrés divers, restreindre ledit pouvoir discrétionnaire de la Commission.

85     Aux paragraphes 44 à 96 de l’avis juridique, chacun desdits principes est analysé séparément et appliqué au cas d’espèce.

86     Aux paragraphes 97 à 101 du même avis, la conclusion en est tirée que, en l’espèce, le pouvoir discrétionnaire de la Commission était effectivement limité en ce sens que celle-ci ne pouvait pas s’écarter de sa pratique antérieure.

87     Au paragraphe 98 dudit avis, il est indiqué que ces principes, pour autant qu’ils sont contraignants, sont similaires.

88     Il découle de l’économie et du contenu de l’avis juridique que, si certains recoupements existent entre les principes de droit administratif avancés dans cet avis et les moyens soulevés dans la requête, l’objet de celui-ci n’est clairement pas limité à l’exposé des arguments précisant ou amplifiant le moyen relatif à la protection de la confiance légitime, comme le soutient ABB, mais consiste à développer un nombre de principes autonomes, visant à démontrer que, en l’espèce, la Commission ne pouvait pas s’écarter de sa pratique antérieure en matière de détermination du montant des amendes. À cet égard, il y a lieu de constater que le principe de protection de la confiance légitime ne constitue que l’un des six principes développés à cet effet.

89     Partant, comme l’a soutenu la Commission, il ressort du libellé de l’avis juridique que celui-ci entendait viser pour la première fois certains principes non soulevés dans la requête devant le Tribunal.

90     Eu égard à ce qui précède, la première branche du premier moyen invoqué par ABB doit être rejeté.

91     Par la seconde branche de son premier moyen, la même requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 113 de l’arrêt attaqué ABB Asea Brown Boveri/Commission, que l’avis juridique ne pouvait être pris en considération en tout ou en partie, dès lors que, en vertu de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, la requête doit comporter l’objet du litige et un exposé sommaire des moyens invoqués.

92     Le Tribunal n’aurait constaté aucun vice dans la requête ou dans la réplique pouvant justifier l’application de cette disposition. Par conséquent, ce serait à tort qu’il aurait jugé qu’ABB a voulu compenser un moyen insuffisant par un renvoi global à l’avis juridique. En outre, rien ne permettrait d’invoquer par analogie ladite disposition du règlement de procédure du Tribunal, comme l’aurait fait ce dernier au même point dudit arrêt attaqué.

93     À cet égard, il convient de retracer le raisonnement suivi par le Tribunal au point 113 de l’arrêt attaqué ABB Asea Brown Boveri/Commission.

94     Le Tribunal a rappelé qu’il découle de l’article 44, paragraphe 1, sous c), de son règlement de procédure que les éléments de droit et de fait sur lesquels se fonde un recours doivent ressortir, de manière à tout le moins sommaire, du texte même de la requête et qu’il ne suffit donc pas qu’il soit fait référence dans la requête à de tels éléments figurant dans une annexe à celle-ci.

95     Le Tribunal s’est notamment référé à la jurisprudence constante de la Cour relative à l’obligation pour la Commission, dans toute requête déposée au titre de l’article 226 CE, d’indiquer les griefs précis sur lesquels la Cour est appelée à se prononcer, ainsi que, de manière à tout le moins sommaire, les éléments de droit et de fait sur lesquels ces griefs sont fondés.

96     À cet égard, il ressort effectivement de cette jurisprudence qu’il n’est pas satisfait à cette obligation si les griefs de la Commission n’apparaissent dans la requête que sous la forme d’un simple renvoi aux motifs indiqués dans la lettre de mise en demeure et dans l’avis motivé, ou encore dans la partie de la requête consacrée au cadre juridique (voir en ce sens, notamment, arrêts du 31 mars 1992, Commission/Danemark, C-52/90, Rec. p. I-2187, points 17 et 18; du 23 octobre 1997, Commission/Grèce, C-375/95, Rec. p. I‑5981, point 35, et du 29 novembre 2001, Commission/Italie, C‑202/99, Rec. p. I-9319, points 20 et 21).

97     Le Tribunal a également rappelé qu’il ne lui appartient pas de rechercher et d’identifier, dans les annexes, les moyens qu’il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, celles-ci ayant une fonction purement probatoire et instrumentale.

98     Au vu de ces éléments, le Tribunal a conclu que, de même, il ne lui appartient certainement pas, étant donné qu’une partie de l’avis juridique ne peut être pris en considération, de rechercher et d’identifier, dans cet avis, les passages qui pourraient être pris en compte en tant qu’annexes étayant et complétant les mémoires d’ABB sur des points spécifiques.

99     Eu égard aux motifs qui la précèdent, cette conclusion doit être comprise en ce sens que la fonction purement probatoire et instrumentale des annexes implique que, pour autant que l’avis juridique comporte, outre des moyens nouveaux et donc irrecevables, des éléments de droit sur lesquels certains moyens articulés dans la requête sont fondés, de tels éléments doivent figurer dans le texte même du mémoire en réplique auquel cet avis est annexé ou, à tout le moins, être suffisamment identifiés dans ce mémoire.

100   En retenant ces critères et en jugeant que, en l’espèce, ceux-ci ne sont pas réunis, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit.

101   De plus, le Tribunal n’a, à cet égard, pas dénaturé la portée du mémoire en réplique déposé devant lui. Force est en effet de constater que le point 31 dudit mémoire se limite à un renvoi global à l’avis juridique. En outre, le fait, invoqué par ABB, que, dans certains points du même mémoire, des renvois sont opérés, sous forme de notes en bas de page, à quelques passages de cet avis n’est pas de nature à remettre en cause la conclusion à laquelle le Tribunal est arrivé sur ce point.

102   Dans ces conditions, le moyen examiné doit être rejeté.

 B – Sur les moyens au fond, relatifs à l’imputabilité de l’infraction

103   Il convient d’examiner en deuxième lieu les moyens au fond soulevés par le groupe Henss/Isoplus et par Brugg aux termes desquels ces requérants contestent les arrêts attaqués qui les concernent sur certains points relatifs à l’imputabilité de l’infraction telle que retenue à leur encontre dans la décision litigieuse et confirmée par le Tribunal.

 1. Sur le moyen tiré d’une violation de l’article 85, paragraphe 1, du traité en raison de la prise en compte de certaines entreprises dans le groupe Henss/Isoplus et de l’imputation de l’infraction à ce groupe en tant qu’«entreprise» au sens de cette disposition

104   Par son cinquième moyen, le groupe Henss/Isoplus fait grief au Tribunal d’avoir jugé, aux points 54 à 68 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission, que c’est à bon droit que, dans la décision litigieuse, la Commission a pris en compte certaines entreprises dans ce groupe et a imputé l’infraction à ce dernier.

105   Ledit requérant soutient, d’abord, que, au point 66 de cet arrêt attaqué, le Tribunal a commis une erreur de droit en rejetant son argument selon lequel une entreprise, au sens des dispositions du traité en matière de concurrence, doit nécessairement être dotée de la personnalité juridique.

106   Or, tel ne serait le cas ni pour le groupe Henss/Isoplus, à supposer qu’il constitue une entité économique, ni pour M. Henss en tant que personne contrôlant, selon le même arrêt attaqué, les différentes entreprises appartenant audit groupe.

107   Le groupe Henss/Isoplus fait valoir que sa thèse peut s’appuyer sur l’article 1er du protocole 22 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3), duquel il découlerait que la notion d’«entreprise» au sens des dispositions du traité en matière de concurrence désigne toute entité juridique («Rechtssubjekt» dans la version allemande) exerçant des activités à caractère commercial ou économique.

108   Ceci serait en particulier confirmé par la jurisprudence de la Cour relative aux dispositions du traité CECA en matière de concurrence (arrêts du 13 juillet 1962, Klöckner-Werke et Hoesch/Haute Autorité, 17/61 et 20/61, Rec. p. 617, et Mannesmann/Haute Autorité, 19/61, Rec. p. 675).

109   Dans d’autres arrêts, notamment ceux cités par le Tribunal au point 66 dudit arrêt attaqué, la Cour n’aurait pas encore définitivement tranché la question de principe tendant à savoir si la qualification d’entreprise au sens du droit de la concurrence requiert en toutes circonstances que l’entité concernée dispose de la personnalité juridique (arrêts du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48/69, Rec. p. 619; du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6/72, Rec. p.  215; du 12 juillet 1984, Hydrotherm, 170/83, Rec. p. 2999, et du 23 avril 1991, Höfner et Elser, C-41/90, Rec. p. I-1979).

110   S’il est vrai, selon ledit requérant, que l’infraction commise par une entreprise ayant sa propre personnalité juridique peut être imputée à sa société mère, une société holding, lorsque celle-ci la contrôle et qu’il s’agit donc d’une même unité économique (voir, notamment, arrêts précités ICI/Commission, ainsi que Europemballage et Continental Can/Commission), une telle imputation nécessiterait toutefois que l’entité de contrôle ait elle-même la personnalité juridique.

111   Or, une personne physique, telle que M. Henss en l’occurrence, ne pourrait, en sa seule qualité d’associé ou de détenteur de parts, être qualifiée d’«entreprise» au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité. Partant, cette jurisprudence ne serait pas pertinente en l’espèce.

112   À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le contexte du droit de la concurrence, la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (voir, notamment, arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a., C-309/99, Rec. p. I-1577, point 46 et jurisprudence citée).

113   Il ressort clairement de cette jurisprudence que la notion d’entreprise au sens des dispositions du traité en matière de concurrence n’exige pas que l’unité économique concernée soit dotée de la personnalité juridique. Il ne s’agit pas non plus, comme le soutient le groupe Henss/Isoplus, d’une interprétation qui se limiterait aux cas d’espèce ayant donné lieu aux arrêts de la Cour, tels les arrêts précités Hydrotherm ou Höfner et Elser, mais d’une interprétation de portée générale.

114   L’argument tiré de la version allemande de l’article 1er du protocole 22 de l’accord sur l’Espace économique européen et, en particulier, la notion de «sujet de droit» («Rechtssubjekt») y figurant ne permet pas de remettre en cause cette interprétation.

115   La notion de «sujet de droit» n’exclut pas nécessairement les personnes physiques. En tout état de cause, une telle notion fait défaut dans toutes les autres versions linguistiques qui ne comportent que la notion d’«entité».

116   Le groupe Henss/Isoplus soutient, ensuite, que des entreprises qui ne sont liées entre elles ni du point de vue du capital ni sous l’angle du droit des sociétés et qui, de ce fait, ne dépendent pas d’une entreprise de contrôle ne sauraient devenir un groupe du seul fait de l’existence d’éventuels liens entre des personnes physiques qui ne sont pas des entreprises.

117   À cet égard, il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que le comportement anticoncurrentiel d’une entreprise peut être imputé à une autre lorsqu’elle n’a pas déterminé son comportement sur le marché de façon autonome, mais a appliqué pour l’essentiel les directives émises par cette dernière, eu égard en particulier aux liens économiques et juridiques qui les unissaient (voir, notamment, arrêt du 16 novembre 2000, Metsä-Serla e.a./Commission, C-294/98 P, Rec. p. I-10065, point 27).

118   Il est vrai que la circonstance que le capital social de deux sociétés commerciales distinctes appartient à une même personne ou à une même famille n’est pas suffisant, en tant que tel, pour établir l’existence, entre ces deux sociétés, d’une unité économique ayant pour conséquence, en vertu du droit communautaire de la concurrence, que les agissements de l’une peuvent être imputés à l’autre et que l’une peut être tenue de payer une amende pour l’autre (voir arrêt du 2 octobre 2003, Aristrain/Commission, C-196/99 P, Rec. p. I-11005, point 99).

119   Toutefois, en l’espèce, le Tribunal n’a pas déduit l’existence de l’unité économique constituant le groupe Henss/Isoplus du seul fait que les entreprises concernées étaient contrôlées du point de vue de leur capital social par une seule personne, en l’espèce M. Henss.

120   Il ressort en effet des points 56 à 64 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission que le Tribunal a conclu à l’existence de ladite unité économique au vu d’un ensemble d’éléments établissant le contrôle par M. Henss des sociétés concernées dont, outre la détention directe ou indirecte par ce dernier ou par son épouse de la totalité ou de la quasi-totalité des parts sociales, l’occupation par M. Henss de fonctions clés au sein des organes de gestion de ces sociétés ainsi que le fait que cette personne représentait lors des réunions du club des directeurs, tel qu’indiqué au point 20 du présent arrêt, les différentes entreprises et que ces dernières se sont vu attribuer un seul quota par l’entente.

121   Le groupe Henss/Isoplus soutient enfin, à titre subsidiaire, que les différentes entreprises regroupées par la Commission ne relèvent pas d’une même entité économique puisqu’elles ne seraient pas privées d’autonomie et ne dépendraient pas d’instructions extérieures. Par cet argument, ce requérant soutient que les entreprises concernées n’étaient pas, d’une manière ou d’une autre, sous le contrôle de fait de M. Henss.

122   À cet égard, il convient de relever que des considérations telles que celles retenues par le Tribunal aux points 56 à 64 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission, visant à établir l’existence d’une unité économique, reposent sur une série de constatations de nature factuelle qui ne sont pas susceptibles d’être discutées dans le cadre d’un pourvoi, sauf en cas de dénaturation des faits pertinents ou des éléments de preuve soumis au Tribunal ou encore lorsque l’inexactitude matérielle des constatations de ce dernier ressort des documents versés au dossier (voir en ce sens, notamment, arrêts précités Metsä-Serla e.a./Commission, point 37, et Mag Instrument/OHMI, points 39 et 76).

123   S’agissant du point 57 dudit arrêt attaqué, le Tribunal n’a pas jugé, comme le soutient le groupe Henss/Isoplus, que, pendant la période de référence, c’est-à-dire la durée de l’infraction retenue par la Commission, à savoir d’octobre 1991 à mars/avril 1996, M. Henss était non seulement directeur, mais également actionnaire d’Isoplus Fernwärmetechnik Vertriebsgesellschaft mbH. Il n’existe sur ce point aucune contradiction avec le dossier, de sorte que le vice de procédure allégué à cet égard par ledit requérant, en tant que partie de son septième moyen, doit être rejeté.

124   Pour ce qui concerne le point 58 du même arrêt attaqué, le Tribunal n’a pas davantage jugé que ce que soutient le même requérant, à savoir que, pendant la période de référence, M. Henss a détenu la majorité des parts d’Isoplus Fernwärmetechnik Gesellschaft mbH par l’intermédiaire de mandataires, mais n’a jamais exercé les fonctions de directeur.

125   Il y a donc lieu de constater que la critique spécifique desdits points 57 et 58 n’établit nullement une quelconque dénaturation des faits pertinents ou d’éléments de preuve de la part du Tribunal ni ne révèle l’existence d’une inexactitude matérielle des constatations de ce dernier ressortant des documents versés au dossier.

126   Concernant Isoplus Fernwärmetechnik GmbH, le groupe Henss/Isoplus soutient que M. Henss et les époux Papsdorf n’ont jamais été directeurs et que les parts de cette société ont en outre été détenues, lors de la période de référence, pour un tiers par Isoplus Fernwärmetechnik Gesellschaft mbH en son nom propre, pour un tiers par les époux Papsdorf par l’intermédiaire de cette dernière société, agissant en tant que mandataire, et pour un tiers par d’autres personnes physiques également par l’intermédiaire dudit mandataire.

127   Ces faits sont les mêmes que ceux retenus par le Tribunal au point 59 dudit arrêt attaqué, de sorte qu’une dénaturation des faits pertinents ou d’un élément de preuve n’est pas non plus établi sur ce point. Par ailleurs, aucune inexactitude matérielle des constatations du Tribunal ne ressort des documents versés au dossier.

128   Le groupe Henss/Isoplus ajoute qu’il découle de ces faits que la société Isoplus Fernwärmetechnik GmbH aurait échappé à l’influence tant de M. Henss que des époux Papsdorf.

129   Ce grief n’est pas recevable dès lors qu’il soulève la question de savoir si les conditions de l’existence d’une unité économique étaient effectivement réunies en l’espèce. En effet, un tel examen, qui repose sur une appréciation des faits, ne saurait comme tel être contesté dans le cadre d’un pourvoi (voir arrêt Metsä-Serla e.a./Commission, précité, point 30).

130   Dans ces conditions, il ne peut être reproché au Tribunal d’avoir jugé, au terme d’une appréciation globale et, en principe, souveraine d’un ensemble de données factuelles, que les différentes entreprises constituant le groupe Henss/Isoplus devaient, à cet effet, être considérées comme relevant d’une seule entité économique.

131   Partant, ce moyen doit être rejeté.

 2. Sur les moyens tirés d’une violation de l’article 85, paragraphe 1, du traité en raison de l’imputation au groupe Henss/Isoplus et à Brugg d’une infraction aux règles de concurrence du fait de leur participation à une réunion ayant un objet anticoncurrentiel

132   Par, respectivement, leurs quatrième et cinquième moyens, le groupe Henss/Isoplus et Brugg font, chacun pour ce qui les concerne, grief au Tribunal d’avoir jugé, aux points 223 à 227 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission et 52 à 66 de l’arrêt attaqué Brugg Rohrsysteme/Commission, que c’est à bon droit que, dans la décision litigieuse, la Commission leur a imputé l’infraction ou une partie de celle-ci en raison de leur participation à des réunions ayant un objet anticoncurrentiel.

133   Le groupe Henss/Isoplus conteste notamment que la participation, avant octobre 1994, de M. Henss à des réunions ayant un objet anticoncurrentiel justifiait la conclusion que ce groupe devait être considéré comme ayant participé à l’entente résultant desdites réunions, lesquelles concernaient la période d’octobre 1991 à octobre 1994.

134   Brugg soutient que c’est à tort que le Tribunal a déduit de sa participation à la réunion du 24 mars 1995, au cours de laquelle le boycottage de Powerpipe a été évoqué, la preuve de sa participation effective audit boycottage.

135   Le groupe Henss/Isoplus se fonde, par analogie, sur la jurisprudence selon laquelle la Commission peut refuser l’accès à certains documents au motif qu’une entreprise en position dominante est susceptible d’adopter des mesures de rétorsion à l’encontre d’une entreprise ayant collaboré à l’instruction menée par la Commission (arrêts de la Cour du 6 avril 1995, BPB Industries et British Gypsum/Commission, C‑310/93 P, Rec. p. I-865, points 26 et 27, et du Tribunal du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T-65/89, Rec. p. II-389, point 33).

136   Il en découlerait que, même si les entreprises économiquement faibles ne se distancient pas publiquement du contenu de réunions dont l’objet est manifestement anticoncurrentiel et auxquelles elles ont été convoquées par des entreprises en position dominante ou économiquement plus puissantes qu’elles, ces dernières doivent être déchargées de leur responsabilité pour la participation à une entente illégale lorsqu’elles ne mettent pas en œuvre les résultats de ces réunions.

137   En l’espèce, le groupe Henss/Isoplus n’aurait pas dénoncé le contenu des réunions auxquelles il a assisté, du fait de la participation à l’entente notamment d’ABB, entreprise en position dominante, et de LR A/S, entreprise bien plus puissante que lui.

138   Toutefois, ce dernier n’aurait pas mis en œuvre les résultats desdites réunions, ce qui serait démontré par la baisse continue des prix sur le marché des conduites précalorifugées entre octobre 1991 et octobre 1994.

139   Brugg fait valoir que, en tant que simple revendeur des produits concernés, elle ne pouvait pas mettre en œuvre une action de boycottage.

140   De plus, le Tribunal aurait relevé à tort, au point 62 de l’arrêt attaqué Brugg Rohrsysteme/Commission, que, dans la mesure où Powerpipe était une concurrente directe de Brugg sur le marché allemand, cette dernière avait un intérêt envers toute mesure de boycottage entreprise à l’encontre de Powerpipe par d’autres participants à l’entente.

141   Or, c’est à bon droit que le Tribunal a rejeté ces griefs.

142   En effet, selon une jurisprudence constante, il suffit que la Commission démontre que l’entreprise concernée a participé à des réunions au cours desquelles des accords de nature anticoncurrentielle ont été conclus, sans s’y être manifestement opposée, pour prouver à suffisance la participation de ladite entreprise à l’entente. Lorsque la participation à de telles réunions a été établie, il incombe à cette entreprise d’avancer des indices de nature à prouver que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu’elle avait indiqué à ses concurrents qu’elle participait à ces réunions dans une optique différente de la leur (voir, notamment, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204/00 P, C-205/00 P, C‑211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, Rec. p. I-123, point 81 et jurisprudence citée).

143   À cet égard, l’approbation tacite d’une initiative illicite, sans se distancier publiquement de son contenu ou la dénoncer aux entités administratives, a pour effet d’encourager la continuation de l’infraction et compromet sa découverte. Cette complicité constitue un mode passif de participation à l’infraction qui est donc de nature à engager la responsabilité de l’entreprise dans le cadre d’un accord unique (voir arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, précité, point 84).

144   De plus, la circonstance qu’une entreprise ne donne pas suite aux résultats d’une réunion ayant un objet anticoncurrentiel n’est pas de nature à écarter sa responsabilité du fait de sa participation à une entente, à moins qu’elle ne se soit distanciée publiquement de son contenu (voir arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, précité, point 85 et jurisprudence citée).

145   Aux fins de l’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité, il suffit qu’un accord ait pour objet de restreindre, d’empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence, indépendamment de ses effets concrets. En conséquence, dans le cas d’accords se manifestant lors de réunions d’entreprises concurrentes, une infraction à cette disposition est constituée lorsque ces réunions ont un tel objet et visent, ainsi, à organiser artificiellement le fonctionnement du marché. Dans un tel cas, la responsabilité d’une entreprise déterminée du chef de l’infraction est valablement retenue lorsqu’elle a participé à ces réunions en ayant connaissance de leur objet, même si elle n’a pas, ensuite, mis en œuvre l’une ou l’autre des mesures convenues lors de celles-ci. L’assiduité plus ou moins grande de l’entreprise aux réunions ainsi que la mise en œuvre plus ou moins complète des mesures convenues ont des conséquences non pas sur l’existence de sa responsabilité, mais sur l’étendue de celle-ci et donc sur le niveau de la sanction (voir, arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C-244/99 P, C-245/99 P, C-247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I-8375, points 508 à 510).

146   Il en découle que la circonstance, relevée par Brugg, que celle-ci n’a pas mis en œuvre et ne pouvait d’ailleurs pas mettre en œuvre la mesure de boycottage convenue lors de la réunion du 24 mars 1995 n’est pas de nature à écarter sa responsabilité du fait de sa participation à cette mesure, à moins qu’elle ne se soit distanciée publiquement de son contenu, ce que ladite requérante n’a pas allégué.

147   Il est vrai, ainsi que le soutient Brugg et contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal au point 62 de l’arrêt attaqué Brugg Rohrsysteme/Commission, qu’il est à cet égard sans importance que cette requérante avait un intérêt envers toute mesure de boycottage à l’encontre de l’une de ses concurrentes directes entreprise par d’autres participants à l’entente (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, précité, point 335).

148   Il s’agit toutefois d’un grief dirigé contre un motif surabondant de cet arrêt qui ne saurait entraîner son annulation et qui est donc inopérant (voir, notamment, arrêt du 7 novembre 2002, Hirschfeldt/AEE, C‑184/01 P, Rec. p. I-10173, point 48 et jurisprudence citée).

149   Dans le cas de Brugg, il ressort par ailleurs de la décision litigieuse que, contrairement à ce qu’affirme cette requérante, la Commission n’a pas retenu sa participation au boycottage de Powerpipe comme circonstance aggravante, dès lors que l’unique circonstance aggravante retenue à son égard concerne la poursuite de l’infraction après les vérifications.

150   De même, au vu de la jurisprudence rappelée aux points 142 à 145 du présent arrêt, la circonstance, relevée par le groupe Henss/Isoplus, d’une participation à l’entente d’entreprises dominantes ou particulièrement puissantes, susceptibles de prendre des mesures de rétorsion envers d’autres participants, nettement moins puissants, au cas où ceux-ci se distancieraient publiquement du contenu des réunions dont l’objet est anticoncurrentiel, n’a pas d’incidence sur l’existence de la responsabilité de ces dernières entreprises du fait de leur participation à la mesure anticoncurrentielle, mais peut, le cas échéant, avoir des conséquences quant à la détermination du niveau de la sanction.

151   Comme l’a pertinemment relevé la Commission, la thèse inverse serait inacceptable, dès lors qu’il en découlerait une différenciation des conditions d’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité en fonction de la taille des entreprises, en ce sens que les entreprises moins puissantes seraient favorisées.

152   Au vu de ce qui précède, les moyens examinés doivent être rejetés.

 C – Sur les moyens au fond, relatifs à la détermination du montant des amendes

153   L’ensemble des requérants critique les arrêts attaqués s’agissant du calcul du montant des amendes qui leur ont été infligées.

154   Seront traités en premier lieu les griefs tirés de la violation de certains principes du fait de l’application des lignes directrices à des infractions telles que celles de l’espèce et, en second lieu, ceux relatifs à la légalité de la méthode de calcul des amendes retenue dans les lignes directrices ou appliquée dans la décision litigieuse.

 1. Sur les moyens relatifs à la violation des principes de protection de la confiance légitime et de non-rétroactivité du fait de l’application des lignes directrices aux infractions en cause

155   La plupart des requérants reprochent au Tribunal d’avoir jugé que, en appliquant les lignes directrices aux cas d’espèce dans la décision litigieuse, la Commission n’a pas violé les principes de protection de la confiance légitime et de non-rétroactivité.

 a) Sur les moyens tirés d’une violation du principe de protection de la confiance légitime

156   Par leurs moyens respectifs, Dansk Rørindustri (deuxième moyen), KE KELIT (premier moyen), LR A/S (deuxième moyen), Brugg (premier et deuxième moyens), LR GmbH (premier moyen, seconde branche) et ABB (deuxième moyen) font valoir en substance qu’elles pouvaient fonder une confiance légitime sur la pratique décisionnelle antérieure de la Commission en matière de calcul du montant des amendes, telle qu’elle se dégageait à l’époque où les infractions furent commises.

157   Il s’agirait d’une pratique cohérente et de longue date consistant à calculer le montant des amendes sur la base du chiffre d’affaires réalisé avec le produit concerné sur le marché géographiquement pertinent (ci-après le «chiffre d’affaires pertinent»), montant ne pouvant par ailleurs en aucun cas dépasser le montant maximal de l’amende visé à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, à savoir 10 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise tous produits confondus (ci-après le «chiffre d’affaires global»).

158   Il découlerait également de cette pratique que le montant maximal de l’amende ne dépasserait pas 10 % du chiffre d’affaires pertinent.

159   Selon lesdites requérantes, la Commission ne pouvait pas, sans violer leur confiance légitime dans cette pratique antérieure, appliquer à leur encontre la méthode de calcul retenue dans les lignes directrices, lesquelles avaient été adoptées postérieurement tant aux infractions qu’aux auditions, dernière étape de la procédure administrative devant la Commission, dès lors que cette méthode est radicalement nouvelle.

160   Le caractère nouveau de cette méthode tiendrait surtout au fait qu’elle consiste à prendre comme point de départ du calcul certains montants de base prédéfinis reflétant la gravité de l’infraction et qui n’ont en soi pas de rapport avec le chiffre d’affaires pertinent, ce montant de base étant par la suite susceptible d’être ajusté vers le haut ou vers le bas en fonction de la durée de l’infraction et d’éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes et pouvant, à un dernier stade, encore être réduit au titre d’une éventuelle coopération avec la Commission au cours de la procédure administrative.

161   Les mêmes requérantes précisent que la Commission ne pouvait pas s’écarter arbitrairement de sa pratique décisionnelle antérieure ou aurait, à tout le moins, dû les avertir en temps utile d’une telle modification ou spécialement motiver l’application de cette nouvelle méthode.

162   Elles soutiennent en outre que la confiance qu’elles pouvaient tirer de la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, en matière de calcul des amendes, était d’autant plus légitime que leur décision de coopérer avec la Commission était nécessairement fondée sur cette pratique et, en particulier, sur les bénéfices qu’elles pouvaient escompter tirer, au vu de celle-ci, de leur coopération.

163   La confiance légitime fondée sur la communication sur la coopération s’étendrait, selon les termes mêmes de cette communication, au calcul du montant de l’amende qui servirait comme base de calcul, montant auquel le pourcentage de réduction, accordé au titre de la coopération, est ensuite appliqué.

164   D’emblée, les moyens tirés par Dansk Rørindustri et KE KELIT d’une violation du principe de protection de la confiance légitime doivent être rejetés comme irrecevables.

165   En effet, selon une jurisprudence constante, permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas soulevé devant le Tribunal reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est donc limitée à l’examen de l’appréciation par le Tribunal des moyens qui ont été débattus devant lui (voir, notamment, arrêt du 3 octobre 2000, Industrie des poudres sphériques/Conseil, C-458/98 P, Rec. p. I-8147, point 74).

166   Or, force est de constater que, devant le Tribunal, Dansk Rørindustri et KE KELIT n’ont pas soulevé de moyen tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime du fait de l’application des lignes directrices.

167   Partant, pour ce qui concerne ces requérantes, il s’agit de moyens nouveaux et donc irrecevables au stade du pourvoi.

168   Quant au fond, LR A/S, Brugg, LR GmbH et ABB font grief au Tribunal d’avoir, respectivement aux points 241 à 248 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission, 137 à 144 de l’arrêt attaqué Brugg Rohrsysteme/Commission, 248 à 257 de l’arrêt attaqué Lögstör Rör/Commission et 122 à 136 de l’arrêt attaqué ABB Asea Brown Boveri/Commission, violé le principe de protection de la confiance légitime, en rejetant les moyens qu’elles avaient avancés sur le fondement de celui-ci devant le Tribunal.

169   À cet égard, il convient de relever que le Tribunal a rappelé à juste titre que le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées dans le règlement n° 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de la concurrence, mais que, au contraire, l’application efficace des règles communautaires de la concurrence exige que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (arrêts du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 109, et Aristrain/Commission, précité, point 81).

170   En effet, la mission de surveillance que confèrent à la Commission les articles 85, paragraphe 1, du traité et 86 du traité CE (devenu article 82 CE) ne comprend pas seulement la tâche d’instruire et de réprimer des infractions individuelles, mais comporte également le devoir de poursuivre une politique générale visant à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens le comportement des entreprises (voir arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 105).

171   Or, comme l’a relevé pertinemment le Tribunal, les opérateurs ne peuvent placer une confiance légitime dans le maintien d’une situation existante pouvant être modifiée par la Commission dans le cadre de son pouvoir d’appréciation (arrêt du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C-350/88, Rec. p. I-395, point 33 et jurisprudence citée).

172   Ce principe s’applique clairement dans le cadre de la politique de la concurrence qui est caractérisée par un large pouvoir d’appréciation de la Commission, notamment pour ce qui concerne la détermination du montant des amendes.

173   C’est également à bon droit que le Tribunal a déduit que les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne sauraient acquérir une confiance légitime dans le fait que la Commission ne dépassera pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement, de sorte que, en l’espèce, les requérantes ne pouvaient pas, notamment, fonder une confiance légitime sur le niveau des amendes que comporte la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (IV/C/33.833 – Carton) (JO L 243, p. 1). Ainsi que l’a relevé la Commission, il s’ensuit qu’une confiance légitime ne saurait pas davantage être fondée sur une méthode de calcul des amendes.

174   Plusieurs requérantes soutiennent que cette jurisprudence est remise en cause par l’arrêt du 12 novembre 1987, Ferriere San Carlo/Commission (344/85, Rec. p. 4435, points 12 et 13). Dans cet arrêt, la Cour a jugé, en substance, que, puisque l’opérateur en cause n’avait pas individuellement été averti en temps utile de la suppression d’une pratique de la Commission, suivie depuis deux ans, consistant à tolérer certains dépassements de quotas, l’amende infligée par cette institution pour un tel dépassement avait porté atteinte à la confiance légitime que l’opérateur concerné pouvait placer dans le maintien de cette pratique.

175   Or, comme l’a relevé la Commission, l’éventuel enseignement qui pourrait être tiré dudit arrêt ne saurait, en tout état de cause, être invoqué dans le contexte spécifique des pouvoirs de supervision qu’elle détient dans le domaine du droit de la concurrence auxquels s’appliquent les principes rappelés aux points 169 et 170 du présent arrêt.

176   Le Tribunal a par ailleurs relevé à bon droit que la pratique décisionnelle antérieure de la Commission n’était pas exclusivement fondée sur le chiffre d’affaires pertinent et que, partant, une confiance légitime ne pouvait être fondée sur une telle pratique.

177   À cet égard, il convient de rappeler que le Tribunal est seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve. L’appréciation de ces faits et de ces éléments de preuve ne constitue donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (voir, notamment, arrêt Mag Instrument/OHMI, précité, point 39).

178   LR A/S, Brugg, LR GmbH et ABB ne contestent pas l’existence des décisions auxquelles se réfère le Tribunal, mais soutiennent qu’il s’agit de cas isolés. À cet égard, elles font état de plusieurs décisions et prises de position de la Commission dont il ressortirait que, au contraire, une pratique décisionnelle suffisamment cohérente et claire était bien établie concernant le calcul du montant des amendes en fonction d’un pourcentage du chiffre d’affaires pertinent.

179   Or, cet argument, même s’il était exact, ne permet pas de démontrer une quelconque dénaturation des faits ou des éléments de preuve produits devant le Tribunal. En réalité, il s’agit d’une critique d’une appréciation factuelle et donc souveraine de ce dernier. Cet argument ne saurait dès lors prospérer au stade du pourvoi.

180   Quant à la prétention desdites requérantes, qu’il ressort de la pratique décisionnelle antérieure de la Commission que le montant maximal de l’amende ne saurait dépasser la limite de 10 % du chiffre d’affaires pertinent, il s’agit également d’une question de nature factuelle que la Cour ne saurait trancher dans le cadre d’un pourvoi.

181   Il convient toutefois de relever, comme l’a d’ailleurs fait la Commission, qu’une telle limite ne découle en aucun cas de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, dès lors que la limite prévue à cette disposition concerne le chiffre d’affaires global et non le chiffre d’affaires pertinent des entreprises (voir, en ce sens, arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 119).

182   Les mêmes requérantes soutiennent en outre qu’elles pouvaient fonder une confiance légitime sur la pratique décisionnelle antérieure de la Commission en matière de calcul des amendes, dans la mesure où leur décision de coopérer avec ladite intitution était nécessairement fondée sur cette pratique et, en particulier, sur les bénéfices qu’elles pouvaient escompter tirer de leur coopération au vu d’une telle pratique.

183   Elles avancent, par analogie notamment avec l’arrêt du 28 avril 1988, Mulder (120/86, Rec. p. 2321, point 24), que la Commission a incité cette coopération par la publication de la communication sur la coopération et en aurait en l’occurrence profité, de sorte qu’elle se serait engagée à ne pas modifier après coup la base sur laquelle ladite coopération avait été offerte.

184   Elles soutiennent que, si la Commission était en droit de modifier à sa guise le calcul du montant des amendes, la confiance légitime que les opérateurs peuvent escompter tirer de la communication sur la coopération, à savoir le droit de bénéficier d’une réduction de leur amende, risque de devenir illusoire.

185   Les opérateurs devraient donc pouvoir apprécier les bénéfices d’une éventuelle coopération et devraient être en mesure de calculer d’avance le montant absolu de l’amende due selon qu’elles décident ou non de coopérer.

186   À cet égard, il convient de constater, ainsi que l’a fait le Tribunal au point 143 de l’arrêt attaqué Brugg Rohrsysteme/Commission ainsi qu’aux points 127 et 128 de l’arrêt attaqué ABB Asea Brown Boveri/Commission, qu’il ne saurait être déduit de la communication sur la coopération que cette communication pouvait fonder une confiance légitime sur une méthode de calcul ou sur un niveau du montant des amendes.

187   Il ressort en effet du chapitre E, point 3, de la communication sur la coopération que la Commission est consciente du fait que la présente communication crée des attentes légitimes sur lesquelles se fondent les entreprises souhaitant l’informer de l’existence d’une entente. Le chapitre A, point 5, de cette communication énonce que la coopération d’une entreprise avec ladite institution n’est qu’un élément parmi d’autres dont cette dernière tient compte dans la fixation du montant d’une amende.

188   Il découle d’une lecture conjointe desdits points que la confiance légitime que sont en mesure de tirer les opérateurs d’une telle communication se limite à l’assurance de pouvoir bénéficier d’un certain pourcentage de réduction, mais que celle-ci ne s’étend pas à la méthode de calcul des amendes ni, à plus forte raison encore, à un niveau déterminé de l’amende pouvant être calculé au moment où l’opérateur décide de concrétiser son intention de coopérer avec la Commission.

189   De plus, LR A/S et LR GmbH font grief au Tribunal d’avoir jugé, aux points 244 à 246 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission et 255 à 257 de l’arrêt attaqué Lögstör Rör/Commission, que la Commission n’était pas tenue de suivre sa pratique en matière de réduction de l’amende au titre de la coopération de ces requérantes telle qu’elle existait à l’époque où ladite coopération s’est matérialisée, à savoir la pratique annoncée dans le projet de communication sur la coopération et réputée correspondre à celle déjà adoptée dans la décision 94/601. Ces requérantes reprochent en outre au Tribunal d’avoir jugé auxdits points que la Commission devait appliquer la communication sur la coopération alors que celle-ci a été adoptée après la matérialisation de la coopération et serait moins favorable aux deux requérantes que ladite pratique.

190   Ces requérantes estiment, en substance, qu’elles pouvaient fonder une confiance légitime sur une telle pratique de la Commission et que cette dernière ne pouvait donc pas appliquer la version définitive de la communication sur la coopération qui leur serait moins favorable.

191   Or, c’est à juste titre que le Tribunal a rejeté ce moyen, au motif que les opérateurs économiques ne sauraient placer une confiance légitime dans le maintien d’une telle pratique dès lors que, dans le domaine de la fixation du montant des amendes, la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation lui permettant d’élever à tout moment le niveau général des amendes, dans les limites indiquées dans le règlement n° 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de la concurrence, comme il est rappelé aux points 169 et 170 du présent arrêt.

192   Il en découle, ainsi que le Tribunal l’a jugé à bon droit, que le seul fait que la Commission a accordé, dans sa pratique décisionnelle antérieure, un certain taux de réduction pour un comportement déterminé n’implique pas qu’elle est tenue d’accorder la même réduction proportionnelle lors de l’appréciation d’un comportement similaire dans le cadre d’une procédure administrative ultérieure.

193   Le Tribunal a, également à bon droit, ajouté que LR A/S et LR GmbH n’ont aucunement pu croire, au moment où elles ont pris contact avec la Commission, que cette dernière appliquerait, à leur cas, la méthode annoncée dans son projet de communication sur la coopération, étant donné qu’il ressort clairement de ce texte qu’il s’agissait d’un projet.

194   Finalement, le Tribunal ne saurait être critiqué d’avoir jugé, au point 245 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission, que la communication sur la coopération pouvait fonder une confiance légitime obligeant désormais la Commission à l’appliquer.

195   Le chapitre E, point 3, de ladite communication mentionne en effet expressément que «[l]a Commission est consciente du fait que la présente communication crée des attentes légitimes sur lesquelles se fonderont les entreprises souhaitant l’informer de l’existence d’une entente».

196   Le point 245 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission doit être compris en ce sens que les opérateurs économiques pouvaient placer une confiance légitime dans l’application de la communication sur la coopération alors qu’elles n’étaient pas justifiées à placer une confiance légitime dans la prétendue pratique antérieure de la Commission.

197   Il résulte de ce qui précède que les moyens examinés doivent être rejetés dans leur ensemble.

 b) Sur les moyens tirés d’une violation du principe de non-rétroactivité

198   Par leurs moyens respectifs, Dansk Rørindustri (deuxième moyen), le groupe Henss/Isoplus (premier moyen, quatrième branche), KE KELIT (troisième moyen), LR A/S (deuxième moyen), Brugg (premier moyen) et LR GmbH (premier moyen) reprochent au Tribunal, chacun pour ce qui les concerne, d’avoir jugé, aux points 162 à 182 de l’arrêt attaqué Dansk Rørindustri/Commission, 487 à 496 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission, 108 à 130 de l’arrêt attaqué KE KELIT/Commission, 217 à 238 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission, 106 à 129 de l’arrêt attaqué Brugg Rohrsysteme/Commission et 215 à 238 de l’arrêt attaqué Lögstör Rör/Commission, que, en appliquant en l’espèce la méthode de calcul du montant des amendes telle que prévue par les lignes directrices, la Commission n’a pas violé le principe de non-rétroactivité.

199   À titre liminaire, il convient de traiter du moyen soulevé par LR A/S pour autant qu’il fait notamment grief au Tribunal de ne pas avoir censuré la décision litigieuse sur la question de la violation dont celle-ci serait entachée du fait de l’application prétendument rétroactive de la communication sur la coopération.

200   Force est de constater que ce moyen n’a pas été soulevé devant le Tribunal. Il s’agit donc, conformément à la jurisprudence citée au point 165 du présent arrêt, d’un moyen nouveau et, partant, irrecevable au stade du pourvoi.

201   Dans les différents arrêts attaqués, le Tribunal a rejeté ces griefs sur le fondement d’un raisonnement en substance identique. Il peut être résumé comme suit.

202   Le Tribunal a relevé, d’abord et à juste titre, que le principe de non-rétroactivité des lois pénales, consacré à l’article 7 de la CEDH comme droit fondamental, constitue un principe général du droit communautaire dont le respect s’impose lorsque des amendes sont infligées pour infraction aux règles de concurrence et que ce principe exige que les sanctions prononcées correspondent à celles qui étaient fixées à l’époque où l’infraction a été commise.

203   Le Tribunal a jugé, ensuite, que les lignes directrices restent dans le cadre juridique régissant la détermination du montant des amendes, tel que défini, antérieurement aux infractions, à l’article 15 du règlement n° 17.

204   En effet, la méthode de calcul des amendes prévue par les lignes directrices continuerait d’être fondée sur les principes que prescrit cette disposition, dès lors que le calcul est toujours effectué sur la base de la gravité et de la durée de l’infraction et que l’amende ne peut dépasser un montant maximal de 10 % du chiffre d’affaires global.

205   Les lignes directrices ne modifieraient donc pas le cadre juridique des sanctions, celui-ci restant uniquement défini par le règlement n° 17. La pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne ferait pas partie de ce cadre juridique.

206   Enfin, selon le Tribunal, il n’y a pas d’aggravation rétroactive des amendes même si les lignes directrices peuvent, dans certains cas, entraîner une augmentation de celles-ci. Ceci découlerait de la marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes qui reviendrait à la Commission conformément au règlement n° 17. Cette institution pourrait ainsi, à tout moment, relever le niveau des amendes aux besoins de sa politique de concurrence, à condition de rester dans les limites indiquées dans le règlement n° 17, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 169 du présent arrêt.

207   À cet égard, il convient de constater que cette analyse se fonde essentiellement sur la prémisse selon laquelle les lignes directrices ne font pas partie du cadre juridique déterminant le montant des amendes, ce cadre étant constitué exclusivement par l’article 15 du règlement n° 17, de sorte que l’application des lignes directrices à des infractions commises avant leur adoption ne saurait se heurter au principe de non-rétroactivité.

208   Une telle prémisse est inexacte.

209   La Cour a déjà jugé, statuant au sujet de mesures d’ordre interne adoptées par l’administration, que, si elles ne sauraient être qualifiées de règle de droit à l’observation de laquelle l’administration serait, en tout cas, tenue, elles énoncent toutefois une règle de conduite indicative de la pratique à suivre dont l’administration ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement. De telles mesures constituent dès lors un acte de caractère général dont les fonctionnaires et agents concernés peuvent invoquer l’illégalité à l’appui d’un recours formé contre des décisions individuelles prises sur leur fondement (voir arrêt du 15 janvier 2002, Libéros/Commission, C‑171/00 P, Rec. p. I-451, point 35).

210   Une telle jurisprudence s’applique à plus forte raison à des règles de conduite visant à produire des effets externes, comme c’est le cas des lignes directrices qui visent des opérateurs économiques.

211   En adoptant de telles règles de conduite et en annonçant par leur publication qu’elle les appliquera dorénavant aux cas concernés par celles-ci, l’institution en question s’autolimite dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et ne saurait se départir de ces règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement ou la protection de la confiance légitime. Il ne saurait dès lors être exclu que, sous certaines conditions et en fonction de leur contenu, de telles règles de conduite ayant une portée générale puissent déployer des effets juridiques.

212   De plus, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 59 de ses conclusions, la jurisprudence rappelée au point 209 du présent arrêt relative aux effets juridiques de ces règles de conduite confirme le bien-fondé de la conclusion à laquelle est arrivé le Tribunal aux points 420 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission et 276 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission, selon laquelle les lignes directrices, même si elles ne constituent pas le fondement juridique de la décision litigieuse, cette dernière étant basée sur les articles 3 et 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, peuvent néanmoins faire l’objet d’une exception d’illégalité au titre de l’article 184 du traité.

213   C’est d’ailleurs à juste titre que, aux points 418 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission et 274 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission, le Tribunal a relevé que les lignes directrices, si elles ne constituent pas le fondement juridique de la décision litigieuse, déterminent, de manière générale et abstraite, la méthodologie que la Commission s’est imposée aux fins de la fixation du montant des amendes infligées par cette décision et assurent, par conséquent, la sécurité juridique des entreprises.

214   Tout comme la recevabilité de l’exception d’illégalité soulevée à l’encontre des règles de conduite telles que les lignes directrices n’est pas subordonnée à l’exigence que celles-ci constituent la base juridique de l’acte dont l’illégalité est invoquée, la pertinence des lignes directrices au regard du principe de non-rétroactivité ne présuppose pas non plus que celles-ci forment le fondement juridique pour l’imposition des amendes en cause.

215   Dans ce contexte, il convient de rappeler la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH, d’ailleurs évoquée par plusieurs des requérants (voir, notamment, Cour eur. D. H., arrêts S.W. et C.R. c. Royaume-Uni du 22 novembre 1995, série A nos 335-B et 335-C, § 34 à 36 et § 32 à 34; Cantoni c. France du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, § 29 à 32, et Coëme e.a. c. Belgique du 22 juin 2000, Recueil des arrêts et décisions 2000-VII, § 145).

216   Il découle en effet de cette jurisprudence que la notion de «droit» au sens dudit article 7, paragraphe 1, correspond à celle de «loi» utilisée dans d’autres dispositions de la CEDH et englobe le droit d’origine tant législative que jurisprudentielle.

217   Cette disposition, qui consacre notamment le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege), si elle ne saurait être interprétée comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale, peut, selon ladite jurisprudence, s’opposer à l’application rétroactive d’une nouvelle interprétation d’une norme établissant une infraction.

218   Tel est en particulier le cas, selon la même jurisprudence, s’il s’agit d’une interprétation jurisprudentielle dont le résultat n’était pas raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause.

219   Il ressort de cette jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que la portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. La prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (voir arrêt Cantoni c. France, précité, § 35).

220   Ces principes trouvent d’ailleurs un reflet dans la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle l’obligation pour le juge national de se référer au contenu de la directive lorsqu’il interprète les règles pertinentes de son droit national trouve ses limites dans les principes généraux du droit qui font partie du droit communautaire, et notamment dans les principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité (voir arrêt du 8 octobre 1987, Kolpinghuis Nijmegen, 80/86, Rec. p. 3969, point 13).

221   Selon cette jurisprudence, une telle interprétation ne peut pas en effet conduire à opposer à un particulier une obligation prévue par une directive non transposée ni, à plus forte raison, conduire à déterminer ou à aggraver, sur la base de la directive et en l’absence d’une loi prise pour sa mise en œuvre, la responsabilité pénale de ceux qui agissent en infraction à ses dispositions communautaires (voir, notamment, arrêts Kolpinghuis Nijmegen, précité, point 14, et du 26 septembre 1996, Arcaro, C-168/95, Rec. p. I-4705, point 42).

222   À l’instar de cette jurisprudence relative à de nouveaux développements jurisprudentiels, la modification d’une politique répressive, en l’occurrence la politique générale de la concurrence de la Commission en matière d’amendes, en particulier si elle est opérée par l’adoption de règles de conduite telles que les lignes directrices, peut avoir des incidences au regard du principe de non-rétroactivité.

223   En effet, eu égard notamment à leurs effets juridiques et à leur portée générale, ainsi qu’il a été indiqué au point 211 du présent arrêt, de telles règles de conduite relèvent, en principe, de la notion de «droit» au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH.

224   Ainsi qu’il a été relevé au point 219 du présent arrêt, afin de contrôler le respect du principe de non-rétroactivité, il y a lieu de vérifier si la modification en cause était raisonnablement prévisible à l’époque où les infractions concernées ont été commises.

225   À cet égard, il convient de constater que, comme l’ont relevé plusieurs des requérants, la principale innovation des lignes directrices consiste à prendre comme point de départ du calcul un montant de base, déterminé à partir de fourchettes prévues à cet égard par lesdites lignes directrices, ces fourchettes reflétant les différents degrés de gravité des infractions, mais qui, comme telles, n’ont pas de rapport avec le chiffre d’affaires pertinent. Cette méthode repose ainsi essentiellement sur une tarification, quoique relative et souple, des amendes.

226   Il importe donc d’examiner si cette nouvelle méthode de calcul des amendes, à supposer qu’elle ait eu un effet aggravant quant au niveau des amendes infligées, était raisonnablement prévisible à l’époque où les infractions concernées ont été commises.

227   Ainsi qu’il a déjà été rappelé au point 169 du présent arrêt s’agissant des moyens tirés d’une violation du principe de protection de la confiance légitime, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à différents types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées dans le règlement n° 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de la concurrence, mais que, au contraire, l’application efficace des règles communautaires de la concurrence exige que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique.

228   Il en découle, ainsi qu’il a déjà été jugé au point 173 du présent arrêt, que les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne sauraient acquérir une confiance légitime dans le fait que la Commission ne dépassera pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement ni dans une méthode de calcul de ces dernières.

229   Par conséquent, lesdites entreprises doivent tenir compte de la possibilité que, à tout moment, la Commission décide d’élever le niveau du montant des amendes par rapport à celui appliqué dans le passé.

230   Ceci vaut non seulement lorsque la Commission procède à un relèvement du niveau du montant des amendes en prononçant des amendes dans des décisions individuelles, mais également si ce relèvement s’opère par l’application, à des cas d’espèce, de règles de conduite ayant une portée générale telles que les lignes directrices.

231   Il doit en être conclu que, eu égard notamment à la jurisprudence citée au point 219 du présent arrêt, les lignes directrices et, en particulier, la nouvelle méthode de calcul des amendes qu’elles comportent, à supposer qu’elle ait eu un effet aggravant quant au niveau des amendes infligées, étaient raisonnablement prévisibles pour des entreprises telles que les requérants à l’époque où les infractions concernées ont été commises.

232   Partant, en appliquant les lignes directrices dans la décision litigieuse à des infractions commises avant leur adoption, la Commission n’a pas violé le principe de non-rétroactivité.

233   Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter l’ensemble des moyens examinés.

 2. Sur les moyens relatifs à la légalité de la méthode de calcul du montant des amendes telle que consacrée par les lignes directrices ou appliquée dans la décision litigieuse

234   Par leurs moyens respectifs, Dansk Rørindustri (premier moyen), le groupe Henss/Isoplus (premier et troisième moyens), KE KELIT (premier et deuxième moyens), LR A/S (premier et troisième moyens), Brugg (quatrième moyen), LR GmbH (deuxième moyen) et ABB (troisième moyen) reprochent au Tribunal d’avoir rejeté leurs moyens tendant à démontrer que certains aspects de la méthode de calcul du montant de l’amende consacrée par les lignes directrices ou telle qu’appliquée dans la décision litigieuse sont contraires à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et à certains principes généraux, en particulier les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement, voire aux droits de la défense.

235   À cet égard, le groupe Henss/Isoplus et LR GmbH, à titre principal, et LR A/S, à titre subsidiaire, contestent la légalité des lignes directrices, au motif que l’illégalité de la méthode de calcul suivie en l’espèce serait inhérente à ces lignes directrices.

236   La recevabilité de l’exception d’illégalité soulevée à cet effet par lesdits requérants et admise par le Tribunal ne saurait être contestée.

237   Eu égard aux effets juridiques que peuvent produire des règles de conduite telles que les lignes directrices et dès lors que celles-ci comportent des dispositions de portée générale dont il est constant qu’elles ont été appliquées par la Commission dans la décision litigieuse, ainsi qu’il a été relevé aux points 209 à 214 du présent arrêt, force est de constater, en effet, qu’un lien direct existe entre cette décision et les lignes directrices.

 a) Sur les moyens tirés d’une violation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 lors de la détermination, dans la décision litigieuse, du montant des amendes selon la méthode de calcul prévue par les lignes directrices

238   Dansk Rørindustri, le groupe Henss/Isoplus, LR A/S, LR GmbH et ABB soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la méthode de calcul du montant des amendes, telle qu’appliquée dans la décision litigieuse, n’enfreint pas l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

239   Le groupe Henss/Isoplus, LR A/S et LR GmbH en tirent la conséquence que la Commission n’était pas compétente pour adopter les lignes directrices.

240   À titre liminaire, il convient de rappeler, en premier lieu, que, selon la jurisprudence de la Cour, pour la détermination des montants des amendes, il y a lieu de tenir compte de la durée et de tous les éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité des infractions (voir arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 129).

241   La gravité des infractions doit être établie en fonction d’un grand nombre d’éléments, tels que les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce, sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (voir, notamment, arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité, point 465).

242   Figurent parmi les éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité des infractions le comportement de chacune des entreprises, le rôle joué par chacune d’elles dans l’établissement des pratiques concertées, le profit qu’elles ont pu tirer de ces pratiques, leur taille et la valeur des marchandises concernées ainsi que le risque que des infractions de ce type représentent pour les objectifs de la Communauté (voir arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 129).

243   Il s’ensuit, d’une part, qu’il est loisible, en vue de la détermination de l’amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d’affaires global de l’entreprise qui constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de la taille de celle-ci et de sa puissance économique que de la part de ce chiffre qui provient des marchandises faisant l’objet de l’infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l’ampleur de celle-ci. Il en résulte, d’autre part, qu’il ne faut pas attribuer ni à l’un ni à l’autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d’appréciation et, par conséquent, que la fixation d’une amende appropriée ne peut être le résultat d’un simple calcul basé sur le chiffre d’affaires global. Il en est particulièrement ainsi lorsque les marchandises concernées ne représentent qu’une faible fraction de ce chiffre (voir arrêts Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 121, et du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 111).

244   Il convient de rappeler, en second lieu, que, dans le cadre du pourvoi, le contrôle de la Cour a pour objet, d’une part, d’examiner dans quelle mesure le Tribunal a pris en considération, d’une manière juridiquement correcte, tous les facteurs essentiels pour apprécier la gravité d’un comportement déterminé à la lumière des articles 85 du traité et 15 du règlement n° 17 et, d’autre part, de vérifier si le Tribunal a répondu à suffisance de droit à l’ensemble des arguments invoqués par le requérant tendant à la suppression ou à la réduction de l’amende (voir, notamment, arrêts Baustahlgewebe/Commission, précité, point 128, et du 29 avril 2004, British Sugar/Commission, C-359/01 P, non encore publié au Recueil, point 47).

245   En revanche, s’agissant du prétendu caractère disproportionné de l’amende, il importe de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle se prononce sur des questions de droit dans le cadre d’un pourvoi, de substituer, pour des motifs d’équité, son appréciation à celle du Tribunal statuant, dans l’exercice de sa pleine juridiction, sur le montant des amendes infligées à des entreprises en raison de la violation, par celles-ci, du droit communautaire (voir, notamment, arrêts précités Baustahlgewebe/Commission, point 129, et British Sugar/Commission, point 48).

246   Il s’ensuit qu’un moyen doit être déclaré irrecevable dans la mesure où il a pour objet un réexamen général des amendes (voir arrêts précités Baustahlgewebe/Commission, point 129, et British Sugar/Commission, point 49).

247   Dansk Rørindustri, le groupe Henss/Isoplus, LR A/S, LR GmbH et ABB soutiennent, d’abord, que la méthode de calcul telle qu’appliquée en l’espèce, en ce qu’elle consiste à prendre comme point de départ les montants de base définis par les lignes directrices qui ne sont pas déterminés en fonction du chiffre d’affaires pertinent, est contraire à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, tel qu’interprété par la Cour.

248   Il s’agirait d’une méthode de calcul mécanique ne prenant pas en compte ou, à tout le moins insuffisamment, le chiffre d’affaires pertinent et l’exigence d’une modulation individuelle des amendes pour chaque entreprise concernée.

249   Le groupe Henss/Isoplus, LR A/S et LR GmbH soutiennent sur ce fondement que, en adoptant une telle méthode de calcul dans les lignes directrices, la Commission a dépassé les limites de son pouvoir discrétionnaire attribué par le règlement n° 17, de sorte que lesdites lignes directrices seraient illégales du fait de l’incompétence de cette institution.

250   Or, il ressort de l’analyse approfondie du contenu des lignes directrices, telle qu’opérée, notamment, aux points 223 à 232 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission, que, ainsi que l’énonce d’ailleurs le point 1, premier alinéa, de celles-ci, le montant de base pour le calcul du montant des amendes est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, seuls critères retenus à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, et donc en conformité avec le cadre juridique des sanctions tel que défini par cette disposition.

251   Ainsi qu’il ressort notamment des points 225 à 230 dudit arrêt attaqué, le Tribunal a fondé cette conclusion sur l’analyse suivante des lignes directrices:

«225      Selon les lignes directrices, la Commission prend comme point de départ, dans le calcul du montant des amendes, un montant déterminé en fonction de la gravité de l’infraction […]. L’évaluation de la gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné (point 1 A, premier alinéa). Dans ce cadre, les infractions sont classées en trois catégories, à savoir les ‘infractions peu graves’, pour lesquelles le montant des amendes envisageable est compris entre 1 000 et 1 million d’écus, les ‘infractions graves’, pour lesquelles le montant des amendes envisageable peut varier entre 1 million et 20 millions d’écus, et les ‘infractions très graves’, pour lesquelles le montant des amendes envisageable va au-delà de 20 millions d’écus (point 1 A, deuxième alinéa, premier à troisième tirets). À l’intérieur de chacune de ces catégories, et notamment pour les catégories dites ‘graves’ et ‘très graves’, l’échelle des sanctions retenues permet de différencier le traitement qu’il convient d’appliquer aux entreprises selon la nature des infractions commises (point 1 A, troisième alinéa). Il est, en outre, nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif (point 1 A, quatrième alinéa).

226      Ensuite, il peut être tenu compte du fait que les entreprises de grande dimension disposent la plupart du temps d’infrastructures suffisantes pour posséder des connaissances juridico-économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence (point 1 A, cinquième alinéa).

227      À l’intérieur de chacune des trois catégories retenues ci-dessus, il peut convenir de pondérer, dans certains cas, le montant déterminé, afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature et d’adapter en conséquence le point de départ général selon le caractère spécifique de chaque entreprise […] (point 1 A, sixième alinéa).

228      Quant au facteur relatif à la durée de l’infraction, les lignes directrices établissent une distinction entre les infractions de courte durée (en général inférieures à un an), pour lesquelles le montant retenu pour la gravité ne devrait pas être majoré, les infractions de moyenne durée (en général de un à cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré jusqu’à 50 %, et les infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré pour chaque année de 10 % (point 1 B, premier alinéa, premier à troisième tirets).

229      Ensuite, les lignes directrices citent, à titre d’exemple, une liste de circonstances aggravantes et atténuantes qui peuvent être prises en considération pour augmenter ou diminuer le montant de base puis se réfèrent à la communication [sur la coopération].

230      En tant que remarque générale, il est précisé que le résultat final du calcul du montant de l’amende selon ce schéma (montant de base affecté des pourcentages d’aggravation et d’atténuation) ne peut en aucun cas dépasser 10 % du chiffre d’affaires mondial des entreprises, conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 [point 5, sous a)]. De plus, les lignes directrices prévoient qu’il convient, selon les circonstances, après avoir effectué les calculs décrits ci-dessus, de prendre en considération certaines données objectives telles que le contexte économique spécifique, l’avantage économique ou financier éventuellement acquis par les auteurs de l’infraction, les caractéristiques propres des entreprises en cause ainsi que leur capacité contributive réelle dans un contexte social particulier, pour adapter, in fine, le montant des amendes envisagé [point 5, sous b)].»

252   Le Tribunal a pu en déduire sans commettre d’erreur de droit que, en annonçant, dans ses lignes directrices, la méthode qu’elle envisageait d’appliquer pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission est restée dans le cadre légal imposé par cette disposition et n’a aucunement dépassé le pouvoir discrétionnaire qui lui a été attribué par le législateur, comme il est indiqué aux points 432 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission et 277 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission.

253   C’est donc à juste titre que, sur ce point, le Tribunal a rejeté les exceptions d’illégalité dirigées contre les lignes directrices et tirées de l’incompétence de la Commission pour adopter celles-ci.

254   Cette conclusion n’est pas remise en cause par le premier grief soulevé par les requérants, à savoir que, en exposant, dans ses lignes directrices, une méthode de calcul du montant des amendes qui ne se base pas sur le chiffre d’affaires des entreprises concernées, la Commission s’est écartée de l’interprétation jurisprudentielle de l’article 15 du règlement n° 17.

255   Comme l’a jugé le Tribunal, notamment aux points 442 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission et 278 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission, la Commission n’est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction en question, d’effectuer le calcul de l’amende à partir de montants basés sur le chiffre d’affaires des entreprises concernées.

256   Comme l’a exposé le Tribunal notamment aux points 443 et 444 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission ainsi que 280 et 281 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission, cette conclusion est clairement fondée sur les principes qui, selon la jurisprudence de la Cour, rappelée aux points 240 à 243 du présent arrêt, découlent de l’article 15 du règlement n° 17.

257   Il ressort en effet de ces principes que, sous réserve du respect de la limite supérieure que prévoit cette disposition et qui se réfère au chiffre d’affaires global (voir arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 119), il est loisible pour la Commission de tenir compte du chiffre d’affaires de l’entreprise en cause afin d’apprécier la gravité de l’infraction lors de la détermination du montant de l’amende, mais qu’il ne faut pas attribuer une importance disproportionnée à ce chiffre par rapport à d’autres éléments d’appréciation.

258   Il importe à cet égard d’ajouter, comme le Tribunal l’a également relevé à juste titre, notamment aux points 447 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission et 283 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission, que, bien que les lignes directrices ne prévoient pas que le montant des amendes soit calculé en fonction du chiffre d’affaires global ou du chiffre d’affaires pertinent, elles ne s’opposent pas à ce que de tels chiffres d’affaires soient pris en compte dans la détermination du montant de l’amende afin de respecter les principes généraux du droit communautaire et lorsque les circonstances l’exigent.

259   À cet égard, le Tribunal a jugé, notamment aux points 284 et 285 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission:

«284      Il s’avère, en effet, que, dans l’application des lignes directrices, le chiffre d’affaires des entreprises concernées peut entrer en ligne de compte lors de la prise en considération de la capacité économique effective des auteurs de l’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs et de la nécessité d’assurer à l’amende un caractère suffisamment dissuasif ou lors de la prise en considération du fait que les entreprises de grande dimension disposent la plupart du temps d’infrastructures suffisantes pour posséder des connaissances juridico-économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence (voir point 226 ci-dessus). Le chiffre d’affaires des entreprises concernées peut également entrer en ligne de compte lors de la détermination du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature (voir point 227 ci-dessus). De même, le chiffre d’affaires des entreprises peut donner une indication de l’avantage économique ou financier éventuellement acquis par les auteurs de l’infraction ou d’autres caractéristiques propres à ceux-ci qu’il convient, selon les circonstances, de prendre en considération (voir point 230 ci-dessus).

285      De plus, les lignes directrices disposent que le principe d’égalité de sanction pour un même comportement peut conduire, lorsque les circonstances l’exigent, à l’application de montants différenciés pour les entreprises concernées sans que cette différenciation obéisse à un calcul arithmétique (point 1 A, septième alinéa).»

260   Au contraire, la méthode de calcul préconisée par les lignes directrices, dès lors qu’elle prévoit la prise en compte d’un grand nombre d’éléments lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction pour fixer le montant de l’amende, parmi lesquels figurent notamment les gains procurés par l’infraction ou le besoin d’assurer l’effet dissuasif des amendes, semble mieux correspondre aux principes prescrits par le règlement n° 17 tels qu’interprétés par la Cour, notamment dans l’arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, que la prétendue pratique antérieure de la Commission invoquée par les requérants, dans laquelle le chiffre d’affaires pertinent aurait joué un rôle prépondérant et relativement mécanique.

261   Les requérants ne sauraient donc prétendre que la méthode de calcul des lignes directrices, en ce qu’elle consiste à prendre comme point de départ des montants de base qui ne sont pas déterminés en fonction du chiffre d’affaires pertinent, est contraire à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 tel qu’interprété par la Cour.

262   Comme l’a observé M. l’avocat général au point 73 de ses conclusions, la décision litigieuse elle-même démontre par ailleurs que la méthode des lignes directrices permet de tenir compte du chiffre d’affaires puisque, dans cette décision, la Commission a réparti les requérants, en fonction de leur dimension, en quatre groupes et a, par conséquent, différencié de manière substantielle les montants de base.

263   À cet égard, le Tribunal a relevé aux points 295 à 297 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission:

«295      Il convient d’observer, ensuite, que la Commission, afin de tenir compte de la disparité dans la taille des entreprises ayant pris part à l’infraction, a divisé les entreprises en quatre catégories selon leur importance dans le marché de la Communauté, sous réserve d’ajustements destinés à tenir compte de la nécessité d’assurer une dissuasion effective ([point] 166, deuxième à quatrième alinéa, [des motifs] de la décision). Il ressort des [points] 168 à 183 [des mêmes motifs] que les quatre catégories se sont vu imposer, dans l’ordre d’importance, pour le calcul du montant des amendes, des points de départ spécifiques de 20, 10, 5 et 1 millions d’écus.

296      En ce qui concerne la détermination des points de départ pour chacune des catégories, la Commission a expliqué, à la suite d’une question posée par le Tribunal, que ces montants reflètent l’importance de chaque entreprise dans le secteur des conduites précalorifugées compte tenu de sa taille et de son poids par rapport à ABB et dans le contexte de l’entente. À cette fin, la Commission a tenu compte non seulement de leur chiffre d’affaires sur le marché concerné, mais également de l’importance relative que les membres de l’entente attribuaient à chacun d’eux, comme cela ressort des quotas prévus au sein de l’entente, figurant en annexe 60 de la communication des griefs, et des résultats obtenus et envisagés en 1995, figurant en annexes 169 à 171 de la communication des griefs.

297      De plus, la Commission a encore augmenté le point de départ pour le calcul du montant de l’amende à imposer à ABB, jusqu’à 50 millions d’écus, afin de tenir compte de sa position en tant qu’un des principaux groupes européens ([point] 168 [des motifs] de la décision).»

264   Force est de constater que, bien que les lignes directrices prévoient un montant de base envisageable qui dépasse 20 millions d’euros pour des infractions très graves comme celle en l’espèce, ce montant a, dans la décision litigieuse, été significativement ajusté pour toutes les entreprises concernées suivant la démarche de la Commission rappelée par le Tribunal, ainsi qu’il est relevé au point précédent du présent arrêt.

265   En effet, dans la décision litigieuse, le point de départ a été fixé à 10 millions d’euros pour LR A/S, entreprise de la deuxième catégorie, à 5 millions d’euros pour Dansk Rørindustri, le groupe Henss/Isoplus et LR GmbH, entreprises de la troisième catégorie, et à 1 million d’euros pour Brugg, entreprise de la quatrième catégorie. Pour ce qui concerne ABB, un point de départ spécifique a été déterminé à 50 millions d’euros.

266   Il découle de l’analyse du contenu des lignes directrices opérée par le Tribunal, ainsi qu’il a été relevé au point 251 du présent arrêt, que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ne s’agit pas d’une méthode de calcul arithmétique ne permettant pas une modulation individuelle des amendes pour chaque entreprise concernée en fonction de la gravité relative de sa participation à l’infraction.

267   Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 75 de ses conclusions, cette analyse démontre au contraire que les lignes directrices contiennent différents éléments de flexibilité qui permettent à la Commission d’exercer son pouvoir discrétionnaire en conformité avec les dispositions de l’article 15 du règlement n° 17, telles qu’interprétées par la Cour, dont la jurisprudence a été rappelée, à cet égard, aux points 240 à 243 du présent arrêt.

268   Comme il a été constaté au point 264 du présent arrêt, la méthode des lignes directrices telle qu’appliquée dans la décision litigieuse comporte d’ailleurs des ajustements significatifs du montant des amendes en fonction des particularités de chaque opérateur, notamment pour ce qui concerne les montants de base.

269   Pour autant que les moyens des requérants doivent être compris comme critiquant le Tribunal pour ne pas avoir censuré la décision litigieuse au motif que leur chiffre d’affaires pertinent a été pris en compte de façon insuffisante, il y a lieu de les rejeter.

270   En effet, eu égard à la jurisprudence de la Cour dont il découle que le chiffre d’affaires n’est qu’un des facteurs dont il est loisible pour la Commission de tenir compte lors du calcul du montant des amendes, ainsi qu’il a été indiqué au point 243 du présent arrêt, et dès lors qu’il est constant que, dans la décision litigieuse, ledit chiffre d’affaires a bien été pris en compte, il convient de constater que les arrêts attaqués ne révèlent aucune erreur de droit sur ce point.

271   Dans la mesure où, par ces moyens, les requérants entendent reprocher au Tribunal certaines erreurs relatives à la constatation ou à l’appréciation de faits, il suffit d’indiquer qu’aucune dénaturation des faits n’a été démontrée et qu’aucune inexactitude matérielle des constatations du Tribunal ne ressort des documents versés au dossier.

272   Dansk Rørindustri, le groupe Henss/Isoplus, LR A/S et LR GmbH font valoir, ensuite, que, puisque les montants de base ne sont pas déterminés en fonction du chiffre d’affaires pertinent de chaque entreprise, mais en montants absolus qui s’avèrent particulièrement élevés pour ce qui concerne des petites et moyennes entreprises, la limite de 10 % du chiffre d’affaires global, visée à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, est déjà franchie à ce stade initial du calcul pour des entreprises de leur taille de sorte que, en définitive, dans une telle situation, le montant final de l’amende infligée est calculé de façon arithmétique sur la base du seul chiffre d’affaires global.

273   Ceci aurait pour résultat que, dans une telle hypothèse, les ajustements au titre de la durée de l’infraction ou en raison d’éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes, dès lors qu’ils sont opérés sur un montant se situant au-delà du niveau de la limite de 10 % du chiffre d’affaires global, ne peuvent pas se répercuter sur le montant final de l’amende et, partant, ne sont pas pris en compte ou seulement de façon abstraite ou théorique.

274   Or, l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 exigerait que ces éléments soient effectivement pris en compte lors du calcul de l’amende et se répercutent de façon concrète sur le montant final de celle-ci.

275   Le groupe Henss/Isoplus, LR A/S et LR GmbH soutiennent enfin, sur ce fondement, que, en adoptant une telle méthode de calcul dans les lignes directrices, la Commission a dépassé les limites de son pouvoir discrétionnaire fondé sur le règlement n° 17, de sorte que les lignes directrices seraient illégales du fait de l’incompétence de ladite institution.

276   À cet égard, il convient de constater que le raisonnement du Tribunal, notamment aux points 287 à 290 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission, qui conduit au rejet de cette argumentation, n’est entaché d’aucune erreur de droit.

277   C’est en effet à juste titre que le Tribunal a jugé, en substance, que la limite supérieure du montant de l’amende visée à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 doit être comprise en ce sens que le montant de l’amende finalement infligée à une entreprise ne peut pas dépasser cette limite et que les lignes directrices vont dans le même sens, ainsi qu’il ressort du point 5, sous a), de ces dernières.

278   Comme le Tribunal l’a jugé à bon droit, l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 n’interdit donc pas à la Commission de se référer, pour son calcul, à un montant intermédiaire dépassant cette même limite. Il ne s’oppose pas non plus à ce que des opérations de calcul intermédiaires prenant en compte la gravité et la durée de l’infraction soient effectuées sur un montant supérieur à ladite limite.

279   S’il s’avère que, au terme du calcul, le montant final de l’amende doit être réduit à concurrence de celui-ci dépassant ladite limite supérieure, le fait que certains facteurs tels que la gravité et la durée de l’infraction ne se répercutent pas de façon effective sur le montant de l’amende infligée n’est qu’une simple conséquence de l’application de cette limite supérieure audit montant final.

280   Comme l’a soutenu la Commission, ladite limite supérieure vise à éviter que soient infligées des amendes dont il est prévisible que les entreprises, au vu de leur taille, telle que déterminée par leur chiffre d’affaires global, fût-ce de façon approximative et imparfaite, ne seront pas en mesure de s’acquitter (voir, en ce sens, arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, points 119 et 121).

281   Il s’agit donc d’une limite, uniformément applicable à toutes les entreprises et articulée en fonction de la taille de chacune d’elles, visant à éviter des amendes d’un niveau excessif et disproportionné.

282   Cette limite supérieure a ainsi un objectif distinct et autonome par rapport à celui des critères de gravité et de durée de l’infraction.

283   Elle a comme seule conséquence possible que le montant de l’amende calculé sur la base de ces critères est réduit jusqu’au niveau maximal autorisé. Son application implique que l’entreprise concernée ne paie pas l’amende qui, en principe, serait due au titre d’une appréciation fondée sur lesdits critères.

284   Ceci est d’autant plus le cas si, comme en l’espèce pour Dansk Rørindustri, le groupe Henss/Isoplus, LR A/S et LR GmbH, les ajustements concernés sont de nature à augmenter davantage le montant de l’amende.

285   Force est en effet de constater que, pour ces requérants, aucune circonstance atténuante n’a été retenue par la Commission et que le montant de base est seulement susceptible d’être ajusté à la hausse en raison des facteurs retenus par la Commission, à savoir au titre de la durée de l’infraction et de certaines circonstances aggravantes.

286   Il s’ensuit que l’application de la limite supérieure a eu pour effet que lesdits requérants n’ont pas subi les majorations qui seraient dues, en principe, en raison desdits facteurs aggravants.

287   Contrairement à ce que Dansk Rørindustri et LR A/S ont soutenu, l’application de la limite supérieure, visée à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, n’implique donc pas que le montant de l’amende a été calculé sur la seule base du chiffre d’affaires global de l’entreprise.

288   La circonstance que le montant final de l’amende est égal à ladite limite supérieure ne signifie pas qu’il a été calculé sur le seul fondement de cette limite, mais que ledit montant, qui devrait être fixé en principe au vu de la gravité et de la durée de l’infraction, a été réduit au niveau de ladite limite.

289   LR A/S ne saurait donc reprocher au Tribunal de s’être contredit en jugeant, d’une part, que, selon la jurisprudence de la Cour, l’appréciation de la gravité de l’infraction lors de la détermination du montant de l’amende ne saurait procéder d’un seul facteur, et, d’autre part, que, dans la décision litigieuse, les montants des amendes ont pu être fixés au niveau de ladite limite supérieure.

290   Le groupe Henss/Isoplus soutient, en référence au point 2, cinquième tiret, des lignes directrices, que ces dernières ont introduit une nouvelle circonstance aggravante, tirée des gains illicites qu’une entreprise a pu réaliser grâce à l’infraction.

291   Ladite circonstance ne serait pas couverte par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Il existerait en outre un risque que le profit de l’entreprise soit doublement pris en compte, puisqu’il serait déjà pris en considération lors de la détermination de la gravité de l’infraction. Partant, les lignes directrices seraient, sur ce point, illégales du fait de l’incompétence de la Commission pour les adopter.

292   Or, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, aux points 454 à 456 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission, qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que le profit que les entreprises ont pu tirer de leurs pratiques fait partie des éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité de l’infraction et que la prise en compte de cet élément vise à assurer le caractère dissuasif de l’amende (voir arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 129).

293   Il s’agit donc clairement d’un élément pouvant être pris en considération conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, indépendamment de sa mention explicite dans les lignes directrices.

294   Ces dernières prévoient qu’il convient de tenir compte, en tant que circonstance aggravante, de la nécessité de majorer la sanction afin de dépasser les gains illicites réalisés grâce à l’infraction, lorsqu’une telle estimation est objectivement possible. Comme l’a soutenu la Commission, il en découle que cette circonstance aggravante vise à majorer le montant de base si une estimation objective de tels gains illicites permet de constater que le niveau du montant de base est insuffisant pour neutraliser le profit que tire une entreprise de l’infraction.

295   Dans ces conditions, les lignes directrices ne comportent pas de risque inhérent de double prise en compte du profit.

296   Il en découle que les moyens soulevés doivent être rejetés.

 b) Sur les moyens tirés d’une violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement lors de la détermination, dans la décision litigieuse, du montant des amendes selon la méthode de calcul prévue par les lignes directrices

297   Dansk Rørindustri, le groupe Henss/Isoplus, KE KELIT, LR A/S, Brugg et LR GmbH font grief au Tribunal d’avoir rejeté leurs moyens tirés d’une violation des principes de proportionnalité et, le cas échéant, d’égalité de traitement lors de la détermination, dans la décision litigieuse, du montant des amendes selon la méthode de calcul prévue par les lignes directrices.

298   Lesdits requérants soutiennent en substance que, selon la méthode prévue dans les lignes directrices, les montants de base ne sont pas déterminés en fonction du chiffre d’affaires pertinent, mais en termes de montants forfaitaires qui sont fixés à des niveaux particulièrement élevés pour des entreprises de leur taille, à savoir les petites et moyennes entreprises, dénommées dans la décision litigieuse les entreprises des deuxième et troisième catégories.

299   Il en résulterait que, pour ce qui concerne de telles entreprises, la limite supérieure de 10 % du chiffre d’affaires global visée à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 est déjà largement dépassée à ce stade initial du calcul, de sorte que, abstraction faite d’une éventuelle réduction au titre de la communication sur la coopération, les amendes qui leur ont été infligées sont effectivement fixées au niveau de ladite limite supérieure et correspondent donc au montant maximal de l’amende.

300   Ce niveau du montant des amendes infligées aux requérants en question comporterait une inégalité de traitement et une violation du principe de proportionnalité qui seraient particulièrement manifestes s’il était comparé à celui du montant de l’amende infligée à ABB, seule entreprise multinationale active dans le secteur du chauffage urbain et chef de file incontesté de l’entente, dès lors que ce dernier montant ne représenterait qu’un très faible pourcentage du chiffre d’affaires global d’ABB avant réduction au titre de la communication sur la coopération, à savoir 0,36 %.

301   Il convient d’emblée de rejeter comme irrecevable le moyen soulevé par LR A/S, tendant à démontrer la violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement, laquelle violation découlerait du fait que le montant maximal de l’amende a été infligé à cette requérante malgré les circonstances atténuantes suivantes, qu’elle considère incontestées:

–      elle n’est pas le chef de file de l’entente;

–      elle a subi une pression considérable de la part d’ABB, entreprise bien plus puissante qu’elle. L’infraction reprochée à LR A/S est en outre bien moins grave que celle reprochée à ABB;

–      LR A/S, n’ayant réalisé que 36,8 % de son chiffre d’affaires sur le marché du produit pertinent, n’est pas une entreprise spécialisée dans un seul produit;

–      l’entente a initialement été limitée au Danemark et n’a acquis une dimension communautaire que pendant une période relativement courte;

−      il n’y a pas de preuve du profit que LR A/S aurait tiré des infractions;

–      il existe un nombre d’autres circonstances atténuantes.

302   Ainsi formulé, ce moyen a pour objet un réexamen général de l’amende qui a été infligée à LR A/S et, dans cette mesure, est, selon la jurisprudence rappelée aux points 245 et 246 du présent arrêt, irrecevable au stade du pourvoi.

303   Il convient également de rappeler que, dans le cadre du pourvoi, le contrôle de la Cour a pour objet, d’une part, d’examiner dans quelle mesure le Tribunal a pris en considération, d’une manière juridiquement correcte, tous les facteurs essentiels pour apprécier la gravité d’un comportement déterminé à la lumière des articles 85 du traité et 15 du règlement n° 17 et, d’autre part, de vérifier si le Tribunal a répondu à suffisance de droit à l’ensemble des arguments invoqués par la requérante tendant à la suppression ou à la réduction de l’amende, ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 244 du présent arrêt.

304   Or, aux points 198 à 210 de l’arrêt attaqué Dansk Rørindustri/Commission, 292 à 301 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission, et 299 à 305 de l’arrêt attaqué Lögstör Rör/Commission, le Tribunal a pu juger, sans commettre d’erreur pouvant être censurée au stade du pourvoi, que le niveau du montant de l’amende infligée aux requérants relevant des deuxième et troisième catégories ne saurait être considéré comme comportant une inégalité de traitement au vu notamment du niveau du montant de l’amende infligée à ABB.

305   Le Tribunal a tiré cette conclusion d’un examen détaillé de la méthode de calcul du montant des amendes telle que suivie dans la décision litigieuse.

306   À cet égard, le Tribunal a exposé que les montants des amendes ont été établis sur le fondement de montants de base, eux-mêmes déterminés à partir du montant envisageable de 20 millions d’euros indiqué dans les lignes directrices pour des infractions très graves et auquel des ajustements ont été apportés pour toutes les entreprises concernées, en fonction notamment de leur taille respective et de la gravité relative de leur participation à l’infraction.

307   Ainsi, le montant de base a été fixé à 5 millions d’euros pour Dansk Rørindustri, LR A/S et LR GmbH. Le Tribunal a également mis en exergue que le montant de base retenu pour ABB a été porté à 50 millions d’euros afin de tenir compte de la position de cette dernière en tant que l’un des principaux groupes européens dans le secteur concerné.

308   De plus, le Tribunal a relevé que le montant de base retenu pour ABB, après sa majoration au titre de la durée de l’infraction, a été encore majoré de 50 % au titre de circonstances aggravantes, dont celle d’avoir été le chef de file de l’entente.

309   Il apparaît d’ailleurs que les pourcentages retenus à cet égard pour Dansk Rørindustri, LR A/S et LR GmbH ont été fixés à des niveaux considérablement inférieurs eu égard aux rôles respectifs et moins importants que ces entreprises ont joué dans l’entente, ainsi qu’il ressort, notamment, du point 306 de l’arrêt attaqué Lögstör Rör/Commission.

310   Aux points 210 de l’arrêt attaqué Dansk Rørindustri/Commission, 298 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission, et 304 de l’arrêt attaqué Lögstör Rör/Commission, le Tribunal en a conclu sans commettre d’erreur de droit que, eu égard à l’ensemble des facteurs pertinents pris en considération, la différence entre le point de départ retenu pour Dansk Rørindustri, LR A/S et LR GmbH, d’une part, et celui retenu pour ABB, d’autre part, est objectivement justifiée.

311   Le bien-fondé de cette conclusion est d’ailleurs renforcé par les multiples pondérations que comporte la décision litigieuse au titre de la durée de l’infraction et des circonstances aggravantes et qui sont fortement différenciées en fonction de la gravité de la participation de chaque entreprise concernée à l’infraction en cause.

312   Comme l’a jugé à juste titre le Tribunal, notamment aux points 442 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission et 278 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission, il découle des principes rappelés aux points 240 à 243 du présent arrêt que la Commission n’est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction en cause, d’assurer, au cas où des amendes sont infligées à plusieurs entreprises impliquées dans une même infraction, que les montants finals des amendes auxquels son calcul aboutit pour les entreprises concernées traduisent toute différenciation parmi celles-ci quant à leur chiffre d’affaires global ou leur chiffre d’affaires pertinent.

313   C’est donc à bon droit que le Tribunal a rejeté l’exception d’illégalité soulevée par le groupe Henss/Isoplus pour autant que celle-ci est fondée sur l’illégalité des lignes directrices en raison de la violation du principe d’égalité de traitement, du fait que la méthode de calcul que comportent les lignes directrices n’est pas basée sur le chiffre d’affaires des entreprises concernées.

314   Le moyen soulevé sur ce point par le groupe Henss/Isoplus ne saurait donc être retenu.

315   Le Tribunal a, également à juste titre, déduit des principes rappelés aux points 240 à 243 du présent arrêt, qu’il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir imposé un point de départ qui a conduit à un montant final d’amende supérieur, en pourcentage du chiffre d’affaires global, à celui de l’amende infligée à ABB.

316   C’est d’ailleurs essentiellement sur le fondement du même raisonnement que celui résumé aux points 306 à 310 du présent arrêt que le Tribunal a, aux points 303 et 304 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission, rejeté l’argument selon lequel la Commission n’aurait pas suffisamment tenu compte du chiffre d’affaires pertinent de LR A/S, ce qui aurait conduit à infliger à cette société une amende discriminatoire par rapport à celles infligées aux entreprises de la troisième catégorie.

317   Le moyen soulevé sur ce point par LR A/S, dans la mesure où il est recevable, ne saurait donc prospérer.

318   Le moyen tiré d’une prétendue discrimination par rapport aux entreprises de la quatrième catégorie et soulevé par ladite requérante n’est pas recevable dans le cadre du présent pourvoi, dès lors qu’il ressort de la requête de cette société déposée devant le Tribunal qu’un tel moyen n’y a pas été soulevé.

319   Sur le fondement du même raisonnement développé aux points 306 à 310 du présent arrêt, le Tribunal a également pu juger sans commettre une quelconque erreur de droit que les amendes ainsi infligées ne sont pas disproportionnées.

320   Dès lors que, dans son appréciation du caractère proportionné du montant des amendes, le Tribunal a pris en considération, d’une manière juridiquement correcte, tous les facteurs essentiels pour apprécier la gravité d’un comportement déterminé à la lumière des articles 85 du traité et 15 du règlement n° 17 et, d’autre part, qu’il n’est pas établi que le Tribunal n’aurait pas répondu à suffisance de droit à l’ensemble des arguments invoqués par les requérants tendant à la suppression ou à la réduction de l’amende, les arguments avancés par ceux-ci visant à démontrer que tel ou tel facteur n’aurait été pris en compte que de façon insuffisante par le Tribunal, sont irrecevables au stade du pourvoi.

321   Dansk Rørindustri et LR GmbH reprochent au Tribunal de ne pas avoir censuré la décision litigieuse au motif que l’application de la limite supérieure visée à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 au montant final de l’amende a eu comme résultat que, pour certaines entreprises dont ces requérantes, des ajustements au montant de base, favorables à ces entreprises en termes absolus ou relatifs, ne se sont pas répercutés sur ce montant final puisqu’ils ont été opérés sur le montant excédant la limite supérieure alors que, pour d’autres entreprises impliquées dans la même entente, de tels ajustements se sont effectivement reflétés dans le montant final de l’amende qui leur a été infligée. Un tel résultat serait contraire au principe d’égalité de traitement.

322   À cet égard, LR GmbH critique le fait que la durée relativement moindre de l’infraction retenue à son encontre par rapport à d’autres entreprises telles qu’ABB ne s’est pas répercutée sur le montant final de son amende alors que, pour d’autres entreprises comme Brugg et KE KELIT, tel a bien été le cas, de sorte que le montant final de leur amende n’a pas dû être réduit au niveau de la limite supérieure visée à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Dansk Rørindustri fait, en particulier, grief au Tribunal de ce que la réduction de la durée de l’infraction retenue ne s’est pas reflétée dans le montant final de son amende.

323   Or, ainsi qu’il découle des points 278 à 283 du présent arrêt, un tel résultat ne saurait être critiqué au regard du principe d’égalité de traitement, dès lors qu’il est la simple conséquence de l’application de ladite limite supérieure au montant final de l’amende, étant donné que, pour ces requérantes, la limite supérieure en question s’est avérée être dépassée.

324   Il y a lieu d’examiner en outre trois griefs spécifiques, tirés d’une violation des principes d’égalité et de proportionnalité.

325   D’abord, dans le cadre de son premier moyen, LR A/S reproche au Tribunal d’avoir rejeté, au point 308 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission, son argument selon lequel l’amende serait disproportionnée, dans la mesure où la Commission n’aurait pas tenu compte de la capacité de cette requérante à payer l’amende et aurait ainsi fixé le montant de celle-ci à un niveau qui menace sa survie.

326   Or, ce moyen ne saurait être retenu.

327   C’est en effet à juste titre que, audit point, le Tribunal a jugé que la Commission n’est pas obligée, lors de la détermination du montant de l’amende, de tenir compte de la situation financière déficitaire d’une entreprise, étant donné que la reconnaissance d’une telle obligation reviendrait à procurer un avantage concurrentiel injustifié aux entreprises les moins adaptées aux conditions du marché (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec. p. 3369, points 54 et 55).

328   Ensuite, par son deuxième moyen, KE KELIT fait grief au Tribunal d’avoir jugé, aux points 167, 169 et 170 de l’arrêt attaqué KE KELIT/Commission, qu’il ne pouvait être reproché à la Commission d’avoir majoré de 10 % l’amende qui lui a été infligée au titre de la durée de l’infraction qui lui est reprochée, à savoir environ quinze mois, alors que, si cette durée avait été de douze mois, elle n’aurait, à ce titre, été assujettie à aucune majoration.

329   S’agissant d’une infraction de moyenne durée au sens du point 1, B, premier alinéa, deuxième tiret, des lignes directrices − à savoir d’une infraction de un à cinq ans pour laquelle la majoration maximale peut atteindre 50 % −, la majoration, due en raison des trois mois dépassant la période d’un an pour laquelle aucun montant additionnel n’est prévu, ainsi qu’il ressort du point 1, B, premier alinéa, premier tiret, des mêmes lignes directrices, aurait dû être calculée de façon linéaire pour chaque mois de dépassement. La majoration due serait donc de 1,042 % par mois, 50 % répartis sur quarante-huit mois, soit de 3,126 % pour les trois mois de dépassement.

330   Cette approche linéaire s’imposerait en vertu du principe d’égalité de traitement selon lequel les différences entre les entreprises participant à l’entente quant à la durée de l’infraction doivent être reflétées dans le montant de l’amende.

331   Le Tribunal lui-même aurait par ailleurs procédé ainsi aux points 214 à 216 de l’arrêt attaqué Dansk Rørindustri/Commission, en ce qu’il aurait réduit l’amende de 1 % par mois pour ceux au cours desquels l’infraction n’avait pas été, selon lui, établie.

332   Par conséquent, le Tribunal aurait enfreint le principe d’égalité de traitement en ne retenant pas cette même approche à l’égard de KE KELIT (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2000, Weig/Commission, C‑280/98 P, Rec. p. I-9757, point 63).

333   Ce moyen n’est pas fondé.

334   Aux points 167 à 171 de l’arrêt attaqué KE KELIT/Commission, le Tribunal a jugé, en substance, que la durée de l’infraction retenue à l’égard de KE KELIT n’était pas disproportionnée du fait que, dans la décision litigieuse, la Commission ne s’est pas basée sur une telle approche linéaire.

335   Ainsi qu’il ressort des points 170 et 178 des motifs de la décision litigieuse, auxquels se réfère le Tribunal au point 170 dudit arrêt attaqué, la Commission a pris en compte, pour toutes les entreprises, le fait que, premièrement, les arrangements, au départ, étaient incomplets et ont eu un effet limité en dehors du marché danois, deuxièmement, que ces derniers ont été suspendus entre fin 1993 et début 1994 et, troisièmement, qu’ils n’ont atteint leur forme la plus achevée qu’avec l’entente à l’échelle communautaire constituée en 1994 et 1995.

336   Eu égard au large pouvoir d’appréciation de la Commission dans le domaine de la détermination du montant de l’amende, le Tribunal pouvait déduire sans commettre d’erreur de droit que la majoration au titre de la durée de l’infraction retenue à l’encontre de KE KELIT n’était pas entachée d’une violation du principe d’égalité de traitement.

337   Pour ce qui concerne l’argument soulevé par KE KELIT et tiré de l’arrêt attaqué Dansk Rørindustri/Commission, il ressort certes de la jurisprudence de la Cour que l’exercice d’une compétence de pleine juridiction ne saurait entraîner, lors de la détermination du montant des amendes, une discrimination entre les entreprises qui ont participé à un accord contraire à l’article 85, paragraphe 1, du traité et que, si le Tribunal entend s’écarter spécifiquement à l’égard de l’une de ces entreprises de la méthode de calcul suivie par la Commission et qu’il n’a pas remise en cause, il est nécessaire qu’il s’en explique dans l’arrêt attaqué (voir, notamment, arrêt du 18 septembre 2003, Volkswagen/Commission, C-338/00 P, Rec. p. I-9189, point 146).

338   Toutefois, ce principe n’est pas d’application en l’espèce, dès lors qu’il est constant que le montant de l’amende infligée à KE KELIT n’a pas été déterminé par le Tribunal dans le cadre de l’exercice de sa pleine juridiction, mais par la Commission dans la décision litigieuse.

339   En outre, il ressort d’une lecture combinée des points 55 et 215 de l’arrêt attaqué Dansk Rørindustri/Commission que le Tribunal n’a pas entendu s’écarter de la méthode de calcul suivie par la Commission, mais, au contraire, a voulu s’assurer que les trois facteurs pris en compte par celle-ci lors de l’appréciation de la durée de l’infraction, ainsi qu’indiqué au point 335 du présent arrêt, se reflètent dans la période retenue pour Dansk Rørindustri.

340   Il n’est, par ailleurs, pas établi que la situation de KE KELIT soit comparable à celle de Dansk Rørindustri, dès lors notamment qu’il s’agit, pour la première entreprise, d’une infraction de moyenne durée au sens du point 1, B, des lignes directrices, à savoir de un à cinq ans, alors que la seconde entreprise s’est vu reprocher une infraction de longue durée au sens de cette même disposition, à savoir au-delà de cinq ans.

341   Enfin, par son quatrième moyen, Brugg critique les points 149 à 157 de l’arrêt attaqué Brugg Rohrsysteme/Commission.

342   Selon elle, un rapport, en soi adéquat, de cinq à un aurait été retenu par la Commission comme point de départ spécifique du calcul de l’amende respectivement pour les entreprises des troisième et quatrième catégories.

343   Toutefois, le montant de base retenu pour les entreprises de la troisième catégorie dépassant déjà la limite supérieure de 10 % visée à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, ce rapport aurait été abandonné du fait de la réduction de ce montant au niveau de la limite supérieure.

344   Il y aurait donc lieu, selon ladite requérante, d’abaisser également le montant de base retenu pour les entreprises de la quatrième catégorie, afin de rétablir à ce stade du calcul le rapport de cinq à un.

345   Ce moyen doit être rejeté.

346   En effet, c’est à bon droit que le Tribunal a rejeté ce moyen au motif, énoncé au point 155 de l’arrêt attaqué Brugg Rohrsysteme/Commission, que ne saurait être considérée comme une discrimination la circonstance selon laquelle le point de départ pris en compte, pour les entreprises de la troisième catégorie, a abouti à des montants qui devaient être réduits, pour prendre en considération la limite de 10 % du chiffre d’affaires prévue à l’article 15 du règlement n° 17, alors qu’une telle réduction n’a pas été nécessaire pour les entreprises de la quatrième catégorie. Cette différence de traitement n’est en effet que la conséquence directe de la limite maximale à laquelle sont soumises les amendes par ledit règlement, dont la légalité n’a pas été mise en cause et qui ne s’applique, à l’évidence, que dans les cas où le montant de l’amende envisagée aurait dépassé 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée, ainsi qu’il a été indiqué aux points 278 à 283 du présent arrêt.

347   Il résulte de tout ce qui précède que les moyens invoqués par les requérants au titre d’une violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement doivent être rejetés dans leur ensemble.

 c) Sur les moyens tirés par le groupe Henss/Isoplus d’une violation des droits de la défense dans l’appréciation des circonstances aggravantes

348   Par la troisième branche de son premier moyen, le groupe Henss/Isoplus reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en rejetant, aux points 474 à 481 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission, l’exception d’illégalité soulevée à l’encontre des lignes directrices et, en particulier, le point 2, deuxième tiret, de celles-ci qui prévoit une augmentation du montant de base «pour les circonstances aggravantes telles que, par exemple, [...] [le] refus de toute coopération, voire [des] tentatives d’obstruction pendant le déroulement de l’enquête».

349   Selon ce requérant, les lignes directrices comportent, sur ce point, une violation des droits de la défense et, partant, doivent lui être déclarées inapplicables, dès lors que cette circonstance aggravante s’appliquerait dès qu’une entreprise exerce ses droits de la défense, notamment si elle refuse, conformément à la jurisprudence, de fournir des renseignements au sens de l’article 11 du règlement n° 17, au motif que celles-ci contribueraient à sa propre incrimination.

350   Ce grief ne saurait être retenu.

351   En effet, comme le Tribunal l’a rappelé à bon droit au point 475 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission, le comportement de l’entreprise au cours de la procédure administrative peut faire partie des éléments dont il y a lieu de tenir compte pour fixer le montant de l’amende (voir, notamment, arrêt du 16 novembre 2000, Finnboard/Commission, C‑298/98 P, Rec. p. I-10157, point 56).

352   Ainsi qu’il résulte du point 478 dudit arrêt attaqué, le point 2, deuxième tiret, des lignes directrices doit être compris en ce sens qu’une entreprise qui, contestant la position de la Commission, n’apporte d’autre collaboration que celle à laquelle elle est tenue en vertu du règlement n° 17 ne se verra pas, pour ce motif, infliger une amende majorée (voir arrêt Finnboard/Commission, précité, point 58).

353   Partant, la circonstance aggravante que constitue le refus de toute coopération, voire des tentatives d’obstruction pendant le déroulement de l’enquête, n’est pas susceptible d’être appliquée dans le cas du seul exercice des droits de la défense.

354   En outre, par la seconde branche de son troisième moyen, le groupe Henss/Isoplus reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en jugeant, aux points 555 à 565 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission, que son droit fondamental de se défendre n’a pas été enfreint en ce que la Commission a retenu comme circonstance aggravante à son encontre le fait qu’il ait tenté de tromper ladite institution sur les relations effectives entre les entreprises de ce groupe.

355   Selon ledit requérant, le Tribunal aurait jugé à tort que la Commission pouvait lui reprocher d’avoir contesté l’existence de relations relevant du droit des sociétés et de ne pas avoir révélé des relations de fiducie strictement confidentielles entre différentes sociétés.

356   Agissant ainsi, le groupe Henss/Isoplus n’aurait exercé que son droit de se défendre, de sorte que ces faits ne pouvaient être retenus en tant que circonstances aggravantes à sa charge par la Commission.

357   Cet argument procède d’une lecture erronée des points 556 à 560 dudit arrêt attaqué.

358   En effet, par ces points, le Tribunal a jugé que, lors de la procédure administrative, ledit groupe ne s’est pas limité à contester l’appréciation des faits ainsi que la position juridique de la Commission, mais a fourni à celle-ci des renseignements incomplets et partiellement inexacts.

359   Le Tribunal est arrivé à cette conclusion au terme d’une appréciation en principe souveraine des éléments de preuve qui lui ont été soumis et, en particulier, au regard d’un examen des réponses aux demandes de renseignements ainsi que des observations sur la communication des griefs soumises par le groupe Henss/Isoplus.

360   Au demeurant, contrairement à ce que suggère ledit requérant, le point 557 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission n’implique pas que le Tribunal ait constaté que la demande de renseignements adressée au requérant, au titre de l’article 11 du règlement n° 17, comportait une question portant spécifiquement sur les relations fiduciaires entre les entreprises dudit groupe, relations que la Commission ne devait et ne pouvait d’ailleurs pas connaître.

361   En revanche, le Tribunal a seulement constaté que, en réponse à une question plus générale, sollicitant du requérant en question la spécification de tous les éléments relatifs aux réunions tenues avec les sociétés concurrentes et, notamment, concernant les participants à ces réunions, leurs nom, entreprise et fonction, ledit requérant a fourni certains renseignements incomplets et, partiellement, inexacts.

362   Il n’existe donc manifestement sur ce point aucune contradiction entre cette constatation et le dossier. Partant, le vice de procédure allégué à cet égard par le groupe Henss/Isoplus en tant que partie de son septième moyen doit être rejeté.

363   Au vu de tout ce qui précède, les moyens soulevés par le groupe Henss/Isoplus et tirés d’une violation des droits de la défense dans l’appréciation des circonstances aggravantes doivent être rejetés.

 d) Sur le moyen tiré par LR A/S du défaut de prise en compte de circonstances atténuantes

364   Par son troisième moyen, LR A/S fait grief au Tribunal d’avoir jugé, aux points 336 à 346 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission, que la Commission a pu légitimement considérer qu’aucune circonstance atténuante ne devait être retenue à son égard.

365   Sur ce point, LR A/S soutient, d’abord, qu’elle aurait dû bénéficier d’une réduction en raison des circonstances atténuantes suivantes:

–       sa situation subalterne par rapport à ABB, l’opérateur le plus puissant et le seul groupe multinational dans le secteur du chauffage urbain ainsi que le chef de file de l’entente;

–       la pression économique qu’ABB a exercée sur LR A/S tant pour participer à l’entente que pour exécuter les décisions prises par le cartel;

–       le fait que les infractions reprochées à ABB étaient bien plus sérieuses que celles retenues contre LR A/S.

366   Or, c’est à juste titre que le Tribunal a notamment jugé, au point 338 dudit arrêt attaqué, que la taille moyenne de cette requérante ne saurait constituer une circonstance atténuante.

367   Pour ce qui concerne plus particulièrement sa position vis-à-vis d’ABB, LR A/S fait valoir que, contrairement à ce qu’aurait jugé le Tribunal au point 339 du même arrêt attaqué, l’impératif de déterminer le montant de l’amende qui lui a été infligée sur la base de tous les facteurs individuels pertinents nécessitait que les pressions exercées par ABB sur les autres entreprises participant à l’entente, telles que LR A/S, se traduisent par un ajustement vers le bas de sa propre amende et non seulement par un ajustement vers le haut de l’amende d’ABB.

368   Ce dernier ajustement n’assurerait d’ailleurs pas que l’amende reflète d’éventuelles différences entre la situation de LR A/S et celle d’autres entreprises qui n’ont pas ou qui ont dans une moindre mesure subi de telles pressions et conduirait à une discrimination systématique de cette requérante vis-à-vis de ces entreprises.

369   Or, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir rejeté ledit grief, au motif que LR A/S aurait pu dénoncer les pressions dont elle faisait l’objet aux autorités compétentes et introduire auprès de la Commission une plainte en application de l’article 3 du règlement n° 17, plutôt que de participer à l’entente.

370   L’existence de telles pressions ne change en effet rien à la réalité et à la gravité de l’infraction commise par ladite requérante.

371   Enfin, LR A/S conteste le point 345 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission par lequel le Tribunal aurait jugé que l’introduction par cette requérante d’un programme de mise en conformité ne pouvait être qualifiée de circonstance atténuante conduisant à une réduction de l’amende. Le Tribunal aurait ainsi méconnu une pratique bien établie.

372   Cet argument ne saurait être retenu.

373   Le Tribunal n’a en effet commis aucune erreur de droit en jugeant, au point concerné dudit arrêt, que, s’il est certes important que LR A/S ait pris des mesures pour empêcher que de nouvelles infractions au droit communautaire de la concurrence soient commises à l’avenir par des membres de son personnel, ce fait ne change rien à la réalité de l’infraction qui a été constatée en l’espèce. Le Tribunal a jugé à bon droit que, en soi, cette circonstance n’obligeait pas la Commission à réduire, à titre de circonstance atténuante, le montant de l’amende de cette requérante.

374   Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure au rejet du moyen examiné.

 e) Sur les moyens tirés par le groupe Henss/Isoplus et LR A/S du défaut ou de l’insuffisance de prise en compte de leur coopération lors de la procédure administrative

375   Par la première branche de son troisième moyen, le groupe Henss/Isoplus fait grief au Tribunal d’avoir jugé, aux points 607 à 623 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission, que c’est à bon droit que la Commission lui a refusé le bénéfice d’une réduction du montant de l’amende au titre de la communication sur la coopération et que, partant, ladite institution n’a pas enfreint l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 sur ce point.

376   À cet égard, le groupe Henss/Isoplus reproche au Tribunal, d’abord, d’avoir jugé, aux points 609 et 610 dudit arrêt attaqué, que c’est à bon droit que la Commission lui a refusé le bénéfice d’une réduction au titre du point 3, sixième tiret, des lignes directrices, au motif qu’une telle réduction présuppose qu’il s’agisse d’une infraction qui ne relève pas du domaine d’application de la communication sur la coopération, alors qu’une entente comparable à celle en cause relève clairement dudit domaine, tel qu’il est décrit au chapitre A, point 1, de cette communication.

377   Le libellé de ce chapitre A, point 1, n’indiquerait pas que ladite communication s’applique uniquement à de telles infractions.

378   Il ne découlerait pas non plus de la communication sur la coopération que la Commission ne pourrait tenir compte d’aveux ou d’une coopération partiels que sur la base de cette communication. Une interprétation tellement restrictive serait en tout état de cause contraire à l’article 6 de la CEDH et au principe de présomption d’innocence en tant que principe général du droit communautaire.

379   L’argumentation du groupe Henss/Isoplus sur ce point procède d’une lecture erronée des points 609 et 610 du même arrêt attaqué.

380   En effet, sur le fondement d’une interprétation du point 3, sixième tiret, des lignes directrices qui ne révèle par ailleurs aucune erreur de droit, le Tribunal s’est limité à constater que la circonstance atténuante spécifique y visée ne s’applique qu’aux infractions qui ne relèvent pas du champ d’application de la communication sur la coopération.

381   Or, il est incontestable, comme l’affirme le Tribunal, qu’il s’agit en l’espèce d’une entente et, par conséquent, d’une infraction qui relève bien du champ d’application de ladite communication.

382   Partant, c’est à bon droit que le Tribunal a conclu qu’il ne peut être reproché à la Commission de ne pas avoir pris en compte la coopération de ce requérant au titre de ladite circonstance atténuante.

383   Le groupe Henss/Isoplus soutient, ensuite, que la dernière phrase du point 615 dudit arrêt attaqué est entachée d’un vice de procédure pour autant que le dossier indiquerait que, dans leur réponse à la communication des griefs, toutes les sociétés appartenant à ce groupe auraient reconnu avoir participé à l’entente à l’échelle communautaire entre la fin de l’année 1994 et le début de l’année 1996.

384   Par ce grief, ledit requérant reproche essentiellement au Tribunal d’avoir jugé que la contestation par les sociétés concernées dudit groupe dans leurs observations sur la communication des griefs de leur participation à l’entente, n’était pas limitée à la période avant octobre 1994, mais valait pour toute la durée de l’infraction retenue.

385   Or, l’argumentation développée à cet égard par le groupe Henss/Isoplus devant la Cour ne permet nullement d’établir que, sur ce point, le Tribunal aurait méconnu la portée de la réponse à la communication des griefs en l’interprétant de sorte que, dans ce document, les sociétés concernées de ce groupe ont contesté leur participation à l’entente pour toute la durée de celle-ci.

386   Il ne ressort donc pas des documents versés au dossier que les constatations du Tribunal seraient sur ce point entachées d’une inexactitude matérielle.

387   Le groupe Henss/Isoplus fait valoir, enfin, que, contrairement à ce qu’aurait jugé le Tribunal, la Commission était obligée, en vertu du chapitre D de la communication sur la coopération, de lui accorder une réduction significative du montant de l’amende.

388   À la différence des chapitres B et C de cette communication, l’obtention d’une réduction en vertu dudit chapitre D n’exigerait pas une coopération permanente et totale, mais serait subordonnée à la seule condition de la fourniture, avant l’envoi d’une communication des griefs, de certaines informations ou de certains documents ou autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer la réalité de l’infraction commise.

389   Or, tant le Tribunal, au point 617 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission, que la Commission, lors de l’audition et aux points 110 et 180 des motifs de la décision litigieuse, auraient reconnu que la coopération et les aveux des requérants, même s’ils n’étaient que partiels, remplissaient en principe les conditions d’application du chapitre D, point 2, premier tiret, de la communication sur la coopération.

390   Selon le groupe Henss/Isoplus, le bénéfice de cette réduction ne pouvait lui être refusé en raison de l’existence de circonstances aggravantes ou du fait qu’il s’est abstenu, lors de l’exercice de ses droits de la défense, de révéler à la Commission certaines circonstances, qu’il a fourni à celle-ci des informations erronées ou qu’il a contesté certains faits.

391   Ce grief doit être rejeté.

392   Certes, comme le relève ledit requérant, il résulte du point 617 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission que le Tribunal lui a reconnu une coopération, quoique non déterminante, et des aveux, quoique partiels.

393   Toutefois, c’est à juste titre et sans commettre d’erreur de droit pouvant être censurée au stade du pourvoi que le Tribunal a jugé que ces éléments d’information fournis par ledit requérant et pouvant, en principe, relever de situations permettant une réduction du montant de l’amende au titre du chapitre D, point 2, de la communication sur la coopération n’auraient pas nécessairement dû amener la Commission à reconnaître à ce requérant une réduction au titre de cette communication.

394   En effet, la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation à cet égard, comme il ressort du libellé même dudit point 2 et, en particulier, des mots introductifs «Tel peut notamment être le cas […]».

395   De plus et surtout, une réduction sur le fondement de la communication sur la coopération ne saurait être justifiée que lorsque les informations fournies et, plus généralement, le comportement de l’entreprise concernée pourraient à cet égard être considérés comme démontrant une véritable coopération de sa part.

396   Ainsi qu’il résulte de la notion même de coopération, telle que mise en évidence dans le texte de la communication sur la coopération, et notamment l’introduction et le chapitre D, point 1, de cette communication, c’est en effet uniquement lorsque le comportement de l’entreprise concernée témoigne d’un tel esprit de coopération qu’une réduction sur la base de ladite communication peut être accordée.

397   Or, comme le Tribunal l’a constaté, aux points 618 et 622 dudit arrêt attaqué, en l’espèce, le groupe Henss/Isoplus, en ayant fourni des renseignements incomplets et, partiellement, inexacts, ne pourrait pas se prévaloir d’un tel comportement.

398   Contrairement à ce que soutient ledit requérant, le Tribunal n’a ainsi pas méconnu un prétendu principe de droit pénal selon lequel tout aveu, même s’il n’est que partiel, doit impérativement donner lieu à une réduction de l’amende ni d’ailleurs les droits de la défense ou le principe non bis in idem.

399   S’agissant d’une réduction du montant de l’amende dont l’objectif consiste à récompenser une entreprise pour une contribution lors de la procédure administrative qui a permis à la Commission de constater une infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d’y mettre fin, il serait absurde, comme le soutient ladite institution, de l’obliger à accorder une telle réduction si la contribution en cause ne permet pas d’atteindre cet objectif, mais, au contraire, l’a même empêché.

400   Ainsi qu’il a déjà été jugé aux points 358 à 362 du présent arrêt, le groupe Henss/Isoplus ne saurait, dans une situation telle que celle de l’espèce, prétendre que ses droits de la défense ont été enfreints.

401   Ledit requérant n’a pas, en effet, été obligé de procéder à une quelconque coopération ou à un aveu. De plus, les droits de la défense n’impliquent pas un droit à pouvoir communiquer des renseignements incomplets et partiellement inexacts.

402   Une violation du principe non bis in idem, si elle était fondée sur la circonstance que le comportement en cause a déjà été pris en compte en tant que circonstance aggravante, ne saurait pas non plus être retenue.

403   Le fait de ne pas récompenser une entreprise pour une coopération qui n’a pas permis à la Commission de constater une infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d’y mettre fin ne saurait être qualifié de sanction se greffant sur la pénalité que constituerait la reconnaissance d’une circonstance aggravante.

404   Par son quatrième moyen, LR A/S fait valoir que les points 359 à 370 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission sont entachés d’une erreur de droit en ce que le Tribunal y a approuvé le niveau de la réduction du montant de l’amende accordée par la Commission, au titre de la coopération de cette requérante lors de la procédure administrative, à savoir de 30 %, alors que, selon ladite requérante, elle avait droit, à ce titre, à une réduction plus élevée.

405   En premier lieu, ainsi qu’il a déjà été jugé aux points 191 à 196 du présent arrêt en réponse au deuxième moyen de la même requérante, cette dernière ne pouvait fonder une quelconque confiance légitime sur la prétendue pratique décisionnelle de la Commission telle qu’elle aurait existé lorsque sa coopération s’est matérialisée et qui, en l’occurrence, aurait été plus avantageuse que la communication sur la coopération.

406   Partant, le quatrième moyen soulevé par LR A/S, pour autant qu’il vise à contester sur un tel fondement les points 361 et 366 dudit arrêt attaqué, doit être rejeté.

407   Ladite requérante soutient, en deuxième lieu, qu’une réduction plus élevée devait lui être accordée en raison du fait qu’elle était la première entreprise à coopérer avec la Commission, ce qui aurait conduit d’autres entreprises à faire de même.

408   À cet égard, il suffit de constater que, aux points 363 à 365 dudit arrêt attaqué, le Tribunal a jugé, au terme d’une appréciation souveraine d’éléments de nature factuelle, que le montant de la réduction accordée à LR A/S au titre de sa coopération était approprié, dès lors surtout qu’il découle de la décision litigieuse que la Commission n’était pas prête à accorder une réduction du montant de l’amende de 50 % aux entreprises ne lui ayant pas communiqué des informations avant la réception d’une demande de renseignements et qu’il est constant que la même requérante n’a communiqué des documents à ladite institution qu’après avoir reçu de celle-ci une telle demande.

409   En troisième lieu, LR A/S fait grief au Tribunal d’avoir rejeté, au point 368 du même arrêt, son argument selon lequel elle avait droit à une exemption de l’amende pour la période postérieure aux vérifications puisqu’elle était la première entreprise à avoir révélé que l’entente s’était poursuivie après les vérifications de la Commission.

410   Le motif exposé par le Tribunal audit point 368, selon lequel l’infraction, et donc la réduction, doit être considérée dans son ensemble lors de l’appréciation de la coopération, ne serait pas déterminant et ne s’opposerait pas à l’octroi de cette réduction plus élevée.

411   À cet égard, le Tribunal a jugé sans commettre d’erreur de droit pouvant être censurée au stade du pourvoi que la poursuite de l’entente, notamment après les vérifications effectuées, constituait un aspect indissociable de l’infraction et que celle-ci n’a pu être considérée que de manière globale, lors de l’application de la communication sur la coopération.

412   Pour ce qui concerne le montant de la réduction, contestée par LR A/S, le raisonnement tenu par le Tribunal au point 368 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission et fondé sur la communication sur la coopération n’est entaché d’aucune erreur de droit s’agissant de l’interprétation de ladite communication. Partant, ce grief ne saurait être retenu.

413   LR A/S fait valoir, en quatrième lieu, que, en jugeant aux points 240 à 245 de l’arrêt attaqué ABB Asea Brown Boveri/Commission, qu’ABB devait pouvoir bénéficier d’une réduction du montant de l’amende supérieure à 30 % en raison de la circonstance que cette requérante, contrairement notamment à elle, n’a pas contesté la matérialité des principaux faits après la réception de la communication des griefs, le Tribunal a sanctionné LR A/S en raison du simple exercice de ses droits de la défense. Partant, le Tribunal aurait enfreint des principes fondamentaux tels qu’établis notamment à l’article 6 de la CEDH et lui aurait, de surcroît, réservé un traitement discriminatoire.

414   Or, il ressort du point 243 de l’arrêt attaqué ABB Asea Brown Boveri/Commission que le Tribunal, se référant aux points 26, deuxième alinéa, et 27, cinquième alinéa, des motifs de la décision litigieuse, a constaté que, contrairement à ABB, LR A/S a prétendu que, avant 1994, il n’y avait pas d’entente en dehors du marché danois et que, de plus, il n’y avait pas eu une entente continue. En outre, elle a nié avoir participé à des actions visant à éliminer Powerpipe ou avoir mis en œuvre ces sanctions.

415   Dans ces conditions, il ne saurait être reproché au Tribunal un quelconque traitement discriminatoire de LR A/S par rapport à ABB.

416   Contrairement à ce que soutient LR A/S, celle-ci ne se trouve pas pénalisée par rapport à ABB du simple fait de l’exercice de ses droits de la défense.

417   En effet, en l’espèce, contrairement aux autres entreprises telles que LR A/S, ABB a choisi de renoncer au droit de contester les principaux faits décrits par la Commission ainsi que les conclusions de cette dernière et, à cet égard, a pleinement coopéré avec cette institution, afin de pouvoir bénéficier d’une réduction supplémentaire du montant de l’amende.

418   Il s’agit donc d’un choix libre opéré par ABB et pour lequel la Commission a octroyé à cette société un traitement favorable.

419   Or, cette voie était également ouverte à LR A/S. Il n’en découle pas que, en n’accordant pas une réduction supplémentaire à LR A/S, au motif qu’elle avait décidé de ne pas suivre ladite voie, cette entreprise aurait été contrainte de témoigner sous la menace d’une sanction en violation à l’article 6 de la CEDH ou aurait été pénalisée en raison du simple exercice de ses droits de la défense.

420   Au vu de tout ce qui précède, le quatrième moyen soulevé par LR A/S doit être rejeté dans son ensemble.

 D – Sur les moyens relatifs au droit d’être entendu et à l’obligation de motivation

 1. Sur les moyens tirés d’une violation du droit d’être entendu

421   Par leurs moyens respectifs, Dansk Rørindustri (troisième moyen), le groupe Henss/Isoplus (deux premiers moyens), KE KELIT (quatrième moyen), Brugg (troisième moyen) et LR GmbH (quatrième moyen) reprochent au Tribunal d’avoir rejeté leurs moyens tirés d’une violation du droit d’être entendus du fait que, au cours de la procédure administrative et en particulier en réponse à la communication des griefs, ils n’auraient pas pu présenter leur point de vue sur la question de l’application réputée rétroactive des lignes directrices dans le cas d’espèce, dans la mesure où la Commission n’aurait à aucun moment de la procédure administrative indiqué son intention d’appliquer celles-ci.

422   D’emblée, il y a lieu de constater, comme l’a soutenu à juste titre la Commission, que le moyen avancé par Dansk Rørindustri à cet effet n’a pas été soulevé devant le Tribunal et constitue donc un moyen nouveau et, partant, irrecevable au stade du pourvoi.

423   Dans son mémoire en réplique, cette requérante soutient en substance qu’il ne s’agit pas d’un moyen nouveau, dès lors que celui-ci pourrait être déduit implicitement des moyens et des arguments développés par elle devant le Tribunal au sujet de la fixation de l’amende.

424   Il ressort toutefois du dossier que ni dans la requête ni dans le mémoire en réplique déposés devant le Tribunal ladite requérante n’a soulevé le moyen relatif au droit d’être entendu à l’appui d’un des autres soulevés par elle en première instance.

425   Force est en outre de constater que, à ce propos, le pourvoi n’indique pas et ne permet d’ailleurs pas d’identifier les points ou la partie de l’arrêt attaqué concerné critiqués.

426   Or, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il résulte des articles 168 A du traité CE (devenu article 225 CE), 51, premier alinéa, du statut CE de la Cour de justice et 112, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande, sous peine d’irrecevabilité du pourvoi ou du moyen concerné (voir, notamment, arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité, point 497 et jurisprudence citée).

427   Pour ce qui concerne les moyens avancés sur ce point par le groupe Henss/Isoplus, KE KELIT, Brugg et LR GmbH, hormis quelques aspects propres à ces requérants qui seront traités en second lieu pour autant qu’ils sont critiqués dans le présent pourvoi, le Tribunal les a essentiellement rejetés pour les mêmes motifs, aux points 310 à 322 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission, 75 à 89 de l’arrêt attaqué KE KELIT/Commission, 82 à 98 de l’arrêt attaqué Brugg Rohrsysteme/Commission et 192 à 206 de l’arrêt attaqué Lögstör Rör/Commission.

428   Dans lesdits arrêts attaqués, le Tribunal a d’abord rappelé à bon droit que, selon une jurisprudence constante de la Cour, dès lors que la Commission indique expressément, dans sa communication des griefs, qu’elle va examiner s’il convient d’infliger des amendes aux entreprises concernées et qu’elle énonce les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner une amende, tels que la gravité et la durée de l’infraction supposée et le fait d’avoir commis celle-ci «de propos délibéré ou par négligence», elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises d’être entendues. Le Tribunal a jugé, également à juste titre que, ce faisant, elle leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l’infraction, mais aussi contre le fait de se voir infliger une amende (voir en ce sens, notamment, arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 21).

429   Le Tribunal a constaté ensuite que, pour chacun desdits requérants, un examen de la communication des griefs a révélé que celle-ci comporte les éléments de fait et de droit sur lesquels la Commission entendait baser le calcul du montant de l’amende à infliger aux entreprises en cause, pour en conclure que, à cet égard, le droit de ces requérants d’être entendus a été dûment respecté.

430   S’agissant d’une appréciation d’éléments de preuve, à savoir la communication des griefs de chacun des mêmes requérants, le contrôle de la Cour au stade du pourvoi se limite aux seuls cas de dénaturation de ces éléments (voir, notamment, arrêt Mag Instrument/OHMI, précité, point 39).

431   Or, les arguments du groupe Henss/Isoplus, de KE KELIT, de Brugg et de LR GmbH ne tendent pas à démontrer une telle dénaturation, de sorte que cette partie des arrêts attaqués en cause ne saurait être critiquée.

432   Lesdits requérants soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la communication des griefs de chacun des requérants concernés comportait des éléments suffisants pour permettre que le droit d’être entendu soit respecté et qu’il en découlait que, en l’espèce, le respect de ce droit n’exigeait pas davantage et que, partant, la Commission n’était pas obligée, au cours de la procédure administrative, de communiquer auxdits requérants son intention d’appliquer une nouvelle méthode de calcul des amendes.

433   Les mêmes requérants font valoir, en substance, que, en l’espèce, l’intention d’appliquer les lignes directrices devait être mentionnée au cours de la procédure administrative, dès lors que ces règles comporteraient une réforme fondamentale de la méthode de calcul des amendes et qu’il s’agirait en outre d’une application rétroactive. Dans ces conditions, cette information constituerait un élément nécessaire à la défense de ces requérants sur la question du calcul du montant des amendes.

434   À cet égard, c’est à bon droit que le Tribunal a rappelé que, selon une jurisprudence constante de la Cour, donner des indications concernant le niveau des amendes envisagées, aussi longtemps que les entreprises n’ont pas été mises en mesure de faire valoir leurs observations sur les griefs retenus contre elles, reviendrait à anticiper de façon inappropriée la décision de la Commission (voir arrêts précités Musique Diffusion française e.a./Commission, point 21, et Michelin/Commission, point 19).

435   Le Tribunal a, également à juste titre, ajouté que, selon cette même jurisprudence, la Commission n’était pas tenue d’indiquer, dans la communication des griefs, la possibilité d’un changement éventuel de sa politique en ce qui concerne le niveau du montant des amendes, possibilité qui dépend de considérations générales de politique de concurrence sans rapport direct avec les circonstances particulières des affaires en cause (voir arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 22).

436   Certes, il apparaît que les lignes directrices comportent une nouvelle méthode de calcul du montant des amendes qui consacre une réforme importante en la matière, notamment s’agissant de la tarification, quoique relative et flexible, des montants de base qu’elles prévoient en tant que points de départ de ce calcul.

437   Toutefois, ainsi qu’il découle du rejet des griefs relatifs à la prétendue illégalité des lignes directrices, comme il a été jugé aux points 250 à 253 du présent arrêt, cette nouvelle méthode reste fondée sur les critères impératifs de la gravité et de la durée de l’infraction prévus à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 en ce qu’elle consiste essentiellement à préciser la manière dont la Commission entend se servir de ces critères pour la détermination du montant des amendes.

438   Il est vrai que les lignes directrices comportent des précisions importantes à ce sujet et qu’il peut être souhaitable que la Commission fournisse aux entreprises de telles précisions, pour autant que ceci n’implique pas qu’elle anticipe de façon inappropriée sa décision.

439   Il n’en demeure pas moins, comme l’a jugé à juste titre le Tribunal, que le droit d’être entendu s’agissant du calcul du montant des amendes ne couvre pas la manière dont la Commission entend se servir des critères impératifs de la gravité et de la durée de l’infraction pour la détermination du montant des amendes.

440   Quant à l’argument des mêmes requérants selon lequel ils avaient le droit d’être entendus quant à l’intention de la Commission d’appliquer rétroactivement les lignes directrices, force est de constater que, ainsi qu’il a été jugé au point 231 du présent arrêt, la nouvelle méthode de calcul que comportent ces dernières était raisonnablement prévisible pour les entreprises en cause à l’époque où les infractions concernées ont été commises. Dans ces conditions, les requérants ne peuvent pas invoquer le droit d’être entendu sur l’application rétroactive des lignes directrices. Ce grief doit donc également être rejeté.

441   Il convient ensuite de traiter des quelques arguments spécifiques avancés par certains requérants au soutien de leurs moyens tirés d’une violation du droit d’être entendu.

442   Le groupe Henss/Isoplus fait grief au Tribunal d’avoir indiqué, au point 312 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission, que, en ce qui concerne la détermination du montant des amendes, les entreprises bénéficient d’une garantie supplémentaire quant à leurs droits de la défense, dans la mesure où le Tribunal statue avec une compétence de pleine juridiction et peut notamment supprimer ou réduire l’amende, en vertu de l’article 17 du règlement n° 17.

443   Selon ce requérant, il aurait droit, en vertu dudit règlement, à deux instances de pleine juridiction, à savoir devant la Commission et devant le Tribunal, et ne saurait donc être privé d’un degré d’instance par la violation du droit d’être entendu à propos du calcul de l’amende. La violation des droits de la défense intervenue au stade de la procédure administrative ne saurait être régularisée lors de la procédure devant le Tribunal.

444   Ce grief n’est pas fondé.

445   Comme l’a observé la Commission, au point 312 de l’arrêt attaqué HFB e.a./Commission, le Tribunal a, uniquement et à juste titre, jugé que sa compétence de pleine juridiction en matière d’amendes constitue une garantie supplémentaire. Il n’a pas jugé ni suggéré, comme le soutient le groupe Henss/Isoplus, qu’il s’agit d’un remplacement du degré d’instance que constitue la procédure administrative devant la Commission, permettant au Tribunal de régulariser une quelconque violation des droits de la défense intervenue au stade d’une telle procédure.

446   Le même requérant soutient par ailleurs que le Tribunal a commis une erreur de droit en rejetant son moyen tiré d’une violation du droit d’être entendu dès lors que, en particulier, la circonstance aggravante prévue au point 2, deuxième tiret, des lignes directrices – à savoir le refus de toute coopération, voire les tentatives d’obstruction pendant le déroulement de l’enquête – aurait été retenue à sa charge sans qu’il ait été informé de l’intention de la Commission de procéder ainsi et, par conséquent, sans qu’il ait été entendu à ce propos.

447   À cet égard, il suffit de constater que cet argument ne saurait être retenu dès lors qu’il ressort du dossier que cette circonstance ne pouvait manifestement pas faire l’objet de la communication des griefs puisqu’elle s’est notamment manifestée lors de cette phase de la procédure administrative, à savoir dans la réponse à ladite communication déposée par le groupe Henss/Isoplus, et s’est poursuivie par la suite.

448   Brugg reproche au Tribunal d’avoir rejeté, au point 97 de l’arrêt attaqué Brugg Rohrsysteme/Commission, son argument selon lequel, lors de l’audition, la Commission aurait fait croire à cette requérante que l’amende serait déterminée sur la base de son chiffre d’affaires pertinent. Comme l’aurait constaté le Tribunal au même point, la Commission aurait, lors de l’audition, expressément demandé à Brugg de confirmer ledit chiffre d’affaires. La Commission n’aurait signalé à aucun moment qu’elle fonderait sa décision sur les lignes directrices.

449   À cet égard, il suffit de constater que, par ce grief, ladite requérante entend remettre en cause, par voie de simple affirmation, une appréciation des faits par le Tribunal, laquelle ne constitue pas, sous réserve d’une dénaturation des éléments de preuve, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour.

450   Or, dès lors que la même requérante n’invoque aucun argument de nature à établir une quelconque dénaturation des éléments de preuve concernés, tels qu’examinés aux points 94 à 97 de l’arrêt attaqué Brugg Rohrsysteme/Commission, ce grief doit être rejeté.

 2. Sur les moyens tirés d’une violation de l’obligation de motivation concernant le calcul des amendes

451   Par leurs moyens respectifs, KE KELIT (cinquième moyen), LR A/S (deuxième moyen) et LR GmbH (troisième moyen) font grief au Tribunal d’avoir jugé, respectivement aux points 205 de l’arrêt attaqué KE KELIT/Commission, 390 de l’arrêt attaqué LR AF 1998/Commission et 374 de l’arrêt attaqué Lögstör Rör/Commission, que, dans la décision litigieuse, la Commission n’était pas tenue d’expliciter si et pour quels motifs elle faisait en l’espèce application des lignes directrices.

452   KE KELIT et LR GmbH font valoir que, compte tenu de l’importance des modifications qu’opèrent les lignes directrices quant à la méthode de calcul du montant des amendes, les raisons de cette modification et de l’application rétroactive des lignes directrices dans le cas d’espèce auraient dû être spécifiquement explicitées dans la décision litigieuse. LR A/S soutient que cette décision aurait dû être motivée sur le point de l’application rétroactive des lignes directrices et de la communication sur la coopération.

453   À cet égard, il convient de rappeler à titre liminaire que, selon la jurisprudence de la Cour, la question de la portée de l’obligation de motivation constitue une question de droit qui est soumise au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi, dès lors que le contrôle de la légalité d’une décision qui est exercé dans ce cadre doit nécessairement prendre en considération les faits sur lesquels le Tribunal s’est fondé pour aboutir à la conclusion selon laquelle la motivation est suffisante ou insuffisante (voir en ce sens, arrêt du 20 novembre 1997, Commission/V, C-188/96 P, Rec. p. I-6561, point 24).

454   Pour ce qui concerne le grief desdites requérantes selon lequel la décision litigieuse aurait dû être motivée sur le point de l’application rétroactive des lignes directrices, il y a lieu de rappeler qu’il a été jugé au point 231 du présent arrêt que la nouvelle méthode de calcul que comportent les lignes directrices était raisonnablement prévisible pour les entreprises en cause à l’époque où les infractions concernées ont été commises. Dans ces conditions, l’application rétroactive des lignes directrices ne requérait pas de motivation spécifique. Ce grief doit donc également être rejeté.

455   S’agissant du moyen tiré par LR A/S d’une violation de l’obligation de motivation sur le point de l’application rétroactive de la communication sur la coopération, celui-ci doit également être rejeté.

456   Pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 227 à 231 du présent arrêt, la communication sur la coopération, à supposer même qu’elle ait eu un effet aggravant quant au niveau des amendes infligées, était raisonnablement prévisible pour des entreprises telles que ladite requérante, à l’époque où les infractions concernées ont été commises de sorte que l’application de cette communication à des infractions commises avant son adoption n’a pas violé le principe de non-rétroactivité.

457   Partant, la décision litigieuse ne devait pas être motivée sur le point de l’application rétroactive de la communication sur la coopération.

458   Dans les trois arrêts attaqués KE KELIT/Commission, LR AF 1998/Commission et Lögstör Rör/Commission, le Tribunal affirme qu’il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir explicité le cadre juridique s’appliquant au cas d’espèce, en particulier l’application des lignes directrices.

459   Il ressort également des arrêts attaqués et notamment du point 209 de l’arrêt LR AF 1998/Commission que, à aucun moment de la procédure administrative, la Commission n’a annoncé qu’elle entendait appliquer les lignes directrices.

460   Une lecture de la décision litigieuse révèle que celle-ci ne comporte aucune mention explicite des lignes directrices.

461   Il y a lieu de rappeler que ces dernières constituent des règles de conduite de portée générale que la Commission est, en principe, tenue d’appliquer. Il en découle que la légalité d’une décision faisant application des lignes directrices, telle que la décision litigieuse, peut être appréciée à l’égard de celles-ci, ainsi qu’il a été jugé au point 211 du présent arrêt.

462   Selon une jurisprudence constante, l’obligation de motiver une décision individuelle a pour but de permettre à la Cour d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est éventuellement entachée d’un vice permettant d’en contester la validité (voir, notamment, arrêt du 2 octobre 2003, Corus UK/Commission, C‑199/99 P, Rec. p. I-11177, point 145).

463   La motivation doit donc, en principe, être communiquée à l’intéressé en même temps que la décision lui faisant grief. L’absence de motivation ne saurait être régularisée par le fait que l’intéressé apprend les motifs de la décision au cours de la procédure devant la Cour (arrêt du 26 novembre 1981, Michel/Parlement, 195/80, Rec. p. 2861, point 22).

464   Il en découle qu’il doit être vérifié si, au moment de l’adoption de la décision litigieuse, les entreprises savaient de façon suffisamment certaine que le calcul du montant des amendes effectué à cet égard avait été opéré sur la base de la nouvelle méthode de calcul prévue par les lignes directrices afin de pouvoir contester, le cas échéant, la légalité de cette décision au regard desdites lignes.

465   Dans les arrêts attaqués, le Tribunal a jugé, à juste titre, que l’exigence de motivation est notamment fonction du contexte et de l’ensemble des règles régissant la matière concernée. Il en a déduit que la Commission n’était pas tenue d’expliciter si et pour quels motifs elle faisait application en l’espèce des lignes directrices, dès lors que l’introduction de celles-ci énonce que «la nouvelle méthodologie applicable pour le montant de l’amende obéira dorénavant au schéma suivant». La Commission se serait ainsi engagée à appliquer lesdites lignes lors de la détermination du montant des amendes pour violation des règles de concurrence.

466   Force est toutefois de constater que le passage de l’introduction des lignes directrices cité au point précédent n’établit pas clairement et sans ambiguïté qu’il vise à déterminer le champ d’application temporel de ces dernières, de sorte qu’il couvre des infractions, telles que celles de l’espèce, qui se sont déroulées antérieurement à l’adoption de ces lignes directrices.

467   À tout le moins, le Tribunal a relevé au point 375 de l’arrêt attaqué Lögstör Rör/Commission que, en tout état de cause, dans les motifs de la décision litigieuse relatifs à l’application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, notamment aux points 163 à 168 de ceux-ci, la Commission a expressément repris des considérations sur le calcul du montant de l’amende analogues à celles contenues dans les considérants des lignes directrices.

468   Un examen de l’ensemble des motifs de la décision litigieuse relatifs au calcul du montant de l’amende, à savoir les points 168 à 183 de ceux-ci, confirme que ladite décision devait raisonnablement être comprise par les entreprises en cause comme comportant une application en ce qui les concerne des lignes directrices et de la nouvelle méthode de calcul prévue par celles-ci.

469   Dans ces conditions, le Tribunal a pu conclure que la décision litigieuse était suffisamment motivée.

470   Partant, les moyens soulevés par KE KELIT, LR A/S et LR GmbH, tirés d’une violation de l’obligation de motivation concernant le calcul des amendes, doivent être rejetés.

 VII – Sur les dépens

471   Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de Dansk Rørindustri, du groupe Henss/Isoplus, de KE KELIT, de LR A/S, de Brugg, de LR GmbH ainsi que d’ABB et ceux-ci ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)      Les affaires C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et C‑213/02 P sont jointes aux fins de l’arrêt.

2)      Les pourvois sont rejetés.

3)      Dansk Rørindustri A/S, Isoplus Fernwärmetechnik Vertriebsgesellschaft mbH, Isoplus Fernwärmetechnik Gesellschaft mbH, Isoplus Fernwärmetechnik GmbH, KE KELIT Kunststoffwerk GmbH, LR af 1998 A/S, Brugg Rohrsysteme GmbH, LR af 1998 (Deutschland) GmbH et ABB Asea Brown Boveri Ltd sont condamnées aux dépens.

Signatures


* Langues de procédure: le danois, l’allemand et l’anglais.