Affaire C-463/01


Commission des Communautés européennes
contre
République fédérale d'Allemagne


«Environnement – Libre circulation des marchandises – Emballages et déchets d'emballages – Directive 94/62/CE – Exploitation et mise dans le commerce des eaux minérales naturelles – Directive 80/777/CEE – Obligations de consignation et de reprise pour des emballages à usage unique en fonction du pourcentage global d'emballages réutilisables»

Conclusions de l'avocat général M. D. Ruiz-Jarabo Colomer, présentées le 6 mai 2004
    
Arrêt de la Cour (grande chambre) du 14 décembre 2004
    

Sommaire de l'arrêt

1.
Environnement – Déchets – Emballages et déchets d'emballages – Directive 94/62 – Faculté accordée aux États membres de favoriser des systèmes de réutilisation des emballages – Directive ne contenant pas de critères précis concernant l'organisation de ces systèmes – Appréciation desdits systèmes au regard des dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises

(Art. 28 CE et 30 CE; directive du Parlement européen et du Conseil 94/62, art. 5)

2.
Libre circulation des marchandises – Restrictions quantitatives – Mesures d'effet équivalent – Réglementation nationale remplaçant un système global de collecte des déchets d'emballages par un système de consignation et de reprise individuelle – Inadmissibilité – Justification – Protection de l'environnement – Condition – Respect du principe de proportionnalité

(Art. 28 CE et 30 CE)

1.
L’article 5 de la directive 94/62, relative aux emballages et aux déchets d’emballages, accordant aux États membres la faculté de favoriser, conformément au traité, des systèmes de réutilisation des emballages qui sont susceptibles d’être réutilisés sans nuire à l’environnement, formule une telle faculté dans des termes généraux, sans préciser les critères à prendre en compte par les États membres qui en font usage. Dès lors, étant donné que la directive ne réglemente pas, en ce qui concerne les États membres disposés à utiliser cette faculté, l’organisation de systèmes favorisant les emballages réutilisables, de tels systèmes peuvent être appréciés à l’aune des dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises.

(cf. points 41, 43, 45, 50)

2.
Manque aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées des articles 5 de la directive 94/62, relative aux emballages et aux déchets d’emballages, et 28 CE l’État membre qui, en ce qui concerne les emballages à usage unique, remplace un système global de collecte des emballages par un système de consignation et de reprise individuelle, obligeant les producteurs à modifier certaines indications sur leurs emballages et entraînant des coûts supplémentaires pour tout producteur et distributeur, sans offrir à ceux-ci un délai de transition suffisant pour qu’ils puissent s’adapter aux exigences du nouveau système avant son entrée en vigueur.
En effet, une telle réglementation nationale qui est susceptible d’entraver le commerce intracommunautaire ne peut être justifiée par des exigences impératives relevant de la protection de l’environnement que si les moyens qu’elle met en oeuvre sont aptes à réaliser les objectifs visés et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs.

(cf. points 59, 62, 68, 75, 78-79 et disp.)




ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
14 décembre 2004(1)


«Environnement – Libre circulation des marchandises – Emballages et déchets d'emballages – Directive 94/62/CE – Exploitation et mise dans le commerce des eaux minérales naturelles – Directive 80/777/CEE – Obligations de consignation et de reprise pour des emballages à usage unique en fonction du pourcentage global d'emballages réutilisables»

Dans l'affaire C-463/01,ayant pour objet un recours en manquement au titre de l'article 226 CE,introduit le 3 décembre 2001,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. G. zur Hausen, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

soutenue par:République française, représentée par MM. G. de Bergues, E. Puisais et D. Petrausch, en qualité d'agents,et par:Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, représenté initialement par Mme P. Ormond, puis par Mme C. Jackson, en qualité d'agents,

parties intervenantes,

parties intervenantes,

parties intervenantes,

contreRépublique fédérale d'Allemagne, représentée par MM. W.-D. Plessing et T. Rummler, en qualité d'agents, assistés de Me D. Sellner, Rechtsanwalt,

partie défenderesse,

République fédérale d'Allemagne, représentée par MM. W.-D. Plessing et T. Rummler, en qualité d'agents, assistés de Me D. Sellner, Rechtsanwalt,

partie défenderesse,



LA COUR (grande chambre),,



composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann et K. Lenaerts (rapporteur), présidents de chambre, MM. C. Gulmann, J.-P. Puissochet et R. Schintgen, Mme N. Colneric, MM. S. von Bahr et J. N. Cunha Rodrigues, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,
greffier: Mme M.-F. Contet, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 2 mars 2004,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 6 mai 2004,

rend le présent



Arrêt



1
Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en instaurant, par les articles 8, paragraphe 1, et 9, paragraphe 2, du décret de 1998 relatif à la prévention et à la valorisation des déchets d’emballages, un système visant à la réutilisation des emballages pour des produits à conditionner à la source en application de la directive 80/777/CEE du Conseil, du 15 juillet 1980, relative au rapprochement des législations des États membres concernant l’exploitation et la mise dans le commerce des eaux minérales naturelles (JO L 229, p. 1), la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées des articles 5 de la directive 94/62/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 1994, relative aux emballages et aux déchets d’emballages (JO L 365, p. 10), et 28 CE, ainsi que des dispositions combinées de l’article 3 et de l’annexe II, point 2, sous d), de la directive 80/777.


Le cadre juridique

La réglementation communautaire

2
L’article 3 de la directive 80/777 renvoie, pour ce qui concerne les conditions d’exploitation des sources d’eaux minérales naturelles et les normes relatives au conditionnement de celles-ci à l’annexe II de cette directive.

3
Cette annexe prévoit au point 2:

«Les installations destinées à l’exploitation doivent être réalisées de façon à éviter toute possibilité de contamination et à conserver les propriétés, répondant à sa qualification, que l’eau présente à l’émergence.

À cet effet, et notamment:

[...]

d)
le transport de l’eau minérale naturelle en tous récipients autres que ceux autorisés pour la distribution au consommateur final est interdit.»

4
La directive 94/62 a pour objet, selon son article 1er, paragraphe 1, l’harmonisation des mesures nationales concernant la gestion des emballages et des déchets d’emballages afin, d’une part, de prévenir et de réduire leur incidence sur l’environnement des États membres et des pays tiers et d’assurer ainsi un niveau élevé de protection de l’environnement et, d’autre part, de garantir le fonctionnement du marché intérieur et de prévenir l’apparition d’entraves aux échanges et de distorsions et restrictions de concurrence dans la Communauté.

5
L’article 5 de cette directive dispose:

«Les États membres peuvent favoriser conformément au traité, des systèmes de réutilisation des emballages qui sont susceptibles d’être réutilisés sans nuire à l’environnement.»

6
L’article 7, paragraphe 1, de ladite directive dispose:

«Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que soient instaurés des systèmes assurant:

a)
la reprise et/ou la collecte des emballages utilisés et/ou des déchets d’emballages provenant du consommateur, de tout autre utilisateur final ou du flux de déchets, en vue de les diriger vers les solutions de gestion des déchets les plus appropriés;

b)
la réutilisation ou la valorisation, y compris le recyclage, des emballages et/ou des déchets d’emballages collectés,

afin d’atteindre les objectifs de la présente directive.

Ces systèmes sont ouverts à la participation des acteurs économiques des secteurs concernés et à la participation des autorités publiques compétentes. Ils s’appliquent également aux produits importés, de manière non discriminatoire, y compris en ce qui concerne les modalités prévues et les tarifs éventuellement imposés pour l’accès aux systèmes, et doivent être conçus de manière à éviter des entraves aux échanges ou des distorsions de concurrence, conformément au traité.»

La réglementation nationale

7
La Verordnung über die Vermeidung und Verwertung von Verpackungsabfällen (décret relatif à la prévention et à la valorisation des déchets d’emballages), du 21 août 1998 (BGBl. 1998 I, p. 2379, ci‑après la «VerpackV»), prévoit différentes mesures de prévention et de réduction de l’incidence des déchets d’emballages sur l’environnement. Ayant pour but, notamment, de transposer la directive 94/62, la VerpackV a remplacé la Verordnung über die Vermeidung von Verpackungsabfällen (décret relatif à la prévention des déchets d’emballages), du 12 juin 1991 (BGBl. 1991 I, p. 1234).

8
L’article 6, paragraphes 1 et 2, de la VerpackV énonce les obligations suivantes:

«1. Le distributeur est tenu de reprendre gratuitement, au point de remise effective ou à proximité immédiate, les emballages de vente vides utilisés par le consommateur final, de les valoriser conformément aux exigences définies au point 1 de l’annexe I, et de satisfaire aux exigences définies au point 2 de l’annexe I. Les exigences de valorisation peuvent être également remplies par une réutilisation ou un renvoi des emballages au distributeur ou au fabricant en application du paragraphe 2. Le distributeur doit attirer l’attention du consommateur privé sur la possibilité de reprise, prévue à la première phrase, par des pancartes clairement visibles et lisibles. L’obligation impartie par la première phrase se limite aux types, formes et tailles d’emballages ainsi qu’aux emballages de produits qui font partie de l’assortiment du distributeur. Pour les distributeurs disposant de surfaces de vente inférieures à 200 m2, l’obligation de reprise se limite aux emballages des marques commercialisées par le distributeur. Dans le commerce de vente par correspondance, cette reprise doit être garantie par des possibilités appropriées de reprise suffisamment proches du consommateur final. La possibilité de reprise doit être signalée dans l’expédition de marchandises et dans les catalogues. Si les emballages de vente ne proviennent pas de consommateurs privés, des accords dérogatoires peuvent être conclus quant au lieu de reprise et au régime des coûts. Si les distributeurs ne satisfont pas aux obligations imparties par la première phrase en reprenant les emballages au point de remise, ils doivent en garantir le respect par un système tel que prévu au paragraphe 3. Pour les distributeurs d’emballages pour lesquels une participation à un système tel que prévu au paragraphe 3 est exclue, les exigences de valorisation prévues à l’article 4, paragraphe 2, s’appliquent mutatis mutandis, par dérogation à la première phrase.

2. Les producteurs et les distributeurs sont tenus de reprendre gratuitement au point de remise effective les emballages repris par les distributeurs en application du paragraphe 1, de les valoriser conformément aux exigences définies au point 1 de l’annexe I et de satisfaire aux exigences définies au point 2 de l’annexe I. Les exigences de valorisation peuvent être également remplies par une réutilisation des emballages. Les obligations imparties par la première phrase se limitent aux types, formes et tailles d’emballages ainsi qu’aux emballages de produits que les producteurs et les distributeurs commercialisent respectivement. Le paragraphe 1, huitième à dixième phrases, s’applique mutatis mutandis.»

9
Selon le paragraphe 3 de ce même article, ces obligations de reprise et de valorisation peuvent en principe aussi être satisfaites par la participation du producteur ou du distributeur à un système global de collecte des emballages de vente usagés. Il incombe à l’autorité compétente régionale de constater que ce système remplit les conditions imposées par la VerpackV quant à son taux de couverture.

10
Selon l’article 8, paragraphe 1, de la VerpackV, les distributeurs qui commercialisent des produits alimentaires liquides conditionnés dans des emballages de boisson non réutilisables sont tenus de prélever auprès de l’acheteur une consigne d’un montant minimal de 0,25 euro par emballage, taxe sur la valeur ajoutée incluse. Le montant minimal de la consigne s’élève à 0,50 euro, taxe sur la valeur ajoutée incluse, lorsque le volume de conditionnement est supérieur à 1,5 litre. La consigne doit être prélevée par chaque distributeur successif, à tous les stades de la commercialisation, jusqu’à la vente au consommateur final. La consigne est remboursée lors de la reprise des emballages conformément à l’article 6, paragraphes 1 et 2, de la VerpackV.

11
En vertu de l’article 9, paragraphe 1, de la VerpackV, cette consignation obligatoire ne s’applique pas aux emballages pour lesquels le producteur ou le distributeur est exempté de l’obligation de reprise en raison de sa participation à un système global de collecte tel que visé audit article 6, paragraphe 3.

12
La VerpackV prévoit toutefois à son article 9, paragraphe 2, des circonstances dans lesquelles, pour certaines boissons, le recours à l’article 6, paragraphe 3, est supprimé. Les termes de cette disposition sont les suivants:

«Lorsque, sur le territoire d’application du présent décret, le taux des boissons conditionnées dans des emballages réutilisables, qu’il s’agisse de bière, d’eaux minérales (y compris les eaux de source, les eaux de table et les eaux minérales), de boissons rafraîchissantes gazeuses, de jus de fruits […] ou de vin […], descend globalement au-dessous de 72 % au cours de l’année civile, il y a lieu de procéder à une nouvelle évaluation des taux pertinents d’emballages réutilisables pour la période de douze mois qui suit l’annonce que le taux d’emballages réutilisables n’est pas atteint. Lorsque le taux des emballages réutilisables sur le territoire fédéral est inférieur au taux visé à la première phrase, la décision au titre de l’article 6, paragraphe 3, est réputée annulée, sur l’ensemble du territoire fédéral, à compter du premier jour du sixième mois civil suivant la publication prévue au paragraphe 3, pour les boissons pour lesquelles le taux d’emballages réutilisables fixé en 1991 n’est pas atteint […]»

13
Conformément à l’article 9, paragraphe 3, de la VerpackV, le gouvernement allemand publie chaque année les taux pertinents, visés au paragraphe 2 dudit article, pour les boissons conditionnées dans des emballages avantageux sur le plan écologique. Selon le paragraphe 4 du même article 9, l’autorité compétente procède, sur demande ou d’office, à une nouvelle évaluation conformément à l’article 6, paragraphe 3, lorsque le taux pertinent pour les boissons conditionnées dans de tels emballages est de nouveau atteint après une décision d’annulation.

14
Il ressort de ces dispositions nationales que les producteurs d’eaux minérales perdent la possibilité de s’acquitter de leur obligation de reprise des emballages en participant à un système global de collecte lorsque le taux global de boissons conditionnées dans des emballages réutilisables descend au-dessous de 72 % au cours de deux années consécutives et que, dans un même temps, le taux de 1991 pour les eaux minérales conditionnées dans des emballages réutilisables n’est pas atteint. Dans un tel cas, les boissons conditionnées dans des emballages non réutilisables sont soumises au système de consignation et de reprise individuelle prévu à l’article 8, paragraphe 1, de la VerpackV.

15
Selon le gouvernement allemand, le taux d’emballages de boissons réutilisables est descendu, en 1997, pour la première fois en dessous de 72 %, soit à 71,33 %. Par la suite, le taux a continué à baisser en raison d’une croissance importante des emballages de boisson à usage unique. Dans ce contexte, ledit gouvernement a, au cours de la procédure écrite devant la Cour, imposé le prélèvement d’une consigne sur les emballages à usage unique pour les eaux minérales, les bières et les boissons rafraîchissantes gazeuses à partir du 1er janvier 2003.


La procédure précontentieuse

16
Le 12 décembre 1995, la Commission a adressé à la République fédérale d’Allemagne une lettre de mise en demeure, dans laquelle elle a fait valoir que les dispositions relatives au prélèvement d’une consigne sur certains emballages non réutilisables constituent une entrave aux échanges intracommunautaires. Après l’expiration du délai de transposition de la directive 94/62 et l’adoption de la VerpackV, la Commission a, le 11 décembre 1998, envoyé à cet État membre, une lettre de mise en demeure complémentaire comportant plusieurs griefs tirés de l’incompatibilité de la nouvelle réglementation allemande avec les dispositions combinées de la directive 94/62 et de l’article 30 du traité CE (devenu article 28 CE).

17
N’ayant pas été satisfaite des explications fournies par le gouvernement allemand dans ses réponses aux lettres de mise en demeure, la Commission a, le 27 juillet 2000, adressé à celui-ci un avis motivé constatant que la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées des articles 5 de la directive 94/62 et 28 CE, ainsi que des dispositions combinées de l’article 3 et de l’annexe II, point 2, sous d), de la directive 80/777 en instaurant, par la VerpackV, un système visant à la réutilisation des emballages pour les eaux minérales naturelles qui doivent être conditionnées à la source en vertu de la directive 80/777. Dans cet avis, la Commission soutient que, s’agissant des eaux minérales naturelles, la réglementation allemande constitue une entrave aux échanges pour les producteurs qui doivent réexpédier les emballages vides au lieu de production, lorsque ces derniers ne peuvent pas être utilisés pour d’autres produits. Ladite réglementation allemande ne serait pas justifiée par des motifs de protection de l’environnement étant donné que, en ignorant la situation particulière des produits qui doivent être transportés sur de longues distances, sa portée irait au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but poursuivi.

18
En réponse à cet avis motivé, le gouvernement allemand a, par lettre du 10 novembre 2000, contesté l’existence d’une entrave aux échanges intracommunautaires. Il soutient que la réglementation allemande accorde aux producteurs d’eaux minérales établis dans un autre État membre la liberté de commercialiser leurs produits soit en utilisant des emballages réutilisables, notamment dans le cadre d’un système de bouteilles standardisées, soit en ayant recours à des emballages non réutilisables. À supposer même que la réglementation en cause constitue une entrave aux échanges intracommunautaires, elle serait justifiée par des motifs de protection de l’environnement étant donné que les emballages de boisson réutilisables présenteraient, par rapport aux emballages à usage unique, des avantages sur le plan écologique, malgré la nécessité éventuelle d’assurer leur transport sur de longues distances.

19
Le 16 mars 2001, la République fédérale d’Allemagne a notifié à la Commission un projet de modification de la VerpackV. Ce projet ayant, toutefois, rencontré des difficultés au cours de la procédure législative, cette notification a été retirée le 3 juillet 2001.

20
Estimant que la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire, la Commission a introduit le présent recours.

21
Par ordonnance du président de la Cour du 29 mai 2002, la République française et le Royaume-Uni ont été admis à intervenir à l’appui des conclusions de la Commission. Par lettre du 26 septembre 2002, le Royaume-Uni a fait savoir qu’il renonçait au dépôt d’un mémoire en intervention.


Sur l’objet et la recevabilité du recours

22
Il convient de préciser, à titre liminaire, que la Commission conteste la réglementation allemande dans la mesure où les articles 8, paragraphe 1, et 9, paragraphe 2, de la VerpackV, en introduisant des obligations de consignation et de reprise individuelle pour les emballages à usage unique en fonction de la proportion des emballages réutilisables sur le marché allemand, imposent une charge particulière aux producteurs d’eaux minérales naturelles provenant d’autres États membres. Selon la Commission, le recours à des emballages réutilisables auquel ladite réglementation incite les producteurs utilisant des emballages à usage unique, entraîne des frais supplémentaires pour les producteurs d’eaux minérales naturelles établis dans d’autres États membres.

23
Le gouvernement allemand fait valoir que la Commission ne lui a pas reproché, au cours de la procédure précontentieuse, le fait que les articles 8 et 9 de la VerpackV exerceraient une pression sur les producteurs d’eaux minérales naturelles pour qu’ils utilisent des emballages réutilisables. Sur ce point, la Commission ne lui aurait pas donné l’occasion de justifier sa position ou, le cas échéant, de se conformer volontairement aux exigences du droit communautaire, notamment en excluant les producteurs d’eaux minérales naturelles établis dans un autre État membre du calcul des taux prévus à l’article 9, paragraphe 2, de la VerpackV.

24
À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la procédure précontentieuse a pour but de donner à l’État membre concerné l’occasion, d’une part, de se conformer à ses obligations découlant du droit communautaire et, d’autre part, de faire utilement valoir ses moyens de défense à l’encontre des griefs formulés par la Commission (voir, notamment, arrêts du 15 janvier 2002, Commission/Italie, C-439/99, Rec. p. I‑305, point 10, et du 20 juin 2002, Commission/Allemagne, C‑287/00, Rec. p. I‑5811, point 16).

25
La régularité de la procédure précontentieuse constitue une garantie essentielle non seulement pour la protection des droits de l’État membre en question, mais également pour assurer que la procédure contentieuse éventuelle ait pour objet un litige clairement défini (voir arrêt Commission/Allemagne, précité, point 17).

26
L’objet d’un recours intenté en application de l’article 226 CE est donc circonscrit par la procédure précontentieuse prévue à cette disposition. Il s’ensuit que le recours doit être fondé sur les mêmes motifs et moyens que l’avis motivé (voir, notamment, arrêt Commission/Italie, précité, point 11).

27
En l’espèce, il y a lieu de constater que la Commission n’a pas étendu l’objet du litige tel que celui-ci a été circonscrit au cours de la procédure précontentieuse.

28
En effet, dans la première lettre de mise en demeure, la Commission critiquait déjà le fait que la réglementation allemande se fonde sur un taux d’emballages réutilisables ayant pour effet de figer une situation du marché telle qu’elle était pendant une période donnée. Dans sa réponse à cette lettre, le gouvernement allemand a exposé les raisons pour lesquelles le taux en question a été fixé, tout en affirmant que la réglementation en cause n’impose pas un certain mode d’emballage aux producteurs.

29
De même, dans la lettre de mise en demeure complémentaire, la Commission a critiqué les effets disproportionnés de la VerpackV sur la situation des producteurs d’eaux minérales naturelles, en soulignant que la règle fixant un taux d’emballages réutilisables peut empêcher la commercialisation en Allemagne de nouveaux produits conditionnés dans des emballages à usage unique. En réponse à cette lettre, le gouvernement allemand a réitéré son point de vue selon lequel la réglementation en cause ne fait pas obstacle à ce que les producteurs établis dans un autre État membre utilisent des emballages à usage unique.

30
Enfin, au stade de l’avis motivé, dans lequel les griefs ont été limités à l’incidence des articles 8 et 9 de la VerpackV sur la commercialisation des eaux minérales naturelles, la Commission a soutenu que ces dispositions incitent les producteurs à ne pas faire augmenter la proportion d’emballages à usage unique de sorte que les taux fixés pour les emballages réutilisables ne sont plus atteints. La VerpackV ne permettrait aux producteurs dont l’établissement est très éloigné des points de vente, d’augmenter leur part de marché de produits conditionnés dans des emballages à usage unique que dans la mesure où d’autres producteurs, établis plus près des points de vente, seraient prêts à réduire la leur.

31
Il ressort de la réponse à l’avis motivé que le gouvernement allemand a compris que ledit avis dénonçait notamment l’effet de la réglementation allemande sur le choix du mode d’emballage. En effet, le gouvernement allemand a évoqué, dans cette réponse, les différentes possibilités offertes aux producteurs établis dans un autre État membre pour commercialiser leurs produits sur le marché allemand, tout en réitérant sa position selon laquelle aucun obstacle à la commercialisation des produits conditionnés dans des emballages à usage unique ne peut être relevé.

32
Il s’ensuit que l’allégation selon laquelle la réglementation allemande inciterait les producteurs d’eaux minérales naturelles établis dans d’autres États membres à recourir à des emballages réutilisables figurait effectivement parmi les motifs invoqués par la Commission pour soutenir, au cours de la procédure précontentieuse, que la VerpackV n’est pas compatible avec les dispositions communautaires en cause.

33
Partant, le recours est recevable.


Sur le fond

34
Il est constant entre les parties que les articles 8 et 9 de la VerpackV s’inscrivent dans le cadre d’une réglementation qui a pour objet de transposer la directive 94/62.

35
En revanche, les parties sont en désaccord sur le point de savoir si, en ce qui concerne la promotion de la réutilisation des emballages, les articles 8 et 9 de la VerpackV peuvent être appréciés également à l’aune de l’article 28 CE. La Commission, soutenue par le gouvernement français, est d’avis que la réglementation allemande ne peut être compatible avec l’article 5 de la directive 94/62 que si elle est également conforme à l’article 28 CE, tandis que le gouvernement allemand affirme que cet article 5 contient une harmonisation complète de la matière excluant toute appréciation des articles 8 et 9 de la VerpackV au regard des dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises.

36
Eu égard à la circonstance que, lorsqu’un domaine a fait l’objet d’une harmonisation exhaustive au niveau communautaire, toute mesure nationale y relative doit être appréciée au regard des dispositions de cette mesure d’harmonisation et non pas de celles du droit primaire (arrêts du 12 octobre 1993, Vanacker et Lesage, C‑37/92, Rec. p. I‑4947, point 9; du 13 décembre 2001, DaimlerChrysler, C‑324/99, Rec. p. I‑9897, point 32, et du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband, C‑322/01, non encore publié au Recueil, point 64), il convient donc de déterminer si l’harmonisation opérée par la directive 94/62 exclut l’examen de la compatibilité de la réglementation nationale en cause avec l’article 28 CE.

Sur l’applicabilité de l’article 28 CE

37
En ce qui concerne la promotion de la réutilisation des emballages telle que celle-ci est prévue par la directive 94/62, il convient, tout d’abord, de rappeler qu’il ressort tant du premier considérant que de l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive que celle-ci poursuit un double objectif, consistant, d’une part, à prévenir et à réduire les incidences des déchets d’emballages sur l’environnement de manière à assurer un niveau élevé de protection de l’environnement et, d’autre part, à assurer le bon fonctionnement du marché intérieur et à prévenir l’apparition d’entraves aux échanges et de distorsions et restrictions de concurrence dans la Communauté (voir arrêt du 19 juin 2003, Mayer Parry Recycling, C‑444/00, Rec. p. I‑6163, point 71).

38
Si la directive 94/62 prévoit comme «première priorité» la prévention des déchets d’emballages, elle énumère, à son article 1er, paragraphe 2, en tant qu’«autres principes fondamentaux», la réutilisation d’emballages, le recyclage et les autres formes de valorisation des déchets d’emballages.

39
Le huitième considérant de cette directive énonce que «dans l’attente de résultats scientifiques et techniques en ce qui concerne les processus de valorisation, il convient d’opter de préférence pour la réutilisation et le recyclage, eu égard à leur incidence sur l’environnement; que, pour cette raison, des systèmes garantissant le retour des emballages utilisés et/ou des déchets d’emballages doivent être instaurés dans les États membres; que les analyses du cycle de vie doivent être achevées dans les plus brefs délais afin de justifier l’adoption d’une hiérarchie précise entre les emballages réutilisables, les emballages recyclables et les emballages valorisables».

40
Contrairement à ce que prétend le gouvernement allemand, la directive 94/62 n’établit donc pas de hiérarchie entre la réutilisation des emballages, d’une part, et la valorisation des déchets d’emballages, d’autre part.

41
En ce qui concerne la réutilisation des emballages, l’article 5 de cette directive se limite à permettre aux États membres de favoriser, conformément au traité, des systèmes de réutilisation des emballages qui sont susceptibles d’être réutilisés sans nuire à l’environnement.

42
En vertu de l’article 7, paragraphe 1, de ladite directive, les États membres sont, en outre, tenus de prendre les mesures nécessaires pour que soient instaurés des systèmes assurant non seulement la reprise et/ou la collecte des emballages utilisés et/ou des déchets d’emballages en vue de les diriger vers les solutions de gestion des déchets les plus appropriées, mais également la réutilisation ou la valorisation, y compris le recyclage, des emballages et/ou des déchets d’emballages collectés.

43
En dehors de la définition de la notion de «réutilisation» des emballages, de certaines dispositions générales sur les mesures de prévention des déchets d’emballages et des dispositions relatives aux systèmes de reprise, de collecte et de valorisation, figurant, respectivement, à ses articles 3, point 5, 4 et 7, la directive 94/62 ne réglemente pas, en ce qui concerne les États membres qui sont disposés à utiliser la faculté accordée par son article 5, l’organisation de systèmes favorisant les emballages réutilisables.

44
Contrairement à ce qui est le cas du marquage et de l’identification des emballages et des exigences concernant la composition et le caractère réutilisable ou valorisable de ces derniers, régis par les articles 8 à 11 et par l’annexe II de la directive 94/62, l’organisation des systèmes nationaux destinés à favoriser la réutilisation des emballages ne fait donc pas l’objet d’une harmonisation complète.

45
De tels systèmes peuvent, par conséquent, être appréciés à l’aune des dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises.

46
L’article 5 de la directive 94/62 ne permet d’ailleurs aux États membres de favoriser des systèmes de réutilisation des emballages que «conformément au traité».

47
Contrairement à ce que soutient le gouvernement allemand, l’arrêt DaimlerChrysler, précité, ne saurait mener à une autre conclusion. Au point 44 de cet arrêt, la Cour a certes jugé que l’utilisation dans une disposition communautaire des termes «conformément au traité» ne saurait être comprise comme signifiant qu’une mesure nationale qui répond aux exigences de cette disposition doit, en outre, faire l’objet d’un examen distinct de sa compatibilité avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises.

48
Toutefois, était en cause, dans cet arrêt, le règlement (CEE) nº 259/93 du Conseil, du 1er février 1993, concernant la surveillance et le contrôle des transferts de déchets à l’entrée et à la sortie de la Communauté européenne (JO L 30, p. 1). Celui-ci réglemente de manière harmonisée au niveau communautaire la question des transferts de déchets en vue de garantir la protection de l’environnement (arrêt DaimlerChrysler, précité, point 42). Or, ainsi qu’il a été constaté ci-dessus, tel n’est pas le cas de la directive 94/62 en ce qui concerne la réutilisation des emballages.

49
De plus, l’article 4, paragraphe 3, sous a), i), dudit règlement autorise les États membres à réglementer les transferts de déchets destinés à être éliminés, «conformément au traité», tout en énonçant une série de principes, tels que les principes de proximité, de priorité à la valorisation et d’autosuffisance aux niveaux communautaire et national, dont les États membres doivent tenir compte lorsqu’ils font usage de cette autorisation.

50
L’interprétation que la Cour a, dans l’arrêt DaimlerChrysler, précité, donnée de l’expression «conformément au traité» ne saurait être transposée au présent contexte, dans lequel l’autorisation accordée aux États membres pour favoriser la réutilisation des emballages est formulée dans des termes généraux, sans que soient précisés les critères à prendre en compte par les États membres qui en font usage.

51
Il importe encore de relever que la Cour, au point 45 de même arrêt, a jugé que l’expression «conformément au traité» ne signifie pas non plus que toutes les mesures nationales restreignant les transferts de déchets, visées à l’article 4, paragraphe 3, sous a), i), du règlement, doivent être systématiquement présumées conformes au droit communautaire du seul fait qu’elles visent à mettre en oeuvre l’un ou plusieurs des principes mentionnés par cette disposition. Cette expression doit plutôt être interprétée en ce sens que lesdites mesures nationales, en plus d’être conformes au règlement, doivent également respecter les règles ou principes généraux du traité qui ne sont pas directement visés par la réglementation adoptée dans le domaine des transferts de déchets.

52
Il convient donc d’examiner la compatibilité des dispositions nationales en cause avec l’article 28 CE.

Sur l’existence d’une entrave aux échanges intracommunautaires

53
La Commission, soutenue par le gouvernement français, fait valoir que les articles 8, paragraphe 1, et 9, paragraphe 2, de la VerpackV rendent plus difficile ou plus onéreuse la distribution d’eaux minérales naturelles en provenance d’autres États membres et qu’ils constituent, dès lors, une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative au sens de l’article 28 CE.

54
Le gouvernement allemand estime, tout d’abord, que ces dispositions générales ne peuvent être considérées comme des mesures d’effet équivalent à une restriction quantitative étant donné qu’elles ne servent pas à protéger unilatéralement des intérêts nationaux, mais qu’elles visent uniquement à mettre en œuvre les obligations découlant d’une directive communautaire.

55
À cet égard, il suffit de relever que, si la Cour a considéré qu’une disposition nationale par laquelle un État membre s’acquitte des obligations découlant, pour lui, d’une directive ne pouvait être qualifiée d’entrave aux échanges (voir, en ce sens, arrêts du 25 janvier 1977, Bauhuis, 46/76, Rec. p. 5, points 28 à 30; du 23 mars 2000, Berendse-Koenen, C‑246/98, Rec. p. I‑1777, points 24 et 25, et Deutscher Apothekerverband, précité, points 52 à 54), force est de constater que l’article 5 de la directive 94/62 ne fait qu’autoriser les États membres à favoriser des systèmes de réutilisation des emballages conformément au traité, sans imposer aucune obligation en ce sens.

56
Le gouvernement allemand conteste, ensuite, le fait que les articles 8 et 9 de la VerpackV conduisent à une quelconque discrimination directe ou indirecte à l’encontre des producteurs établis dans un autre État membre.

57
À cet égard, il convient de rappeler que l’article 9, paragraphe 2, de la VerpackV prévoit un changement de système de gestion des déchets d’emballages à usage unique dans des circonstances précises. Si la VerpackV fonde ce changement sur le fait que certains taux d’emballages réutilisables ne sont pas atteints sur le marché national, elle fait dépendre l’entrée en vigueur effective dudit changement de nouvelles appréciations de tels taux, devant être effectuées ultérieurement. Ainsi, pour certaines boissons, dont les eaux minérales naturelles, les producteurs et les distributeurs ne peuvent plus recourir à un système global de collecte et doivent donc instaurer un système de consignation et de reprise individuelle pour leurs emballages de boisson à usage unique, lorsque, pendant deux années consécutives, le taux des boissons conditionnées dans des emballages réutilisables en Allemagne descend au-dessous de 72 % et que, pour les boissons en question, le taux d’emballages réutilisables de l’année 1991 n’est pas atteint.

58
Or, force est de constater que les articles 8, paragraphe 1, et 9, paragraphe 2, de la VerpackV, s’ils s’appliquent, certes, à tous les producteurs et distributeurs exerçant leur activité sur le territoire national, n’affectent pas de la même manière la commercialisation des eaux minérales naturelles produites en Allemagne et celle de boissons en provenance d’autres États membres.

59
En effet, si le passage d’un système de gestion des emballages à un autre entraîne, d’une manière générale, des coûts en ce qui concerne le marquage ou l’étiquetage des emballages, une réglementation, telle que celle en cause, qui oblige les producteurs et distributeurs utilisant des emballages à usage unique à remplacer leur participation à un système global de collecte par l’instauration d’un système de consignation et de reprise individuelle, entraîne pour tout producteur et distributeur utilisant de tels emballages des coûts supplémentaires liés à l’organisation de la reprise des emballages, du remboursement des montants de consigne et de l’éventuelle compensation desdits montants entre distributeurs.

60
Or, ainsi que le relève la Commission, sans être contredite par le gouvernement allemand, les producteurs d’eaux minérales naturelles originaires des autres États membres utilisent considérablement plus d’emballages à usage unique en matière plastique que les producteurs allemands. En effet, selon une étude réalisée en juin 2001 par la Gesellschaft für Verpackungsmarktforschung, les producteurs allemands ont employé, en 1999, environ 90 % d’emballages réutilisables et environ 10 % d’emballages à usage unique, tandis que ces proportions s’inversaient en ce qui concerne les eaux minérales naturelles vendues en Allemagne par les producteurs étrangers, avec une utilisation d’environ 71 % d’emballages à usage unique en matière plastique.

61
Il faut relever, à cet égard, que les producteurs d’eaux minérales naturelles qui vendent leurs produits en Allemagne loin du point de captage de ces eaux, lesquels sont pour une grande part établis dans un autre État membre, supportent, lorsqu’ils utilisent des emballages réutilisables, des coûts supplémentaires. En effet, il ressort d’une lecture combinée de l’article 3 et de l’annexe II de la directive 80/777 que les eaux minérales naturelles doivent être embouteillées à la source, de sorte que la réutilisation d’emballages de ces eaux impose que ces derniers soient acheminés jusqu’au point de captage. S’il est vrai que, comme le soutient le gouvernement allemand, un producteur d’eaux minérales naturelles peut réduire ces coûts en adhérant à un système de bouteilles réutilisables standardisées, il n’en reste pas moins qu’un producteur d’eaux minérales naturelles commercialisant ses produits sur plusieurs marchés, dont le marché allemand, comme c’est le cas du producteur établi dans un autre État membre qui exporte vers l’Allemagne, est contraint d’adapter la distribution de ses produits aux exigences spécifiques du marché allemand.

62
Il s’ensuit que le remplacement, en ce qui concerne les emballages à usage unique, d’un système global de collecte des emballages par un système de consignation et de reprise individuelle est de nature à entraver la commercialisation sur le marché allemand d’eaux minérales naturelles importées d’autres États membres (voir en ce sens, en ce qui concerne les emballages de boisson réutilisables, arrêt du 20 septembre 1988, Commission/Danemark (302/86, Rec. p. 4607, point 13).

63
Il est sans pertinence, à cet égard, que les dispositions en cause envisagent des obligations de consignation et de reprise individuelle pour les emballages à usage unique sans interdire les importations de boissons conditionnées dans de tels emballages et que, en outre, la possibilité existe pour les producteurs de recourir à des emballages réutilisables. En effet, une mesure susceptible d’entraver les importations doit être qualifiée de mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative même si l’entrave est faible et s’il existe d’autres possibilités d’écoulement des produits (arrêt du 5 avril 1984, Van de Haar et Kaveka de Meern, 177/82 et 178/82, Rec. p. 1797, point 14).

64
Contrairement à ce que soutient le gouvernement allemand, l’entrave aux échanges visée par le présent recours ne trouve pas son origine dans la disposition de la directive 80/777 selon laquelle les eaux minérales naturelles doivent être conditionnées à la source. S’il ne peut, certes, être exclu que, pour les producteurs d’eaux minérales naturelles, cette disposition ait une incidence sur leur choix en ce qui concerne l’emballage de leurs produits, il faut toutefois rappeler que le remplacement d’un système global de collecte par un système de consignation et de reprise individuelle représente des frais supplémentaires non seulement pour les producteurs d’eaux minérales naturelles mais également pour les producteurs et distributeurs d’autres boissons visées à l’article 9, paragraphe 2, de la VerpackV, qui sont établis dans d’autres États membres et qui utilisent des emballages à usage unique.

65
Il n’est pas non plus pertinent d’affirmer, comme le fait ledit gouvernement, que l’augmentation des importations en Allemagne d’eaux minérales naturelles conditionnées dans des emballages à usage unique démontre l’absence de discrimination à l’encontre des producteurs d’eaux minérales naturelles utilisant les emballages à usage unique. En effet, quand bien même cette tendance serait observée sur le marché allemand, elle n’est pas de nature à écarter le fait que les articles 8 et 9 de la VerpackV constituent, pour les producteurs d’eaux minérales naturelles établis dans un autre État membre, un obstacle à la commercialisation de leurs produits en Allemagne.

66
Enfin, contrairement à ce que soutient le gouvernement allemand, les articles 8 et 9 de la VerpackV ne sauraient échapper au domaine d’application de l’article 28 CE au motif qu’ils réglementeraient non pas le mode de conditionnement des eaux minérales naturelles mais uniquement leurs modalités de vente au sens de l’arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, Rec. p. I‑6097, points 16 et suivants).

67
En effet, la Cour a considéré que la nécessité, découlant des mesures en cause, de modifier l’emballage ou l’étiquette des produits importés exclut que ces mesures concernent les modalités de vente de ces produits au sens de l’arrêt Keck et Mithouard, précité (voir arrêts du 3 juin 1999, Colim, C‑33/97, Rec. p. I‑3175, point 37; du 16 janvier 2003, Commission/Espagne, C‑12/00, Rec. p. I‑459, point 76, et du 18 septembre 2003, Morellato, C‑416/00, Rec. p. I‑9343, point 29).

68
Or, ainsi qu’il a été relevé au point 59 du présent arrêt, le remplacement de la participation à un système global de collecte par l’instauration d’un système de consignation et de reprise individuelle oblige les producteurs concernés à modifier certaines indications sur leurs emballages.

69
En tout état de cause, étant donné que les dispositions de la VerpackV n’affectent pas de la même manière la commercialisation des boissons produites en Allemagne et celle de boissons en provenance d’autres États membres, elles ne sauraient échapper au domaine d’application de l’article 28 CE (voir arrêt Keck et Mithouard, précité, points 16 et 17).

Sur la justification tirée de la protection de l’environnement

70
Il convient d’examiner si les articles 8, paragraphe 1, et 9, paragraphe 2, de la VerpackV peuvent, dans la mesure où ils constituent une entrave aux échanges, être justifiés par des raisons tenant à la protection de l’environnement.

71
La Commission, soutenue par le gouvernement français, affirme que, s’agissant des eaux minérales naturelles qui doivent être conditionnées à la source, ladite réglementation n’est pas justifiée par des motifs liés à la politique de l’environnement et ne satisfait, en tout état de cause, pas au critère de proportionnalité.

72
De son côté, le gouvernement allemand estime les articles 8 et 9 de la VerpackV justifiés par différents objectifs liés à la protection de l’environnement, à savoir la prévention des déchets, la définition de solutions de gestion des déchets les plus appropriées pour les emballages à usage unique et la protection des paysages contre l’accumulation des déchets dans la nature. Il affirme que, même à suivre la position selon laquelle lesdites dispositions ne visent que l’objectif général de prévention des déchets, les avantages sur le plan écologique découlant d’un système de consignation des emballages de boisson à usage unique prévaudraient largement sur les possibles inconvénients liés au fait que certains emballages doivent être acheminés sur de longues distances vers le lieu de production.

73
De l’avis du gouvernement allemand, un système de consignation des emballages à usage unique est approprié et nécessaire pour atteindre les objectifs visés, étant donné qu’il s’agit d’une mesure qui a avant tout pour but de changer le comportement du consommateur. La consignation des emballages à usage unique amènerait le consommateur à assimiler ces emballages aux emballages réutilisables.

74
Enfin, les principes de précaution et d’action préventive, énoncés à l’article 174, paragraphe 2, CE, conféreraient aux États membres une marge discrétionnaire d’appréciation dans l’intérêt de la politique de l’environnement. Or, il serait impossible, selon le gouvernement allemand, d’exempter les boissons transportées sur de longues distances de l’obligation de consignation étant donné qu’une telle dispense créerait non seulement des distorsions de concurrence parmi les entreprises qui commercialisent leurs produits dans des emballages à usage unique, mais priverait d’effet utile la promotion des emballages réutilisables prévue à l’article 5 de la directive 94/62. Une telle dispense ne serait pas non plus praticable en raison du fait que certains points de vente situés sur le territoire allemand ne seraient pas éloignés de lieux de production d’eaux minérales naturelles commercialisées en Allemagne se trouvant en dehors de ce territoire.

75
À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, des mesures nationales susceptibles d’entraver le commerce intracommunautaire peuvent être justifiées par des exigences impératives relevant de la protection de l’environnement pourvu que les mesures en question soient proportionnées à l’objet visé (arrêts Commission/Danemark, précité, points 6 et 9, ainsi que du 14 juillet 1998, Aher-Waggon, C‑389/96, Rec. p. I‑4473, point 20).

76
Ainsi que l’affirme le gouvernement allemand, l’instauration d’un système de consignation et de reprise individuelle est de nature à augmenter le taux de retour des emballages vides et conduit à un tri sélectif des déchets d’emballages, contribuant ainsi à améliorer la valorisation de ces derniers. En outre, dans la mesure où le prélèvement d’une consigne incite le consommateur à retourner les emballages vides aux points de vente, il contribue à la réduction des déchets dans la nature.

77
De plus, pour autant que la réglementation en cause fait dépendre l’entrée en vigueur d’un nouveau système de gestion des déchets d’emballages de la proportion des emballages réutilisables sur le marché allemand, elle crée une situation où toute augmentation de ventes de boissons conditionnées dans des emballages à usage unique sur ce marché renforce la probabilité de survenance du changement de système. Dans la mesure où ladite réglementation encourage ainsi les producteurs et distributeurs concernés à recourir à des emballages réutilisables, elle contribue à la réduction des déchets à éliminer, laquelle constitue l’un des objectifs généraux de la politique de protection de l’environnement.

78
Toutefois, pour qu’une telle réglementation soit conforme au principe de proportionnalité, il importe de vérifier non seulement si les moyens qu’elle met en œuvre sont aptes à réaliser les objectifs visés, mais également s’ils ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs (voir arrêt du 14 juillet 1998, Safety Hi-Tech, C‑284/95, Rec. p. I-4301, point 57).

79
À cet égard, il convient de relever qu’une réglementation nationale, pour satisfaire à ce dernier critère, doit offrir aux producteurs et aux distributeurs concernés un délai de transition suffisant pour qu’ils puissent s’adapter, avant l’entrée en vigueur du système de consignation et de reprise individuelle, aux exigences du nouveau système.

80
Or, le délai de six mois prévu à l’article 9, paragraphe 2, de la VerpackV, entre l’annonce selon laquelle un système de consignation et de reprise individuelle doit être instauré et l’entrée en vigueur d’un tel système, n’est pas suffisant pour permettre aux producteurs d’eaux minérales naturelles d’adapter leur production et leur gestion des déchets d’emballages à usage unique au nouveau système, étant donné que celui-ci doit d’emblée être mis en place.

81
À cet égard, n’entre pas en ligne de compte la période précédant ledit délai de six mois. En effet, même après un premier constat d’insuffisance des taux d’emballages réutilisables, l’incertitude demeure quant à savoir si un système de consignation et de reprise individuelle entrera en vigueur et, le cas échéant, à quel moment, dans la mesure où cela dépend non seulement de nouvelles appréciations relatives à la proportion globale des emballages réutilisables présents sur le marché allemand et à la proportion des eaux minérales naturelles commercialisées sur ce même marché dans de tels emballages, mais également d’une décision du gouvernement allemand d’annoncer le résultat de ces appréciations.

82
Ainsi, la VerpackV crée une situation où, au cours d’une période indéterminée, le changement de système de gestion des déchets d’emballages n’est pas suffisamment certain pour exiger des acteurs économiques du secteur concerné qu’ils mettent en place un système de consignation et de reprise individuelle qui soit disponible peu de temps après l’annonce de la date d’entrée en vigueur du nouveau système.

83
Dans ces conditions, le recours de la Commission doit être considéré comme fondé.

84
Il convient dès lors de constater que, en instaurant par les articles 8, paragraphe 1, et 9, paragraphe 2, de la VerpackV, un système visant à la réutilisation des emballages pour les produits qui, conformément à la directive 80/777, doivent être conditionnés à la source, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées des articles 5 de la directive 94/62 et 28 CE.


Sur les dépens

85
Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République fédérale d’Allemagne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. Conformément à l’article 69, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement, les États membres qui sont intervenus au soutien des conclusions présentées par la Commission supportent leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)
En instaurant, par les articles 8, paragraphe 1, et 9, paragraphe 2, de la Verordnung über die Vermeidung und Verwertung von Verpackungsabfällen (décret relatif à la prévention et à la valorisation des déchets d’emballages), un système visant à la réutilisation des emballages pour les produits qui, conformément à la directive 80/777/CEE du Conseil, du 15 juillet 1980, relative au rapprochement des législations des États membres concernant l’exploitation et la mise dans le commerce des eaux minérales naturelles, doivent être conditionnés à la source, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées des articles 5 de la directive 94/62/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 1994, relative aux emballages et aux déchets d’emballages, et 28 CE.

2)
La République fédérale d’Allemagne est condamnée aux dépens.

3)
La République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supportent leurs propres dépens.

Signatures.


1
Langue de procédure: l'allemand.