61999J0449

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 2 octobre 2001. - Banque européenne d'investissement contre Michel Hautem. - Pourvoi - Agents de la Banque européenne d'investissement - Licenciement - Interprétation du règlement du personnel de la Banque européenne d'investissement - Moyen tiré d'une qualification erronée de la nature juridique des faits et d'une erreur de motivation - Violation alléguée des règles applicables aux relations entre la Banque européenne d'investissement et son personnel. - Affaire C-449/99 P.

Recueil de jurisprudence 2001 page I-06733


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1. Pourvoi - Moyens - Appréciation erronée des faits - Irrecevabilité - Contrôle par la Cour de l'appréciation des éléments de preuve - Exclusion sauf cas de dénaturation

(Art. 225 CE; statut CE de la Cour de justice, art. 51)

2. Pourvoi - Moyens - Motivation insuffisante ou contradictoire - Recevabilité

(Art. 225 CE)

3. Fonctionnaires - Recours - Compétence de pleine juridiction - Litiges entre la Banque européenne d'investissement et ses agents - Application par analogie de l'article 91, paragraphe 1, du statut

(Statut des fonctionnaires, art. 91, § 1; règlement du personnel de la Banque européenne d'investissement, art. 41)

Sommaire


1. Il ressort des articles 225 CE et 51 du statut de la Cour de justice que le pourvoi est limité aux questions de droit et que, dès lors, le Tribunal est seul compétent pour constater les faits, sauf dans le cas où l'inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui on été soumises, et pour apprécier ces faits. L'appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour.

( voir point 44 )

2. La Cour est compétente pour exercer, en vertu de l'article 225 CE, un contrôle sur la qualification juridique des faits et les conséquences de droit qui ont été tirées par le Tribunal. La question de savoir si la motivation d'un arrêt du Tribunal est contradictoire ou insuffisante constitue une question de droit pouvant, en tant que telle, être invoquée dans le cadre d'un pourvoi.

( voir point 45 )

3. L'article 41 du règlement du personnel de la Banque européenne d'investissement, en vertu duquel les différends de toute nature d'ordre individuel entre la Banque et les membres de son personnel sont portés devant la Cour de justice des Communautés européennes, n'enlève pas à la compétence de la Cour, et donc du Tribunal, les litiges de nature pécuniaire entre la Banque et ses agents et ne pose pas, pour l'exercice de cette compétence, des limites dépendant de la nature particulière d'un litige. De même, la nature particulière du régime du personnel de la Banque n'exclut pas la reconnaissance au Tribunal et à la Cour d'une compétence de pleine juridiction dans les litiges de caractère pécuniaire entre la Banque et ses agents.

C'est donc à juste titre que le Tribunal a constaté qu'il dispose, par application analogique de la règle prévue à l'article 91, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires, d'une compétence de pleine juridiction pour statuer sur les aspects pécuniaires d'un litige opposant un membre du personnel de la Banque européenne d'investissement à la Banque.

( voir points 92, 94-95 )

4. L'octroi de l'arriéré des rémunérations constituant la conséquence qui s'attache habituellement à la constatation de l'illégalité d'une décision de licenciement, y compris dans un régime contractuel, le Tribunal n'a pas méconnu la nature contractuelle du régime du personnel de la Banque européenne d'investissement lorsque, ayant annulé une décision de la Banque licenciant un de ses agents, il a condamné celle-ci à payer à l'intéressé l'arriéré des rémunérations qu'il aurait dû percevoir depuis la date de son licenciement.

( voir point 96 )

Parties


Dans l'affaire C-449/99 P,

Banque européenne d'investissement, représentée par M. G. Marchegiani, en qualité d'agent, assisté de Me G. Vandersanden, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

ayant pour objet un pourvoi formé contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (cinquième chambre) du 28 septembre 1999, Hautem/BEI (T-140/97, RecFP p. I-A-171 et II-897), et tendant à l'annulation partielle de cet arrêt,

l'autre partie à la procédure étant:

Michel Hautem, agent de la Banque européenne d'investissement, demeurant à Schouweiler (Luxembourg), représenté par Mes M. Karp et J. Choucroun, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie demanderesse en première instance,

LA COUR (sixième chambre),

composée de MM. C. Gulmann, président de chambre, V. Skouris (rapporteur), J.-P. Puissochet, R. Schintgen et Mme N. Colneric, juges,

avocat général: M. L. A. Geelhoed,

greffier: M. R. Grass,

vu le rapport du juge rapporteur,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 1er février 2001,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 26 novembre 1999, la Banque européenne d'investissement (ci-après la «Banque») a, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 28 septembre 1999, Hautem/BEI (T-140/97, RecFP p. I-A-171 et II-897, ci-après l'«arrêt attaqué»), en tant que celui-ci a annulé la décision de la Banque de licencier M. Hautem et a condamné la Banque à payer à ce dernier l'arriéré des rémunérations qu'il aurait dû percevoir depuis son licenciement.

Le cadre juridique

2 Les statuts de la Banque sont établis par un protocole annexé au traité CE, dont il fait partie intégrante.

3 L'article 9, paragraphe 3, sous h), des statuts de la Banque prévoit l'approbation, par le conseil des gouverneurs, du règlement intérieur de la Banque. Ce règlement a été approuvé le 4 décembre 1958 et a subi depuis plusieurs modifications. Son article 29 dispose que les règlements relatifs au personnel de la Banque sont fixés par le conseil d'administration.

4 Le règlement du personnel de la Banque (ci-après le «règlement du personnel») a été approuvé le 20 avril 1960, puis modifié à diverses reprises. Le personnel de la Banque est assujetti aux obligations prévues par ce règlement.

5 Les articles 1er, 4 et 5 du règlement du personnel, qui font partie de la section intitulée «Dispositions générales», se lisent comme suit:

«Article 1er

Les membres du personnel doivent, dans l'exercice de leurs fonctions et en dehors du service, observer une attitude conforme au caractère international de la Banque et de leurs fonctions.

[...]

Article 4

Les membres du personnel doivent consacrer leur activité au service de la Banque. Ils ne peuvent, sans y avoir été préalablement autorisés par celle-ci:

a) exercer en dehors d'elle aucune activité professionnelle, notamment de nature commerciale, occuper aucun poste ou emploi, permanent, temporaire ou intermittent, rémunéré ou non;

b) exercer aucune fonction de conseil, rémunérée ou non;

c) siéger dans aucun conseil d'administration ou aucun comité de gestion.

[...]

Article 5

Les membres du personnel déclarent une fois l'an, et en tout état de cause à chaque modification, la situation de leur famille et, le cas échéant, l'activité professionnelle exercée par leur conjoint ou les postes ou emplois rémunérés occupés par ce dernier.

En cas de mariage entre deux membres du personnel travaillant dans le même service, l'un de ceux-ci sera employé dans un autre service.»

6 L'article 13 du règlement du personnel énonce:

«Les relations entre la Banque et les membres de son personnel sont réglées en principe par des contrats individuels dans le cadre du présent règlement. Le règlement fait partie intégrante de ces contrats.»

7 L'article 38, premier alinéa, point 3, du même règlement dispose:

«Les membres du personnel qui manquent à leurs obligations sont passibles, selon le cas, des mesures suivantes:

[...]

3) Licenciement pour motif grave, sans préavis avec ou sans allocation de départ».

8 Aux termes de l'article 41, premier alinéa, de ce règlement:

«Les différends de toute nature d'ordre individuel entre la Banque et les membres de son personnel sont portés devant la Cour de justice des Communautés européennes.»

9 L'article 44 du règlement du personnel prévoit:

«Sont applicables aux contrats individuels conclus dans le cadre du présent règlement conformément à l'article 13, les principes généraux communs aux droits des États membres de la Banque.»

10 Le statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut») dispose en son article 91, paragraphe 1:

«La Cour de justice des Communautés européennes est compétente pour statuer sur tout litige entre les Communautés et l'une des personnes visées au présent statut et portant sur la légalité d'un acte faisant grief à cette personne au sens de l'article 90 paragraphe 2. Dans les litiges de caractère pécuniaire, la Cour de justice a une compétence de pleine juridiction.»

Les faits à l'origine du litige et la procédure devant le Tribunal

11 Il ressort des points 6 à 24 de l'arrêt attaqué que M. Hautem, huissier à la Banque, a fait l'objet, comme M. Yasse, également huissier à la Banque, d'une procédure disciplinaire pour avoir exercé sans autorisation une activité professionnelle de nature commerciale, en fondant la société commerciale Mon de l'Evasió SL (ci-après «Mon de l'Evasió»), enregistrée dans la principauté d'Andorre, et en réalisant des opérations commerciales pour le compte de cette société, pour avoir impliqué la Banque dans cette activité, pour avoir utilisé à cette fin le matériel de la Banque ainsi que pour n'avoir pas déclaré à la Banque l'activité professionnelle de son épouse au sein de cette société. Selon la Banque, ces agissements constituent des violations des articles 1er, 4 et 5 du règlement du personnel.

12 Une lettre que la Banque a reçue par télécopie le 28 octobre 1996 (ci-après la «télécopie du 28 octobre 1996») est à l'origine des griefs formulés à l'encontre de M. Hautem. Cette lettre porte l'en-tête de la société Skit-Ball SARL, établie à Marseille (France), et est signée par M. Ingargiola. Ce dernier y dénonçait le refus opposé par le Crédit Andorrà au paiement d'un chèque de 46 500 FRF qui lui avait été remis par Mon de l'Evasió pour l'achat d'un stand Skit-Ball. Il prétendait que MM. Hautem et Yasse étaient impliqués dans cette transaction commerciale et demandait au chef du personnel de la Banque d'intervenir pour que la somme indiquée soit réglée dans un bref délai.

13 Par lettre du 4 novembre 1996, la Banque a communiqué à M. Hautem la télécopie du 28 octobre 1996, ainsi que les documents qui y étaient annexés, et lui a demandé de fournir toutes les explications relatives à cette affaire.

14 Par courrier du 6 novembre 1996, M. Hautem a répondu que les allégations contenues dans la télécopie du 28 octobre 1996 étaient fausses et, en ce qui concerne la lettre du 27 septembre 1996 accompagnant cette télécopie et apparemment rédigée par lui (ci-après la «lettre du 27 septembre 1996»), que son épouse avait utilisé son nom et sa signature pour essayer de régler les problèmes qu'elle avait rencontrés dans les relations commerciales avec Skit-Ball SARL.

15 La Banque a demandé à la société International Security Company BV (Interseco) (ci-après «Interseco») de mener une enquête sur cette affaire. Interseco lui a envoyé son rapport d'enquête le 28 novembre 1996.

16 Par lettre du 7 novembre 1996, la Banque a informé M. Hautem que, étant donné que sa conduite pouvait constituer une infraction à l'article 4 du règlement du personnel, elle avait décidé de le suspendre de ses fonctions avec effet immédiat, conformément à l'article 39, premier alinéa, du règlement du personnel, pour une durée maximale de trois mois, qui serait mise à profit pour réunir la commission paritaire prévue à l'article 38 dudit règlement (ci-après la «commission paritaire»). Ladite lettre lui indiquait également que son traitement serait maintenu, mais qu'il lui était interdit d'accéder aux locaux de la Banque.

17 Par lettre du 19 novembre 1996 adressée à la Banque, M. Ingargiola est revenu sur les accusations portées dans la télécopie du 28 octobre 1996 à l'encontre de MM. Hautem et Yasse. M. Ingargiola affirmait dans cette lettre que MM. Hautem et Yasse n'avaient jamais fait usage d'un titre ou du nom de la Banque et qu'ils n'avaient pas eu de relations commerciales avec la société Skit-Ball SARL pour leur compte ou pour celui de la Banque.

18 Conformément à l'article 40 du règlement du personnel, le président de la Banque a saisi la commission paritaire et, simultanément, par lettre du 19 décembre 1996, a communiqué à M. Hautem les faits qui lui étaient reprochés ainsi que la copie des documents sur lesquels ces reproches étaient fondés.

19 La lettre indiquait que des vérifications avaient été effectuées au sein de la Banque en liaison avec les supérieurs de MM. Hautem et Yasse ainsi qu'avec des responsables du département «Technologies de l'information» de la Banque. Ces vérifications avaient notamment fait apparaître l'existence, dans le disque dur de l'ordinateur utilisé par M. Yasse, de quatre documents relatifs à des activités extraprofessionnelles. Ces documents se présentaient comme suit:

- une télécopie donnant instruction au Crédit Andorrà de transférer la somme de 20 000 FRF sur le compte de Skit-Ball SARL, qui portait l'en-tête «World Escape - Mon de l'Evasió» et indiquait «Yasse Bernard - administrateur» sous la rubrique «Expéditeur»;

- une télécopie identique à la précédente en ce qui concerne le format, l'expéditeur, la date et la signature, adressée à un palais des expositions au sujet de la participation de Mon de l'Evasió à une foire commerciale;

- une télécopie du 7 novembre 1996 concernant l'envoi de douze livres, qui portait l'en-tête «World Escape - Mon de l'Evasió» et indiquait «Yasse Bernard - Mon de l'Evasió SL» sous la rubrique «Expéditeur»;

- une attestation recommandant MM. Hautem et Yasse en qualité de clients à l'intention du Crédit Andorrà.

20 Le 31 janvier 1997, le président de la Banque a pris, sur la base de l'avis motivé de la commission paritaire, la décision de licencier le requérant sans préavis, avec maintien de l'allocation de départ, pour violation des articles 1er, 4 et 5 du règlement du personnel (ci-après la «décision attaquée»).

21 Il ressort du dossier qu'une décision analogue de licenciement a été adoptée le 31 janvier 1997 à l'égard de M. Yasse.

22 Le 29 avril 1997, M. Hautem a introduit devant le Tribunal un recours tendant à l'annulation de la décision attaquée et à une réintégration dans ses fonctions, en invoquant, entre autres, une erreur manifeste d'appréciation des faits. Par le même recours, il a également demandé au Tribunal de condamner la Banque à lui payer certaines sommes soit, en cas de réintégration, à titre d'arriérés de rémunérations, soit, en l'absence de réintégration, à titre d'indemnisation pour différents préjudices qu'il estimait avoir subis.

23 M. Yasse a formé le même jour devant le Tribunal un recours tendant à l'annulation de la décision de la Banque de le licencier et à l'obtention d'indemnités. Par l'arrêt du 28 septembre 1999, Yasse/BEI (T-141/97, RecFP p. I-A-177 et II-929), le Tribunal a rejeté ce recours.

L'arrêt attaqué

24 Le Tribunal s'est penché, en premier lieu, sur le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation des faits. Il a jugé à cet égard ce qui suit:

«68 En ce qui concerne sa qualité d'actionnaire fondateur de la société Mon de l'Evasió, à concurrence de 16 % d'actions, elle ne constitue pas la preuve de l'exercice d'une activité commerciale. Ainsi que l'a reconnu la Banque lors de l'audience, le fait d'être actionnaire fondateur n'équivaut pas à être administrateur et, dès lors, il y a lieu de vérifier si le requérant participait effectivement à l'activité de la société.

69 En ce qui concerne la mention de son appartenance à la Banque, il y a lieu de relever que, contrairement à ce qui est indiqué dans la décision attaquée et soutenu par la défenderesse dans ses mémoires, il n'a pas été établi que le requérant ait usurpé des titres de la Banque ou se soit prévalu de son appartenance à celle-ci d'une façon contraire au règlement du personnel. Certes, dans sa lettre envoyée par fax le 28 octobre 1996, M. Ingargiola qualifie le requérant de responsable du secteur informatique de la Banque. Toutefois, M. Ingargiola a lui-même reconnu, dans sa déclaration à Interseco, que, lors de leur unique rencontre, le requérant lui avait dit qu'il était employé comme huissier à la Banque. En outre, M. Ingargiola affirme: "M. Yasse se faisait passer pour quelqu'un [d']important du département des finances, alors que j'avais présupposé la fonction de M. Hautem. C'est-à-dire que sa femme à l'occasion avait dit que son mari faisait quelque chose avec ordinateurs."

70 Quant à l'utilisation des moyens matériels de la Banque à des fins commerciales, il y a lieu de constater que le requérant s'est limité à collaborer avec M. Yasse à la rédaction des quatre documents trouvés dans l'ordinateur de celui-ci. Contrairement à ce que soutient la Banque, cette participation à une telle utilisation par M. Yasse de son ordinateur de bureau ne saurait être qualifiée d'utilisation à des fins commerciales à caractère systématique. De même, le seul fait pour le requérant d'avoir participé à la création de ces documents, même s'il peut être considéré comme une aide à l'exercice d'une activité commerciale, ne saurait être qualifié d'exercice d'une activité professionnelle de nature commerciale au sens de l'article 4 du règlement du personnel. Enfin, et contrairement à ce qui est indiqué dans la décision attaquée, la conduite du requérant ne pouvait pas laisser croire à l'implication de la Banque dans ses activités. En effet, les documents en cause n'ont pas été envoyés à leurs destinataires par le requérant, et sa signature ne figure sur aucun de ceux-ci.

71 Quant aux conséquences à tirer de la lettre de M. Ingargiola envoyée par fax le 28 octobre 1996, il y a lieu de relever que, certes, le requérant lui-même a reconnu sa participation à la transaction commerciale dénoncée par M. Ingargiola. Toutefois, celui-ci a déclaré à Interseco que M. Yasse et Mme Hautem s'étaient présentés comme [les] propriétaires de l'entreprise Mon de l'Evasió, qu'ils avaient un projet de promotion du stand Skit-Ball et qu'ils en avaient acheté un. Il a précisé n'avoir rencontré le requérant qu'une seule fois et que, à cette occasion, celui-ci lui avait expliqué que sa femme réglait les affaires dans l'entreprise Mon de l'Evasió avec M. Yasse. M. Ingargiola a indiqué également avoir eu l'impression que le requérant n'a rien à faire avec [la société] Mon de l'Evasió. Par conséquent, la lettre de M. Ingargiola faxée le 28 octobre 1996 ne saurait constituer une preuve suffisante de l'exercice par le requérant d'une activité professionnelle de nature commerciale.

72 S'agissant de la lettre de rétractation de M. Ingargiola du 19 novembre 1996, il convient de souligner que, en ce qui concerne le requérant, son contenu est confirmé par les déclarations de M. Ingargiola précitées et se trouve en cohérence avec celles-ci. En outre, la Banque ne se prévaut d'aucun élément de preuve contraire.

73 Quant à la lettre du 27 septembre 1996 imputée au requérant, [...] à supposer qu'elle ait été écrite et signée par Mme Hautem, [elle] confirme bien la participation du requérant à [l']opération commerciale [relative au stand Skit-Ball]. En revanche, elle n'est pas de nature à établir que le requérant ait exercé une activité professionnelle de nature commerciale.

74 Par ailleurs, force est de constater que, tant les documents annexés à la lettre de M. Ingargiola envoyée par fax le 28 octobre 1996, à savoir la lettre du 6 septembre 1996 de M. Yasse et le chèque n° 6 555 542, signés par ce dernier, que les documents présentés par la Banque en annexe à la duplique, à savoir les télécopies du 24 septembre et du 2 octobre 1996, toutes les deux signées par M. Yasse, n'établissent nullement l'exercice par le requérant d'activités commerciales.

75 Il découle de tout ce qui précède que les éléments de preuve apportés par la Banque, considérés dans leur ensemble, démontrent que le requérant, ainsi qu'il l'a lui-même reconnu, a prêté une assistance occasionnelle tant à son épouse qu'à M. Yasse dans l'exercice d'une activité commerciale et qu'il a participé à une opération commerciale - à savoir l'achat d'un stand Skit-Ball par la société Mon de l'Evasió. Toutefois, en raison de son caractère occasionnel et de sa portée limitée, cette collaboration du requérant ne saurait être qualifiée d'exercice d'une activité professionnelle de nature commerciale au sens de l'article 4 du règlement du personnel. De même, il n'est pas prouvé que le requérant se soit prévalu de son appartenance à la Banque, qu'il l'ait impliquée ni qu'il ait personnellement utilisé les moyens matériels de celle-ci.

76 Il en résulte que la Banque a commis une erreur manifeste d'appréciation des faits. Partant, le recours doit être accueilli et la décision attaquée annulée, sans qu'il soit besoin d'examiner le grief tenant à la non-déclaration par le requérant de l'activité de son épouse au sein de la société Mon de l'Evasió ni les autres moyens soulevés à l'appui du présent recours en annulation.

77 Le Tribunal étant compétent, selon l'article 41 du règlement du personnel, pour statuer sur les différends de toute nature d'ordre individuel entre la Banque et ses agents, il convient d'appliquer, par analogie, la règle contenue dans l'article 91, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, selon laquelle le Tribunal a une compétence de pleine juridiction dans les litiges de caractère pécuniaire. Dès lors, il y a lieu de condamner la Banque à payer au requérant l'arriéré des rémunérations qu'il aurait dû percevoir depuis son licenciement.»

25 En second lieu, le Tribunal a rejeté les demandes en indemnité introduites par M. Hautem et a déclaré irrecevable la demande en indemnité introduite par la Banque.

26 Les points 1 et 2 du dispositif de l'arrêt attaqué sont ainsi rédigés:

«1) La décision de la Banque européenne d'investissement du 31 janvier 1997, par laquelle le requérant a été révoqué sans perte de l'allocation de départ, est annulée.

2) La Banque européenne d'investissement est condamnée à payer au requérant l'arriéré des rémunérations qu'il aurait dû percevoir depuis son licenciement.»

Le pourvoi

27 Dans son pourvoi, la Banque conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- annuler les points 1 et 2 du dispositif de l'arrêt attaqué, et

- condamner M. Hautem à supporter ses propres dépens.

28 M. Hautem conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- principalement, déclarer le pourvoi irrecevable ou, subsidiairement, le déclarer non fondé,

- confirmer les points 1 et 2 du dispositif de l'arrêt attaqué, et

- condamner la Banque aux dépens des deux instances.

29 La Banque avance deux moyens à l'appui de son pourvoi. Le premier moyen est tiré d'une qualification erronée de la nature juridique des faits ayant conduit à des conséquences erronées en droit ainsi que d'une erreur de motivation. Le second moyen est tiré de la violation des règles contractuelles applicables aux relations entre la Banque et son personnel.

Sur le premier moyen

30 La Banque soutient que, dans l'arrêt attaqué, le Tribunal a effectué une qualification erronée des faits et a commis une erreur de motivation, en ce que:

- il a exclu, à tort, que les actes accomplis par M. Hautem puissent être considérés comme une forme d'activité professionnelle de nature commerciale au sens de l'article 4 du règlement du personnel (première branche);

- il a exclu, à tort, que M. Hautem ait impliqué la Banque dans l'exercice de cette activité et qu'il ait ainsi violé l'obligation de comportement qui lui incombait en vertu de l'article 1er du règlement du personnel (deuxième branche);

- il a exclu, à tort, que M. Hautem ait fait un usage impropre du matériel de la Banque et qu'il ait donc violé l'obligation de comportement qui lui incombait en vertu dudit article 1er (troisième branche);

- il n'a pas voulu, à tort, accorder de l'importance au comportement adopté par M. Hautem pour rejeter les griefs formulés par la Banque à son encontre (quatrième branche), et

- il a refusé, à tort, d'accorder de l'importance à l'absence de déclaration de l'exercice d'une activité commerciale en principauté d'Andorre par l'épouse de M. Hautem, en violation de l'article 5 du règlement du personnel (cinquième branche).

31 M. Hautem fait valoir que le premier moyen est irrecevable dans son ensemble. Par son grief relatif à l'erreur de qualification prétendument commise par le Tribunal, la Banque demanderait en réalité à la Cour de réexaminer les faits, alors que, en vertu des articles 225 CE et 51 du statut CE de la Cour de justice, le pourvoi est limité aux seules questions de droit et que les arguments invoqués par la Banque devant la Cour ne constituent qu'une simple répétition de ceux déjà invoqués devant le Tribunal. Quant au grief tiré d'une erreur de motivation, il ne serait pas non plus recevable, car le Tribunal aurait tenu compte de tous les éléments de preuve fournis et aurait motivé le résultat de son appréciation.

Quant à la première branche

Arguments des parties

32 La Banque expose que, Mon de l'Evasió ayant été constituée en principauté d'Andorre en avril 1996, l'on peut supposer que les documents examinés par le Tribunal avaient trait à l'essentiel des actes de commerce accomplis par cette société et par ses associés au moment de la réception de la télécopie du 28 octobre 1996. La préparation et l'exécution de ces actes auraient impliqué nécessairement l'exercice professionnel d'une activité de nature commerciale, tant pour M. Hautem que pour M. Yasse. Or, le Tribunal n'aurait retenu cette qualification que pour M. Yasse et l'aurait exclue pour M. Hautem.

33 Si le Tribunal a constaté correctement les faits lorsqu'il a considéré, au point 70, première et deuxième phrases, de l'arrêt attaqué, que M. Hautem avait participé à la création des documents trouvés dans l'ordinateur de M. Yasse, il aurait mal qualifié leur nature juridique en refusant de considérer que M. Hautem y avait participé de manière active et intéressée et qu'ils constituaient, dans le chef de M. Hautem, des actes de commerce, comme le Tribunal l'avait pourtant fait, pour les mêmes documents, aux points 65 et 77 de l'arrêt Yasse/BEI, précité. En réalité, la participation de M. Hautem à la création de ces documents s'expliquerait par son intérêt personnel à l'ouverture d'une ligne de crédit auprès du Crédit Andorrà au nom des deux associés. En témoigneraient la télécopie de la lettre en date du 19 août 1996 recommandant MM. Hautem et Yasse en qualité de clients à l'attention du Crédit Andorrà ainsi que la demande d'ouverture d'une ligne de crédit adressée au Crédit Andorrà par une télécopie du 24 septembre 1996, dont le texte est reproduit au point 74 de l'arrêt Yasse/BEI, précité.

34 La motivation de l'arrêt attaqué sur ce point devrait être considérée comme insuffisante et contradictoire, puisque le Tribunal n'aurait pas tenu compte du fait que, comme M. Yasse (voir arrêt Yasse/BEI, précité, point 66), M. Hautem a procédé, au sujet de certains documents, à diverses affirmations contraires à la vérité qui ne se justifiaient que par la nécessité de dissimuler sa participation effective à l'activité de la société.

35 La constatation effectuée par le Tribunal au point 70, dernière phrase, de l'arrêt attaqué, selon laquelle «les documents en cause n'ont pas été envoyés à leurs destinataires par le requérant, et sa signature ne figure sur aucun de ceux-ci», s'accompagnerait d'un défaut de motivation et d'une erreur de qualification.

36 Pour ce qui est de la motivation, le fait que M. Hautem n'a pas signé ces documents n'empêcherait pas qu'il ait participé activement à la décision de les envoyer et de les utiliser.

37 En ce qui concerne la qualification de la nature juridique des faits constatés, le Tribunal, en excluant toute intention de M. Hautem de participer à l'envoi et à l'utilisation de ces documents, aurait erronément conclu que, dans le chef de M. Hautem, ces faits ne pouvaient pas être considérés comme la participation concrète à l'accomplissement d'actes de nature clairement commerciale. Il s'agirait là d'une limitation inadmissible de la notion d'acte de commerce.

38 Par ailleurs, s'agissant des constatations relatives à la déclaration de M. Ingargiola à Interseco qui figurent au point 71 de l'arrêt attaqué, la Banque souligne d'abord que cette déclaration est en contradiction manifeste avec la télécopie du 28 octobre 1996. En outre, il apparaîtrait un manque de cohérence entre ladite déclaration et la lettre du 27 septembre 1996, qui serait rédigée de manière à laisser croire qu'elle émane de M. Hautem agissant en qualité d'«administrateur délégué, management et marketing» de Mon de l'Evasió.

39 Ensuite, la Banque fait valoir que, au point 72 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a accordé une valeur importante à la lettre de rétractation de M. Ingargiola du 19 novembre 1996, alors que, au point 70 de l'arrêt Yasse/BEI, précité, il aurait indiqué qu'il ne croyait pas à la spontanéité de cette rétractation.

40 Enfin, la motivation figurant au point 73 de l'arrêt attaqué quant à la lettre du 27 septembre 1996 devrait être considérée comme insuffisante et contradictoire. Le Tribunal aurait dû, d'une part, tenir compte du fait que cette lettre pouvait seulement provenir de M. Hautem et, d'autre part, la lire dans le contexte des faits qui lui avaient été imputés.

41 M. Hautem soutient que cette première branche du premier moyen n'est pas recevable parce qu'elle impliquerait une analyse des faits par la Cour et qu'elle n'est pas fondée sur une argumentation juridique; en effet, la Banque ne donnerait aucune définition de ce qu'elle entend par «acte de commerce».

42 Le grief de la Banque relatif à un défaut de motivation de l'arrêt attaqué, en ce que le Tribunal n'aurait pas explicité en quoi la collaboration accordée par M. Hautem à son épouse et à M. Yasse aurait exclusivement un caractère occasionnel et limité, ne serait pas recevable non plus, car le Tribunal aurait tenu compte de tous les éléments de preuve fournis, dont il apprécie souverainement la force probante, et aurait motivé à suffisance sa position en la matière.

43 Quant au fond, M. Hautem soutient qu'aucun des actes qui lui sont reprochés par la Banque dans son pourvoi ne constitue un acte de commerce.

Appréciation de la Cour

Sur la recevabilité

44 Il ressort des articles 225 CE et 51 du statut CE de la Cour de justice que le pourvoi est limité aux questions de droit et que, dès lors, le Tribunal est seul compétent pour constater les faits, sauf dans le cas où l'inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et pour apprécier ces faits. L'appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt du 21 juin 2001, Moccia Irme e.a./Commission, C-280/99 P à C-282/99 P, non encore publié au Recueil, point 78).

45 En revanche, la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l'article 225 CE, un contrôle sur la qualification juridique de ces faits et les conséquences de droit qui ont été tirées par le Tribunal (voir arrêt du 28 mai 1998, Deere/Commission, C-7/95 P, Rec. p. I-3111, point 21). En outre, la question de savoir si la motivation d'un arrêt du Tribunal est contradictoire ou insuffisante constitue une question de droit pouvant, en tant que telle, être invoquée dans le cadre d'un pourvoi (arrêt du 7 mai 1998, Somaco/Commission, C-401/96 P, Rec. p. I-2587, point 53).

46 En l'espèce, la première branche du premier moyen du pourvoi est tirée d'une qualification juridique erronée des faits et d'une erreur de motivation de la part du Tribunal. Toutefois, cette branche du moyen repose en grande partie sur des arguments tendant à critiquer non l'appréciation en droit, mais plutôt l'appréciation en fait que le Tribunal a effectuée au vu des preuves apportées devant lui, alors que celle-ci échappe au contrôle de la Cour. Ces arguments doivent donc être déclarés irrecevables.

47 Il en est ainsi, d'abord, des arguments par lesquels la Banque reproche au Tribunal, d'une part, d'avoir, au point 70 de l'arrêt attaqué, refusé de considérer que M. Hautem avait participé de manière active et intéressée à la création des documents trouvés dans l'ordinateur de M. Yasse et, d'autre part, d'avoir exclu toute intention de M. Hautem de participer à l'envoi et à l'utilisation de ces documents. Ces arguments sont en effet destinés à contester l'appréciation en fait du Tribunal selon laquelle M. Hautem s'est limité à collaborer avec M. Yasse à la rédaction des quatre documents trouvés dans l'ordinateur de celui-ci, sans avoir procédé à leur signature ni à leur envoi.

48 Il en est également ainsi, ensuite, des arguments par lesquels la Banque reproche au Tribunal d'avoir mal apprécié, au point 71 de l'arrêt attaqué, la déclaration de M. Ingargiola à Interseco, eu égard à la télécopie du 28 octobre 1996. Ces arguments tendent à critiquer l'appréciation en fait du Tribunal selon laquelle cette télécopie ne saurait constituer une preuve suffisante de l'exercice par M. Hautem d'une activité professionnelle de nature commerciale.

49 Enfin, il en est de même de l'argument par lequel la Banque reproche au Tribunal de n'avoir pas tenu compte, au point 73 de l'arrêt attaqué, du fait que la lettre du 27 septembre 1996 pouvait seulement provenir de M. Hautem. En effet, tant la détermination de l'auteur d'une lettre que la nécessité de procéder à son identification au vu des éléments à établir relèvent de l'appréciation des faits, qui est effectuée de manière souveraine par le Tribunal.

Sur le fond

50 Concernant la qualification en droit de la participation de M. Hautem à la rédaction des documents trouvés dans l'ordinateur de M. Yasse, il convient de relever que, au point 70 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que cette participation, même si elle peut être considérée comme une aide à l'exercice d'une activité commerciale, ne saurait être qualifiée d'exercice d'une activité professionnelle de nature commerciale au sens de l'article 4 du règlement du personnel.

51 Cette qualification du Tribunal n'est entachée d'aucune erreur de droit, étant donné que, selon l'appréciation souveraine des faits effectuée par le Tribunal, M. Hautem s'est limité à collaborer à la création des documents trouvés dans l'ordinateur de M. Yasse et ne les a ni envoyés ni signés.

52 Eu égard à la constatation figurant au point précédent, aucune erreur de motivation ne peut non plus être relevée au point 70 de l'arrêt attaqué en raison du fait que le Tribunal n'a pas estimé nécessaire de se prononcer sur la véracité des affirmations de M. Hautem quant à certains de ces documents.

53 De même, la motivation figurant au point 70, dernière phrase, de l'arrêt attaqué n'est pas entachée d'une erreur. En effet, contrairement à ce que soutient la Banque, le Tribunal ne fonde pas sa constatation selon laquelle M. Hautem n'a pas envoyé les documents en question sur le fait qu'il ne les a pas signés. Il invoque l'absence de signature comme un élément additionnel corroborant la conclusion à laquelle il est parvenu sur le fondement des preuves qui lui ont été apportées, à savoir que M. Hautem a seulement contribué à la création de ces documents.

54 Quant à l'erreur qui, selon la Banque, entache la motivation figurant au point 72 de l'arrêt attaqué et qui résulterait d'une contradiction entre la valeur qui y est attribuée à la lettre de rétractation de M. Ingargiola du 19 novembre 1996 et celle attribuée à la même lettre au point 70 de l'arrêt Yasse/BEI, précité, où le Tribunal ferait apparaître qu'il ne croit pas à la spontanéité de cette rétractation pour ce qui concerne les actes reprochés à M. Yasse, il convient de situer le point 72 de l'arrêt attaqué dans son contexte.

55 Ainsi, au point 71 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a conclu que la télécopie du 28 octobre 1996 ne saurait constituer une preuve suffisante de l'exercice par M. Hautem d'une activité professionnelle de nature commerciale, en se fondant sur les déclarations de M. Ingargiola à Interseco qui soulignaient précisément la différence d'implication de M. Hautem et de M. Yasse dans les relations commerciales avec Skit-Ball SARL.

56 C'est donc dans ce contexte que le Tribunal a constaté au point 72 de l'arrêt attaqué que, en ce qui concerne M. Hautem, le contenu de la lettre de rétractation de M. Ingargiola du 19 novembre 1996 était confirmé par les déclarations de M. Ingargiola à Interseco.

57 Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient la Banque, la motivation figurant au point 72 de l'arrêt attaqué n'est pas entachée d'une erreur.

58 Dès lors, la première branche du premier moyen doit être rejetée.

Quant à la deuxième branche

Arguments des parties

59 La Banque soutient qu'est erronée la constatation, formulée au point 69 de l'arrêt attaqué, selon laquelle il n'a pas été établi que M. Hautem s'est prévalu de son appartenance à la Banque d'une manière contraire au règlement du personnel. Le Tribunal n'aurait pas pris en considération le fait que, en participant à la décision d'envoyer au Crédit Andorrà les télécopies trouvées dans l'ordinateur de M. Yasse et, en particulier, la télécopie relative à la demande d'une ligne de crédit le concernant, M. Hautem a certainement contribué à impliquer la Banque dans une activité de nature commerciale. En outre, au point 76 de l'arrêt Yasse/BEI, précité, le Tribunal ferait état du fait que cette télécopie a été envoyée depuis la Banque sur un papier à l'en-tête de celle-ci.

60 M. Hautem répond que le Tribunal, en se fondant sur les éléments de preuve que la Banque lui avait fournis, a pu apprécier que la preuve des faits allégués n'avait pas été apportée à suffisance. La Cour ne pourrait exercer un contrôle sur la qualification juridique de faits inexistants ou de faits existants mais non établis. La référence faite par la Banque à l'arrêt Yasse/BEI, précité, ne serait pas pertinente.

Appréciation de la Cour

61 Il convient de relever à cet égard que la deuxième branche du premier moyen du pourvoi repose sur une prémisse factuelle, à savoir la participation de M. Hautem à la décision d'envoyer au Crédit Andorrà les télécopies trouvées dans l'ordinateur de M. Yasse, qui va à l'encontre de l'appréciation effectuée de manière souveraine par le Tribunal au point 70 de l'arrêt attaqué. En effet, le Tribunal y a jugé que M. Hautem s'est limité à collaborer à la rédaction des quatre documents trouvés dans l'ordinateur de M. Yasse et qu'il n'a pas participé à leur envoi.

62 Cette constatation ne pouvant plus être contestée au stade du pourvoi, la deuxième branche du premier moyen doit être déclarée irrecevable.

Quant à la troisième branche

63 La Banque prétend que c'est à tort que le Tribunal a jugé, au point 70 de l'arrêt attaqué, que M. Hautem n'avait pas procédé à une utilisation impropre et abusive du matériel de la Banque. Elle réitère dans le cadre de cette branche du moyen ses arguments selon lesquels M. Hautem avait un intérêt concret à participer non seulement à la rédaction de deux des documents trouvés dans l'ordinateur de M. Yasse, mais également à leur expédition, ce qui expliquerait sa participation active à l'utilisation du matériel de la Banque à des fins non consenties par celle-ci, en violation de l'article 1er du règlement du personnel.

64 M. Hautem soutient que la Banque se limite à tenter de fournir la preuve d'un intérêt à l'exécution d'un acte prétendument répréhensible mais reste en défaut d'établir la preuve de l'exécution dudit acte. Cette argumentation de la Banque serait en outre dénuée de pertinence, l'appréciation des preuves n'étant pas du ressort de la Cour.

Appréciation de la Cour

65 Il suffit de constater à cet égard que la troisième branche du premier moyen repose sur une prémisse factuelle, à savoir la participation de M. Hautem à l'expédition de deux des documents trouvés dans l'ordinateur de M. Yasse, laquelle, ainsi qu'il a été relevé au point 61 du présent arrêt, va à l'encontre de l'appréciation effectuée de manière souveraine par le Tribunal au point 70 de l'arrêt attaqué.

66 Dès lors, la troisième branche du premier moyen doit être déclarée irrecevable.

Quant à la quatrième branche

Arguments des parties

67 La Banque fait valoir que, en refusant de reconnaître que M. Hautem a adopté des comportements tendant à dissimuler sa participation à l'activité de Mon de l'Evasió et en rejetant ainsi implicitement le grief que la Banque a formulé à cet égard sur le fondement de l'article 1er du règlement du personnel, le Tribunal a mal qualifié, au regard de cette disposition, la nature juridique du comportement de M. Hautem et n'a pas tenu compte des «raisons profondes» justifiant son licenciement.

68 La Banque se réfère notamment au comportement prétendument ambigu adopté par M. Hautem lors de la procédure disciplinaire ainsi qu'au cours de la procédure devant le Tribunal, où il aurait avalisé des déclarations de M. Yasse contraires à la vérité.

69 M. Hautem soutient que la Banque n'a jamais mentionné devant le Tribunal l'existence des «raisons profondes» justifiant son licenciement, de sorte qu'elle ne peut pas reprocher au Tribunal d'en avoir fait totalement abstraction dans l'arrêt attaqué. Il s'agirait, par conséquent, d'un moyen nouveau que la Cour ne peut prendre en considération.

70 Par ailleurs, juger que le comportement de M. Hautem dans le cadre de la procédure de licenciement constitue un motif de nature à justifier la mesure de licenciement prononcée reviendrait, d'une part, à interdire d'agir à l'agent menacé d'une telle mesure, de crainte de voir sa situation s'aggraver, et, d'autre part, à considérer des éléments extérieurs aux faits ayant été à l'origine de la procédure disciplinaire. La Banque connaîtrait les motifs qui ont contraint M. Hautem, dont la défense était assurée initialement par les mêmes représentants que ceux de M. Yasse, à se distinguer de ce dernier lorsqu'il s'est avéré, à la fin de la procédure écrite devant le Tribunal, que M. Yasse s'était rendu coupable de falsification de documents afin de minimiser sa responsabilité dans les faits qui lui étaient reprochés.

Appréciation de la Cour

71 Il suffit de relever à cet égard que le Tribunal a constaté, au point 75 de l'arrêt attaqué, que les éléments de preuve apportés par la Banque ne sauraient établir ni que M. Hautem avait exercé une activité professionnelle de nature commerciale ni qu'il s'était prévalu de son appartenance à la Banque, l'avait impliquée ou avait personnellement utilisé les moyens matériels de celle-ci. Compte tenu que ces griefs fondaient, selon la décision attaquée, le licenciement de M. Hautem, le Tribunal a conclu à juste titre qu'il ne devait plus rechercher si ce licenciement aurait pu être justifié par le comportement de M. Hautem au cours de la procédure disciplinaire et, à plus forte raison, au cours de la procédure devant le Tribunal.

72 La quatrième branche du premier moyen doit, dès lors, être rejetée.

Quant à la cinquième branche

Arguments des parties

73 En ce qui concerne la prétendue violation par M. Hautem de l'article 5 du règlement du personnel, qui impose aux membres du personnel de déclarer l'activité professionnelle de leur conjoint, la Banque soutient que le point 76 de l'arrêt attaqué contient une motivation insuffisante ainsi qu'une qualification erronée en droit. Elle s'en remet, toutefois, à la sagesse de la Cour pour évaluer, dans le contexte des faits graves reprochés à M. Hautem, l'importance de cette violation.

74 M. Hautem soutient que ce moyen est irrecevable en ce que la Banque demande à la Cour de se prononcer sur des faits que le Tribunal n'a pas appréciés.

Appréciation de la Cour

75 Il convient de constater à cet égard que la cinquième branche du premier moyen est dirigée contre une constatation en droit figurant au point 76 de l'arrêt attaqué et qu'elle doit, pour ce motif, être déclarée recevable.

76 Quant au fond, le Tribunal a jugé au point 76 de l'arrêt attaqué que l'examen du grief tenant à l'absence de déclaration par M. Hautem de l'activité de son épouse au sein de Mon de l'Evasió n'était pas nécessaire parce que, la Banque ayant commis une erreur manifeste d'appréciation des faits, la décision attaquée devait en tout état de cause être annulée.

77 Un tel raisonnement apparaît erroné en droit, parce que la décision attaquée aurait pu, le cas échéant, être encore justifiée par la violation de l'article 5 du règlement du personnel. Or, le Tribunal a omis d'apprécier l'importance que pouvait revêtir, pour la légalité de la décision attaquée, l'absence de déclaration par M. Hautem de l'activité de son épouse.

78 Toutefois, cette erreur du Tribunal ne saurait avoir de conséquence. Il est manifeste que le seul défaut de déclaration de l'activité du conjoint, en violation de l'article 5 du règlement du personnel, à le supposer établi, ne saurait, compte tenu notamment de la nature des fonctions occupées par M. Hautem au sein de la Banque, justifier une sanction aussi grave que le licenciement prononcé.

79 La cinquième branche du premier moyen doit donc être rejetée.

80 Eu égard aux considérations qui précèdent, le premier moyen doit être rejeté dans son ensemble.

Sur le second moyen

Arguments des parties

81 La Banque soutient que, au point 77 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a méconnu les règles contractuelles applicables aux relations de travail entre la Banque et son personnel, en jugeant que, par application analogique de l'article 91, paragraphe 1, du statut, il disposait d'une compétence de pleine juridiction et pouvait donc condamner la Banque à payer à M. Hautem un arriéré de rémunérations. Se référant aux articles 13 et 44 du règlement du personnel et à l'arrêt du 15 juin 1976, Mills/BEI (110/75, Rec. p. 955, points 22 et 25), elle fait valoir que les règles applicables à ces relations de travail ont principalement pour sources le règlement du personnel et le contrat passé entre la Banque et chacun de ses agents. Il y aurait donc lieu de différencier substantiellement le régime du personnel de la Banque, qui est de nature contractuelle, du régime des fonctionnaires des Communautés européennes, qui est de nature statutaire.

82 Dès lors, la Banque conteste que, en cas de licenciement d'un membre de son personnel, il puisse être fait une application «par analogie» d'une règle contenue dans le statut.

83 La Banque soutient plus particulièrement que, en la condamnant à verser à M. Hautem l'arriéré des rémunérations qu'il aurait dû percevoir depuis la date de son licenciement, le Tribunal s'est inscrit dans une logique statutaire qui, selon l'arrêt Mills/BEI, précité, ne saurait être appliquée en l'espèce. Il ne pourrait exister, même en cas d'annulation d'une décision de licenciement de la Banque, ni reconstitution de carrière de l'employé licencié ni réintégration, ces notions étant absolument étrangères à la nature juridique d'un régime contractuel. En ce cas, il y aurait seulement lieu de prévoir une indemnisation (voir arrêt Mills/BEI, précité, point 24).

84 De plus, eu égard au fait qu'il ne se serait pas prononcé sur la réintégration de M. Hautem, le Tribunal se serait contredit puisque, d'une part, il se serait appuyé sur une logique statutaire pour ordonner le paiement d'arriérés de rémunérations et que, d'autre part, il ne se serait pas prononcé sur la réintégration, laquelle dépend du seul pouvoir de la Banque en vertu des règles de droit qui lui sont applicables.

85 La Banque ajoute que, en réalité, le Tribunal a décidé d'office au point 77 de l'arrêt attaqué la réparation du préjudice soi-disant subi par M. Hautem, alors que celui-ci n'avait réclamé, en première instance, l'octroi de dommages et intérêts qu'à défaut d'annulation de la décision de licenciement dont il avait été l'objet.

86 M. Hautem fait valoir que le second moyen du pourvoi n'a été ni mentionné ni développé dans le cadre de la procédure devant le Tribunal et qu'il constitue dès lors un moyen nouveau qui doit être rejeté comme irrecevable.

Appréciation de la Cour

Sur la recevabilité

87 En vertu de l'article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, rendu applicable à la procédure de pourvoi par l'article 118 du même règlement, la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

88 Il y a lieu de constater que, en l'espèce, la Banque n'a évidemment pas pu prendre connaissance, au cours de la procédure devant le Tribunal, du raisonnement figurant au point 77 de l'arrêt attaqué.

89 Il s'ensuit que le second moyen du pourvoi est fondé sur un élément de droit qui s'est révélé pendant la procédure au sens de l'article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour et que, partant, il doit être déclaré recevable.

Sur le fond

90 S'agissant, d'abord, de la question de savoir si le Tribunal a commis une erreur de droit en appliquant par analogie l'article 91, paragraphe 1, du statut dans un litige entre la Banque et un de ses agents en vue de fonder sa compétence de pleine juridiction, il convient de prendre en considération l'article 41 du règlement du personnel.

91 Selon cette disposition, les «différends de toute nature d'ordre individuel entre la Banque et les membres de son personnel sont portés devant la Cour de justice des Communautés européennes».

92 Il s'ensuit que l'article 41 du règlement du personnel n'enlève pas à la compétence de la Cour, et donc du Tribunal, les litiges de nature pécuniaire entre la Banque et ses agents et qu'il ne pose pas, pour l'exercice de cette compétence, des limites dépendant de la nature particulière d'un litige.

93 Certes, l'exercice de cette compétence par le Tribunal et la Cour ne saurait méconnaître les particularités qui caractérisent le régime du personnel de la Banque, lequel est de nature contractuelle, ainsi que la Cour l'a constaté au point 22 de son arrêt Mills/BEI, précité.

94 Cependant, la nature particulière du régime du personnel de la Banque n'exclut pas la reconnaissance au Tribunal et à la Cour d'une compétence de pleine juridiction dans les litiges de caractère pécuniaire entre la Banque et ses agents. Au contraire, elle la corrobore. En effet, en l'absence d'une limitation expressément prévue dans la réglementation applicable, le juge du contrat jouit en règle générale d'une compétence de pleine juridiction pour connaître des litiges qui se rapportent au contrat.

95 Par conséquent, le Tribunal a, à juste titre, constaté qu'il disposait, par application analogique de la règle prévue à l'article 91, paragraphe 1, du statut, d'une compétence de pleine juridiction pour statuer sur les aspects pécuniaires du litige qui oppose M. Hautem à la Banque.

96 S'agissant, ensuite, de la question de savoir si le Tribunal a méconnu la nature contractuelle du régime du personnel de la Banque en condamnant celle-ci à payer à M. Hautem l'arriéré des rémunérations qu'il aurait dû percevoir depuis la date de son licenciement, force est de constater que, contrairement à ce que soutient la Banque, cette décision du Tribunal ne s'inscrit pas dans une logique statutaire, dans la mesure où l'octroi de l'arriéré des rémunérations constitue la conséquence qui s'attache habituellement à la constatation de l'illégalité d'une décision de licenciement, y compris dans un régime contractuel.

97 Enfin, il ressort du point 35 de l'arrêt attaqué que M. Hautem avait demandé au Tribunal de condamner la Banque à lui payer les arriérés de ses rémunérations.

98 Dès lors, le second moyen doit être rejeté.

99 Eu égard aux considérations qui précèdent, le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

100 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. M. Hautem ayant conclu à la condamnation de la Banque et cette dernière ayant succombé en son pourvoi, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre)

déclare et arrête:

1) Le pourvoi est rejeté.

2) La Banque européenne d'investissement est condamnée aux dépens.