61999C0325

Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 9 novembre 2000. - G. van de Water contre Staatssecretaris van Financiën. - Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad der Nederlanden - Pays-Bas. - Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Droits d'accise - Directive 92/12/CEE - Exigibilité de l'accise - Mise à la consommation de produits soumis à accise - Notion - Simple détention d'un produit soumis à accise. - Affaire C-325/99.

Recueil de jurisprudence 2001 page I-02729


Conclusions de l'avocat général


I - Introduction

1. Le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas) a saisi la Cour de justice d'une question préjudicielle concernant l'interprétation de l'article 6, paragraphe 1, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (ci-après la «directive»).

2. Le Hoge Raad veut savoir si, lorsqu'aucun droit d'accise n'a été payé, la seule détention de produits soumis à accise peut être considérée comme une mise à la consommation au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la directive, de sorte que le droit d'accise est alors dû et son paiement devient exigible.

3. La question posée par le Hoge Raad vise à obtenir de la Cour qu'elle se prononce sur l'interprétation de la notion de «mise à la consommation» employée dans la disposition précitée et qu'elle tranche la question relative à la détention de produits soumis à accise lorsque les droits d'accise n'ont pas encore été liquidés et acquittés .

II - Les faits

4. M. Van de Water, demandeur au principal, a acheté à un tiers une certaine quantité d'alcool en vue d'élaborer du genièvre. La fabrication a été effectuée, avec l'aide de trois autres personnes, dans un hangar loué à Barendrecht, au sud des Pays-Bas.

5. Le 8 septembre 1995, en présence de l'intéressé, les autorités compétentes ont effectué une perquisition dans ce hangar, au cours de laquelle ont été trouvés des récipients contenant de l'alcool à 96,2 ° ainsi que des jerricanes et des bouteilles remplis de genièvre.

6. Les agents qui ont effectué la perquisition ont conclu que le droit d'accise sur l'alcool correspondant aux produits en question n'avait pas été payé, car aucun de ces produits n'était couvert par des documents douaniers ou attestations de suspension , et parce que le hangar n'avait fait l'objet d'aucune autorisation pour servir d'entrepôt fiscal.

7. À la suite de ces événements, M. Van de Water a reçu un avis de redressement l'invitant à payer des droits d'accise sur l'alcool à deux titres: la fabrication du genièvre qu'il avait élaboré et la détention ou possession de la matière première alcoolique qu'il tenait prête pour fabriquer encore plus de genièvre. La réclamation qu'il a introduite contre cet avis de redressement devant l'inspecteur des contributions a été rejetée.

III - La procédure au principal et la question préjudicielle

8. M. Van de Water a formé un recours devant le Gerechtshof te 's Gravenhage qui, par arrêt du 6 février 1998, lui a donné partiellement gain de cause. En effet, d'après l'ordonnance de renvoi, le Gerechtshof a estimé que la détention de la matière première alcoolique par le demandeur n'était pas soumise à accise puisque ce dernier ne l'avait pas sortie d'un régime suspensif au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la directive.

9. Aussitôt, l'intéressé s'est pourvu en cassation devant le Hoge Raad, sans que les parties aient jamais soulevé au cours du procès la question des éventuelles répercussions de la directive sur le litige. C'est le juge de cassation lui-même qui a soulevé cette question d'office.

10. Le Hoge Raad incline à penser que la seule détention d'un produit soumis à accise, sans que celle-ci ait été acquittée au sens des dispositions de la loi, ne peut être considérée comme une mise à la consommation au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la directive. Néanmoins, comme ce point de vue peut, à son avis, être discuté, il a décidé de saisir la Cour de justice de la question préjudicielle suivante:

«La seule détention d'un produit soumis à accise au sens de l'article 3, paragraphe 1, de la directive peut-elle être considérée comme une mise à la consommation au sens de l'article 6, paragraphe 1, de cette directive, si et dans la mesure où l'accise n'a pas encore été acquittée pour ce produit conformément aux dispositions communautaires et à la législation nationale applicables?»

IV - Le cadre juridique

A - La réglementation communautaire

11. L'article 3, paragraphe 1, de la directive dispose:

«La présente directive est applicable, au niveau communautaire, aux produits suivants tels que définis dans les directives y afférentes:

- les huiles minérales [],

- l'alcool et les boissons alcooliques [],

- les tabacs manufacturés []

...»

12. Conformément à l'article 5, paragraphe 1, «les produits visés à l'article 3 paragraphe 1 sont soumis à accise lors de leur production sur le territoire de la Communauté ... ou lors de leur importation sur ce territoire».

13. L'article 6 établit que:

«1. L'accise devient exigible lors de la mise à la consommation []... .

Est considérée comme mise à la consommation de produits soumis à accise:

a) toute sortie, y compris irrégulière, d'un régime suspensif;

b) toute fabrication, y compris irrégulière, de ces produits hors d'un régime suspensif;

c) toute importation, y compris irrégulière, de ces produits lorsque ces produits ne sont pas mis sous un régime suspensif...».

Pour sa part, l'article 9 dispose:

«1. Sans préjudice des articles 6, 7 et 8 [], l'accise devient exigible lorsque les produits mis à la consommation dans un État membre sont détenus [] à des fins commerciales dans un autre État membre...».

14. Enfin, l'article 11, paragraphe 2, prévoit que «la production, la transformation et la détention de produits soumis à accise, lorsque celle-ci n'est pas acquittée, ont lieu dans un entrepôt fiscal».

B - La législation néerlandaise

15. Aux Pays-Bas, la réglementation sur les droits d'accise est contenue dans la Wet op de accijns (loi relative aux droits d'accise - ci-après la «loi») du 31 octobre 1991 , qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1992. Afin d'incorporer la directive dans l'ordre juridique néerlandais, la loi a fait l'objet d'un profond remaniement par une loi du 24 décembre 1992 , qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1993.

16. Dans son article 1er, paragraphe 1, la loi énumère les marchandises soumises à accise, qui incluent, outre le vin et la bière, les produits intermédiaires et les autres produits alcooliques.

17. D'après l'article 1er, paragraphe 2, de la loi, l'accise devient exigible lors de la mise à la consommation des produits soumis à accise ; par mise à la consommation, il faut entendre la sortie de l'entrepôt fiscal, c'est-à-dire de tout endroit aux Pays-Bas où, conformément aux dispositions de la loi, les produits soumis à accise peuvent être fabriqués, transformés, détenus, reçus et expédiés en suspension de droits [article 2, paragraphe 1, combiné aux dispositions de l'article 1a, sous d)].

18. Cependant, la loi considère également comme mise à la consommation la fabrication de produits soumis à accise en dehors d'un entrepôt fiscal ainsi que la détention de ces produits lorsque le droit d'accise n'a pas encore été acquitté conformément aux dispositions de la loi [article 2, sous f), en combinaison avec l'article 5, paragraphe 1, de la loi]. Dans ces cas, la personne responsable de la fabrication ou de la détention irrégulières est tenue au paiement du droit à partir du moment de la fabrication du produit ou à partir du moment où elle a commencé à détenir celui-ci [article 51a, sous f), et 52a, sous d)].

V - La procédure devant la Cour de justice

19. Des observations écrites ont été présentées dans le délai fixé à l'article 20 du statut CE de la Cour de justice par le gouvernement néerlandais et par la Commission.

20. Étant donné qu'aucune des parties n'a demandé à présenter des observations orales, la Cour a décidé, conformément à l'article 104, paragraphe 4, de son règlement de procédure , de renoncer à la procédure orale.

VI - Les particularités du débat procédural devant le Hoge Raad

21. Ainsi que je l'ai souligné, le Gerechtshof te 's Gravenhage a partiellement accueilli le recours introduit par M. Van de Water. Estimant que la fabrication de genièvre est une activité soumise au droit d'accise sur l'alcool, conformément à l'article 2, sous f), de la loi, il a rejeté le recours en tant qu'il était dirigé contre la partie de l'avis de redressement relative à la fabrication de genièvre. En revanche, il a accueilli le recours en ce qui concerne la matière première alcoolique, car, selon lui, la détention de cette matière première par le demandeur n'était pas soumise à accise.

22. C'est dans cette situation que M. Van de Water a introduit un pourvoi en cassation. Avec ce pourvoi, il poursuit, bien entendu, la révocation de l'arrêt entrepris en tant qu'il a maintenu l'avis de redressement pour l'élaboration de genièvre à partir d'alcool à 96,2 ° , mais il ne conteste en aucun cas l'appréciation portée par le Gerechtshof sur la détention de la matière première alcoolique. Cette question n'a pas été soulevée devant le Hoge Raad par le demandeur, de sorte que, l'arrêt entrepris n'ayant été contesté par aucune des autres parties au litige, elle est initialement restée en dehors du débat au stade de la cassation. Or, le Hoge Raad s'en est saisi d'office . S'il l'a fait, c'est parce qu'il envisageait la possibilité de désavouer sur ce point la juridiction d'appel et d'affirmer que la détention de matières premières alcooliques est également soumise à accise.

23. Je ne sais pas - et la Cour n'a pas besoin de savoir - la portée qu'une telle décision pourrait revêtir. J'ignore si elle est susceptible d'annuler l'arrêt attaqué et de rétablir la plénitude juridique de l'avis de redressement en tant qu'il se rapporte à la détention de la matière première alcoolique, ce qui reviendrait à une reformatio in peius. Je ne sais pas non plus si, au contraire, il s'agirait d'une décision purement déclarative et pro futuro, dont le propos serait de tracer la voie pour l'avenir sans affecter la situation juridique individualisée reconnue dans la décision du Gerechtshof .

24. En toute hypothèse, la portée d'une éventuelle décision du Hoge Raad en la matière est dépourvue de pertinence pour répondre à la question préjudicielle. Cette portée devra être éclaircie sur le terrain du droit procédural néerlandais, où la Cour doit se garder d'intervenir , et, si j'ai voulu relever ce problème, c'est pour mieux éclairer cette dernière, car elle a besoin d'un panorama complet de tous les éléments de fait et de droit relatifs à l'affaire pour répondre à la juridiction nationale.

VII - Analyse de la question préjudicielle

A - Le système général de la directive

25. Les droits d'accise sont des impôts indirects sur la consommation qui, comme la Commission le relève dans ses observations écrites, peuvent avoir un double objectif: en premier lieu, fournir des recettes au Trésor public, en deuxième lieu - ce qui n'est pas moins important - dissuader de la consommation de certains produits. Cette dualité d'objectifs se manifeste dans la directive elle-même et a été soulignée par la Cour dans l'arrêt Commission/France , où elle a affirmé que son but était de permettre aux États membres d'introduire d'autres impositions indirectes poursuivant une finalité spécifique, c'est-à-dire autre que budgétaire.

26. Cependant, même si ce qui précède est vrai, le panorama de la directive n'en est pas moins beaucoup plus étendu. Son objectif est de contribuer à la réalisation du marché intérieur par la libre circulation des marchandises soumises à accise . À cette fin, elle impose le rapprochement des législations des États membres réglementant ces types d'imposition afin «d'assurer que l'exigibilité de l'accise soit identique dans tous les États membres» .

27. D'un autre côté, la création et le fonctionnement de ce marché intérieur, en ce qui concerne la libre circulation des marchandises soumises aux droits d'accise, doivent être assurés sans entraver le recouvrement de ces droits par les États membres. Il est indispensable d'équilibrer la balance de telle façon que chacun de ces objectifs soit réalisé sans porter atteinte à l'autre .

28. C'est ainsi que le législateur communautaire a élaboré un système qui, sans renoncer à la libre circulation des marchandises, garantit la perception des droits d'accise qui pèsent sur elles: 1) par l'établissement de règles communes d'exigibilité du droit d'accise (égalité dans le fait imposable et uniformité dans l'exigibilité); 2) en soumettant la circulation intracommunautaire des marchandises soumises à accise à des conditions et garanties qui, sans porter atteinte à celle-ci, permettent d'identifier et de localiser sur le territoire communautaire les produits pour lesquels l'accise n'est pas encore devenue exigible alors que le fait imposable s'est déjà réalisé.

29. Après avoir déterminé les marchandises auxquelles elle va s'appliquer et qui sont susceptibles de faire l'objet de dispositions communautaires (les huiles minérales, l'alcool, les boissons alcooliques et les tabacs manufacturés) , la directive érige en fait imposable la fabrication et l'importation sur le territoire de la Communauté des produits précités. Il ne peut en être autrement puisque, si l'on veut que le système soit efficace, la soumission à l'impôt doit se produire lorsque le produit ou la marchandise soumis à accise apparaissent sur le marché communautaire, soit qu'ils aient été importés soit qu'ils y soient fabriqués ou élaborés.

30. Comme il s'agit d'impôts sur la consommation, l'exigibilité doit se situer le plus près possible du consommateur final. C'est pourquoi l'article 6, paragraphe 1, de la directive prévoit que l'accise devient exigible lors de la mise à la consommation ou dans les situations qu'il assimile à cette dernière; il faut ajouter que le législateur considère comme essentiel qu'il en soit ainsi dans tous les États membres .

31. Par conséquent, le fait imposable est constitué par la fabrication ou l'importation sur le territoire de la Communauté des marchandises soumises à accise et l'exigibilité résulte de leur mise à la consommation. Or, il s'écoule en règle générale un laps de temps entre l'un et l'autre de ces faits et, plus important encore, l'État membre où l'accise sera exigible peut varier à cause de la circulation intracommunautaire des produits .

32. Un tel système exige de considérer fictivement que le moment où le produit est soumis à accise se confond avec celui où cette accise devient exigible, ce qui est réalisé au moyen d'une figure juridique particulière, le régime dit suspensif.

B - Le régime suspensif et la circulation intracommunautaire des produits soumis à accise

33. L'article 4, sous c), de la directive définit le régime suspensif comme étant «le régime fiscal applicable à la production, à la transformation, à la détention et à la circulation des produits en suspension de droits d'accises». Ce régime est appliqué aux produits pour lesquels, alors que le fait imposable (l'importation ou la fabrication) s'est déjà produit, l'accise n'est pas encore devenue exigible. Quelle que soit l'opération réalisée sur les marchandises concernées, l'accise n'est pas exigible dans cette situation.

34. L'efficacité du régime suspensif réclame un contrôle strict, pour éviter les «fuites». En d'autres termes, «afin d'assurer à terme la perception de la dette fiscale, une surveillance doit pouvoir être effectuée dans les unités de production comme de détention» .

35. À cette fin il est prévu que la production, la transformation et la détention de produits soumis à accise et placés en régime suspensif ne peuvent avoir lieu que dans un entrepôt fiscal dûment autorisé par l'État membre sur le territoire duquel ils se trouvent ; le titulaire de cet entrepôt, dénommé «entrepositaire agréé» , est tenu de respecter certaines obligations précises et doit se soumettre à des contrôles stricts , afin de garantir que la dette fiscale sera payée le moment venu par son débiteur.

36. Pour sa part, la circulation intracommunautaire de produits soumis à accise en régime suspensif ne peut, sauf exceptions , se faire qu'entre entrepôts fiscaux . En toute hypothèse, les produits doivent être accompagnés d'un document, établi par l'expéditeur, et qui devra identifier les marchandises transférées, voire, le cas échéant, d'un autre document attestant le paiement des droits d'accise dans l'État membre de destination ou le respect de toute autre obligation garantissant la perception de ces droits dans cet État . Le contrôle est encore renforcé par l'établissement d'un devoir général d'information des opérateurs économiques de chaque État membre à l'égard de leurs autorités fiscales sur les livraisons expédiées et reçues , devoir qui est rempli par le truchement du document précité.

37. Comme on peut le voir, entre la réalisation du fait imposable et le moment où le droit d'accise devient exigible, les produits soumis à accise sont isolés du monde extérieur, de manière à pouvoir être élaborés, transformés, détenus et transportés sur le territoire de la Communauté, sans que le droit d'accise devienne exigible.

38. La protection prend fin et le droit devient exigible dès lors que l'on agit en dehors du régime suspensif ou que l'on commet des irrégularités ou des infractions à l'occasion de la circulation intracommunautaire des marchandises soumises à accise. En effet, lorsque les activités donnant lieu à accise (l'importation et la fabrication) ont lieu en marge du régime suspensif ou lorsque la sortie de ce régime se produit à un moment différent de celui de la mise à la consommation, le législateur communautaire assimile ces situations à une mise à la consommation et, par conséquent, en fait des facteurs déclenchant l'exigibilité de l'accise, afin d'éviter que les marchandises soumises aux droits d'accise n'échappent à cette imposition .

39. Finalement, le régime suspensif est apuré lorsque l'imposition devient exigible à un titre ou à un autre: mise à la consommation au sens strict, situations assimilées à la mise à la consommation ou commission d'irrégularités ou d'infractions pendant la circulation intracommunautaire des marchandises. À ce moment, les «portes» s'ouvrent, car le contrôle des produits cesse d'intéresser, puisque les dispositions fiscales ont été respectées.

C - La détention de produits soumis à accise en dehors du régime suspensif alors que le droit n'a pas encore été acquitté

40. La volonté du législateur communautaire est qu'aucun produit soumis à accise n'échappe au régime suspensif sur le territoire de la Communauté tant que le droit d'accise n'a pas encore été payé. C'est pourquoi la simple détention d'un produit dans une telle situation donne lieu, dans le système de la directive, à l'exigibilité du droit.

41. En effet, dans ce régime fiscal, les opérations sur les produits soumis à accise ne peuvent être effectuées, comme on l'a vu, que dans des entrepôts fiscaux et les produits ne peuvent circuler qu'entre établissements de ce type. Une marchandise peut être détenue en dehors du régime en question si, une fois exigible, le droit a été liquidé et acquitté. En revanche, si la marchandise n'est pas dans un entrepôt fiscal ou ne circule pas entre entrepôts fiscaux et, en conséquence, si elle est restée hors du régime suspensif sans avoir payé auparavant le droit applicable, c'est parce qu'elle est indûment sortie de ce régime ou n'est pas entrée dans son champ d'application du fait qu'elle a été importée ou fabriquée en marge du système établi par la directive. Ce sont précisément ces situations que la directive elle-même assimile à la mise à la consommation dans son article 6, paragraphe 1.

42. Compte tenu de ces considérations, je crois que rien dans la directive n'empêche de considérer comme mise à la consommation la simple détention hors du régime suspensif d'un produit soumis à accise lorsque le droit d'accise pour ce produit n'a pas encore été payé. Tel est justement le cas de figure envisagé à l'article 2, sous f), de la loi qui, comme nous l'avons souligné ci-dessus, assimile à la mise à la consommation la détention de produits soumis à accise pour lesquels le droit n'a pas encore été payé «conformément aux dispositions de la loi», c'est-à-dire conformément au régime légal en matière de fabrication, d'importation et d'écoulement.

43. Il est vrai qu'il y a des situations de simple détention d'un produit qui ne sont pas susceptibles d'être assimilées à la mise à la consommation et d'entraîner l'exigibilité, mais il s'agit toujours de cas de détention qui ont lieu dans ce circuit fermé et étanche qu'est le régime suspensif. En effet, dans sa définition de l'entrepositaire agréé, la directive dit qu'il s'agit de la personne habilitée à «produire, transformer, détenir, recevoir et expédier des produits soumis à accise en suspension de droits» [article 4, sous a)]. Lorsqu'elle se réfère à la notion d'entrepôt fiscal, elle le définit comme étant «tout lieu où sont ... détenues ... par l'entrepositaire agréé ... en suspension de droits d'accise, des marchandises soumises à accise ...» [article 4, sous b)] et elle en fait ainsi l'unique enceinte où peut être effectuée «... la détention de produits soumis à accise, lorsque celle-ci n'est pas acquittée...» (article 11, paragraphe 2). Enfin, le régime suspensif est défini comme étant «le régime fiscal applicable à la production, à la transformation, à la détention et à la circulation des produits en suspension de droits d'accises...» .

44. Comme on peut le voir, il s'agit dans tous ces cas de détention de produits soumis à accise pour lesquels le droit n'a pas encore été payé, mais qui sont en régime suspensif, c'est-à-dire dans un entrepôt fiscal ou circulant entre deux entrepôts fiscaux . Lorsque le droit d'accise n'a pas encore été acquitté, la détention en dehors d'un entrepôt fiscal, comme cela a été le cas en l'espèce pour M. Van de Water, implique que le produit ait auparavant quitté le régime suspensif ou n'y soit jamais entré, soit l'un des cas de figure visés à l'article 6, paragraphe 1, de la directive.

45. La Commission relève dans ses observations écrites que, derrière la question posée par le Hoge Raad, transparaît en filigrane le problème posé par le fait que l'avis de redressement, en tant qu'il était fondé sur la détention de la matière première alcoolique, a été adressé à M. Van de Water et non pas à la personne qui lui a vendu cette matière première et qui est, à la fin des fins, celle qui a fait illicitement sortir cette matière première du régime suspensif. Mais cette décision, prise par les autorités fiscales néerlandaises en application de la loi , ne fait pas l'objet de la question posée à la Cour et ne doit en conséquence pas être examinée par cette dernière.

46. Selon moi, pour répondre à la question soulevée par le Hoge Raad, il n'est pas nécessaire de déterminer qui est tenu de payer le droit d'accise.

47. À cet égard, il ne faut pas oublier que, comme la Cour de justice l'a relevé dans son arrêt Commission/France, précité, l'harmonisation opérée par la directive n'est que partielle, puisqu'elle se contente de classer les produits, d'organiser un régime de circulation de ces derniers et de définir les conditions d'exigibilité de l'accise.

48. La directive indique les produits qui, dans le cadre du droit communautaire, sont soumis à accise , précise à quel moment intervient le fait imposable et à partir de quand l'accise est exigible . Elle dit également l'État où l'accise doit être perçue et, pour certains cas (parmi lesquels il n'y a pas celui de M. Van de Water), la personne qui doit la payer .

49. Le législateur communautaire a voulu que les autres conditions d'exigibilité, le taux d'imposition et la procédure pour la liquidation et le paiement de l'accise soient ceux en vigueur à la date de l'exigibilité dans l'État membre concerné . Autrement dit, la fixation de ces conditions, taux et procédures appartient à chaque État membre, à condition bien entendu de respecter les critères établis dans les directives relatives au rapprochement des taux et des structures fiscales .

50. Au bout du compte, ce que le Hoge Raad veut savoir, c'est si la détention de la matière première alcoolique par M. Van de Water, cas de figure envisagé à l'article 2, sous f), de la loi, peut être considérée comme une mise à la consommation au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la directive. Rien de plus et rien de moins. Une fois qu'il sera répondu à cette question, et si la réponse est affirmative, la désignation du débiteur de l'imposition (en d'autres termes, la question de savoir si M. Van de Water est tenu de payer l'accise ou non) incombera au Hoge Raad, qui procédera à la sélection et à l'interprétation des normes juridiques applicables.

51. J'estime que la Cour ne peut statuer sur une question qui ne lui a pas été posée par la juridiction nationale et qu'il n'est pas nécessaire de trancher pour répondre à celle dont la Cour a véritablement été saisie .

VIII - Conclusion

52. Partant des considérations exposées ci-dessus, je propose à la Cour de justice de répondre à la question posée par le Hoge Raad dans les termes suivants:

«L'article 6, paragraphe 1, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, ne s'oppose pas à ce que la simple détention de produits soumis à accise au sens de l'article 3, paragraphe 1, de la directive soit considérée comme une mise à la consommation lorsque lesdits produits sont détenus en dehors d'un régime suspensif et que l'accise n'a pas encore été acquittée conformément aux dispositions communautaires et à la législation nationale applicables.»