Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 19 octobre 1995. - The Queen contre Secretary of State for Health, ex parte Cyril Richardson. - Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice, Queen's Bench Division, Divisional Court - Royaume-Uni. - Egalité entre hommes et femmes - Exonération du paiement de frais médicaux - Champ d'application matériel de la directive 79/7/CEE - Lien avec l'âge de la retraite - Effets dans le temps de l'arrêt. - Affaire C-137/94.
Recueil de jurisprudence 1995 page I-03407
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
++++
1. Politique sociale ° Égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale ° Champ d' application matériel de la directive 79/7 ° Régime légal exonérant certaines catégories de personnes du paiement des frais médicaux ° Inclusion
(Directive du Conseil 79/7, art. 3, § 1)
2. Politique sociale ° Égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale ° Directive 79/7 ° Dérogation admise s' agissant des conséquences pouvant découler, pour d' autres prestations, de l' existence d' âges de retraite différents ° Portée ° Limitation aux seules discriminations liées nécessairement et objectivement à la différence de l' âge de la retraite ° Discrimination en matière d' exonération des frais médicaux ° Exclusion
(Directive du Conseil 79/7, art. 7, § 1, a))
3. Questions préjudicielles ° Interprétation ° Effets dans le temps des arrêts d' interprétation ° Effet rétroactif ° Limitation par la Cour ° Conditions ° Arrêt portant sur l' interprétation de la directive 79/7 relative à l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale ° Conditions non remplies ° Importance pour l' État membre concerné des conséquences financières de l' arrêt ° Critère non décisif
(Traité CE, art. 177; directive du Conseil 79/7, art. 4, § 1, et 7, § 1, a))
1. L' article 3, paragraphe 1, de la directive 79/7, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, doit être interprété en ce sens qu' un régime légal qui exonère du paiement des frais médicaux certaines catégories de personnes, et notamment certaines personnes âgées, relève du champ d' application de la directive.
En effet, un tel régime, même si, formellement, il ne fait pas partie d' une réglementation nationale relative à la sécurité sociale, assure en fait à ses bénéficiaires une protection contre le risque de maladie que vise ladite disposition.
2. L' article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, n' autorise pas un État membre qui, en application de cette disposition, a fixé l' âge de la retraite des femmes à 60 ans et celui des hommes à 65 ans, à prévoir également que les femmes bénéficient d' une exonération des frais médicaux dès l' âge de 60 ans et les hommes uniquement à partir de l' âge de 65 ans.
En effet, cette discrimination en matière de frais médicaux n' est pas nécessairement et objectivement liée à la différence quant à l' âge de la retraite. D' une part, en effet, du point de vue de l' équilibre financier, elle n' est pas nécessaire au niveau du régime des pensions, compte tenu, notamment, de ce que l' octroi de prestations relevant de régimes non contributifs à des personnes victimes de certains risques, sans considération du droit de ces personnes à une pension de vieillesse en vertu de périodes de cotisations accomplies, n' exerce pas une influence directe sur l' équilibre financier des régimes contributifs de pension, et n' apparaît pas l' être davantage au niveau du système de sécurité sociale dans son ensemble. D' autre part, du point de vue de la cohérence entre le régime des pensions et les autres régimes, elle ne s' impose pas car, s' il est vrai que l' accroissement des dépenses de santé lié à l' âge peut justifier qu' à partir d' un certain âge soit accordée une exonération des frais médicaux, rien n' impose que cet avantage soit accordé à l' âge légal de la retraite, fixé différemment selon le sexe, qui n' est pas forcément celui où cesse effectivement l' activité professionnelle et où les revenus diminuent en conséquence.
3. L' interprétation que, dans l' exercice de la compétence que lui confère l' article 177 du traité, la Cour donne d' une disposition de droit communautaire éclaire et précise, lorsque besoin en est, la signification et la portée de cette règle, telle qu' elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis son entrée en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l' arrêt statuant sur la demande d' interprétation, si, par ailleurs, les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l' application de ladite règle se trouvent réunies.
Eu égard à ces principes, ce n' est qu' à titre exceptionnel que la Cour peut, par application d' un principe général de sécurité juridique inhérent à l' ordre juridique communautaire, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d' invoquer une disposition qu' elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi.
Il n' y a point lieu pour la Cour d' user de cette possibilité s' agissant d' un arrêt aux termes duquel la dérogation à l' égalité entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale que permet l' article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7 en matière d' âge de la retraite n' autorise pas une discrimination entre hommes et femmes quant à l' âge à partir duquel est octroyé le bénéfice de l' exonération des frais médicaux, dès lors que l' État membre en cause ne s' est jamais mépris sur l' inclusion de l' exonération des frais médicaux dans le champ d' application de la directive, même si la Commission, avisée de la discrimination qu' il pratiquait, n' avait pas jugé utile d' agir pour la faire cesser, et que les conséquences financières auxquelles il pourrait avoir à faire face pour avoir violé l' interdiction de discrimination ne justifient pas, par elles-mêmes, la limitation dans le temps des effets d' un arrêt préjudiciel.
De l' absence de limitation dans le temps des effets de l' arrêt, il résulte que l' effet direct de l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7 peut être invoqué à l' appui d' une demande en dommages-intérêts relative à des périodes antérieures à la date de l' arrêt d' interprétation par des personnes n' ayant pas engagé une action en justice ou introduit une réclamation équivalente avant cette date.
Dans l' affaire C-137/94,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l' article 177 du traité CE, par la High Court of Justice, Queen' s Bench Division, Divisional Court (Royaume-Uni), et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
The Queen
et
The Secretary of State for Health,
ex parte: Cyril Richardson,
une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO 1979, L 6, p. 24),
LA COUR (sixième chambre),
composée de MM. C. N. Kakouris, président de chambre, F. A. Schockweiler (rapporteur), P. J. G. Kapteyn, J. L. Murray et H. Ragnemalm, juges,
avocat général: M. M. B. Elmer,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,
considérant les observations écrites présentées:
° pour M. Cyril Richardson, par Mme D. Rose, barrister, mandatée par MM. Vizards, solicitors,
° pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. S. Braviner, du Treasury Solicitor' s Department, en qualité d' agent, assisté de MM. D. Pannick, QC, et N. Paines, barrister,
° pour la Commission des Communautés européennes, par Mme M. Wolfcarius et M. N. Khan, membres du service juridique, en qualité d' agents,
vu le rapport d' audience,
ayant entendu les observations orales de M. Cyril Richardson, du gouvernement du Royaume-Uni, et de la Commission à l' audience du 18 mai 1995,
ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 13 juillet 1995,
rend le présent
Arrêt
1 Par ordonnance du 5 mai 1994, parvenue à la Cour le 16 mai suivant, la High Court of Justice, Queen' s Bench Division, Divisional Court, a posé, en vertu de l' article 177 du traité CE, trois questions préjudicielles sur l' interprétation de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO 1979, L 6, p. 24, ci-après la "directive 79/7").
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d' une requête en "judicial review" introduite devant la High Court par M. Richardson, un retraité âgé de 64 ans, qui s' estime victime d' une discrimination fondée sur le sexe au motif que, en vertu de l' article 6, paragraphe 1, sous c), des National Health Service (Charges for Drugs and Appliances) Regulations 1989 (SI n 419, ci-après le "règlement de 1989"), les femmes âgées de 60 à 64 ans, contrairement aux hommes se situant dans la même tranche d' âge, sont exonérées du paiement des frais relatifs à la fourniture de produits pharmaceutiques, médicaments et appareils (ci-après les "frais médicaux").
3 Au Royaume-Uni, l' article 77, paragraphe 1, sous a), du National Health Service Act 1977 (ci-après la "loi de 1977") autorise le Secretary of State à arrêter des règlements prévoyant le paiement, selon les modalités qu' ils fixent, des frais médicaux. L' article 83 A, paragraphe 1, sous a), inséré dans la loi de 1977 par le Social Security Act 1988, autorise, quant à lui, l' adoption de règlements prévoyant l' exonération de ces frais pour certaines catégories de personnes. Conformément au paragraphe 2 de cette disposition, ces catégories de personnes peuvent être déterminées notamment par référence à l' âge, au type d' affection dont elles sont atteintes et aux ressources dont elles disposent.
4 En vertu de ces dispositions, le Secretary of State a arrêté le règlement de 1989 dont l' article 6, paragraphe 1, prévoit l' exonération des frais médicaux pour:
"a) les personnes âgées de moins de 16 ans;
b) les personnes âgées de moins de 19 ans recevant un enseignement à temps plein en vue du certificat d' aptitude au sens du paragraphe 7 de l' annexe 12 de la loi;
c) les hommes ayant atteint l' âge de 65 ans ou les femmes ayant atteint l' âge de 60 ans;
d) les femmes titulaires d' un certificat d' exonération valide délivré par un comité au motif qu' elles sont enceintes ou ont donné naissance dans les 12 derniers mois à un enfant viable ou à un enfant déclaré mort-né conformément au Birth and Deaths Registration Act (loi sur l' enregistrement des naissances et décès);
e) les personnes titulaires d' un certificat d' exonération valide délivré par un comité aux motifs qu' elles souffrent d' une ou plusieurs des maladies qui suivent:
(i) fistule permanente (y compris caecostomie, colostomie, laryngostomie ou iléostomie) nécessitant des pansements en permanence ou un appareil;
(ii) les troubles qui suivent et pour lesquels une thérapie spécifique de substitution est essentielle: maladie d' Addison et autres formes d' hyposurrénalisme, diabète, diabète insipide et autres formes d' hypopituitarisme, diabète sucré, hypoparathyroïdie, myasthénie grave, myxoedème (hypothyroïdie);
(iii) épilepsie requérant une thérapie anti-spasmodique continue;
(iv) une infirmité permanente qui empêche le patient de quitter sa résidence sans l' aide d' une autre personne;
f) les personnes titulaires d' un certificat d' exonération délivré par le Secretary of State pour la délivrance de produits pharmaceutiques et appareils destinés au traitement d' une invalidité reconnue, mais seulement pour les fournitures auxquelles le certificat se rapporte;
g) les personnes titulaires d' un certificat valide de paiement par anticipation."
5 Le Secretary of State ayant fait valoir, d' une part, que le régime des frais médicaux en cause et leur exonération ne rentrent pas dans le champ d' application matériel de la directive 79/7, tel qu' il est défini à son article 3, paragraphe 1, et, d' autre part, qu' en tout état de cause l' exonération au profit des personnes ayant atteint l' âge de la retraite y échappe en vertu de l' article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice les questions préjudicielles suivantes:
"1) L' exonération du paiement des frais médicaux accordée à différentes catégories de personnes en vertu de l' article 6, paragraphe 1, des National Health Service (Charges for Drugs and Appliances) Regulations 1989, SI n 419, ou à certaines personnes âgées en vertu de l' article 6, paragraphe 1, sous c), relève-t-elle du champ d' application de l' article 3 de la directive 79/7/CEE?
2) En cas de réponse affirmative à la première question, l' article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7 s' applique-t-il dans les circonstances de l' espèce?
3) En cas de violation de la directive 79/7, l' effet direct de cette directive peut-il être invoqué à l' appui d' une demande en dommages-intérêts relative à des périodes antérieures à la date de l' arrêt de la Cour par des personnes n' ayant pas engagé une action en justice ou introduit une réclamation équivalente avant cette date?"
Sur la première question
6 Par sa première question, la High Court demande si l' article 3, paragraphe 1, de la directive 79/7 doit être interprété en ce sens qu' un régime tel que celui institué à l' article 6, paragraphe 1, du règlement de 1989, qui exonère du paiement des frais médicaux certaines catégories de personnes, et notamment certaines personnes âgées, relève du champ d' application de la directive.
7 Selon le libellé de son article 3, paragraphe 1, la directive 79/7 s' applique aux régimes légaux qui assurent une protection contre les risques de maladie, d' invalidité, de vieillesse, d' accident du travail et de maladie professionnelle ainsi que de chômage et aux dispositions concernant l' aide sociale, dans la mesure où elles sont destinées à compléter ces régimes ou à y suppléer.
8 Ainsi que la Cour l' a déjà déclaré, une prestation doit constituer tout ou partie d' un régime légal de protection contre l' un des risques énumérés, ou une forme d' aide sociale ayant le même but, pour entrer dans le champ d' application de la directive 79/7 (arrêts du 24 juin 1986, Drake, 150/85, Rec. p. 1995, point 21, du 4 février 1992, Smithson, C-243/90, Rec. p. I-467, point 12, et du 16 juillet 1992, Jackson et Cresswell, C-63/91 et C-64/91, Rec. p. I-4737, point 15).
9 La Cour a également précisé que, si les modalités d' allocation d' une prestation ne sont pas décisives pour qualifier celle-ci au regard de la directive 79/7, il n' en faut pas moins que, pour relever du champ d' application de cette directive, cette prestation soit liée directement et effectivement à la protection contre l' un quelconque des risques énumérés à l' article 3, paragraphe 1 (arrêts Smithson, précité, point 14, et Jackson et Cresswell, précité, point 16).
10 Or, il y a lieu de constater qu' une prestation telle celle prévue à l' article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement de 1989 remplit ces conditions.
11 Tout d' abord, étant prévue par une disposition législative et mise en oeuvre par une disposition réglementaire, elle fait partie d' un régime légal.
12 Ensuite, elle protège directement et effectivement contre le risque de maladie visé à l' article 3, paragraphe 1, de la directive 79/7, dans la mesure où l' octroi de la prestation à l' une quelconque des catégories de personnes visées est toujours subordonné à la réalisation du risque en question.
13 Enfin, au vu de l' importance fondamentale du principe de l' égalité de traitement et de l' objectif de la directive 79/7, qui est de mettre en oeuvre ce principe progressivement dans le domaine de la sécurité sociale, un régime de prestations ne saurait être exclu du champ d' application de celle-ci pour la seule raison que, formellement, il ne fait pas partie d' une réglementation nationale relative à la sécurité sociale. Dès lors, le fait, soulevé par le gouvernement du Royaume-Uni, que l' exonération des frais médicaux est prévue dans la loi de 1977 relative au service national de santé n' est pas de nature à infirmer la conclusion qui précède.
14 En conséquence, il y a lieu de répondre à la première question posée par la High Court que l' article 3, paragraphe 1, de la directive 79/7 doit être interprété en ce sens qu' un régime tel que celui institué à l' article 6, paragraphe 1, du règlement de 1989, qui exonère du paiement des frais médicaux certaines catégories de personnes, et notamment certaines personnes âgées, relève du champ d' application de la directive.
Sur la deuxième question
15 Avant de répondre à cette question, il y a lieu de relever, à titre liminaire, d' une part, qu' il n' est pas contesté qu' une règle nationale telle que l' article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement de 1989 comporte une discrimination directe fondée sur le sexe, dans la mesure où les femmes bénéficient de l' exonération des frais médicaux dès l' âge de 60 ans et les hommes uniquement dès l' âge de 65 ans et, d' autre part, que ces limites d' âges correspondent à l' âge légal de la retraite prévu au Royaume-Uni pour l' octroi des pensions de vieillesse et de retraite aux hommes et aux femmes.
16 Il convient de rappeler en outre que l' article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7 permet aux États membres d' exclure de son champ d' application non seulement la fixation de l' âge de la retraite pour l' octroi des pensions de vieillesse et de retraite, mais également les conséquences pouvant en découler pour d' autres prestations.
17 Dans ces conditions, la deuxième question doit être comprise comme visant à faire préciser si l' article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7 autorise un État membre qui, en application de cette disposition, a fixé l' âge de la retraite des femmes à 60 ans et celui des hommes à 65 ans à prévoir également que les femmes bénéficient d' une exonération des frais médicaux dès l' âge de 60 ans et les hommes uniquement dès l' âge de 65 ans.
18 Dans l' arrêt du 30 mars 1993, Thomas e.a. (C-328/91, Rec. p. 1-1247), la Cour a dit pour droit que, pour le cas où, en application de l' article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7, un État membre prévoit un âge de la retraite différent pour les hommes et pour les femmes pour l' octroi des pensions de vieillesse et de retraite, le domaine de la dérogation autorisée, définie par les termes "conséquences pouvant en découler pour d' autres prestations", figurant à l' article 7, paragraphe 1, sous a), est limité aux discriminations existant dans les autres régimes de prestations qui sont nécessairement et objectivement liées à la différence quant à l' âge de la retraite.
19 Tel est le cas si ces discriminations sont objectivement nécessaires pour éviter de mettre en cause l' équilibre financier du système de sécurité sociale ou pour garantir la cohérence entre le régime des pensions de retraite et celui des autres prestations (arrêt Thomas e.a., précité, point 12; voir aussi arrêt du 11 août 1995, Graham e.a., C-92/94, non encore publié au Recueil, point 12).
20 En ce qui concerne l' exigence de la préservation de l' équilibre financier entre le régime des pensions de vieillesse et d' autres régimes de prestations, il y a lieu de rappeler, d' une part, que, dans l' arrêt Thomas e.a., précité (point 14), la Cour a déjà constaté que l' octroi de prestations relevant de régimes non contributifs à des personnes victimes de certains risques, sans considération du droit de ces personnes à une pension de vieillesse en vertu de périodes de cotisation accomplies, n' exerce pas une influence directe sur l' équilibre financier des régimes contributifs de pension.
21 Il convient de noter, d' autre part, que, comme la Commission l' a souligné, il existe en l' occurrence une relation en sens inverse entre le droit à la prestation que constitue l' exonération des frais médicaux prévue à l' article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement de 1989 et le versement de cotisations au régime des pensions de retraite, en ce sens que ce n' est que si une personne a atteint l' âge de la retraite et ne doit plus verser des cotisations au régime des pensions de retraite qu' elle bénéficie de l' exonération des frais médicaux en vertu de cette disposition.
22 Dans ces conditions, il y a lieu d' admettre que la suppression de la discrimination n' aurait pas d' incidence sur l' équilibre financier au sein du régime des pensions.
23 Par ailleurs, selon les termes mêmes de l' ordonnance de renvoi, il ne semble pas établi qu' une modification de la réglementation litigieuse serait de nature à mettre en péril l' équilibre financier du système de sécurité sociale dans son ensemble.
24 Une telle constatation ne saurait en aucun cas être affectée par le simple fait que l' extension du bénéfice de l' exonération des frais médicaux aux hommes dès l' âge de 60 ans entraînerait une augmentation de la charge financière que l' État supporte dans le financement de son système national de frais de santé. Il est en effet de jurisprudence constante que, dans l' exercice de la compétence que les articles 117 et 118 du traité CE reconnaissent aux États membres pour définir leur politique sociale dans le cadre d' une collaboration étroite organisée par la Commission, ceux-ci sont libres de définir la nature et l' étendue des mesures de protection sociale, y compris en matière de sécurité sociale, ainsi que les modalités concrètes de leur réalisation et peuvent, en contrôlant leurs dépenses sociales, prendre des mesures qui ont pour effet de retirer à certaines catégories de personnes le bénéfice de prestations de sécurité sociale, dès lors que, ce faisant, ils respectent le principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes (arrêt du 24 février 1994, Roks e.a., C-343/92, Rec. p. I-571, points 28, 29 et 37).
25 Il convient enfin de constater que la discrimination en cause dans l' affaire au principal n' est pas objectivement nécessaire pour garantir la cohérence entre le régime des pensions de retraite et un régime tel que celui prévu à l' article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement de 1989.
26 Si la considération que les personnes âgées encourent généralement des frais médicaux plus élevés que les personnes plus jeunes, et ce à un moment où elles disposent normalement de revenus moindres, peut éventuellement justifier qu' elles bénéficient, à partir d' un certain âge, de l' exonération des frais médicaux, elle n' est toutefois pas de nature à exiger que cet avantage soit accordé à l' âge légal de la retraite et donc à des âges différents pour les hommes et les femmes.
27 En effet, tout comme une femme qui a atteint l' âge légal de la retraite a le droit de poursuivre son activité professionnelle au-delà de cet âge et peut se trouver dès lors dans la même situation qu' un homme du même âge qui fait toujours partie de la population active, un homme peut bénéficier d' une pension de retraite avant d' avoir atteint l' âge légal de la retraite et se trouver ainsi dans la même situation qu' une femme du même âge qui perçoit la pension de retraite à laquelle elle a droit.
28 Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de conclure qu' une discrimination telle que celle en cause dans l' affaire au principal n' est pas nécessairement liée à la différence entre l' âge de la retraite des hommes et celui des femmes, et n' est donc pas couverte par la dérogation prévue à l' article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7.
29 Dès lors, il convient de répondre à la deuxième question que l' article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7 n' autorise pas un État membre qui, en application de cette disposition, a fixé l' âge de la retraite des femmes à 60 ans et celui des hommes à 65 ans à prévoir également que les femmes bénéficient d' une exonération des frais médicaux dès l' âge de 60 ans et les hommes uniquement dès l' âge de 65 ans.
Sur la troisième question
30 Par sa troisième question, la juridiction nationale demande à la Cour de préciser si, compte tenu des réponses données aux deux premières questions, il y a lieu de limiter dans le temps les effets du présent arrêt, de sorte que l' effet direct de l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7 ne pourrait pas être invoqué à l' appui d' une demande en dommages-intérêts relative à des périodes antérieures à la date de l' arrêt par des personnes n' ayant pas engagé une action en justice ou introduit une réclamation équivalente avant cette date.
31 A cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l' interprétation que, dans l' exercice de la compétence que lui confère l' article 177 du traité, la Cour de justice donne d' une disposition de droit communautaire éclaire et précise, lorsque besoin en est, la signification et la portée de cette règle, telle qu' elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l' arrêt statuant sur la demande d' interprétation, si par ailleurs les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l' application de ladite règle se trouvent réunies (voir arrêt du 27 mars 1980, Denkavit italiana, 61/79, Rec. p. 1205, point 16).
32 Eu égard à ces principes, ce n' est qu' à titre exceptionnel que la Cour peut, par application d' un principe général de sécurité juridique inhérent à l' ordre juridique communautaire, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d' invoquer une disposition qu' elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi (arrêt du 16 juillet 1992, Legros e.a., C-163/90, Rec. p. I-4625, point 30).
33 En l' espèce, il n' existe toutefois aucun élément de nature à justifier une dérogation au principe selon lequel les effets d' un arrêt d' interprétation remontent à la date de l' entrée en vigueur de la règle interprétée.
34 Il convient de constater, d' une part, que, contrairement aux positions qu' il a défendues dans la présente affaire, le gouvernement du Royaume-Uni ne s' est pas mépris, dans le passé, sur l' inclusion de l' exonération des frais médicaux dans le champ d' application matériel de la directive 79/7, tel qu' il est défini à son article 3, paragraphe 1. Par une lettre du 11 juin 1985, il avait en effet informé la Commission, en application de l' article 8, paragraphe 2, de la directive 79/7, qu' il se fondait sur l' article 7, paragraphe 1, sous a), pour maintenir la différence de traitement entre les hommes et les femmes en matière d' exonération des frais médicaux, information qui implique que cette exonération relève du champ d' application de la directive.
35 D' autre part, le simple silence observé par la Commission à la suite de cette information n' a pas pu amener le Royaume-Uni à raisonnablement estimer que cette différence de traitement était exclue du champ d' application de la directive 79/7 au titre de son article 7, paragraphe 1, sous a). En effet, cette dernière ne contient aucune disposition spécifique obligeant la Commission à approuver ou non les informations qui lui sont communiquées au titre de l' article 8, paragraphe 2; de plus, la Commission, dans l' exercice de sa mission générale de gardienne des traités, dispose d' un pouvoir d' appréciation discrétionnaire pour juger de l' opportunité d' engager la procédure prévue à l' article 169 du traité.
36 Enfin, le gouvernement du Royaume-Uni ne saurait se fonder, pour demander la limitation dans le temps du présent arrêt, ni sur les conséquences financières qu' il est susceptible d' entraîner ni sur la considération que les faits à la base d' éventuelles réclamations seraient souvent difficiles sinon impossibles à vérifier.
37 En effet, les conséquences financières qui pourraient découler pour un État membre d' un arrêt rendu à titre préjudiciel n' ont jamais justifié, par elles-mêmes, la limitation des effets dans le temps de cet arrêt (voir, notamment, arrêt du 11 août 1995, Roders e.a., C-367/93 à C-377/93, non encore publié au Recueil, point 48). En outre, la charge de la preuve incombe normalement à la personne qui se prévaut des faits allégués, de sorte que les éventuelles difficultés rencontrées à cet égard préjudicieraient en tout état de cause au réclamant.
38 En conséquence, il convient de répondre à la troisième question qu' il n' y a pas lieu de limiter les effets dans le temps du présent arrêt, de sorte que l' effet direct de l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7 peut également être invoqué à l' appui d' une demande en dommages-intérêts relative à des périodes antérieures à la date de l' arrêt par des personnes n' ayant pas engagé une action en justice ou introduit une réclamation équivalente avant cette date.
Sur les dépens
39 Les frais exposés par le gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement. La procédure revêtant, à l' égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par la High Court of Justice, Queen' s Bench Division, Divisional Court, par ordonnance du 5 mai 1994, dit pour droit:
1) L' article 3, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, doit être interprété en ce sens qu' un régime tel que celui institué à l' article 6, paragraphe 1, des National Health Service (Charges for Drugs and Appliances) Regulations 1989, qui exonère du paiement des frais médicaux certaines catégories de personnes, et notamment certaines personnes âgées, relève du champ d' application de la directive.
2) L' article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7, précitée, n' autorise pas un État membre qui, en application de cette disposition, a fixé l' âge de la retraite des femmes à 60 ans et celui des hommes à 65 ans à prévoir également que les femmes bénéficient d' une exonération des frais médicaux dès l' âge de 60 ans et les hommes uniquement dès l' âge de 65 ans.
3) Il n' y a pas lieu de limiter les effets dans le temps du présent arrêt, de sorte que l' effet direct de l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7, précitée, peut également être invoqué à l' appui d' une demande en dommages-intérêts relative à des périodes antérieures à la date de l' arrêt par des personnes n' ayant pas engagé une action en justice ou introduit une réclamation équivalente avant cette date.