61992C0128

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 27 octobre 1993. - H. J. Banks & Co. Ltd contre British Coal Corporation. - Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice, Queen's Bench Division - Royaume-Uni. - Traité CECA - Licences d'extraction de charbon brut - Application des articles 4, sous d), 65 et 66, paragraphe 7, du traité - Effet direct - Exclusion - Réparation des dommages résultant de la violation de ces dispositions - Compétences respectives de la Commission et du juge national. - Affaire C-128/92.

Recueil de jurisprudence 1994 page I-01209


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. La High Court of Justice of England and Wales, Queen' s Bench Division, Commercial Court (ci-après "la juridiction de renvoi") pose à la Cour, dans cette affaire, un certain nombre de questions préjudicielles au titre des articles 41 du traité CECA et 177 du traité CEE, relatives à l' interprétation des règles de concurrence du traité CECA et du traité CEE. La demande préjudicielle s' inscrit dans le cadre d' une procédure en dommages et intérêts introduite par H.J. Banks & Company Ltd (ci-après "Banks"), contre British Coal Corporation (ci-après "British Coal"), dans laquelle Banks invoque la violation de dispositions du traité CECA et du traité CEE.

Pour bien examiner les questions préjudicielles, il nous paraît indispensable, tout d' abord, de décrire le contexte, relativement complexe, de l' affaire.

I Description du contexte de l' affaire

2. Banks est une entreprise privée qui produit du charbon au moyen (notamment) de méthodes d' extraction propres aux mines à ciel ouvert, sur le fondement de licences qu' elle a obtenues de British Coal. British Coal est une société créée en vertu d' une loi, dont les pouvoirs publics britanniques sont entièrement propriétaires et qui, en vertu du Coal Industry Nationalisation Act de 1946 (loi de 1946 sur la nationalisation de l' industrie charbonnière, ci-après "la loi de 1946"), est propriétaire de la partie de loin la plus importante des réserves charbonnières de la Grande-Bretagne (1). British Coal a l' obligation légale de traiter et d' extraire le charbon en Grande-Bretagne, à l' exclusion de toute autre personne (sauf exception prévue par la loi de 1946) (2). Elle doit également veiller à un développement efficace de l' industrie minière (3). La loi de 1946 permet à British Coal d' accorder des licences inconditionnelles ou liées à certaines conditions, en vue de l' extraction du charbon par un tiers (4). La pratique de British Coal a consisté à accorder des licences sur l' un des fondements suivants : i) une licence sur la base d' une redevance (ci-après "la licence soumise à redevance"), selon laquelle le titulaire de la licence paie une redevance par tonne de charbon produite et peut vendre ce charbon sans aucune restriction; et ii) une licence sur un fondement exempt de redevance (ci-après "la licence soumise à l' obligation de livraison"), selon laquelle le titulaire de la licence a l' obligation, en vertu du contrat concerné, de vendre et de livrer du charbon à British Coal à un prix spécifié. A l' heure actuelle, British Coal ne délivre plus ce dernier type de licences (5).

Le principal acheteur de charbon au Royaume-Uni est le secteur de la production d' électricité (l' "Electricity Supply Industry", ci-après "ESI"). Ce secteur a été privatisé à partir du 1er avril 1990. Depuis, les principaux producteurs d' électricité en Angleterre et au Pays de Galles et dès lors les principaux acheteurs de charbon, sont National Power Plc et PowerGen Plc (ci-après, respectivement "National Power" et "PowerGen"). Juste avant la privatisation, en 1989-90, British Coal a négocié avec ces deux dernières entreprises des contrats pour la livraison de charbon (ci-après "les contrats de livraison de charbon"), par lesquels, pour un certain nombre d' années (du 1er avril 1990 au 31 mars 1993), British Coal a obtenu la garantie de vendre certaines quantités de charbon à des prix fixes.

3. Ce sont précisément ces contrats de livraison de charbon qui ont conduit à l' introduction, devant la Commission et, ensuite, devant le Tribunal de première instance, d' une procédure qui, sous de nombreux angles, présente des analogies avec la problématique dont est saisie la juridiction de renvoi. En effet, le 28 mars 1990, la National Association of Licensed Opencast Operators (association nationale d' exploitants de mines à ciel ouvert sous licence, ci-après la "NALOO"), dont Banks est un membre et la Federation of Small Mines of Great Britain (fédération des petites mines de Grande-Bretagne, ci-après la "FSMGB") ont introduit une plainte officielle auprès de la Commission (6). Dans cette plainte, ces organisations alléguaient : i) que British Coal avait abusé de sa position dominante de fournisseur de charbon destiné à la production d' électricité en stipulant, dans les contrats de livraison de charbon, des conditions qui lui étaient favorables (en particulier quant au volume et quant au prix), tout en ayant des conséquences défavorables pour ses concurrents, c' est-à-dire les petits producteurs de charbon opérant sous licence (violation alléguée de l' article 66, paragraphe 7 du traité CECA); ii) qu' en discriminant, lors de l' achat de charbon, les membres des associations plaignantes par rapport à British Coal, les producteurs d' électricité concernés, National Power et PowerGen, exploitaient de façon abusive leur position dominante (violation alléguée de l' article 86 du traité CEE); et iii) que les accords sur la base desquels British Coal accordait à des tiers une licence pour extraire du charbon et en particulier le montant des redevances à payer à cette fin comportaient une violation des articles 60 et 65 du traité CECA et, dans la mesure où cette dernière disposition ne serait pas applicable, de l' article 85 du traité CEE.

En octobre-novembre 1990, de concert avec l' ESI et le gouvernement britannique, British Coal a formulé une offre adressée à la NALOO et à la FSMGB afin de trouver une solution au problème créé par le dépôt de la plainte. Cette offre prévoyait entre autres que British Coal diminuerait la redevance à payer sur la base des licences soumises à redevance à 5,50 UKL pour les 50.000 premières tonnes et à 6,00 UKL pour chaque tonne supplémentaire. La NALOO et la FSMGB ont toutes deux repoussé ladite offre; néanmoins, British Coal a diminué la redevance avec effet rétroactif à partir du 1er avril 1990.

Le 23 mai 1991, la Commission a adopté une décision (ci-après "la décision") (7). Celle-ci indique expressément que l' examen s' est limité à la situation qui a été créé en Angleterre et au Pays de Galles à la suite de l' entrée en vigueur des contrats de livraison de charbon le 1er avril 1990 entre d' une part British Coal et d' autre part National Power et PowerGen (8). Dans la décision, la Commission en conclut : i) que les articles 60 et 65 du traité CECA ne sont pas applicables et que les griefs qui se fondent sur ces articles doivent donc être rejetés (9); selon la Commission, l' article 60 s' applique uniquement aux pratiques en matière de prix des vendeurs et il n' est pas applicable à la perception de redevances sur la production (10), tandis que l' article 65 n' est pas applicable aux contrats de livraison de charbon entre British Coal et National Power et PowerGen, étant donné que ces deux dernières entreprises ne sont pas des entreprises au sens de l' article 80 du traité CECA (11); ii) que le grief reposant sur les articles 63 et 66, paragraphe 7 du traité CECA, ainsi que 85 et 86 du traité CEE est justifié, dans la mesure où il se rapporte à la situation postérieure au 1er avril 1990, date à laquelle les contrats de livraison de charbon étaient entrés en vigueur (12); iii) que si les propositions des autorités britanniques d' octobre 1990 relatives aux conditions d' achat étaient incorporées dans les contrats par National Power et PowerGen, conformément à la décision, les producteurs de charbon sous licences ne feraient plus l' objet de discrimination par rapport à British Coal et les griefs reposant sur les articles 63 et 66, paragraphe 7 du traité CECA et 85 et 86 du traité CEE ne seraient plus fondés et devraient dès lors être rejetés (13); et iv) enfin, s' agissant du grief qui repose sur l' article 66, paragraphe 7 du traité CECA et qui concerne les redevances perçues par British Coal, que les nouveaux tarifs des redevances proposés par les autorités britanniques le 24 octobre 1990 et ultérieurement mis en vigueur par British Coal avec effet rétroactif à partir du 1er avril 1990, ne sont pas anormalement élevés, de sorte que ce grief n' est plus fondé et doit être rejeté.

4. Le 9 juillet 1991, la NALOO a déposé devant le Tribunal de première instance, conformément à l' article 33 du traité CECA, un recours en annulation de la décision, dans la mesure où celle-ci concerne la plainte de la NALOO relative au montant des redevances versées dans le cadre des licences soumises à redevance et des sommes payées par British Coal dans le cadre des licences soumises à l' obligation de livraison. Cette procédure a été inscrite au rôle du Tribunal sous le n d' affaire T-57/91 et est, à l' heure actuelle, en instance devant la deuxième chambre du Tribunal. Dans son recours, la NALOO soutient notamment que la Commission n' a pas ou pas dûment pris en considération les éléments et preuves matérielles pertinentes que la NALOO a mis à sa disposition et que la Commission n' a pas correctement appliqué le traité CECA. La NALOO demande également au Tribunal d' enjoindre à la Commission de rouvrir son enquête sur le montant de la redevance imposée dans le cadre des licences soumises à redevance et sur les prix payés pour le charbon dans le cadre des licences soumises à l' obligation de livraison. Le 30 juin 1992, le Tribunal a autorisé British Coal à intervenir dans la procédure en première instance. Par ordonnance du 14 juillet 1993, conformément à l' article 47, troisième alinéa du statut CECA de la Cour, le Président a suspendu la procédure en première instance jusqu' à l' intervention de l' arrêt de la Cour statuant dans la présente affaire.

5. Après la décision de la Commission, différents producteurs de charbon, titulaires d' autorisation, parmi lesquels Banks, ont introduit devant la juridiction de renvoi une action en dommages et intérêts dirigée contre British Coal. Leurs actions sont fondées sur la violation des articles 4, sous d), 60, 65 et 66, paragraphe 7 du traité CECA. Plus particulièrement, dans le cadre de la procédure au principal, Banks soutient que British Coal a violé les dispositions précitées en ce qui concerne les montants des redevances imposées dans le cadre des licences soumises à redevance et des sommes qui lui sont payées pour les achats en vertu des licences soumises à l' obligation de livraison. Les redevances fixées par British Coal dans le cadre des licences soumises à l' obligation de redevance seraient d' un niveau excessif et n' auraient pas permis à Banks de réaliser un bénéfice raisonnable, tandis que les sommes payées par British Coal pour le charbon livré dans le cadre des licences soumises à l' obligation de livraison seraient d' un niveau anormalement bas. Etant donné que, selon Banks, les articles précités du traité CECA ont un effet direct, Banks estime que ces articles sont de nature à lui conférer des droits que la juridiction de renvoi est tenue de sauvegarder par l' octroi de dommages et intérêts. S' il s' avère exact, comme le prétend British Coal, que le traité CECA ne s' applique pas à l' extraction de charbon brut ou aux licences délivrées à cette fin, Banks demande à pouvoir plaider l' applicabilité, en l' espèce, des articles 85 et 86 du traité CEE. Sa demande en dommages et intérêts porte sur la période s' étendant de 1986 à 1991.

En revanche, British Coal soutient principalement devant la juridiction de renvoi : i) que le traité CECA ne s' applique pas à l' actuelle problématique; ii) que le comportement de British Coal n' est pas constitutif d' une violation des articles 4, sous d), 60, 65 ou 66, paragraphe 7 du traité CECA; iii) que ces articles n' ont pas effet direct en droit anglais et ne créent pas de droits ni d' obligations de droit privé et que la Commission dispose du pouvoir exclusif, à tout le moins en première instance, de décider si les dispositions précitées ont été violées; et iv) que, à supposer que les articles précités aient un effet direct, ils ne pourraient le produire qu' après l' adoption par la Commission d' une décision et/ou après la fin de toutes les procédures prévues par ces dispositions et/ou après l' épuisement de tous les recours accessibles à Banks au titre du traité CECA.

6. Le juge de renvoi estime qu' eu égard aux circonstances particulières de l' espèce, la meilleure manière de clarifier les questions pertinentes de droit matériel et de procédure qui sont en litige et d' épargner les frais et le temps consiste à présenter une demande préjudicielle dès le début de la procédure. Il soumet à la Cour les questions suivantes :

"1) Les articles 4, sous d), 60, 65 et/ou 66, paragraphe 7, du traité CECA s' appliquent-ils aux licences d' extraction de charbon brut et aux clauses relatives aux redevances et aux paiements contenues dans ces licences ?

2) En cas de réponse négative à la question 1 :

i) Les articles 85 et 86 du traité CEE s' appliquent-ils aux circonstances décrites à la question 1 ?

ii) L' article 232, paragraphe 1, du traité CEE a-t-il une incidence sur la réponse à donner sous i) ?

3) Les articles 4, sous d), 60, 65 et/ou 66, paragraphe 7, du traité CECA ont-ils effet direct et créent-ils des droits dont des particuliers peuvent se prévaloir et que les juridictions nationales doivent protéger ?

4) Les juridictions nationales ont-elles, en vertu du droit communautaire, le pouvoir et/ou l' obligation d' accorder, en cas de violation des articles précités des traités CECA et CEE, des dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par ces violations ?

5) Les réponses aux questions 3 et 4 dépendent-elles, et dans l' affirmative, dans quelle mesure, des éléments suivants :

i) une décision préalable de la Commission; et/ou

ii) l' épuisement des recours offerts (le cas échéant) à cet égard par le traité CECA; et/ou

iii) l' accomplissement des actes ou des procédures visés dans les dispositions pertinentes ?

6) Lorsque la Commission a adopté une décision à la suite d' une plainte, telle la décision du 23 mai 1991, dans quelle mesure les juridictions nationales sont-elles liées par cette décision :

i) en ce qui concerne les questions de fait tranchées par la Commission et,

ii) en ce qui concerne l' interprétation donnée par la Commission à certains articles du traité CECA ?"

II Applicabilité du traité CECA ou du traité CEE ?

7. Le premier problème auquel la Cour se trouve confrontée réside dans la question de savoir si, en principe, l' extraction de charbon brut relève du domaine d' application du traité CECA plutôt que de celui du traité CEE et, partant, si ce sont les articles 4, sous d), 60, 65 et 66, paragraphe 7 du traité CECA, plutôt que les articles 85 et 86 du traité CEE qui s' appliquent éventuellement aux licences d' extraction d' un tel charbon et aux clauses relatives aux redevances et aux paiements que comportent ces licences. Avant de rechercher si les dispositions mentionnées s' appliquent en l' espèce (ci-après, aux points 10 et suivants), nous examinerons d' abord la question de l' applicabilité de principe du traité CECA aux produits dont il est question dans le litige au principal et aux activités et transactions qui s' y rapportent.

8. La réponse à cette question est contenue dans l' article 232, paragraphe 1 du traité CEE. Cette disposition est rédigée de la manière suivante :

"Les dispositions du présent traité ne modifient pas celles du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l' acier, notamment en ce qui concerne les droits et obligations des Etats membres, les pouvoirs des institutions de cette Communauté et les règles posées par ce traité pour le fonctionnement du marché commun du charbon et de l' acier."

L' introduction de cette disposition répondait au souci explicite des auteurs du traité CEE d' éviter des conflits d' ordre juridique ayant pour objet la délimitation du champ d' application du traité CEE par rapport à celui du traité CECA (14). En substance, l' article 232, paragraphe 1 du traité CEE équivaut à une confirmation du principe "lex specialis derogat legi generali" (15). Comme la Cour l' a affirmé dans l' arrêt Gerlach, il résulte de cette disposition

"qu' en ce qui concerne le fonctionnement du marché commun du charbon et de l' acier, les règles du traité CECA et l' ensemble des dispositions prises pour son application demeurent en vigueur, nonobstant l' intervention du traité CEE." (16)

A l' inverse, il résulte en outre de la disposition précitée que, dans la mesure où certaines matières ne sont pas réglées par le traité CECA ou ses mesures d' application, les dispositions du traité CEE ou ses mesures d' application peuvent effectivement s' appliquer, même s' il est question de produits qui en principe relèvent du champ d' application du traité CECA. Dans l' arrêt Deutsche Babcock Handel, la Cour a confirmé que l' article 232, paragraphe 1, avait également cette deuxième fonction :

"Le libellé même de cette disposition exige qu' elle soit interprétée en ce sens que, dans la mesure où des questions ne font pas l' objet de dispositions du traité CECA ou des réglementations adoptées sur la base de ce dernier, le traité CEE et les dispositions prises pour son application peuvent s' appliquer à des produits relevant du traité CECA." (17)

Nous ajouterons aussitôt que, dans un domaine tel que celui du droit de la concurrence, le traité CECA connaît un grand nombre de dispositions spécifiques - dont certaines seront évoquées ci-après -, de sorte que, s' agissant d' affaires qui s' articulent autour de questions de droit de la concurrence, la question d' une application à titre subsidiaire des règles du traité CEE présente un intérêt notablement moindre (18).

9. Tel est également le cas en l' espèce : à notre avis, les licences d' extraction de charbon brut et les clauses relatives aux redevances ou aux prix de vente contenues dans ces licences relèvent bien du champ d' application du traité CECA. En effet, l' article 80 du traité CECA ne laisse subsister aucun doute quant au point de savoir si les deux parties au principal, Banks et British Coal, constituent des entreprises auxquelles le traité CECA s' applique : "Les entreprises, au sens du présent traité, sont celles qui exercent une activité de production dans le domaine du charbon et de l' acier à l' intérieur des territoires visés à l' article 79, premier alinéa (...) (19)." Il ressort de l' arrêt Vloeberghs que l' extraction de charbon doit être évidemment considérée comme "production de charbon" au sens de la définition précitée, et ce indépendamment de la question de savoir si cette activité figure ou non dans la nomenclature de l' annexe I au traité CECA. En effet, dans cet arrêt, s' agissant de la notion d' entreprise de l' article 80, la Cour a énoncé

"que le traité, en dehors de l' extraction, ne considère comme activités de production que les activités qu' il reconnaît expressément comme telles;

que, pour constater si une activité déterminée constitue une activité de 'production' , il faut se reporter à la nomenclature de l' annexe I du traité (20)."

L' extraction de charbon relève donc indéniablement de la "production" au sens de l' article 80 du traité CECA (21), à la condition évidemment qu' il s' agisse de "combustibles", tels que décrits à l' annexe I audit traité. Or, ce dernier point est indéniable étant donné que cette annexe, dans laquelle les expressions "charbon" et "acier" sont définies aux fins de l' application du traité CECA (voir l' article 81 du traité CECA) mentionne en premier lieu la houille sous le n 3 100, c' est-à-dire le type de charbon qui est produit en Grande-Bretagne. Cette analyse ne saurait être démentie par l' argument soulevé par le gouvernement britannique, selon lequel le charbon brut ne saurait être considéré comme relevant de tels produits, au motif que, par définition, il n' entre pas encore en ligne de compte pour la commercialisation entre les Etats membres et qu' il ne pourrait donc exister de marché commun de ce produit. En effet, dans l' arrêt Société des Fonderies de Pont-à-Mousson, la Cour a incontestablement entendu signifier que les notions de "production" et de "produit" au sens, respectivement, de l' article 80 du traité CECA et de l' annexe I audit traité ne se limitent pas à la fabrication d' objets destinés à être mis sur le marché (22). Dans cet arrêt, la Cour a déduit de l' économie de l' annexe I au traité CECA - qui comprend notamment dans la rubrique "sidérurgie" un nombre très considérable de produits qui sont fréquemment transformés en produits techniquement différents -, qu' "un produit intermédiaire et même en quelque sorte éphémère" est également soumis au traité CECA (23). Dès lors, la houille brute qui, aux fins de sa commercialisation, est destinée à être triée et éventuellement à être lavée (et qui, en ce sens, est un produit éphémère), est également un produit au sens de l' annexe I au traité CECA. D' ailleurs, un peu plus loin, dans ses observations écrites, le gouvernement britannique reconnaît lui-même que les conditions auxquelles des licences d' extraction de charbon brut sont accordées peuvent, dans certains cas, affecter le commerce entre Etats membres du charbon concerné ou des produits dérivés (24).

III Quels sont les articles du traité CECA qui s' appliquent en l' espèce ?

10. Dans ses questions, la juridiction de renvoi mentionne quatre dispositions du traité CECA, à savoir les articles 4, sous d), 60, 65 et 66, paragraphe 7, en demandant quelles sont celles qui, parmi ces dispositions, s' appliquent aux licences d' extraction de charbon brut et aux clauses relatives aux redevances et aux paiements contenues dans ces licences. Nous analyserons, en adoptant l' ordre arithmétique, chacune de ces dispositions, ainsi que les arguments soulevés relatifs à leur applicabilité ou à leur inapplicabilité.

A. L' article 4 du traité CECA

11. Les passages de l' article 4 du traité CECA qui sont en discussion disposent :

"Sont reconnus incompatibles avec le marché commun du charbon et de l' acier et, en conséquence, sont abolis et interdits dans les conditions prévues au présent traité, à l' intérieur de la Communauté : (...)

b) les mesures ou pratiques établissant une discrimination entre producteurs, entre acheteurs ou entre utilisateurs, notamment en ce qui concerne les conditions de prix ou de livraison et les tarifs de transports, ainsi que les mesures ou pratiques faisant obstacle au libre choix par l' acheteur de son fournisseur; (...)

d) les pratiques restrictives tendant à la répartition ou à l' exploitation des marchés."

Les points de vue relatifs à l' applicabilité de cet article du traité en l' espèce varient considérablement. Selon Banks, les dispositions précitées couvrent les pratiques discriminatoires et restrictives portant sur la production de charbon, y compris l' octroi de licences d' extraction du charbon. British Coal et le gouvernement britannique soutiennent en revanche que l' article 4, sous d) ne peut pas s' appliquer seul, mais uniquement en combinaison avec les autres articles du traité CECA auxquels se réfèrent les questions préjudicielles. La Commission adopte elle aussi un point de vue en ce sens : selon la Commission, l' article 4, sous d) du traité CECA doit être lu en combinaison avec les autres dispositions du traité et ne serait, en lui-même, ni suffisamment précis ni suffisamment complet pour s' appliquer aux licences dont il est question en l' espèce.

12. Quelle opinion convient-il d' adopter ? Tout d' abord, on ne saurait mettre en doute le caractère fondamental de l' article 4 dans le cadre du traité CECA. Ce caractère fondamental découle déjà de l' article 2 du traité CECA, qui fait dépendre la réalisation des missions de la CECA de "l' établissement d' un marché commun dans les conditions définies à l' article 4" (25). Dès ses tous premiers arrêts (1/54 et 2/54), la Cour a souligné ce caractère fondamental de l' article 4 (ainsi que des articles 2 et 3) du traité CECA : ils constituent des "dispositions fondamentales établissant le marché commun et les objectifs communs de la Communauté" (26).

En outre, la jurisprudence de la Cour présente de nombreuses indications permettant de répondre à la question de savoir si l' article 4 du traité CECA peut être appliqué de manière isolée ou seulement - ainsi qu' on pourrait le déduire d' une certaine interprétation de ses termes - "dans les conditions prévues au présente traité".

13. L' arrêt Groupement des Industries Sidérurgiques Luxembourgeoise constitue une première décision importante en la matière. Bien que la Cour concède que certaines des pratiques mentionnées à l' article 4 soient également visées par d' autres dispositions du traité CECA, elle soulignait, en se fondant sur l' article 84 dudit traité (27),

"que, de ce fait, les dispositions contenues dans tous ces textes ont même force impérative, qu' il ne saurait être question de les opposer l' une à l' autre, mais seulement de les envisager simultanément pour en faire une application adéquate. (28)"

Après avoir rappelé le caractère fondamental de l' article 4 (ainsi que des articles 2 et 3) dans le cadre du traité CECA, la Cour a considéré :

"que, pour les mêmes raisons, les dispositions de l' article 4 se suffisent à elles-mêmes et sont immédiatement applicables lorsqu' elles ne sont reprises en aucune partie du Traité;

qu' au contraire, lorsque les dispositions de l' article 4 sont visées, reprises ou réglementées en d' autres parties du Traité, les textes se rapportant à une même disposition doivent être considérés dans leur ensemble et simultanément appliqués (29)."

La Cour a itérativement confirmé cette interprétation de l' article 4 du traité CECA. Elle l' a fait notamment dans les arrêts qu' elle a rendus les 21 et 26 juin 1958 dans le cadre de recours en annulation que des entreprises et des associations d' entreprises avaient formés contre certaines dispositions de la décision 2-57 de la Haute Autorité (30). Dans ces arrêts, la Cour a en outre indiqué explicitement que, parce qu' il figure parmi les articles qui fixent les objectifs fondamentaux de la Communauté, l' article 4 du traité CECA devait "toujours" être respecté, que les dispositions de cet article avaient "force impérative" et "que, se suffisant à elles-mêmes, ces dispositions sont immédiatement applicables lorsqu' elles ne sont reprises en aucune disposition du Traité" (31).

14. En outre, ce sont l' arrêt Geitling et l' avis 1/61 qui font autorité quant à la question relative au rapport entre l' article 4 et d' autres dispositions plus spécifiques du traité CECA. Dans la première affaire, la Cour a rejeté formellement la thèse selon laquelle l' article 65 du traité CECA exclurait, en tant que lex specialis, l' application de l' article 4, sous b) :

"que les articles 4 b) et 65 du Traité réglementent, chacun dans son domaine d' application, différents aspects de la vie économique;

que ces deux articles ne s' excluent, pas plus qu' ils ne s' annulent l' un l' autre; qu' ils servent à réaliser les objectifs de la Communauté; qu' à cet égard ils sont donc complémentaires;

que, dans certains cas, leurs dispositions peuvent couvrir des faits justifiant une application concomitante et concurrente desdits articles." (32)

En effet, la Cour a décidé que la clause, litigieuse dans cette affaire, d' une réglementation relative aux comptoirs de vente, convenue entre producteurs de charbon, non seulement n' était pas susceptible d' autorisation en raison de l' article 65, paragraphe 2 du traité CECA, mais encore pouvait entraîner une discrimination au sens de l' article 4, sous b).

Dans l' avis 1/61 - à ce jour le seul cas dans lequel la Cour ait évoqué l' article 4, sous d) du traité CECA - la Cour a examiné notamment la compatibilité avec l' article 4, sous d), d' un projet de modification de l' article 65 du traité CECA émanant de la Haute Autorité et du Conseil spécial de ministres. S' agissant de la portée de l' article 4, sous d), la Cour a tout d' abord constaté

"que le but de cette interdiction est évidemment celui d' empêcher les entreprises d' acquérir par la voie de pratiques restrictives une position leur permettant la répartition ou l' exploitation des marchés;

que cette prohibition est rigide et caractérise le système instauré par le traité;

que l' article 65, qui contient les dispositions d' application de ce principe, précise, dans son paragraphe 1, la portée de la prohibition en interdisant généralement toutes les ententes, notamment celles tendant à fixer ou déterminer les prix, à restreindre ou contrôler la production, etc., à répartir les marchés, produits, clients ou sources d' approvisionnement" (33).

Ensuite, la Cour a déduit de son analyse du motif de dérogation à l' interdiction précisée à l' article 65, paragraphe 1 du traité CECA, que comporte l' article 65, paragraphe 2, premier alinéa sous c), que cette dernière disposition "prévoit un critère objectif permettant d' apprécier les hypothèses dans lesquelles une entente serait en tout cas incompatible avec l' interdiction fixée par l' article 4, littera d" (34). Dans ces conditions, la possibilité de déroger aux limites fixées par l' article 65, paragraphe 2, premier alinéa, sous c), constituait, de l' avis de la Cour, une atteinte à l' interdiction édictée par l' article 4, sous d).

15. Nous déduisons de cette jurisprudence les conclusions suivantes en ce qui concerne le statut de l' article 4 du traité CECA et son rapport avec d' autres dispositions du traité, plus spécifiques. En premier lieu, étant donné que - conjointement avec les articles 2, 3 et 5 du traité CECA -, cette disposition énonce des objectifs fondamentaux de la Communauté européenne du charbon et de l' acier, elle doit toujours être respectée : la Cour énonce formellement que toutes ces dispositions, et donc également l' article 4, ont force impérative. En outre, s' agissant de l' article 4, la Cour a affirmé sans équivoque le principe selon lequel ledit article se suffit à lui-même et dès lors est immédiatement applicable lorsqu' il n' est pas repris dans une autre disposition du traité. En d' autres termes, dans la mesure où l' article 4 couvre des situations qui ne sont pas réglées dans une autre disposition du traité, cet article revêt une portée autonome. Enfin, il est constant que, lorsque les dispositions de l' article 4 sont reprises dans une autre disposition du traité CECA, l' article 4 n' est en aucune façon subordonné à de telles dispositions, mais possède la même force obligatoire et que l' article 4 et lesdites dispositions doivent être considérés et appliqués simultanément, c' est-à-dire conjointement. En d' autres termes, même à l' égard de dispositions du traité qui mettent en oeuvre les interdictions contenues à l' article 4 ou qui en précisent la portée, l' article 4 continue à jouer un rôle complémentaire.

16. Etant donné que, ci-après, nous en venons à conclure qu' en l' espèce, d' autres dispositions du traité CECA, et plus précisément les articles 65 et 66, paragraphe 7 du traité CECA sont applicables - mais pas l' article 60 dudit traité -, il convient de déduire des développements qui précèdent que, s' agissant des licences d' extraction du charbon qui sont évoquées dans la présente procédure et des clauses qu' elles prévoient, l' article 4 joue un rôle de complément dans le cadre du champ d' application des articles 65 et 66, paragraphe 7, tandis que, en dehors de ce cadre, il revêt une portée autonome.

B L' article 60 du traité CECA

17. L' article 60 du traité CECA est-il applicable en l' espèce ? Le paragraphe 1 de cet article dispose :

"Sont interdites en matière de prix les pratiques contraires aux articles 2, 3 et 4 et notamment :

- les pratiques déloyales de concurrence, en particulier les baisses de prix purement temporaires ou purement locales tendant, à l' intérieur du marché commun, à l' acquisition d' une position de monopole;

- les pratiques discriminatoires comportant, dans le marché commun, l' application par un vendeur de conditions inégales à des transactions comparables, notamment suivant la nationalité des acheteurs.

La Haute Autorité pourra définir, par décisions prises après consultation du Comité consultatif et du Conseil, les pratiques visées par cette interdiction."

En l' occurrence également, deux thèses s' affrontent. Banks soutient que l' article 60 doit recevoir une interprétation large et ne s' applique pas seulement aux prix et barèmes de prix mais également aux conditions de vente ainsi qu' aux autres pratiques ayant un effet sur les prix. Les licences soumises à l' obligation de livraison (voir ci-dessus, au point 2) ont, selon Banks, un tel effet sur les prix de vente : contrairement à la conclusion à laquelle la Commission est parvenue dans la décision, Banks estime que l' article 60 ne s' applique pas seulement aux pratiques en matière de prix des vendeurs occupant une position dominante, mais également aux conditions de prix discriminatoires ou constituant l' exploitation du marché, qui sont stipulées en faveur d' un acheteur dominant. Les licences soumises à redevances (ibidem) seraient également visées par l' article 60 étant donné que, économiquement et juridiquement, la redevance est liée de manière indissociable au coût du charbon et, dès lors, affecte le prix de vente du charbon, facturé par le titulaire de licence ou par l' organisme qui accorde la licence et est une composante de ce prix.

En revanche, selon British Coal, le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission, l' article 60 du traité CECA n' est pas applicable aux licences d' extraction de charbon brut ou aux redevances perçues sur son extraction : cet article ne concernerait que les pratiques en matière de prix des vendeurs de charbon et ne se rapporterait donc en aucune façon aux redevances payées à British Coal ou aux prix d' achat payés par British Coal. Il en serait ainsi en raison de la place de l' article 60 dans le traité CECA et du droit communautaire dérivé.

18. A notre avis, l' interprétation particulièrement large de l' article 60 proposée par Banks est insuffisamment étayée par l' objectif, le contexte, l' économie et la formulation de cet article du traité. S' agissant de l' objectif, celui-ci a été exprimé par l' avocat général VerLoren van Themaat, dans ses conclusions dans l' affaire Bertoli - sur le fondement d' une comparaison avec les sources d' inspiration américaines de la disposition (35) - de la façon suivante : l' objectif de cette disposition est, au sein du secteur du charbon et de l' acier, à dominante oligopolistique, de

"protéger les petites entreprises contre les pratiques discriminatoires abusives en matière de prix, pratiquées par des entreprises monopolistiques ou oligopolistiques dans le but de renforcer leur position dominante. Elle vise donc à faire obstacle aux pratiques des entreprises oligopolistiques limitant la concurrence." (36)

Si cet objectif n' apporte pas de réponse définitive quant à la portée précise de l' article 60, tel est pourtant le cas en ce qui concerne le contexte. En effet il résulte de la place de cet article dans le chapitre V concernant les prix qu' il vise les pratiques déloyales et discriminatoires en matière de prix émanant de vendeurs, contrairement à l' article 63 du traité CECA, lequel vise à régler les pratiques discriminatoires en matière de prix émanant d' acheteurs, tandis que les articles 61 et 62 de ce traité concernent des interventions sur le niveau de prix, émanant de la Haute Autorité, sous la forme, respectivement, de prix maxima ou minima et de régimes de compensation entre entreprises.

S' agissant du système créé par l' article 60, la Cour a fait observer, dans les arrêts 1/54 et 2/54, qu' il existait un "lien de finalité" (37) entre les deux paragraphes de cet article : le paragraphe 1 interdit les comportements en matière de prix qui constituent "les pratiques déloyales de concurrence et les pratiques discriminatoires" (38), tandis que le paragraphe 2 prévoit un système de publicité obligatoire des barèmes et des conditions de vente. Il ressort des commentaires donnés par la Cour dans ces mêmes arrêts - et ensuite repris dans l' arrêt Rumi - en ce qui concerne les fonctions des règles de publicité prévues à l' article 60, paragraphe 2, que seules les pratiques émanant des vendeurs sont visées :

"Cette publicité obligatoire a pour but 1) d' empêcher autant que possible les pratiques interdites, 2) de permettre aux acheteurs de se renseigner exactement sur les prix et de participer également au contrôle des discriminations, 3) de permettre aux entreprises de connaître exactement les prix de leurs concurrents pour leur donner la possibilité de s' aligner." (39)

Enfin, la formulation de ces dispositions indique que les auteurs du traité ne visaient que les pratiques des vendeurs : i) le paragraphe 1, premier tiret, interdit les baisses de prix temporaires ou locales tendant à l' acquisition d' une position de monopole, une interdiction qui ne saurait être appliquée, logiquement, qu' aux vendeurs; ii) le paragraphe 1, deuxième tiret, impose explicitement aux vendeurs l' interdiction, d' appliquer dans le marché commun, des conditions inégales à des transactions comparables; iii) le paragraphe 2 prévoit la publication obligatoire des barèmes des prix - c' est-à-dire, selon la Cour, "les prix sur la base desquels les entreprises se déclarent disposées à vendre leurs produits" (40) - et les conditions de vente qui sont appliquées par les entreprises dans le marché commun (ainsi sous a). Il ressort également des règles de droit communautaire dérivé établies par la Haute Autorité, sur le fondement, respectivement, de l' article 60, paragraphe 1 (41) et de l' article 60, paragraphe 2 du traité CECA (42), que l' article 60 ne concerne que les pratiques en matière de prix émanant des vendeurs.

Nous concluons de l' ensemble de ces éléments que l' article 60 tend à la réalisation d' une concurrence effective sur le marché du charbon et de l' acier en évitant que, en établissant leurs prix de vente, dans le but d' acquérir une position de monopole, des entreprises oligopolistiques usent de pratiques déloyales, et en particulier de baisses de prix (paragraphe 1, premier tiret), ou de pratiques discriminatoires entre différents acheteurs se trouvant dans des conditions comparables (paragraphe 1, deuxième tiret). Cela constitue une hypothèse différente de celle qui se présente dans le litige au principal : dans celui-ci, une partie qui détient déjà un monopole accorde à d' autres entreprises des licences de production, en vertu desquelles le titulaire de la licence, soit doit payer une redevance liée à la production - et dans le cadre desquelles donc, aucun achat ou vente n' intervient entre parties -, soit vend les produits à un prix déterminé à l' organisme qui accorde la licence - dans le cadre desquelles, dès lors, la vente n' émane pas de l' entreprise dominante. L' article 60 du traité CECA ne se rapporte pas à de telles situations. Toutefois, comme on l' exposera ci-après, celles-ci peuvent relever du champ d' application des articles 65 et 66, paragraphe 7 dudit traité.

C. L' article 65 du traité CECA

19. Les parties intervenant devant la Cour ne sont pas non plus d' accord quant à l' applicabilité de l' article 65 du traité CECA aux licences d' extraction de charbon brut et aux clauses relatives aux redevances et aux paiements stipulées dans ce cadre. Nous reproduisons ci-dessous le paragraphe 1 de cette disposition :

"Sont interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d' associations d' entreprises et toutes pratiques concertées qui tendraient, sur le marché commun, directement ou indirectement, à empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence et en particulier :

a) à fixer ou déterminer les prix;

b) à restreindre ou à contrôler la production, le développement technique ou les investissements;

c) à répartir les marchés, produits, clients ou sources d' approvisionnement."

Banks et la Commission estiment que l' article 65 s' applique en l' espèce. Les licences d' extraction de charbon sont, selon eux, des accords entre entreprises au sens de cette disposition, étant donné qu' ils peuvent empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence. La Commission ajoute que l' énumération, à l' article 65, des types d' accords précisés à cet article n' entend pas être exhaustive.

En revanche, British Coal et le gouvernement britannique soutiennent que les licences dont question en l' occurrence ne relèvent pas de l' article 65 du traité CECA. Selon British Coal, de telles licences augmenteraient par définition la concurrence et, par conséquent, ne sauraient être interdites par ledit article. En outre, une comparaison avec l' action de la Commission au titre de l' article 85 du traité CEE confirmerait que l' interdiction de l' article 65 ne s' étend pas aux détails des conditions sur lesquelles un accord est fondé et, plus particulièrement, aux redevances ou modalités de paiement prévues par une licence.

20. Selon sa formulation même, la prohibition de l' article 65, paragraphe 1 du traité CECA s' applique à "tous accords entre entreprises", c' est-à-dire entre entreprises telles qu' elles sont décrites à l' article 80 dudit traité (voir ci-dessus, au point 9). On ne saurait nier que tant Banks que British Coal qui, respectivement en qualité d' entreprise privée et d' entreprise publique, s' occupent de la production de charbon, sont visées par cette large définition. En outre, comme la Commission le soutient à juste titre, les cas d' accord interdits, mentionnés à l' article 65, paragraphe 1, ne sont en aucune façon limitatifs. Dès lors, une licence d' extraction de charbon brut est à considérer comme un accord entre entreprises qui, en principe, relève du champ d' application de cette disposition.

La question de l' applicabilité de principe de l' article 65, paragraphe 1 est, il est vrai, distincte de la question de savoir si les accords dont il est question sont en outre effectivement contraires à l' interdiction édictée par cette disposition : en effet, à cette fin, il est nécessaire de prouver que les licences et leurs clauses relatives aux redevances et aux paiements tendraient, sur le marché commun, directement ou indirectement, à empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence.

21. Quant à cette dernière question, nous souhaiterions formuler trois observations. En premier lieu, l' argument soulevé par British Coal, selon lequel les licences dont question en l' espèce auraient pour effet de renforcer la concurrence et dès lors, par définition, ne relèveraient pas de la prohibition de l' article 65, paragraphe 1, n' est pas étayé par la jurisprudence de la Cour en matière de concurrence. Au contraire, il ressort de la jurisprudence concernant les licences relatives à l' exercice des droits de propriété industrielle et commerciale que l' article 85 du traité CEE s' applique indéniablement, en principe, à de telles licences, mais que la compatibilité de celles-ci avec la prohibition édictée par l' article 85, paragraphe 1, dépend d' un certain nombre de facteurs spécifiques. (43) Dès lors, à supposer que l' octroi de licences par une entreprise telle que British Coal conduise effectivement à une certaine concurrence sur le marché britannique du charbon, cela n' empêche pas que les conditions dans lesquelles ces licences sont délivrées tendent à fausser la concurrence d' une façon qui serait interdite par l' article 65, paragraphe 1.

Cela nous conduit à une deuxième observation : la thèse de British Coal, selon laquelle l' interdiction édictée par l' article 65, paragraphe 1, ne s' étendrait pas au montant des tarifs des redevances et des paiements, ne saurait non plus être admise (44) : cette interdiction a pour objet de veiller à ce que les dispositions d' un accord entre entreprises soumises au traité CECA n' exercent pas - directement ou indirectement - un effet perturbateur sur la concurrence dans le marché commun du charbon et de l' acier. Or, nous pouvons imaginer que l' imposition d' un tarif de redevance excessivement élevé en tant que clause d' une licence soumise à redevance ou l' imposition d' un prix d' achat excessivement bas pour le charbon extrait dans le cadre d' une licence soumise à l' obligation de livraison peuvent, à tout le moins indirectement, empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence. Ainsi, une redevance excessivement élevée ou un prix d' achat excessivement bas pourraient dissuader le titulaire de la licence d' extraire davantage de charbon et/ou de solliciter de nouvelles licences ou, en raison d' une rentabilité trop faible, d' effectuer de nouveaux investissements. De telles clauses peuvent alors constituer une restriction ou un contrôle de la production ou des investissements au sens de l' article 65, paragraphe 1, sous b) du traité CECA. Bien entendu, une telle situation doit être appréciée à la lumière de l' ensemble du contexte factuel de l' affaire.

Nous formulerons une troisième et dernière observation : l' applicabilité de l' article 65, paragraphe 1 du traité CECA n' est pas influencée par la circonstance que l' article 66, paragraphe 7 du traité CECA s' appliquerait également, éventuellement, aux faits dont il est question dans le litige au principal (et inversement). En effet, s' agissant du rapport entre les articles 85 et 86 du traité CEE, la Cour a déjà indiqué que, dans des circonstances bien définies, ces articles peuvent s' appliquer simultanément. Nous pensons à l' arrêt Hoffmann-La Roche, dans lequel, s' agissant de contrats d' approvisionnement exclusifs - incriminés par la Commission sur le fondement de l' article 86 du traité CEE - la Cour s' est demandée si ceux-ci ne sont pas visés par l' article 85 du traité CEE, et en particulier par son paragraphe 3 :

"que la circonstance que des accords de ce genre pourraient relever de l' article 85, et notamment de son paragraphe 3, n' a cependant pas pour effet d' éliminer l' application de l' article 86, cette dernière disposition visant en effet, de façon expresse, des situations qui trouvent manifestement leur origine dans des liens contractuels". (45)

La Cour a confirmé ce point de vue dans l' arrêt Ahmed Saeed, dans lequel était entre autres soulevée la question de savoir si l' application d' un tarif aérien était susceptible de constituer un abus de position dominante lorsque l' application de ce tarif résulte d' un accord entre deux entreprises qui, en tant que tel, est visé par l' interdiction de l' article 85, paragraphe 1 :

"Ces considérations n' excluent pas l' hypothèse où un accord entre deux ou plusieurs entreprises ne représente que l' acte formel qui consacre une réalité économique caractérisée par le fait qu' une entreprise en position dominante a réussi à faire appliquer les tarifs en cause par d' autres entreprises. Dans une telle hypothèse, l' applicabilité simultanée des articles 85 et 86 ne saurait être écartée." (46)

Le Tribunal a également adopté cette attitude dans l' arrêt Tetra Pak (47). Nous n' apercevons aucune raison convaincante pour écarter une analyse analogue s' agissant du rapport entre les articles 65, paragraphe 1 et 66, paragraphe 7 du traité CECA.

D. L' article 66, paragraphe 7 du traité CECA

22. La juridiction de renvoi demande enfin si l' article 66, paragraphe 7 du traité CECA s' applique à la présente affaire. Cette disposition est rédigée de la manière suivante :

"Si la Haute Autorité reconnaît que des entreprises publiques ou privées qui, en droit ou en fait, ont ou acquièrent, sur le marché d' un des produits relevant de sa juridiction, une position dominante qui les soustrait à une concurrence effective dans une partie importante du marché commun, utilisent cette position à des fins contraires aux objectifs du présent traité, elle leur adresse toutes recommandations propres à obtenir que cette position ne soit pas utilisée à ces fins. A défaut d' exécution satisfaisante desdites recommandations dans un délai raisonnable, la Haute Autorité, par décisions prises en consultation avec le gouvernement intéressé, et sous les sanctions prévues respectivement aux articles 58, 59 et 64, fixe les prix et conditions de vente à appliquer par l' entreprise en cause, ou établit des programmes de fabrication ou des programmes de livraison à exécuter par elle."

Toutes les parties intervenant devant la Cour, à l' exception du gouvernement britannique, estiment que cette disposition s' applique aux licences d' extraction du charbon brut et aux clauses qu' elles prévoient en matière de redevances et de paiements. British Coal ajoute toutefois que, pour que cette disposition soit applicable, il convient d' établir la preuve d' une position dominante et d' un abus. Selon le gouvernement du Royaume-Uni, en revanche, l' article 66, paragraphe 7 n' est applicable que si la Commission reconnaît qu' une entreprise occupe une position dominante sur le marché de l' un des produits relevant du traité CECA, parmi lesquels, rappelle le gouvernement du Royaume-Uni, le charbon brut ne figure pas. Cette disposition ne serait pas applicable aux licences d' extraction de charbon brut en l' absence d' un lien suffisant entre les conditions auxquelles ces licences sont accordées et les conditions dans lesquelles le commerce de charbon extrait est pratiqué.

23. Nous pourrons être bref sur ce point. Nous avons précédemment démontré que le charbon brut constitue bien un produit qui relève du champ d' application du traité CECA (au point 9). Il est également clair que British Coal est une entreprise qui appartient à la catégorie visée par l' article 66, paragraphe 7, des "entreprises publiques". En outre, tous les éléments dont la Cour dispose indiquent que British Coal doit être considérée comme une entreprise occupant une position dominante dans une partie importante du marché commun au sens de la disposition précitée : en effet, elle est de loin le plus important producteur de charbon au Royaume-Uni (selon la décision, en 1989/1990, elle était responsable de 97 % de la production de charbon au Royaume-Uni) et le plus important fournisseur de charbon du secteur de la production d' électricité (au cours de la même période, plus de 90 %), ce qui, indéniablement, est lié à ses prérogatives légales (voir ci-dessus, au point 2), à savoir le droit de propriété qui lui est accordé sur la plus grande partie du charbon brut en Grande-Bretagne et le droit exclusif de traitement et d' extraction de ce charbon.

Dès lors, l' article 66, paragraphe 7 du traité CECA est applicable à British Coal même si, selon la Cour, le seul fait d' occuper une position dominante, d' acquérir une telle position ou d' obtenir le bénéfice d' un droit exclusif ne peut pas être regardé comme une méthode abusive d' élimination de la concurrence. (48) Pour qu' en l' espèce, il y ait violation de cette disposition, il est donc nécessaire de prouver que, lors de l' octroi des licences et de la fixation des clauses qu' elles comportent en matière de redevances et de paiements, British Coal a utilisé sa position dominante d' une manière contraire aux objectifs du traité CECA, par exemple en adoptant des comportements équivalant à des pratiques discriminatoires ou restrictives au sens de l' article 4, respectivement sous b) et sous d) du traité CECA. (49)

IV Les dispositions du traité concernées ont-elles un effet direct ?

24. Par sa troisième question, la juridiction de renvoi veut s' entendre dire si les articles 4, sous d), 60, 65 et/ou 66, paragraphe 7 du traité CECA ont effet direct en ce sens qu' ils créent des droits dont des particuliers peuvent se prévaloir et que les juridictions nationales doivent protéger. De nouveau, la Cour se trouve confrontée à deux points de vue opposés. Banks et la Commission préconisent une application linéaire, au traité CECA, de la jurisprudence de la Cour relative à l' effet direct des dispositions du traité CEE, pour aboutir au résultat selon lequel (quasiment) toutes les dispositions citées par la juridiction de renvoi sont directement applicables. En revanche, British Coal et le gouvernement britannique excluent tout effet direct du traité CECA, sauf dans la mesure où les dispositions du traité prévoient explicitement un tel effet. British Coal fonde son argumentation à titre principal sur les différences existant entre le traité CEE et le traité CECA, telles qu' elles résulteraient d' une analyse générale de ce dernier traité et du rôle attribué à la Commission dans le cadre dudit traité. A titre subsidiaire, British Coal soutient, comme le fait le gouvernement du Royaume-Uni, que les dispositions concernées du traité CECA ne sont pas suffisamment précises et inconditionnelles pour pouvoir avoir effet direct.

A. Les dispositions du traité CECA peuvent-elles vraiment avoir effet direct ?

25. L' argumentation soulevée par British Coal revient à considérer que, d' un point de vue général, le traité CECA ne serait pas susceptible de comporter un effet direct eu égard à un certain nombre de différences fondamentales qu' il présenterait par rapport au traité CEE, en particulier en ce qui concerne le rôle dévolu à la Commission, qui présente un caractère de primauté beaucoup plus accentué dans le cadre du traité CECA. Fondamentalement, nous ne saurions partager cette conception, pour les raisons suivantes. Nous estimons que la prémisse de toute analyse de l' effet direct des dispositions communautaires est l' unité de l' ordre juridique communautaire. Dans son avis 1/91, la Cour a souligné dans les termes les plus explicites cette unité, qui couvre les différents traités communautaires, en se référant à l' arrêt Van Gend & Loos (50) :

"Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, les traités communautaires ont instauré un nouvel ordre juridique au profit duquel les Etats ont limité, dans des domaines de plus en plus étendus, leurs droits souverains et dont les sujets sont non seulement les Etats membres, mais également leurs ressortissants (...). Les caractéristiques essentielles de l' ordre juridique communautaire ainsi constitué sont, en particulier, sa primauté par rapport aux droits des Etats membres ainsi que l' effet direct de toute une série de dispositions applicables à leurs ressortissants et à eux-mêmes." (51)

C' est précisément cette unité de l' ordre juridique communautaire qui a amené la Cour, depuis longtemps (52), dans de nombreux arrêts, à tendre à une cohérence (53) aussi grande que possible aux fins de l' interprétation des traités CEE et CECA : nous nous contenterons de mentionner l' ordonnance Camera Care, dans laquelle, s' agissant de la répartition des tâches entre la Commission et la Cour de justice en ce qui concerne les mesures provisoires, la Cour s' est fondée sur son ordonnance dans l' affaire National Carbonising, rendue dans le cadre du traité CECA (54), l' arrêt Foto-Frost, dans lequel la Cour a cherché à rejoindre le traité CECA en ce qui concerne la question de sa compétence au titre de l' article 177 du traité CEE, pour constater l' invalidité d' un acte d' une institution communautaire (55), l' arrêt Busseni, dans lequel la Cour s' est inspirée du traité CEE pour fonder sa compétence d' interprétation au titre de l' article 41 du traité CECA (56), le parallèle que, dans l' arrêt Francovich, la Cour a établi entre les articles 5 du traité CEE et l' article 86 du traité CECA pour fonder l' obligation, incombant aux Etats membres, de réparer le dommage résultant des violations du droit communautaire (57), et la manière, particulièrement pertinente en l' espèce dont, dans l' arrêt Busseni, la Cour applique sans restriction sa jurisprudence relative à l' effet direct possible de directives non transposées, aux recommandations, au sens du traité CECA. (58)

Il ressort surtout de ce dernier arrêt que la Cour n' a aucune peine à transposer les critères de l' effet direct aux règles du traité CECA. Si la Cour transpose ces critères pour des règles de droit communautaire dérivé - et même pour des règles du droit des traités contenues dans des accords d' association ou de coopération conclus par la Communauté avec des pays tiers (59) - nous n' apercevons pas la raison pour laquelle, a fortiori, la même démarche ne devrait pas être adoptée pour des dispositions du traité CECA, c' est-à-dire des règles contenues dans un traité communautaire.

Par ailleurs, une application au traité CECA des critères de l' arrêt Van Gend & Loos - ce que la Cour n' a jamais explicitement fait - aboutit au même résultat. En effet, les caractéristiques considérées comme déterminantes dans cet arrêt pour l' existence de l' effet direct sont communes au traité CEE et au traité CECA et, parmi celles-ci, nous mentionnerons surtout : i) le parallélisme d' objectif des deux traités, en particulier en ce qui concerne l' instauration d' un marché commun et la création d' institutions communes (60), et il ressort du préambule du traité CECA que ce traité s' adresse lui aussi - ne fût-ce que dans le domaine limité du marché du charbon et de l' acier - directement aux peuples de l' Europe (61); ii) le caractère supranational du cadre institutionnel des deux traités (62) et, dans ce contexte, il convient de souligner que, dès la création de la CECA, un certain rôle (ne fût-ce que, essentiellement, un rôle de contrôle et un rôle d' avis) a été attribué aux ressortissants des Etats membres par le biais de la représentation dans l' Assemblée commune et le Comité consultatif (63); iii), et cet aspect n' est pas le moins important, le rôle que les deux traités attribuent à la Cour de justice dans le cadre de la procédure à titre préjudiciel (respectivement, les articles 177 du traité CEE et 41 du traité CECA), dont, dans l' arrêt Busseni, la Cour a souligné les objectifs communs sous-jacents. (64)

Enfin, comme nous l' avons fait ressortir ci-dessus (au point 13), il existe des précédents dans l' ancienne jurisprudence CECA, dans laquelle la Cour a prononcé l' effet direct - même si elle l' a fait en d' autres termes, à savoir ceux d' "applicabilité immédiate" - d' une disposition du traité CECA, à savoir l' article 4. D' ailleurs, dès le début de la CECA, une partie importante de la doctrine s' est prononcée en faveur de l' applicabilité directe des dispositions du traité CECA (65), un point de vue qui a été repris dans l' arrêt du Bundesgerichtshof du 14 avril 1959, invoqué tant par British Coal que par le gouvernement du Royaume-Uni, surtout en ce qui concerne la quatrième question (66).

26. Les différences entre l' économie du traité CECA et celle du traité CEE, mentionnées par British Coal, sont réelles mais ne contrebalancent nullement les principes et caractéristiques communs mentionnés précédemment. Ainsi, il est exact que le traité CECA ne prévoit qu' une intégration partielle, limitée aux secteurs du charbon et de l' acier, alors que le traité CEE concerne pratiquement l' ensemble de l' économie des Etats membres et il est exact que - comme la Cour l' a elle-même reconnu dans l' arrêt Busseni (67) - dans le cadre du traité CECA, la Commission joue un rôle beaucoup plus marqué que dans le cadre du traité CEE. En revanche, toutefois, premièrement, beaucoup de dispositions du traité CECA sont plus détaillées que ne le sont celles du traité CEE (c' est pour cette raison également que le premier a été qualifié de "traité-loi", tandis que le second a été qualifié de "traité-cadre" ou "traité de procédure") (68) et que, à la différence de la majorité des dispositions du traité CEE (lesquelles, à l' exception des dispositions relatives à la concurrence, ont principalement pour destinataires les Etats membres), beaucoup de ces dispositions constituent des règles de comportement dont sont destinataires les entreprises. En ce sens, beaucoup de dispositions du traité CECA se prêtent même plus aisément à l' effet direct (horizontal) que celles du traité CEE (voir ci-après, aux points 28 et suivants).

En deuxième lieu, s' agissant des compétences de la Commission dans le cadre du traité CECA, celles-ci sont principalement de nature exécutive et tendent avant tout à assurer que les entreprises relevant du champ d' application du traité CECA respectent les dispositions communautaires concernées (voir, par exemple, l' article 66, paragraphe 7 : ci-après, au point 34). En d' autres termes, la Haute Autorité est plutôt une gardienne qui doit contraindre au respect ponctuel des règles du traité (souvent suffisamment claires par elles-mêmes) qu' une autorité publique disposant de compétences politiques étendues. D' ailleurs, l' impossibilité de tirer des arguments valables contre l' effet direct du rôle ainsi attribué à la Haute Autorité, ressort déjà de l' arrêt Van Gend & Loos, dans lequel la Cour a explicitement rejeté l' argument selon lequel "le fait que le traité met à la disposition de la Commission des moyens pour assurer le respect des obligations imposées aux assujettis n' exclut pas la possibilité, dans les litiges entre particuliers devant le juge national, d' invoquer la violation de ces obligations". (69)

B. Les critères qu' il convient d' utiliser quant à l' effet direct des dispositions du traité CECA

27. Il ressort des éléments qui précèdent que les critères relatifs à l' effet direct qui ont été développés en ce qui concerne le droit du traité CEE doivent s' appliquer également sans restriction au traité CECA. Ces critères sont suffisamment connus; dans l' arrêt Hurd, du 15 janvier 1986, la Cour les a résumés de la manière suivante :

"Pour qu' une disposition produise des effets directs dans les relations entre les Etats membres et leurs justiciables, il faut, selon une jurisprudence constante de la Cour, qu' elle soit claire et inconditionnelle et qu' elle ne soit subordonnée à aucune mesure d' exécution discrétionnaire." (70)

Si on l' étudie de manière plus approfondie, la jurisprudence de la Cour présente un certain nombre de nuances dans la formulation de ces conditions (71) qui, toutefois, peuvent surtout être observées dans la jurisprudence relative à l' effet direct des directives. (72) En outre, dans sa jurisprudence récente, et en particulier dans les arrêts Francovich et Marshall II, la Cour manifeste une conception large de l' interprétation des conditions précitées : selon la Cour, même la circonstance que les Etats membres disposent de la faculté de choisir parmi une multiplicité de moyens possibles en vue d' atteindre le résultat prescrit par une directive (73) n' exclut pas l' effet direct, pour autant que le contenu des droits attribués aux particuliers puisse "être déterminé avec une précision suffisante sur la base des seules dispositions de la directive". (74)

A notre avis, les deux phénomènes confirment le caractère éminemment pratique du critère de "l' effet direct" : dès lors, et pour autant, qu' une disposition de droit communautaire soit, en elle-même, suffisamment opérationnelle pour être appliquée par le juge, il y a effet direct. La clarté, la précision, le caractère inconditionnel, complet ou parfait de la règle et le fait qu' elle ne soit pas destinée à être mise en oeuvre par des dispositions d' exécution revêtant un caractère discrétionnaire ne constituent, de ce point de vue, que les facettes d' une seule et même caractéristique que ladite règle doit présenter, à savoir la faculté d' être appliquée par le juge aux données du problème dont il a à connaître. (75)

C. Examen de l' effet direct des dispositions concernées du traité CECA

28. Nous en arrivons ainsi à l' examen de l' effet direct des articles du traité CECA cités par la juridiction de renvoi. S' agissant de l' article 4, sous d), du traité CECA, nous pouvons à cet égard déjà nous fonder sur les arrêts Groupement des Industries Sidérurgiques Luxembourgeoises cités ci-dessus (au point 13) et sur les arrêts, respectivement des 21 et 26 juin 1958 : cette jurisprudence indique clairement que les dispositions de l' article 4 "se suffisent à elles-mêmes et sont immédiatement applicables", en d' autres termes, produisent un effet direct, lorsqu' elles ne sont reprises dans aucune autre disposition du traité CECA. Comme la Cour l' a fait observer (ci-dessus, aux points 14 et 13), les interdictions édictées par cet article, et en particulier sous b) et d) ont en effet "force impérative" et "se suffisent à elles-mêmes".

29. Il ne nous paraît pas non plus qu' il existe des objections convaincantes à l' encontre de l' effet direct de l' article 60, paragraphe 1 du traité CECA, bien que, comme cela est apparu ci-dessus (au point 18), cette disposition ne s' applique pas dans le litige au principal. En effet, cette disposition se contente, s' agissant des pratiques des vendeurs en matière de prix, de préciser clairement et de manière inconditionnelle les interdictions déjà énoncées à l' article 4. Cela découle de la formulation même de l' article 60, paragraphe 1 qui, "en matière de prix", considère comme interdites "les pratiques contraires aux articles 2, 3 et 4", auxquelles elle rattache deux incidences concrètes de l' interdiction, à savoir les pratiques déloyales de concurrence qui - en particulier par des baisses de prix purement temporaires ou purement locales - tendent, à l' intérieur du marché commun, à l' acquisition d' une position de monopole et les pratiques discriminatoires comportant, dans le marché commun, l' application par un vendeur de conditions inégales à des transactions comparables, notamment suivant la nationalité des acheteurs. Contrairement à ce que soutient British Coal, cet effet direct n' est nullement affecté par le fait que l' article 60, paragraphe 1, in fine, donne compétence à la Haute Autorité (elle "pourra (...) définir"), pour définir, par voie de décision, les pratiques visées par l' interdiction édictée au paragraphe 1. (76) Dans les arrêts 1/54 et 2/54, la Cour a confirmé explicitement que la portée de ladite interdiction n' en dépend pas :

"L' article 60 interdit directement et impérativement, dans son paragraphe 1, certaines pratiques; la Haute Autorité est autorisée à les définir, mais elle ne peut pas déroger au principe de leur interdiction." (77)

30. Lorsqu' on applique les critères de l' effet direct à l' article 65, paragraphe 1 du traité CECA, on ne saurait nier, à notre avis, qu' il s' agit également en l' occurrence d' une disposition suffisamment opérationnelle : en effet, l' interdiction que cette disposition édicte est rédigée en des termes particulièrement énergiques, est claire, inconditionnelle et ne dépend d' aucune mesure d' exécution discrétionnaire. Les notables analogies entre cette disposition et l' article 85, paragraphe 1 du traité CEE - la Cour a jadis admis l' existence d' "une communauté d' inspiration" (78) entre les deux articles - impliquent d' une manière quasi évidente que la jurisprudence constante que, depuis l' arrêt BRT I, la Cour a développée en ce qui concerne l' article 85, paragraphe 1 du traité CEE s' applique également à l' article 65, paragraphe 1 du traité CECA. Dans cet arrêt, la Cour énonce que :

"les interdictions des articles 85, (1), et 86, se prêtant par leur nature même à produire des effets directs dans les relations entre particuliers, ces articles engendrent directement des droits dans le chef des justiciables que les juridictions nationales doivent sauvegarder". (79)

31. Néanmoins, en examinant de plus près la suite de l' article 65, on se heurte à un problème, sur lequel British Coal et le gouvernement britannique fondent en grande partie leur thèse selon laquelle l' article 65, paragraphe 1 ne produit pas d' effet direct. En effet, l' article 65, paragraphe 4, deuxième alinéa dispose, après que le premier alinéa a stipulé que les accords ou décisions interdits en vertu du paragraphe 1 dudit article sont nuls de plein droit et ne peuvent être invoqués devant aucune juridiction des Etats membres :

"La Haute Autorité a compétence exclusive, sous réserve d' un recours devant la Cour, pour se prononcer sur la conformité avec les dispositions du présent article desdits accords ou décisions."

Que faut-il penser de ce problème ? Si l' on interprète cet alinéa comme une référence à l' ensemble de l' article 65, et donc également à l' applicabilité de l' interdiction édictée au paragraphe 1, il apparaît effectivement qu' il ne saurait être question d' un effet direct de cette dernière disposition. Toutefois, cela conduit au résultat peu satisfaisant en vertu duquel, bien que les accords ou décisions interdits par l' article 65, paragraphe 1 soient nuls de plein droit et ne puissent être invoqués devant aucune juridiction nationale, la Haute Autorité aurait compétence exclusive pour constater l' incompatibilité de tels accords "avec les dispositions du présent article" et donc également de son paragraphe 1.

Tout comme la Commission, nous estimons qu' une telle interprétation ne saurait prévaloir. Avant de développer ce point de vue, nous voudrions préalablement écarter un argument qui est soulevé par les opposants à l' effet direct de l' article 65, paragraphe 1. En effet, ceux-ci estiment que l' article 65, paragraphe 4, deuxième alinéa, aurait été délibérément formulé de cette manière par les auteurs du traité, pour éviter qu' une libre application, par les juges nationaux, de l' article 65, paragraphe 1 ne compromette l' application uniforme du traité CECA. Si, initialement, cette crainte pouvait être justifiée, elle n' a plus de raison d' être depuis l' arrêt Busseni, à tout le moins pas plus de raison d' être qu' en ce qui concerne l' article 85, paragraphe 1 du traité CEE. Comme nous l' avons exposé (ci-dessus, au point 25), dans cet arrêt, par analogie avec l' article 177 du traité CEE, la Cour a décidé que la compétence en matière de décision préjudicielle attribuée à la Cour par l' article 41 du traité CECA ne s' étendait pas seulement au contrôle de la validité, mais également à l' interprétation. (80) Dès lors, l' application uniforme de l' article 65, paragraphe 1 peut être garantie par les juridictions nationales, en soumettant, à titre préjudiciel, des questions d' interprétation à la Cour.

32. Afin de comprendre la portée exacte de la compétence exclusive attribuée à la Haute Autorité par l' article 65, paragraphe 4 du traité CECA, il convient d' avoir à l' esprit la distinction opérée dans le cadre du droit de la concurrence du traité CEE, et plus particulièrement eu égard à l' article 9 du règlement n 17 du Conseil, relatif à l' application des articles 85 et 86 du traité CEE (81), tel qu' il est interprété dans la jurisprudence de la Cour. Il s' agit de la distinction entre, d' une part, la compétence des autorités compétentes en matière d' ententes - c' est-à-dire la Commission et, aussi longtemps que celle-ci n' a pas engagé la procédure prévue au règlement n 17, les autorités nationales compétentes en matière d' ententes - pour, au titre, respectivement, de l' article 9, paragraphe 2 et de l' article 9, paragraphe 3 du règlement n 17, appliquer l' article 85, paragraphe 1 et l' article 86 (82) et, d' autre part, de la compétence des juridictions nationales (83) "devant lesquelles les interdictions des articles 85 et 86 sont invoquées dans un litige de droit privé". (84) La compétence de ces juridictions - qui, selon l' arrêt BRT I, ne peuvent pas être qualifiées d' "autorités des Etats membres" au sens de l' article 9 du règlement n 17 - "pour appliquer les dispositions du droit communautaire, notamment dans ces litiges, dérive de l' effet direct de celles-ci". (85) Selon la Cour, l' article 9 précité ne saurait porter atteinte à cette compétence judiciaire sous peine de "priver les particuliers de droits qu' ils tirent du traité lui-même". (86)

33. C' est à la lumière de cette distinction opérée dans le cadre du droit CEE de la concurrence et eu égard à la nécessité de cohérence dans l' interprétation du traité CECA et du traité CEE et d' une protection juridique aussi complète que possible des entreprises que l' article 65, paragraphe 4 du traité CECA doit être compris. Son premier alinéa concerne la compétence, découlant de l' effet direct de l' article 65, paragraphe 1, des juridictions nationales pour, dans un litige de droit privé dans lequel cette disposition est invoquée, constater l' interdiction qu' elle comporte et la nullité de plein droit qui lui est liée. (87) Le deuxième alinéa, qui confère à la Haute Autorité compétence exclusive pour se prononcer sur "la conformité" d' un accord avec "les dispositions du présent article" concerne en revanche le pouvoir de l' autorité communautaire compétente en matière d' ententes d' appliquer les dispositions de l' article 65 du point de vue de politique de la concurrence, c' est-à-dire, pour autant que cette application comporte une marge d' appréciation. Une telle marge d' appréciation existe dans le cadre de l' octroi d' une exemption de l' interdiction de concurrence, tel qu' il est prévu à l' article 65, paragraphe 2 (de même que dans le cadre de l' imposition d' amendes et d' astreintes, qui est prévue à l' article 65, paragraphe 5). Selon l' article 65, paragraphe 4, la Haute Autorité a compétence exclusive pour prononcer une telle exemption (et pour imposer de telles amendes et astreintes), à l' exclusion des autorités nationales compétentes en matière d' ententes, mais également à l' exclusion des juridictions nationales, étant donné que les dispositions des articles 65, paragraphe 2 (et 5) ne sont pas pourvues d' un effet direct. (88)

Nous en venons donc à la conclusion selon laquelle la disposition de l' article 65, paragraphe 4, deuxième alinéa, ne fait pas obstacle à l' effet direct de l' article 65, paragraphe 1 du traité CECA et à la compétence qui en découle pour les juridictions nationales de déclarer nuls les accords interdits par cette disposition.

34. Il nous reste à examiner si l' article 66, paragraphe 7 du traité CECA produit ou non un effet direct. Sur ce point également, il existe une controverse entre les parties intervenant devant la Cour. Banks et la Commission prétendent que cette disposition produit un effet direct, British Coal et le gouvernement du Royaume-Uni prétendent le contraire. L' argumentation de ces deux dernières parties à l' encontre de l' effet direct est en grande partie parallèle : elle revient à soutenir que, contrairement à l' application de l' article 86 du traité CEE, dans le cadre duquel il est question du fait d' "exploiter de façon abusive", l' application de l' article 66, paragraphe 7 du traité CECA dépendrait de la constatation, par la Commission, de l' existence de pratiques "contraires aux objectifs du présent traité". L' article 66, paragraphe 7, s' articulerait autour de la question de savoir comment la Commission doit intervenir dans une telle situation. En outre, le gouvernement du Royaume-Uni fait observer que, tandis que l' article 86 du traité CEE dispose explicitement que "le fait (...) d' exploiter de façon abusive" une position dominante est "interdit", l' article 66, paragraphe 7 du traité CECA évite ces termes.

35. Il est indéniable qu' il existe des différences rédactionnelles notables entre l' article 86 du traité CEE et l' article 66, paragraphe 7 du traité CECA. Ainsi, cette dernière disposition met effectivement l' accent sur l' intervention de la Haute Autorité qui est obligée, lorsqu' une entreprise utilise une position dominante à des fins contraires aux objectifs du traité CECA, de procéder aux recommandations nécessaires et, à défaut de respect de ces recommandations, d' adopter des mesures pour obtenir que l' entreprise concernée n' utilise pas sa position aux fins précitées; en revanche, l' article 86 du traité CEE impose directement aux entreprises l' interdiction d' exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci.

Néanmoins, à notre avis, les arguments en faveur de l' effet direct de l' article 66, paragraphe 7 l' emportent. Tout d' abord, en dépit de l' accent mis sur l' intervention de la Haute Autorité, il est constant que l' argument qui pouvait être soulevé sur le fondement de l' article 65, paragraphe 4, deuxième alinéa (ci-dessus, au point 31) n' est pas pertinent en l' occurrence : l' article 66, paragraphe 7 ne fait nullement mention d' une compétence exclusive de la Haute Autorité pour entreprendre une action à l' encontre de l' exploitation abusive d' une position dominante.

En deuxième lieu, l' article 66, paragraphe 7 est rédigé en termes clairs et indique de façon précise les conditions de son application : il est requis que i) des entreprises publiques ou privées, ii) qui, en droit ou en fait, ont ou acquièrent, sur le marché d' un des produits relevant du champ d' application du traité CECA, une position dominante qui les soustrait à une concurrence effective dans une partie importante du marché commun, iii) utilisent cette position à des fins contraires aux objectifs du traité CECA. Cette référence aux objectifs du traité comporte manifestement une référence à l' article 4 du traité CECA - disposition pourvue d' effet direct - de telle sorte qu' il est clair que les mesures ou pratiques établissant une discrimination ou, respectivement, les pratiques restrictives tendant à la répartition ou à l' exploitation des marchés, interdites aux points b) et d) de cet article, relèvent des pratiques incriminées par l' article 66, paragraphe 7. Cette constatation atténue nettement l' argument soulevé par le gouvernement britannique selon lequel, à la différence de l' article 86 du traité CEE, l' article 66, paragraphe 7 ne formulerait pas une interdiction de l' exploitation abusive d' une position dominante.

Enfin, nous considérons que le fait que l' article 66, paragraphe 7 ne laisse à la Commission que peu ou pas de marge d' appréciation, est déterminant : l' appréciation, par celle-ci, du point de savoir s' il y a violation, est soumise à des critères précis et l' action qu' elle doit entreprendre pour neutraliser la menace ou l' existence d' un abus, est définie de manière stricte (une recommandation ou, à défaut d' exécution de celle-ci, une décision). Il n' est nullement question d' un quelconque pouvoir discrétionnaire, de précision ou d' exemption : il s' agit uniquement d' un pouvoir d' application dans le cadre duquel tout au plus, lorsqu' elle adopte une décision, la Commission dispose du choix entre l' imposition de prix et de conditions de vente et l' établissement de programmes de fabrication ou de livraison. Il nous paraît évident que cela ne fait pas obstacle à l' effet direct, assurément dans l' interprétation large que la Cour donne à ce concept dans les arrêts Francovich et Marshall II (ci-dessus au point 27).

V Le pouvoir et/ou l' obligation, pour les juridictions nationales, d' accorder des dommages et intérêts en cas de violation des articles précités des traités

A. Examen du fondement communautaire du droit aux dommages et intérêts en cas de violation des règles communautaires de concurrence

36. Parmi les problèmes soulevés dans le cadre de la présente affaire, la quatrième question posée par la juridiction de renvoi est celle qui présente le plus le caractère d' une question de principe. Nous la rappellerons : les juridictions nationales ont-elles, en vertu du droit communautaire, le pouvoir et/ou l' obligation d' accorder, en cas de violation des articles précités du traité CECA (ou du traité CEE), des dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par ces violations ? Il nous paraît nécessaire, avant d' entamer l' examen de ces questions, de formuler trois observations. Premièrement : dans les développements ci-dessous, conformément aux constatations que nous avons précédemment formulées (voir ci-dessus, aux points 8 et 9), nous partons du principe que seul le traité CECA est applicable en l' espèce. Dès lors, notre examen ne concerne pas les articles 85 et 86 du traité CEE, même si nous estimons que ses résultats peuvent s' appliquer à ces dispositions. Deuxièmement : nous articulerons notre analyse exclusivement autour de la question des dommages et intérêts en cas de violation de dispositions d' effet direct du droit communautaire. En effet, précédemment, nous sommes arrivé à la constatation que toutes les dispositions du traité CECA mentionnées par la juridiction de renvoi et applicables en l' espèce pouvaient être directement invoquées. Troisièmement : nous limiterons notre examen à la question de la responsabilité d' une entreprise en cas d' infraction à des dispositions du traité qui sont dotées d' un effet direct. Nous n' aborderons pas la problématique de la responsabilité des pouvoirs publics pour violation de dispositions des traités dotées d' un effet direct, et en particulier des modalités d' une action en réparation du dommage qu' un justiciable aurait subi en raison d' une législation nationale contraire aux traités communautaires : cette question est soulevée dans deux autres affaires actuellement en instance devant la Cour, à savoir les affaires jointes C-46/93 et C-48/93. (89)

37. Nous examinerons de manière très sommaire les points de vue des parties intervenant devant la Cour qui, également sur cette question, présentent des différences notables. Banks soutient, entre autres en se fondant sur l' arrêt Francovich (90), que l' action en dommages et intérêts précitée trouve effectivement son fondement dans le droit communautaire. Selon Banks, en cas de violation de dispositions des traités dotées d' un effet direct, un recours efficace devant les juridictions nationales doit être possible; en particulier, l' octroi de dommages et intérêts serait essentiel pour le respect des règles de concurrence communautaires, d' autant plus qu' il exerce sur les entreprises un effet de dissuasion à l' égard des pratiques illégales. La Commission renvoie elle aussi à l' arrêt Francovich et en déduit que, sur le fondement respectif de l' article 5 du traité CEE et de l' article 86 du traité CECA, les juridictions nationales sont tenues d' accorder des dommages et intérêts; étant donné que, dans cet arrêt, la Cour a admis l' obligation d' indemnisation s' agissant de dispositions d' une directive qui ne produisent pas un effet direct, une telle obligation s' appliquerait a fortiori en cas de violation d' une disposition des traités dotée d' un effet direct.

British Coal et le gouvernement du Royaume-Uni sont beaucoup plus réticents. La première admet qu' en cas de violation de dispositions du traité CEE qui produisent un effet direct, la juridiction nationale peut allouer des dommages et intérêts selon les mêmes règles que celles applicables dans des affaires relevant uniquement du droit national; étant donné toutefois qu' aucune des dispositions du traité CECA qui sont invoquées ne produit un effet direct, il ne saurait en être question en l' espèce. Selon le gouvernement du Royaume-Uni, il résulte d' une jurisprudence constante de la Cour qu' il appartient à la juridiction nationale d' apprécier, dans le cadre de son propre ordre juridique, et en considération des circonstances de l' espèce, si la violation d' une disposition d' effet direct des traités doit être sanctionnée par l' octroi de dommages et intérêts. Toutefois, certaines dispositions parmi celles citées par la juridiction de renvoi n' auraient pas d' effet direct et, dès lors, ne conféreraient pas de droits, de telle sorte que la juridiction nationale ne pourrait pas avoir la compétence, ni l' obligation, au titre du droit communautaire, d' octroyer des dommages et intérêts en cas de violation desdites dispositions.

38. Existe-t-il un fondement communautaire étayant la compétence ou l' obligation de la juridiction nationale d' octroyer des dommages et intérêts en cas de violation d' une disposition des traités dotée d' un effet direct ? Nous rappellerons immédiatement que, selon une jurisprudence constante,

"la faculté offerte aux justiciables d' invoquer devant les juridictions nationales les dispositions directement applicables du traité ne constitue qu' une garantie minimale et ne suffit pas à assurer à elle seule l' application pleine et complète du traité". (91)

Dès lors, aux yeux de la Cour, l' effet direct d' une disposition des traités communautaires constitue un point de départ, mais certainement pas un terme dans le mécanisme que le droit communautaire met à disposition en vue de son application pleine et entière et de la protection juridique nécessaire à cet effet. Au cours des années, outre les exhortations au respect de leurs obligations au titre du droit communautaire adressées aux législateurs ou pouvoirs réglementaires nationaux (92), la Cour a, en particulier, précisé le rôle joué par la juridiction nationale dans le cadre de ses compétences, afin que les dispositions de droit communautaire produisent leur plein effet. Ce rôle relève surtout du domaine de la protection juridique : selon la Cour dans l' arrêt Simmenthal, toute juridiction nationale saisie "dans le cadre de sa compétence, a, en tant qu' organe d' un Etat membre, pour mission de protéger les droits conférés aux particuliers par le droit communautaire". (93) Selon une jurisprudence constante, résumée dans l' arrêt Factortame I, le fondement de cette obligation réside dans l' article 5 du traité CEE :

"Selon la jurisprudence de la Cour, c' est aux juridictions nationales qu' il incombe, par application du principe de coopération énoncé à l' article 5 du traité, d' assurer la protection juridique découlant pour les justiciables de l' effet direct des dispositions du droit communautaire (...)." (94)

Nous allons immédiatement examiner la portée exacte de cette obligation incombant aux juridictions nationales. Nous noterons déjà que le principe de coopération précité s' applique sans restriction dans le cadre du traité CECA : en effet, comme la Cour l' a fait observer dans l' arrêt Francovich, l' article 86 du traité CECA comporte une "disposition analogue" (95) étant donné que - à quelques nuances près - il contient une obligation, identique à celle de l' article 5 du traité CEE, de coopération loyale pour les Etats membres de la CECA et dès lors pour leurs organes judiciaires.

39. La Cour a constamment précisé les obligations incombant à la juridiction nationale, quant à la protection juridique requise pour une pleine application du droit communautaire. Les étapes les plus connues à cet égard sont les arrêts Simmenthal, Factortame I et Francovich.

L' arrêt Simmenthal énonçait

"que tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, a l' obligation d' appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant inappliquée toute disposition éventuellement contraire de la loi nationale, que celle-ci soit antérieure ou postérieure à la règle communautaire". (96)

Dans l' arrêt Factortame I, la Cour a appliqué cette jurisprudence aux règles nationales de procédure :

"la pleine efficacité du droit communautaire se trouverait tout aussi diminuée si une règle de droit national pouvait empêcher le juge saisi d' un litige régi par le droit communautaire d' accorder les mesures provisoires en vue de garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir sur l' existence des droits invoqués sur la base du droit communautaire. Il en résulte que le juge qui, dans ces circonstances, accorderait des mesures provisoires s' il ne se heurtait pas à une règle de droit national est obligé d' écarter l' application de cette règle." (97)

Enfin, dans l' arrêt Francovich, la Cour a franchi une étape décisive en déduisant du système et des principes fondamentaux du traité CEE (voir ci-dessous, au point 40) que "le principe de la responsabilité de l' Etat pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables est inhérent au système du traité". (98) En effet, selon la Cour,

"la pleine efficacité des normes communautaires serait mise en cause et la protection des droits qu' elles reconnaissent serait affaiblie si les particuliers n' avaient pas la possibilité d' obtenir réparation lorsque leurs droits sont lésés par une violation du droit communautaire imputable à un Etat membre." (99)

40. On ne saurait évidemment tirer argument du fait que les règles de droit communautaire dont il était question dans l' arrêt Francovich étaient comprises dans une directive (100) et que, après une analyse approfondie, la Cour a considéré qu' elles n' étaient pas directement applicables (101), pour refuser les dommages et intérêts en cas de violation de dispositions du traité qui produisent un effet direct. En revanche, tout comme la Commission, nous estimons que l' existence d' un effet direct constitue un argument a fortiori : par ailleurs, dans l' arrêt Foster, la Cour a admis, dans le cas d' une disposition d' une directive produisant un effet direct, que la violation d' une telle disposition pouvait être invoquée par un particulier à l' encontre de l' Etat (dans un sens très large : voir ci-après au point 41) en vue d' obtenir des dommages et intérêts. (102)

On peut certes se demander si la valeur de précédent de l' arrêt Francovich s' étend aux actions intentées par un particulier (ou par une entreprise) contre un autre particulier (ou une autre entreprise), en réparation du dommage qui résulte de la violation, par cet autre particulier ou cette autre entreprise, d' une disposition des traités dont l' effet s' étend directement aux relations entre particuliers. En effet, dans cet arrêt, la Cour a admis explicitement que

"le droit communautaire impose le principe selon lequel les Etats membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables." (103)

41. A notre avis, la réponse à cette question est affirmative, quoiqu' il faille observer qu' en l' espèce, la Cour pourrait l' éluder en ayant recours à un procédé éprouvé. En effet, ainsi que cela est apparu ci-dessus (au point 2), British Coal est une société fondée en vertu d' une loi, qui est entièrement la propriété des autorités britanniques et qui est investie d' un certain nombre de droits et de missions, légalement définis, au nombre desquels figure un monopole de principe du traitement et de l' extraction du charbon en Grande-Bretagne. En ce sens, elle relève indéniablement du concept très large d' "Etat", que la Cour a développé dans sa jurisprudence relative à l' effet direct des directives, à savoir

"un organisme qui, quelle que soit sa forme juridique, a été chargé en vertu d' un acte de l' autorité publique d' accomplir, sous le contrôle de cette dernière, un service d' intérêt public et qui dispose, à cet effet, de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre particuliers." (104)

Toutefois, nous ne recommandons en aucune façon à la Cour d' adopter une telle solution. Elle laisserait subsister un doute important quant à la question de l' existence ou non d' un fondement communautaire pour les actions en dommages et intérêts pour cause de violation des règles de concurrence du droit communautaire par des entreprises privées, auxquelles ces règles sont en premier lieu applicables. En outre, la distinction entre l' Etat et le privé nous paraît tellement précaire et difficile à opérer, assurément dans le cadre d' industries telles que le charbon et l' acier, dans lesquelles l' intervention des autorités publiques adopte une grande diversité de formes, qu' il ne paraît pas judicieux de l' appliquer en l' occurrence, par analogie avec la jurisprudence relative à l' effet direct des directives.

42. A notre avis, la valeur de précédent que revêt l' arrêt Francovich pour la présente affaire découle de la façon dont, sous forme de principe, aux points 31 et 32 dudit arrêt, la Cour infère le précepte de la responsabilité de l' Etat "du système général du traité et de ses principes fondamentaux" (105) :

"Il y a lieu de rappeler, tout d' abord, que le traité CEE a créé un ordre juridique propre, intégré aux systèmes juridiques des Etats membres et qui s' impose à leurs juridictions, dont les sujets sont non seulement les Etats membres, mais également leurs ressortissants et que, de même qu' il crée des charges dans le chef des particuliers, le droit communautaire est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique; ceux-ci naissent non seulement lorsqu' une attribution explicite en est faite par le traité, mais aussi en raison d' obligations que le traité impose d' une manière bien définie tant aux particuliers qu' aux Etats membres et aux institutions communautaires (...).

Il y a lieu de rappeler également que, ainsi qu' il découle d' une jurisprudence constante, il incombe aux juridictions nationales chargées d' appliquer, dans le cadre de leurs compétences, les dispositions du droit communautaire, d' assurer le plein effet de ces normes et de protéger les droits qu' elles confèrent aux particuliers (...)."

La Cour applique ensuite ces principes généraux à la situation dans laquelle un Etat membre viole le droit communautaire et, de ce fait, cause un préjudice à des particuliers (aux points 33 et 34) (106) : étant donné que les dispositions communautaires n' ont une pleine efficacité que si les particuliers ont la possibilité de faire réparer ce dommage par l' Etat, selon la Cour, le principe de la responsabilité de l' Etat est "inhérent au système du traité". (107) Même la référence à l' article 5 du traité CEE n' est mentionnée par la Cour qu' en tant que fondement additionnel de la responsabilité de l' Etat ("trouve également son fondement"). (108)

43. Le fondement général que, dans l' arrêt Francovich, la Cour a donné à la responsabilité de l' Etat, vaut tout autant pour le cas où un particulier viole une obligation de droit communautaire à sa charge et, de ce fait, cause un dommage à un autre particulier. En effet, la situation est alors celle que la Cour mentionne au point 31, cité ci-dessus, de l' arrêt Francovich (et, auparavant, déjà dans l' arrêt Van Gend & Loos (109)), à savoir la violation d' un droit qu' un particulier détient en tant que contrepartie d' une obligation que le droit communautaire impose à un autre particulier. Dans ce cas également, le plein effet du droit communautaire serait affecté si le particulier ou l' entreprise que l' on a mentionnés en premier lieu n' avaient pas la possibilité d' obtenir des dommages et intérêts de la partie à laquelle la violation du droit communautaire peut être imputée. Il en est d' autant plus ainsi lorsqu' on se trouve en présence d' une violation d' une disposition de droit communautaire qui produit un effet direct : en effet, dans l' arrêt Simmenthal, la Cour a, à ce sujet, déjà fait observer que de telles dispositions

"sont une source immédiate de droits et d' obligations pour tous ceux qu' elles concernent, qu' il s' agisse des Etats membres ou de particuliers qui sont parties à des rapports juridiques relevant du droit communautaire". (110)

C' est un fait patent depuis longtemps (et en particulier depuis l' arrêt BRT I, ci-dessus, au point 30) que les articles 85 et 86 du traité CEE relèvent des dispositions de droit communautaire qui produisent un effet direct à l' égard des particuliers; il ressort de la partie qui précède de nos conclusions qu' il en va de même s' agissant des articles 4, 65, paragraphe 1 et 66, paragraphe 7 du traité CECA. Lorsqu' une entreprise qui y est soumise enfreint ces règles, conformément au raisonnement de l' arrêt Francovich, cette infraction peut lui être imputée et elle doit être rendue responsable du dommage causé par sa violation du droit communautaire.

44. Par ailleurs, dans un domaine tel que celui du droit de la concurrence, de puissants arguments supplémentaires plaident pour que, sur le fondement du droit communautaire, les entreprises puissent obtenir la compensation du dommage qu' elles subissent par suite du non-respect, par d' autres entreprises, de leurs obligations au titre du droit communautaire. Nous n' en mentionnerons que deux.

En premier lieu, l' octroi d' un tel droit à des dommages et intérêts constitue la conclusion logique de l' effet direct horizontal des règles concernées : en effet, les arrêts Simmenthal et Factortame I (ci-dessus, au point 39) n' apportent pas de solution pour le cas où une juridiction nationale se trouve non pas face à une disposition légale ou réglementaire nationale dont elle peut écarter l' application, mais à une situation relevant du droit privé, dans laquelle une ou plusieurs entreprises violent une règle de concurrence et causent de ce fait un dommage à un tiers. La seule manière efficace dont la juridiction nationale peut, dans ces circonstances, assurer pleinement le respect des dispositions d' effet direct de droit communautaire qui ont été violées, consiste à rétablir, par des dommages et intérêts, les droits de la partie lésée. Même la constatation de la nullité de la relation juridique existant entre les parties - dont on trouve le fondement explicite dans le droit communautaire (111) - n' est pas de nature à compenser le dommage (déjà) subi par un tiers.

En outre, une telle règle d' indemnisation revêt un rôle important dans le cadre du renforcement du caractère opérationnel des règles communautaires de concurrence, d' autant plus que la Commission, en sa qualité de garante de ces règles, reconnaît elle-même que, aux fins du respect desdites règles, elle est vouée à coopérer avec les juridictions nationales. (112) Par ailleurs, aux Etats-Unis, les actions en dommages et intérêts intentées par des particuliers ont depuis longtemps prouvé leur utilité aux fins du respect des règles fédérales antitrust. (113)

45. Nous concluons des éléments qui précèdent que le droit à une réparation du dommage subi en raison du fait qu' une entreprise viole les règles de concurrence communautaires d' effet direct trouve son fondement dans l' ordre juridique communautaire lui-même. Eu égard à leur obligation d' assurer le plein effet du droit communautaire et de protéger les droits accordés aux particuliers à ce titre, les juridictions nationales sont dès lors obligées d' accorder une réparation du dommage qu' une entreprise subit par suite de la violation, par une autre entreprise, d' une disposition du droit communautaire de la concurrence ayant un effet direct.

B. Modalités d' une action en réparation d' un dommage causé par la violation de règles de droit communautaire

46. L' attribution d' un fondement communautaire au droit précité de réparation d' un dommage comporte deux conséquences importantes. La première en est qu' il appartient à la Cour de préciser les modalités des actions en dommages et intérêts concernées. Nous aborderons immédiatement cette problématique : bien que la juridiction de renvoi n' ait soumis à la Cour que la question de principe de l' obligation, pour les juridictions, d' accorder des dommages et intérêts, il nous paraît judicieux, pour le règlement du litige au principal, de récapituler tout d' abord les conditions qui, selon la Cour, doivent être réunies pour que les juridictions nationales puissent rétablir les particuliers dans leurs droits (ci-après, au point 48). Ensuite, nous examinerons s' il est possible de dégager de la jurisprudence de la Cour, en particulier relative à l' article 215 du traité CEE, un enseignement qui concerne les conditions spécifiques de la responsabilité dans le cadre des affaires de concurrence quant aux éléments constitués par le dommage et par la réparation du dommage (ci-après, aux points 49 et suivants).

Il nous paraît qu' une deuxième conséquence n' est pas moins importante : étant donné la primauté du droit communautaire, la jurisprudence développée dans les arrêts Simmenthal et Factortame I (ci-dessus, au point 39) s' applique également en l' occurrence. En d' autres termes, la juridiction nationale devra écarter l' application des dispositions de son droit national qui empêchent un plein exercice du droit communautaire de réparation du dommage, tel qu' il a été défini par la Cour. Plus particulièrement, cela signifie que les conditions formulées par la Cour en matière de responsabilité ont pour effet "d' empêcher la formation valable de nouveaux actes législatifs nationaux dans la mesure où ils seraient incompatibles avec des normes communautaires". (114)

47. Ces deux points illustrent le progrès notable que comporte, pour le droit communautaire, le fondement communautaire desdites actions en dommages et intérêts. En effet, on est longtemps parti du principe selon lequel, devant les juridictions nationales, les infractions aux règles de concurrence de la CECA ou de la CEE ne pouvaient être combattues que sur le fondement des règles applicables du droit privé des Etats membres et selon lequel les restrictions s' appliquant dans ce contexte valaient dès lors, intégralement, en ce qui concerne le respect de ces règles de concurrence. (115) Point n' est besoin de démontrer que bien qu' il confère un sérieux soutien au droit communautaire à plusieurs égards (116), un renvoi au droit national comporte de réels dangers pour l' uniformité et donc pour l' efficacité de l' application de ce droit dans la mesure où trop de modalités sont laissées au droit national. (117) Pourtant, selon la Cour dans l' arrêt Zuckerfabrik, l' application uniforme du droit communautaire est "une exigence fondamentale de l' ordre juridique communautaire". (118)

D' ailleurs, le fait de donner aux actions en dommages et intérêts pour violation de dispositions de droit communautaire (de la concurrence) un fondement dans le droit communautaire lui-même fait naître une plus grande interaction entre droit communautaire et droit national, alors que, précédemment, la relation entre ces deux droits constituait plutôt une relation de dépendance exclusive de l' ordre juridique communautaire à l' égard des mécanismes de maintien de l' ordre juridique national. (119)

1. Règles communautaires minimales pour la réparation accordée par les juridictions nationales

48. Dans l' arrêt Francovich, la Cour a expressément confirmé que, dans le cas d' une action en responsabilité au titre du droit communautaire, les conséquences du préjudice causé devaient être réparées "dans le cadre du droit national de la responsabilité". (120) En effet, selon la Cour,

"en l' absence d' une réglementation communautaire, c' est à l' ordre juridique interne de chaque Etat membre qu' il appartient de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la pleine sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire (...)". (121)

La Cour confirmait ainsi une jurisprudence constante qui, à défaut de mesures communautaires d' harmonisation, renvoie, pour l' exercice des droits accordés par le droit communautaire, au droit national des Etats membres. (122) Nonobstant cette prémisse, la jurisprudence de la Cour laisse apparaître une nette tendance à préconiser un certain nombre de règles minimales auxquelles les règles nationales doivent satisfaire. Nous mentionnerons les plus importantes parmi ces règles.

- En premier lieu, la Cour a reconnu que le droit à un recours juridictionnel effectif contre les actes contraires aux règles communautaires - en d' autres termes, la possibilité d' un contrôle juridictionnel effectif - constitue un principe général de droit communautaire. (123) Bien que le droit communautaire n' ait lui-même pas entendu créer, en vue de son maintien, des voies de droit autres que celles établies par le droit national, le système communautaire de protection juridique implique que "tout type d' action prévu par le droit national doit pouvoir être utilisé pour assurer le respect des règles communautaires d' effet direct dans les mêmes conditions de recevabilité et de procédure que s' il s' agissait d' assurer le respect du droit national". (124)

- Ensuite, les conditions de fond et de forme (y compris donc les règles de compétence et de procédure) que comportent les systèmes de droit nationaux, ne peuvent pas, s' agissant des actions fondées sur le droit communautaire, être plus défavorables que celles concernant des recours similaires de nature interne ni aménagés de manière à rendre pratiquement impossible l' exercice des droits conférés par l' ordre juridique communautaire. (125) Dans l' arrêt Francovich, la Cour a explicitement appliqué cette jurisprudence aux "diverses législations nationales en matière de réparation des dommages", en précisant que les règles nationales ne sauraient "rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l' obtention de la réparation". (126)

- En outre, les modalités de preuve du droit national ne peuvent avoir pour effet de rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l' obtention de la réparation exigée par le droit communautaire, notamment par des présomptions ou des règles de preuves qui font reposer sur le justiciable en question une charge de la preuve déraisonnablement lourde, ou par des limitations particulières, en ce qui concerne la forme des preuves à rapporter, comme l' exclusion de tout mode de preuve autre que la preuve documentaire. (127)

- Les délais de recours imposés par le droit national à peine de forclusion, dans lesquels une action fondée sur le droit communautaire doit être introduite, doivent être raisonnables (128); en toute hypothèse, ils ne peuvent pas être invoqués par un Etat membre à l' encontre d' un particulier aussi longtemps que cet Etat membre ne s' est pas conformé à la règle communautaire concernée. (129)

- Toutefois, le droit communautaire ne s' oppose pas à ce que les juridictions nationales veillent, conformément à leur droit national, à ce que la protection des droits garantis par le droit communautaire n' entraîne pas un enrichissement injustifié des ayants droit. (130)

2. Conditions uniformes de responsabilité en cas de violation du droit communautaire

49. S' agissant surtout des modalités d' une action en dommages et intérêts, toute une évolution jurisprudentielle devra encore se produire. Néanmoins, nous pouvons déjà déduire un certain nombre de principes de la jurisprudence de la Cour, et en particulier de celle relative à la responsabilité extracontractuelle de la Communauté au titre de l' article 215, deuxième alinéa du traité CEE. Il nous paraît indéniable que ladite jurisprudence s' applique également à la problématique dont question en l' espèce : en effet, les critères que la Cour a développés dans le cadre de cette jurisprudence sont, selon l' article 215, deuxième alinéa du traité CEE, fondés sur les "principes généraux communs aux droits des Etats membres" et s' appliquent dès lors pour toutes les formes de responsabilité non contractuelle. (131)

Avant d' aborder ce point, nous voudrions formuler les observations suivantes relatives à la valeur de précédent de l' arrêt Francovich pour la question soulevée en l' espèce. Bien que, comme nous l' avons exposé, cette valeur de précédent s' étende de manière inconditionnelle au principe même de la responsabilité communautaire (voir ci-dessus, aux point 42 et 43), à notre sens, tel n' est pas entièrement le cas s' agissant des conditions de la responsabilité développées dans cet arrêt. Cette restriction résulte de la position nuancée adoptée par la Cour elle-même dans ledit arrêt : elle a affirmé expressément que "les conditions dans lesquelles [la responsabilité de l' Etat imposée par le droit communautaire] ouvre un droit à réparation dépendent de la nature de la violation du droit communautaire qui est à l' origine du dommage causé" (132) et s' est ensuite limitée aux conditions de la responsabilité lorsqu' un Etat membre méconnaît l' obligation qui lui incombe en vertu de l' article 189, troisième alinéa, du traité, de prendre toutes les mesures nécessaires pour atteindre le résultat prescrit par une directive. (133)

50. Dans sa jurisprudence relative à l' article 215, deuxième alinéa du traité CEE, la Cour a inféré des principes généraux communs aux droits des Etats membres que trois conditions doivent être réunies pour qu' il y ait responsabilité de la Communauté : ces conditions concernent la réalité du dommage, l' existence d' un lien de causalité entre le préjudice invoqué et le comportement reproché aux institutions et l' illégalité de ce comportement. (134) A notre sens, ces conditions en matière de responsabilité s' appliquent intégralement aux actions fondées sur la violation de dispositions d' effet direct du droit communautaire de la concurrence. Nous les examinerons successivement.

51. La réalité du dommage. La partie qui invoque la responsabilité doit prouver qu' elle a subi un dommage. Certes, dans l' arrêt Francovich, l' élément du "dommage" n' est pas mentionné parmi les conditions de la responsabilité des pouvoirs publics (135), très vraisemblablement parce qu' il était évident que, dans les affaires concernées, l' exigence relative au dommage était respectée (à savoir, le non-paiement de droits en matière de salaire de travailleurs par leur employeur, en faillite) et cet élément n' est qu' à peine précisé dans la jurisprudence de la Cour relative à l' article 215 du traité CEE. Néanmoins, les éléments suivants peuvent être dégagés de cette jurisprudence. En premier lieu, il doit s' agir d' un dommage réellement subi. (136) Dès lors, un dommage purement spéculatif est insuffisant (137) même s' il suffit, pour qu' une action en responsabilité puisse être engagée, qu' il y ait des "dommages imminents et prévisibles avec une certitude suffisante, même si le préjudice ne peut pas encore être chiffré avec précision". (138) En effet, selon la Cour il peut "s' avérer nécessaire, pour prévenir des dommages plus considérables, de saisir le juge dès que la cause du préjudice est certaine", constatation qui est "confirmée par les règles en vigueur dans les systèmes juridiques des Etats membres, dont la plupart sinon tous admettent une action en responsabilité fondée sur un dommage futur mais suffisamment certain". (139)

En deuxième lieu, quant au calcul du dommage à réparer, la Cour a précisé récemment dans l' arrêt Mulder et Heinemann qu' il y avait lieu de prendre en considération, "sauf circonstances particulières justifiant une appréciation différente, le manque à gagner". (140) Dans le même arrêt, la Cour a associé à ce point de vue une obligation de limitation du dommage incombant à la personne lésée, selon laquelle "la personne lésée, au risque de devoir supporter le dommage elle-même, doit faire preuve d' une diligence raisonnable pour limiter la portée du préjudice". (141) En toute hypothèse, dans le calcul du préjudice, conformément à l' interdiction de l' enrichissement injustifié mentionnée ci-dessus (au point 48), il convient de faire entrer en ligne de compte l' éventuelle répercussion du préjudice sur les prix de vente de l' entreprise plaignante. (142)

La Cour s' est également prononcée sur les méthodes d' évaluation du préjudice : dans l' arrêt Société Anonyme des Laminoirs, la Cour a considéré que, lorsque la seule méthode possible d' évaluation du préjudice causé par une faute de service consiste à imaginer la situation qui se serait produite si cette faute n' avait pas été commise, "les méthodes de sondages habituellement utilisées dans les études économiques permettent cependant [au juge] de parvenir à des approximations acceptables en partant de bases suffisamment sérieuses". (143)

En ce qui concerne enfin la preuve du dommage, la Cour a considéré que les droits des Etats membres en matière de responsabilité non contractuelle "sont généralement caractérisés par la liberté, pour le juge, d' apprécier tous les éléments de conviction qui lui sont présentés". (144)

52. Le lien de causalité entre la violation et le dommage. Tant la jurisprudence au titre de l' article 215, deuxième alinéa du traité CEE, que la jurisprudence de l' arrêt Francovich (145) imposent l' exigence d' un lien de causalité entre la violation du droit communautaire et le dommage subi par la personne lésée. Pour le surplus, la Cour n' a pas apporté davantage de précisions quant à cette condition de causalité. Néanmoins, dans l' arrêt Dumortier Frères, la Cour a fait observer que la responsabilité n' est pas engagée si le dommage (en l' espèce la fermeture d' une entreprise) ne découle pas de façon suffisamment directe du comportement illégal concerné, même s' il a été accéléré par la violation concernée du droit communautaire (l' absence de restitution) : les principes communs aux droits des Etats membres auxquels renvoie l' article 215, deuxième alinéa, du traité CEE, ne sauraient donc, selon la Cour, être invoqués "pour soutenir une obligation de réparer toute conséquence préjudiciable, même éloignée, d' une situation normative illégale." (146) Cet attendu s' inscrit dans la ligne de la jurisprudence relative à la responsabilité de la Communauté au titre de l' article 40 du traité CECA : dans le cadre de cette disposition, la Cour a estimé itérativement que la responsabilité n' est mise en jeu que si le demandeur apporte la preuve d' un lien immédiat de cause à effet entre la faute de service alléguée et le préjudice subi. (147)

53. L' illégalité du comportement reproché. Nous pouvons traiter ce point d' une manière relativement brève. Pour qu' en l' espèce, il soit satisfait à cette exigence, il suffit qu' une entreprise viole les dispositions d' effet direct du droit communautaire de la concurrence. Il ne saurait être question, en l' occurrence, d' un quelconque critère plus favorable à l' auteur du comportement, semblable à celui utilisé par la Cour dans les affaires mettant en jeu l' article 215, aux fins de l' appréciation de l' exercice d' un large pouvoir discrétionnaire par les pouvoirs publics, à savoir la présence d' une "violation suffisamment caractérisée d' une règle supérieure de droit protégeant les particuliers" (148) : en effet, les dispositions concernées du droit de la concurrence imposent aux entreprises des obligations précises, produisant un effet direct, qui ont pour conséquence de conférer des droits aux particuliers (voir ci-dessus, au point 43). (149) Dès lors qu' objectivement, il y a violation d' une telle disposition, un recours en indemnisation est possible sur le fondement du droit communautaire, sans que des motifs de justification tirés du droit national puissent être invoqués à l' encontre d' un tel recours. Tout comme la Cour l' a énoncé dans l' arrêt Dekker (150) s' agissant du principe de non-discrimination des articles 2, paragraphe 1 et 3 paragraphe 1 de la directive "égalité de traitement entre les hommes et les femmes" 76/207/CEE du Conseil (151), les interdictions prévues par le droit communautaire de la concurrence ne sauraient être subordonnées à la preuve d' une faute ou à l' absence de toute cause d' exonération de la responsabilité. En effet, ces interdictions tendent à préserver une concurrence non faussée ainsi que la liberté de concurrence des entreprises opérant sur le marché commun et, à cet égard, c' est l' effet des comportements interdits qui importe et non l' intention de leurs auteurs. (152)

54. Dommages et intérêts. En ce qui concerne, de manière spécifique, l' aspect relatif aux dommages et intérêts, la jurisprudence récente présente un certain nombre de développements intéressants. S' agissant de l' application de l' article 215, deuxième alinéa du traité CEE, la Cour a reconnu, dans l' arrêt Mulder et Heinemann précité, que "le montant des indemnités dues par la Communauté doit correspondre aux dommages causés par celle-ci". (153) Elle donnait de la sorte clairement à entendre que la réparation du préjudice doit être intégrale, c' est-à-dire qu' elle doit tendre à reconstituer le patrimoine lésé par le comportement illégal (ce qu' il est convenu d' appeler la restitutio in integrum). (154) Ce principe était d' ailleurs implicitement contenu depuis un certain temps dans la jurisprudence de la Cour : il ressort de la pratique constante des ordonnances relatives à l' octroi de mesures provisoires, dans le cadre desquelles le président estime qu' un préjudice d' ordre financier n' est en principe considéré comme grave et irréparable (et dès lors, pour prévenir ce préjudice, le président n' ordonne des mesures provisoires) que "s' il n' est pas susceptible d' être entièrement récupéré si la partie requérante obtient gain de cause dans l' affaire au principal". (155) Ce principe ressort également de la jurisprudence constante de la Cour depuis 1979 - lorsqu' elle est arrivée à la constatation que, à la lumière des principes communs aux droits des Etats membres "une demande d' intérêts est, en général, admissible" - selon laquelle des intérêts moratoires doivent être payés sur le montant de la réparation du préjudice, à partir de la date de l' arrêt, en tant qu' il constate l' obligation de réparer le préjudice. (156)

Dans cet ordre d' idées, il convient également de mentionner la jurisprudence relative aux dommages et intérêts sanctionnant les violations de la directive 76/207/CEE, mentionnée ci-dessus (au point 53). Dans l' arrêt Von Colson et Kamann, la Cour a considéré que, bien que cette directive ne prescrive pas une forme déterminée de sanction, la sanction doit néanmoins réaliser une protection juridique effective et efficace et avoir un effet dissuasif réel, ce qui implique que, lorsque l' Etat membre choisit de sanctionner la violation de l' interdiction de discrimination contenue dans cette directive par l' octroi d' une indemnité, celle-ci doit être en tout cas adéquate au préjudice subi et ne saurait être purement symbolique. (157) Dans l' arrêt Marshall II, rendu récemment, la Cour a précisé, en la matière, dans le cas d' un licenciement discriminatoire que

"Lorsque la réparation pécuniaire est la mesure retenue pour atteindre l' objectif ci-dessus indiqué (c' est-à-dire, une égalité effective des chances), elle doit être adéquate en ce sens qu' elle doit permettre de compenser intégralement les préjudices effectivement subis du fait du licenciement discriminatoire, selon les règles nationales applicables." (158)

En outre, la Cour a déduit de cette obligation intégrale de réparation deux principes importants relatifs aux modalités selon lesquelles la réparation du dommage doit s' effectuer. En premier lieu, la Cour a considéré qu' un plafond de la réparation fixé légalement ne saurait constituer une mise en oeuvre correcte de la directive 76/207/CEE, "étant donné qu' il limite a priori le montant du dédommagement à un niveau qui n' est pas nécessairement conforme à l' exigence d' assurer une égalité de chances effective par une réparation adéquate du préjudice subi du fait d' un licenciement discriminatoire". (159) En deuxième lieu, la Cour a répondu par l' affirmative à la question de savoir si des intérêts étaient dus sur le montant principal du préjudice, à partir de la date de la discrimination illégale jusqu' à la date de versement du dédommagement : "il suffit de constater qu' une réparation intégrale du préjudice subi du fait d' un licenciement discriminatoire ne saurait faire abstraction d' éléments, tels que l' écoulement du temps, susceptibles d' en réduire, en fait, la valeur. L' octroi d' intérêts, selon les règles nationales applicables, doit donc être considéré comme une composante indispensable d' un dédommagement permettant le rétablissement d' une égalité de traitement effective." (160)

Nous estimons que cette jurisprudence s' applique intégralement à la violation des interdictions du droit communautaire de la concurrence. En effet, comme nous l' avons énoncé ci-dessus (au point 53), ces interdictions visent la sauvegarde d' un système de concurrence non faussée et de la liberté de concurrence des entreprises opérant dans le marché commun, dont la violation doit être intégralement réparée.

VI Signification, pour les juridictions nationales, d' une décision adoptée par la Commission dans une affaire de concurrence analogue

55. La cinquième et la sixième questions posées par la juridiction de renvoi (voir, pour leur formulation, le point 6) soulèvent le problème du rapport entre le rôle de la Commission en tant qu' autorité compétente en matière d' ententes dans le cadre du traité CECA et celui de la juridiction nationale.

La réponse à apporter à la cinquième question découle de l' examen de la troisième et de la quatrième questions : il a été constaté que les articles 4, 65, paragraphe 1 et 66, paragraphe 7 sont des dispositions produisant un effet direct et que, sur le fondement du droit communautaire, la juridiction nationale est obligée d' accorder des dommages et intérêts dans le but de rétablir de manière aussi complète que possible dans leurs droits les parties dont les droits avaient été violés. L' accomplissement des démarches ou des procédures indiquées dans les dispositions concernées du traité et l' épuisement d' autres voies de droit éventuelles prévues par le traité CECA - en particulier, le recours en carence prévu par l' article 35 du traité CECA - ne constituent pas une condition préalable à cet effet; imposer une telle condition équivaudrait d' ailleurs à nier l' effet direct des dispositions précitées ainsi que l' obligation qui l' accompagne, pour les juridictions nationales, de préserver les droits des justiciables. (161)

56. La sixième question, dans laquelle la juridiction de renvoi soumet à la Cour le problème de l' effet obligatoire, pour les juridictions nationales, d' une décision de la Commission en matière de concurrence, est plus délicate, et ce aussi bien en ce qui concerne l' analyse en fait opérée dans cette décision qu' en ce qui concerne l' interprétation juridique que la Commission y donne des articles du traité CECA. Pour apporter une réponse correcte à cette question, à notre avis, il est nécessaire de rappeler la jurisprudence de la Cour relative au rôle respectif de la Commission et des juridictions nationales aux fins du respect des dispositions du droit communautaire de la concurrence. Bien que cette jurisprudence concerne les règles de concurrence du traité CEE, à notre avis, étant donné la similarité des règles du traité CECA et du traité CEE en la matière (voir ci-dessus, aux points 30 à 35), ainsi que la nécessité d' une cohérence dans leur application, cette jurisprudence s' applique intégralement aux règles de concurrence du traité CECA.

A. Le rôle respectif de la Commission et des juridictions nationales aux fins du respect des règles communautaires de concurrence

57. La Cour s' est itérativement prononcée sur la répartition des tâches entre la Commission et les juridictions nationales aux fins du respect des règles communautaires de concurrence. (162) L' arrêt le plus récent et le plus systématique en la matière est l' arrêt Delimitis :

"A cet égard, il convient de souligner, tout d' abord, que la Commission est responsable de la mise en oeuvre et de l' orientation de la politique communautaire de la concurrence. Il lui appartient de prendre, sous le contrôle du Tribunal et de la Cour, des décisions individuelles selon les règlements de procédure en vigueur et d' adopter des règlements d' exemption. L' exécution de cette tâche comporte nécessairement des appréciations complexes en matière économique, notamment lorsqu' il s' agit d' apprécier si un accord relève de l' article 85, paragraphe 3. La Commission dispose d' une compétence exclusive pour prendre des décisions d' application de cette disposition en vertu de l' article 9, paragraphe 1 du règlement n 17 du Conseil, du 6 février 1962 (...)

La Commission ne dispose, en revanche, d' aucune compétence exclusive pour l' application des articles 85, paragraphe 1, et 86. Elle partage, à cet égard, sa compétence pour appliquer ces dispositions avec les juridictions nationales. Comme la Cour l' a, en effet, précisé dans l' arrêt du 30 janvier 1974, BRT (127/73, Rec. p. 51), les articles 85, paragraphe 1, et 86 produisent des effets directs dans les relations entre particuliers et engendrent directement des droits dans le chef des justiciables que ces juridictions nationales doivent sauvegarder." (163)

La compétence partagée, décrite aux alinéas précédents, de la Commission et des juridictions nationales peut, dans le cadre de l' application concrète des règles de droit communautaire de la concurrence, donner lieu à des conflits de décision. A cet sujet, dans l' arrêt Delimitis, la Cour a énoncé :

"il y a lieu de tenir compte du fait que ces juridictions nationales risquent de prendre des décisions allant à l' encontre de celles prises ou envisagées par la Commission pour l' application des articles 85, paragraphe 1, et 86 et également de l' article 85, paragraphe 3. De telles décisions contradictoires seraient contraires au principe général de la sécurité juridique et doivent, dès lors, être évitées lorsque les juridictions nationales se prononcent sur des accords ou pratiques qui peuvent encore faire l' objet d' une décision de la Commission." (164)

Dès lors, la Cour a donné le conseil aux juridictions nationales "afin de concilier la nécessité d' éviter des décisions contradictoires avec l' obligation, pour le juge national, de statuer sur les prétentions de la partie au litige qui invoque la nullité de plein droit du contrat", de tenir compte des considérations suivantes :

- Si les conditions d' application de l' article 85, paragraphe 1, ne sont manifestement pas réunies et s' il n' existe, en conséquence, guère de risque que la Commission se prononce différemment, le juge national peut poursuivre la procédure pour statuer sur le contrat litigieux. Il en va de même lorsque l' incompatibilité du contrat avec l' article 85, paragraphe 1, ne fait pas de doute et que, compte tenu des règlements d' exemption et des décisions précédentes de la Commission, le contrat ne peut en aucun cas faire l' objet d' une décision d' exemption au titre de l' article 85, paragraphe 3. (165)

- Si la juridiction nationale estime, à la lumière de la pratique réglementaire et décisionnelle de la Commission, que ce contrat peut éventuellement faire l' objet d' une décision d' exemption au titre de l' article 85, paragraphe 3, ou si elle estime qu' un risque de décisions contradictoires se présente dans le cadre de l' application des articles 85, paragraphe 1, et 86, la juridiction nationale peut, conformément aux dispositions de son droit national de procédure, décider de surseoir à statuer ou de prendre des mesures provisoires. La juridiction nationale a alors la possibilité, dans les limites du droit national de procédure applicable, de s' informer auprès de la Commission sur l' état de la procédure que cette institution aura éventuellement engagée et sur l' issue probable de cette procédure; la juridiction nationale peut, dans les mêmes conditions, contacter la Commission lorsque l' application concrète de l' article 85, paragraphe 1, ou de l' article 86 soulève des difficultés particulières, afin d' obtenir les données économiques et juridiques que cette institution est en mesure de lui fournir. (166)

- En tout état de cause, la juridiction nationale peut surseoir à statuer pour saisir la Cour d' une demande préjudicielle au titre de l' article 177 du traité. (167)

La Commission a intégralement repris ces principes dans sa récente "communication relative à la coopération entre la Commission et les juridictions nationales pour l' application des articles 85 et 86 du traité CEE". (168) Certes, le point 45 énonce que cette communication n' est pas applicable aux règles de concurrence du traité CECA mais, selon la Commission à l' audience, cette différence est uniquement inspirée par les différences d' ordre procédural qui existent entre les règles du traité CEE et les règles du traité CECA (notamment parce que le règlement n 17 ne s' applique qu' aux affaires relevant du traité CEE) : cela n' empêche toutefois pas, a ajouté la Commission, que la communication vaille également, mutatis mutandis, en ce qui concerne l' application des règles du traité CECA.

B. Dans quelle mesure les juridictions nationales sont-elles liées par les constatations de fait et/ou de droit d' une décision de la Commission ?

58. A nouveau, les positions des parties intervenant au litige divergent nettement sur ce point. A l' extrémité de l' éventail des points de vue, nous trouvons Banks, selon laquelle une décision de la Commission ne possède un effet obligatoire ni en droit ni en fait à l' égard des juridictions nationales; à l' autre extrémité de l' éventail se trouve British Coal, qui estime qu' une décision possède un effet obligatoire tant en droit qu' en fait. Le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission ont adopté des positions intermédiaires. Le gouvernement du Royaume-Uni soutient qu' une décision de la Commission possède un effet obligatoire pour les juridictions nationales en ce qui concerne des constatations de fait - comme par exemple la constatation que certaines pratiques de prix sont contraires au chapitre V du traité CECA; toutefois, les juridictions nationales ne sont pas liées par l' interprétation du traité CECA développée par la Commission dans ses décisions, en tant qu' élément de son raisonnement, même si les parties peuvent l' invoquer à l' appui de leur thèse et si le juge peut tenir compte de cette interprétation. Enfin, la Commission estime que, bien que ses décisions soient, quant aux points de droit ou de fait, dépourvues d' effet obligatoire à l' égard des juridictions nationales, celles-ci ne sont toutefois pas habilitées à prononcer la nullité d' une telle décision; en outre, afin d' assurer une application uniforme du droit communautaire, les juridictions nationales doivent s' efforcer de respecter les décisions de la Commission en matière de concurrence et éviter par tous les moyens le risque de décisions contradictoires, si nécessaire en adressant à la Cour une demande de décision à titre préjudiciel.

59. AA notre avis, la réponse doit être nuancée. Le point de départ est constitué par la distinction opérée par la Cour, dans l' arrêt Delimitis (ci-dessus, au point 57) entre la compétence exclusive de la Commission pour, sur le fondement de l' article 85, paragraphe 3 du traité CEE (dans le cadre du traité CECA, l' article 65, paragraphe 2 du traité CECA) déclarer inapplicable l' interdiction de l' article 85, paragraphe 1 (ou, respectivement, de l' article 65, paragraphe 1) et la compétence qu' elle partage avec les juridictions nationales pour appliquer les articles 85, paragraphe 1 et 86 (respectivement les articles 65, paragraphe 1 et 66, paragraphe 7 du traité CECA). Cela signifie concrètement que si, sur le fondement de la compétence exclusive que l' on vient d' évoquer, la Commission déclare inapplicable l' interdiction contenue à l' article 85, paragraphe 1 du traité CEE ou à l' article 65, paragraphe 1 du traité CECA, la juridiction nationale est liée par cette décision d' exemption. Ce n' est que si la Commission retire la décision concernée ou si cet acte est annulé par le juge communautaire que l' effet obligatoire de ladite décision tombe. (169)

60. Il en va tout autrement lorsque, par une lettre administrative ou même une décision formelle d' attestation négative (170), la Commission exprime que pour elle, il n' y a pas lieu d' intervenir contre certains accords sur le fondement de l' article 85, paragraphe 1 (ou, respectivement, de l' article 65, paragraphe 1 du traité CECA) ou, au contraire, lorsqu' elle prend une décision constatant une infraction à cet article. S' agissant de la première hypothèse, dans les affaires de parfum, la Cour a constaté que de telles lettres administratives

"n' ont pas pour effet d' empêcher les juridictions nationales, devant lesquelles l' incompatibilité des accords en cause avec l' article 85 est invoquée, de porter, en fonction des éléments dont elles disposent, une appréciation différente sur les accords concernés" (171),

ajoutant toutefois :

"Si elle ne lie pas les juridictions nationales, l' opinion communiquée dans de telles lettres constitue néanmoins un élément de fait que les juridictions nationales peuvent prendre en compte dans leur examen de la conformité des accords ou comportements en cause avec les dispositions de l' article 85." (172)

La situation est plus complexe mais pas fondamentalement différente dans la deuxième hypothèse, lorsque, dans une décision, la Commission constate une infraction à l' article 85, paragraphe 1 du traité CEE (ou à l' article 86 du traité CEE ou aux dispositions correspondantes du traité CECA). A strictement parler, en raison de sa nature, une telle décision ne lie que les destinataires qu' elle désigne. (173) Néanmoins, à notre avis, une telle décision revêt une portée plus décisive que celle qui est attachée aux lettres administratives et attestations négatives précédemment mentionnées.

C' est ce qui ressort en premier lieu, de la jurisprudence Foto-Frost, qui considère que les juridictions nationales n' ont pas le pouvoir de déclarer invalides les actes des institutions communautaires et réserve cette compétence exclusivement à la Cour, le cas échéant dans le cadre d' une question préjudicielle posée par la juridiction concernée. (174) En outre, conformément à l' obligation de coopération imposée aux juridictions nationales, respectivement, par l' article 86 du traité CECA et l' article 5 du traité CEE (obligation qui, d' une manière explicite, se rapporte également aux actes des institutions), les juridictions nationales ont l' obligation, s' agissant d' une décision adoptée par la Commission et invoquée ou contestée par les parties devant elle, de limiter autant que possible, dans l' intérêt de la Communauté, le risque d' un conflit de décisions avec la Commission. En effet, en qualité d' institution veillant au respect des règles du droit communautaire de la concurrence et disposant à cet effet de services spécialisés, la Commission possède une expérience fruit de nombreuses années de sorte qu' en toute hypothèse, une certaine autorité, fût-elle non obligatoire, s' attache à ses constatations. Toutefois, il va de soi que l' on ne peut nullement empêcher des tiers de contester devant les juridictions nationales les constatations auxquelles la Commission est parvenue dans une telle décision (175).

61. Si, sur la base de l' argumentation des parties, le juge aboutit effectivement à la conclusion selon laquelle les constatations de fait et/ou de droit formulées par la Commission ne sont pas exactes ou ne sont pas suffisantes ou si, à tout le moins, il nourrit des doutes sérieux à ce sujet (176), alors, à la lumière de l' arrêt Delimitis (ci-dessus, au point 57), voici l' attitude qu' il est recommandé d' adopter : s' il s' agit de constatations qui n' ont pas eu de valeur significative aux fins de la décision finale et qui, partant, ne fondent pas le raisonnement de la Commission, la juridiction nationale est libre d' adopter une autre conception : la possibilité de décisions contradictoires et d' une atteinte au principe de la sécurité juridique qui en résulterait est alors très faible. (177) S' il s' agit en revanche d' appréciations qui influencent la décision définitive à laquelle la Commission a abouti, il conviendrait que la juridiction nationale, conformément aux dispositions du droit national de procédure applicable, sursoie à statuer et demande les informations nécessaires à la Commission ou saisisse directement la Cour d' une demande préjudicielle relative à la validité de la décision concernée ou, respectivement, à l' interprétation des règles communautaires de concurrence concernées.

Conclusion

62. Nous suggérons à la Cour les réponses suivantes :

1. Les licences d' extraction de charbon brut et les clauses relatives aux redevances et aux prix de vente contenues dans ces licences relèvent du champ d' application du traité CECA. Les articles 4, 65, paragraphe 1 et 66, paragraphe 7 du traité CECA sont applicables en l' occurrence, mais pas l' article 60 dudit traité.

2. Les articles 4, 65, paragraphe 1 et 66, paragraphe 7, du traité CECA produisent un effet direct.

3. En vertu du droit communautaire, les juridictions nationales sont, en principe, tenues d' accorder des dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la violation d' une disposition en matière de concurrence du traité CECA produisant un effet direct.

4. Les juridictions nationales ne sont pas liées par une décision de la Commission par laquelle celle-ci fait application de l' article 65, paragraphe 1 et/ou de l' article 66, paragraphe 7 du traité CECA. Toutefois, sur le fondement de l' obligation de coopération contenue à l' article 86 du traité CECA, les juridictions nationales doivent autant que possible limiter le risque d' un conflit de décisions avec la Commission. Si elles aboutissent à la conclusion selon laquelle des appréciations de fait et/ou de droit formulées par la Commission qui influencent sa décision finale ne sont pas exactes ou ne sont pas suffisantes ou si elles nourrissent de sérieux doutes à ce sujet, il conviendrait que, conformément aux dispositions du droit national de procédure applicable, elles sursoient à statuer et demandent, le cas échéant, les informations nécessaires à la Commission et/ou saisissent la Cour de justice d' une demande préjudicielle concernant la validité de la décision concernée ou, respectivement, l' interprétation des règles communautaires de concurrence concernées.

W. Van Gerven

(*) Langue originale: le néerlandais.

(1) - En 1946, British Coal s' appelait encore National Coal Board . En vertu du Coal Industry Act (loi sur l' industrie charbonnière) de 1987, cette dénomination a été changée en British Coal Corporation.

(2) - Il en est ainsi au titre de l' article 1er(1)(a) de la loi de 1946. Il ressort des chiffres que la Commission reproduit dans sa décision du 23 mai 1991 (ci-après, au point 3) qu' en 1989-90, la production totale de charbon au Royaume-Uni s' élevait à environ 96 millions de tonnes, dont British Coal produisait environ 93 millions de tonnes (soit environ 97 %); voir également ci-après, au point 23.

(3) - Article 1er(1)(b) de la loi de 1946.

(4) - Article 36 de la loi de 1946.

(5) - Toujours selon les chiffres contenus dans la décision de la Commission mentionnée à la note 2, en 1989/90, la production totale de charbon sur la base de licences s' élevait à environ 3 millions de tonnes.

(6) - Cette plainte a été suivie, le 5 juin 1990, d' une plainte supplémentaire introduite par la South Wales Small Mines Association (association des petites mines du Pays de Galles du Sud), qui avait le même objet.

(7) - La décision n' a pas été publiée au Journal officiel. Elle adopte la forme d' une lettre adressée à la NALOO, la FSMGB et la SWSMA et est signée, pour la Commission, par Sir Leon Brittan, vice-président.

(8) - Cela est indiqué tant au premier alinéa de la décision (qui n' est pas numéroté) qu' en son point 79.

(9) - Point 80 de la décision.

(10) - Point 47 de la décision.

(11) - Point 69 de la décision.

(12) - Point 81 de la décision.

(13) - Point 82 de la décision. Au point 67 de la décision, la Commission affirme que la décision est fondée sur l' hypothèse selon laquelle ces contrats conduiront à une élimination de la discrimination entre British Coal et les mines sous licence et qu' elle se réserve le droit de rouvrir l' affaire si cette hypothèse se révèle sans fondement.

(14) - C' est la même intention qui fonde l' article 232, paragraphe 2 du traité CEE, qui prévoit que les dispositions du traité CEE ne dérogent pas aux stipulations du traité instituant la Communauté européenne de l' énergie atomique.

(15) - Cette disposition comporte en même temps une exception au principe de droit des gens lex posterior derogat priori : voir C. Vedder, Artikel 232 , dans Grabitz Kommentar zum EWG-Vertrag, Munich, Beck, p. 1, point 1.

(16) - Arrêt du 24 octobre 1985, Gerlach, au point 9 (239/84, Rec. p. 3507).

(17) - Arrêt du 15 décembre 1987, Deutsche Babcock Handel, au point 10 (328/85, Rec. p. 5119).

(18) - Voir E.-U. Petersmann, Artikel 232 , dans von der Groeben - Thiesing - Ehlermann, Kommentar zum EWG-Vertrag, IV, Baden-Baden, Nomos, 1991, pp. 5715-5716.

(19) - Passage que nous soulignons. L' article 79, premier alinéa du traité CECA détermine les territoires auxquels le traité CECA s' applique.

(20) - Arrêt du 14 juillet 1961, Vloeberghs/Haute Autorité (affaires jointes 9/60 et 12/60, Rec. p. 391, et en particulier aux pages 422 et 423) (passage que nous soulignons). Voir déjà la signification que, dans l' affaire Société des Fonderies de Pont-à-Mousson, l' avocat général Lagrange attribue au terme production au sens de l' article 80 du traité CECA, à savoir tout ce qui, depuis l' extraction de la matière première jusqu' au stade de finition où l' on considère qu' il convient de s' arrêter, englobe le cycle total d' élaboration du produit le plus évolué : affaire 14/59, Rec. 1959, à la page 493.

(21) - Voir également les conclusions de l' avocat général Roemer dans les affaires jointes 9/60 et 12/60, selon lesquelles il résulte de l' annexe I du traité CECA que, même dans le domaine du charbon, on parle de production et cela aussi bien pour le lignite, bien qu' ici il n' y ait pas modification, mais uniquement extraction d' une matière première. La simple extraction du charbon constitue donc une production au sens du traité : Rec. 1961, pp. 441 et 442.

(22) - Arrêt du 17 décembre 1959 (14/59, Rec. p. 445 et en particulier à la page 470).

(23) - Ibidem, à la page 472.

(24) - Nous n' estimons pas nécessaire d' évoquer plus amplement les deux autres arguments soulevés par le gouvernement britannique pour démontrer que le charbon brut ne constitue pas un produit au sens de l' annexe I au traité CECA : i) le premier argument, selon lequel cela résulterait du fait que les matières premières du numéro de code 4190 de la nomenclature de l' OECE sont exclues de la définition de l' annexe I, n' est pas fondé, étant donné que, selon la note 1 de cette annexe, ledit code concerne uniquement d' autres matières premières non dénommées ailleurs pour la production de la fonte et de l' acier et donc pas les combustibles, parmi lesquels la houille; ii) le deuxième argument, tiré d' une communication que la Commission a faite en 1986, concernant l' interprétation des expressions houille et lignite mentionnées dans l' annexe I du traité CECA (communication 86/C254/02, JO 1986, C 254, p. 2) ne nous paraît pas non plus fondé : à notre avis, on ne saurait déduire du fait que la Commission ait décidé de considérer certains combustibles produits en Espagne comme de la houille au sens de l' annexe précitée, qu' elle ait, de ce fait, exclu que cette houille, à l' état brut, puisse constituer un produit au sens de l' annexe I au traité CECA.

(25) - De nombreuses autres dispositions du traité CECA renvoient également à l' article 4 : il en est ainsi des articles 58, paragraphe 2, 60, paragraphe 1 (voir ci-après, au point 17), 66, paragraphe 2, deuxième alinéa, 86, deuxième alinéa, 88, troisième alinéa et 95, premier et troisième alinéas du traité CECA.

(26) - Arrêts du 21 décembre 1954, France/Haute Autorité (1/54, Rec. p. 7 et en particulier à la page 23) et Italie/Haute Autorité (2/54, Rec. p. 73, et en particulier à la page 90). La Cour l' a confirmé entre autres dans l' arrêt du 23 avril 1956, Groupement des Industries Sidérurgiques Luxembourgeoises (affaires jointes 7/54 et 9/54, Rec. p. 53 et en particulier à la page 91); voir également, plus récemment, l' arrêt du 18 mars 1980, Valsabbia, au point 82 (affaires jointes 154/78, 205/78, 206/78, 226 à 228/78, 263/78 et 264/78, 39/79, 31/79, 83/79 et 85/79, Rec. p. 907).

(27) - Aux termes de cet article, dans les dispositions du traité CECA, les mots le présent traité doivent être entendus comme visant les clauses du traité et de ses annexes, des protocoles annexes et de la convention relative aux dispositions transitoires .

(28) - Arrêt Groupement des Industriels Sidérurgiques Luxembourgeoises, cité à la note 22, à la page 91.

(29) - Arrêt Groupement des Industries Sidérurgiques Luxembourgeoises, à la page 91.

(30) - Décision nº 2-57 de la Haute Autorité, du 26 janvier 1957, instituant un mécanisme financier permettant d' assurer l' approvisionnement régulier en ferraille du marché commun, JO 1957, n 4, p. 61. Dans cette décision, au titre de l' article 53 du traité CECA, la Haute Autorité a instauré un certain nombre de systèmes de péréquation pour la ferraille.

(31) - Arrêts du 21 juin 1958, Groupement des Hauts Fourneaux et Aciéries belges (8/57, Rec. p. 223 et en particulier à la page 242); arrêt Wirtschaftsvereinigung Eisen- und Stahlindustrie et autres (13/57, Rec. 1958, p. 259 et en particulier à la page 288); arrêts du 26 juin 1958, Chambre Syndicale de la Sidérurgie Française (9/57, Rec. 1958, p. 363 et en particulier à la page 382), Société des Anciens Etablissements Aubert et Duval (10/57, Rec. 1958, p. 399 et en particulier à la page 417), Société d' Electro-Chimie, d' Electro-Métallurgie et des Aciéries Electriques d' Ugine (11/57, Rec. 1958, p. 435 et en particulier à la page 454), Syndicat de la Sidérurgie du Centre-Midi (12/57, Rec. 1958, p. 471 et en particulier aux pages 491 et 492).

(32) - Arrêt du 20 mars 1957, Geitling (2/56, Rec. 1957, p. 9, et en particulier à la page 44).

(33) - Avis de la Cour du 13 décembre 1961 (1/61, Rec. p. 505, et en particulier à la page 519).

(34) - Avis 1/61, à la page 519.

(35) - A savoir le Clayton Act de 1914 et le Robinson-Patman Act de 1936.

(36) - Conclusions dans l' affaire Bertoli (8/83, Rec. 1984, p. 1665 et en particulier à la page 1666). Cela explique en outre, selon l' avocat général, la raison pour laquelle le traité CEE n' offre aucun équivalent de l' article 60 du traité CECA : en 1958, la plupart des secteurs de l' économie relevant du traité CEE ne présentaient pas un tel caractère oligopolistique.

(37) - Arrêts cités à la note 26 (1/54, à la page 20 et 2/54, à la page 88). Un peu plus loin, la Cour a encore souligné le caractère instrumental des règles de publicité prévues au paragraphe 2 : le traité CECA considère celles-ci comme un moyen approprié pour atteindre les buts énoncés au paragraphe premier (respectivement, aux pages 25 et 92).

(38) - Arrêts 1/54, à la page 23 et 2/54, à la page 91.

(39) - La citation est extraite de l' arrêt du 12 juillet 1979, Rumi, au point 10 (149/78, Rec. p. 2523); voir également les arrêts 1/54, à la page 24 et 2/54, à la page 92. Dans ces deux derniers arrêts, la Cour a ajouté que la publicité n' était qu' un des moyens prévus par le traité CECA pour atteindre les fins mentionnées et qu' elle n' était pas suffisante pour garantir que ces fins seront effectivement atteintes.

(40) - Arrêts 1/54, à la page 26 et 2/54, à la page 94.

(41) - L' article 60, paragraphe 1, in fine du traité CECA (voir le texte au point 17) donne à la Haute Autorité la possibilité de définir, par voie de décisions, les pratiques visées par l' interdiction du paragraphe 1. La Haute Autorité a usé de cette faculté par la décision n 30-53, du 2 mai 1953, relative aux pratiques interdites par l' article 60, paragraphe 1 du Traité dans le marché commun du charbon et de l' acier (JO 1953, n 6, p. 109, depuis lors modifiée par la décision n 1-54 du 7 janvier 1954, JO 1954, n 1, p. 217, par la décision n 19-63 du 11 décembre 1963, JO 1963, n 187, p. 2969, par la décision 72/440/CECA du 22 décembre 1972, JO 1972, L 297, p. 39, et par la décision 1834/81/CECA du 3 juillet 1981, JO 1981, L 184, p. 7). Les pratiques considérées par les articles 2, 4, 5 et 6 de cette décision comme pratiques interdites au sens de l' article 60, paragraphe 1 sont toutes des pratiques en matière de prix émanant des vendeurs.

(42) - Voir entre autres la décision, citée par la Commission, n 4-53 de la Haute Autorité, du 12 février 1953, relative aux conditions de publicité des barèmes de prix et conditions de vente pratiqués dans les entreprises des industries du charbon et du minerai de fer (JO 1953, n 2, p. 3, depuis lors modifiée par la décision nº 22-63 du 11 décembre 1963, JO 1963 n 187, p. 2975, par la décision nº 19-67 du 21 juin 1967, JO 1967, n 124, p. 2429 et par la décision 72/442/CECA du 22 décembre 1972, JO 1972, L 297, p. 44).

(43) - En particulier, la nature spécifique du produit concerné (spécialement, le fait qu' il ne soit pas encore mis sur le marché dans un Etat membre déterminé) ainsi que les modalités des licences en question (et en particulier leur caractère ouvert ou exclusif) : voir l' arrêt du 8 juin 1982, Nungesser, aux points 53 et suivants (258/78, Rec. p. 2015).

(44) - Par ailleurs, nous n' apercevons pas comment l' on peut déduire des considérants et des dispositions cités du règlement (CEE) n 2349/84 de la Commission, du 23 juillet 1984, concernant l' application de l' article 85 paragraphe 3 du traité CEE à des catégories d' accords de licence de brevets (JO 1984, L 219, p. 15) et du règlement (CEE) n 556/89 de la Commission, du 30 novembre 1988, concernant l' application de l' article 85 paragraphe 3 du traité à des catégories d' accords de licence de savoir-faire (JO 1989, L 61, p. 1) que l' article 85 du traité CEE ne s' appliquerait pas au montant des sommes à payer en vertu d' accords.

(45) - Arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche, au point 116 (85/76, Rec. 1979, p. 461). La Cour a ajouté qu' il est dès lors loisible à la Commission, compte tenu notamment de la nature des engagements réciproquement assumés et de la position concurrentielle des divers contractants sur le marché ou les marchés auxquels ils appartiennent, de poursuivre la procédure sur la base de l' article 85 ou sur celle de l' article 86.

(46) - Arrêt du 11 avril 1989, Ahmed Saeed Flugreisen e.a., au point 37 (66/86, Rec. p. 803).

(47) - Arrêt du 10 juillet 1990, Tetra Pak, au point 21 (T-51/89, Rec. p. II-309). Dans cet arrêt, le Tribunal a plus particulièrement examiné la question de la compatibilité de l' application de l' article 86 du traité CEE avec l' existence d' une exemption par catégorie.

(48) - Arrêt du 5 octobre 1988, CICRA, au point 15 (53/87, Rec. p. 6039) (dans le cadre de l' article 86 du traité CEE).

(49) - Voir, s' agissant de l' application de l' article 86 du traité CEE, les arrêts du 5 octobre 1988, CICRA, au point 16 (53/87, cité dans la note précédente) et Volvo, au point 9 (238/87, Rec. p. 6211). Dans ces arrêts, la Cour a considéré que l' exercice du droit exclusif par le titulaire d' un modèle ornemental ou respectivement, d' un modèle relatif à des éléments de carrosserie de voitures automobiles peut être interdit par l' article 86 s' il donne lieu, de la part d' une entreprise en position dominante, à certains comportements abusifs, tels que, entre autres, la fixation des prix des pièces de rechange à un niveau inéquitable.

(50) - Arrêt du 5 février 1963, Van Gend & Loos (26/62, Rec. p. 1).

(51) - Avis 1/91 du 14 décembre 1991, au point 21 (Rec. p. I-6079) (passage que nous soulignons).

(52) - En effet, cette conception ressort déjà de l' arrêt du 13 juin 1958, Meroni (9/56, Rec. p. 9 et en particulier à la page 28), dans lequel la Cour a considéré que, sur le fondement des moyens mentionnés à l' article 33 du traité CECA, une partie était fondée à mettre en cause la régularité d' une décision générale sur laquelle est fondée une décision individuelle qu' elle conteste, et a trouvé, à cet effet, un argument supplémentaire dans l' analogie avec les articles 184 du traité CEE et 156 du traité EURATOM.

(53) - Voir la référence explicite à la cohérence des traités dans l' arrêt du 22 février 1990, Busseni, au point 16 (Rec. p. I-495).

(54) - Ordonnance du 17 janvier 1980, Camera Care, au point 20 (792/79 R, Rec. p. 119), dans laquelle, dans le cadre du traité CEE, la Cour a retenu l' applicabilité des mêmes principes de structure de la Communauté que ceux qui, selon l' ordonnance National Carbonising, s' appliquent en ce qui concerne le traité CECA : ordonnance du 22 octobre 1975, National Carbonising, au point 8 (109/75 R, Rec. p. 1193).

(55) - Arrêt du 22 octobre 1987, Foto-Frost (314/85, p. 4199). Dans l' arrêt Busseni mentionné à la note 53, la Cour a reconnu que, dans l' arrêt précité, elle a ainsi rejoint, en substance, la disposition expresse de l' article 41 du traité CECA : arrêt du 22 février 1990, au point 14 (C-221/88, Rec. p. I-495).

(56) - Arrêt Busseni, cité précédemment à la note 53, aux points 9 et 10.

(57) - Arrêt du 19 novembre 1991, Francovich, au point 36 (affaires jointes C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357). Sur ce point, la Cour renvoie à son arrêt Humblet, rendu dans le cadre du traité CECA (6/60, Rec. p. 1125).

(58) - Arrêt Busseni, au point 21; en effet, selon la Cour, il s' agit d' actes de même nature, comportant obligation dans le but assigné à leur destinataire et laissant à ce dernier le choix des moyens propres à atteindre ce but. Aux points 22 et 23, la Cour récapitule sa jurisprudence constante, dans le cadre du traité CEE, relative à l' effet direct des directives.

(59) - Voir en particulier l' arrêt du 30 septembre 1987, Demirel, au point 14 (12/86, Rec. p. 3719) et l' arrêt du 31 janvier 1991, Kziber, au point 15 (C-18/90, Rec. p. I-199).

(60) - Selon l' article 1er du traité CECA, la Communauté européenne du charbon et de l' acier est fondée sur un marché commun, des objectifs communs et des institutions communes . Ces objectifs communs sont précisés à l' article 2 du traité CECA, une disposition qui présente beaucoup de similitudes avec l' article 2 du traité CEE.

(61) - En effet, dans le cinquième considérant du préambule du traité CECA, les chefs d' Etat des Etats contractants se déclaraient résolus à substituer aux rivalités séculaires une fusion de leurs intérêts essentiels, à fonder par l' instauration d' une communauté économique les premières assises d' une communauté plus large et plus profonde entre des peuples longtemps opposés par des divisions sanglantes, et à jeter les bases d' institutions capables d' orienter un destin désormais partagé .

(62) - Dans ce contexte, nous considérons qu' il convient d' accorder une importance particulière à l' article 9 initial du traité CECA, qui imposait aux membres de la Haute Autorité de s' abstenir de tout acte incompatible avec le caractère supranational de leurs fonctions et qui obligeait chaque Etat membre à respecter ce caractère supranational .

(63) - Voir, respectivement, les articles 20 et 18 du traité CECA.

(64) - Arrêt Busseni, au point 13 : à savoir une double nécessité, celle d' assurer au mieux l' unité dans l' application du droit communautaire et celle d' établir à cette fin une coopération efficace entre la Cour de justice et les juridictions nationales.

(65) - Voir déjà W.F. Bayer, Das Privatrecht der Montanunion , Rabels Zeitschrift, 1952, (325), p. 329. Il est vrai qu' il existait une controverse en la matière : pour un utile aperçu de la doctrine et une argumentation nettement en faveur de l' effet direct, voir K. Ballerstedt, UEbernationale und nationale Marktordnung. Eine montanrechtliche Studie, Tuebingen, Mohr, 1955, pp. 12 à 16.

(66) - B.G.H.Z. n 30, p. 74; également publié dans Neue Juristische Wochenschrift, 1959, p. 1176 et, dans une traduction anglaise, dans Common Market Law Reports, 1963, p. 251. Dans cet arrêt, le Bundesgerichtshof estime que les dispositions du traité CECA (...) constituent des dispositions juridiques immédiatement applicables également pour les entreprises définies à l' article 80 du traité CECA .

(67) - Voir l' arrêt Busseni, au point 15, dans lequel la Cour reconnaît que du fait de la nature des pouvoirs dévolus aux autorités communautaires, et, en particulier, à la Commission par le traité CECA, les juridictions nationales ont moins souvent l' occasion d' appliquer ce traité, ainsi que les actes pris sur son fondement et, partant, de s' interroger sur leur interprétation .

(68) - Le terme remonte à P. Reuter, Organisations européennes, Paris, Presses Universitaires de France, 1970, 2ème éd., p. 188. Cette différence dans l' ampleur de la réglementation peut indéniablement s' expliquer par la circonstance que le charbon et l' acier constituent des marchés caractérisés par une structure monopolistique ou oligopolistique qui, à l' époque, occupaient une position clé dans les économies nationales : voir P.J.G. Kapteyn et P. VerLoren van Themaat, Introduction to the Law of the European Communities (éd. W. Gormley), Deventer-Boston, Kluwer Law and Taxation, 2ème éd., 1988, p. 29.

(69) - Arrêt Van Gend & Loos, pp. 24 et 25.

(70) - Arrêt du 15 janvier 1986, Hurd, au point 47 (44/84, Rec. p. 29).

(71) - Parfois, la Cour parle d' une interdiction ou d' une prescription claire et précise (...) qui n' est assortie d' aucune réserve des Etats de subordonner sa mise en oeuvre à un acte positif de droit interne ou à une intervention des institutions de la Communauté : voir, par exemple, l' arrêt du 19 juin 1973, Capolongo, au point 11 (77/72, Rec. p. 611) (relatif à l' article 13, paragraphe 2 du traité CEE); comp. la formulation de l' arrêt du 16 juin 1966, Luetticke II (57/65, Rec. p. 293 et en particulier à la page 302).

(72) - En l' occurrence, la Cour retient l' exigence selon laquelle les dispositions doivent être du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises pour pouvoir être invoquées par des particuliers devant les juridictions nationales : arrêt du 19 janvier 1982, Becker, au point 25 (8/81, Rec. p. 53); pour des confirmations récentes, voir entre autres l' arrêt du 23 avril 1991, Ryborg, au point 37 (297/89, Rec. p. I-1943) et l' arrêt du 30 mai 1991, Karella et Karellas, au point 17 (affaires jointes C-19/90 et C-20/90, Rec. p. I-2691). Dans des récents arrêts, en la matière, des nuances sont également perceptibles : ainsi, dans l' arrêt du 25 juillet 1991, Stoeckel, au point 12 (C-345/89, Rec. p. I-4047), la Cour parle d' une disposition suffisamment précise et inconditionnelle , alors que dans l' arrêt du 24 mars 1992, Syndesmos, au point 39 (C-381/89, Rec. p. I-2111) et dans l' arrêt du 31 mars 1992, Dansk Denkavit, au point 17 (C-200/90, Rec. p. I-2217), la Cour fait état d' une disposition d' une directive qui est claire, précise et inconditionnelle . Dans les arrêts plus anciens du 22 septembre 1983, Auer, au point 16 (271/82, Rec. p. 2727) et du 15 décembre 1983, Rienks, au point 8 (5/83, Rec. p. 4233), la Cour faisait état d' obligations claires, complètes, précises et inconditionnelles, ne laissant pas de place pour des appréciations discrétionnaires .

(73) - Dans l' arrêt Francovich, il s' agissait d' une certaine marge d' appréciation que la directive 80/987/CEE (voir la référence ci-après, à la note 100) laissait aux Etats membres en ce qui concerne les méthodes destinées à assurer une garantie aux travailleurs en cas d' insolvabilité de leur employeur, ainsi qu' en ce qui concerne la limitation de son montant.

(74) - Arrêt Francovich, cité à la note 57, au point 17, ensuite appliqué aux points 18 à 22; arrêt du 2 août 1993, Marshall II (C-271/91, au point 37, non encore publié au Recueil de la jurisprudence de la Cour).

(75) - Voir également les points de vue de T.C. Hartley, The foundations of European Community Law, Oxford, Clarendon Press, 2ème éd., 1988, p. 195 et, bien avant, de P. Pescatore, The Doctrine of Direct Effect : An Infant Disease of Community Law , European Law Review, 1983, (155), à la page 177.

(76) - Il ressort de la décision 30-53, mentionnée à la note 41, que la Commission a utilisé ce pouvoir.

(77) - Arrêt 1/54, à la page 24 et arrêt 2/54 à la page 92 (passage que nous soulignons).

(78) - Arrêt du 18 mai 1962, Geitling (13/60, Rec. p. 165 et en particulier à la page 201).

(79) - Arrêt du 30 janvier 1974, BRT I, au point 16 (127/73, Rec. p. 51). Pour des confirmations depuis lors, voir entre autres l' arrêt du 10 juillet 1980, Marty, au point 13 (37/79, Rec. p. 2481), l' arrêt du 28 février 1991, Delimitis, au point 45 (C-234/89, Rec. p. I-935); voir également l' arrêt du Tribunal Tetra Pak, au point 42 (T-51/89, cité à la note 47).

(80) - Arrêt cité à la note 55. Après avoir souligné les objectifs communs de la procédure préjudicielle prévue à l' article 41 du traité CECA et à celle prévue à l' article 177 du traité CEE (voir, à cet effet, ci-dessus, au point 27), la Cour a énoncé, au point 16 : Il serait donc contraire à la finalité et à la cohérence des traités que, lorsque sont en cause des règles issues des traités CEE et CEEA, la fixation de leur sens et de leur portée relève en dernier ressort de la Cour de justice, comme le prévoient, en termes identiques, l' article 177 du traité CEE et l' article 150 du traité CEEA, ce qui permet d' assurer l' uniformité de leur application, alors que, lorsque les normes en cause se rattachent au traité CECA, cette compétence demeurerait du seul ressort des multiples juridictions nationales, dont les interprétations pourraient diverger, et que la Cour de justice serait sans qualité pour assurer une interprétation uniforme de ces normes. Bien que l' arrêt Busseni se rapporte uniquement à l' interprétation d' un acte accompli au titre du traité CECA, à savoir une recommandation de la Commission, l' arrêt de la Cour s' étend clairement également aux dispositions du traité CECA elles-mêmes : cela ressort en particulier des points 9, 15 et 16.

(81) - Règlement n 17/62 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d' application des articles 85 et 86 du traité CEE (JO 1962, n 13, p. 204).

(82) - En revanche, s' agissant de l' application de l' article 85, paragraphe 3 du traité CEE, la Commission a compétence exclusive, et ce à l' exclusion des autorités nationales compétentes en matière d' ententes : voir l' article 9, paragraphe 1 du règlement n 17.

(83) - A l' exception dans certains Etats membres des juridictions spécialement chargées d' appliquer la législation nationale sur la concurrence ou de contrôler la légalité de cette application par les autorités administratives , juridictions qui sont assimilées aux autorités des Etats membres compétentes en matière d' ententes : voir l' arrêt BRT I, au point 19.

(84) - Arrêt BRT I, au point 14.

(85) - Arrêt BRT I, au point 15.

(86) - Ibidem, au point 17. En l' occurrence, un parallèle peut être établi avec la jurisprudence relative aux aides d' Etat : ainsi que la Cour l' a reconnu dans l' arrêt du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires, au point 14 (C-354/90, Rec. p. I-5505), le rôle exclusif réservé par les articles 92 et 93 du traité à la Commission pour la reconnaissance de l' incompatibilité éventuelle d' une aide avec le marché commun est fondamentalement différent de celui qui incombe aux juridictions nationales quant à la sauvegarde des droits que les justiciables tiennent de l' effet direct de l' interdiction édictée à la dernière phrase de l' article 93, paragraphe 3 (l' interdiction, pour l' Etat membre, de mettre à exécution les mesures projetées, avant que la procédure au titre de l' article 92 ait abouti à une décision finale) : les juridictions nationales doivent sauvegarder, jusqu' à la décision finale de la Commission, les droits des justiciables face à une méconnaissance éventuelle de cette interdiction.

(87) - Comparer avec la disposition analogue de l' article 85, paragraphe 2 du traité CEE, qui stipule que les accords ou décisions interdits en vertu dudit article sont nuls de plein droit. Dans l' arrêt Brasserie de Haecht, s' agissant de cette disposition, la Cour a constaté qu' à côté de l' intervention éventuelle de la Commission en vertu des règlements et directives visés à l' article 87, les autorités judiciaires ont compétence, en vertu de l' effet direct de l' article 85, deuxième paragraphe, pour sanctionner les accords et décisions interdits par la constatation de leur nullité de plein droit ; en effet, selon la Cour, alors que la première voie offre la souplesse nécessaire pour tenir compte des particularités de chaque espèce, le deuxième paragraphe de l' article 85, destiné à sanctionner avec sévérité une interdiction importante, ne laisse pas au juge, par sa nature, la faculté d' intervenir avec une même souplesse : arrêt du 6 février 1973, Brasserie de Haecht, aux points 4 et 5 (48/72, Rec. p. 77) (passage que nous soulignons).

(88) - L' adoption d' une décision d' exemption implique naturellement que la Haute Autorité constate tout d' abord que l' accord concerné relève de l' interdiction de l' article 65, paragraphe 1. Il peut en résulter des conflits de compétence avec les juridictions nationales, qui sont bien connus en droit communautaire : à ce sujet, vois ci-après, aux points 56 et suivants.

(89) - Dans l' affaire C-46/93 (Brasserie du Pêcheur), le Bundesgerichtshof pose un certain nombre de questions préjudicielles relatives à cette problématique, et ce à la suite d' une demande en dommages et intérêts que l' entreprise Brasserie du Pêcheur SA, une brasserie française, a introduite contre les autorités allemandes en raison du préjudice subi à cause de la Biersteuergesetz (loi relative aux accises sur la bière) allemande dont la Reinheitsgebot (loi de pureté) a été considérée par la Cour comme contraire à l' article 30 du traité CEE dans son arrêt du 12 mars 1987, Commission/Allemagne (178/84, Rec. p. 1227). Dans l' affaire C-48/93, Factortame, la High Court of Justice, Queen' s Bench Division, Divisional Court, soumet à la Cour un certain nombre de questions préjudicielles se rapportant à la même problématique. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d' actions introduites par un nombre important de sociétés et de particuliers contre les autorités britanniques, en réparation du dommage qu' elles ont subi en raison du Merchant Shipping Act 1988 (loi sur la navigation marchande de 1988), dont un certain nombre de dispositions ont été considérées par la Cour comme contraires au traité CEE (arrêt du 25 juillet 1991, Factortame II, C-221/89, Rec. p. I-3905 et arrêt du 4 octobre 1991, Commission/Royaume-Uni, C-246/89, Rec. p. I-4585).

(90) - Arrêt cité à la note 57.

(91) - Arrêts du 26 février 1991, Commission/Italie, au point 10 (C-120/88, Rec. p. I-621), Commission/Espagne, au point 9 (C-119/89, Rec. p. I-641), Commission/Grèce, au point 10 (C-159/89, Rec. p. I-691); voir également l' arrêt du 20 mars 1986, Commission/Pays-Bas, au point 20 (72/85, Rec. p. 1219) et l' arrêt du 15 octobre 1986, Commission/Italie, au point 11 (168/85, Rec. p. 2945). Dans l' arrêt Emmott également, s' agissant de sa jurisprudence relative à l' effet direct des directives, la Cour a admis qu' il ne s' agit en l' occurrence que d' une garantie minimale : arrêt du 25 juillet 1991, au point 20 (C-208/90, Rec. p. I-4269).

(92) - Et ce surtout dans le cadre de recours en manquement : en effet, la persistance de dispositions nationales en conflit avec les règles communautaires crée un situation équivoque quant aux droits et obligations des justiciables, qui va à l' encontre des principes de sécurité juridique et de protection juridique. Il appartient alors aux autorités nationales ou régionales, législatives ou disposant d' un pouvoir réglementaire, de remédier à cette situation et de conférer au droit communautaire son plein et entier effet : voir entre autres les arrêts du 26 février 1991, Commission/Italie, au point 11, Commission/Espagne, au point 10 et Commission/Grèce, au point 11 (arrêts cités dans la note précédente) et l' arrêt du 21 juin 1988, Commission/Italie, au point 12 (257/86, Rec. p. 3249). Dans le domaine également des sanctions, la Cour s' adresse aux pouvoirs législatifs ou réglementaires nationaux : lorsqu' une réglementation communautaire ne prévoit pas elle-même de mécanismes de sanctions spécifiques, l' article 5 du traité CEE impose aux Etats membres de prendre toutes mesures propres à garantir la portée et l' efficacité du droit communautaire : arrêt du 21 septembre 1989, Commission/Grèce, au point 23 (Rec. p. 2965).

(93) - Arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal au point 16 (106/77, Rec. p. 629).

(94) - Arrêt du 19 juin 1990, Factortame I, au point 19 (C-213/89, Rec. p. I-2433). Pour des confirmations antérieures, voir les arrêts du 16 décembre 1976, Rewe, au point 5 (33/76, Rec. p. 1989) et Comet, au point 12 (45/76, Rec. 1976, p. 2043), l' arrêt du 27 février 1980, Just, au point 25 (68/79, Rec. p. 501), l' arrêt du 27 mars 1980, Denkavit Italiana, au point 25 (61/79, Rec. p. 1205), les arrêts du 10 juillet 1980, Ariete, au point 12 (811/79, Rec. p. 2545), et Mireco, au point 13 (826/79, Rec. p. 2559). Voir d' ailleurs précédemment l' arrêt du 19 décembre 1968, Salgoil (13/68, Rec. p. 631 et en particulier à la page 645).

(95) - Arrêt Francovich, au point 36.

(96) - Arrêt Simmenthal, au point 21.

(97) - Arrêt Factortame I, cité à la note 81, au point 21.

(98) - Arrêt Francovich, cité à la note 57, au point 35.

(99) - Arrêt Francovich, au point 33. Au point 34, la Cour a ajouté que la possibilité de réparation est particulièrement indispensable lorsque, comme en l' espèce (il s' agissait du défaut d' exécution d' une directive), le plein effet des normes communautaires est subordonné à la condition d' une action de la part de l' Etat et que, par conséquent, les particuliers ne peuvent pas, à défaut d' une telle action, faire valoir devant les juridictions nationales les droits qui leur sont reconnus par le droit communautaire.

(100) - A savoir la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d' insolvabilité de l' employeur (JO L 283, p. 23).

(101) - Voir les points 10 à 27 de l' arrêt Francovich. On a soutenu que la Cour ne s' était pas prononcée en faveur d' un effet direct parce qu' elle souhaitait développer un moyen de droit contre le non-respect des directives communautaires par un Etat membre, qui ne dépende pas de la condition de l' effet direct; de cette manière, la Cour aurait voulu éluder les problèmes liés à l' effet non horizontal de directives : J. Steiner, From direct effects to Francovich : shifting means of enforcement of Community law , European Law Review, 1993, (3), p. 9; voir également C.W.A Timmermans, La sanction des infractions au droit communautaire , dans La sanction des infractions au droit communautaire, quinzième congrès de la FIDE à Lisbonne, II, 1992, p. 24, qui fait observer que le moyen de droit développé par l' arrêt Francovich constitue, en un certain sens, un substitut à la doctrine de l' effet direct.

(102) - Arrêt du 12 juillet 1990, Foster e.a., au point 22 et dans le dispositif (C-188/89, Rec. p. I-3313).

(103) - Arrêt Francovich, au point 37 (passage que nous soulignons).

(104) - Arrêt Foster, cité à la note 102, au point 20. La position juridique de l' entreprise d' Etat concernée dans cette dernière affaire, British Gas Corporation, était d' ailleurs, à l' époque du litige au principal, dans une grande mesure comparable à celle de British Coal : le Gas Act 1972 (qui s' est substitué au Gas Act 1948, la loi qui avait nationalisé l' industrie du gaz au Royaume-Uni) conférait à British Gas Corporation le monopole de la fourniture de gaz en Grande-Bretagne et un certain nombre de missions apparentées. Ce n' est qu' ultérieurement, en vertu du Gas Act 1986, que cette industrie a été privatisée : voir le point 3 de nos conclusions dans l' affaire Foster, Rec. 1990, aux pages I-3327 et I-3328.

(105) - Voir l' arrêt Francovich, au point 30. Passages que nous soulignons, dans ce point et dans ceux repris ci-après.

(106) - Voir ci-dessus, au point 37 et à la note 86.

(107) - Arrêt Francovich, au point 35.

(108) - Arrêt Francovich, au point 36.

(109) - Arrêt Van Gend & Loos, à la page 23.

(110) - Arrêt Simmenthal, au point 15 (passage que nous soulignons).

(111) - Article 85, paragraphe 2 du traité CEE; article 65, paragraphe 4 du traité CECA.

(112) - Voir Commission, Treizième rapport sur la politique de la concurrence, 1984, Bruxelles-Luxembourg, pp. 140 à 143, nos 217 et 218; Quatorzième rapport sur la politique de la concurrence, 1985, n 47, p. 55; et en particulier Quinzième rapport sur la politique de la concurrence, 1986, pp. 52 à 55, nos 38 à 43; voir également la réponse de la Commission à la question écrite n 519/72, JO 1973, C-67, p. 54 et, plus récemment, la réponse de M. Andriessen au nom de la Commission à la question écrite n 1935/83, JO 1984, C-144, p. 14. Il ressortirait d' une étude interne qu' environ la moitié des plaintes adressées à la Commission relatives à des violations des règles communautaires de concurrence auraient pu être tranchées sur la base d' une analyse purement juridique et dès lors auraient pu être traitées de façon satisfaisante par les cours et tribunaux nationaux : Quinzième rapport sur la politique de la concurrence, p. 54, au point 40. Dans cette perspective, la Commission a récemment rédigé une communication importante relative à la coopération entre la Commission et les juridictions nationales pour l' application des articles 85 et 86 du traité CEE (JO 1993, C-39, p. 6).

(113) - Aux Etats-Unis, les personnes privées ont droit à une indemnisation s' élevant au triple du dommage qu' elles ont subi du fait de la violation des lois fédérales antitrust (ce qu' il est convenu d' appeler les treble damages ) : tant le Sherman Act que le Clayton Act prévoient que toute personne privée injured in his business or property by reason of anything forbidden in the antitrust laws (...) shall recover threefold the damages by him sustained, and the cost of suit, including a reasonable attorney' s fee ( lésée dans ses activités ou dans son droit de propriété en raison d' un acte interdit par les lois antitrust (...) récupérera le triple du préjudice qu' elle a subi, et les dépens, y compris les honoraires d' avocats, s' ils s' élèvent à un montant raisonnable ) : voir en la matière, avec de nombreuses références, Ph. Areeda et L. Kaplow, Antitrust Analysis. Problems, Text, Cases, Boston-Toronto, Little, Brown & Company, 4ème éd., 1988, p. 83, aux points 146 et suivants.

(114) - Arrêt Simmenthal, au point 17.

(115) - Voir, par exemple, le rapport intitulé La réparation des conséquences dommageables d' une violation des articles 85 et 86 du traité instituant la CEE, Collection Etudes, série concurrence n 1, Commission, Bruxelles, 1966, p. 5. Tel est également le point de vue du Bundesgerichtshof dans son arrêt du 14 avril 1959, cité ci-dessus (à la note 66), mais telle est précisément l' une des raisons pour lesquelles bien que, comme nous l' avons mentionné (voir la même note) elle ait reconnu l' effet direct de l' article 60, paragraphe 1 du traité CECA, la Cour n' a pas voulu y rattacher des effets de droit privé : cela aurait conduit à une appréciation différente d' un Etat membre à l' autre, ce qui va précisément à l' encontre de l' égalité de traitement visée par le traité CECA. Pour une critique de cet arrêt, voir notamment J.L. Janssen Van Raay, Een beslissing van het Bundesgerichtshof over E.G.K.S.-recht , Nederlands Juristenblad 1960, (437), pp. 444 et 445.

(116) - En particulier dans la mesure où il est ainsi possible de s' appuyer, pour le respect des règles communautaires, sur le système de protection juridique relevant du droit procédural et du droit matériel qui existe déjà dans les Etats membres.

(117) - En effet, les lacunes et faiblesses du droit national affectent alors également le respect du droit communautaire. Ce danger a été maintes fois relevé : voir entre autres J. Bridge, Procedural Aspects of the Enforcement of European Community Law through the Legal Systems of the Member States , European Law Review, 1984, (28), aux pages 31 et 32; D. Curtin, The Decentralised Enforcement of Community Law Rights. Judicial Snakes and Ladders , dans Constitutional Adjudication in European Community and National Law. Essays for the Hon. Mr. Justice T.F. O' Higgins, Dublin, Butterworth, (33), p. 34; voir également C.W.A. Timmermans, La sanction des infractions au droit communautaire , cité à la note 101, p. 21.

(118) - Arrêt du 21 février 1991, Zuckerfabrik, au point 26 (affaires jointes C-143/88 et C-92/89, Rec. p. I-415).

(119) - Voir J. Bridge, article cité à la note 117, p. 29.

(120) - Arrêt Francovich, au point 42. Déjà dans l' arrêt du 22 janvier 1976, Russo, au point 9 (60/75, Rec. p. 45), la Cour avait énoncé que, dans le cas où un tel préjudice (infligé à un producteur) aurait été causé par le fait d' une violation du droit communautaire, il incomberait à l' Etat d' en assumer, à l' égard de la personne lésée, les conséquences dans le cadre des dispositions du droit national relatives à la responsabilité de l' Etat . (passages que nous ajoutons et que nous soulignons).

(121) - Ibidem. Sur ce point, la Cour renvoie à l' arrêt Rewe (33/76), cité à la note 94 et à l' arrêt du 7 juillet 1981, Rewe (158/80, Rec. p. 1805).

(122) - Voir l' arrêt Salgoil mentionné à la note 94, à la page 645, ainsi que les arrêts Rewe, au point 5, Comet, au point 15, Ariete, au point 12, Mireco, au point 13, cités dans cette même note. Voir également l' arrêt du 9 juillet 1985, Bozzetti, au point 17 (179/84, Rec. p. 2301).

(123) - Voir l' arrêt du 15 mai 1986, Johnston, au point 18 (222/84, Rec. p. 1651) (au point 20, la Cour mentionne le principe d' un contrôle juridictionnel effectif ) et l' arrêt du 15 octobre 1987, Heylens, au point 14 (222/86, Rec. p. 4097). En effet, selon la Cour, dans les arrêts précités, cette exigence découle des traditions constitutionnelles communes à tous les Etats membres et est également consacrée par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l' homme et des libertés fondamentales.

(124) - Arrêt Rewe, au point 44 (158/80, cité à la note 121).

(125) - Ces exigences de non-discrimination et de possibilité pratique ont déjà été développées par la Cour dans les arrêts précités Rewe et Comet : arrêt Rewe, au point 5; arrêt Comet, aux points 13 et 16; voir en outre les arrêts mentionnés à la note 94 : l' arrêt Just, au point 25, l' arrêt Denkavit Italiana, au point 25, l' arrêt Ariete au point 12, l' arrêt Mireco, au point 13, l' arrêt du 9 novembre 1983, San Giorgio, au point 12 (199/82, Rec. p. 3595), l' arrêt Emmott, cité à la note 91, au point 16. La portée autonome de cette deuxième exigence ressort du point 17 de l' arrêt San Giorgio : la Cour y précisait que l' exigence de non-discrimination ne saurait constituer un motif de justification lorsqu' aucune réparation (en l' espèce le remboursement de taxes perçues indûment) n' est possible pour la violation concernée du droit communautaire comme pour une méconnaissance analogue du droit national.

(126) - Arrêt Francovich, au point 43 (passage que nous soulignons). Il convient de signaler que cet arrêt ne reprend pas l' exigence d' effet direct, formulée dans la jurisprudence citée dans la note précédente.

(127) - Voir la jurisprudence que la Cour a développée en ce qui concerne l' exigence de remboursement de taxes perçues en violation du droit communautaire : arrêt San Giorgio, point 14; arrêt du 24 mars 1988, Commission/Italie, au point 7 (104/86, Rec. 1988, p. 1799).

(128) - Arrêt Rewe, cité à la note 94, au point 5; arrêt Comet, au point 17; arrêt Emmott, au point 17.

(129) - Voir, s' agissant du cas d' une directive qui n' a pas encore été correctement transposée en droit national par un Etat membre, l' arrêt Emmott, aux points 23 et 24 et dans le dispositif.

(130) - La Cour a statué en ce sens en particulier dans des litiges fiscaux, où il fallait tenir compte du fait qu' une entreprise avait pu incorporer dans ses prix des taxes indûment perçues et les avait répercutées sur ses acheteurs : voir l' arrêt Just, aux points 26 et 27, l' arrêt Denkavit Italiana, aux points 26 et 28, l' arrêt Ariete, au point 13, l' arrêt Mireco, au point 14.

(131) - Par ailleurs, comme l' avocat général Mischo l' a déjà fait observer dans ses conclusions dans l' affaire Francovich, il n' est pas souhaitable que les modalités de la responsabilité des institutions communautaires pour violation du droit communautaire soient fondamentalement différentes de celles de la responsabilité des autorités nationales (ou de particuliers) pour violation du même droit communautaire : Rec. 1991, p. I-5396, au point 71, avec renvoi à l' arrêt du 27 septembre 1988, Asteris, au point 18 (affaires jointes 106/87 à 120/87, Rec. p. 5515).

(132) - Arrêt Francovich, au point 38.

(133) - Voir les points 39 et 40 de l' arrêt Francovich : selon la Cour, ces conditions sont de trois ordres : i) que le résultat prescrit par la directive comporte l' attribution de droits au profit de particuliers; ii) que le contenu de ces droits puisse être identifié sur la base des dispositions de la directive; et iii) l' existence d' un lien de causalité entre la violation de l' obligation qui incombe à l' Etat et le dommage subi par les personnes lésées.

(134) - Cela constitue depuis longtemps une jurisprudence constante : voir déjà l' arrêt du 28 avril 1971, Luetticke, au point 10 (4/69, Rec. p. 325); voir en outre l' arrêt du 14 janvier 1987, Zuckerfabrik Bedburg, au point 17 (281/84, Rec. 1987, p. 49).

(135) - Voir le point 40 de l' arrêt Francovich, reproduit à la note 132.

(136) - Cela résulte d' une jurisprudence constante : voir, entre autres, l' arrêt du 2 juillet 1974, Holtz & Willemsen, au point 7 (153/73, Rec. p. 675), l' arrêt du 4 mars 1980, Pool, au point 7 (49/79, Rec. p. 569) et l' arrêt du 8 décembre 1987, Grands Moulins de Paris, au point 7 (50/86, Rec. p. 4833).

(137) - Voir l' arrêt du 14 juillet 1967, Kampffmeyer e.a. (affaires jointes 5/66, 7/66 et 13/66 à 24/66, Rec. p. 317 et en particulier à la page 343), dans lequel la Cour se montre réservée étant donné que le préjudice allégué à titre de manque à gagner repose sur des éléments de nature essentiellement spéculative .

(138) - Arrêt du 2 juin 1976, Kampffmeyer, au point 6 (affaires jointes 56/74 à 60/74, Rec. p. 711), arrêt du 2 mars 1977, Milch-,Fett- und Eier-kontor, au point 8 (44/76, Rec. 393), arrêt du 29 janvier 1985, Binderer, au point 19 (147/83, Rec. p. 257) et arrêt Zuckerfabrik Bedburg, au point 14 (281/84, cité à la note 134). Ces arrêts correspondent à la jurisprudence antérieure : ainsi, la Cour a déjà considéré, dans l' arrêt Plaumann, qu' un justiciable pouvait introduire dans la requête une demande en constatation ayant pour objet le préjudice éventuel découlant de la décision attaquée et, au cours de la procédure écrite et orale, préciser l' objet de cette demande et évaluer le montant dudit préjudice : arrêt du 15 juillet 1963 (25/62, Rec. p. 197 et en particulier à la page 224).

(139) - Arrêt Kampffmeyer, cité dans la note précédente, au point 6.

(140) - Arrêt du 19 mai 1992, Mulder et Heinemann, au point 26 (affaires jointes C-104/89 et C-37/90, Rec. p. I-3061) et nos conclusions, à la p. I-3121, au point 47.

(141) - Arrêt Mulder et Heinemann, au point 33 et nos conclusions, à la page I-3122, au point 49.

(142) - Voir les différents arrêts du 4 octobre 1979, Ireks-Arkady, au point 14 (238/78, Rec. p. 2955), DGV, au point 15 (affaires jointes 241/78, 242/78 et 245 à 250/78, Rec. p. 3017), Interquell Staerke-Chemie, au point 17 (affaires jointes 261/78 et 262/78, Rec. p. 3045) et Dumortier Frères, au point 15 (affaires jointes 64/76 et 113/76, 167/78 et 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091).

(143) - Arrêt du 9 décembre 1965, Société Anonyme des Laminoirs e.a. (affaires jointes 29/63, 31/63, 36/63, 39/63 à 47/63, 50/63 et 51/63, Rec. p. 1123 et en particulier à la page 1159).

(144) - Arrêt du 6 octobre 1982, Interquell Staerke-Chemie, au point 11 (261/78, Rec. p. 3271).

(145) - Voir le point 40 de l' arrêt Francovich, résumé à la note 133.

(146) - Arrêt Dumortier Frères, au point 21.

(147) - Voir l' arrêt Vloeberghs, cité à la note 20, p. 451, l' arrêt du 12 juillet 1962, Worms, (18/60, Rec. p. 377 et en particulier aux pages 400 et 401), confirmé le plus récemment dans l' arrêt du 30 janvier 1992, Finsider e.a., au point 25 (affaires jointes C-363/88 et C-364/88, Rec. p. I-359); au point 45 de cet arrêt, la Cour répète qu' il y a lieu d' établir la preuve d' une faute suffisamment caractérisée et directement à l' origine du préjudice invoqué.

(148) - Voir l' arrêt du 25 mai 1978, HNL, au point 4 (affaires jointes 83/76 et 94/76, 4/77, 15/77 et 40/77, Rec. p. 1209); l' arrêt Mulder et Heinemann, au point 12.

(149) - Dans l' arrêt Francovich, il était également question d' une violation, mais dans le chef des pouvoirs publics, d' une obligation précise de transposition de la directive concernée dans un délai bien déterminé. C' est pour cette raison que, dans cette affaire, il n' y avait pas lieu d' appliquer le critère plus souple relatif à l' exercice des pouvoirs discrétionnaires des autorités publiques développé dans le cadre de l' article 215 et mentionné ci-dessus dans le texte.

(150) - Arrêt du 8 novembre 1990, Dekker, aux points 19 et suivants (C-177/88, Rec. 1990, p. I-3941).

(151) - Directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l' accès à l' emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40).

(152) - En l' occurrence également, l' effet utile des dispositions en matière de concurrence serait sensiblement affaibli si la preuve d' une faute était requise : voir l' arrêt Dekker, au point 24. Toute autre est, naturellement, la question de la présence de volonté délibérée ou de négligence en tant que condition pour infliger une amende : voir, dans le cadre de la CEE, l' article 15 du règlement n 17.

(153) - Arrêt Mulder et Heinemann, au point 34.

(154) - Une analyse de droit comparé effectuée par l' avocat général Capotorti dans l' affaire Dumortier avait déjà fait apparaître que cela constitue un principe général qui est commun aux systèmes juridiques des Etats membres : voir les conclusions dans les affaires jointes Dumortier, 64/76 et 113/76, 167/78 et 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. 1982, pp. 1756 à 1758, au point 4. L' avocat général a déduit de son analyse de droit comparé qu' il existe, dans la Communauté, une tendance suffisamment claire et générale, dans la fixation des dommages et intérêts dus pour cause de responsabilité non contractuelle, à tenir également compte de l' influence que peuvent exercer des circonstances apparaissant après le moment où s' est produit l' événement qui est la cause du dommage, telles qu' une dépréciation monétaire ou une dévaluation.

(155) - Ordonnance du 19 décembre 1990, Compagnia Italiana Alcool, au point 26 (C-358/90 R, Rec. p. I-4887) (passage que nous soulignons); voir également l' ordonnance du 26 septembre 1988, Cargill, au point 17 (229/88 R, Rec. p. 5183), l' ordonnance du 23 mai 1990, Comos Tank e.a., au point 24 (C-51/90 R et C-59/90 R, Rec. p. I-2167) et l' ordonnance du 25 octobre 1990, Italsolar, au point 15 (C-257/90 R, Rec. p. I-3941).

(156) - Arrêt Ireks-Arkady, au point 20; arrêt DGV, au point 22; arrêt Interquell Staerke-Chemie, au point 23; arrêt Dumortier Frères, au point 25; confirmé explicitement dans l' arrêt Mulder et Heinemann, au point 35.

(157) - Arrêt du 10 avril 1984, Von Colson et Kamann, aux points 23 et 24 (14/83, Rec. 1984, p. 1891), repris dans l' arrêt Dekker, mentionné à la note 150, au point 23 et dans l' arrêt Marshall II, mentionné à la note 74, au point 18 : au contraire, selon la Cour, la directive laisse aux Etats membres la liberté de choisir parmi les différentes solutions propres à en réaliser l' objectif.

(158) - Arrêt Marshall II, au point 26 (passages que nous ajoutons et que nous soulignons).

(159) - Arrêt Marshall II, au point 30.

(160) - Arrêt Marshall II, au point 31. Au point 32 des motifs et au point 1 du dispositif, la Cour a dès lors répondu à la question posée que l' article 6 de la directive s' oppose à ce que la réparation du préjudice subi par une personne lésée du fait d' un licenciement discriminatoire soit limitée (...) par l' absence d' intérêts destinés à compenser la perte subie par le bénéficiaire de la réparation, du fait de l' écoulement du temps jusqu' au paiement effectif du capital accordé .

(161) - Voir l' arrêt Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires, cité à la note 86, en particulier au point 16.

(162) - Voir notamment l' arrêt Brasserie de Haecht, cité à la note 87, en particulier les points 4 à 12 et les arrêts BRT I, aux points 15 à 23 et Marty, aux points 13 et 14, cités à la note 79.

(163) - Arrêt Delimitis, cité à la note 79, aux points 44 et 45.

(164) - Arrêt Delimitis, au point 47.

(165) - Arrêt Delimitis, au point 50. Au point 51, la Cour rappelle qu' un contrat ne peut faire l' objet d' une décision d' exemption que s' il a été notifié ou s' il est dispensé de l' obligation de notification.

(166) - Arrêt Delimitis, aux points 52 et 53. La Commission est, en effet, tenue, poursuit la Cour, en vertu de l' article 5 du traité, à une obligation de coopération loyale avec les autorités judiciaires des Etats membres.

(167) - Arrêt Delimitis, au point 54.

(168) - Voir la référence à la note 112.

(169) - Voir les conclusions du juge Kirschner, faisant fonction d' avocat général dans l' affaire T-51/89, Tetra Pak, Rec. 1990, p. II-345-346, au point 104, qui ajoute à bon droit, sur le fondement de la jurisprudence de la Cour relative au règlement n 67/67/CEE, que les juridictions nationales restent compétentes pour interpréter un règlement d' exemption par catégorie (d' ailleurs directement applicable) afin d' examiner si un accord en relève ou non : le risque d' aboutir à des appréciations contradictoires peut être combattu par la procédure préjudicielle.

(170) - Voir à ce sujet les conclusions de l' avocat général Reischl dans l' affaire Marty, Rec. 1980, p. 2507 et les conclusions, mentionnées dans la note précédente, du juge Kirschner faisant fonction d' avocat général dans l' affaire Tetra Pak, ibidem.

(171) - Arrêt du 10 juillet 1980, Giry et Guerlain, au point 13 (affaires jointes 253/78 et 1/79 à 3/79, Rec. p. 2327), arrêt Marty, cité à la note 79, au point 10, arrêt Lancôme, au point 11 (99/79, Rec. 1980, p. 2511) et encore l' arrêt du 11 décembre 1980, L' Oréal, au point 11 (31/80, Rec. p. 3775).

(172) - Ibidem.

(173) - Pour ce qui concerne les décisions individuelles CECA, voir les dispositions conjointes des articles 14 et 15, deuxième alinéa du traité CECA; pour les décisions CEE, voir l' article 189, quatrième alinéa du traité CEE.

(174) - Arrêt Foto-Frost, cité à la note 55; voir également l' arrêt Busseni, cité dans la même note, au point 14.

(175) - Cette observation ne s' applique naturellement pas au destinataire de la décision de la Commission ou aux personnes pour lesquelles il est en toute hypothèse établi qu' elles sont concernées directement et individuellement : en effet, s' ils veulent attaquer la légalité des constatations de fait ou de droit formulées dans la décison, ceux-ci ne disposent que de la procédure d' annulation de l' article 173 du traité CEE.

(176) - Voir la condition que, dans l' arrêt Zuckerfabrik, mentionné à la note 118, la Cour propose pour la suspension, par une juridiction nationale, de l' exécution d' un acte administratif national fondé sur un règlement communautaire : arrêt Zuckerfabrik, aux points 23 et 33 des motifs et au point 2 du dispositif.

(177) - Il s' agit d' ailleurs d' appréciations qui, étant donné qu' elles ne constituaient pas, en tant que motifs, le support nécessaire du dispositif (au sens de la jurisprudence de la Cour relative à l' article 190 du traité CEE : voir à ce sujet nos conclusions du 29 juin 1993 dans l' affaire C-137/92P, BASF non encore publiée au Recueil de la jurisprudence de la Cour aux points 15 à 17), ne sont pas susceptibles de faire l' objet d' un recours en annulation : voir l' arrêt du Tribunal du 17 septembre 1992, NBV et NVB, au point 31 (T-138/89, Rec. p. II-2181).