AVIS

Comité économique et social européen

Politique de l’eau — Diplomatie bleue

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Politique de l’eau: entre désertification et sécurisation,
est venu le temps d’une diplomatie bleue [avis d’initiative]

REX/570

Rapporteur: Ioannis VARDAKASTANIS

Corapporteure: Milena ANGELOVA

FR

Décision de l’assemblée plénière

24/01/2023

Base juridique

Article 52, paragraphe 2, du règlement intérieur

Avis d’initiative

Compétence

Section «Relations extérieures»

Adoption en section

18/07/2023

Adoption en session plénière

21/09/2023

Session plénière nº

581

Résultat du vote
(pour/contre/abstentions)

223/1/4

1.Conclusions et recommandations

1.1Compte tenu de la nature transversale de l’eau et du fait que sa rareté constitue un problème mondial, il convient d’adopter une approche commune et globale à l’échelle de la planète. Le CESE plaide dès lors en faveur d’une mise en œuvre à grande échelle de l’approche Nexus 1 et estime que les expériences et les bonnes pratiques des États membres, des entreprises, des organisations de la société civile et des communautés locales doivent être pleinement prises en considération lors de l’élaboration et de la mise en œuvre de la diplomatie bleue.

1.2En raison de sa pénurie croissante à l’échelle mondiale, l’eau est considérée comme un atout stratégique de sécurité, qui place les États qui en ont le contrôle dans une position privilégiée. À cette fin, l’UE devrait concentrer des efforts toujours plus importants sur la diplomatie bleue et intégrer celle-ci de manière systématique dans sa politique étrangère et ses relations extérieures, y compris dans ses politiques de voisinage, commerciale et de développement. Le rapport sur les risques mondiaux publié par le Forum économique mondial recense la pénurie d’eau parmi les menaces les plus probables et les plus conséquentes. Néanmoins, l’eau pourrait devenir un instrument de paix et de développement. Une action résolue en matière de diplomatie bleue est donc nécessaire.

1.3Compte tenu de l’incidence majeure du changement climatique sur les conditions hydrauliques, la diplomatie climatique et la diplomatie bleue sont étroitement liées. Tout en assurant avant tout la promotion d’une action mondiale en matière de lutte contre le changement climatique, l’UE doit concentrer ses efforts sur la coopération visant à faire face aux conséquences de la crise climatique, dans le cadre de sa stratégie d’adaptation. La diplomatie bleue est également intrinsèquement liée à la diplomatie de l’UE en matière de santé, des services d’eau, d’assainissement et d’hygiène («WASH») adéquats, accessibles et abordables étant impératifs pour la santé publique et le développement humain.

1.4L’eau n’est pas une simple marchandise, mais un bien public essentiel à la vie humaine. L’Union européenne devrait œuvrer en faveur d’un accès à l’eau aisé, ininterrompu et abordable pour tous à travers le monde et faciliter la gestion durable de l’eau et des eaux usées grâce à une coopération dans les domaines des infrastructures, des technologies et de l’expertise dans le cadre des partenariats économiques et de la coopération au développement. La stratégie «Global Gateway» constitue un excellent outil à cet égard 2 , compte tenu également des objectifs de la stratégie européenne en matière de sécurité économique 3 et, en particulier, de sa priorité concernant le développement de partenariats et le renforcement de la coopération avec les pays du monde entier.

1.5L’allocation d’un financement adéquat, qu’il soit public ou privé, pour la construction de nouvelles installations et infrastructures et l’amélioration de celles qui existent déjà est une condition fondamentale pour garantir au niveau international, à l’ensemble de la population mondiale, un accès équitable à l’eau potable et à l’assainissement. L’amélioration de la gestion de l’eau nécessite des investissements dans la recherche, l’innovation et le partage des connaissances, ainsi que dans le déploiement de technologies innovantes et de pointe, y compris des solutions numériques dans le domaine de l’eau. Elle requiert également d’améliorer les infrastructures de lutte contre les inondations et de conservation de l’eau. Il convient également d’accorder une plus grande attention aux mesures internationales garantissant la sécurité des infrastructures critiques, notamment en matière de cybersécurité et de protection contre les catastrophes naturelles et les attaques physiques, comme l’ont bien montré les récents conflits.

1.6L’UE devrait sensibiliser au rôle crucial de l’eau et favoriser une meilleure compréhension des interconnexions entre les différents rôles de l’eau et les dépendances mutuelles des différents acteurs. Un Centre européen de l’eau devrait être mis en place afin d’aider à la fois les États membres et les autres pays qui en ont besoin dans le voisinage européen et au-delà.

1.7Le Centre européen de l’eau devrait mettre en évidence les cas où la collaboration entre les États membres de l’UE partageant des rivières et des lacs est exemplaire et ceux où elle est en deçà du niveau souhaité, et recommander des outils stratégiques pour promouvoir les objectifs stratégiques du pacte bleu.

1.8Il convient également que l’UE renforce et facilite les réseaux de diplomatie bleue, étant donné que celle-ci nécessite une coopération entre différents acteurs: représentants des gouvernements, autorités et agences compétentes dans le domaine de l’eau, universités et instituts de recherche, secteur privé, partenaires sociaux et organisations de la société civile.

1.9L’UE devrait mettre au point des instruments spécifiques visant à promouvoir la coopération et des politiques communes en matière de gestion de l’eau des lacs et des bassins hydrographiques transfrontaliers, au sein et en dehors de l’Union.

1.10L’Union devrait considérer la protection des zones humides et de la biodiversité comme un élément essentiel de la diplomatie bleue, et le CESE demande qu’elle figure parmi les priorités stratégiques dans ce domaine.

1.11La gestion durable des rivières, des zones humides et des lacs transfrontaliers du sud-est de l’Europe devrait être prioritaire, compte tenu de leur grande importance pour la protection de la biodiversité européenne.

1.12Le CESE se déclare favorable à ce que l’amélioration du cadre des traités des Nations unies relatifs aux questions liées à l’eau figure parmi les principaux objectifs stratégiques de la diplomatie bleue, compte tenu de l’évolution récente de la situation internationale, ainsi que de la crise climatique et hydrique.

1.13Si l’objectif premier de la diplomatie bleue est de prévenir les tensions et les conflits liés à l’eau, il est évident que l’UE doit également contribuer simultanément à la résolution des conflits. Non seulement elle a la possibilité d’agir en tant que médiateur entre les parties impliquées, mais elle pourrait aussi jouer un rôle important dans la coopération en faveur du relèvement après un conflit.

1.14Le CESE recommande que des mesures supplémentaires soient prises pour éviter que l’eau soit utilisée comme une arme, un phénomène à nouveau observé lors des récents conflits, le cas le plus grave étant la crise du barrage de Nova Kakhovka, dont les répercussions sociales, économiques et environnementales préjudiciables doivent encore être analysées.

1.15Le CESE souligne la nécessité pour l’UE d’exploiter activement son potentiel afin de promouvoir la paix et la durabilité, et d’être un moteur d’innovation et de changement dans la région méditerranéenne et la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), où les eaux transfrontalières sont souvent au cœur de différends, ce qui aggrave encore le changement climatique et la désertification. Dans ce contexte, il convient de saluer les travaux de l’Union pour la Méditerranée (UpM) et de son groupe d’experts sur l’eau et de développer une coopération et des synergies plus étroites.

1.16Le CESE se félicite des engagements volontaires pris par l’UE lors de la conférence des Nations unies sur l’eau et invite l’Union à continuer d’utiliser ses instruments politiques existants pour rechercher des solutions efficaces et efficientes à long terme.

1.17Une stratégie macrorégionale à l’échelle méditerranéenne pourrait en effet favoriser une plus grande cohésion dans le bassin, sur la base des principes d’une approche progressive et volontaire, d’une gouvernance partagée à plusieurs niveaux et d’une géométrie variable dans la réponse apportée aux besoins et aux spécificités territoriales. En complément des cadres, initiatives et programmes déjà en place dans la région, une stratégie macrorégionale globale pourrait renforcer la cohérence et l’intégration entre les actions déjà déployées tout en permettant la complémentarité, une plus grande rationalité dans l’utilisation des ressources et des efforts conjoints efficaces en vue de trouver un terrain d’entente pour la cohésion économique, sociale et environnementale et de dégager des solutions aux défis communs.

1.18La diplomatie bleue devrait définir des priorités stratégiques dans les régions qui connaissent un stress hydrique important et où les conflits liés à l’eau prolifèrent, telles que la région méditerranéenne et la région MENA, où tant les États membres de l’UE que les pays tiers sont confrontés à des défis sans précédent liés à cette ressource. Il est essentiel que le pacte bleu développe une dimension méditerranéenne claire et mette l’accent sur l’eau dans la région MENA, compte tenu de la nature aiguë du stress hydrique.

1.19 La diplomatie bleue devrait également accorder une attention particulière à la situation en Afrique subsaharienne, en particulier dans les régions voisines du Sahel, de la Corne de l’Afrique, des bassins fluviaux transfrontaliers du Nil, du Niger et du Congo, ainsi que dans les bassins lacustres transfrontaliers des Grands Lacs et du lac Tchad, et mettre au point des outils proactifs visant à prévenir une augmentation des flux migratoires vers l’Union européenne liée à la crise de l’eau.

2.Observations générales

2.1De toutes les ressources naturelles, l’eau est devenue la plus précieuse. La pénurie d’eau à l’échelle mondiale représente un défi majeur pour la poursuite du développement humain, ainsi que pour la réalisation de plusieurs objectifs de développement durable des Nations unies. Bien que les trois quarts de notre planète soient constitués d’eau, la majeure partie des importantes réserves d’eau de la Terre n’est pas utilisable, l’eau douce ne représentant que 2,5 % de celles-ci. Du reste, moins de 1 % des réserves d’eau douce est facilement accessible. En outre, les masses d’eau douce enregistrent constamment des baisses, sur le plan qualitatif comme quantitatif.

2.2Le CESE a déclaré que l’eau n’était pas une simple marchandise, mais un bien public essentiel à la vie humaine. Un accès facile et abordable à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène (WASH) pour tous est impératif pour la santé publique et le développement humain. En 2010, l’Assemblée générale des Nations unies a reconnu expressément le droit humain à l’eau et à l’assainissement, et les résolutions du Conseil des droits de l’homme (43/32) approuvées en 2020 prévoient que le droit à l’accès à l’eau soit garanti pendant les conflits, notamment dans le contexte du conflit israélo-palestinien. Toutefois, à l’heure actuelle, quelque 2,2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et aux services de base d’approvisionnement en eau à travers le monde, et plus de la moitié de la population mondiale ne dispose toujours pas de systèmes d’assainissement fiables.

2.3Actuellement, 30 % des eaux souterraines dans le monde sont presque épuisées et la qualité des eaux souterraines suscite de plus en plus d’inquiétudes. Environ 3,6 milliards de personnes ont un accès insuffisant à l’eau au moins un mois par an, et ce nombre devrait encore augmenter et dépasser les 5 milliards d’ici à 2050. Une hausse de 55 % de la demande en eau est également attendue d’ici 2050, et environ un tiers de la population mondiale n’aura pas accès à une eau potable de qualité.

2.4Selon l’Agence européenne pour l’environnement, le stress hydrique se produit lorsque la demande en eau dépasse la quantité disponible pendant une certaine période, ou lorsque la mauvaise qualité de l’eau limite son utilisation. Alors que la population mondiale continue de croître et que l’eau devient de plus en plus rare, les conflits liés à l’eau et l’évolution de l’instabilité géopolitique dans le monde ne sont pas difficiles à prévoir.

2.5Il existe également une forte dimension sociale et de genre dans les questions liées à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène. Sans services «WASH» gérés de manière sûre, les femmes, les filles et les enfants sont plus vulnérables aux abus, aux agressions et aux maladies, ce qui nuit à leur capacité à étudier, à travailler et à vivre dans la dignité. S’il est largement admis que les femmes et les filles sont touchées de manière disproportionnée par le manque de services «WASH», il arrive souvent que ni leurs voix ni leurs besoins ne soient pris en compte lors de la conception et de la mise en œuvre des politiques, ce qui garantit leur marginalisation continue.

2.6Les services «WASH» doivent être globalement plus inclusifs, y compris en ce qui concerne l’accessibilité pour les personnes handicapées. Les barrières sociales et physiques peuvent nuire à la santé et à la dignité des personnes handicapées, et l’absence d’installations adéquates pourrait encore affecter davantage leurs relations, leur scolarisation et leur emploi. Ceci vaut également pour d’autres groupes vulnérables.

2.7En tant que ressource transversale, l’eau douce est également essentielle à un large éventail de secteurs économiques, notamment l’agriculture, les industries, le tourisme, l’énergie et les transports. L’eau contribue ainsi de manière significative à la création de richesses et à l’emploi. Les régions les plus touchées par les pénuries d’eau pourraient voir leurs taux de croissance chuter de jusqu’à 6 % du PIB d’ici à 2050.

2.8Le stress hydrique menace la résilience de certaines régions du monde, alimente les inégalités et soulève des préoccupations en matière de sécurité alimentaire. Le stress hydrique et la désertification conduisent souvent à la sécurisation de l’approvisionnement en eau. L’inégalité d’accès à cette ressource alimente l’instabilité sociale et, partant, entraîne des conflits et des tensions au niveau local et international. Une fois encore, ce seront les plus pauvres qui souffriront le plus du stress hydrique et de la désertification. Depuis 2010, la question du contrôle de l’eau a engendré plus de 466 conflits dans le monde, la plupart en Afrique et au Moyen-Orient. Elle pourrait également déboucher sur une guerre et contribuera à renforcer les vagues migratoires vers l’hémisphère Nord et en particulier vers l’Union européenne.

2.9Le changement climatique augmente également la fréquence, l’intensité, l’ampleur et la durée des sécheresses dans de nombreuses régions du monde. Selon les prévisions, elles pourraient affecter plus des trois quarts de la population mondiale d’ici à 2050 4 . Plusieurs rapports des Nations unies indiquent que, d’ici à 2050, une combinaison de problèmes et de conflits liés à l’eau et au climat contraindra environ un milliard de personnes à migrer. C’est plus particulièrement dans la partie méridionale de la planète que l’accès à l’eau est fortement restreint. Cette situation encouragera encore davantage les déplacements et les migrations de populations vers l’hémisphère Nord. Par conséquent, pour contrer ces évolutions, le CESE demande que l’on s’attaque plutôt aux causes profondes de ce phénomène, notamment le manque d’eau, plutôt que de prendre des mesures à l’encontre des réfugiés.

2.10Les conflits sont souvent liés à un détournement à des fins d’irrigation ou industrielles, à la gestion des pénuries et des inondations, à la pollution ou à la navigation. Toutefois, le stress hydrique causé par des événements extrêmes et une pénurie croissante d’eau a déjà provoqué à travers le monde plusieurs conflits portant sur l’accès aux ressources en eau et le contrôle de celles-ci. La crise climatique ne fera qu’exacerber le problème. Dans de nombreux cas, étant donné que les eaux transfrontalières représentent 60 % des flux d’eau douce dans le monde et que 153 pays ont un territoire situé dans au moins un bassin fluvial ou lacustre transfrontalier, les conflits ou les différends concernent deux pays ou plus. En conséquence, le CESE réclame la mise en place d’instruments permettant de lutter contre la pénurie hydrique à l’échelle mondiale et de prévenir les conflits.

2.11L’eau est de plus en plus utilisée comme une arme par les parties en conflit, en particulier au Moyen-Orient. La guerre civile syrienne en constitue une triste illustration. Le gouvernement syrien a privé d’eau des millions de civils, Daech a régulièrement bloqué l’approvisionnement en eau dans les communautés placées sous son contrôle et la Turquie a été accusée d’avoir mis à l’arrêt la station de pompage d’Alouk. En janvier 2022, la Russie a bombardé une station de pompage à Idlib 5 .

2.12Comme on a malheureusement pu le constater lors de la récente invasion de l’Ukraine par la Russie, la rétention ou la contamination de l’eau ont été utilisées comme une arme de guerre 6 . Dans la ville de Marioupol, les forces armées russes ont délibérément coupé l’accès de la population ukrainienne à l’eau potable, utilisant ainsi la menace de la déshydratation pour forcer la population à se rendre et leur refusant la satisfaction de leurs besoins les plus fondamentaux. La destruction du barrage de Nova Kakhovka a encore aggravé la crise générale.

3.Action et mesures stratégiques en matière de diplomatie bleue

3.1La pénurie d’eau, de même que les tensions et l’instrumentalisation de cette ressource qui en découlent, constituent une menace croissante pour la paix et la stabilité internationales. Néanmoins, l’eau pourrait devenir un instrument de paix et de développement. Une action concrète en matière de diplomatie bleue est donc nécessaire.

3.2La diplomatie bleue (également appelée diplomatie de l’eau ou diplomatie hydrique) est décrite comme un «processus dynamique et politiquement orienté, qui vise à prévenir, atténuer et résoudre les tensions liées à l’eau dans les eaux partagées en recourant simultanément à des outils diplomatiques, aux savoir-faire liés à l’eau et à des mécanismes de coopération en s’appuyant sur de multiples voies diplomatiques» 7 .

3.3Les défis liés à l’eau mettent en lumière l’importance des structures de gouvernance internationales dans la gestion des ressources en eau et dans la prévention des tensions qui y sont liées. La récente conférence des Nations unies sur l’eau de 2023 8 a été une occasion rare de mobiliser toutes les parties concernées et de partager des informations sur les bonnes pratiques et les actions déjà déployées, ainsi que sur les engagements volontaires en faveur de nouvelles mesures 9 . Le CESE juge important de veiller à la poursuite de la coopération mondiale sur ce sujet et à la bonne mise en œuvre des cibles et des objectifs fixés jusqu’à présent. Il convient également d’accorder une attention particulière au développement de structures de gouvernance régionales axées sur les bassins fluviaux et lacustres transfrontaliers.

3.4La Convention des Nations unies sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux (Convention sur l’eau) 10 , adoptée à Helsinki en 1992, et la Convention des Nations unies de 1997 sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation 11 sont des instruments juridiques internationaux uniques qui ont pour objectif essentiel de garantir l’utilisation durable des ressources hydriques transfrontalières grâce à la coopération. En outre, d’autres accords internationaux, tels que le protocole sur l’eau et la santé 12 et le traité sur la haute mer conclu récemment sous l’égide des Nations unies, constituent des outils importants qui doivent faire l’objet d’une mise en œuvre intégrale et rapide.

3.5L’accord de Paris sur le changement climatique et le programme de développement durable à l’horizon 2030 fournissent des orientations précieuses sur la manière de développer la diplomatie bleue à l’échelle mondiale. En particulier, l’ODD 6 est consacré à l’accès à l’eau potable et à l’assainissement et comprend, entre autres, des cibles relatives à la gestion des eaux transfrontières et à la coopération internationale. Compte tenu de l’urgence de mettre en œuvre en temps utile l’ODD 6, ses cibles et, plus généralement, l’accord de Paris, tant la stratégie «Global Gateway» que l’instrument IVCDCI – Europe dans le monde pourraient constituer des outils concrets et efficaces à cet égard.

3.6La prévention des problèmes et des tensions liés à l’eau devrait être considérée comme l’action la plus importante en matière de diplomatie bleue. À cette fin, l’UE devrait contribuer à la gestion durable des ressources en eau à l’échelle mondiale. La gouvernance de l’eau et le rôle de la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) sont reconnus comme des processus clés pour le développement et la gestion durable coordonnés de l’eau, des terres et des ressources connexes.

3.7Il est également impératif d’élaborer des politiques internationales visant à promouvoir l’utilisation économe et efficace de l’eau dans tous les secteurs de l’économie et de la société, à réduire la pollution des eaux souterraines et des eaux de surface, ainsi qu’à restaurer les eaux polluées et dégradées.

3.8Eu égard aux liens qui existent entre le climat et les ressources hydriques, les travaux de l’Organisation météorologique mondiale revêtent une importance cruciale et présentent une grande valeur, du fait qu’ils permettent d’organiser, de promouvoir et d’accélérer d’importants projets de coopération régionale, par exemple dans les domaines du suivi et de la gestion des données, de la gestion des systèmes d’alerte précoce ou encore de l’analyse des changements climatiques et de leurs effets sur l’eau, autant d’éléments importants de la diplomatie bleue.

3.9Les ressources en eau sont également liées à la protection de la biodiversité. Si l’eau est essentielle pour maintenir les processus naturels et assurer des écosystèmes florissants et sains, des terres et des écosystèmes sains permettent pour leur part un stockage naturel à long terme de l’eau douce. L’amélioration de la gestion et de la restauration des terres et des systèmes aquatiques apporte des solutions durables en matière de gestion de l’eau et peut être mise en œuvre rapidement, à un coût relativement faible et avec des moyens technologiques modestes.

3.10En outre, la diplomatie bleue est intrinsèquement liée à la diplomatie de l’UE en matière de santé, des services «WASH» adéquats étant indispensables à la santé publique. Étant donné que l’eau est un bien public, il est essentiel de garantir des infrastructures et des installations publiques adéquates pour permettre à tous d’accéder facilement à une eau propre, sûre et abordable. Il convient également d’accorder une attention particulière à la bonne gestion des eaux usées.

3.11À cette fin, l’UE devrait faciliter l’accès à une eau abordable pour tous au niveau mondial et promouvoir la gestion durable de l’eau grâce à la coopération dans les domaines des infrastructures, des technologies et de l’expertise dans le cadre des partenariats économiques et de la coopération au développement. La stratégie «Global Gateway» constitue un excellent outil à cet égard 13 .

3.12L’allocation d’un financement adéquat pour l’amélioration des installations et infrastructures existantes et, le cas échéant, la construction de nouvelles est une condition fondamentale pour garantir à l’ensemble de la population mondiale un accès équitable à l’eau potable. Les financements publics comme privés (y compris les fonds de l’UE et la facilité pour la reprise et la résilience, ainsi que les financements de la BEI et de la BERD) sont nécessaires aux investissements à long terme dans la gestion de l’eau et les infrastructures hydriques. Par l’intermédiaire de son voisinage méridional, l’UE participe à des actions liées à l’eau qui contribuent à mobiliser des fonds pour la gestion de cette ressource, son utilisation rationnelle, l’assainissement et la réutilisation des eaux usées, la dépollution (en particulier dans le cas de la pollution par les plastiques) et l’adaptation au changement climatique.

3.13Les nouvelles technologies sont susceptibles de produire des résultats significatifs dans le secteur de l’eau. L’amélioration de la gestion de l’eau passe par la recherche et l’innovation, et le partage des données et des connaissances, et requiert de continuer à soutenir la transition vers des solutions numériques dans le domaine de l’eau. L’UE s’est engagée à soutenir la recherche dans le domaine de l’eau, y compris la coopération internationale en matière de R&I, comme dans le cas du partenariat en matière de recherche et d’innovation dans la zone méditerranéenne (PRIMA) sur la disponibilité de l’eau pour l’agriculture, qu’elle finance à hauteur de 494 millions d’EUR pour la période 2018-2024.

3.14L’Union devrait également sensibiliser au rôle crucial de l’eau dans la création d’un développement durable sur les plans économique, social et environnemental. En particulier, il est nécessaire de mieux comprendre les interconnexions entre les différents rôles de l’eau et les dépendances mutuelles des différents acteurs. La connexion eau-énergie-nourriture est un lien typique qu’il convient d’évaluer dans son intégralité. D’autre part, l’UE pourrait contribuer à recenser les risques liés à l’eau, ainsi que les tensions entre différents acteurs.

3.15Outre la sensibilisation, l’Union peut soutenir la formation et l’amélioration des capacités techniques et de gestion des organisations actives dans le secteur de l’eau et de la gouvernance hydrique en général. L’UE pourrait également jouer un rôle plus actif s’agissant de renforcer et de faciliter les réseaux de diplomatie bleue, étant donné que celle-ci nécessite une coopération entre différents acteurs: représentants des gouvernements, autorités et agences compétentes dans le domaine de l’eau, universités et instituts de recherche, secteur privé et organisations de la société civile. Il conviendrait également de tirer parti du potentiel des acteurs féminins.

3.16La société civile joue un rôle essentiel dans la promotion de nouveaux instruments, programmes ou stratégies dans le domaine de l’eau. Des initiatives telles que «Right2Water», la première initiative citoyenne européenne qui a mis en lumière l’eau en tant que droit de l’homme et outil de politique étrangère 14 , témoignent de l’importance que revêt la mobilisation civique. Le pacte européen pour le climat devrait devenir un espace dynamique de partage d’informations, de débat et d’action face à la crise climatique grâce à la participation des citoyens, de leurs organisations et de leurs entreprises.

3.17En ce qui concerne la promotion de la diplomatie bleue dans la mise en œuvre des accords commerciaux conclus par l’UE et des tiers, les groupes consultatifs internes (GCI) du CESE comprennent des outils précieux à cette fin, car ils rassemblent des organisations professionnelles, des syndicats et des organisations environnementales.

3.18Le CESE souligne que l’eau est un bien public et qu’elle devrait donc être accessible à tous à un prix abordable. Plus la rareté des ressources en eau s’accentue, plus l’eau fait l’objet d’une approche commerciale. Même si une telle approche pourrait offrir certains avantages en matière de redistribution des ressources rares, des mesures devraient être prises pour garantir l’autosuffisance de toutes les régions, en recourant à des accords commerciaux et des négociations commerciales, et en tenant compte du fait que l’eau est un bien public et non une simple marchandise et, le cas échéant, en adoptant des règlements en consultation avec les parties prenantes concernées.

3.19Outre les conventions internationales traditionnelles sur l’eau et les objectifs de développement durable, il existe de nombreux organes, instruments et processus bilatéraux, régionaux et mondiaux dans le cadre desquels l’UE peut contribuer à la diplomatie de l’eau.

3.20Les cours d’eau transfrontaliers en Europe soulèvent un certain nombre de questions relatives à la pollution et au partage de l’eau, qui doivent être abordées. Comme l’ont démontré les travaux de la Commission du Danube, de la Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR), de la Commission internationale pour le bassin de la Save et de la Commission internationale de la Moselle, il existe une vaste palette d’expériences européennes dans le domaine des cours d’eau qui pourraient servir de base aux activités de l’UE en matière de diplomatie bleue.

3.21Compte tenu de l’expérience acquise, des connaissances scientifiques et des ressources dont dispose l’Europe dans le domaine de l’eau et de l’assainissement, dans le cadre des efforts déployés activement par l’UE en matière de diplomatie bleue, un Centre européen de l’eau directement rattaché à la DG ENV et au SEAE devrait être mis en place afin d’aider à la fois les États membres et d’autres pays tiers à traiter les questions liées à l’eau dans le voisinage européen et au-delà.

3.22Le partage d’informations sur les pratiques et les expériences des États membres en matière de diplomatie bleue est un moyen important pour l’UE de renforcer son influence. Par exemple, la Finlande a lancé un projet intitulé «Water cooperation and peace – Finnish water way» 15 (Coopération dans le domaine de l’eau et paix – la voie navigable finlandaise), qui vise à renforcer au niveau international la collaboration de la Finlande en matière de diplomatie de l’eau, à améliorer les accords transfrontaliers internationaux et leur mise en œuvre, à recenser les besoins en matière de formation et de renforcement des compétences dans le domaine de la diplomatie de l’eau et à y répondre, et à approfondir la coopération entre les experts dans le secteur de l’eau et en matière de politique étrangère et de sécurité, et de médiation en faveur de la paix.

4.La région de la Méditerranée, du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA)

4.1La région méditerranéenne se réchauffe à un rythme 20 % plus rapide que la moyenne mondiale et est déjà confrontée à des défis majeurs liés au stress hydrique. De nombreux éléments probants indiquent que le changement climatique aura des répercussions sur la Méditerranée de différentes manières, que tant le secteur de la pêche que la biodiversité seront mis en péril par des espèces envahissantes, que la région deviendra plus sèche et plus chaude et que l’intensité des phénomènes extrêmes et des sécheresses augmentera. Les États membres méditerranéens de l’UE sont de plus en plus menacés par la désertification, qui touche principalement les régions côtières et insulaires.

4.2Malgré des différences considérables entre les sous-régions, l’ensemble de la région MENA est confronté à des défis similaires. Les facteurs à l’origine des risques liés à l’eau dans ces pays sont, entre autres, l’augmentation de la population et de la demande en eau, le changement climatique et l’obsolescence des systèmes de gestion de l’eau. En outre, la mauvaise gouvernance, la corruption et les conflits récurrents rendent presque impossible la mise en œuvre de contre-mesures.

4.3De vastes régions d’Afrique subsaharienne font face à d’importants défis liés au stress hydrique. L’absence de réponse internationale risque d’entraîner des vagues migratoires et des conflits intraétatiques et internationaux.

4.4Étant donné que de nombreuses industries, comme l’agriculture et le secteur énergétique, ont besoin d’eau pour être productives, la rareté de l’eau pourrait menacer des pans entiers de l’économie des États méditerranéens, du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, mettant ainsi en péril leur contribution substantielle au PIB. Le CESE souligne que ces industries doivent intensifier leurs efforts afin d’améliorer dans toute la mesure du possible l’utilisation rationnelle et la réutilisation de l’eau.

4.5Une croissance incontrôlée du tourisme peut avoir une incidence significative sur le stress hydrique dans l’ensemble de la Méditerranée. Le volume des voyageurs entrants en provenance du monde entier devrait continuer à augmenter dans les années à venir, ce qui se traduira par une forte pression anthropogénique qui, combinée à des changements radicaux dans l’utilisation des sols, aura une incidence directe sur la consommation d’eau et de terres et la dégradation des services écosystémiques.

4.6Si des pays comme Malte, Israël et l’Espagne sont devenus des chefs de file en matière de gestion de l’eau et de politiques d’utilisation rationnelle de l’eau, la coopération régionale en la matière reste insuffisante. Toutefois, la stratégie méditerranéenne pour le développement durable (SMDD) fournit un cadre politique intégrateur permettant à toutes les parties prenantes de traduire le programme de développement durable à l’horizon 2030 en actions aux niveaux régional, sous-régional, national et local en Méditerranée. L’Union pour la Méditerranée et son groupe d’experts sur l’eau fournissent également une plateforme très utile pour le partage d’informations et la promotion d’objectifs communs et de l’expérience accumulée par des pays tels que la Jordanie, le Maroc et la Palestine dans le domaine de la rareté de l’eau, comme la mise en place de mesures de résilience afin de faire face aux chocs du changement climatique.

4.7Étant donné que les eaux transfrontalières des régions méditerranéenne et MENA ont souvent donné lieu à des différends, aggravant encore les problèmes causés par le changement climatique et la désertification, l’UE a le potentiel de devenir un moteur de changement aux niveaux international et régional et d’utiliser ses instruments politiques existants pour rechercher des solutions efficaces et efficientes à long terme. Dans le cadre de l’IVCDCI – Europe dans le monde, l’UE a engagé plus de 380 millions d’EUR, contribuant ainsi au volet de la stratégie «Global Gateway» concernant les actions dans le domaine de la gestion transnationale de l’eau, en coopération avec les pays concernés, les organismes de bassins et les entités régionales.

4.8Dans le cadre de son partenariat permanent avec le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) sur la sécurité climatique et environnementale, l’Union européenne accorde une attention particulière au lien entre l’eau et la sécurité dans la coopération transfrontière en matière de gestion de l’eau. La Convention des Nations unies sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation de 1997 et la Convention sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux de 1992 pourraient servir de guides pratiques en matière de coopération transfrontière.

4.9Les bassins fluviaux transfrontaliers du Nil, du Jourdain, de l’Oronte, du Tigre et de l’Euphrate et de l’Évros/de la Maritsa ont attiré l’attention du monde entier en raison de différends relatifs à l’attribution de l’eau à des fins d’abreuvement, d’irrigation et de production d’électricité. Ces différends ont mis en péril la paix et la stabilité régionales.

4.10Les bassins lacustres transfrontaliers tels que la mer Morte, le lac d’Ohrid, le lac Prespa et le lac de Shkodra ont également retenu l’attention en raison du rôle qu’ils jouent dans la protection de la biodiversité et dans la lutte contre les menaces de dégradation liées à l’agriculture non durable, à la pêche illégale et au développement du tourisme.

4.11Les régions méditerranéenne et MENA abritent certaines zones humides parmi les plus importantes au monde, dont la protection mérite une attention particulière en ce qui concerne la biodiversité ainsi que la pêche illégale et les ressources en eau.

4.12La collaboration entre les États membres de l’UE partageant des cours d’eau, tels que le Portugal, l’Espagne, la Grèce et la Bulgarie, est inférieure aux niveaux souhaités.

4.13La collaboration entre les États membres de l’UE et les pays candidats à l’adhésion partageant des cours d’eau, tels que la Grèce et l’Albanie, ou la Grèce et la Macédoine du Nord, la Croatie et la Bosnie-Herzégovine, laisse beaucoup à désirer. Dans le même temps, deux bonnes pratiques méritent d’être saluées: 1) la coopération entre les pays partageant le système aquifère karstique Dinaric (l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie et le Monténégro), qui permet d’améliorer les approches nationales et régionales de gestion de cette ressource en eau douce unique, et qui doit être développée pour assurer la protection des écosystèmes connexes et améliorer la qualité de l’eau (PHI de l’UNESCO 2016). La préservation du débit des eaux souterraines dans la mer maintient des écosystèmes précieux à la jonction des milieux terrestres et marins; 2) l’accord-cadre de 2002 sur le bassin de la Save, premier cadre multilatéral adopté par les pays de l’ex-Yougoslavie après la guerre, qui montre comment la coopération régionale dans le domaine de l’eau peut à la fois stimuler et consolider les efforts de paix.

4.14Le cadre d’action pour la politique de l’eau à l’horizon 2030 de l’UpM et ses quatre groupes de travail sur le WEFE Nexus (interactions entre l’eau, l’énergie, l’alimentation et l’écosystème), le WEM Nexus (lien entre l’eau, l’emploi et la migration), le WASH Nexus (lien entre l’approvisionnement en eau, l’assainissement et l’hygiène) et le WCCA Nexus (interactions entre l’eau et l’adaptation au changement climatique), élaborés conjointement avec différents acteurs de la société civile, dont le Partenariat mondial pour l’eau en Méditerranée et le Réseau interislamique du développement et de la gestion des ressources en eau (INWRDAM), réunissant des États du nord et du sud de la Méditerranée (Italie-Turquie, Grèce-Liban, Malte-Égypte) et promouvant des politiques communes de gestion de l’eau sont les bienvenus et constituent un bon exemple pour la région et au-delà.

Bruxelles, le 21 septembre 2023

Oliver RÖPKE

Président du Comité économique et social européen

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