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Journal officiel
de l'Union européenne

FR

Séries C


C/2023/880

8.12.2023

Avis du Comité économique et social européen sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la coordination efficace des politiques économiques et à la surveillance budgétaire multilatérale et abrogeant le règlement (CE) no 1466/97 du Conseil et abrogeant le règlement (CE) no 1466/97 du Conseil

[COM(2023) 240 final — 2023/0138 (COD)]

sur la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) no 1467/97 visant à accélérer et à clarifier la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs

[COM(2023) 241 final — 2023/0137 (CNS)]

et sur la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2011/85/UE du Conseil sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des États membres

[COM(2023) 242 final — 2023/0136 (NLE)]

(C/2023/880)

Rapporteur:

Javier DOZ ORRIT

Corapporteur:

Luca JAHIER

Consultation

Commission européenne, 2.6.2023

Base juridique

Article 121, paragraphe 6, article 126, paragraphe 14, et article 304 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Compétence

Section «Union économique et monétaire et cohésion économique et sociale»

Adoption en section

8.9.2023

Adoption en session plénière

21.9.2023

Session plénière no

581

Résultat du vote

(pour/contre/abstentions)

175/3/2

1.   Conclusions et recommandations

1.1.

Le Comité économique et social européen (CESE) accueille favorablement plusieurs aspects positifs du paquet législatif proposé, notamment: la simplification et la transparence accrue du cadre de gouvernance économique, la réduction substantielle du biais procyclique, le renforcement de l’adhésion nationale et de l’application des règles, la différenciation entre les États membres et une trajectoire d’ajustement budgétaire mieux adaptée à chacun d’eux, sur la base d’un cadre de risque commun.

1.2.

Le CESE plaide donc pour que les négociations s’ouvrent rapidement entre les colégislateurs afin qu’un accord sur la réforme de cette méthode fondamentale de gouvernance économique et budgétaire puisse être trouvé avant la fin de l’année en cours, en vue d’une mise en œuvre avant les prochaines élections européennes. Un cadre à long terme robuste, équilibré, exécutoire et prévisible revêt la plus haute importance pour le marché de la dette également.

1.3.

Le CESE estime que l’obligation, pour tout État membre dont le déficit budgétaire est supérieur à 3 %, de réduire ce déficit à hauteur de 0,5 % du PIB en moyenne par an, sauf en cas de circonstances exceptionnelles, risque de donner lieu à des politiques budgétaires trop restrictives à l’heure où les économies sont susceptibles de faire face à des vents contraires. Il propose dès lors de remplacer cette exigence par une disposition qui puisse être davantage adaptée à la situation particulière des États membres et qui devrait garantir la soutenabilité de la dette à long terme.

1.4.

Le CESE demande de traiter séparément les investissements publics, du moins en ce qui concerne la transition écologique et la défense, au moment de décider s’il y a lieu d’ouvrir une procédure concernant les déficits excessifs. Les États membres auraient ainsi la possibilité d’engager les investissements publics nécessaires pour répondre aux priorités communes énoncées dans le paquet législatif proposé.

1.5.

Le CESE estime que les États membres de l’Union devraient parvenir, en temps utile et au plus tard en 2026, à un accord sur la mise en place d’une capacité budgétaire de l’Union, grâce à laquelle ils pourraient répondre à au moins certains des besoins d’investissement en faveur des priorités communes et bénéficier de la marge de manœuvre budgétaire nécessaire pour assumer les coûts budgétaires que comportent les multiples transitions et qui ne sont pas considérés comme des investissements. Ces coûts comprennent notamment les aides aux ménages à faibles revenus et aux petites entreprises afin qu’ils puissent supporter les coûts des politiques requises en matière d’atténuation du changement climatique et d’adaptation à celui-ci, telles que la hausse des prix du carbone.

1.6.

Le CESE appelle de ses vœux l’adoption d’une définition de l’investissement public dans laquelle l’éligibilité des dépenses publiques non courantes soit étendue au-delà de la formation de capital fixe de manière à englober la constitution de capital naturel et humain permettant des investissements publics dans des objectifs écologiques et sociaux, conformément aux orientations publiées par la Commission à l’intention des États membres en vue de l’élaboration de leurs plans nationaux pour la reprise et la résilience, lesquels servent à mettre en œuvre la facilité pour la reprise et la résilience.

1.7.

Le CESE demande aux colégislateurs de procéder à un examen plus poussé et approfondi avant d’adopter le nouveau règlement sur la méthode d’analyse de la soutenabilité de la dette, afin d’éviter tout effet automatique involontaire découlant de nouvelles politiques d’austérité, en particulier au regard de l’incidence sociale des mesures qu’il conviendra de prévoir à terme.

1.8.

Le CESE estime que les sanctions prévues au titre de la procédure concernant les déficits excessifs ne devraient pas être appliquées de manière automatique, sur la base d’une répartition des pays en catégories en fonction de leurs ratios de dette publique.

1.9.

Le CESE est convaincu que la «trajectoire technique» devrait être en premier lieu du ressort des gouvernements nationaux et soumise à l’avis d’organismes budgétaires nationaux indépendants, puis, dans un second temps, être le fruit d’un dialogue technique avec la Commission européenne afin de renforcer l’adhésion nationale au processus.

1.10.

Le CESE réclame une nouvelle fois que la participation des partenaires sociaux et des organisations de la société civile soit inscrite dans la proposition de règlement, laquelle devrait prévoir l’obligation de mettre en place des procédures de consultation permanentes et structurées aux différentes étapes du nouveau cadre de gouvernance économique. Le CESE et le Comité européen des régions (CdR) devraient en outre être associés au «dialogue relatif au semestre européen».

1.11.

Les parlements nationaux et le Parlement européen, chacun dans leur propre domaine d’action, ont un rôle à jouer dans le cadre de gouvernance économique de l’Union pour renforcer la responsabilité démocratique.

2.   Contexte de l’avis

2.1.

Le 26 avril 2023, la Commission a présenté des propositions législatives, à savoir deux règlements et une directive, visant à réformer les règles de gouvernance économique de l’Union, l’objectif principal déclaré étant de renforcer la soutenabilité de la dette et de promouvoir une croissance durable et inclusive au moyen de réformes et d’investissements. À cette fin, les propositions ont pour but de rendre le cadre de gouvernance économique plus simple et plus transparent, d’améliorer l’adhésion nationale et de renforcer l’application des règles.

2.2.

Les règles de gouvernance économique proposées seront intégrées dans le semestre européen. Dans ce contexte de coordination des politiques budgétaires, économiques et de l’emploi, chaque État membre devra présenter un plan budgétaire et structurel national à moyen terme qui exposera clairement son programme en matière de budget, d’investissement et de réforme pour les quatre prochaines années au moins, à compter de son approbation par le Conseil à la suite d’une recommandation de la Commission, et, sous certaines conditions, pour trois années supplémentaires au maximum si l’État membre en demande la prolongation.

2.3.

Dans son plan budgétaire et structurel, la politique budgétaire d’un État membre sera résumée sous la forme de l’évolution, sur la durée du programme, des dépenses publiques primaires nettes financées au niveau national. Les États membres devront ainsi indiquer, dans leurs plans budgétaires et structurels, comment leurs dépenses publiques primaires nettes évolueront pendant la durée dudit plan, et cette évolution définira la trajectoire d’ajustement de leur politique budgétaire afin de satisfaire à l’obligation de conserver des finances publiques saines.

2.4.

Les États membres dont le ratio de la dette publique et le déficit budgétaire sont respectivement inférieurs à 60 % et à 3 % du PIB doivent définir leur sentier de dépenses publiques nettes de manière à satisfaire à deux exigences: premièrement, à la fin de la période d’ajustement de leur plan budgétaire et structurel, le résultat correspond au solde primaire structurel que la Commission leur a fixé sur la base de son cadre d’analyse de la soutenabilité de la dette. Deuxièmement, leur déficit budgétaire général se situe sous la valeur de référence de 3 % du PIB et devrait, selon les prévisions de la Commission, s’y maintenir pendant les dix années suivant la fin de la période d’ajustement du plan budgétaire et structurel, en l’absence de mesure supplémentaire.

2.5.

Pour les États membres dont la dette publique est supérieure à 60 % du PIB ou dont le déficit budgétaire dépasse 3 % du PIB, la Commission proposera à l’avance une «trajectoire technique», c’est-à-dire une trajectoire des dépenses publiques primaires nettes de l’État membre pour la période d’ajustement du plan budgétaire et structurel. Cette trajectoire technique devra répondre à certaines exigences pour replacer le ratio de la dette publique sur une trajectoire «descendante plausible», qui sera évaluée dans le cadre de l’analyse de la soutenabilité de la dette de la Commission, ramener le déficit sous la barre des 3 % et réduire la croissance des dépenses publiques primaires nettes pour qu’elle soit inférieure à la croissance de la production à moyen terme prévue.

2.6.

Indépendamment de son ratio d’endettement et de son solde budgétaire public, chaque État membre proposera en outre dans son plan budgétaire et structurel un ensemble de réformes et d’investissements, et exposera comment il compte donner suite aux recommandations par pays que lui a spécifiquement adressées le Conseil, conformément aux grandes orientations des politiques économiques et aux lignes directrices pour l’emploi, ainsi qu’aux recommandations formulées dans le cadre du volet préventif ou correctif de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques. Les réformes et investissements proposés devront également répondre aux «priorités communes» de l’Union et être alignés sur ceux qui sont prévus au titre du plan national pour la reprise et la résilience (PNRR) de l’État membre.

2.7.

Un État membre peut demander que la période d’ajustement de son plan budgétaire et structurel soit prolongée de trois ans au maximum s’il propose des réformes et des investissements publics et fait valoir que, outre la poursuite des objectifs susmentionnés, ceux-ci seront également propices à la croissance, favoriseront la viabilité budgétaire et entraîneront une augmentation des investissements publics financés au niveau national.

2.8.

Les propositions législatives comprennent également une réforme du «volet correctif» des règles budgétaires. Dans le cadre des propositions, un ratio de la dette publique supérieur à 60 % ne serait considéré comme «excessif» que si les dépenses publiques nettes s’écartent de la trajectoire fixée dans le plan budgétaire et structurel approuvé de l’État membre. Aux fins de la mise en application, il est proposé d’établir un lien entre le respect par un État membre de la règle budgétaire en matière de dette publique et le cadre d’analyse de la soutenabilité de la dette de la Commission. Un déficit budgétaire supérieur à 3 % du PIB nécessiterait une correction à hauteur de 0,5 % du PIB par an, à moins que des circonstances propres à un État membre ou à l’Union ne justifient l’activation de clauses dérogatoires.

2.9.

Les États membres devront présenter chaque année, au plus tard à la mi-avril, leur rapport d’avancement annuel sur la mise en œuvre de leur plan budgétaire et structurel, plutôt que les programmes annuels nationaux de stabilité, de convergence et de réforme.

2.10.

Le paquet législatif ne propose aucune modification au volet préventif ou correctif du pacte de stabilité et de croissance (PSC) qui renforcerait sensiblement le rôle des parlements européen ou nationaux, sans même parler des partenaires sociaux et des organisations de la société civile. En revanche, les institutions budgétaires nationales indépendantes («conseils budgétaires») se voient confier un rôle accru, en ce qu’elles doivent rendre leur avis indépendant sur la question de savoir si un État membre respecte le sentier des dépenses publiques nettes défini dans son plan budgétaire et structurel et, dans la négative, pourquoi.

3.   Observations générales

3.1.

La réforme budgétaire proposée arrive à un moment critique, alors que l’Union est confrontée aux conséquences de crises majeures successives. La réponse économique vigoureuse apportée à la pandémie de COVID-19, grâce à l’activation de la «clause dérogatoire générale» du PSC, a eu pour effet la hausse des ratios de la dette publique dans presque tous les États membres. Cette réaction a toutefois largement contribué à une reprise économique beaucoup plus rapide et plus solide, et elle a mis au jour l’une des limites des règles en vigueur, notamment lorsqu’il s’agit de faire face à des chocs de grande ampleur. Compte tenu des défis qui se profilent à l’horizon, de tels chocs devraient devenir la nouvelle normalité.

3.2.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué une crise énergétique et fait remonter l’inflation à des taux inédits depuis des décennies, mais elle a aussi soulevé des inquiétudes quant à la manière dont l’Union devrait renforcer ses capacités de défense. À l’échelle mondiale, la politique monétaire s’est écartée de l’orientation accommodante qui était la sienne depuis plusieurs années. La guerre et la crise énergétique ont en outre mis clairement en relief la nécessité pour l’Europe de repenser la manière de garantir sa sécurité énergétique à court et moyen terme et d’accélérer l’abandon des combustibles fossiles à moyen et long terme, transition en faveur de laquelle il convient d’engager des investissements publics massifs afin d’attirer des investissements privés.

3.3.

La pandémie, la guerre et les ambitions de l’Union en matière de climat, mais aussi des initiatives politiques telles que la loi des États-Unis sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act, IRA), ont par ailleurs donné lieu à une réorganisation des chaînes d’approvisionnement mondiales sur lesquelles reposent non seulement le modèle économique de l’Union, mais aussi sa politique industrielle, laquelle devrait désormais être guidée par la notion d’«autonomie stratégique ouverte». La Commission a présenté son «Plan industriel du pacte vert pour l’ère du zéro émission nette». Les besoins supplémentaires de financement public dans les seuls domaines du climat et de la défense ont été estimés à 1 % du PIB par an (1). Le CESE est d’avis que l’énergie, la santé, l’alimentation, la sécurité géopolitique et la défense sont des atouts européens communs et que la gouvernance économique et ses règles budgétaires devraient tenir compte de ces défis fondamentaux et des transitions qui y sont liées.

3.4.

Dans la proposition de réforme, toutes ces transitions sont mentionnées comme faisant partie des «priorités communes». Il est pertinent de s’interroger sur la manière dont les différentes transitions peuvent et devraient être financées, de sorte à préserver les fondements du marché unique et à soutenir une croissance durable. Les priorités communes devraient être financées au moins en partie par des fonds communs et ne pas reposer uniquement sur un plus large recours aux aides d’État, sur la base de la marge de manœuvre budgétaire dont dispose chaque État membre, ce qui porterait préjudice au marché unique ainsi qu’à la cohésion et à la convergence de l’Union.

3.5.

Le CESE voit d’un œil positif le fait que le cadre de gouvernance économique proposé permette d’opérer une distinction entre les États membres et d’adapter pour chacun la trajectoire d’ajustement budgétaire, en suivant un cadre commun fondé sur les risques pour évaluer la soutenabilité de sa dette publique. Dans plusieurs cas, cette disposition devrait empêcher que la politique budgétaire ne vise à réduire la dette publique trop rapidement et sur une durée trop longue, en particulier compte tenu des différences importantes qui caractérisent les ratios de dette publique à la suite des crises les plus récentes.

3.6.

Le CESE se félicite également que les dépenses publiques nettes soient proposées comme l’indicateur clé pour définir la trajectoire de la politique budgétaire nationale, car cette variable relève du contrôle direct des gouvernements, contrairement au solde budgétaire structurel, ce qui devrait rendre la surveillance budgétaire multilatérale de l’Union plus simple et plus transparente.

3.7.

Les règles proposées visent à coordonner plus étroitement les procédures de surveillance budgétaire multilatérale et celles concernant les déséquilibres macroéconomiques en intégrant et en adaptant, dans un plan national unique qu’est le plan budgétaire et structurel, les mesures stratégiques requises pour respecter les recommandations adressées aux États membres quant à chacune de ces procédures. En principe, il serait ainsi possible d’optimiser les synergies entre la prévention et la correction des déséquilibres budgétaires et autres déséquilibres macroéconomiques.

3.8.

Ménager la possibilité pour les États membres d’élaborer leurs propres plans budgétaires et structurels regroupant, d’une manière cohérente, des politiques budgétaires, économiques et structurelles pluriannuelles devrait renforcer l’adhésion nationale à ces plans et, espérons-le, le respect de ceux-ci.

3.9.

Toutefois, le risque subsiste que certains États membres soient contraints à l’austérité budgétaire, c’est-à-dire à réaliser des économies budgétaires lorsque leur économie ralentit ou subit une récession, en raison de l’obligation qui leur est imposée de maintenir leur déficit budgétaire général en-deçà de 3 % du PIB, sauf en cas de circonstances «exceptionnelles», et, lorsque cette valeur de référence est dépassée, même pendant la période d’ajustement du plan budgétaire et structurel, de réduire leur déficit budgétaire à concurrence de 0,5 % du PIB par an. Il n’est pas non plus raisonnable d’obliger les pays dont la dette publique est inférieure à 60 % du PIB et dont le déficit public dépasse 3 %, pour des raisons conjoncturelles, à le réduire à un tel rythme. Ce même risque existe en raison de l’exigence selon laquelle, dans les États membres ayant un ratio de dette publique supérieur à 60 %, ce dernier devrait avoir diminué dès la fin du plan budgétaire et structurel.

3.10.

C’est pourquoi le CESE désapprouve l’application mécanique, indépendamment de l’indicateur de la dette et des circonstances nationales spécifiques, comme les progrès accomplis dans la réalisation des priorités communes sur le plan écologique et social, du critère d’ajustement du déficit correspondant à 0,5 % du PIB par an. Il s’agit là d’une solution universelle, contraire à la logique d’un tel cadre réformé. Le Comité est davantage favorable à une plus grande marge de manœuvre permettant des négociations spécifiques avec chaque gouvernement concerné, afin d’assurer une soutenabilité de la dette plus robuste à long terme.

3.11.

Le nouveau pacte sur les règles budgétaires de l’Union doit viser l’équilibre entre croissance durable et stabilité. Sachant que les conditions structurelles de l’économie limitent la croissance, de laquelle dépend la stabilité, le CESE estime qu’il convient de donner la priorité aux moteurs de la croissance durable afin de garantir la viabilité des finances publiques à moyen et long terme.

3.12.

Le CESE regrette que, bien qu’il reconnaisse l’importance des investissements publics, le cadre de surveillance budgétaire proposé maintienne fortement la pression, au moyen de deux garde-fous, sur les États membres pour qu’ils réalisent des économies budgétaires au moment de mettre en œuvre leurs plans budgétaires et structurels, en particulier pour ce qui est de la partie discrétionnaire de leur budget, qui comprend les investissements publics. Tous les États membres devront gérer leurs dépenses publiques nettes de sorte que, d’ici la fin de la période d’ajustement, le solde budgétaire général (nominal) prévu reste inférieur à 3 % du PIB pendant les dix années qui suivront, même en l’absence de mesures supplémentaires. De plus, pour ceux dont le ratio de la dette publique est supérieur à 60 % ou dont le déficit budgétaire est supérieur à 3 % du PIB, la croissance des dépenses publiques nettes devra rester inférieure à celle de la production à moyen terme (prévue).

3.13.

Le cadre proposé n’énonce qu’une seule exigence concernant les niveaux d’investissement public, à savoir: les États membres qui demandent une prolongation de la période d’ajustement de leur plan budgétaire et structurel obtiendront l’approbation de leur requête s’ils peuvent notamment démontrer qu’à l’issue de la mise en œuvre de leur plan, les investissements publics financés au niveau national sur la durée de vie du plan budgétaire et structurel seront d’un niveau global supérieur à leur niveau moyen avant la période couverte par ce plan. Étant donné que, selon ce critère, les investissements publics ne sont pas mesurés en pourcentage du PIB, cette exigence ne garantirait même pas que leur montant augmente à mesure que l’économie se développe, surtout en période de faible croissance.

3.14.

Ces considérations laissent des questions en suspens, comme celle de savoir si les gouvernements disposeront de la capacité nécessaire et d’incitations à maintenir les investissements supplémentaires au niveau requis pour répondre à d’autres priorités politiques, telles que la transition juste vers un modèle économique neutre pour le climat et la convergence sociale vers le haut, ou encore la défense. Aussi le CESE suggère-t-il différents moyens de renforcer les investissements publics: a) la trajectoire technique doit préciser que le déficit public est ramené ou maintenu sur une trajectoire descendante plausible visant la valeur de référence de 3 % du PIB et qu’il reste à des niveaux prudents à moyen terme, tandis que les investissements publics, mesurés en pourcentage du PIB, demeurent à un niveau plus élevé pendant la période d’ajustement qu’au début du plan budgétaire et structurel; b) les États membres soumis au critère d’ajustement du déficit de 0,5 % du PIB, si celui-ci est maintenu, devraient être autorisés à exclure du calcul les investissements publics propices à la croissance ou à la résilience; c) si un État membre propose des plans d’investissement à même de renforcer la croissance ou la résilience, une prolongation de la période d’ajustement devrait être accordée.

3.15.

En outre, étant donné que plusieurs États membres ont connu un déficit d’investissement public dans les années 2010, et dans la mesure où les investissements publics sont importants pour la constitution d’un stock de capital productif qui influe sur la croissance de la production à moyen terme, certains d’entre eux risquent de se retrouver pris au piège dans un cercle vicieux où leurs dépenses publiques nettes, y compris les investissements, augmentent plus lentement en raison de leur retard d’investissement antérieur. Cette préoccupation sera d’autant plus grande une fois que l’instrument NextGenerationEU arrivera à son terme.

3.16.

Des investissements publics supplémentaires seront par ailleurs cruciaux pour combler le déficit d’investissement dans les infrastructures sociales, lesquelles sont essentielles pour constituer un capital humain durable. Il faudra poursuivre les investissements dans ces domaines pendant plusieurs décennies compte tenu de l’ambition que nourrit l’Union en matière de changement climatique et des problèmes qu’elle rencontre tels que le vieillissement de sa population, aux côtés des autres domaines mentionnés parmi les priorités communes de l’Union.

3.17.

À la lumière de ce qui précède, le CESE juge nécessaire que les institutions européennes ouvrent sans délai un débat sur la création de leur propre capacité budgétaire et sur l’augmentation de leurs ressources budgétaires au-delà de l’actuelle valeur de 1,1 % du PIB, afin de financer, au moyen d’investissements durables, les biens communs européens que sont notamment: les engagements découlant du développement et de la mise en œuvre d’une «autonomie stratégique ouverte», la productivité et la compétitivité accrues des entreprises européennes, des transitions écologique et numérique justes, l’intégration et la formation de nouveaux travailleurs, ou encore la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux (2). Après 2026, qui signera la fin de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR), l’Union devra disposer d’instruments d’investissement commun de nature solide et permanente. Il importe également de garder à l’esprit que la consolidation d’un marché de la dette en euros renforce le rôle de notre monnaie commune sur la scène internationale et abaisse le taux d’intérêt de la dette européenne. Le CESE met en avant le récent avis de la Banque centrale européenne (BCE) (3), qui rappelle la nécessité de disposer, à plus long terme, d’une capacité budgétaire centrale qui soit de nature permanente et d’un volume suffisant.

3.18.

Le CESE estime que, même si la logique qui prévaut est celle de la soutenabilité de la dette à long terme, il est nécessaire de trouver un meilleur équilibre, par rapport à ce que prévoit le paquet législatif, entre cet objectif et les investissements durables. Si une marge de manœuvre politique fait aujourd’hui défaut pour appliquer des «règles d’or» en matière d’investissement, il convient de trouver des solutions de substitution qui évaluent différemment la dette liée aux investissements dans les mutations structurelles et les transitions justes, et dans la sécurité et la défense — en résumé, dans les priorités de l’Union —, et celle qui résulte d’autres dépenses publiques. Il y a lieu de tenir compte de l’objectif et de la qualité de la dette lors de l’adoption de trajectoires nationales visant à la réduire.

3.19.

Si, en principe, la constitution de réserves permettant d’apporter un soutien solide par la voie de la politique budgétaire lorsqu’un choc vient frapper l’économie relève d’une bonne pratique, il est difficile de savoir comment sera opéré le choix optimal entre cette nécessité et d’autres défis politiques pressants. Ce constat s’avère d’autant plus préoccupant que la valeur de référence de 3 % du PIB applicable au déficit budgétaire, qui oriente la politique vers la réalisation d’économies budgétaires, ne repose sur aucune motivation théorique permettant de définir la viabilité des finances publiques.

3.20.

La stabilité financière d’un pays n’est pas corrélée uniquement à ses trajectoires de dépenses publiques, ni à leur qualité, censées soutenir la croissance, mais elle dépend dans une large mesure de l’adéquation de ses recettes fiscales et de son équité fiscale. Les institutions européennes et les pouvoirs publics doivent promouvoir d’urgence l’équité fiscale dans l’ensemble de l’Union, en l’incluant tout d’abord dans les critères de conditionnalité macroéconomique, en encourageant une action politique efficace contre la concurrence fiscale déloyale et en favorisant la mise en œuvre effective de tous les instruments nécessaires pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, le blanchiment de capitaux et la corruption dans l’utilisation des ressources publiques.

4.   Observations particulières

4.1.

Sachant que le marché unique et l’économie sociale de marché de l’Union en constituent les atouts maîtres, le CESE estime que le plan budgétaire et structurel devrait tenir compte du contrôle de la compétitivité des entreprises en ce qui concerne la prise de décision, la création d’emplois et l’amélioration des conditions de travail, ainsi qu’une croissance économique durable et la cohésion sociale. Le cadre réglementaire et budgétaire doit soutenir la compétitivité internationale de l’industrie de l’Union, de même que sa capacité à mener à bien la transition numérique et écologique. Le Comité est favorable à un concept de compétitivité fondé sur l’amélioration de la productivité, qui s’appuie sur l’innovation technologique, la formation et la qualification des travailleurs et leurs bonnes conditions de travail, ainsi que sur le respect de la durabilité environnementale (4).

4.2.

Le CESE prend acte de la mention explicite de priorités sociales telles que la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux dans la liste des priorités communes destinées à orienter les plans budgétaires et structurels. Étant donné que les récents programmes d’ajustement ont eu de très graves répercussions sur la cohésion sociale, le CESE estime que les plans budgétaires et structurels devraient tenir compte de l’incidence et de la dimension sociales des mesures prévues dans ces programmes en ce qui concerne la réduction de la dette et l’ajustement budgétaire. À cet égard, il recommande de mettre en œuvre la procédure concernant les déséquilibres sociaux dans le cadre du système réformé de coordination des politiques au titre du semestre européen, laquelle devrait compléter les processus et outils existants en matière de suivi et faciliter ainsi la convergence sociale vers le haut (5).

4.3.

Le CESE déplore que, si la Commission énonce comme l’un des objectifs de la réforme proposée le renforcement de l’adhésion nationale, elle laisse à l’appréciation des États membres la mesure dans laquelle les partenaires sociaux seront associés à la conception et à la mise en œuvre des politiques économiques, sociales et de l’emploi qui figureront dans les plans budgétaires et structurels. Le Comité est d’avis que lesdits plans devraient faire état des consultations stables et structurées ayant été menées avec les partenaires sociaux, la société civile et les parties prenantes, et indiquer quels résultats de ces consultations ont été pris en compte lors de l’élaboration du plan, de sa révision et de son évaluation. Les nouveaux règlements devraient traduire en termes juridiques les conclusions du Conseil «Affaires économiques et financières» (Ecofin) du 14 mars 2023, selon lesquelles les États membres devraient faire participer systématiquement les partenaires sociaux, la société civile et les autres parties prenantes concernées, de façon significative et en temps utile, à toutes les étapes du cycle du semestre européen et d’élaboration des politiques, car il s’agit d’un élément essentiel au succès de la coordination et de la mise en œuvre des politiques économiques, sociales et de l’emploi.

4.4.

Le CESE demande une nouvelle fois que la participation des partenaires sociaux et des organisations de la société civile aux différents stades du semestre européen soit régie par un règlement européen (6) fixant les droits, les principes et les principales caractéristiques sur lesquels elle devrait se fonder, tels qu’ils sont résumés dans le règlement FRR (7). Il convient d’inscrire cette obligation en premier lieu à l’article 26 de la proposition de règlement [COM(2023) 240 final] afin d’y modifier la référence générale à la participation des partenaires sociaux. Des règles précises devraient également être ajoutées aux articles 11 et 12, qui concernent le contenu et les exigences du plan budgétaire et structurel national à moyen terme, à l’article 14, qui traite de la révision du plan national, et à l’article 15, qui aborde l’évaluation des plans par la Commission.

4.5.

Le CESE et le CdR devraient également être associés au dialogue sur le semestre européen au niveau de l’Union (article 26); rien ne justifie leur absence, alors même que le paquet législatif mentionne d’autres comités techniques dont l’importance est moindre dans le traité sur l’Union européenne.

4.6.

Afin d’accroître l’adhésion nationale aux engagements pris dans les plans budgétaires et structurels, tant les parlements nationaux que le Parlement européen, chacun dans leur propre domaine d’action, ont un rôle de premier plan à jouer dans le cadre de gouvernance économique de l’Union en vue de renforcer la responsabilité démocratique. La consultation des collectivités locales et régionales sur l’élaboration et le suivi des plans budgétaires et structurels y contribuerait également.

4.7.

S’il convient d’accorder une attention particulière aux investissements publics dans la réforme de l’actuel cadre de gouvernance économique, le CESE tient aussi à souligner que ce dernier devrait permettre aux États membres de disposer d’une marge de manœuvre budgétaire grâce à laquelle ils pourraient engager les dépenses courantes nécessaires pour tirer parti du recours à des capitaux publics constitués au moyen d’investissements publics.

4.8.

La méthode d’analyse de la soutenabilité de la dette devrait faire l’objet d’un examen plus approfondi par les colégislateurs avant l’approbation du nouveau règlement, afin d’éviter tout effet automatique involontaire découlant de nouvelles politiques d’austérité. Compte tenu d’éventuels coûts supplémentaires, comme ceux liés au vieillissement de la population, qui surviendraient à la fin des plans budgétaires et structurels, aucun assainissement budgétaire ne devrait avoir lieu au détriment des dépenses sociales, par exemple dans les secteurs de la santé, de l’éducation, des services de soins de longue durée ou des retraites, ce qui constituerait la «solution de facilité». Il est primordial que ces dépenses soient préservées et garanties de manière durable à long terme. Le CESE partage l’avis de la BCE selon lequel l’analyse de la soutenabilité de la dette devrait être un gage de reproductibilité, de prévisibilité et de transparence, et être définie en consultation avec les États membres, et avec leur soutien.

4.9.

L’application de sanctions au titre de la procédure concernant les déficits excessifs ne devrait pas être automatique, sur la base d’une répartition des pays en catégories en fonction du seul ratio de la dette publique. Cette répartition et l’application de sanctions financières ou touchant la réputation sont susceptibles d’augmenter le coût de la dette, et ainsi d’aggraver le problème que la procédure est censée résoudre. Le CESE propose que le respect des réformes et des objectifs relatifs à la réduction de la dette soit encouragé de manière positive, sur le modèle de la FRR, en subordonnant la perception d’une partie des fonds de l’Union à la réalisation, par l’État membre concerné, des objectifs qu’il s’est engagés à atteindre dans son plan budgétaire et structurel.

4.10.

En ce qui concerne la «trajectoire technique», le CESE comprend la «motivation» complexe qui sous-tend la proposition de la Commission pour ce qui est de trouver un compromis entre les points de vue très différents des États membres sur le processus visant à évaluer leur conformité aux exigences fondamentales du règlement. Néanmoins, le Comité remet en question cette plus grande rigidité et estime, au vu de la nécessité de renforcer l’adhésion, que cette trajectoire devrait être en premier lieu du ressort des gouvernements nationaux et soumise à l’avis d’organismes budgétaires nationaux indépendants, puis, dans un second temps, être le fruit d’un dialogue technique avec la Commission européenne, dans la perspective de la présentation des plans budgétaires et structurels nationaux à moyen terme.

Bruxelles, le 21 septembre 2023.

Le président du Comité économique et social européen

Oliver RÖPKE


(1)  Note d’orientation no 10/23 de Bruegel (avril 2023), Jeromin Zettelmeyer et al., The longer-term fiscal challenges facing the European Union, (Les défis budgétaires à long terme auxquels l’Union européenne doit faire face).

(2)  L’article paru récemment sur les biens publics européens [Buti, Coloccia et Messori, Centre for Economic Policy Research (CEPR), 9.6.2023] recense six domaines d’action (transition numérique, transition écologique et énergie, transition sociale, matières premières, sécurité et défense, santé) qui répondent aux principaux défis auxquels l’Union est confrontée, et dans lesquels il conviendrait de sélectionner et de financer des biens européens communs.

(3)  Avis de la Banque centrale européenne du 5 juillet 2023 sur une proposition de réforme de la gouvernance économique dans l’Union (CON/2023/20) (JO C 290 du 18.8.2023, p. 17).

(4)  Avis du Comité économique et social européen sur le thème «Un contrôle de la compétitivité pour bâtir une économie de l’UE plus forte et plus résiliente» (avis exploratoire) (JO C 100 du 16.3.2023, p. 76).

(5)  Avis du Comité économique et social européen sur la procédure concernant les déséquilibres sociaux (avis exploratoire à la demande de la présidence espagnole) (JO C 228 du 29.6.2023, p. 58).

(6)  Résolution du Comité économique et social européen sur le thème «Comment améliorer la participation de la société civile organisée aux plans nationaux pour la reprise et la résilience?» (JO C 323 du 26.8.2022, p. 1) et avis du Comité économique et social européen sur le thème «Recommandations du CESE pour une réforme vigoureuse du semestre européen» (avis d’initiative) (JO C 228 du 29.6.2023, p. 1).

(7)  Article 18, paragraphe 4, point q), du règlement (UE) 2021/241 du Parlement européen et du Conseil (JO L 57 du 18.2.2021, p. 17).


ELI: http://data.europa.eu/eli/C/2023/880/oj

ISSN 1977-0936 (electronic edition)