ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

15 février 2023 ( *1 )

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Biélorussie – Listes des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription et maintien du nom du requérant sur les listes – Notion de « personne responsable de la répression » – Erreur d’appréciation – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑536/21,

Belaeronavigatsia, établie à Minsk (Biélorussie), représentée par Me M. Michalauskas, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. R. Meyer et Mme S. Van Overmeire, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par M. C. Giolito et Mme M. Carpus Carcea, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. J. Svenningsen, président, J. Laitenberger et Mme M. Stancu (rapporteure), juges,

greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 30 novembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1

Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Belaeronavigatsia, demande l’annulation de la décision (PESC) 2021/1001 du Conseil, du 21 juin 2021, modifiant la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie (JO 2021, L 219 I, p. 67), du règlement d’exécution (UE) 2021/999 du Conseil, du 21 juin 2021, mettant en œuvre l’article 8 bis, paragraphe 1, du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2021, L 219 I, p. 55) (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux »), de la décision (PESC) 2022/307 du Conseil, du 24 février 2022, modifiant la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie (JO 2022, L 46, p. 97), et du règlement d’exécution (UE) 2022/300 du Conseil, du 24 février 2022, mettant en œuvre l’article 8 bis du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie (JO 2022, L 46, p. 3) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien »), en tant que ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») la concernent.

Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours

2

La requérante, Belaeronavigatsia, est l’entreprise d’État biélorusse dont l’activité consiste en la régulation de l’espace aérien et en l’assistance à la circulation aérienne en Biélorussie.

3

La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées par l’Union européenne depuis 2004 en raison de la situation en Biélorussie en ce qui concerne la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme. Elle est plus spécifiquement liée à l’intensification de la violation persistante des droits de l’homme ainsi que de la répression exercée de manière brutale à l’encontre des opposants au régime du président Lukashenko à la suite de l’élection présidentielle du 9 août 2020, qui a été jugée incompatible avec les normes internationales par l’Union.

4

Le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 18 mai 2006, sur le fondement des articles [75 et 215 TFUE], le règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre du président Lukashenko et de certains fonctionnaires de Biélorussie (JO 2006, L 134, p. 1) et, le 15 octobre 2012, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2012, L 285, p. 1).

5

Selon l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2012/642 et l’article 2, paragraphe 4, du règlement no 765/2006, tel que modifié par le règlement (UE) no 1014/2012 du Conseil, du 6 novembre 2012, la dernière disposition renvoyant à la première, sont gelés tous les fonds et les ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par, notamment, des personnes, des entités ou des organismes responsables de violations graves des droits de l’homme ou de la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique, ou dont les activités nuisent gravement, d’une autre manière, à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie (ci-après le « critère général litigieux »).

6

Par les actes initiaux, le nom de la requérante a été inscrit sur les listes des personnes, des entités et des organismes visés par les mesures restrictives qui figurent en annexe de la décision 2012/642 et à l’annexe I du règlement no 765/2006 (ci-après, prises ensemble, les « listes en cause »).

7

Dans les actes initiaux, le Conseil a justifié l’inscription du nom de la requérante sur les listes en cause par les motifs suivants :

« L’entreprise d’État BELAERONAVIGATSIA est responsable du contrôle de la circulation aérienne en Biélorussie. Elle porte donc une responsabilité dans le détournement du [vol FR4978] vers l’aéroport de Minsk sans justification valable le 23 mai 2021. Cette décision, motivée par des considérations politiques, visait à arrêter et à détenir le journaliste de l’opposition Raman Pratassevitch et Sofia Sapega et constitue une forme de répression contre la société civile et l’opposition démocratique en Biélorussie.

L’entreprise d’État BELAERONAVIGATSIA est donc responsable de la répression de la société civile et de l’opposition démocratique. »

8

Par lettre du 22 juin 2021, le Conseil a adressé à la requérante une notification individuelle de l’inscription de son nom sur les listes en cause, en y joignant une copie des actes initiaux. Dans cette lettre, le Conseil a informé la requérante qu’elle avait la possibilité de demander le réexamen de la décision d’inscrire son nom sur lesdites listes et de contester cette décision devant le Tribunal.

9

Par lettre du 3 novembre 2021, la requérante a contesté l’inscription de son nom sur les listes en cause et a demandé au Conseil de procéder à un réexamen.

10

Par lettre du 17 janvier 2022, le Conseil a répondu à la demande de réexamen de la requérante et lui a transmis le document WK 15389/2021 INIT. Par cette même lettre, il a informé la requérante de son intention de maintenir son nom sur les listes en cause et de la possibilité de formuler des observations à cet égard jusqu’au 2 février 2022.

11

Par lettres du 26 janvier et du 1er février 2022, la requérante a contesté la pertinence des éléments de preuve rassemblés dans le document WK 15389/2021 INIT et demandé au Conseil de procéder à un réexamen de l’inscription de son nom sur les listes en cause.

12

Par les actes de maintien, l’inscription du nom de la requérante sur les listes en cause a été maintenue jusqu’au 28 février 2023, les motifs justifiant ce maintien étant les suivants :

« L’entreprise d’État Belaeronavigatsia est responsable du contrôle de la circulation aérienne en Biélorussie. Elle porte donc une responsabilité dans le détournement du [vol FR4978] vers l’aéroport de Minsk sans justification valable le 23 mai 2021. Cette décision, motivée par des considérations politiques, a été prise dans le but d’arrêter et de détenir le journaliste de l’opposition Raman Pratassevitch et Sofia Sapega et constitue une forme de répression contre la société civile et l’opposition démocratique en Biélorussie.

L’entreprise d’État Belaeronavigatsia est donc responsable de la répression de la société civile et de l’opposition démocratique. »

13

Par lettre du 25 février 2022, le Conseil a répondu aux lettres de la requérante mentionnées au point 11 ci-dessus et a transmis à cette dernière les documents WK 1795/2022 INIT et WK 1795/2022 ADD 1. Par la même lettre, le Conseil a fait part à la requérante de sa décision de maintenir son nom sur les listes en cause.

Conclusions des parties

14

Par son recours, introduit le 1er septembre 2021, la requérante a initialement contesté les actes initiaux en tant qu’ils la visent. Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 13 mai 2022, la requérante a adapté ses conclusions pour viser également les actes de maintien en tant qu’ils la concernent.

15

La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler les actes attaqués, en tant qu’ils la concernent ;

condamner le Conseil et la Commission aux dépens.

16

Le Conseil et la Commission concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours ;

condamner la requérante aux dépens.

En droit

17

Au soutien de son recours, la requérante invoque deux moyens, tirés, le premier, d’une erreur d’appréciation et, le second, du non-respect du principe de proportionnalité.

Sur le premier moyen, tiré d’une erreur d’appréciation

18

Dans le cadre de ce moyen, la requérante reproche au Conseil d’avoir considéré que le critère général litigieux était un critère objectif qui n’exigeait pas de démontrer que la personne ou l’entité visée par les mesures restrictives avait eu l’intention de participer à l’acte de répression commis. À cet égard, sans exciper l’illégalité du critère général litigieux, la requérante estime, en substance, que les termes « responsables de la répression » utilisés à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2012/642 et à l’article 2, paragraphe 4, du règlement no 765/2006 indiquent que ledit critère implique l’existence d’un élément intentionnel et, donc, la démonstration que la personne ou l’entité visée par les mesures restrictives a eu l’intention de participer à l’acte de répression qui lui est reproché.

19

Ainsi, la requérante soutient que le Conseil ne pouvait se contenter de démontrer l’imputabilité matérielle du déroutement du vol FR4978 vers l’aéroport de Minsk (Biélorussie) le 23 mai 2021 et qu’il aurait également dû démontrer un élément intentionnel dans le chef de la requérante, c’est-à-dire le fait que, par ses actes, elle avait délibérément participé à la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique. En l’absence de cette démonstration, le Conseil n’aurait pas pu considérer qu’il existait une base factuelle suffisante pour démontrer son intention de prendre part à la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique.

20

La requérante avance, en premier lieu, que ses agissements n’ont pas été motivés par des considérations politiques, mais au contraire par les obligations qui lui revenaient dans le domaine de la sécurité aérienne en tant qu’entreprise d’État chargée de la régulation de l’espace aérien et de l’assistance à la circulation aérienne conformément aux conventions internationales auxquelles la Biélorussie est partie. La requérante aurait ainsi agi conformément à la convention pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile, conclue à Montréal (Canada) le 23 septembre 1971, et à la convention relative à l’aviation civile internationale, conclue à Chicago (États-Unis) le 7 décembre 1944.

21

La requérante soutient, en second lieu, qu’elle aurait pu se faire manipuler par les services extérieurs à son entreprise qui l’ont informée de la présence d’une bombe à bord du vol FR4978 et que, n’ayant pas en sa possession la liste des passagers, elle n’avait pas de raisons de soupçonner une telle manipulation. La circonstance, que la requérante conteste, selon laquelle le courriel d’alerte à la bombe n’aurait été reçu par l’aéroport de Minsk que 24 minutes après la communication au pilote du vol FR4978 de cette alerte, n’exclurait pas sa bonne foi dès lors qu’elle aurait agi uniquement en fonction des informations reçues des services de sécurité de l’aéroport de Minsk. En outre, elle ne saurait être tenue pour responsable du déroutement du vol FR4978 dès lors qu’elle n’a fait qu’émettre une recommandation au pilote, qui a pris lui-même la décision d’atterrir en Biélorussie.

22

Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments de la requérante.

23

Il convient de rappeler que, selon l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2012/642 et l’article 2, paragraphe 4, du règlement no 765/2006, sont gelés tous les fonds et les ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par, notamment, des personnes, des entités ou des organismes responsables de violations graves des droits de l’homme ou de la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique, ou dont les activités nuisent gravement, d’une autre manière, à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie.

24

En ce qui concerne le caractère du critère général litigieux, il y a lieu de constater que les termes « responsables de la répression » utilisés à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2012/642 et à l’article 2, paragraphe 4, du règlement no 765/2006 ne sont définis ni par ces dispositions ni par d’autres dispositions de la décision 2012/642 ou du règlement no 765/2006.

25

Par conséquent, la signification et la portée desdits termes doivent être établies conformément au sens habituel en langage courant de ceux-ci, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (voir, en ce sens, arrêts du 10 mars 2005, EasyCar, C‑336/03, EU:C:2005:150, point 21 et jurisprudence citée, et du 7 mai 2019, Allemagne/Commission, T‑239/17, EU:T:2019:289, point 40 et jurisprudence citée).

26

À cet égard, premièrement, il convient de constater que, dans le langage courant, les termes « responsable de » désignent celui ou celle dont les actes et/ou les activités ont produit une conséquence que l’auteur de ces actes et/ou de ces activités connaît ou ne peut pas raisonnablement ignorer.

27

Deuxièmement, il ressort du contexte dans lequel les termes « responsables de la répression » sont utilisés, et notamment de l’emploi, à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2012/642 et à l’article 2, paragraphe 4, du règlement no 765/2006, de la formulation « personnes, entités ou organismes responsables […] de [la] répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique, ou dont les activités nuisent gravement, d’une autre manière, à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie », que l’intention normative a été de viser par le critère général litigieux, de façon générale, toute personne, entité ou organisme dont les activités nuisent gravement à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie. En outre, l’emploi du syntagme « d’une autre manière » dans la seconde partie desdites dispositions démontre l’intention normative de considérer la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique comme un type d’activités nuisant gravement à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie. Enfin, l’emploi du terme « activités » est une indication de l’intention normative de viser les personnes, les entités ou les organismes dont les activités nuisent gravement à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie du fait que ces activités contribuent auxdites nuisances, indépendamment de l’existence ou non d’un élément intentionnel à cet égard.

28

Troisièmement, en ce qui concerne les objectifs poursuivis par la décision 2012/642 et par le règlement no 765/2006, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, selon l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE, la consolidation et le soutien de la démocratie, de l’État de droit, des droits de l’homme et des principes du droit international sur la scène internationale constituent l’un des objectifs de l’Union dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).

29

En l’occurrence, ainsi qu’il ressort du considérant 1 de la décision 2012/642, les mesures restrictives contre la Biélorussie ont été adoptées en raison du non-respect persistant des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit dans ce pays. Lesdites mesures visent à faire pression sur le régime du président Lukashenko pour qu’il mette fin aux violations des droits de l’homme et à la répression exercée à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique.

30

Or, force est de constater que l’approche consistant à cibler des personnes, des entités et des organismes dont les actes et/ou les activités contribuent à la répression exercée à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique répond, de manière cohérente, à l’objectif mentionné au point 29 ci-dessus et ne saurait, en tout état de cause, être considérée comme étant inappropriée au regard de l’objectif poursuivi (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 147). En effet, les actes et/ou les activités contribuant aux violations des droits de l’homme et à la répression de la société civile et de l’opposition démocratique doivent cesser non seulement dans le cas où ces actes et/ou ces activités auraient été commis intentionnellement, mais également dans celui où aucun élément intentionnel ne pourrait être identifié dans le chef de leurs auteurs.

31

Au vu de ce qui précède, le critère général litigieux doit être interprété en ce sens que sont responsables de la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique les personnes, les entités ou les organismes dont les actes et/ou les activités contribuent à ladite répression, indépendamment de leur intention, dès qu’ils ou elles connaissent ou ne peuvent pas raisonnablement ignorer les conséquences de leurs actes et/ou de leurs activités.

32

À cet égard, il convient de souligner que, contrairement à ce que soutient la requérante, les mesures restrictives ne constituent pas des mesures punitives qui nécessiteraient de démontrer un élément intentionnel dans le chef de l’auteur des actes et/ou des activités en cause.

33

En effet, le gel de fonds et de ressources économiques dont la requérante fait l’objet ne constitue pas une sanction administrative ni n’entre dans le champ d’application de l’article 49, paragraphe 1, première phrase, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

34

En premier lieu, aucune disposition du droit de l’Union ne confère une connotation pénale aux mesures restrictives de gel de fonds et de ressources économiques prises à l’encontre d’une personne, d’une entité ou d’un organisme sur la base des dispositions relatives à la PESC. En effet, ces mesures constituent des mesures préventives ciblées, qui visent, conformément à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE, à consolider et à soutenir sur la scène internationale la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme et les principes du droit international.

35

En deuxième lieu, les dispositions de la décision 2012/642 instituant le régime de gel de fonds et de ressources économiques contre la Biélorussie ne visent ni à punir ni à empêcher la réitération d’un quelconque comportement. Elles ont pour seul objet de préserver les actifs détenus par les personnes, les entités et les organismes visés à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2012/642, conformément aux objectifs mentionnés à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE (voir, par analogie, arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 78 et jurisprudence citée). Les fonds et les avoirs des intéressés ne sont donc pas confisqués, mais gelés à titre conservatoire.

36

En troisième lieu, les effets de ces dispositions sont limités dans le temps et révocables. Le gel de fonds et de ressources économiques qu’elles prévoient s’appliquent, en vertu de l’article 8 de la décision 2012/642, durant une période déterminée et le Conseil, qui en assure un suivi constant, peut à tout moment décider d’y mettre fin.

37

Contrairement à ce que soutient la requérante, le critère général litigieux est donc un critère objectif, lié aux actes et/ou aux activités de la personne visée par des mesures restrictives, qui n’exige donc pas de démontrer qu’elle a eu l’intention de participer, par les actes et/ou les activités en cause, à la répression de la société civile et de l’opposition démocratique en Biélorussie.

38

En l’espèce, il suffit donc que le dossier du Conseil comprenne un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir que les actes reprochés à la requérante dans le cadre du déroutement du vol FR4978 ont contribué à la répression de la société civile et de l’opposition démocratique en Biélorussie et que la requérante connaissait ou ne pouvait pas raisonnablement ignorer cette conséquence de ses actes.

39

À cet égard, il convient de constater que, contrairement à ce que soutient la requérante, ni le fait que l’acte qui lui est reproché constituerait un acte isolé ni le fait qu’elle est une personne morale de droit public chargée de la régulation de l’espace aérien et de l’assistance à la circulation aérienne en Biélorussie ne sauraient avoir d’implications quant à l’étendue du contrôle juridictionnel et à la charge de la preuve qui incombe au Conseil, dès lors que ni l’article 29 TUE, ni l’article 215 TFUE, ni les actes attaqués adoptés sur le fondement de ces dispositions ne font de distinction quant au caractère isolé ou répété des actes et/ou des activités incriminés ou encore quant à la nature des actes et/ou des activités des personnes physiques ou morales pouvant faire l’objet de mesures restrictives.

40

Quant à l’étendue dudit contrôle, il ressort de la jurisprudence que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119). L’appréciation du caractère suffisamment solide de la base factuelle retenue par le Conseil doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre l’entité sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).

41

En l’espèce, il convient de constater qu’il est constant entre les parties que la requérante est l’entreprise d’État biélorusse chargée de la régulation de l’espace aérien et de l’assistance à la circulation aérienne, et qu’elle a recommandé, par le biais de son contrôleur aérien qui était en contact avec le pilote du vol FR4978 (ci-après le « contrôleur aérien »), que l’avion soit dérouté vers l’aéroport de Minsk et y atterrisse, ce qui a permis l’arrestation du journaliste et opposant Raman Pratassevitch et de Sofia Sapega par les autorités biélorusses.

42

À cet égard, il convient notamment de souligner qu’il ressort de la transcription de la communication entre le pilote du vol FR4978 et le contrôleur aérien communiquée par les autorités biélorusses et dont le contenu est reproduit dans un article publié le 25 mai 2021 sur le site Internet de Reuters, qui fait partie des éléments de preuve du Conseil rassemblés dans le document WK 6825/2021 INIT sur lesquels est fondée l’inscription du nom de la requérante sur les listes en cause par les actes initiaux, que la recommandation de dérouter vers l’aéroport de Minsk ne venait ni de la compagnie aérienne chargée dudit vol ni des aéroports de départ ou d’arrivée, mais uniquement de la requérante.

43

Par ailleurs, il ressort de plusieurs articles de presse rassemblés dans le document WK 6825/2021 INIT que le déroutement du vol FR4978 a été à l’origine de l’arrestation du journaliste et opposant Raman Pratassevitch et de Sofia Sapega, qui étaient des passagers dudit vol.

44

Ainsi, les informations dont disposait le Conseil au moment de l’adoption des actes initiaux constituent un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants démontrant que, sans la recommandation de la requérante d’atterrir à l’aéroport de Minsk, le vol FR4978 n’aurait pas été dérouté vers cet aéroport et que ce déroutement a été à l’origine de l’arrestation du journaliste et opposant Raman Pratassevitch et de Sofia Sapega.

45

Cette arrestation constitue un acte de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique, étant donné que, ainsi qu’il ressort des éléments de preuve produits par le Conseil, le journaliste et opposant Raman Pratassevitch a été arrêté au motif qu’il était accusé de terrorisme par les autorités biélorusses en raison de ses activités de journaliste et d’opposant au régime du président Lukashenko. En outre, il ressort des éléments de preuve présentés par le Conseil que cette arrestation est intervenue à la suite de l’élection présidentielle du 9 août 2020, qui a été jugée incompatible avec les normes internationales par l’Union et qui a été suivie d’une intensification de la violation persistante des droits de l’homme ainsi que de la répression exercée de manière brutale à l’encontre des opposants au régime du président Lukashenko.

46

Quant au maintien de l’inscription du nom de la requérante sur les listes en cause, il convient de constater que les informations devenues disponibles après l’adoption des actes initiaux, à savoir les différents articles de presse repris dans le document WK 15389/2021 INIT, le rapport préliminaire publié le 7 janvier 2022 par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) à la suite d’une première enquête factuelle concernant l’atterrissage forcé du vol FR4978, repris dans les documents WK 1795/2022 INIT et WK 795/2022 INIT, ainsi que le témoignage du contrôleur aérien recueilli par les autorités judiciaires polonaises et la transcription de l’enregistrement fait par ce dernier des conversations ayant eu lieu dans la tour de contrôle lors des événements, repris dans le document WK 1795/2022 ADD 1, ne font que confirmer et préciser les éléments de fait qui étaient disponibles lors de l’adoption des actes initiaux. Ainsi, il ressort de ces éléments de preuve que le courriel d’alerte à la bombe reçu notamment par l’aéroport de Minsk a été envoyé – prétendument par le mouvement Hamas, qui a rapidement démenti en être l’auteur – après que le pilote avait été informé de cette prétendue alerte. En outre, la requérante n’a déclaré la phase d’alerte qu’au moment où le pilote a lancé le message de détresse « Mayday » et informé le contrôleur aérien de la décision d’atterrir à l’aéroport de Minsk.

47

Pour le surplus, il convient de relever que, même s’il a été publié le 19 juillet 2022, soit postérieurement à l’adoption des actes de maintien, le rapport définitif de l’OACI vient confirmer les informations figurant dans le rapport préliminaire de l’OACI du 7 janvier 2022 (voir, sur l’opposabilité d’une information fournie au cours de la procédure juridictionnelle, arrêt du 28 février 2019, Souruh/Conseil, T‑440/16, non publié, EU:T:2019:115, point 93 et jurisprudence citée).

48

Quant aux arguments de la requérante selon lesquels, premièrement, elle aurait pu se faire manipuler par les services extérieurs à son entreprise qui l’ont informée de la présence d’une bombe à bord du vol FR4978 et, deuxièmement, n’ayant pas en sa possession la liste des passagers, elle n’avait pas de raisons de soupçonner une telle manipulation, il y a lieu de constater qu’il ressort des pièces du dossier, notamment du témoignage du contrôleur aérien recueilli par les autorités judiciaires polonaises, lequel a, en outre, été repris dans le rapport définitif de l’OACI du 19 juillet 2022, que les instances dirigeantes de la requérante ainsi que son personnel concerné étaient parfaitement au courant qu’ils participaient à une opération qui avait pour objet de dérouter le vol FR4978 vers l’aéroport de Minsk pour des raisons qui n’avaient aucun lien avec la sécurité aérienne.

49

Tout d’abord, le contrôleur aérien a déclaré que, longtemps avant l’entrée du vol FR4978 dans l’espace aérien biélorusse, le directeur général de la requérante, accompagné d’une personne inconnue, dont la requérante a confirmé à l’audience qu’elle appartenait au comité pour la sûreté de l’État biélorusse (KGB), sont venus parler à son supérieur hiérarchique et que, par la suite, ce dernier l’a informé qu’un aéronef avec une bombe à bord était attendu dans l’espace aérien biélorusse, mais qu’il lui était interdit d’en avertir immédiatement l’aéronef concerné, dès lors que ce dernier risquait de vouloir atterrir à l’aéroport le plus proche ou dans le secteur aérien voisin dans lequel il se trouvait à ce moment-là, en l’occurrence en Ukraine.

50

Ensuite, le contrôleur aérien a indiqué que son supérieur hiérarchique lui avait ordonné de transmettre au pilote du vol FR4978 l’information selon laquelle une bombe se trouvant à bord allait exploser au-dessus de Vilnius (Lituanie) et que, par la suite, la personne inconnue dont il soupçonnait qu’elle appartenait au KGB est restée tout le temps assise à côté de lui en lui indiquant comment répondre aux questions posées par le pilote du vol FR4978. Ainsi, ce serait sur instruction de ladite personne que le contrôleur aérien a indiqué audit pilote que l’information sur la bombe provenait des services de sécurité, qu’un courriel avait été envoyé à ce titre et que le code d’alerte était rouge. Après que ledit pilote a lancé le message de détresse « Mayday » et commencé sa descente vers l’aéroport de Minsk, ladite personne a échangé des messages téléphoniques avec un tiers en lui confirmant que le pilote avait pris la décision d’atterrir à l’aéroport de Minsk.

51

Par ailleurs, il ressort du dossier que, quelques jours après le déroutement du vol FR4978, le contrôleur aérien a été convoqué dans les locaux de la requérante, où ses supérieurs hiérarchiques lui ont demandé de modifier sa déclaration, pour que celle-ci ne dévoile pas les incohérences dans la chronologie des événements.

52

Enfin, il ressort du dossier que les autorités américaines ont mené leur propre enquête, conduisant un grand jury du tribunal fédéral de district du district sud de New York (États-Unis) à dresser un acte d’accusation concernant le déroutement du vol FR4978 à l’encontre de quatre fonctionnaires biélorusses, à savoir le directeur général et le directeur général adjoint de la requérante, ainsi que deux agents du KGB. Ledit acte mentionne notamment que ces personnes étaient des participants essentiels à un complot visant à dérouter le vol FR4978 vers l’aéroport de Minsk, qu’elles ont collaboré avec le personnel de la requérante afin de transmettre une fausse alerte à la bombe au vol FR4978 en vue de son déroutement et qu’elles ont par la suite falsifié des rapports pour dissimuler leurs actions.

53

Au vu de ce qui précède et eu égard au contexte politique en Biélorussie à l’époque des faits, caractérisé par une intensification de la violation persistante des droits de l’homme ainsi que de la répression exercée de manière brutale à l’encontre des opposants au régime du président Lukashenko à la suite de l’élection présidentielle du 9 août 2020, qui a été jugée incompatible avec les normes internationales, la requérante ne pouvait, à tout le moins pas raisonnablement, ignorer que ses activités déployées pour dérouter le vol FR4978 vers Minsk pour des raisons qui n’avaient aucun lien avec la sécurité aérienne contribuaient à la répression de la société civile et de l’opposition démocratique.

54

Partant, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a considéré que, par son implication, en tant qu’entreprise publique chargée de la régulation de l’espace aérien et de l’assistance à la circulation aérienne en Biélorussie, dans le déroutement du vol FR4978, la requérante est responsable de la répression de la société civile et de l’opposition démocratique en Biélorussie.

55

Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments de la requérante.

56

En effet, premièrement, s’agissant de l’argument selon lequel, eu égard à l’article 20 de la Charte, la prise en considération de la participation objective de la requérante dans le déroutement du vol FR4978 devrait conduire à sanctionner automatiquement tous ceux dont le rôle instrumental était démontré, y compris le pilote dudit vol, il y a lieu de relever que le Conseil reste libre d’apprécier, dans le cadre de l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par le traité FUE, les modalités de mise en œuvre des décisions adoptées conformément au titre V, chapitre 2, du traité UE, en ce compris la détermination des personnes visées par l’adoption éventuelle des mesures restrictives individuelles fondées sur l’article 215 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2013, Bank Melli Iran/Conseil, T‑35/10 et T‑7/11, EU:T:2013:397, point 194).

57

En outre, contrairement à ce qu’a allégué la requérante lors de l’audience, l’interprétation du critère général litigieux telle que retenue au point 31 ci-dessus n’implique pas que tout acte et/ou toute activité qui contribue de manière équivalente à la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique soit visé par ce critère indépendamment de sa qualification matérielle. En effet, le caractère objectif de celui-ci doit nécessairement être déterminé conformément à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2012/642 et à l’article 2, paragraphe 4, du règlement no 765/2006, qui visent seulement les actes et/ou les activités susceptibles d’être qualifiés d’actes de répression, ce qui exclut les actes dépourvus, par leur nature, de tout lien intrinsèque avec la répression de la société civile et de l’opposition démocratique.

58

Deuxièmement, s’agissant de l’argument de la requérante fondé sur l’arrêt du 30 septembre 2021, Cour des comptes/Pinxten (C‑130/19, EU:C:2021:782), et selon lequel, d’une part, seuls certains de ses représentants et préposés ont réellement été impliqués dans le déroutement susmentionné et, d’autre part, la sanction du membre fautif de l’institution ne doit pas automatiquement rejaillir sur l’institution toute entière, il convient de constater que, ainsi que l’indique à juste titre le Conseil, il existe une différence de nature entre, d’une part, un acte commis seul par un agent ou un membre d’une institution, agissant pour son propre intérêt, au détriment de l’institution à laquelle il appartient et, d’autre part, comme en l’espèce, un acte commis par des agents d’un établissement public au nom de celui-ci, dans le cadre des fonctions qui leur ont été confiées, en utilisant les moyens et les pouvoirs de l’établissement en cause. Cet argument de la requérante ne saurait donc prospérer.

59

Troisièmement, en ce qui concerne l’argument selon lequel l’adoption de mesures restrictives devrait être fondée sur des allégations de violations systématiques des droits de l’homme, il convient de constater que le critère général litigieux ne prescrit pas que seuls les actes et/ou les activités présentant un tel caractère peuvent mener à l’adoption de mesures restrictives. En outre, et en tout état de cause, le déroutement du vol FR7948 en vue de l’arrestation du journaliste et opposant Raman Pratassevitch et de Sofia Sapega ne peut pas être dissocié du contexte dans lequel il s’inscrit, à savoir celui de l’élection présidentielle du 9 août 2020, qui a été jugée incompatible avec les normes internationales par l’Union et qui a été suivie par une intensification de la violation persistante des droits de l’homme ainsi que de la répression brutale des opposants au régime du président Lukashenko.

60

Quatrièmement, s’agissant de l’argument selon lequel le Conseil a adopté des mesures restrictives à l’encontre de la requérante alors que l’OACI n’avait pas encore rendu ses conclusions et que les États-Unis n’avaient pas adopté de telles mesures, il convient de constater, à l’instar du Conseil, que le principe de présomption d’innocence, lequel exige que toute personne accusée d’une infraction soit présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie, ne s’oppose pas à l’adoption de mesures restrictives, dès lors que celles-ci ne sont pas, ainsi qu’il est indiqué aux points 34 et 35 ci-dessus, de nature pénale.

61

Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que le premier moyen est non fondé et doit donc être rejeté.

Sur le second moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité

62

Dans le cadre de ce moyen, la requérante soutient que le Conseil a méconnu le principe de proportionnalité.

63

En premier lieu, il serait disproportionné de sanctionner pour les mêmes faits à la fois la requérante et son dirigeant. En outre, même si des fautes avaient été commises par des membres de son personnel, la requérante ne devrait pas être sanctionnée dès lors qu’elle n’a pas à répondre des agissements constitutifs de fautes détachables du service.

64

En second lieu, selon la requérante, les mesures restrictives adoptées à son égard risquent de compromettre sa mission de service public international. En particulier, ces mesures pourraient l’empêcher d’assumer ses dépenses courantes, de rembourser ses dettes à l’égard de plusieurs organismes et entreprises et de financer les investissements nécessaires pour améliorer la qualité de ses services.

65

À cet égard, la requérante soutient que les autorisations exceptionnelles de déblocage, prévues par l’article 3 du règlement no 765/2006, par le règlement d’exécution no 2021/999 et par l’article 5 de la décision 2021/1001 sont impossibles à mettre en œuvre. Le caractère impraticable desdites autorisations s’expliquerait notamment par le fait qu’elles seraient inadaptées à la nature structurelle des investissements dans le secteur de la sécurité aérienne.

66

Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments de la requérante.

67

Il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que le principe de proportionnalité fait partie des principes généraux du droit de l’Union et exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient de nature à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (voir arrêt du 13 mars 2012, Melli Bank/Conseil, C‑380/09 P, EU:C:2012:137, point 52 et jurisprudence citée).

68

La jurisprudence précise à cet égard que, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines tels que la PESC, qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale et dans lesquels celui-ci est appelé à effectuer des appréciations complexes. Dès lors, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, au regard de l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 146 et jurisprudence citée).

69

Certes, les droits de la partie concernée sont restreints dans une certaine mesure du fait des mesures restrictives prises à son égard, dès lors qu’elle ne peut pas, notamment, disposer de ses fonds éventuellement situés sur le territoire de l’Union ni les transférer vers l’Union, sauf en vertu d’autorisations particulières. De même, les mesures visant la partie concernée peuvent, le cas échéant, susciter une certaine méfiance ou défiance de ses partenaires et de ses clients à son égard [voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 174 (non publié)].

70

Toutefois, en l’espèce, il convient de constater que, contrairement à ce que soutient la requérante, il existe un rapport raisonnable entre les mesures restrictives adoptées par les actes attaqués et l’objectif poursuivi.

71

En effet, dans la mesure où, ainsi qu’indiqué aux points 28 et 29 ci-dessus, cet objectif est, notamment, de promouvoir la démocratie, les droits de l’homme et l’État de droit en Biélorussie, l’approche consistant à cibler des personnes, des entités et des organismes dont les actes et/ou les activités ont contribué à la répression exercée à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique en Biélorussie répond, de manière cohérente, audit objectif et ne saurait, en tout état de cause, être considérée comme étant inappropriée au regard de l’objectif poursuivi.

72

S’agissant de l’argument relatif au fait que les mesures concernent simultanément la requérante et son dirigeant, il convient de rappeler, ainsi qu’il est indiqué au point 56 ci-dessus, que le Conseil reste libre d’apprécier, dans le cadre de l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par le traité FUE, les modalités de mise en œuvre des décisions adoptées conformément au titre V, chapitre 2, du traité UE, y compris l’adoption d’éventuelles mesures restrictives fondées sur l’article 215 TFUE, et que l’importance de l’objectif poursuivi par les actes attaqués justifie que les mesures restrictives affectent tous les responsables des actes et/ou des activités contribuant à la répression de la société civile et de l’opposition démocratique.

73

En ce qui concerne l’argument selon lequel le gel de fonds et de ressources économiques risque de compromettre sa mission de service public international, force est de constater, à l’instar du Conseil, qu’il ressort des documents soumis par la requérante qu’elle a, malgré l’imposition des mesures en cause, réalisé des bénéfices substantiels en 2019 et en 2020. En outre, la requérante ne fournit pas d’éléments concrets sur les investissements à long terme qu’elle évoque ou sur les montants en jeu.

74

Enfin, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel l’autorisation exceptionnelle de déblocage ne serait pas applicable en pratique, il suffit de constater que la requérante n’établit pas qu’elle aurait fait une demande en ce sens qui lui aurait été refusée et qu’elle n’apporte aucun élément concret de nature à démontrer que pareille autorisation serait insuffisante pour lui permettre d’assurer ses missions de sécurité aérienne.

75

Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter le second moyen de la requérante comme non fondé, et avec lui le recours dans sa totalité.

Sur les dépens

76

Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

77

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

78

En l’espèce, dès lors que la requérante a succombé, il convient de la condamner aux dépens. Par ailleurs, en tant qu’institution intervenante, la Commission supportera ses propres dépens.

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

 

1)

Le recours est rejeté.

 

2)

Belaeronavigatsia est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

 

3)

La Commission européenne supportera ses propres dépens.

 

Svenningsen

Laitenberger

Stancu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 février 2023.

Le greffier

E. Coulon

Le président

M. van der Woude


( *1 ) Langue de procédure : le français.