ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

7 avril 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Reconnaissance mutuelle – Décision-cadre 2005/214/JAI – Exécution des sanctions pécuniaires – Article 1er, sous a), ii) – Décision infligeant une sanction pécuniaire rendue par une autorité administrative – Décision susceptible d’un recours auprès d’un procureur soumis aux instructions du ministre de la Justice – Recours ultérieur devant une juridiction ayant compétence notamment en matière pénale »

Dans l’affaire C‑150/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Rejonowy dla Łodzi–Śródmieścia w Łodzi (tribunal d’arrondissement de Łódź, centre-ville de Łódź, Pologne), par décision du 23 février 2021, parvenue à la Cour le 5 mars 2021, dans la procédure relative à la reconnaissance et à l’exécution d’une sanction pécuniaire infligée à

D. B.,

en présence de :

Prokuratura Rejonowa Łódź-Bałuty,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. J. Passer, président de chambre, M. N. Wahl et Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour la Prokuratura Rejonowa Łódź-Bałuty, par M. J. Szubert, prokurator regionalny w Łodzi,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et P. Huurnink, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par M. M. Wasmeier et Mme K. Herrmann, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, sous a), ii), de la décision-cadre 2005/214/JAI du Conseil, du 24 février 2005, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires (JO 2005, L 76, p. 16), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre 2005/214 »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure engagée par le Centraal Justitieel Incassobureau, Ministerie van Justitie en Veiligheid (bureau central de recouvrement judiciaire, ministère de la Justice et de la Sécurité, Pays-Bas) (ci-après le « CJIB ») afin d’obtenir la reconnaissance et l’exécution, en Pologne, d’une sanction pécuniaire infligée à D. B., aux Pays-Bas, en raison d’une infraction aux normes qui règlent la circulation routière.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 1er de la décision-cadre 2005/214, intitulé « Définitions », dispose :

« Aux fins de la présente décision-cadre, on entend par :

a)

“décision”, toute décision infligeant à titre définitif une sanction pécuniaire à une personne physique ou morale, lorsque la décision a été rendue par :

[...]

ii)

une autorité de l’État d’émission autre qu’une juridiction en raison d’une infraction pénale au regard du droit de l’État d’émission, à la condition que l’intéressé ait eu la possibilité de faire porter l’affaire devant une juridiction ayant compétence notamment en matière pénale ;

iii)

une autorité de l’État d’émission autre qu’une juridiction en raison d’actes punissables au regard du droit national de l’État d’émission en ce qu’ils constituent des infractions aux règles de droit, pour autant que l’intéressé ait eu la possibilité de faire porter l’affaire devant une juridiction ayant compétence notamment en matière pénale ;

[...]

b)

“sanction pécuniaire”, toute obligation de payer :

i)

une somme d’argent après la condamnation pour une infraction, imposée dans le cadre d’une décision ;

[...] »

4

L’article 3 de cette décision-cadre, intitulé « Droits fondamentaux », prévoit :

« La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 du traité [UE]. »

5

L’article 4 de ladite décision-cadre, intitulé « Transmission des décisions et recours à l’autorité centrale », énonce, à son paragraphe 1 :

« Une décision, accompagnée d’un certificat tel que le prévoit le présent article, peut être transmise aux autorités compétentes d’un État membre dans lequel la personne physique ou morale à l’encontre de laquelle la décision a été prononcée possède des biens ou des revenus, a sa résidence habituelle ou son siège statutaire, s’il s’agit d’une personne morale. »

6

L’article 5 de la même décision-cadre, intitulé « Champ d’application », dispose, à son paragraphe 1 :

« Donnent lieu à la reconnaissance et à l’exécution des décisions, aux conditions de la présente décision-cadre et sans contrôle de la double incrimination du fait, les infractions suivantes, si elles sont punies dans l’État d’émission et telles qu’elles sont définies par le droit de l’État d’émission :

[...]

conduite contraire aux normes qui règlent la circulation routière, y compris les infractions aux dispositions en matière de temps de conduite et de repos et aux dispositions relatives au transport des marchandises dangereuses,

[...] »

7

L’article 6 de la décision-cadre 2005/214, intitulé « Reconnaissance et exécution des décisions », est ainsi libellé :

« Les autorités compétentes de l’État d’exécution reconnaissent une décision qui a été transmise conformément à l’article 4, sans qu’aucune autre formalité soit requise, et prennent sans délai toutes les mesures nécessaires pour son exécution, sauf si l’autorité compétente décide de se prévaloir d’un des motifs de non-reconnaissance ou de non-exécution prévus à l’article 7. »

8

Aux termes de l’article 7 de cette décision-cadre, intitulé « Motifs de non-reconnaissance et de non-exécution » :

« [...]

2.   L’autorité compétente de l’État d’exécution peut également refuser de reconnaître et d’exécuter la décision s’il est établi que :

[...]

g)

selon le certificat prévu à l’article 4, l’intéressé, dans le cas d’une procédure écrite, n’a pas été informé, conformément à la législation de l’État d’émission, personnellement ou par un représentant, compétent en vertu de la législation nationale, de son droit de former un recours et du délai pour le faire ;

[...]

3.   Dans les cas visés au paragraphe 1 et au paragraphe 2, points c), g), i) et j), avant de décider de ne pas reconnaître et de ne pas exécuter une décision, en tout ou en partie, l’autorité compétente de l’État d’exécution consulte l’autorité compétente de l’État d’émission par tous les moyens appropriés et, le cas échéant, sollicite sans tarder toute information nécessaire. »

9

L’article 20, paragraphe 3, de la même décision-cadre prévoit :

« Chaque État membre peut, lorsque le certificat visé à l’article 4 donne à penser que des droits fondamentaux ou des principes juridiques fondamentaux définis par l’article 6 du traité ont pu être violés, s’opposer à la reconnaissance et à l’exécution de la décision. La procédure prévue à l’article 7, paragraphe 3, est applicable. »

Le droit polonais

10

L’article 611ff, paragraphe 1, de l’ustawa – Kodeks postępowania karnego (loi portant code de procédure pénale), du 6 juin 1997 (version consolidée Dz. U. de 2020, position 30), énonce :

« Lorsqu’un État membre de l’Union, désigné dans le présent chapitre comme l’“État d’émission”, demande l’exécution d’une décision définitive infligeant des sanctions pécuniaires, le tribunal d’arrondissement dans le ressort duquel l’auteur possède des biens ou des revenus, ou a sa résidence permanente ou temporaire exécute cette décision. [...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11

Le 22 septembre 2020, le CJIB a saisi la juridiction de renvoi, à savoir le Sąd Rejonowy dla Łodzi-Śródmieścia w Łodzi (tribunal d’arrondissement de Łódź, centre-ville de Łódź, Pologne), d’une demande de reconnaissance et d’exécution de sa décision du 17 janvier 2020, devenue définitive le 28 février 2020, infligeant à D. B. une amende d’un montant de 92 euros en raison d’une infraction aux normes qui règlent la circulation routière, à savoir un dépassement de la vitesse autorisée, commise le 5 janvier 2020.

12

Le 6 novembre 2020, la juridiction de renvoi a posé des questions au CJIB concernant le recours prévu dans la réglementation néerlandaise contre une telle décision ainsi que le statut de l’autorité examinant ce recours. Cette juridiction a reçu la réponse du CJIB le 22 février 2021.

13

D. B. ne s’est présenté à aucune des audiences fixées par la juridiction de renvoi, les 6 novembre et 8 décembre 2020, ainsi que le 23 février 2021. D. B. n’a pas non plus déposé de mémoire.

14

La juridiction de renvoi fait valoir que, conformément à la réglementation néerlandaise, l’amende infligée par le CJIB peut être contestée devant un procureur, aux Pays-Bas, dans un délai de six semaines. Dans le cas où ce procureur ne se rallierait pas à la position de la personne concernée, celle-ci aurait le droit de former un recours devant un kantonrechter (juge cantonal, Pays-Bas). Toutefois, dans le cas où l’affaire porterait sur une amende d’un montant égal ou supérieur à 225 euros, l’examen de l’affaire par un tel tribunal serait subordonné au versement d’une caution d’un montant équivalent à l’amende infligée.

15

Dans ces conditions, la juridiction de renvoi émet des doutes sur la question de savoir si un procureur, au sens de la réglementation néerlandaise, peut être reconnu comme étant une « juridiction ayant compétence notamment en matière pénale », au sens de l’article 1er, sous a), ii), de la décision-cadre 2005/214.

16

Ladite juridiction de renvoi est d’avis que, compte tenu de l’article 3 et de l’article 20, paragraphe 3, de la décision-cadre 2005/214, ainsi que de l’article 6 TUE en ce qui concerne la protection des droits fondamentaux, l’interprétation de l’article 1er, sous a), ii), de cette décision-cadre doit tenir compte de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et de son interprétation retenue dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

17

Or, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, afin de préserver le caractère équitable de la procédure, une affaire devrait être examinée par un tribunal impartial qui ne présente pas d’éléments de subordination à l’égard du pouvoir exécutif (Cour EDH, 23 juin 1981, Le Compte, Van Leuven et De Meyer c. Belgique, CE:ECHR:1981:0623JUD000687875, ainsi que Cour EDH, 29 avril 1988, Belilos c. Suisse, CE:ECHR:1988:0429JUD001032883). En outre, il serait essentiel, à cet égard, qu’il n’y ait pas d’obstacles fiscaux ou juridiques excessifs susceptibles de compromettre l’accès à un tel tribunal.

18

S’agissant de l’interprétation de la notion de « juridiction ayant compétence notamment en matière pénale », visée à l’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre 2005/214, la Cour aurait déjà jugé que, afin d’apprécier si un organisme prévu par la réglementation nationale possède le caractère d’une telle juridiction, il convient de tenir compte d’un ensemble d’éléments, tels l’origine légale de cet organisme, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de la procédure, l’application, par l’organisme, des règles de droit, ainsi que son indépendance (arrêt du 14 novembre 2013, Baláž, C‑60/12, EU:C:2013:733, point 32).

19

En ce qui concerne l’exigence d’indépendance des juridictions, elle comporterait deux aspects. Le premier aspect, d’ordre externe, supposerait que l’instance concernée exerce ses fonctions en toute autonomie, sans être soumise à aucun lien hiérarchique ou de subordination à l’égard de quiconque et sans recevoir d’ordres ou d’instructions de quelque origine que ce soit, étant ainsi protégée contre les interventions ou les pressions extérieures susceptibles de porter atteinte à l’indépendance de jugement de ses membres et d’influencer leurs décisions [arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 63].

20

Le second aspect, d’ordre interne, rejoindrait la notion d’« impartialité » et viserait l’égale distance par rapport aux parties au litige et à leurs intérêts respectifs au regard de l’objet de celui-ci [arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 65].

21

La Cour se serait prononcée, plus particulièrement, sur le point de savoir si un procureur national peut être reconnu comme étant une « autorité judiciaire d’émission », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299. Elle aurait exclu une telle possibilité dans le cas où le parquet d’un État membre est exposé au risque d’être soumis, directement ou indirectement, à des ordres ou à des instructions individuels de la part du pouvoir exécutif, tel qu’un ministre de la Justice, dans le cadre de l’adoption d’une décision relative à l’émission d’un mandat d’arrêt européen [arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, point 90].

22

Dans le même temps, la Cour aurait dit pour droit que constitue une « décision judiciaire », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584, une décision d’émission d’un mandat d’arrêt européen prise par un parquet d’un État membre, pour autant que ledit mandat d’arrêt européen fait l’objet, obligatoirement, d’une homologation par un tribunal qui contrôle de manière indépendante et objective, les conditions d’émission ainsi que la proportionnalité de ce même mandat d’arrêt [arrêt du 9 octobre 2019, NJ (Parquet de Vienne), C‑489/19 PPU, EU:C:2019:849, point 49].

23

La juridiction de renvoi est d’avis que, compte tenu de cette jurisprudence et de la position du parquet dans l’ordre juridique néerlandais, celui-ci ne saurait être considéré comme une « juridiction ayant compétence notamment en matière pénale », au sens de l’article 1er, sous a), ii) et iii), de la décision-cadre 2005/214.

24

À cet égard, elle met en exergue l’importance de la possibilité, prévue dans ces dispositions, de porter l’affaire devant une juridiction ayant compétence notamment en matière pénale dans les cas où la décision constatant la culpabilité de la personne concernée et infligeant la sanction est entièrement automatisée, l’autorité nationale qui adopte cette décision se limitant à vérifier les données du propriétaire du véhicule et à transmettre à cette personne le document généré par le système informatique.

25

S’agissant de la réglementation néerlandaise conformément à laquelle, lorsque le procureur ne fait pas droit au recours formé par la personne concernée contre la décision du CJIB, un recours peut être ensuite introduit devant un kantonrechter (juge cantonal), elle ne saurait satisfaire à l’exigence prévue à l’article 1er, sous a), ii), de la décision-cadre 2005/214, selon laquelle la décision d’une autorité de l’État d’émission autre qu’une juridiction doit pouvoir faire l’objet d’un recours introduit devant une « juridiction ayant compétence notamment en matière pénale ».

26

En effet, cette décision-cadre prévoirait la possibilité de former un recours directement devant une juridiction, sans qu’il soit nécessaire d’épuiser, dans un premier temps, toute autre voie procédurale.

27

À cet égard, il ressortirait de l’arrêt du 14 novembre 2013, Baláž (C‑60/12, EU:C:2013:733, point 46), que l’accès à une juridiction compétente notamment en matière pénale, au sens de la décision-cadre 2005/214, ne doit pas être soumis à des conditions qui le rendent impossible ou excessivement difficile.

28

En outre, la juridiction de renvoi constate que, conformément à la réglementation néerlandaise, dans le cas où l’amende infligée est d’un montant supérieur ou égal à 225 euros, l’examen du recours par une juridiction est subordonné au versement par la personne concernée d’une caution équivalente à ce montant. Or, cette modalité procédurale pourrait constituer un obstacle dissuadant un ressortissant d’un État membre d’introduire un recours dans l’État membre d’émission.

29

Dans ces conditions, le Sąd Rejonowy dla Łodzi-Śródmieścia w Łodzi (tribunal d’arrondissement de Łódź, centre-ville de Łódź) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

La décision infligeant une sanction pécuniaire adoptée par l’autorité administrative centrale néerlandaise désignée conformément à l’article 2 de la décision-cadre [2005/214], qui est susceptible d’un recours devant le parquet, lequel est placé sous l’autorité hiérarchique du ministère de la Justice, répond-elle aux critères de la notion de “décision susceptible d’un recours devant une juridiction compétente en matière pénale”, au sens de l’article 1er, sous a), ii), de cette décision-cadre ?

2)

Peut-on considérer que le critère selon lequel une décision infligeant une sanction pécuniaire doit être susceptible d’un recours devant une “juridiction compétente en matière pénale” est rempli lorsqu’un recours devant le juge cantonal n’est possible qu’à un stade ultérieur de la procédure, à savoir après avoir été rejeté par le procureur, et qu’il implique en outre, dans certains cas, l’obligation d’acquitter des frais d’un montant équivalent à la sanction infligée ? »

Sur les questions préjudicielles

30

Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, premièrement, si l’article 1er, sous a), ii), de la décision-cadre 2005/214 doit être interprété en ce sens qu’une décision infligeant, à titre définitif, une sanction pécuniaire à une personne physique, prise par une autorité de l’État membre d’émission autre qu’une juridiction en raison d’une infraction pénale au regard du droit de cet État membre, constitue une « décision », au sens de cette disposition, dans le cas où la réglementation dudit État membre prévoit que le recours contre cette décision est, dans un premier temps, examiné par un procureur placé sous l’autorité hiérarchique du ministre de la Justice, une juridiction ayant compétence notamment en matière pénale pouvant être, par la suite, saisie par l’intéressé si ce procureur adopte une décision rejetant ce recours. Deuxièmement, la juridiction de renvoi demande si cette disposition doit être interprétée en ce sens que l’intéressé a eu « la possibilité de faire porter l’affaire devant une juridiction ayant compétence notamment en matière pénale », au sens de cette disposition, dans le cas où, conformément à la réglementation de l’État membre d’émission, dès lors que l’amende infligée est d’un montant supérieur ou égal à 225 euros, l’examen du recours par une juridiction est subordonné au versement par cet intéressé d’une caution équivalente à ce montant.

31

À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à l’article 5, paragraphe 1, trente-troisième tiret, de la décision-cadre 2005/214, donnent lieu à la reconnaissance et à l’exécution des décisions, aux conditions de cette décision-cadre et sans contrôle de la double incrimination du fait, les infractions de conduite contraire aux normes qui règlent la circulation routière, si elles sont punies dans l’État membre d’émission, telles qu’elles y sont définies par le droit de cet État membre.

32

L’article 1er, sous a), ii), de la décision-cadre 2005/214 définit la notion de « décision » comme étant « toute décision infligeant à titre définitif une sanction pécuniaire à une personne physique ou morale, lorsque la décision a été rendue par une autorité de l’État d’émission autre qu’une juridiction en raison d’une infraction pénale au regard du droit de l’État d’émission, à la condition que l’intéressé ait eu la possibilité de faire porter l’affaire devant une juridiction ayant compétence notamment en matière pénale ».

33

Conformément à l’article 1er, sous a), iii), de cette décision-cadre, constitue également une « décision »« toute décision infligeant à titre définitif une sanction pécuniaire à une personne physique ou morale, lorsque la décision a été rendue par une autorité de l’État d’émission autre qu’une juridiction en raison d’actes punissables au regard du droit national de l’État d’émission en ce qu’ils constituent des infractions aux règles de droit, pour autant que l’intéressé ait eu la possibilité de faire porter l’affaire devant une juridiction ayant compétence notamment en matière pénale ».

34

Ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour et, notamment, du certificat visé à l’article 4 de la décision-cadre 2005/214, accompagnant la décision du CJIB faisant l’objet de l’affaire au principal, D. B. s’est vu infliger une amende en raison d’une infraction pénale au regard du droit de l’État membre d’émission, à savoir une infraction de conduite contraire aux normes qui règlent la circulation routière, telles qu’elles y sont définies par le droit dudit État membre.

35

Si, dans ces conditions, c’est l’article 1er, sous a), ii), de la décision-cadre 2005/214 et non pas l’article 1er, sous a), iii), de cette décision-cadre qui trouve à s’appliquer en l’occurrence, il n’en demeure pas moins que ces deux dispositions exigent dans des termes identiques que l’intéressé doit avoir eu « la possibilité de faire porter l’affaire devant une juridiction ayant compétence notamment en matière pénale ».

36

S’agissant, en premier lieu, de la question de savoir si le droit de recours est garanti nonobstant l’obligation de respecter une procédure administrative préalable avant que l’affaire soit examinée par une juridiction compétente notamment en matière pénale, au sens de la décision-cadre 2005/214, la Cour a déjà jugé que l’article 1er, sous a), iii), de cette décision-cadre n’exige pas que l’affaire puisse être directement soumise à une telle juridiction (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2013, Baláž, C‑60/12, EU:C:2013:733, point 45).

37

Dans la mesure où la décision-cadre 2005/214 s’applique également aux sanctions pécuniaires infligées par des autorités administratives, il peut être exigé, selon les particularités des systèmes juridictionnels des États membres, qu’une phase administrative préalable ait lieu. Toutefois, l’accès à une juridiction compétente notamment en matière pénale, au sens de cette décision-cadre, ne doit pas être soumis à des conditions qui le rendent impossible ou excessivement difficile (arrêt du 14 novembre 2013, Baláž, C‑60/12, EU:C:2013:733, point 46 et jurisprudence citée).

38

S’agissant, en second lieu, de l’étendue et de la nature du contrôle exercé par la juridiction qui peut être saisie, cette dernière doit être pleinement compétente pour examiner l’affaire en ce qui concerne aussi bien l’appréciation en droit que les circonstances factuelles et doit avoir notamment la possibilité d’examiner les preuves et d’établir sur cette base la responsabilité de l’intéressé ainsi que l’adéquation de la peine (arrêt du 14 novembre 2013, Baláž, C‑60/12, EU:C:2013:733, point 47).

39

Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, nonobstant le fait que, conformément à la réglementation néerlandaise, le recours contre la décision du CJIB infligeant une sanction est examiné par un procureur placé sous l’autorité hiérarchique du ministre de la Justice, cette réglementation prévoit que l’intéressé peut saisir le kantonrechter (juge cantonal) d’un recours contre la décision de ce procureur.

40

Dans ces conditions, sans qu’il soit nécessaire d’apprécier si un procureur compétent pour examiner un recours contre la décision du CJIB infligeant une sanction pour l’infraction de conduite contraire aux normes qui règlent la circulation routière est une « juridiction ayant compétence notamment en matière pénale », au sens de l’article 1er, sous a), ii), de la décision-cadre 2005/214, il convient de vérifier si le kantonrechter (juge cantonal) visé au point précédent constitue une telle juridiction.

41

À cet égard, il importe de rappeler que la notion de « juridiction ayant compétence notamment en matière pénale », visée à ladite disposition, constitue une notion autonome du droit de l’Union et doit être interprétée en ce sens que relève de cette notion toute juridiction qui applique une procédure qui réunit les caractéristiques essentielles d’une procédure pénale et, en particulier, a une compétence de pleine juridiction et applique une procédure qui est soumise au respect des garanties procédurales appropriées en matière pénale (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2013, Baláž, C‑60/12, EU:C:2013:733, points 39 et 42).

42

La Cour, appelée à fournir au juge national des réponses utiles, est compétente pour donner des indications, sur la base du dossier de l’affaire au principal ainsi que des observations qui lui ont été soumises, de nature à permettre à la juridiction de renvoi de statuer dans le litige concret dont elle est saisie (voir, par analogie, arrêt du 26 janvier 2021, Szpital Kliniczny im. dra J. Babińskiego Samodzielny Publiczny Zakład Opieki Zdrowotnej w Krakowie, C‑16/19, EU:C:2021:64, point 38).

43

Dans la présente affaire, ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour, le kantonrechter (juge cantonal), visé au point 39 du présent arrêt, peut statuer sur les questions de droit et de fait, ainsi que sur la proportionnalité de l’amende infligée par rapport à l’infraction commise, la procédure devant cette juridiction étant soumise aux garanties procédurales appropriées en matière pénale. En particulier, ces garanties portent sur la manière dont les documents relatifs à l’affaire sont portés à la connaissance de l’intéressé, l’audition en audience publique à laquelle cet intéressé est convoqué, la possibilité d’être assisté ou représenté, l’audition de témoins et d’experts et le recours à un interprète.

44

Il convient donc de qualifier ledit kantonrechter (juge cantonal) de « juridiction ayant compétence notamment en matière pénale », au sens de l’article 1er, sous a), ii), de la décision-cadre 2005/214.

45

En ce qui concerne la circonstance, évoquée par la juridiction de renvoi, selon laquelle, conformément à la réglementation néerlandaise, dans le cas où l’amende infligée est d’un montant supérieur ou égal à 225 euros, l’examen du recours par une juridiction est subordonné au versement par cet intéressé d’une caution équivalente à ce montant, elle est sans pertinence en l’occurrence. En effet, il y a lieu de constater que, dans l’affaire au principal, l’amende infligée par le CJIB à D. B. était d’un montant de 92 euros.

46

Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 1er, sous a), ii), de la décision-cadre 2005/214 doit être interprété en ce sens qu’une décision infligeant à titre définitif une sanction pécuniaire à une personne physique, prise par une autorité de l’État membre d’émission autre qu’une juridiction en raison d’une infraction pénale au regard du droit de cet État membre, constitue une « décision », au sens de cette disposition, dans le cas où la réglementation dudit État membre prévoit que le recours contre cette décision est, dans un premier temps, examiné par un procureur placé sous l’autorité hiérarchique du ministre de la Justice, une juridiction ayant compétence notamment en matière pénale pouvant être, par la suite, saisie par l’intéressé si ce procureur adopte une décision rejetant ce recours, à condition que l’accès à cette juridiction ne soit pas soumis à des conditions qui le rendent impossible ou excessivement difficile.

Sur les dépens

47

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

 

L’article 1er, sous a), ii), de la décision-cadre 2005/214/JAI du Conseil, du 24 février 2005, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, doit être interprété en ce sens qu’une décision infligeant à titre définitif une sanction pécuniaire à une personne physique, prise par une autorité de l’État membre d’émission autre qu’une juridiction en raison d’une infraction pénale au regard du droit de cet État membre, constitue une « décision », au sens de cette disposition, dans le cas où la réglementation dudit État membre prévoit que le recours contre cette décision est, dans un premier temps, examiné par un procureur placé sous l’autorité hiérarchique du ministre de la Justice, une juridiction ayant compétence notamment en matière pénale pouvant être, par la suite, saisie par l’intéressé si ce procureur adopte une décision rejetant ce recours, à condition que l’accès à cette juridiction ne soit pas soumis à des conditions qui le rendent impossible ou excessivement difficile.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le polonais.