ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

10 février 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Validité – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence pour connaître d’une demande en divorce – Article 18 TFUE – Règlement (CE) no 2201/2003 – Article 3, paragraphe 1, sous a), cinquième et sixième tirets – Différence entre les durées de période de résidence exigées pour déterminer la juridiction compétente – Distinction entre un résident ressortissant de l’État membre de la juridiction saisie et un résident non ressortissant de celui‑ci – Discrimination en raison de la nationalité – Absence »

Dans l’affaire C‑522/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), par décision du 29 septembre 2020, parvenue à la Cour le 19 octobre 2020, dans la procédure

OE

contre

VY,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, MM. J. Passer, F. Biltgen, Mme L. S. Rossi (rapporteure) et M. N. Wahl, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour le Conseil de l’Union européenne, par Mmes M. Balta et T. Haas, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. M. Wasmeier et M. Wilderspin, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur la validité de l’article 3, paragraphe 1, sous a), sixième tiret, du règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000 (JO 2003, L 338, p. 1), et sur les conséquences susceptibles de découler d’une éventuelle invalidité de cette disposition.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant OE à son épouse, VY, au sujet d’une demande de dissolution de leur mariage introduite devant les juridictions autrichiennes.

Le cadre juridique

3

Aux termes du considérant 12 du règlement (CE) no 1347/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale des enfants communs (JO 2000, L 160, p. 19), qui a été abrogé, à compter du 1er mars 2005, par le règlement no 2201/2003 :

« Les critères de compétence retenus dans le présent règlement se fondent sur le principe qu’il doit exister un lien de rattachement réel entre l’intéressé et l’État membre exerçant la compétence. La décision d’inclure certains critères correspond au fait qu’ils existent dans différents ordres juridiques internes et qu’ils sont acceptés par les autres États membres. »

4

Aux termes du considérant 1 du règlement no 2201/2003 :

« La Communauté européenne s’est donné pour objectif de créer un espace de liberté, de sécurité et de justice au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes. À cette fin, la Communauté adopte, notamment, les mesures dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile nécessaires au bon fonctionnement du marché intérieur. »

5

L’article 1er de ce règlement, intitulé « Champ d’application », dispose, à son paragraphe 1 :

« Le présent règlement s’applique, quelle que soit la nature de la juridiction, aux matières civiles relatives :

a)

au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage des époux ;

[...] »

6

L’article 3, intitulé « Compétence générale », dudit règlement dispose :

« 1.   Sont compétentes pour statuer sur les questions relatives au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage des époux, les juridictions de l’État membre :

a)

sur le territoire duquel se trouve :

la résidence habituelle des époux, ou

la dernière résidence habituelle des époux dans la mesure où l’un d’eux y réside encore, ou

la résidence habituelle du défendeur, ou

en cas de demande conjointe, la résidence habituelle de l’un ou l’autre époux, ou

la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins une année immédiatement avant l’introduction de la demande, ou

la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins six mois immédiatement avant l’introduction de la demande et s’il est soit ressortissant de l’État membre en question, soit, dans le cas du Royaume-Uni et de l’Irlande, s’il y a son “domicile” ;

b)

de la nationalité des deux époux ou, dans le cas du Royaume-Uni et de l’Irlande, du “domicile” commun.

2.   Aux fins du présent règlement, le terme “domicile” s’entend au sens des systèmes juridiques du Royaume-Uni et de l’Irlande. »

7

L’article 6 du même règlement, intitulé « Caractère exclusif des compétences définies aux articles 3, 4 et 5 », énonce :

« Un époux qui

a)

a sa résidence habituelle sur le territoire d’un État membre, ou

b)

est ressortissant d’un État membre ou, dans le cas du Royaume-Uni et de l’Irlande, a son “domicile” sur le territoire de l’un de ces États membres,

ne peut être attrait devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des articles 3, 4 et 5. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

8

Le 9 novembre 2011, OE, un ressortissant italien, et VY, une ressortissante allemande, se sont mariés à Dublin (Irlande).

9

Selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, OE a quitté la résidence habituelle commune du couple, située en Irlande, au mois de mai 2018 et vit, depuis le mois d’août 2019, en Autriche.

10

Le 28 février 2020, soit après une période de résidence de plus de six mois en Autriche, OE a introduit, devant le Bezirksgericht Döbling (tribunal de district de Döbling, Autriche), une demande de dissolution de son mariage avec VY.

11

OE soutient qu’un ressortissant d’un État membre autre que l’État du for est en droit d’invoquer, sur la base du respect du principe de non-discrimination en raison de la nationalité, après avoir résidé uniquement six mois sur le territoire de ce dernier État, immédiatement avant l’introduction de sa demande en divorce, la compétence des juridictions dudit dernier État en vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous a), sixième tiret, du règlement no 2201/2003, ce qui reviendrait à écarter l’application du cinquième tiret de cette disposition, qui requiert une durée de résidence d’au moins une année immédiatement avant l’introduction de cette demande.

12

Par décision du 20 avril 2020, le Bezirksgericht Döbling (tribunal de district de Döbling) a rejeté la demande d’OE, estimant qu’il n’avait pas compétence pour en connaître. Selon cette juridiction, la distinction opérée en fonction de la nationalité à l’article 3, paragraphe 1, sous a), cinquième et sixième tirets, du règlement no 2201/2003 a pour but d’éviter qu’un demandeur n’obtienne, par des manœuvres, la reconnaissance de la compétence des juridictions d’un État membre donné.

13

Saisi en appel, le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien (tribunal régional statuant en matière civile de Vienne, Autriche) a, par une ordonnance du 29 juin 2020, confirmé la décision du Bezirksgericht Döbling (tribunal de district de Döbling).

14

OE a introduit un pourvoi en Revision contre cette ordonnance devant la juridiction de renvoi, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche).

15

La juridiction de renvoi relève que la distinction, établie à l’article 3, paragraphe 1, sous a), cinquième et sixième tirets, du règlement no 2201/2003, selon la durée de résidence effective de l’intéressé, est fondée uniquement sur le critère de la nationalité. Rappelant qu’il existe des personnes qui sont nées et qui ont grandi dans un État membre sans en posséder la nationalité, la juridiction de renvoi considère que ce critère ne fait pas apparaître une différence suffisamment pertinente pour ce qui est de l’intégration de l’intéressé et de sa relation de proximité avec l’État membre concerné. Elle éprouve, par conséquent, des doutes en ce qui concerne la compatibilité de la différence de traitement découlant de ces dispositions du règlement no 2201/2003 avec le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, consacré à l’article 18 TFUE.

16

En outre, dans l’hypothèse où cette différence de traitement serait contraire au principe de non-discrimination, la juridiction de renvoi s’interroge sur les conséquences juridiques à en tirer dans une affaire telle que l’affaire au principal.

17

Dans ces conditions, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 3, [paragraphe 1], sous a), sixième tiret, du règlement no [2201/2003] est-il contraire au principe de non-discrimination consacré à l’article 18 TFUE au motif qu’il prévoit, à titre de condition pour fonder la compétence de la juridiction de l’État de résidence, en fonction de la nationalité du demandeur, une durée de résidence de celui-ci plus courte que celle prévue à l’article 3, [paragraphe 1], sous a), cinquième tiret, de ce règlement ?

2)

Dans le cas où il y a lieu de répondre à la première question par l’affirmative :

Une telle violation du principe de non-discrimination a-t-elle pour conséquence que, conformément à la règle générale énoncée à l’article 3, [paragraphe 1], sous a), cinquième tiret, du règlement no [2201/2003], il est exigé pour tous les demandeurs, quelle que soit leur nationalité, une durée de résidence de douze mois pour que la compétence de la juridiction du lieu de résidence puisse être invoquée, ou faut-il retenir pour tous les demandeurs la condition de durée de résidence de six mois ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

18

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, consacré à l’article 18 TFUE, s’oppose à ce que la compétence de la juridiction de l’État membre de résidence, telle que celle-ci est prévue à l’article 3, paragraphe 1, sous a), sixième tiret, du règlement no 2201/2003, soit subordonnée à une durée de résidence minimale du demandeur, immédiatement avant l’introduction de sa demande, de six mois plus courte que celle prévue à l’article 3, paragraphe 1, sous a), cinquième tiret, de ce règlement, au motif que l’intéressé est un ressortissant de cet État membre.

19

Selon une jurisprudence constante, le principe de non-discrimination ou d’égalité de traitement requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir, notamment, arrêts du 17 décembre 2020, Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a., C‑336/19, EU:C:2020:1031, point 85, ainsi que du 25 mars 2021, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, C‑517/19 P et C‑518/19 P, EU:C:2021:240, points 52 et 64).

20

Le caractère comparable de situations différentes s’apprécie au regard de l’ensemble des éléments qui les caractérisent. Ces éléments doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction concernée. Doivent également être pris en considération les principes et les objectifs du domaine dont relève l’acte concerné (voir, notamment, arrêts du 6 juin 2019, P. M. e.a., C‑264/18, EU:C:2019:472, point 29 et jurisprudence citée, ainsi que du 19 décembre 2019, HK/Commission, C‑460/18 P, EU:C:2019:1119, point 67).

21

Par ailleurs, la Cour a également jugé, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe d’égalité de traitement par le législateur de l’Union, que ce dernier dispose, dans le cadre de l’exercice des compétences qui lui sont conférées, d’un large pouvoir d’appréciation lorsqu’il intervient dans un domaine impliquant des choix de nature politique, économique et sociale et lorsqu’il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes. Ainsi, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l’objectif que les institutions compétentes entendent poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir, notamment, arrêt du 6 juin 2019, P. M. e.a., C‑264/18, EU:C:2019:472, point 26).

22

Toutefois, selon cette jurisprudence, même en présence d’un tel pouvoir, le législateur de l’Union est tenu de fonder son choix sur des critères objectifs et appropriés par rapport au but poursuivi par la législation concernée (arrêt du 6 juin 2019, P. M. e.a., C‑264/18, EU:C:2019:472, point 27).

23

C’est à la lumière des principes venant d’être rappelés qu’il convient de vérifier si, au regard notamment de l’objectif poursuivi par les règles de compétence instituées à l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 2201/2003, un demandeur tel qu’OE, qui réside habituellement sur le territoire d’un État membre autre que celui de sa nationalité et qui engage une procédure de dissolution du lien matrimonial devant les juridictions de cet État membre, se trouve dans une situation qui n’est pas comparable à celle d’un demandeur ressortissant dudit État membre, de telle sorte que ne s’oppose pas au principe de non-discrimination le fait d’exiger du premier qu’il ait résidé pendant une période plus longue sur le territoire du même État membre avant de pouvoir introduire son action.

24

Ainsi qu’il ressort de son considérant 1, le règlement no 2201/2003 contribue à créer un espace de liberté, de sécurité et de justice au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes. À cette fin, dans ses chapitres II et III, ce règlement instaure notamment des règles régissant la compétence ainsi que la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de dissolution du lien matrimonial, ces règles visant à garantir la sécurité juridique [arrêt du 25 novembre 2021, IB (Résidence habituelle d’un époux – Divorce), C‑289/20, EU:C:2021:955, point 31 et jurisprudence citée].

25

Dans ce contexte, l’article 3 dudit règlement, qui relève du chapitre II de celui-ci, établit les critères généraux de compétence en matière de divorce, de séparation de corps et d’annulation de mariage. Ces critères objectifs, alternatifs et exclusifs répondent à la nécessité d’une réglementation adaptée aux besoins spécifiques des conflits en matière de dissolution du lien matrimonial [arrêt du 25 novembre 2021, IB (Résidence habituelle d’un époux – Divorce), C‑289/20, EU:C:2021:955, point 32 et jurisprudence citée].

26

À cet égard, si l’article 3, paragraphe 1, sous a), premier à quatrième tirets, du règlement no 2201/2003 fait explicitement référence aux critères de la résidence habituelle des époux et de celle du défendeur, l’article 3, paragraphe 1, sous a), cinquième tiret, ainsi que l’article 3, paragraphe 1, sous a), sixième tiret, de ce règlement autorisent l’application de la règle de compétence du forum actoris [arrêt du 25 novembre 2021, IB (Résidence habituelle d’un époux – Divorce), C‑289/20EU:C:2021:955, point 33 et jurisprudence citée].

27

En effet, ces dernières dispositions reconnaissent, sous certaines conditions, aux juridictions de l’État membre sur le territoire duquel se trouve la résidence habituelle du demandeur la compétence pour statuer sur la dissolution du lien matrimonial concerné.

28

Ainsi, l’article 3, paragraphe 1, sous a), cinquième tiret, dudit règlement consacre une telle compétence si le demandeur y a résidé depuis au moins un an immédiatement avant l’introduction de cette demande, tandis que l’article 3, paragraphe 1, sous a), sixième tiret, du même règlement réduit la durée de résidence du demandeur à six mois immédiatement avant l’introduction de sa demande dans le cas où ce dernier est un ressortissant de l’État membre concerné (arrêt du 13 octobre 2016, Mikołajczyk, C‑294/15, EU:C:2016:772, point 42).

29

Il ressort de la jurisprudence de la Cour que les règles de compétence établies à l’article 3 du règlement no 2201/2003, y compris celles prévues au paragraphe 1, sous a), cinquième et sixième tirets, de cet article, visent à assurer un équilibre entre, d’une part, la mobilité des personnes à l’intérieur de l’Union européenne, notamment en protégeant les droits du conjoint qui, à la suite de la crise conjugale, a quitté l’État membre de la résidence commune, et, d’autre part, la sécurité juridique, en particulier celle de l’autre conjoint, en garantissant l’existence d’un lien de rattachement réel entre le demandeur et l’État membre dont les juridictions ont la compétence pour statuer sur la dissolution du lien matrimonial concerné [voir, en ce sens, arrêts du 13 octobre 2016, Mikołajczyk, C‑294/15, EU:C:2016:772, points 33, 49 et 50, ainsi que du 25 novembre 2021, IB (Résidence habituelle d’un époux – Divorce), C‑289/20EU:C:2021:955, points 35, 44 et 56].

30

Or, sous l’angle de l’objectif visant à assurer qu’un lien de rattachement réel existe avec l’État membre dont les juridictions exercent cette compétence, un demandeur, ressortissant de cet État membre, qui, du fait d’une crise conjugale, quitte la résidence habituelle commune du couple et décide de retourner dans son pays d’origine, ne se trouve pas, en principe, dans une situation comparable à celle d’un demandeur qui ne possède pas la nationalité dudit État membre et qui y déménage à la suite d’une telle crise.

31

En effet, dans la première situation, sans que la nationalité de l’époux soit suffisante aux fins de déterminer si les critères de l’article 3, paragraphe 1, sous a), sixième tiret, du règlement no 2201/2003 sont remplis, il est toutefois déjà possible d’apprécier le lien de rattachement de cet époux avec l’État membre concerné, en raison du fait même qu’il est un ressortissant de cet État membre, et qu’il entretient nécessairement avec ce dernier des liens institutionnels et juridiques ainsi que, en règle générale, des liens culturels, linguistiques, sociaux, familiaux ou patrimoniaux. Un tel lien de rattachement peut par conséquent déjà contribuer à la détermination du lien réel qui doit unir le demandeur à l’État membre dont les juridictions exercent ladite compétence.

32

Cette appréciation est corroborée par les considérations exposées au point 32 du rapport explicatif, élaboré par Mme Borrás, relatif à la convention concernant la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale, dite convention de « Bruxelles II » (JO 1998, C 221, p. 1), laquelle a inspiré le texte du règlement no 2201/2003. En effet, selon ces considérations, le critère de la nationalité, qui figure désormais à l’article 3, paragraphe 1, sous a), sixième tiret, du règlement no 2201/2003, « garantit qu’il existe déjà un lien de rattachement avec l’État membre en question ».

33

Il n’en va généralement pas de même pour le cas d’un époux qui, à la suite d’une crise conjugale, décide de déménager dans un État membre dont il n’est pas un ressortissant. En effet, cet époux, avant son mariage, n’a, le plus souvent, jamais entretenu avec cet État membre des liens analogues à ceux d’un ressortissant dudit État membre. L’intensité du lien de rattachement entre le demandeur et l’État membre dont les juridictions exercent la compétence pour statuer sur la dissolution du lien matrimonial concerné peut par conséquent raisonnablement être déterminée à l’aide d’autres facteurs, tels que, en l’occurrence, l’exigence d’une durée assez longue de résidence, d’au minimum une année, du demandeur sur le territoire de cet État membre, immédiatement avant l’introduction de sa demande.

34

Par ailleurs, la différence relative à la durée minimale de résidence effective du demandeur sur le territoire de l’État membre dont les juridictions exercent cette compétence, immédiatement avant l’introduction de sa demande, selon que le demandeur est ou non un ressortissant de cet État membre, repose sur un élément objectif, nécessairement connu du conjoint du demandeur, à savoir la nationalité de son conjoint.

35

À cet égard, à partir du moment où un conjoint, en raison d’une crise conjugale, quitte la résidence habituelle du couple et retourne sur le territoire de l’État membre dont il est ressortissant pour y fixer sa nouvelle résidence habituelle, l’autre conjoint est en mesure de s’attendre à ce qu’une demande de dissolution du lien matrimonial soit, le cas échéant, introduite devant les juridictions de cet État membre.

36

Le respect de la sécurité juridique de cet autre conjoint étant, à tout le moins en partie, garanti par le lien institutionnel et juridique que représente la nationalité de son conjoint à l’égard de l’État membre dont les juridictions exercent la compétence pour statuer sur la dissolution du lien matrimonial concerné, il n’est pas manifestement inapproprié qu’un tel lien ait été pris en considération par le législateur de l’Union dans la détermination de la durée de résidence effective exigée du demandeur sur le territoire de cet État membre dont il est ressortissant, dans la mesure où le même lien distingue la situation de ce dernier demandeur de celle d’un demandeur qui n’a pas la nationalité de l’État membre concerné.

37

Certes, la distinction opérée par le législateur de l’Union à l’article 3, paragraphe 1, sous a), cinquième et sixième tirets, du règlement no 2201/2003 repose sur une présomption selon laquelle un ressortissant entretiendra, en principe, des liens plus étroits avec son pays d’origine qu’une personne qui n’est pas ressortissante de l’État concerné.

38

Toutefois, eu égard à l’objectif visant à assurer qu’il existe un lien de rattachement réel entre le demandeur et l’État membre dont les juridictions exercent la compétence pour statuer sur la dissolution du lien matrimonial concerné, le caractère objectif du critère fondé sur la nationalité du demandeur, prévu à l’article 3, paragraphe 1, sous a), sixième tiret, du règlement no 2201/2003, ne saurait être contesté sans que soit remise en question la marge d’appréciation du législateur de l’Union qui préside à l’adoption de ce critère.

39

En outre, la Cour a également admis, à l’égard d’un critère fondé sur la nationalité de l’intéressé, que, même s’il doit résulter, dans des situations marginales, de l’instauration d’une réglementation générale et abstraite des inconvénients ponctuels, il ne peut être reproché au législateur de l’Union d’avoir eu recours à une catégorisation, dès lors qu’elle n’est pas discriminatoire par essence au regard de l’objectif qu’elle poursuit (voir, par analogie, arrêts du 16 octobre 1980, Hochstrass/Cour de justice, 147/79, EU:C:1980:238, point 14, et du 15 avril 2010, Gualtieri/Commission, C‑485/08 P, EU:C:2010:188, point 81).

40

En l’occurrence, il ne saurait être tenu rigueur au législateur de l’Union de s’être, pour partie, fondé, s’agissant de l’application de la règle de compétence du forum actoris, sur le critère de la nationalité du demandeur, aux fins de faciliter la détermination du lien de rattachement réel avec l’État membre dont les juridictions exercent la compétence pour statuer sur la dissolution du lien matrimonial concerné, en subordonnant la recevabilité de l’action en dissolution du lien matrimonial du demandeur ressortissant de cet État membre à l’accomplissement d’une période de résidence préalable plus courte que celle exigée d’un demandeur qui ne serait pas ressortissant dudit État membre.

41

Il s’ensuit que, compte tenu de l’objectif visant à assurer qu’il existe un lien de rattachement réel entre le demandeur et l’État membre dont les juridictions exercent la compétence pour statuer sur la dissolution du lien matrimonial concerné, la distinction opérée par le législateur de l’Union, sur la base du critère de la nationalité du demandeur, à l’article 3, paragraphe 1, sous a), cinquième et sixième tirets, du règlement no 2201/2003, ne constitue pas une différence de traitement fondée sur la nationalité prohibée à l’article 18 TFUE.

42

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, consacré à l’article 18 TFUE, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que la compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel se trouve la résidence habituelle du demandeur, telle que celle-ci est prévue à l’article 3, paragraphe 1, sous a), sixième tiret, du règlement no 2201/2003, soit subordonnée à une durée de résidence minimale du demandeur, immédiatement avant l’introduction de sa demande, de six mois plus courte que celle prévue à l’article 3, paragraphe 1, sous a), cinquième tiret, de ce règlement, au motif que l’intéressé est un ressortissant de cet État membre.

Sur la seconde question

43

Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu d’examiner la seconde question.

Sur les dépens

44

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

 

Le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, consacré à l’article 18 TFUE, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que la compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel se trouve la résidence habituelle du demandeur, telle que celle-ci est prévue à l’article 3, paragraphe 1, sous a), sixième tiret, du règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000, soit subordonnée à une durée de résidence minimale du demandeur, immédiatement avant l’introduction de sa demande, de six mois plus courte que celle prévue à l’article 3, paragraphe 1, sous a), cinquième tiret, de ce règlement, au motif que l’intéressé est un ressortissant de cet État membre.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.