CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 16 septembre 2021 ( 1 )

Affaire C‑302/20

M. A

contre

Autorité des marchés financiers

(demande de décision préjudicielle formée par la cour d’appel de Paris, France)

« Renvoi préjudiciel – Marché intérieur des services financiers – Fonctionnement et intégrité des marchés de capitaux – Informations privilégiées et opérations d’initiés – Directive 2003/6/CE (directive relative aux abus de marché) – Interdiction de divulguer des informations privilégiées – Directive 2003/124/CE – Article 1er, paragraphe 1 – Notion d’“information privilégiée” – Critères de la précision et du caractère susceptible d’influencer les cours – Rumeur de marché – Divulgation par un journaliste à une autre personne de la publication prochaine d’un article relatif à une rumeur de marché – Règlement (UE) no 596/2014 (règlement relatif aux abus de marché) – Article 21 – Divulgation d’une information privilégiée à des fins journalistiques – Article 10 – Divulgation d’une information privilégiée dans le cadre normal de l’exercice d’un travail, d’une profession ou de fonctions »

I. Introduction

1.

La législation de l’Union en matière d’abus de marché vise au premier chef à garantir l’intégrité et le caractère égalitaire des marchés de capitaux. Cela doit créer la confiance des investisseurs qui, de son côté, a un rôle clé dans la capacité de fonctionnement du marché ( 2 ). En tant qu’élément essentiel de la législation en matière d’abus de marché, la législation en matière d’opérations d’initiés vise à réaliser cet objectif au travers de l’égalité de traitement en matière d’information entre les opérateurs du marché. Aucun investisseur ne doit pouvoir tirer d’informations pertinentes, mais non publiquement accessibles, un avantage au détriment des investisseurs qui n’ont pas, ou ne peuvent pas avoir, connaissance de ces informations ( 3 ).

2.

C’est la raison pour laquelle la législation en matière d’opérations d’initiés prévoit, d’une part, que, en principe, dans la mesure du possible, toutes les informations pertinentes doivent être mises à la disposition du public en ce que l’émetteur de valeurs mobilières doit régulièrement publier les informations le concernant (« publicité ad hoc ») ( 4 ). D’autre part, il ne faut pas qu’il puisse être tiré profit des déséquilibres en matière d’information qui persistent néanmoins (interdiction des opérations d’initiés ( 5 )) et il faut qu’ils restent cantonnés au plus petit nombre possible de personnes (interdiction de la divulgation illicite d’informations privilégiées ( 6 )).

3.

La présente demande de décision préjudicielle porte en substance sur l’interdiction de divulguer des informations privilégiées et ses limites. Dans la procédure au principal, un journaliste financier conteste une sanction qui lui a été infligée en raison de la communication alléguée d’une information privilégiée et il invoque à cet égard essentiellement une violation de sa liberté de presse. Certes, eu égard à l’objectif de la législation en matière d’opérations d’initiés d’établir la transparence la plus élevée possible, le traitement journalistique des informations privilégiées apparaît, du moins en partie, souhaitable du point de vue de la législation en matière d’opérations d’initiés. Toutefois, notamment au stade précédant la propagation large et la publication dans les médias d’une information, il se peut que survienne un conflit entre, d’une part, la législation en matière d’opérations d’initiés et, d’autre part, la liberté de la presse et la liberté d’expression dans les médias. La manière dont ce conflit peut être résolu fait l’objet de la seconde série de questions adressées à la Cour par la juridiction de renvoi, la cour d’appel de Paris (France).

4.

Néanmoins, au préalable, cette juridiction se pose la question de savoir si la divulgation reprochée au demandeur au principal portait bien sur une information privilégiée. À cet égard, dans le cadre de la première série de questions, la Cour devra avant tout préciser dans quelles circonstances une rumeur de marché, et donc une information visiblement incertaine, peut déclencher les mécanismes de la législation en matière d’opérations d’initiés.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1.   La directive 2003/6 (directive relative aux abus de marché)

5.

La directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché) (ci-après la « MAD », acronyme de market abuse directive) ( 7 ) contient dans son article 1er, point 1, une définition de la notion d’« information privilégiée » :

« [U]ne information à caractère précis qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d’instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés. »

6.

En vertu de l’article 2, paragraphe 1, second alinéa, sous c), de la MAD, les États membres interdisent à toute personne qui détient une information privilégiée en raison de son accès à l’information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions d’utiliser cette information en acquérant ou en cédant, ou en tentant d’acquérir ou de céder, pour son compte propre ou pour le compte d’autrui, soit directement, soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information.

7.

En outre, en vertu de l’article 3 de la MAD, les États membres interdisent à toute personne soumise à l’interdiction prévue à l’article 2 de cette directive,

« a)

de communiquer une information privilégiée à une autre personne, si ce n’est dans le cadre normal de l’exercice de son travail, de sa profession ou de ses fonctions ;

b)

de recommander à une autre personne d’acquérir ou de céder, ou de faire acquérir ou céder par une autre personne, sur la base d’une information privilégiée, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information ».

2.   La directive 2003/124

8.

Les deux premiers considérants de la directive 2003/124/CE de la Commission, du 22 décembre 2003, portant modalités d’application de la directive 2003/6 en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché ( 8 ) énoncent :

« (1)

Les investisseurs raisonnables fondent leurs décisions d’investissement sur les informations dont ils disposent déjà (“informations disponibles ex ante”). En conséquence, la question de savoir si un investisseur raisonnable serait susceptible, au moment de prendre une décision d’investissement, de tenir compte d’une information donnée doit être appréciée sur la base des informations disponibles ex ante. Cette appréciation doit prendre en considération l’impact anticipé de l’information en question compte tenu de l’ensemble de l’activité de l’émetteur concerné, de la fiabilité de la source d’information et de toutes autres variables de marché susceptibles d’exercer en l’occurrence une influence sur l’instrument financier concerné ou tout instrument financier dérivé qui lui est lié.

(2)

Les informations disponibles ex post peuvent servir à vérifier l’hypothèse de sensibilité des cours à l’information disponible ex ante, mais elles ne peuvent être utilisées pour poursuivre une personne qui aurait tiré des conclusions raisonnables des informations dont elle disposait ex ante. »

9.

L’article 1er de cette directive définit plus précisément la notion d’« information privilégiée » :

« 1.   Aux fins de l’application de l’article 1er, point 1, de la [MAD], une information est réputée “à caractère précis” si elle fait mention d’un ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu’il existera ou d’un événement qui s’est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu’il se produira, et si elle est suffisamment précise pour que l’on puisse en tirer une conclusion quant à l’effet possible de cet ensemble de circonstances ou de cet événement sur les cours des instruments financiers concernés ou d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés.

2.   Aux fins de l’application de l’article 1er, point 1, de la [MAD], on entend par “information qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés”, une information qu’un investisseur raisonnable serait susceptible d’utiliser en tant que faisant partie des fondements de ses décisions d’investissement. »

3.   Le règlement no 596/2014 (règlement relatif aux abus de marché)

10.

Le règlement no 596/2014 (ci-après le « MAR », acronyme de market abuse regulation) a remplacé la MAD et, conformément à son article 39, paragraphe 2, s’applique dans les États membres depuis le 3 juillet 2016.

11.

Le considérant 77 de ce règlement énonce :

« Le présent règlement respecte les droits fondamentaux et observe les principes consacrés par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après dénommée “[C]harte”). En conséquence, le présent règlement devrait être interprété et appliqué conformément à ces droits et principes. En particulier, lorsque le présent règlement fait référence à des règles régissant la liberté de la presse et la liberté d’expression dans d’autres médias, ainsi qu’aux règles ou codes régissant la profession de journaliste, il convient de tenir compte de ces libertés telles qu’elles sont garanties dans l’Union et dans les États membres et consacrées par l’article 11 de la [C]harte et par d’autres dispositions pertinentes. »

12.

La définition de la notion d’« information privilégiée » à l’article 7, paragraphe 1, sous a), du MAR correspond à celle figurant à l’article 1er, paragraphe 1, de la MAD.

13.

L’article 7, paragraphes 2 et 4, du MAR est libellé comme suit :

« 2.   Aux fins de l’application du paragraphe 1, une information est réputée à caractère précis si elle fait mention d’un ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu’il existera ou d’un événement qui s’est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu’il se produira, si elle est suffisamment précise pour qu’on puisse en tirer une conclusion quant à l’effet possible de cet ensemble de circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers ou des instruments financiers dérivés qui leur sont liés, des contrats au comptant sur matières premières qui leur sont liés ou des produits mis aux enchères basés sur les quotas d’émission. À cet égard, dans le cas d’un processus se déroulant en plusieurs étapes visant à donner lieu à, ou résultant en certaines circonstances ou un certain événement, ces circonstances futures ou cet événement futur peuvent être considérés comme une information précise, tout comme les étapes intermédiaires de ce processus qui ont partie liée au fait de donner lieu à, ou de résulter en de telles circonstances ou un tel événement.

[...]

4.   Aux fins du paragraphe 1, on entend par information qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers, des instruments financiers dérivés, des contrats au comptant sur matières premières qui leur sont liés ou des produits mis aux enchères basés sur des quotas d’émission, une information qu’un investisseur raisonnable serait susceptible d’utiliser comme faisant partie des fondements de ses décisions d’investissement. [...] »

14.

Sous l’intitulé « Divulgation illicite d’informations privilégiées », l’article 10, paragraphe 1, du MAR prévoit :

« Aux fins du présent règlement, une divulgation illicite d’informations privilégiées se produit lorsqu’une personne est en possession d’une information privilégiée et divulgue cette information à une autre personne, sauf lorsque cette divulgation a lieu dans le cadre normal de l’exercice d’un travail, d’une profession ou de fonctions. »

15.

L’article 14, sous c), du MAR prévoit qu’une personne ne doit pas divulguer illicitement des informations privilégiées.

16.

L’article 21 du MAR prévoit, sous l’intitulé « Divulgation ou diffusion d’informations dans les médias », ce qui suit :

« Aux fins de l’article 10 [...], lorsque des informations sont divulguées ou diffusées et lorsque des recommandations sont produites ou diffusées à des fins journalistiques ou aux fins d’autres formes d’expression dans les médias, cette divulgation ou cette diffusion d’informations est appréciée en tenant compte des règles régissant la liberté de la presse et la liberté d’expression dans les autres médias et des règles ou codes régissant la profession de journaliste, à moins que :

a)

les personnes concernées ou les personnes étroitement liées à celles‑ci ne tirent, directement ou indirectement, un avantage ou des bénéfices de la divulgation ou de la diffusion des informations en question ; ou

b)

la divulgation ou la diffusion n’ait lieu dans l’intention d’induire le marché en erreur quant à l’offre, à la demande ou au cours d’instruments financiers. »

B. Le droit français

17.

L’article 1er, paragraphe 1, de la MAD et l’article 1er de la directive 2003/124 ont été repris presque à l’identique à l’article 621‑1 du règlement général de l’AMF (ci-après le « RGAMF ») et transposés ainsi en droit français.

18.

L’article 622‑1 du RGAMF prévoit que toute personne mentionnée à l’article 622‑2 de ce règlement doit s’abstenir d’utiliser l’information privilégiée qu’elle détient et doit également s’abstenir de communiquer cette information à une autre personne en dehors du cadre normal de son travail, de sa profession ou de ses fonctions. L’article 622‑2 du RGAMF vise, entre autres, toute personne qui détient une information privilégiée en raison de son accès à l’information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions.

III. Les faits et la procédure au principal

19.

M. A, le demandeur au principal, est un journaliste à la retraite qui, au cours de sa vie professionnelle, a travaillé pour différents quotidiens britanniques. En dernier lieu, il a travaillé pour la page Internet très lue d’un journal britannique. Il y publiait régulièrement des articles relayant des rumeurs de marché. Deux de ces articles sont pertinents dans la procédure au principal.

20.

Premièrement, le demandeur au principal a publié, le soir du 8 juin 2011, un article relatif à la possible offre publique d’acquisition par un groupe des actions d’une entreprise pour un montant concrètement désigné qui était 86 % supérieur au cours de l’action de cette entreprise à la clôture de la Bourse. À l’ouverture du jour suivant de cotation, le cours de l’action de l’entreprise supposément visée avait augmenté de 0,64 %, puis, dans le courant de la journée, à nouveau de 4,55 %.

21.

Deuxièmement, il a publié, le soir du 12 juin 2012, un article sur une autre possible offre publique d’acquisition pour un certain prix d’achat qui était supérieur d’environ 80 % au cours de l’action de l’entreprise supposément visée à la clôture de la Bourse. Dans le courant du jour suivant de cotation, le cours de l’action de cette entreprise a grimpé de 17,69 % jusqu’à la clôture de la Bourse. L’entreprise a démenti cette rumeur deux jours plus tard.

22.

Peu de temps avant la parution des deux articles sur la page Internet du quotidien concerné, plusieurs personnes établies au Royaume-Uni ont acheté les actions en cause puis les ont revendues le lendemain avec profit.

23.

À l’occasion de l’exploitation des données relatives à des conversations téléphoniques, l’autorité française de surveillance des marchés financiers, l’Autorité des marchés financiers (ci-après l’« AMF »), a constaté que, le jour de la publication des articles, le demandeur au principal avait eu à chaque fois des contacts téléphoniques avec un ou plusieurs des futurs acheteurs. Ces personnes étaient des analystes financiers avec lesquels le demandeur au principal était en contact depuis des années et avec lesquels il échangeait en permanence sur des sujets en lien avec le marché des capitaux. Dans au moins un des cas, la personne concernée avait, peu après la fin de la conversation téléphonique avec le demandeur au principal, appelé son courtier, lequel avait ensuite passé un ordre d’achat sur les valeurs mobilières dont il était question dans l’article publié peu de temps après.

24.

L’AMF reproche au demandeur au principal d’avoir informé de la publication prochaine de l’article les personnes évoquées ci‑dessus au cours des conversations téléphoniques concernées. Elle estime qu’une information relative à la publication prochaine d’un article relayant une rumeur de marché serait susceptible de constituer une information privilégiée et que les informations en cause satisferaient aux conditions pour être qualifiées d’« informations privilégiées ». C’est pour cette raison qu’après une audition par la Commission des sanctions, elle a infligé au demandeur au principal une amende de 40000 euros. Les acheteurs des valeurs mobilières en cause se sont vu infliger des sanctions pour opérations d’initiés.

25.

Le recours exercé contre cette décision est pendant devant la juridiction de renvoi, la cour d’appel de Paris.

26.

Par ce recours, le demandeur conteste avoir discuté avec les futurs acheteurs des articles relatifs aux rumeurs d’offres d’acquisition et fait valoir que, en tout état de cause, l’information sur la publication prochaine de ces articles ne saurait être considérée comme une information privilégiée. En effet, selon lui, en raison de leur caractère intrinsèquement incertain et imprécis, de simples rumeurs ne présentent pas la précision requise. Or, en vertu de l’article 1er, paragraphe 1, de la MAD ou de l’article 7, paragraphe 1, sous a), du MAR, le caractère précis d’une information serait une condition distincte pour que cette information puisse être qualifiée d’« information privilégiée ». En particulier, l’exigence de précision ne deviendrait pas caduque du fait que l’information ait été qualifiée comme étant susceptible d’influencer les cours. En outre, la sanction contre le demandeur violerait l’article 21 du MAR, qui prévoirait pour les journalistes une exception à l’interdiction de divulguer des informations privilégiées. L’application de cette exception à sa situation devrait donc conduire à annuler l’amende qui lui a été infligée.

27.

La juridiction de renvoi estime que, notamment, les fluctuations importantes des cours des valeurs mobilières après la publication des articles en cause démontreraient que les informations en question étaient des informations susceptibles d’influencer les cours au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2003/124 et de l’article 7, paragraphe 4, du MAR. Il existerait toutefois une incertitude quant au point de savoir si l’information sur la publication prochaine des articles satisfait au critère de précision étant donné que le contenu de l’article – à savoir la référence à une rumeur de marché – ne serait éventuellement pas suffisamment précis.

28.

S’agissant de l’application de l’article 21 du MAR, la question se pose pour la juridiction de renvoi de savoir si le demandeur au principal a agi « à des fins journalistiques » au sens de cette disposition et si celle-ci prévoit à cet égard un régime de faveur spécial. En effet, selon la juridiction de renvoi, s’agissant de l’exception générale à l’interdiction de la divulgation en ce qui concerne la divulgation d’informations privilégiées à des fins professionnelles, la Cour exigerait que la communication de l’information privilégiée doit être strictement nécessaire à l’exercice de la profession et proportionnée ( 9 ). C’est la raison pour laquelle il serait nécessaire de préciser quelles sont les exigences que l’article 21 du MAR, combiné, le cas échéant, à l’article 10, paragraphe 1, du MAR, impose à l’égard de la licéité du comportement du demandeur au principal.

IV. Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

29.

Dans ces conditions, la cour d’appel de Paris a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour à titre préjudiciel en vertu de l’article 267 TFUE des questions suivantes :

« 1)   En premier lieu,

a)

L’article 1er, point 1), alinéa 1, de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché), combiné à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124/CE de la Commission, du 22 décembre 2003, portant modalités d’application de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché, doit-il être interprété en ce sens qu’une information portant sur la prochaine publication d’un article de presse relayant une rumeur de marché concernant un émetteur d’instrument financier est susceptible de répondre à l’exigence de précision requise par ces articles pour la qualification d’une information privilégiée ?

b)

La circonstance que l’article de presse, dont la publication prochaine constitue l’information en cause, mentionne – à titre de rumeur de marché – le prix d’une offre publique d’achat a-t-elle une incidence sur l’appréciation du caractère précis de l’information en cause ?

c)

La notoriété du journaliste ayant signé l’article, la réputation de l’organe de presse en ayant assuré la publication, et l’influence effectivement sensible (“ex post”) de cette publication sur le cours des titres auxquels celle-ci se rapporte sont-ils des éléments pertinents aux fins d’apprécier le caractère précis de l’information en cause ?

2)   En deuxième lieu, en cas de réponse qu’une information telle que celle en cause est susceptible de satisfaire à l’exigence de précision requise :

a)

L’article 21 du règlement (UE) no 596/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, sur les abus de marchés (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et, 2004/72/CE de la Commission, doit-il être interprété en ce sens qu’est réalisée “à des fins journalistiques” la divulgation par un journaliste, à l’une de ses sources habituelles, d’une information portant sur la prochaine publication d’un article à sa signature relayant une rumeur de marché ?

b)

La réponse à cette question dépend-elle notamment du point de savoir si le journaliste a été ou non informé de la rumeur de marché par cette source ou si la divulgation de l’information sur la publication prochaine de l’article était ou non utile pour obtenir de cette source des éclaircissements sur la crédibilité de la rumeur ?

3)   En troisième lieu, les articles 10 et 21 du règlement no (UE) 596/2014 doivent-ils être interprétés en ce sens que, même lorsqu’une information privilégiée est divulguée par un journaliste “à des fins journalistiques”, au sens de l’article 21, le caractère licite ou illicite de la divulgation nécessite d’apprécier si elle a été faite “dans le cadre normal de l’exercice [… de la] profession [de journaliste]”, au sens de l’article 10 ?

4)   En quatrième lieu, l’article 10 du règlement (UE) no 596/2014 doit-il être interprété en ce sens que, pour avoir lieu dans le cadre normal de l’exercice de la profession de journaliste, la divulgation d’une information privilégiée doit être strictement nécessaire à l’exercice de cette profession et respectueuse du principe de proportionnalité ? »

30.

Lors de la procédure écrite devant la Cour, le demandeur au principal, l’AMF, les gouvernements français, espagnol, suédois et norvégien ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations sur les questions préjudicielles. En outre, hormis le gouvernement norvégien, toutes les parties ont participé à l’audience du 22 juin 2021.

V. Appréciation juridique

31.

Par ses questions préjudicielles, la cour d’appel de Paris souhaite en fin de compte obtenir des éclaircissements sur le point de savoir si le demandeur au principal s’est vu, à juste titre, infliger une amende pour violation de l’interdiction de divulgation découlant de l’article 622‑1 du RGAMF ( 10 ). Cette disposition transposait en substance en droit français l’article 3, sous a), de la MAD.

32.

Par les questions 1 a à c, cette juridiction souhaite, à cet égard, savoir d’abord si une information portant sur la publication prochaine d’un article de presse relayant une rumeur de marché peut être considérée comme une « information privilégiée » au sens de l’article 1er, point 1, de la MAD ( 11 ) et donc comme relevant en principe de l’interdiction de divulgation visée à l’article 3, sous a), de la MAD (A). Les questions 2 à 4 se tournent ensuite vers les exceptions à l’interdiction de divulgation des informations privilégiées, et ce dans le contexte particulier de l’activité des journalistes (B).

A. Sur la première question préjudicielle

33.

Par sa première question, la juridiction de renvoi souhaite en substance savoir si, et à quelles conditions, une information portant sur la publication prochaine et imminente d’un article de presse ayant pour objet une rumeur de marché peut être considérée comme précise au sens de l’article 1er, point 1, de la MAD et de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124/CE.

34.

L’exigence de précision constitue la première de quatre conditions visées à l’article 1er, point 1, de la MAD qui, lorsqu’elles sont satisfaites, transforment une information en information privilégiée. Deuxièmement, cette information ne doit pas avoir été rendue publique. Troisièmement, elle doit concerner directement ou indirectement un ou plusieurs instruments financiers ou leurs émetteurs. Quatrièmement, elle doit être susceptible, si elle était rendue publique, d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou celui d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés (ci-après l’« aptitude à influer sur les cours ») ( 12 ).

35.

La juridiction de renvoi considère les deuxième, troisième et quatrième conditions comme satisfaites. Elle part notamment du principe que l’information portant sur la publication prochaine d’un article était susceptible d’influencer les cours au sens de la quatrième condition. Elle fonde cette constatation notamment sur les fluctuations du cours des valeurs mobilières concernées intervenues après la publication des articles dans lesquels ces valeurs mobilières avaient été évoquées.

36.

En vertu de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124, l’exigence de précision a deux composantes. D’une part, l’information doit mentionner un ensemble de circonstances ou d’événements qui se sont déjà produits ou dont on peut raisonnablement penser qu’ils se produiront à l’avenir. D’autre part, il faut que l’information soit suffisamment précise ( *1 ) pour que l’on puisse en tirer une conclusion quant à l’effet possible de cet ensemble de circonstances ou d’événements sur le cours des instruments financiers concernés ou d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés.

37.

Parmi ces deux conditions, la juridiction de renvoi part du principe que la première, à savoir qu’il pouvait être raisonnablement pensé au moment de la divulgation que l’article serait publié, est satisfaite. En fin de compte, elle soulève uniquement le problème lié à la deuxième condition, la spécificité ( 13 ) au regard des effets possibles sur les cours. Aux yeux de la cour d’appel de Paris, l’existence de cette spécificité pourrait être problématique, car l’information dont il est question en l’espèce, à savoir la publication prochaine de l’article de presse, se rapporte à une rumeur. Il existerait un doute quant à la spécificité de cette rumeur, car celle-ci pourrait être considérée comme trop imprécise ou incertaine pour pouvoir en tirer des conclusions sur les possibles effets sur les cours. Selon la juridiction de renvoi, cela pourrait avoir une incidence sur la spécificité de l’information en cause en l’espèce. La juridiction de renvoi ne s’estime donc pas en mesure de constater l’existence d’une information privilégiée bien que, à ses yeux, l’information n’avait pas été rendue publique et a eu une incidence sur les cours et a, par conséquent, procuré au détenteur de l’information un avantage particulier par rapport aux autres opérateurs du marché ( 14 ).

38.

Or, en vertu de la jurisprudence de la Cour, le critère de la spécificité, en tant que deuxième composante du caractère précis d’une information privilégiée ( 15 ), constitue, par rapport à l’aptitude à influer sur les cours, une condition distincte et indépendante de l’existence d’une information privilégiée ( 16 ). En conséquence, il convient en premier lieu d’examiner si l’information sur la publication prochaine d’un article de presse, en dépit de ce que celui-ci ait eu pour objet une rumeur de marché, peut être considérée comme spécifique au sens de l’article 1er, paragraphe 1, deuxième alternative, de la directive 2003/124 (1).

39.

Ce n’est qu’ensuite qu’il convient, au vu de la question préjudicielle 1 c, d’élucider si la spécificité de l’information en cause en l’espèce peut être en outre établie par la circonstance que, après la publication de l’article de presse concerné, une fluctuation des cours est intervenue (2).

1.   Sur la détermination de la spécificité de l’information en cause en l’espèce

40.

Il résulte de la définition déjà évoquée du critère de la spécificité visée à l’article 1er, paragraphe 1, deuxième alternative, de la directive 2003/124 que l’information doit avoir un contenu ou une valeur informative permettant (ou non) d’apprécier son aptitude à influer sur les cours ( 17 ). Cela suggère qu’aucun seuil élevé n’est visé ( 18 ). Au contraire, cela vise uniquement à exclure les informations qui n’ont d’emblée pas de valeur informative pertinente au regard de l’appréciation de son aptitude à influer sur les cours.

41.

Selon le premier considérant de la directive 2003/124, pour apprécier l’aptitude à influer sur les cours, un investisseur raisonnable se réfère notamment à des informations qui font apparaître les implications économiques d’une information pour une entreprise ( 19 ) et la fiabilité de cette information. C’est la raison pour laquelle, selon la formulation de la Cour, le critère de la spécificité ne vise qu’à exclure des informations vagues ou générales qui ne permettent de tirer aucune conclusion quant à leur effet possible sur les cours des instruments financiers concernés ( 20 ).

42.

Certes, l’information portant sur la publication prochaine d’un article qui émane de l’auteur de l’article en cause n’est pas vague. En effet, il s’agit d’une information émanant d’une source sûre qui décrit un événement concret comme allant survenir avec certitude. Néanmoins, cette information est, en elle-même, visiblement trop générale pour permettre d’en tirer une conclusion quant à l’effet possible sur le cours d’un instrument financier déterminé. Une telle conclusion ne peut être tirée qu’en lien avec l’objet de l’article concerné, à savoir, en l’espèce, la rumeur d’offre publique d’acquisition.

43.

C’est à ce lien que se réfère également le demandeur au principal. Il en conclut que l’information relative à la publication d’un article ne peut être spécifique que lorsque l’objet de l’article est lui‑même spécifique. Or, selon lui, le contenu des articles litigieux ne serait toutefois pas spécifique puisqu’il s’agit de rumeurs qui, par nature, seraient imprécises. À cet égard, il s’appuie, entre autres, sur une déclaration de l’ancien Comité européen des Régulateurs des Marchés de Valeurs Mobilières (Committee of European Securities Regulators, CESR) selon laquelle des rumeurs constitueraient précisément le contraire d’informations vérifiables et donc précises ( 21 ).

44.

Selon nous, ces deux affirmations sont inexactes.

a)   Sur la spécificité (ou non) des rumeurs de marché de manière générale

45.

Si les rumeurs de marché devaient être, de manière générale, considérées comme étant non spécifiques, elles ne pourraient jamais constituer des informations privilégiées ( 22 ). Toutefois, la MAD ne prévoit pas expressément d’exclure les rumeurs du champ de la législation en matière d’opérations d’initiés. Au contraire, comme cela a déjà été évoqué, le premier considérant de la directive 2003/124 indique expressément que « la fiabilité de la source d’information » joue un rôle dans l’appréciation de la valeur informative. Cela implique que la directive n’exige pas une fiabilité absolue pour qu’une information puisse être considérée comme une information privilégiée. Il s’ensuit que la fiabilité est un facteur graduel et qu’elle doit toujours être déterminée au cas par cas.

46.

En outre, les rumeurs jouent en pratique un rôle important dans les marchés de capitaux ( 23 ). En conséquence, l’article 1er, point 2, sous c), de la MAD part du postulat que le marché réagit aux rumeurs en ce qu’elles peuvent véhiculer des signaux trompeurs qui sont susceptibles de fausser les cours par des manipulations. Pour réaliser l’objectif de la directive, à savoir garantir la confiance des investisseurs par une égalité des chances en matière d’information ( 24 ), il faut interdire à cet égard que des déséquilibres en matière d’information puissent être exploités.

47.

Et ce d’autant plus que la fiabilité d’informations qui n’ont pas été rendues publiques n’est souvent pas garantie. En d’autres termes, de nombreuses informations portant sur des événements futurs pourraient être considérées, jusqu’à ce qu’elles soient rendues publiques ou fassent l’objet d’un communiqué officiel, comme des rumeurs ou être formulées comme telles. Étant donné donc que des informations incertaines ne peuvent ainsi pas entièrement échapper au champ d’application de la législation en matière d’opérations d’initiés, des problèmes de délimitation au regard de leur spécificité sont inévitables. Il n’est donc pas justifié d’exclure globalement, en tant qu’imprécises ou non spécifiques, des rumeurs en raison de leur caractère intrinsèquement incertain. En tout état de cause, cela ne permet pas de créer une sécurité juridique significative ( 25 ).

b)   Sur le lien entre objet et publication d’un article

48.

Par ailleurs, l’absence de spécificité de l’objet d’un article ne permet pas d’emblée de conclure à l’absence de spécificité de l’information relative à la publication de cet article. Ainsi que le souligne aussi, à juste titre, l’AMF, cela ne prendrait pas en compte que la valeur informative du contenu d’une publication peut précisément changer en raison du fait que sa publication intervient. Cela vaut notamment dans le cas des rumeurs dont le contenu est souvent imprécis et dont la fiabilité dépend du nombre et du statut des personnes qui les répandent. Une rumeur peut donc gagner en fiabilité du fait de sa publication et gagner en précision du fait qu’elle est couchée par écrit.

49.

Une autre interprétation serait en outre incompatible avec l’objectif de protection de la législation en matière d’opérations d’initiés, car, indépendamment de la transformation potentielle d’une rumeur par sa publication, l’information acquiert, de par sa publication, une valeur informative propre. En effet, avoir connaissance du moment de la publication d’une rumeur confère à un investisseur, par rapport aux autres investisseurs, un avantage en termes d’information qu’il peut exploiter à son profit.

50.

Le lien entre la publication et le contenu d’un article doit donc à juste titre être entendu en ce sens que, s’agissant de la spécificité d’une information telle que celle en cause en l’espèce, ce qui est déterminant est le contenu de l’article sous la forme qu’il acquiert de par sa publication. En effet, c’est précisément cette circonstance – le contenu publié de l’article – qui sera traitée par le marché et qui constitue pour cette raison la base de l’appréciation d’un investisseur.

51.

Du point de vue du contenu, ce qui importe est qu’il soit possible de déduire de la rumeur publiée des implications économiques concrètes pour un émetteur. Ainsi, un article portant par exemple sur une « importante » offre publique d’acquisition « dans le secteur de l’automobile » sans désigner nommément l’entreprise concernée devrait être considérée comme trop générale et donc non spécifique. Dans la mesure où il peut être déduit au moins implicitement de l’article quelle est l’entreprise concernée, mentionner le prix de l’offre dans le cas d’une rumeur d’offre publique d’acquisition fait certes apparaître l’article, et donc la rumeur, comme encore plus spécifique. Néanmoins, étant donné que les offres publiques d’acquisition s’accompagnent en règle générale de primes de reprise sur le cours de l’action, même sans désignation, le marché peut estimer la possibilité d’un effet sur les cours ( 26 ).

52.

Savoir s’il peut en outre être déterminé à partir d’une rumeur publiée quelle est sa fiabilité dépend du point de savoir s’il est possible de discerner dans une publication des critères pour déterminer suffisamment concrètement la crédibilité et la fiabilité. D’une part, de tels critères peuvent consister en la référence faite dans l’article aux sources de la rumeur. D’autre part, à cet égard, la réputation du journaliste tout comme celle de l’organe de presse peuvent jouer un rôle ( 27 ). En effet, elles peuvent impliquer, de par la publication, que l’information a été suffisamment vérifiée. La vérification scrupuleuse de la véracité d’informations publiques par exemple fait partie des obligations professionnelles des journalistes ( 28 ) dont la violation, en particulier de la part d’un(e) journaliste renommé(e), ne saurait être présumée. Mais, parallèlement, d’autres critères aussi peuvent jouer un rôle, tels que par exemple le degré de caractère concret de la formulation ou du contenu ( 29 ). À cet égard, une fois encore, la désignation d’un prix d’offre concret peut jouer un rôle. Toutefois, au stade de l’examen de la spécificité, il n’importe pas (encore) que l’information soit finalement suffisamment fiable pour fonder une incitation à agir au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2003/124 ; il suffit qu’elle permette une évaluation solide et appropriée.

2.   Sur la fluctuation ex post du cours

53.

Dans le cadre de la question préjudicielle 1 c, la cour d’appel de Paris souhaite en outre savoir si une fluctuation du cours après la publication de l’information en cause (ex post) peut jouer un rôle dans le cadre de l’appréciation de la question de savoir s’il s’agit d’une information spécifique.

54.

L’existence d’une information privilégiée doit nécessairement être appréciée dans une perspective ex ante, étant donné que le propre d’une information privilégiée est précisément qu’elle n’a pas été rendue publique. Par conséquent, une fluctuation postérieure du cours ne peut d’emblée qu’indirectement présenter une pertinence à l’égard de la question de savoir si une information est précise au sens de l’article 1er, paragraphe 1, deuxième alternative, de la directive 2003/124, et ce dans le cadre ultérieur de la preuve.

55.

En ce sens, le deuxième considérant de la directive 2003/124 prévoit qu’une fluctuation postérieure des cours peut être utilisée pour examiner l’aptitude (ex ante) à influer sur le cours (sans toutefois qu’il puisse être pris sur cette base une mesure à l’encontre de la personne qui a tiré des conclusions raisonnables des informations ex ante dont elle a disposé). En effet, il se conçoit aisément qu’une information peut effectivement avoir une incidence sur le cours lorsque, après sa publication, il y a eu fluctuation du cours ( 30 ). La juridiction de renvoi demande si cette idée est transposable à la spécificité.

56.

Il y aurait en tout état de cause lieu de répondre par l’affirmative à cette question si la spécificité d’une information privilégiée était une condition sine qua non de son aptitude à influer sur le cours. Dans ce cas, il serait possible de déduire de la fluctuation postérieure du cours que l’information publiée était spécifique. De nombreux éléments semblent plaider en faveur d’un tel lien : en effet, conformément à la définition donnée à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2003/124, une information est apte à influer sur le cours si un investisseur raisonnable, c’est-à-dire informé, serait susceptible d’agir sur la base de cette information. Cela présuppose, tout du moins à première vue, que l’objet de cette information ait même permis de l’analyser comme présentant une pertinence dans le cadre d’une décision d’investissement. Cela signifie toutefois précisément que cette information était suffisamment spécifique pour permettre d’en tirer une conclusion quant à l’effet possible sur les cours des instruments financiers.

57.

En revanche, la juridiction de renvoi et le demandeur au principal partent apparemment du principe qu’il peut exister des informations susceptibles d’influencer les cours, mais qui sont néanmoins non spécifiques. Or, si cela était exact, faute d’existence du premier élément constitutif visé à l’article 1er, point 1, de la MAD, une telle information ne serait alors pas une information privilégiée. Par conséquent, cette position aboutirait à ce que certaines informations susceptibles d’influencer les cours, et qui, pour cette raison, procurent un avantage particulier au détenteur de l’information, devraient être exclues de l’interdiction des opérations d’initiés. Cet avantage pourrait être exploité sans encourir de sanction, ce qui serait de nature à saper la confiance des investisseurs en l’équilibre en matière d’information ( 31 ). Il n’existe aucun motif objectif le justifiant ( 32 ).

58.

Il n’est toutefois pas nécessaire pour répondre à la question préjudicielle 1 c de trancher définitivement le point de savoir s’il peut exister des informations susceptibles d’influencer les cours qui sont non spécifiques. En effet, à supposer même que de telles informations existent, en tout état de cause, en règle générale, un investisseur raisonnable fait reposer sa décision d’investissement sur des informations qui ont un certain degré de caractère concret. En d’autres termes, dans la grande majorité des cas, une information susceptible d’influencer les cours sera à tout le moins également spécifique. Selon nous, cette circonstance suffit à étendre à la spécificité l’idée exprimée dans le deuxième considérant de la directive 2003/124 selon laquelle une fluctuation postérieure des cours constitue tout au plus un indice de l’aptitude de l’information à influer sur les cours. En effet, en tout état de cause, l’effet produit au regard de la preuve ou de l’examen ne dispense pas de constater effectivement les faits concrets et de vérifier dans le contexte de la sanction si le caractère d’information privilégiée découlait déjà des circonstances existant ex ante.

3.   Conclusion intermédiaire

59.

La réponse à la première question préjudicielle est donc : l’information sur la publication prochaine d’un article de presse ayant pour objet une rumeur de marché sur une offre publique d’acquisition qui est donnée par l’auteur de cet article satisfait à l’exigence de précision visée à l’article 1er, point 1, de la MAD, combiné à l’article 1er, paragraphe 1, deuxième alternative, de la directive 2003/124, lorsque l’objet de l’article sous la forme dans laquelle il a été publié est si spécifique qu’il peut en être tiré une conclusion quant à l’effet possible sur les cours d’un ou plusieurs instruments financiers. Tel est le cas lorsqu’il résulte de la publication de l’article des éléments permettant d’apprécier la fiabilité de l’information qui y figure et qu’il peut en être déduit les implications économiques pour les émetteurs en résultant. La notoriété de la/du journaliste qui a signé l’article, la réputation de l’organe de presse qui a publié l’article et la circonstance que l’article mentionne un prix déterminé de l’offre publique d’acquisition sont susceptibles de présenter une pertinence. Une éventuelle fluctuation du cours à la suite de la publication de l’information peut servir, au sens du deuxième considérant de la directive 2003/124, à vérifier l’hypothèse selon laquelle l’information ex ante était spécifique au sens de l’article 1er, paragraphe 1, deuxième alternative, de cette directive.

B. Sur les deuxième à quatrième questions préjudicielles

60.

Dans l’hypothèse où, en appliquant les critères évoqués ci‑dessus, la juridiction de renvoi parvenait à la conclusion que l’information sur la publication prochaine des articles litigieux doit être qualifiée d’« information privilégiée », la question qui se pose ensuite est celle de savoir si sa divulgation, c’est-à-dire sa communication aux personnes concernées, était également illicite et donc passible de sanction.

61.

L’article 3, sous a), de la MAD, la disposition en vigueur au moment des faits litigieux, ne s’oppose pas à toute divulgation d’informations privilégiées. Au contraire, leur communication n’est interdite que dans la mesure où elle n’intervient pas « dans le cadre normal de l’exercice [d’un] travail, [d’une] profession ou [de] fonctions ». Cette disposition repose sur la considération qu’une interdiction catégorique de divulgation pourrait aboutir à paralyser d’autres processus importants. En pratique, il est en effet inenvisageable que les activités d’une entreprise puissent être possibles sans traiter des informations privilégiées et les communiquer à un cercle restreint de personnes au sein de l’entreprise (par exemple aux services concernés) ou à l’extérieur (par exemple à des avocats ou à des experts-comptables).

62.

La Cour a toutefois précisé que cette exception à l’interdiction de divulgation doit être strictement interprétée et qu’elle ne joue qu’à condition que la communication soit strictement nécessaire à des fins professionnelles et respectueuse du principe de proportionnalité ( 33 ).

63.

Une disposition au libellé quasi identique à celui de l’article 3, sous a), de la MAD figure aujourd’hui à l’article 10, paragraphe 1, du MAR [lu conjointement avec l’article 14, sous c), du MAR]. En outre, en l’état actuel du droit en vigueur, l’article 21 du MAR prévoit que, en ce qui concerne le domaine des fins journalistiques, lors de l’application de l’article 10 du MAR, il convient de tenir compte des règles régissant la liberté de la presse et la liberté d’expression dans les autres médias ainsi que des règles ou codes régissant la profession de journaliste.

64.

Ensuite, par ses deuxième à quatrième questions préjudicielles, la cour d’appel de Paris s’interroge sur la manière dont la communication relative à la publication prochaine des articles doit être appréciée au vu des dispositions précitées du MAR, soit, en d’autres termes, sur le point de savoir si les conditions de l’exception à l’interdiction de divulgation sont satisfaites.

65.

Il convient donc de déterminer quel est le régime juridique que le MAR prévoit en ce qui concerne les informations privilégiées dans le contexte journalistique. Ainsi, en fin de compte, il convient de rechercher comment parvenir à un juste équilibre entre, d’une part, la liberté de la presse et la liberté d’expression dans les autres médias et, d’autre part, la protection de l’intégrité du marché, qui est particulièrement mise en exergue par la Cour par sa tendance à faire, dans le contexte de l’exercice d’une profession, une stricte application de l’interdiction de divulgation. C’est la raison pour laquelle il convient de répondre ensemble aux deuxième à quatrième questions préjudicielles (2).

66.

Il convient toutefois au préalable de se pencher sur la recevabilité de ces questions préjudicielles étant donné que – comme le constate la juridiction de renvoi elle-même – le MAR n’était pas encore entré en vigueur au moment où les faits en cause dans l’affaire au principal se sont déroulés et que c’étaient encore les dispositions de la MAD qui s’appliquaient (1).

1.   Sur le caractère applicable à l’affaire au principal du MAR (recevabilité des deuxième à quatrième questions préjudicielles)

67.

La juridiction de renvoi estime que, par rapport à la disposition proprement applicable ratione temporis prévue à l’article 3, sous a), de la MAD, l’article 21 du MAR constitue une disposition plus favorable aux journalistes qui, dans le présent contexte d’une sanction, en vertu du principe de la lex mitior ( 34 ), s’appliquerait également à des actes commis avant son entrée en vigueur. Les questions portant sur l’article 21 du MAR présenteraient donc une pertinence à l’égard de la solution du litige.

68.

Il est difficile de déterminer d’emblée si l’article 21 du MAR contient effectivement une règle plus douce eu égard à ce que, sous l’empire de l’article 3, sous a), de la MAD, il fallait déjà, dans le cadre de l’interprétation et de l’application de celui-ci, tenir compte des droits fondamentaux, notamment de l’article 11 de la Charte et de l’article 10 de la CEDH ( 35 ). En effet, cette appréciation dépend en définitive du point de savoir comment il convient d’interpréter dans les moindres détails l’article 21 du MAR. Étant donné que cela fait précisément l’objet des questions préjudicielles, il convient donc, pour répondre aux exigences d’une bonne administration de la justice, de les examiner sur le fond ( 36 ).

69.

Cela s’applique aussi en ce qui concerne l’article 10, paragraphe 1, du MAR, dont l’interprétation est explicitement demandée dans les troisième et quatrième questions préjudicielles. Certes, à cet égard, l’article 3, sous a), de la MAD prévoit une disposition comparable – tout au moins selon son libellé – de sorte que, en l’espèce, une application du principe de la lex mitior apparaît à première vue exclue. Toutefois, l’article 21 du MAR se réfère expressément à l’article 10 de ce règlement, sachant que ces dispositions constituent une partie d’un ensemble uniforme de règles. Il est donc nécessaire d’examiner les deux dispositions dans leurs rapports réciproques afin de garantir une interprétation adéquate.

70.

Par conséquent, dans la présente affaire, il est recevable d’examiner les deuxième à quatrième questions préjudicielles.

2.   Sur les exceptions à l’interdiction de divulgation des informations privilégiées en ce qui concerne l’activité des journalistes

71.

Les deuxième à quatrième questions préjudicielles portent, d’une part, sur l’applicabilité à l’affaire au principal de l’article 21 du MAR. La juridiction de renvoi souhaite savoir si la communication relative à la publication prochaine d’un article peut être considérée comme une divulgation d’une information privilégiée « à des fins journalistiques ». D’autre part, elle s’interroge sur les rapports entre l’article 21 et l’article 10, paragraphe 1, du MAR.

72.

Cette série de questions repose sur le fait que le demandeur au principal soutient que l’article 21 du MAR serait un régime de faveur spécial s’appliquant à l’activité journalistique. Par conséquent, celle-ci ne serait pas soumise aux exigences générales de licéité de la divulgation d’une information dans le contexte professionnel en vertu de l’article 10 du MAR. En conséquence, l’exigence, posée par la Cour, du caractère strictement nécessaire et proportionné de la communication de l’information privilégiée ( 37 ) n’aurait pas être examinée en ce qui concerne les activités journalistiques.

a)   Sur la notion de divulgation d’une information privilégiée “à des fins journalistiques” »

1) Sur l’interprétation de la notion

73.

Dans ce contexte, notamment l’AMF et le gouvernement français ont défendu, dans la présente procédure, une interprétation particulièrement stricte de la notion de « fins journalistiques ». Selon cette interprétation, cette notion ne viserait que la publication d’une information elle-même et les actes directement liés à celle-ci. La communication portant sur la publication prochaine d’un article ne serait ainsi pas visée par cette notion étant donné que cette communication elle‑même n’est faite qu’à un cercle restreint de personnes et qu’elle n’est donc ni publiée ni ne sert directement à la publication de l’article concerné.

74.

Au vu du sens et de la finalité de l’article 21 du MAR, une telle interprétation de la notion de « fins journalistiques » s’avère difficilement défendable. En effet, poussée jusqu’au bout de sa logique, dans le contexte de la législation en matière d’opérations d’initiés, elle exclurait d’emblée du champ de protection de la liberté de la presse et de la liberté d’expression une partie essentielle de l’activité journalistique en amont de la publication proprement dite, à savoir les activités de recherche. Or, le champ d’application de l’article 21 du MAR doit concorder avec le champ de protection de la liberté de la presse et de la liberté d’expression dans les autres médias ( 38 ). Cela répond à l’objectif poursuivi par le règlement ainsi que le montre le considérant 77 du MAR. Selon ce considérant, toute référence à ces droits fondamentaux dans le texte du règlement vise à garantir qu’ils soient pris en considération tels qu’ils sont reconnus par la Charte et par la CEDH.

75.

Cela vaut d’autant eu égard à ce que, sinon, il ne resterait à l’article 21 du MAR qu’un champ d’application relativement restreint. En effet, en tout état de cause, pour autant que la publication d’une information ait lieu dans un organe de presse largement diffusé, celle-ci est déjà autorisée tout à fait indépendamment de l’application de l’article 21 du MAR. En effet, de par une telle publication, la condition qu’une information ne soit pas connue du public, et donc sa qualité d’information privilégiée, est écartée ( 39 ).

76.

Certes, la Cour européenne des droits de l’homme souligne à l’égard de l’article 10 de la CEDH ( 40 ) que la fonction du journalisme est de communiquer des informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt général ( 41 ). Il ne peut néanmoins pas en être déduit que, sur le fond, seules la publication proprement dite des informations et les activités qui y sont étroitement liées sont protégées par la liberté de la presse. Au contraire, la Cour européenne des droits de l’homme intègre expressément dans le champ de la protection des activités – telles que des recherches et des enquêtes – qui ont uniquement un caractère préparatoire à la future diffusion ou publication. Il est même reconnu à ces activités un besoin de protection particulier ( 42 ). Dans ce contexte, la vérification des faits auprès d’une source ( 43 ) avant la publication évoquée dans la question 2 b est sans aucun doute couverte par le champ de protection de la liberté de la presse et de la liberté d’expression dans les autres médias et donc par le champ d’application de l’article 21 du MAR. Cela s’applique également dans l’hypothèse où le demandeur au principal aurait laissé apparaître dans le cadre d’une telle vérification qu’il était sur le point de publier un article portant sur ces faits.

77.

Selon ce qu’expose l’AMF, les conversations entre le demandeur et les futurs acheteurs ne visaient cependant pas à vérifier l’information, mais se sont limitées à la simple annonce de la publication prochaine d’un article portant sur les rumeurs concernées.

78.

Un tel acte aussi peut toutefois être couvert par le champ de protection de la liberté de la presse. À cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme n’exige pas que l’acte en cause profite directement à une publication déterminée. Ainsi, dans le cas d’un journaliste couvrant régulièrement des affaires criminelles, demander à une collaboratrice du parquet des informations confidentielles dans le but de rester informé des enquêtes, de manière générale, sans travailler en particulier sur une publication ou des recherches, a été considéré sans problème comme étant couvert par le champ de protection de la liberté de la presse ( 44 ).

79.

Pour ouvrir le champ de protection de la liberté de la presse, et donc pour que l’article 21 du MAR s’applique, ce qui importe est uniquement qu’un acte ou une activité soient accomplis en qualité de journaliste, et non à titre privé ( 45 ). Il est nécessaire pour cela que cet acte ou cette activité soient, tant objectivement que de par l’intention, en lien avec l’activité journalistique de la personne concernée. Une telle activité journalistique doit viser de manière générale à communiquer des informations au public. L’acte litigieux lui-même n’a cependant pas à consister en une information du public.

80.

Il s’ensuit qu’il y aurait déjà lieu de considérer la communication relative à la publication prochaine d’un article comme une divulgation à des « fins journalistiques » au sens de l’article 21 du MAR si la juridiction de renvoi parvenait à la conclusion que les activités de recherche d’un journaliste financier se caractérisent en pratique par des contacts avec des analystes financiers dans le cadre desquels il est également échangé des informations sur de prochains articles et leur publication.

81.

Une autre appréciation s’imposerait toutefois dans le cas où les contacts en question n’auraient pas eu lieu dans le cadre de la recherche d’informations pour des articles (futurs), mais auraient eu, tout à fait indépendamment de cela, pour objectif de procurer un avantage en matière d’information et de tirer profit d’un tel avantage. C’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient de procéder aux constatations de fait nécessaires à cette appréciation ( 46 ).

82.

Ces considérations ne répondent toutefois pas encore à la question, qui doit être séparée de celle de l’application de l’article 21 du MAR, de savoir si, au final, une telle pratique journalistique constitue une divulgation licite d’informations privilégiées. En effet, contrairement à ce que prétend le demandeur au principal, la circonstance que les conditions matérielles d’application de l’article 21 du MAR sont réunies n’aboutit pas encore à une exception à l’interdiction de divulgation. Cet aspect fait l’objet de la troisième question préjudicielle.

83.

À cet égard, il résulte déjà du libellé de l’article 21 du MAR que, « [a]ux fins de l’article 10 [...], cette divulgation [...] est appréciée en tenant compte des règles régissant la liberté de la presse et la liberté d’expression dans les autres médias et des règles ou codes régissant la profession de journaliste ». Ainsi, cette disposition part manifestement du principe que, également en ce qui concerne la divulgation d’informations privilégiées à des fins journalistiques, l’article 10, paragraphe 1, du MAR reste la disposition pertinente pour apprécier la licéité de cette divulgation. Ce n’est que dans son cadre qu’il est possible de tenir compte des droits fondamentaux concernés ainsi que des règles régissant la profession. En conséquence, l’article 21 du MAR ne prévoit pas d’effets juridiques autonomes et ne peut donc pas, ne serait-ce que déjà pour cette raison, constituer une exception autonome à l’interdiction de divulgation.

84.

Il s’ensuit que la licéité ou l’illicéité de la divulgation à des fins journalistiques doit, dans une deuxième étape, être appréciée par rapport au point de savoir si cette divulgation est intervenue dans le cadre normal de l’exercice de la profession de journaliste au sens de l’article 10, paragraphe 1, du MAR ( 47 ). Cela justifie à son tour d’assimiler le champ d’application de l’article 21 du MAR au champ de protection de la liberté de la presse et de la liberté d’expression dans les autres médias et qu’il faille donc toujours retenir l’existence d’une divulgation d’informations privilégiées « à des fins journalistiques » quand cette divulgation intervient en qualité de journaliste ( 48 ).

2) Sur la preuve de l’existence de fins journalistiques au cas par cas

85.

Il ressort déjà clairement des considérations qui précèdent ( 49 ) que, dans la pratique, l’examen et la preuve de l’existence (ou non) de fins journalistiques peuvent susciter des difficultés.

86.

En vertu des règles générales, la preuve d’une violation de l’interdiction de divulgation incombe aux autorités nationales compétentes ; elles doivent donc également rapporter la preuve de ce que la divulgation n’est pas intervenue à des fins journalistiques. À cette fin, elles doivent apporter la preuve des circonstances objectives de l’acte commis au vu desquelles la juridiction saisie de l’affaire doit déterminer si ces circonstances présentent un lien avec l’activité journalistique de la personne concernée ou s’il est possible au moins de trouver des éléments concrets allant en ce sens.

87.

À cet égard, il est évident qu’une juridiction pourra retenir plus facilement l’existence de fins journalistiques lorsque la ou le journaliste concerné(e) fournit des explications sur la manière dont l’acte reproché s’intègre dans ses activités journalistiques. Cela ne doit toutefois pas aboutir à faire peser en définitive sur la personne concernée la charge de la preuve de l’existence de fins journalistiques. Au contraire, toute personne concernée jouit, également dans le cadre d’une procédure relative à une sanction administrative, du droit au silence ( 50 ), dont l’exercice ne saurait lui porter préjudice. De même, la présomption d’innocence (article 48, paragraphe 1, de la Charte) s’applique également dans le cadre de poursuites pour délits d’initiés ( 51 ). Il ne saurait donc être exigé d’un(e) journaliste de s’exprimer sur les finalités de la divulgation de l’information en cause. Cela répond enfin aux nécessités de la protection des sources des journalistes.

88.

Dans le doute, en ce qui concerne les journalistes de profession, une divulgation « à des fins journalistiques » au sens de l’article 21 du MAR ne pourra donc être exclue que lorsque soit les circonstances objectives de l’acte sont sans aucun rapport avec leur activité professionnelle, soit, alternativement, lorsqu’il est possible d’apporter la preuve – en appliquant les méthodes prévues à cet égard par le droit national – que la divulgation est intervenue subjectivement à des fins étrangères à la profession ou à des fins personnelles.

b)   Sur l’examen du « cadre normal de l’exercice [...] d’une profession » au sens de l’article 21, combiné à l’article 10, paragraphe 1, du MAR

89.

En vertu de l’article 10, paragraphe 1, du MAR, la divulgation d’une information privilégiée n’est pas illicite lorsqu’elle a lieu « dans le cadre normal de l’exercice [...] d’une profession ». À cet égard, se pose la question de savoir si le champ d’application de l’article 21 du MAR ne couvre qu’une divulgation qui, au sens de l’arrêt du 22 novembre 2005, Grøngaard et Bang (C-384/02, EU:C:2005:708), est strictement nécessaire à l’exercice de la profession de journaliste et respectueuse du principe de proportionnalité ( 52 ).

90.

La jurisprudence Grøngaard et Bang, rendue à l’origine sur l’article 3, sous a), de la directive 89/592/CEE ( 53 ), est facilement transposable à l’article 10, paragraphe 1, du MAR. En effet, ces dispositions ont un libellé largement identique et les considérations ayant conduit la Cour à interpréter ainsi le critère du « cadre normal de l’exercice de la profession » sont toujours pertinentes. En particulier, la divulgation d’informations privilégiées continue à être perçue comme une grave menace pour le fonctionnement du marché des capitaux et la confiance des investisseurs en celui-ci ( 54 ), raison pour laquelle les exceptions à l’interdiction de divulgation doivent rester limitées. L’importance attachée par le législateur à la protection de l’intégrité du marché est même renforcée en ce que, avec le MAR, ce corpus de règles a pris la forme d’un règlement ( 55 ).

91.

Toutefois, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si cette jurisprudence s’applique également dans le cadre de l’article 21 du MAR (combiné à l’article 10, paragraphe 1, du MAR). En effet, étant donné que la principale fonction de la presse consiste précisément à communiquer des informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt général ( 56 ), l’exercice de la profession de journaliste est restreint de manière particulière par l’application stricte de l’interdiction de divulgation.

92.

Il n’en résulte toutefois pas – contrairement à ce qu’envisage la juridiction de renvoi dans le cadre de la quatrième question préjudicielle – que les conditions strictes auxquelles la Cour assortit l’exception à l’interdiction de divulgation dans le contexte journalistique ne s’appliqueraient d’emblée pas. Au contraire, l’article 21 du MAR montre seulement que cette jurisprudence doit être appliquée d’une manière qui ne conduit à aucune violation de la liberté de la presse et de la liberté d’expression dans les autres médias.

93.

À cet égard, dans le domaine du journalisme financier, il faut opérer une distinction selon que l’activité journalistique s’adresse exclusivement à un cercle de personnes intéressées, consistant en le public des investisseurs, ou qu’elle touche au-delà à des thèmes présentant un intérêt général d’ordre politique ou sociétal. En effet, en vertu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dans le cadre des débats présentant une pertinence sociétale ou politique, il n’existe que peu de marge pour limiter la liberté de la presse ( 57 ), alors qu’il n’y a pas lieu d’accorder le même poids à des communiqués d’importance publique limitée ( 58 ).

94.

Selon ces critères, il existe un important besoin d’information et aussi un intérêt public accru vis-à-vis des révélations sur les comportements fautifs des entreprises, qui, souvent, sont assorties d’une discussion publique relative à la régulation de l’économie ou à d’éventuelles carences de la part des autorités étatiques ( 59 ). Cela s’applique aussi tout particulièrement parce que les entreprises sont plutôt enclines à ne pas publier sur elles des informations négatives, même si cela peut, le cas échéant, violer les obligations découlant de l’article 17, paragraphe 1, du MAR relatives à la publicité ad hoc. La presse a ainsi le rôle de « chien de garde de la vie publique » ( 60 ). Afin de pouvoir remplir effectivement cette fonction, il faut donc qu’il lui soit permis dans un cadre globalement plus généreux de traiter aussi les informations privilégiées et, si nécessaire, de les divulguer.

95.

En revanche, s’agissant de communiqués intéressant exclusivement les cercles d’investisseurs, des limitations à la divulgation d’informations privilégiées peuvent être plutôt justifiées. Ces communiqués servent uniquement l’intérêt général à l’information du marché qui, certes, au vu des objectifs d’efficacité de l’information et de transparence poursuivis par la législation en matière de marchés des capitaux, doit être considérée comme un intérêt public autonome ( 61 ). Toutefois, cet intérêt est déjà poursuivi par les mécanismes de publicité prévus par la législation en matière de marchés des capitaux ( 62 ). En ce qui concerne les offres publiques d’acquisition comme en l’espèce, outre la publication ad hoc déjà évoquée, il est également prévu une publication de l’offre publique d’acquisition par l’offrant en vertu de la directive 2004/25/CE ( 63 ).

96.

En ce qui concerne l’application de l’article 21 combiné à l’article 10, paragraphe 1, du MAR et l’examen du critère du caractère strictement nécessaire de la divulgation, cela signifie ceci : en vertu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, y compris en présence d’un important intérêt du public à la couverture par la presse, il faut en tout état de cause examiner s’il aurait manifestement existé des moyens alternatifs d’atteindre les objectifs journalistiques ( 64 ).

97.

En outre, dans un cas tel que celui en cause en l’espèce, il peut aussi être examiné, en appliquant un critère d’examen plus strict, si l’information avait déjà été suffisamment vérifiée, ce qu’il incombe en principe à la/au journaliste d’apprécier. En tout état de cause, il peut être examiné si cette vérification aurait aussi été possible sans évoquer la publication prochaine de l’article. Dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi constaterait que la communication relative à la publication de l’article n’a pas eu lieu en lien avec cette vérification ( 65 ), il faudrait examiner si, par ailleurs, la divulgation était effectivement nécessaire pour remplir la mission journalistique, et en particulier si ce n’était que de cette manière que le flux d’informations en vue de prochains articles pouvait être assuré.

98.

Dans ce contexte, il ne paraît en l’espèce pas exclu que la juridiction de renvoi parvienne à la conclusion que la communication relative à la publication prochaine n’avait pas un caractère strictement nécessaire.

99.

Dans le cas contraire, il faudrait ensuite, lors de la mise en balance de la liberté de la presse et de l’intégrité du marché dans le cadre de l’examen stricto sensu de la proportionnalité, prendre en considération, d’une part, si des opérations d’initiés ont eu lieu à la suite de la divulgation des informations privilégiées ( 66 ).

100.

En effet, de telles opérations engendrent en premier lieu de réels préjudices financiers. Car, dans la mesure où les informations en cause ne sont pas connues des investisseurs confiants, en fonction du contenu de l’information, ceux-ci vendent leurs valeurs mobilières en deçà de leur valeur ou les achètent au-dessus de leur valeur. Ce sont avant tout les investisseurs particulièrement attentifs qui sont lésés parce qu’ils réagissent particulièrement rapidement aux variations des cours engendrées par les opérations d’initiés et qui ne s’expliquent pas autrement. À moyen terme, il existe en outre le risque que ces investisseurs perdent totalement confiance dans le marché et le quittent. De ce fait, ce sont précisément les investisseurs (attentifs) qui assurent sur le marché une cotation rapide et exacte qui s’en vont. Parallèlement et par voie de conséquence, il existe un risque que le public en général perde confiance dans le fonctionnement du marché ( 67 ), une confiance qui, selon le législateur, est quasiment impossible à restaurer ( 68 ).

101.

D’autre part, il convient de prendre en considération dans la mise en balance que la presse ne doit pas être, de manière générale, dissuadée par les dispositions concernées et leur application – et donc, concrètement, par l’interdiction de divulgation – de faire des recherches ou de publier sur des thèmes particuliers ( 69 ). À cet égard, la sévérité de la sanction encourue joue un rôle important ( 70 ).

102.

Toutefois, le point de savoir si le membre de la presse concerné est digne de protection dépendra au cas par cas de ce qu’il a ou non agi dans le respect de ses obligations et de manière responsable ( 71 ). Ce qui, à cet égard, présente une pertinence particulière, quoique non décisive en dernier ressort, est de savoir si son comportement a été licite ( 72 ). Dans un cas tel que celui en cause en l’espèce, il doit donc être pris en compte dans quelle mesure un(e) journaliste a, outre son propre comportement potentiellement punissable, participé (sciemment) à une infraction pénale commise par des tiers telle que, par exemple, l’opération d’initiés d’un tiers.

103.

S’agissant de l’effet potentiellement dissuasif ( 73 ) pour le journalisme financier de la législation en matière d’opérations d’initiés, le demandeur au principal souligne, certes, qu’il n’aurait violé aucune règle professionnelle qui, dans les circonstances existantes, interdirait de communiquer sur la publication prochaine d’un article ( 74 ). Or, à cet égard, d’une part, c’est à la juridiction de renvoi d’examiner s’il s’ensuit que le comportement du demandeur a effectivement été conforme aux pratiques journalistiques. D’autre part, même le respect des règles professionnelles journalistiques ne permet pas, du moins dans le présent contexte, de parvenir d’emblée à la conclusion que la divulgation d’une information privilégiée était licite. En effet, les normes professionnelles en vigueur dans les États membres ne règlent qu’en partie et dans les grandes lignes le conflit entre la liberté de la presse et la législation en matière d’opérations d’initiés ( 75 ) de sorte que, s’orienter uniquement sur les règles professionnelles applicables à l’activité de journaliste ne permettrait pas d’atteindre l’équilibre entre liberté de la presse et intégrité du marché souhaité par l’article 21 du MAR. Ainsi, les garanties fondamentales de la liberté de la presse et de la liberté d’expression dans les autres médias restent le critère déterminant dont, en tout état de cause, le contenu ne peut être librement déterminé par le simple législateur ou les organismes professionnels.

104.

Dans l’hypothèse où, selon ce critère, un comportement qu’un(e) journaliste pouvait considérer comme licite en s’orientant uniquement sur les règles professionnelles doit néanmoins être considéré comme une violation de l’interdiction de divulgation, il est possible de tenir compte de cette circonstance en n’infligeant pas une sanction ( 76 ). De cette manière aussi, il est possible de garantir un cadre juridiquement sûr pour les activités des journalistes dans le domaine des marchés de capitaux ( 77 ).

c)   Conclusion intermédiaire

105.

Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux deuxième à quatrième questions préjudicielles qu’une divulgation « à des fins journalistiques » au sens de l’article 21 du MAR existe lorsque cette divulgation intervient en qualité de journaliste. Toutefois, même dans ce cas, la licéité de la divulgation dépend de ce que celle‑ci ait eu lieu dans le cadre normal de l’exercice de l’activité ou de la profession de journaliste au sens de l’article 10, paragraphe 1, du MAR. Cela présuppose que la divulgation soit strictement nécessaire à ces fins et respectueuse du principe de proportionnalité. Afin d’apprécier le caractère strictement nécessaire et proportionné de la divulgation par rapport à l’activité de journaliste, il convient de mettre en balance, d’une part, les exigences en matière de liberté de la presse et de liberté d’expression dans les autres médias et, d’autre part, les risques imminents que la divulgation fait courir à l’intégrité des marchés de capitaux. Lors de l’examen de la proportionnalité, il convient, d’une part, de prendre en compte en particulier l’intérêt du public pour le thème sur lequel porte le travail journalistique concerné, le caractère digne de protection du journaliste et la sévérité de la sanction. D’autre part, ce qui joue en particulier un rôle est de savoir si le risque d’opérations d’initiés était manifeste et s’il s’est réalisé dans le cas concret en cause.

VI. Conclusion

106.

Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles de la cour d’appel de Paris (France) :

1)

L’article 1er, point 1, de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché), combiné à l’article 1er, paragraphe 1, deuxième alternative, de la directive 2003/124/CE de la Commission, du 22 décembre 2003, portant modalités d’application de la directive 2003/6 en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché, doit être interprété en ce sens que l’information sur la publication prochaine d’un article de presse ayant pour objet une rumeur de marché sur une offre publique d’acquisition qui est donnée par l’auteur de cet article satisfait à l’exigence de précision visée à l’article 1er, point 1, de la directive 2003/6, combiné à l’article 1er, paragraphe 1, deuxième alternative, de la directive 2003/124, lorsque l’objet de l’article sous la forme dans laquelle il a été publié est si spécifique qu’il peut en être tiré une conclusion quant à l’effet possible sur les cours d’un ou plusieurs instruments financiers. Tel est le cas lorsqu’il résulte de la publication de l’article des éléments permettant d’apprécier la fiabilité de l’information qui y figure et qu’il peut en être déduit les implications économiques pour les émetteurs en résultant. La notoriété et le renom de la/du journaliste qui a signé l’article, la réputation de l’organe de presse qui a publié l’article et la circonstance que l’article mentionne un prix déterminé de l’offre publique d’acquisition sont susceptibles de présenter une pertinence.

Une éventuelle fluctuation du cours à la suite de la publication de l’information peut servir, au sens du deuxième considérant de la directive 2003/124, à vérifier l’hypothèse selon laquelle l’information ex ante était spécifique au sens de l’article 1er, paragraphe 1, deuxième alternative, de cette directive.

2)

L’article 21 combiné à l’article 10, paragraphe 1, du règlement (UE) no 596/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6 et les directives 2003/124, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission doit être interprété en ce sens qu’une divulgation « à des fins journalistiques » au sens de l’article 21 de ce règlement existe lorsque cette divulgation intervient en qualité de journaliste. Toutefois, même dans ce cas, la licéité de la divulgation dépend de ce que celle-ci a eu lieu dans le cadre normal de l’exercice de l’activité ou de la profession de journaliste au sens de l’article 10, paragraphe 1, dudit règlement. Cela présuppose que la divulgation soit strictement nécessaire à ces fins et respectueuse du principe de proportionnalité. Afin d’apprécier le caractère strictement nécessaire et proportionné de la divulgation par rapport à l’activité de journaliste, il convient de mettre en balance, d’une part, les exigences en matière de liberté de la presse et de liberté d’expression dans les autres médias et, d’autre part, les risques imminents que la divulgation fait courir à l’intégrité des marchés de capitaux. Lors de l’examen de la proportionnalité, il convient, d’une part, de prendre en compte en particulier l’intérêt du public pour le thème sur lequel porte le travail journalistique concerné, le caractère digne de protection du journaliste et la sévérité de la sanction. D’autre part, ce qui joue en particulier un rôle est de savoir si le risque d’opérations d’initiés était manifeste et s’il s’est réalisé dans le cas concret en cause.


( 1 ) Langue originale : l’allemand.

( 2 ) Voir la proposition de directive de la Commission du 19 novembre 2002 à l’origine de la MAD, COM(2002) 625 final (JO 2003, C 71 E, p. 62) : « Les marchés financiers peuvent, en effet, résister à des épisodes de volatilité, à des corrections cycliques ou à la mauvaise performance de certains titres. Mais ils ne survivront pas à l’érosion de la confiance des investisseurs sous l’effet [...] des abus de marché [...] »

( 3 ) Voir notamment arrêts du 10 mai 2007, Georgakis (C‑391/04, EU:C:2007:272, point 38), et du 23 décembre 2009, Spector Photo Group et Van Raemdonck (C‑45/08, EU:C:2009:806, points 47 et 48).

( 4 ) Voir article 17 du règlement (UE) no 596/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission (JO 2014, L 173, p. 1).

( 5 ) Voir article 14, sous a) et b), du règlement no 596/2014.

( 6 ) Voir article 14, sous c), du règlement no 596/2014.

( 7 ) JO 2003, L 96, p. 16.

( 8 ) JO 2003, L 339, p. 70.

( 9 ) Arrêt du 22 novembre 2005, Grøngaard et Bang (C‑384/02, EU:C:2005:708).

( 10 ) Désormais, l’interdiction de divulgation découle directement des dispositions combinées de l’article 10, paragraphe 1, et de l’article 14, sous c), du MAR.

( 11 ) Qui correspond à l’article 7, paragraphe 1, sous a), du MAR.

( 12 ) Arrêt du 28 juin 2012, Geltl (C‑19/11, EU:C:2012:397, point 25).

( *1 ) Ndt : Les termes « suffisamment précise » figurant dans la version linguistique française de cette disposition correspondent dans la version linguistique de la langue originale des présentes conclusions, à savoir l’allemand, aux termes « spezifisch genug ».

( 13 ) Nous utiliserons dans les présentes conclusions le terme « spécificité » en ce qui concerne le deuxième critère de la précision au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124 et nous partons du principe que c’est uniquement ce deuxième aspect qui importe à la juridiction de renvoi.

( 14 ) Arrêt du 23 décembre 2009, Spector Photo Group et Van Raemdonck (C‑45/08, EU:C:2009:806, point 52).

( 15 ) Voir point 36 des présentes conclusions.

( 16 ) Arrêt du 11 mars 2015, Lafonta (C‑628/13, EU:C:2015:162, point 28).

( 17 ) Voir, en ce sens, arrêt du 11 mars 2015, Lafonta (C‑628/13, EU:C:2015:162, point 31).

( 18 ) Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Wathelet dans l’affaire Lafonta (C‑628/13, EU:C:2014:2472, point 37).

( 19 ) Comparer avec le libellé « l’impact anticipé [...] compte tenu de l’ensemble de l’activité de l’émetteur ».

( 20 ) Arrêt du 11 mars 2015, Lafonta (C‑628/13, EU:C:2015:162, point 31).

( 21 ) Voir CESR, Market Abuse Directive – Level 3 – second set of CESR guidance and information on the common operation of the Directive to the market, CESR/06‑562b, point 1.5. Voir, en ce sens aussi, CESR’s Advice on Level 2 Implementing Measures for the proposed Market Abuse Directive, CESR/02‑089d, point 20, premier tiret.

( 22 ) En effet, en tant que second critère de la précision au sens de l’article 1er, point 1, de la MAD, la spécificité est une condition sine qua non de l’existence d’une information privilégiée.

( 23 ) Voir, par exemple, Van Bommel, J., « Rumors », The Journal of Finance, vol. 58, no 4, 2003, p. 1499.

( 24 ) Voir, à cet égard, arrêt du 23 décembre 2009, Spector Photo Group et Van Raemdonck (C‑45/08, EU:C:2009:806, points 47 à 49).

( 25 ) Voir, sur l’objectif de détermination juridiquement sûre d’une information privilégiée, le troisième considérant de la directive 2003/124.

( 26 ) Voir, à cet égard, arrêt du 22 novembre 2005, Grøngaard et Bang (C‑384/02, EU:C:2005:708, points 37 et 38). En ce sens également, CESR, Market Abuse Directive – Level 3 – second set of CESR guidance and information on the common operation of the Directive to the market, CESR/06‑562b, point 1.8.

( 27 ) Voir, sur une appréciation empirique du rôle de ces facteurs, Ahern, R., et Sosyura, D., « Rumor Has It – Sensationalism in Financial Media », The Review of Financial Studies, vol. 28, no 7, 2015, p. 2050 et suivantes.

( 28 ) Voir, par exemple, les lois relatives à la presse des Bundesländer allemands, qui prévoient toujours une obligation de respecter la vérité. L’obligation d’une couverture médiatique conforme à la vérité et précise est aussi une condition pour que, dans le cadre de l’article 10 de la CEDH, les journalistes soient considérés comme dignes de protection ; voir arrêt de la Cour EDH du 7 février 2012, Axel Springer AG c. Allemagne (CE:ECHR:2012:0207JUD003995408, § 93).

( 29 ) Voir, également, Ahern et Sosyura (note 27).

( 30 ) À cet égard, il convient de rappeler que le critère d’examen de l’incidence sur le cours est l’investisseur raisonnable (voir, déjà, point 41 des présentes conclusions) ; en d’autres termes, une fluctuation du cours peut aussi se produire en présence d’une information qui n’a pas d’incidence sur le cours au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2003/124, notamment lorsqu’elle a son origine dans une réaction imprévisible du marché.

( 31 ) Voir arrêt du 23 décembre 2009, Spector Photo Group et Van Raemdonck (C‑45/08, EU:C:2009:806, point 52).

( 32 ) Dans l’arrêt du 28 juin 2012, Geltl (C‑19/11, EU:C:2012:397, point 48), la Cour s’est basée à cet égard sur la sécurité juridique pour les émetteurs, qui ne devrait toutefois jouer aucun rôle en cas de rumeurs les concernant, étant donné qu’un émetteur n’est de toute façon pas tenu de publier des rumeurs le concernant.

( 33 ) Arrêt du 22 novembre 2005, Grøngaard et Bang (C‑384/02, EU:C:2005:708, point 34).

( 34 ) Voir article 49, paragraphe 1, troisième phrase, de la Charte. Selon ce qu’expose la juridiction de renvoi, la violation de l’interdiction de divulgation revêt en droit français un caractère pénal. En outre, la Cour a déjà jugé que, dans le cadre de la législation en matière d’abus de marché, des sanctions administratives peuvent donc, entre autres, justifier une application de l’article 48 de la Charte ; voir arrêt du 2 février 2021, Consob (C‑481/19, EU:C:2021:84, points 42 et 43).

( 35 ) Voir également le considérant 44 de la MAD.

( 36 ) Voir, en ce sens, arrêts du 26 février 2002, Conseil/Boehringer (C‑23/00 P, EU:C:2002:118, point 52), et du 5 novembre 2019, BCE e.a./Trasta Komercbanka e.a. (C‑663/17 P, C‑665/17 P et C‑669/17 P, EU:C:2019:923, point 46).

( 37 ) Voir, à cet égard, point 62 des présentes conclusions.

( 38 ) En revanche, si, dans le cadre d’une interprétation restrictive, l’on voulait dans tous les cas tenir compte de ces droits fondamentaux dans l’examen du cadre normal de l’exercice par le journaliste de sa profession au sens de l’article 10, paragraphe 1, du MAR, l’article 21 du MAR ou son interprétation restrictive ne présenterait quant à elle en pratique aucune pertinence.

( 39 ) Voir, en ce sens, arrêt du 10 mai 2007, Georgakis (C‑391/04, EU:C:2007:272, point 39), selon lequel, faute d’un déséquilibre en matière d’information, il n’est pas possible de commettre une opération d’initiés vis-à-vis d’un initié.

( 40 ) Les garanties conférées par l’article 10 de la CEDH correspondent, au sens de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, s’agissant de la liberté de la presse et de la liberté d’expression, à celles conférées par l’article 11 de la Charte ; voir explications relatives à la Charte (JO 2007, C 303, p. 17, spéc. p. 21 et 33) ainsi que les arrêts du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a. (C‑547/14, EU:C:2016:325, point 147), et du 14 février 2019, Buivids (C‑345/17, EU:C:2019:122, point 65). En cas d’orientations sur les garanties conférées par les droits correspondants dans la CEDH, selon les explications relatives à la Charte (JO 2007, C 303, p. 17, spéc. p. 33), en particulier à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, il convient de tenir compte non seulement de leur libellé, mais aussi de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ; voir arrêt du 30 juin 2016, Toma et Biroul Executorului Judecătoresc Horațiu-Vasile Cruduleci (C‑205/15, EU:C:2016:499, point 41).

( 41 ) Voir arrêts de la Cour EDH du 7 février 2012, Axel Springer c. Allemagne (CE:ECHR:2012:0207JUD003995408, § 79), et 8 novembre 2016, Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie (CE:ECHR:2016:1108JUD001803011, § 168) ; voir également arrêt du 16 décembre 2008, Satakunnan Markkinapörssi et Satamedia (C‑73/07, EU:C:2008:727, point 61).

( 42 ) Arrêt de la Cour EDH du 25 avril 2006, Dammann c. Suisse (CE:ECHR:2006:0425JUD007755101, § 52).

( 43 ) Voir, sur la protection des sources, voir arrêts de la Cour EDH du 27 mars 1996, Goodwin c. Royaume-Uni (CE:ECHR:1996:0327JUD001748890), et du 5 octobre 2017, Becker c. Norvège (CE:ECHR:2017:1005JUD002127212).

( 44 ) Arrêt de la Cour EDH du 25 avril 2006, Dammann c. Suisse (CE:ECHR:2006:0425JUD007755101, § 28).

( 45 ) En tant que « conséquence d’un acte accompli en tant que journaliste », voir arrêts de la Cour EDH du 20 octobre 2015, Pentikäinen c. Finlande (CE:ECHR:2015:1020JUD001188210, § 35), et du 5 janvier 2016, Erdtmann c. Allemagne (CE:ECHR:2016:0105DEC005632810, § 16).

( 46 ) Voir plus en détail points 85 et suivants des présentes conclusions.

( 47 ) Voir points 89 et suivants des présentes conclusions.

( 48 ) Voir, à cet égard, point 79 des présentes conclusions.

( 49 ) Voir, en particulier, point 80 des présentes conclusions.

( 50 ) Voir arrêt du 2 février 2021, Consob (C‑481/19, EU:C:2021:84, point 42).

( 51 ) Voir considérant 11 de la directive 2014/57/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, relative aux sanctions pénales applicables aux abus de marché (directive relative aux abus de marché) (JO 2014, L 173, p. 179).

( 52 ) Voir, déjà à ce sujet, point 62 des présentes conclusions.

( 53 ) Directive 89/592/CEE du Conseil du 13 novembre 1989 concernant la coordination des réglementations relatives aux opérations d’initiés (JO 1989, L 334, p. 30).

( 54 ) Tel qu’argumenté dans l’arrêt du 22 novembre 2005, Grøngaard et Bang (C‑384/02, EU:C:2005:708, point 33). Voir à cet égard, d’une part, les deuxième et cinquième considérants de la directive 89/592 et, d’autre part, les considérants 1, 2 et 23 du MAR.

( 55 ) Voir, en ce sens également, considérant 4 du MAR. Cela est en outre renforcé par le fait que la directive 2014/57/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative aux sanctions pénales applicables aux abus de marché (directive relative aux abus de marché) (JO 2014, L 173, p. 179), en particulier par son article 4 qui, dans certains cas particuliers de délits d’initiés, exige que le droit national prévoie des sanctions pénales.

( 56 ) Voir, à cet égard déjà, point 76 et note 41 des présentes conclusions.

( 57 ) Arrêts de la Cour EDH du 7 juin 2007, Dupuis e.a. c. France (CE:ECHR:2007:0607JUD000191402, § 40) ; du 10 décembre 2007, Stoll c. Suisse (CE:ECHR:2007:1210JUD006969801, § 117 et suiv.), et du 29 mars 2016, Bédat c. Suisse (CE:ECHR:2016:0329JUD005692508, § 49).

( 58 ) Voir, en ce sens, arrêt de la Cour EDH du 23 juin 2016, Brambilla c. Italie (CE:ECHR:2016:0623JUD002256709, § 59).

( 59 ) À titre d’exemple célèbre, peut être cité l’article intitulé « Is Enron Overpriced ? » de Bethany McLean (Fortune du 5 mars 2001), qui a contribué à révéler un des plus grands scandales d’entreprises des États‑Unis. Un autre exemple sont les recherches de Renate Daum qui ont révélé en Allemagne le scandale du bilan de ComRoad (« Außer Kontrolle. Wie ComRoad & Co. durch das Finanzsystem in Deutschland schlüpfen », 2003). De même, des journalistes du Financial Times ont, dès 2015, exprimé des doutes quant à l’intégrité des rapports financiers de Wirecard AG (Dan McCrum, « The House of Wirecard », Financial Times du 27 avril 2015).

( 60 ) Voir, en ce sens en dernier lieu, arrêt de la Cour EDH du 20 mai 2021, Amaghlobeli e.a. c. Géorgie (CE:ECHR:2021:0520JUD004119211, § 36).

( 61 ) Voir, à cet égard déjà, point 1 des présentes conclusions.

( 62 ) La presse peut au demeurant aussi dans ce domaine avoir une fonction plus importante lorsque ces mécanismes portant sur des informations déterminées menacent de ne pas fonctionner.

( 63 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d’acquisition (JO 2004, L 142, p. 12). Voir article 6 de cette directive.

( 64 ) Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme examine si les informations souhaitées auraient pu aussi être obtenues par des moyens légaux ; voir arrêts de la Cour EDH du 20 mai 2021, Amaghlobeli e.a. c. Géorgie (CE:ECHR:2021:0520JUD004119211, § 39), et du 25 avril 2006, Dammann c. Suisse (CE:ECHR:2006:0425JUD007755101, § 53 et 56). Voir, également, arrêt de la Cour EDH du 20 octobre 2015, Pentikäinen c. Finlande (CE:ECHR:2015:1020JUD001188210, § 101), dans le cadre duquel la Cour européenne des droits de l’homme a examiné si le requérant aurait tout aussi bien pu continuer à assurer sa couverture médiatique s’il avait obtempéré aux ordres de la police.

( 65 ) Voir, sur les différentes hypothèses factuelles, points 76 et 80 des présentes conclusions.

( 66 ) Voir, sur la pertinence de l’atteinte portée au droit d’un tiers ou à un intérêt juridique protégé, arrêt de la Cour EDH du 1er juillet 2014, A.B. c. Suisse/Schweiz (CE:ECHR:2014:0701JUD005692508, § 55), renvoyant à l’arrêt de la Cour EDH du 7 juin 2007, Dupuis e.a. c. France (CE:ECHR:2007:0607JUD000191402). Voir, également, arrêt de la Cour EDH du 10 décembre 2007, Stoll c. Suisse (CE:ECHR:2007:1210JUD006969801, § 130).

( 67 ) Voir, à cet égard, le deuxième considérant ainsi que l’article 13, paragraphe 2, sous a), du MAR. Voir également point 1 des présentes conclusions.

( 68 ) Voir la proposition de directive de la Commission concernant la MAD du 19 novembre 2002, COM(2002) 625 final.

( 69 ) Arrêts de la Cour EDH du 25 avril 2006, Dammann c. Suisse (CE:ECHR:2006:0425JUD007755101, § 57), et du 10 décembre 2007, Stoll c. Suisse (CE:ECHR:2007:1210JUD006969801, § 154).

( 70 ) À titre d’exemple, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré comme relativement faible une amende de 800 CHF ; voir arrêt de la Cour EDH du 10 décembre 2007, Stoll c. Suisse (CE:ECHR:2007:1210JUD006969801, § 157).

( 71 ) Voir, en ce qui concerne la figure de style du « journalisme responsable », arrêts de la Cour EDH du 25 avril 2006, Dammann c. Suisse (CE:ECHR:2006:0425JUD007755101, § 55) ; du 7 juin 2007, Dupuis e.a. c. France (CE:ECHR:2007:0607JUD000191402, § 43), et du 20 octobre 2015, Pentikäinen c. Finlande (CE:ECHR:2015:1020JUD001188210, § 90).

( 72 ) Arrêts de la Cour EDH du 20 octobre 2015, Pentikäinen c. Finlande (CE:ECHR:2015:1020JUD001188210, § 90), et du 5 janvier 2016, Erdtmann c. Allemagne (CE:ECHR:2016:0105DEC005632810, § 20).

( 73 ) Voir à cet égard, arrêts de la Cour EDH du 22 novembre 2007, Voskuil c. Pays‑Bas (CE:ECHR:2007:1122JUD006475201, § 65) ; du 14 septembre 2010, Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays‑Bas (CE:ECHR:2010:0914JUD003822403, § 59), et du 25 octobre 2011, Altuğ Taner Akçam c. Turquie (CE:ECHR:2011:1025JUD002752007, § 75).

( 74 ) Sur la signification des règles professionnelles dans ce contexte, voir arrêt de la Cour EDH du 10 décembre 2007, Stoll c. Suisse (CE:ECHR:2007:1210JUD006969801, § 145 et suivants).

( 75 ) Ainsi, par exemple, la clause 13 de l’Editors’ Code of Practice de l’IPSO, qui concerne le journalisme financier, ne vise que le cas où le journaliste est financièrement concerné par l’information privilégiée. Les principes de conduite applicables à la couverture médiatique de l’économie et des marchés financiers du Presserat [conseil allemand de la presse] se limitent, à leur point II. 1. a), à prévoir que les informations privilégiées ne doivent en principe pas être communiquées.

( 76 ) Le MAR n’oblige pas à infliger des peines ou des sanctions administratives, mais prévoit aussi la possibilité par exemple d’une injonction ordonnant de s’abstenir à l’avenir d’un tel comportement ; voir article 30, paragraphe 2, sous a), du MAR.

( 77 ) Voir arrêt de la Cour EDH du 24 février 2015, Haldimann e.a. c. Suisse (CE:ECHR:2015:0224JUD002183009, § 61), selon lequel il convient de prendre en compte la question de savoir si les journalistes ont, au regard des règles déontologiques, agi de bonne foi.