ORDONNANCE DE LA COUR (septième chambre)

3 mars 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 99 du règlement de procédure de la Cour – Protection des consommateurs – Directive 93/13/CEE – Contrat de prêt hypothécaire – Clauses abusives – Clause de limitation de la variabilité du taux d’intérêt (clause dite “plancher”) – Contrat de novation – Renonciation aux actions en justice contre les clauses du contrat – Absence de caractère contraignant – Directive 2005/29/CE – Pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs – Article 6, paragraphe 1, et article 7, paragraphe 1 »

Dans l’affaire C‑13/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Audiencia Provincial de Zaragoza (cour provinciale de Saragosse, Espagne), par décision du 12 décembre 2018, parvenue à la Cour le 9 janvier 2019, dans la procédure

Ibercaja Banco SA,

contre

TJ,

UK,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. A. Kumin, président de chambre, M. T. von Danwitz et Mme I. Ziemele (rapporteure), juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, et à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 3 à 6 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29), ainsi que des articles 6 et 7 de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis‑à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (JO 2005, L 149, p. 22).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant TJ et UK à Ibercaja Banco SA, au sujet de clauses stipulées dans un contrat de prêt hypothécaire conclu entre ces parties.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 93/13

3        L’article 3 de la directive 93/13 dispose :

« 1.      Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

2.      Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.

Le fait que certains éléments d’une clause ou qu’une clause isolée aient fait l’objet d’une négociation individuelle n’exclut pas l’application du présent article au reste d’un contrat si l’appréciation globale permet de conclure qu’il s’agit malgré tout d’un contrat d’adhésion.

Si le professionnel prétend qu’une clause standardisée a fait l’objet d’une négociation individuelle, la charge de la preuve lui incombe.

3.      L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives. »

4        L’article 4 de cette directive prévoit :

« 1.      Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.

2.      L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »

5        L’article 5 de ladite directive est ainsi libellé :

« Dans le cas des contrats dont toutes ou certaines clauses proposées au consommateur sont rédigées par écrit, ces clauses doivent toujours être rédigées de façon claire et compréhensible. En cas de doute sur le sens d’une clause, l’interprétation la plus favorable au consommateur prévaut. Cette règle d’interprétation n’est pas applicable dans le cadre des procédures prévues à l’article 7 paragraphe 2. »

6        L’article 6, paragraphe 1, de la même directive précise :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

7        Le point 1, sous q), de l’annexe de la directive 93/13, qui contient une liste indicative et non exhaustive des clauses qui peuvent être déclarées abusives, est ainsi libellé :

« Clauses ayant pour objet ou pour effet :

[...]

q)      de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur [...] »

 La directive 2005/29

8        L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2005/29, énonce :

« Une pratique commerciale est réputée trompeuse si elle contient des informations fausses, et qu’elle est donc mensongère ou que, d’une manière quelconque, y compris par sa présentation générale, elle induit ou est susceptible d’induire en erreur le consommateur moyen, même si les informations présentées sont factuellement correctes, en ce qui concerne un ou plusieurs des aspects ci-après et que, dans un cas comme dans l’autre, elle l’amène ou est susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement :

a)      l’existence ou la nature du produit ;

b)      les caractéristiques principales du produit, telles que sa disponibilité, ses avantages, les risques qu’il présente, son exécution, sa composition, ses accessoires, le service après-vente et le traitement des réclamations, le mode et la date de fabrication ou de prestation, sa livraison, son aptitude à l’usage, son utilisation, sa quantité, ses spécifications, son origine géographique ou commerciale ou les résultats qui peuvent être attendus de son utilisation, ou les résultats et les caractéristiques essentielles des tests ou contrôles effectués sur le produit ;

c)      l’étendue des engagements du professionnel, la motivation de la pratique commerciale et la nature du processus de vente, ainsi que toute affirmation ou tout symbole faisant croire que le professionnel ou le produit bénéficie d’un parrainage ou d’un appui direct ou indirect ;

d)      le prix ou le mode de calcul du prix, ou l’existence d’un avantage spécifique quant au prix ;

e)      la nécessité d’un service, d’une pièce détachée, d’un remplacement ou d’une réparation ;

f)      la nature, les qualités et les droits du professionnel ou de son représentant, tels que son identité et son patrimoine, ses qualifications, son statut, son agrément, son affiliation ou ses liens et ses droits de propriété industrielle, commerciale ou intellectuelle ou les récompenses et distinctions qu’il a reçues ;

[...] »

9        L’article 7 de cette directive dispose :

« 1.      Une pratique commerciale est réputée trompeuse si, dans son contexte factuel, compte tenu de toutes ses caractéristiques et des circonstances ainsi que des limites propres au moyen de communication utilisé, elle omet une information substantielle dont le consommateur moyen a besoin, compte tenu du contexte, pour prendre une décision commerciale en connaissance de cause et, par conséquent, l’amène ou est susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement.

2.      Une pratique commerciale est également considérée comme une omission trompeuse lorsqu’un professionnel, compte tenu des aspects mentionnés au paragraphe 1, dissimule une information substantielle visée audit paragraphe ou la fournit de façon peu claire, inintelligible, ambiguë ou à contretemps, ou lorsqu’il n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte et lorsque, dans l’un ou l’autre cas, le consommateur moyen est ainsi amené ou est susceptible d’être amené à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement.

[...] »

 Le droit espagnol

10      La directive 93/13 a été transposée dans le droit espagnol, pour l’essentiel, par la Ley 7/1998 sobre condiciones generales de la contratación (loi 7/1998 relative aux conditions générales des contrats), du 13 avril 1998 (BOE no 89, du 14 avril 1998, p. 12304), laquelle a été refondue, avec d’autres dispositions transposant différentes directives de l’Union en matière de protection des consommateurs, par le Real Decreto Legislativo 1/2007 por el que se aprueba el texto refundido de la Ley General para la Defensa de los Consumidores y Usuarios y otras leyes complementarias (décret royal législatif 1/2007 portant refonte de la loi générale relative à la protection des consommateurs et des usagers et d’autres lois complémentaires), du 16 novembre 2007 (BOE no 287, du 30 novembre 2007, p. 49181).

11      L’article 10 du décret royal législatif 1/2007 prévoit :

« La renonciation par anticipation aux droits que le présent décret royal législatif reconnaît aux consommateurs et usagers est nulle, de même que les actes accomplis en fraude à la loi, conformément aux dispositions de l’article 6 du Código Civil [(code civil)]. »

12      L’article 83 de ce décret royal législatif précise en outre que « [l]es clauses abusives sont nulles de plein droit et sont réputées non écrites ».

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

13      TJ et UK ont conclu, avec Ibercaja Banco, un contrat de prêt hypothécaire à un taux d’intérêt variable. Ce contrat comprenait une clause relative au taux d’intérêt minimal applicable à ce prêt (ci-après la « clause “plancher” »).

14      À la suite de l’arrêt no 241/2013 du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), du 9 mai 2013, qui a prononcé la nullité de clauses « plancher » prévues dans des contrats de prêts hypothécaires pour non-respect des exigences de clarté et de transparence, Ibercaja Banco a entamé un processus de renégociation des clauses de cette nature, figurant dans les contrats de prêt hypothécaire qu’elle avait précédemment conclus. C’est dans un tel contexte que, à l’initiative d’Ibercaja Banco, le contrat de prêt hypothécaire conclu avec TJ et UK a fait l’objet d’un acte modificatif (ci-après le « contrat de novation »), par lequel le taux stipulé dans la clause « plancher » a été réduit. En outre, le contrat de novation contenait une clause aux termes de laquelle les emprunteurs renonçaient à toute action en justice contre le prêteur. Ibercaja Banco a permis à TJ et à UK, lors de la signature du contrat de novation, de se faire assister d’un conseiller juridique, sans qu’il leur soit permis de sortir le document des bâtiments de la banque avant de l’avoir signé.

15      TJ et UK ont déposé une demande d’annulation de la clause « plancher » prévue par le contrat de prêt hypothécaire initial et de la modification de cette clause, aux termes de laquelle le taux minimum prévu dans le prêt initial a été réduit et ces mêmes requérants ont renoncé à engager une action contre Ibercaja Banco. Dans ce cadre, TJ et UK ont fait valoir le caractère abusif de la clause « plancher » initiale ainsi que de celle résultant du contrat de novation. En outre, ils ont demandé la restitution des sommes indûment versées sur le fondement de la clause « plancher ».

16      La juridiction de renvoi nourrit, en premier lieu, des doutes sur le fait que la renégociation d’une clause abusive soit compatible avec le principe établi à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, selon lequel les clauses abusives ne lient pas les consommateurs.

17      En effet, la juridiction de renvoi souligne qu’elle jugeait jusqu’à présent les clauses « plancher » comme ne satisfaisant pas à l’exigence de transparence et, dans des contextes similaires à celui de l’affaire au principal, comme étant non susceptibles d’une renégociation en raison du caractère abusif de la clause initiale.

18      Cependant, elle rappelle que, dans son arrêt 205/2018 du 11 mai 2018, le Tribunal Supremo (Cour suprême), a reconnu la validité des modifications contractuelles des clauses « plancher ».

19      En second lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur la conformité d’une clause d’un contrat de novation, par laquelle le consommateur renonce à agir en justice pour faire valoir des prétentions relatives, notamment, tant à la clause initiale modifiée par ce contrat de novation qu’à la clause novatoire, avec la directive 93/13.

20      Dans ces conditions, l’Audiencia Provincial de Zaragoza (cour provinciale de Saragosse) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)       Au regard de l’article 3 de la directive 93/13, la modification de la clause “plancher”, dans les conditions ayant présidé à la conclusion de l’accord, tel qu’exposé dans le rappel des faits, peut-elle être qualifiée de “clause générale du contrat” ?

2)      Dans les mêmes circonstances, la renonciation à former un recours contre la banque peut-elle être qualifiée de “condition générale du contrat”, autrement dit, une clause contractuelle, rédigée par le professionnel à l’origine de l’offre avec un caractère général et dont le contenu n’a donné lieu à aucune explication au consommateur adhérent, peut-elle est qualifiée de condition générale du contrat ?  

3)       Dans ces conditions, lorsque les conséquences de ladite condition générale revêtent une importance significative pour le consommateur, les obligations de clarté, de transparence, de compréhensibilité réelle de la charge économique, d’information précontractuelle et de négociation individuelle visées aux articles 3 et 4 de la directive 93/13, ont-elles été respectées ?

4)      Aux fins de déterminer le caractère abusif d’une clause contractuelle (articles 4 et 5 de la directive [93/13]), l’obligation d’information précontractuelle doit-elle être identique voire supérieure lorsque l’accord porte sur la modération d’une condition probablement nulle (conséquences économiques concrètes de la modération, mention de la jurisprudence y afférente et de ses effets concrets, etc.) ?

5)      La copie manuscrite rédigée par le consommateur, confirmant la modération de la clause potentiellement nulle, est-elle suffisante pour respecter les obligations d’information précontractuelle et de clarté visées aux articles 4 et 5 de la directive 93/13, aux fins de modérer une clause probablement nulle ?

6)       Le fait que l’initiative de la modération ou de la transaction a été prise par l’établissement bancaire de même que l’interdiction de sortir le document de l’établissement, sauf si le consommateur l’a signé, revêtent-ils une importance particulière lors de l’appréciation du caractère éventuellement abusif de la clause de modération (articles 4 et 5 de la directive 93/13) ?

7)       Une clause probablement nulle en raison de son caractère abusif peut-elle faire l’objet d’une modération (principe de l’absence de caractère contraignant) ?

8)       Un consommateur peut-il renoncer à former un recours contre une clause probablement nulle à son égard en raison de son caractère abusif [article 3 de la directive 93/13, lu conjointement avec l’annexe de la directive 93/13, point 1, sous q), et principe de l’absence de caractère contraignant visé à l’article 6 de la directive 93/13] ?

9)       Dans l’affirmative, l’obligation d’information précontractuelle doit-elle être égale ou supérieure à celle imposée lors de l’accord initial ?

10)       L’obligation d’information précontractuelle (articles 4 et 5 de la directive 93/13) interdit-elle de traiter la clause de renonciation à l’exercice de toute action en justice comme un document secondaire et accessoire (articles 3 à 5 de la directive 93/13) ?

11)      La validité de la modération de clauses probablement nulles et la renonciation à l’exercice de toute action tendant à demander la constatation de leur nullité et de leur absence d’effet sont-elles contraires à l’effet dissuasif de la directive 93/13 à l’égard du professionnel à l’origine de l’offre ? [(article 7 de la directive 93/13 ainsi que l’arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980)].

12)       Une clause contractuelle probablement nulle en raison de son caractère abusif au titre des articles 3 et 4 de la directive 93/13 peut-elle lier le consommateur concerné par ladite clause lorsque l’établissement financier a recours à un procédé consistant à conclure avec le client, postérieurement à la conclusion du contrat contenant ladite clause, une convention prévoyant que le professionnel laisse la clause abusive inappliquée en échange d’une autre prestation de la part du consommateur ? Autrement dit, l’accord conclu avec le consommateur, visant à remplacer la clause nulle par une autre qui lui est plus favorable, donne effet à ladite clause nulle. Un accord de ce type peut-il être contraire à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 ?

13)       Un comportement tel que celui adopté par l’établissement financier, décrit dans le rappel des faits, tombe-t-il sous le coup de l’interdiction de comportement déloyal et de pratique commerciale déloyale à l’égard des consommateurs prévue au quatorzième considérant et aux articles 6 et 7 de la directive 2005/29 ? »

 La procédure devant la Cour

21      Par une décision du président de la Cour, du 6 mars 2019, la procédure dans la présente affaire a été suspendue jusqu’au prononcé de l’arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco (C‑452/18, EU:C:2020:536).

22      Par une lettre du 15 juillet 2020, le greffe de la Cour a communiqué cet arrêt à la juridiction de renvoi et l’a invitée à lui indiquer si, à la lumière de celui-ci, elle souhaitait maintenir sa demande de décision préjudicielle.

23      Par une lettre du 29 juillet 2020, cette juridiction a informé la Cour qu’elle entendait maintenir sa demande de décision préjudicielle.

 Sur les questions préjudicielles

24      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut, notamment lorsqu’une réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée ne laisse place à aucun doute raisonnable, décider, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée.

25      En outre, en vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’une demande préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

26      Il y a lieu de faire application de ces dispositions dans la présente affaire.

 Sur les septième, huitième, onzième et douzième questions

27      Par ces questions, qu’il convient d’examiner conjointement et en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une clause d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, dont le caractère abusif est susceptible d’être constaté judiciairement, puisse faire l’objet d’un contrat de novation entre ce professionnel et ce consommateur, par lequel ce dernier renonce aux effets qu’entraînerait la déclaration du caractère abusif de cette clause, ainsi qu’à toute action en justice contre le professionnel.

28      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 22 et jurisprudence citée).

29      Ainsi, une clause contractuelle déclarée abusive doit être considérée, en principe, comme n’ayant jamais existé, de telle sorte qu’elle ne saurait avoir d’effet à l’égard du consommateur (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 23 et jurisprudence citée).

30      Par conséquent, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, il incombe au juge national d’écarter l’application des clauses abusives afin qu’elles ne produisent pas d’effets contraignants à l’égard du consommateur, sauf si le consommateur s’y oppose (arrêts du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 24 et jurisprudence citée, ainsi que du 25 novembre 2020, Banca B., EU:C:2020:954, point 29).

31      Toutefois, la Cour a déjà jugé que le droit à une protection effective du consommateur englobe sa faculté de renoncer à faire valoir ses droits, de telle sorte qu’il doit être tenu compte, le cas échéant, de la volonté exprimée par le consommateur lorsque, conscient du caractère non contraignant d’une clause abusive, ce dernier indique néanmoins qu’il s’oppose à ce qu’elle soit écartée, donnant ainsi un consentement libre et éclairé à la clause en question (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 25).

32      En effet, la directive 93/13 ne va pas jusqu’à rendre obligatoire le système de protection contre l’utilisation de clauses abusives par les professionnels qu’elle a instauré au bénéfice des consommateurs. Par conséquent, lorsqu’un consommateur préfère ne pas se prévaloir de ce système de protection, celui-ci n’est pas appliqué (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 26 et jurisprudence citée).

33      Il incombe ainsi au juge national de tenir compte, le cas échéant, de la volonté exprimée par le consommateur lorsque, conscient du caractère non contraignant d’une clause abusive, il indique néanmoins qu’il s’oppose à ce qu’elle soit écartée, donnant ainsi un consentement libre et éclairé à cette clause (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 27).

34      De manière analogue, un consommateur peut renoncer à se prévaloir du caractère abusif d’une clause dans le cadre d’un contrat de novation par lequel le consommateur renonce aux effets qu’entraînerait la déclaration du caractère abusif d’une telle clause, sous réserve que cette renonciation procède d’un consentement libre et éclairé (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 28).

35      Cependant, la renonciation du consommateur à se prévaloir de la nullité d’une clause abusive ne saurait être prise en considération que si, lors de cette renonciation, ce consommateur était conscient du caractère non contraignant de cette clause et des conséquences qui en découlent. Ce n’est que dans cette hypothèse qu’il peut être considéré que son adhésion à la novation d’une telle clause procède d’un consentement libre et éclairé, dans le respect des exigences prévues à l’article 3 de la directive 93/13, ce qu’il appartient au juge national de vérifier (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 29).

36      S’agissant, toutefois, de la renonciation de TJ et de UK à faire valoir leurs prétentions relatives à la nouvelle clause « plancher » devant le juge national, la Cour a jugé qu’un consommateur ne saurait valablement s’engager à renoncer pour l’avenir à la protection juridictionnelle et aux droits qu’il tire de la directive 93/13. En effet, il ne peut, par définition, appréhender les conséquences de son adhésion à une telle clause s’agissant de différends susceptibles d’apparaître à l’avenir (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 75).

37      Ainsi, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, aux termes duquel les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, présente un caractère impératif. Or, reconnaître la possibilité d’une renonciation préalable du consommateur aux droits qu’il tire du système de protection mis en œuvre par cette directive irait à l’encontre du caractère impératif de cette disposition et mettrait en péril l’efficacité de ce système (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 76).

38      Il résulte des considérations qui précèdent que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une clause d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur dont le caractère abusif est susceptible d’être constaté judiciairement puisse faire l’objet d’un contrat de novation entre ce professionnel et ce consommateur, par lequel le consommateur renonce aux effets qu’entraînerait la déclaration du caractère abusif de cette clause, à la condition que cette renonciation procède d’un consentement libre et éclairé du consommateur, ce qu’il appartient au juge national de vérifier. En revanche, la clause par laquelle ce même consommateur renonce, en ce qui concerne des différends futurs, aux actions en justice fondées sur les droits qu’il détient en vertu de la directive 93/13 ne lie pas ledit consommateur.

 Sur les première et deuxième questions

39      Par ces questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3 de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’une clause d’un contrat de prêt hypothécaire conclu entre un professionnel et un consommateur, laquelle vise à modifier une clause potentiellement abusive d’un contrat antérieur conclu entre ceux-ci ou prévoit que ce consommateur renonce à toute action en justice contre ce professionnel, peut être considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle.

40      Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, le contrôle du caractère abusif d’une clause d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur porte sur les clauses n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle.

41      L’article 3, paragraphe 2, de cette directive précise qu’une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement par le professionnel et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, ainsi que c’est le cas, notamment, dans le cadre d’un contrat d’adhésion. À cet égard, la Cour a déjà jugé que constituait une clause n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle celle qui est rédigée aux fins d’une utilisation généralisée (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 33 et jurisprudence citée).

42      Or, ces conditions sont susceptibles d’être remplies également à l’égard d’une clause qui vise à modifier une clause potentiellement abusive d’un contrat antérieur conclu entre les mêmes parties, ou qui prévoit que le consommateur renonce à toute action en justice contre le professionnel. De plus, la circonstance qu’une nouvelle clause vise à modifier une clause antérieure qui n’aurait pas fait l’objet d’une négociation individuelle ne dispense pas à elle seule le juge national de l’obligation de vérifier que le consommateur n’a effectivement pas pu avoir d’influence, au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 93/13, sur le contenu de cette nouvelle clause (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 34).

43      Dans l’affaire en cause au principal, il appartient à la juridiction de renvoi, qui est seule compétente pour apprécier les faits de l’espèce au principal, de prendre en considération l’ensemble des circonstances dans lesquelles une telle clause a été présentée au consommateur afin de déterminer si ce dernier a pu avoir une influence sur son contenu. Toutefois, la Cour, appelée à fournir à ce juge une réponse utile, est compétente pour lui donner des indications tirées du dossier de l’affaire au principal, de nature à lui permettre de statuer (voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2018, Van Gennip e.a., C‑137/17, EU:C:2018:771, point 81 ainsi que jurisprudence citée).

44      En l’occurrence, le fait que la conclusion du contrat de novation en cause au principal s’inscrit dans la politique générale de renégociation des contrats de prêt hypothécaire adossés à un taux variable et comprenant une clause « plancher », engagée par Ibercaja Banco à la suite de l’arrêt 241/2013 du Tribunal Supremo (Cour suprême), du 9 mai 2013, pourrait constituer un indice de ce que TJ et UK n’ont pas pu exercer d’influence sur le contenu de la nouvelle clause « plancher ».

45      Il en va de même du fait que, selon les indications de la juridiction de renvoi, l’établissement bancaire n’a pas fourni à TJ et à UK de copie du contrat et ne leur a pas permis de l’emporter avec eux afin qu’ils puissent disposer d’un temps de réflexion leur permettant d’en prendre connaissance et d’en saisir l’étendue.

46      Par ailleurs, la Cour a également pu préciser que la circonstance que les parties au principal ont fait précéder leurs signatures du contrat de novation d’une mention manuscrite indiquant qu’elles avaient compris le mécanisme de la clause « plancher » ne permet pas à elle seule de conclure que cette clause a fait l’objet d’une négociation individuelle et que le consommateur a effectivement pu exercer une influence sur le contenu de ladite clause (voir arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 38).

47      Il résulte des considérations qui précèdent que l’article 3 de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’une une clause d’un contrat de prêt hypothécaire conclu entre un professionnel et un consommateur, laquelle vise à modifier une clause potentiellement abusive d’un contrat antérieur conclu entre ceux-ci ou prévoit que ce consommateur renonce à toute action en justice contre ce professionnel, peut être considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, dès lors que ce même consommateur n’a pas pu avoir d’influence sur le contenu de la nouvelle clause, ce qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier.

 Sur les troisième à sixième et neuvième questions

48      Par ces questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 3 à 5 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que l’exigence de transparence incombant à un professionnel en vertu de ces articles implique que, lors de la conclusion d’un contrat de novation qui, d’une part, vise à modifier une clause potentiellement abusive d’un contrat antérieur et, d’autre part, prévoit que le consommateur renonce à toute action en justice contre le professionnel, ce consommateur doit être mis en mesure de comprendre toutes les conséquences juridiques et économiques déterminantes qui découlent pour lui de la conclusion de ce contrat de novation.

49      Conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, une clause d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme étant abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant de ce contrat.

50      En vertu de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive, l’appréciation du caractère abusif des clauses d’un tel contrat ne porte, toutefois, ni sur la définition de l’objet principal de ce contrat ni, d’une part, sur l’adéquation entre le prix et la rémunération et, d’autre part, les services ou les biens à fournir en contrepartie, pour autant que ces clauses soient rédigées « de façon claire et compréhensible ».

51      L’article 5 de ladite directive dispose, en outre, que, lorsque toutes ou certaines clauses dudit contrat proposées au consommateur sont rédigées par écrit, ces clauses doivent toujours être rédigées « de façon claire et compréhensible ».

52      Il ressort d’une jurisprudence constante que l’exigence de transparence visée à l’article 4, paragraphe 2, et à l’article 5 de la directive 93/13 ne saurait être réduite au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical de la clause concernée. Le système de protection mis en œuvre par ladite directive reposant sur le principe que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne, notamment, le niveau d’information, cette exigence de rédaction claire et compréhensible des clauses contractuelles et, partant, de transparence, imposée par la même directive, doit être entendue de manière extensive (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 44 et jurisprudence citée).

53      Dès lors, l’exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible doit s’entendre comme imposant également que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel la clause concernée fait référence ainsi que, le cas échéant, la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d’autres clauses, de telle sorte que ce consommateur soit mis en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 45 et jurisprudence citée).

54      S’agissant d’un contrat de prêt hypothécaire, il appartient au juge national de procéder aux vérifications nécessaires à cet égard, au regard de l’ensemble des éléments de fait pertinents, au nombre desquels figurent la publicité et l’information fournies par le prêteur dans le cadre de la négociation d’un contrat. Plus particulièrement, il incombe au juge national, lorsqu’il tient compte de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat, de vérifier qu’ont été communiqués au consommateur tous les éléments susceptibles d’avoir une incidence sur la portée de son engagement lui permettant d’évaluer, notamment, le coût total de son emprunt. Jouent un rôle décisif dans cette appréciation, d’une part, la question de savoir si les clauses sont rédigées de manière claire et compréhensible de telle sorte qu’un consommateur moyen est mis en mesure d’évaluer un tel coût et, d’autre part, la circonstance liée à l’absence de mention, dans le contrat de crédit, des informations considérées, au regard de la nature des biens ou des services qui font l’objet de ce contrat, comme étant essentielles (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 46 et jurisprudence citée).

55      En particulier, la fourniture, avant la conclusion d’un tel contrat, de l’information relative aux conditions contractuelles et aux conséquences de cette conclusion est, pour un consommateur, d’une importance fondamentale. C’est, notamment, sur le fondement de cette information que ce dernier décide s’il souhaite être lié par les conditions rédigées préalablement par le professionnel (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 47 et jurisprudence citée).

56      Par ailleurs, l’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle doit être effectuée par référence à la date de la conclusion du contrat concerné, en tenant compte de l’ensemble des circonstances dont le professionnel pouvait avoir connaissance à cette date et qui étaient de nature à influer sur l’exécution ultérieure de celui-ci, une clause contractuelle pouvant être porteuse d’un déséquilibre entre les parties qui ne se manifeste qu’en cours d’exécution du contrat (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 48 et jurisprudence citée).

57      Dès lors, le respect par un professionnel de l’exigence de transparence visée à l’article 4, paragraphe 2, et à l’article 5 de la directive 93/13 doit être appréciée au regard des éléments dont ce professionnel disposait au jour de la conclusion du contrat qu’il a conclu avec le consommateur (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 49 et jurisprudence citée).

58      C’est à la juridiction nationale qu’il appartient de déterminer si, eu égard aux circonstances propres au cas d’espèce, une clause satisfait aux exigences de bonne foi, d’équilibre et de transparence. La Cour est néanmoins compétente pour dégager des dispositions de la directive 93/13 les critères que cette juridiction peut ou doit appliquer lors d’une telle appréciation (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 62 et jurisprudence citée).

59      En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que, par le contrat de novation, Ibercaja Banco a convenu avec TJ et UK, d’une part, d’une réduction du taux de la clause « plancher » qui était applicable en vertu du contrat de prêt hypothécaire et, d’autre part, que ces consommateurs renoncent aux actions en justice contre ce prêteur.

60      En ce qui concerne, en premier lieu, la nouvelle clause « plancher » stipulée dans le contrat de novation qui vise à modifier le contrat de prêt adossé à un taux d’intérêt variable, il y a lieu de relever que les répercussions financières d’un mécanisme de limitation vers le bas des variations du taux d’intérêt dépendent nécessairement de l’évolution de l’indice de référence sur la base duquel est calculé un tel taux (voir arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 50).

61      Dans ces circonstances, le consommateur concerné doit être mis en mesure de comprendre les conséquences économiques qui résultent d’une telle clause en ce qui le concerne (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 51 et jurisprudence citée).

62      Toutefois, s’agissant d’une clause consistant à limiter les fluctuations vers le bas d’un taux variable calculé sur la base d’un indice, la valeur exacte de ce taux ne peut certes pas être déterminée dans un contrat de prêt pour toute la durée de celui-ci. Il ne peut ainsi être exigé d’un professionnel la fourniture d’informations précises quant aux conséquences financières liées aux variations du taux d’intérêt en cours de contrat, dès lors que ces variations dépendent d’événements futurs non prévisibles et indépendants de la volonté de ce professionnel. En particulier, l’application d’un taux d’intérêt variable entraîne à terme, par sa nature même, une fluctuation des montants des échéances à venir, de telle sorte que ledit professionnel ne peut être en mesure de préciser l’impact exact de l’application d’une clause « plancher » sur ces échéances (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 52).

63      Il n’en demeure pas moins que la Cour a jugé que, s’agissant de prêts hypothécaires à taux variables, la fourniture d’informations relatives à l’évolution passée de l’indice sur la base duquel est calculé le taux applicable constitue un élément particulièrement pertinent (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 53 et jurisprudence citée).

64      En effet, à partir d’une telle information, le consommateur peut être mis en mesure d’appréhender, aux vues des fluctuations passées, l’éventualité qu’il ne puisse profiter de taux inférieurs au taux « plancher » qui lui est proposé (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 54).

65      Pour ce qui est des montants auxquels le consommateur renoncerait en adhérant à une nouvelle clause « plancher » et qui correspondent à la différence entre les montants versés par le consommateur en application de la clause « plancher » initiale et ceux dont le paiement aurait été dû en l’absence de clause « plancher », il convient de relever que, en principe, ces montants peuvent être aisément déterminés par un consommateur moyen normalement informé et raisonnablement avisé, dès lors qu’il a pu disposer de toutes les données nécessaires auprès du professionnel, en l’occurrence de l’établissement bancaire, lequel a l’expertise et les connaissances nécessaires à cet égard (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 55).

66      S’agissant, en second lieu, de la renonciation par TJ et UK à faire valoir devant le juge national leurs prétentions relatives à la clause « plancher » initiale et à la nouvelle clause « plancher », il convient de rappeler que, ainsi qu’il résulte de l’article 3, paragraphe 3, de la directive 93/13, l’annexe de cette directive contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives. Le point 1, sous q), de cette annexe vise, en tant que clauses susceptibles d’être considérées comme telles, celles qui ont pour objet ou pour effet « de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur ».

67      De surcroît, le fait qu’un consommateur renonce aux actions en justice relatives à une clause d’un contrat ne fait pas obstacle à ce que le juge national examine le caractère abusif d’une telle clause, dès lors que cette clause est susceptible de produire des effets contraignants à l’égard du consommateur (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 64).

68      Il reste que, en ce qui concerne, premièrement, la renonciation par TJ et UK à faire valoir devant le juge national leurs prétentions relatives à la clause « plancher » initiale, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il résulte des points 31 à 35 de la présente ordonnance, la directive 93/13 ne s’oppose pas en elle-même à ce qu’un consommateur renonce contractuellement au bénéfice qu’il pourrait tirer de la déclaration du caractère abusif de la clause d’un contrat, dès lors que cette renonciation procède d’un consentement libre et éclairé.

69      En l’occurrence, il apparaît que la juridiction de renvoi considère, eu égard aux circonstances dans lesquelles le contrat de novation a été conclu, que TJ et UK n’ont pas obtenu d’informations suffisantes quant au caractère abusif de la clause « plancher » initiale ainsi qu’aux montants dont ils auraient été en droit d’obtenir le remboursement à raison des sommes qu’ils ont indûment versées sur le fondement de cette clause.

70      Ainsi qu’il ressort du point 56 de la présente ordonnance, l’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle doit être effectuée par référence à la date de la conclusion du contrat concerné, en tenant compte de l’ensemble des circonstances dont le professionnel pouvait avoir connaissance à cette date et qui étaient de nature à influer sur l’exécution ultérieure de ce contrat, une clause contractuelle pouvant être porteuse d’un déséquilibre entre les parties qui ne se manifeste qu’en cours d’exécution de ce même contrat.

71      Or, s’il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner quelles étaient les informations dont disposait Ibercaja Banco à la date de la conclusion du contrat de novation, il y a lieu de relever que, par son arrêt 241/2013 du 9 mai 2013, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a jugé, pour la première fois, dans le cadre d’une procédure initiée par des associations de consommateurs, que les clauses « plancher » stipulées dans les contrats de prêt hypothécaire ne satisfaisaient en principe pas aux exigences de clarté et de transparence et étaient susceptibles, de ce fait, d’être déclarées abusives. Au demeurant, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a limité les effets de la déclaration de nullité de telles clauses pour l’avenir. Par l’arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980), la Cour a jugé que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 s’oppose à une telle limitation.

72      Dans ces circonstances, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’apprécier le niveau de certitude qui existait à la date de la conclusion du contrat de novation en ce qui concerne le caractère abusif de la clause « plancher » initiale, afin de déterminer l’étendue des informations qu’Ibercaja Banco devait fournir à TJ et à UK en vertu de l’exigence de transparence qui lui incombait dans la présentation de la clause de renonciation aux actions en justice, ainsi que si TJ et UK ont été mis en mesure de comprendre les conséquences juridiques qui en découlaient pour eux.

73      Concernant, deuxièmement, la renonciation des parties au litige au principal à faire valoir leurs prétentions relatives à la nouvelle clause « plancher » devant le juge national, il suffit de rappeler que, ainsi qu’il résulte du point 36 de la présente ordonnance, un consommateur ne saurait valablement s’engager à renoncer pour l’avenir à la protection juridictionnelle et aux droits qu’il tire de la directive 93/13. En effet, il ne peut, par définition, appréhender les conséquences de son adhésion à une telle clause s’agissant de différends susceptibles d’apparaître à l’avenir (arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 75). Partant, la clause par laquelle ce même consommateur renonce, en ce qui concerne les différends futurs, aux actions en justice fondées sur les droits qu’il détient en vertu de la directive 93/13 ne lie pas ledit consommateur.

74      Il résulte des considérations qui précèdent que les articles 3 à 5 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que l’exigence de transparence incombant à un professionnel en vertu de ces dispositions implique que, lors de la conclusion d’un contrat de novation qui, d’une part, vise à modifier une clause potentiellement abusive d’un contrat antérieurement conclu et, d’autre part, prévoit que le consommateur renonce à toute action en justice contre le professionnel, ce consommateur doit être mis en mesure de comprendre toutes les conséquences juridiques et économiques déterminantes qui découlent pour lui de la conclusion de ce contrat de novation.

 Sur la dixième question

75      Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 4 et 5 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une clause de renonciation à l’exercice de toute action en justice soit traitée comme un document secondaire et accessoire.

76      Selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 19 septembre 2019, Lovasné Tóth, C‑34/18, EU:C:2019:764, point 40 et jurisprudence citée).

77      À ce titre, il convient de rappeler que les exigences relatives au contenu d’une demande de décision préjudicielle figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, selon lequel toute demande de décision préjudicielle contient « un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées », « la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente », ainsi que « l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal ».

78      Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et respecter scrupuleusement ces exigences concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle (ordonnance du 19 mars 2020, Boé Aquitaine, C‑838/19, non publiée, EU:C:2020:215, point 17 et jurisprudence citée).

79      En l’occurrence, force est de constater que la juridiction de renvoi n’a fourni, dans sa décision de renvoi, aucune indication précise sur les raisons pour lesquelles elle considère qu’une réponse à cette question est nécessaire à la solution du litige pendant devant elle. En particulier, cette juridiction ne précise pas les conséquences qui découleraient de la qualification de « document secondaire et accessoire ».

80      Dans ces conditions, la décision de renvoi ne permet manifestement pas à la Cour de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi afin de trancher le litige au principal.

81      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, la dixième question préjudicielle est manifestement irrecevable.

 Sur la treizième question

82      Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2005/29 doivent être interprétés en ce sens qu’est réputée « déloyale », au sens de ces dispositions, un comportement tel que celui adopté par l’établissement financier au principal.

83      Il convient de constater que cette question ne répond manifestement pas aux exigences figurant à l’article 94 du règlement de procédure, telles que rappelées au point 77 de la présente ordonnance.

84      En effet, dans le cadre de cette treizième question, la juridiction de renvoi se contente de citer la directive 2005/29 et n’indique pas la raison pour laquelle son interprétation est nécessaire à la solution du litige au principal. Elle ne précise en outre pas dans quelle mesure le comportement de l’établissement financier en cause au principal est susceptible de constituer une pratique commerciale déloyale, au sens de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de cette directive.

85      Partant, il y a lieu de considérer que, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, la treizième question préjudicielle est manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

86      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une clause d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur dont le caractère abusif est susceptible d’être constaté judiciairement puisse faire l’objet d’un contrat de novation entre ce professionnel et ce consommateur, par lequel le consommateur renonce aux effets qu’entraînerait la déclaration du caractère abusif de cette clause, à la condition que cette renonciation procède d’un consentement libre et éclairé du consommateur, ce qu’il appartient au juge national de vérifier. En revanche, la clause par laquelle ce même consommateur renonce, en ce qui concerne des différends futurs, aux actions en justice fondées sur les droits qu’il détient en vertu de la directive 93/13 ne lie pas ledit consommateur.

2)      L’article 3 de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’une clause d’un contrat de prêt hypothécaire conclu entre un professionnel et un consommateur, laquelle vise à modifier une clause potentiellement abusive d’un contrat antérieur conclu entre ceux-ci ou prévoit que ce consommateur renonce à toute action en justice contre ce professionnel, peut être considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, dès lors que ce même consommateur n’a pas pu avoir d’influence sur le contenu de la nouvelle clause, ce qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier.

3)      Les articles 3 à 5 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que l’exigence de transparence incombant à un professionnel en vertu de ces dispositions implique que, lors de la conclusion d’un contrat de novation qui, d’une part, vise à modifier une clause potentiellement abusive d’un contrat antérieurement conclu et, d’autre part, prévoit que le consommateur renonce à toute action en justice contre le professionnel, ce consommateur doit être mis en mesure de comprendre toutes les conséquences juridiques et économiques déterminantes qui découlent pour lui de la conclusion de ce contrat de novation.

4)      Les dixième et treizième questions posées par l’Audiencia Provincial de Zaragoza (cour provinciale de Saragosse, Espagne) sont manifestement irrecevables.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.