ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

17 décembre 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Exonérations – Article 135, paragraphe 1, sous b) et d) – Notions d’“octroi de crédits” et d’“autres effets de commerce” – Opérations complexes – Prestation principale – Mise à disposition des fonds contre une rémunération – Transfert d’un billet à ordre à une société d’affacturage et de l’argent obtenu à l’émetteur du billet à ordre »

Dans l’affaire C‑801/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Upravni sud u Zagrebu (tribunal administratif de Zagreb, Croatie), par décision du 15 octobre 2019, parvenue à la Cour le 31 octobre 2019, dans la procédure

FRANCK d.d., Zagreb

contre

Ministarstvo financija Republike Hrvatske, Samostalni sektor za drugostupanjski upravni postupak,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Wahl, président de chambre, MM. A. Kumin et F. Biltgen (rapporteur), juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. M. Longar, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 septembre 2020,

considérant les observations présentées :

pour FRANCK d.d., Zagreb, par Mes V.°A. Batarelo, I. Dvojković, L.°W. Vuchetich, T. Sadrić, M.°K. Bohaček, I.°B. Pavčić, F. Kraljičković et M. Opačak, odvjetnici,

pour le Ministarstvo financija Republike Hrvatske, Samostalni sektor za drugostupanjski upravni postupak, par M. N. Biloglav ainsi que par Mmes D. Štimac et K. Tudek, en qualité d’agents,

pour le gouvernement croate, par Mmes G. Vidović Mesarek et M. Gregurić ainsi que par M. B. Domitrović, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par M. M. Mataija ainsi que par Mmes A. Armenia et N. Gossement, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 135, paragraphe 1, sous b) et d), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant FRANCK d.d., Zagreb (ci-après « Franck ») au Ministarstvo financija Republike Hrvatske, Samostalni sektor za drugostupanjski upravni postupak (ministère des Finances de la République de Croatie, service du contentieux administratif, ci-après le « ministère des Finances ») au sujet de la détermination de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) due en raison de la rémunération perçue par Franck en contrepartie de la mise à la disposition de Konzum d.d. de fonds obtenus de sociétés d’affacturage détenant des billets à ordre émis par cette dernière et dont le remboursement était garanti par Franck.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 2, paragraphe 1, de la directive TVA prévoit :

« Sont soumises à la TVA les opérations suivantes :

a)

les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ;

[...]

c)

les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ;

[...] »

4

L’article 9, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

Est considérée comme “activité économique” toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. »

5

Aux termes de l’article 135, paragraphe 1, de ladite directive :

« Les États membres exonèrent les opérations suivantes :

[...]

b)

l’octroi et la négociation de crédits ainsi que la gestion de crédits effectuée par celui qui les a octroyés ;

[...]

d)

les opérations, y compris la négociation, concernant les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, chèques et autres effets de commerce, à l’exception du recouvrement de créances ;

[...] »

Le droit croate

6

L’article 40, paragraphe 1, du Zakon o porezu na dodanu vrijednost (loi relative à la TVA), du 17 juin 2013 (Narodne novine, br. 73/13, 99/13, 148/13, 153/13, 143/14 et 115/16, ci–après la « loi sur la TVA »), énonce :

« Sont exonérés de TVA :

[...]

b)

l’octroi de crédits et de prêts, y compris l’activité d’intermédiaire dans ces transactions, et la gestion de crédits et de prêts lorsque la personne qui les octroie le fait ;

[...]

d)

les opérations, y compris l’activité d’intermédiaire, dans le domaine des comptes d’épargne, courants ou de virement, des paiements, virements, créances, chèques et autres instruments transmissibles, à l’exception du recouvrement de créances ;

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

7

Franck, société commerciale dont l’activité consiste en la transformation de thé et de café, a, au cours de la période allant du 1er janvier 2013 au 30 mars 2017, mis des fonds à la disposition de Konzum, une chaîne de vente au détail, moyennant la conclusion simultanée de trois types de contrats.

8

En premier lieu, en application d’un contrat dit « contrat de prêt financier », Konzum, désignée comme prêteur, émettait un billet à ordre à Franck, désignée comme emprunteur, qui s’engageait à lui remettre en espèces la somme mentionnée dans ce billet à ordre.

9

En deuxième lieu, conformément à un contrat dénommé « contrat de cession de créances cambiaires », dont les signataires étaient Franck, Konzum et une société d’affacturage, Franck transmettait ledit billet à ordre à cette dernière qui, par une opération qualifiée d’« affacturage inversé », versait 95 % à 100 % du montant de celui-ci à Franck, qui virait ce montant sur le compte de Konzum tout en agissant en tant que garant de son recouvrement à l’échéance de ce même billet à ordre.

10

En troisième lieu, par un contrat dit « accord de coopération commerciale », Konzum s’engageait à rembourser à Franck les intérêts et les frais facturés à celle-ci par la société d’affacturage ainsi qu’à lui verser une rémunération s’élevant à 1 % du montant mentionné dans le billet à ordre.

11

Lors d’un contrôle, l’administration fiscale compétente a constaté que ladite rémunération avait été facturée sans TVA. Estimant qu’elle n’était pas exonérée de la TVA, cette administration a établi, pour la période comprise entre l’année 2013 et l’année 2017, une insuffisance de TVA déclarée s’élevant à 15060808,80 kunas croates (HRK) (environ 2 millions d’euros) ainsi que des intérêts de retard. Par décision du 28 juillet 2018, le ministère des Finances a rejeté la réclamation introduite par Franck contre cet avis d’imposition.

12

Saisi du recours contre ladite décision, l’Upravni sud u Zagrebu (tribunal administratif de Zagreb, Croatie) relève que, selon Franck, celle-ci a, en substance, fourni un service d’octroi de prêt à Konzum, exonéré de la TVA en vertu de l’article 40, paragraphe 1, sous b), de la loi sur la TVA. En outre, dans la mesure où les billets à ordre émis par Konzum étaient des instruments transmissibles, au sens de ce paragraphe 1, sous d), le service fourni par Franck serait exonéré également au titre de cette disposition.

13

Selon cette juridiction, le ministère des Finances est, en revanche, d’avis que la rémunération perçue par Franck constituait la contrepartie d’un service de recouvrement de créances pour lequel cette dernière a agi en tant qu’intermédiaire entre les sociétés d’affacturage et Konzum, un tel service n’étant pas exonéré de la TVA, conformément à l’article 40, paragraphe 1, sous d), de la loi sur la TVA. Le ministère des Finances estime ainsi qu’il n’y avait pas de relation de crédit entre Franck et Konzum, et les opérations en question ne sauraient non plus être qualifiées d’« affacturage » entre celles-ci, dès lors que les billets à ordre n’avaient pas été émis sur la base de la fourniture de biens ou de services par Franck.

14

C’est dans ces conditions que l’Upravni sud u Zagrebu (tribunal administratif de Zagreb) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

La mise à disposition de fonds par la requérante, qui n’est pas un établissement financier, contre une rémunération unique de 1 %, constitue-t-elle un service pouvant être considéré comme “l’octroi et la négociation de crédits ainsi que la gestion de crédits effectuée par celui qui les a octroyés”, au sens de l’article 135, [paragraphe 1, sous] b), de la directive TVA, bien que la requérante ne soit pas formellement désignée comme prêteur dans le contrat ?

2)

Un billet à ordre, à savoir un titre par lequel le souscripteur s’engage à payer une certaine somme d’argent à la personne qui est désignée comme créancière sur ce titre, ou à la personne ayant acquis ce titre par la suite de manière légale, est-il considéré comme un “autre effet de commerce”, au sens de l’article 135, paragraphe l, sous d), de la directive TVA ?

3)

Le service par lequel la requérante, en contrepartie de la rémunération de 1 % versée par le souscripteur du billet à ordre, a transmis ledit billet à ordre à une société d’affacturage et transféré le montant obtenu auprès de la société d’affacturage au souscripteur du billet à ordre, en garantissant à la société d’affacturage que le souscripteur du billet à ordre s’acquittera de son obligation découlant du billet à ordre lorsque celui-ci arrivera à échéance, constitue-t-il :

a)

une prestation de services exonérée de TVA, au sens de l’article 135, [paragraphe 1, sous] b), de la directive TVA [ou]

b)

une prestation de services exonérée de TVA, au sens de l’article 135, [paragraphe 1, sous] d), de la directive TVA ? »

Sur la compétence de la Cour

15

Le litige au principal porte sur la période allant du 1er janvier 2013 au 30 mars 2017, alors que la République de Croatie a adhéré à l’Union européenne le 1er juillet 2013.

16

Or, selon une jurisprudence constante, la Cour est compétente pour interpréter le droit de l’Union uniquement pour ce qui concerne l’application de celui-ci dans un nouvel État membre à partir de la date d’adhésion de ce dernier à l’Union (arrêt du 3 juillet 2019, UniCredit Leasing, C‑242/18, EU:C:2019:558, point 30 et jurisprudence citée).

17

Les faits au principal étant partiellement postérieurs à ladite date, la Cour est compétente pour répondre aux questions préjudicielles (voir, en ce sens, arrêt du 3 juillet 2019, UniCredit Leasing, C‑242/18, EU:C:2019:558, point 32 et jurisprudence citée).

Sur les questions préjudicielles

18

Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 135, paragraphe 1, sous b) et d), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que l’exonération de la TVA que ces dispositions prévoient, respectivement, pour l’octroi de crédits et les opérations concernant d’autres effets de commerce, s’applique à une opération qui consiste, pour l’assujetti, à mettre à la disposition d’un autre assujetti, contre rémunération, des fonds obtenus auprès d’une société d’affacturage à la suite de la transmission à celle-ci d’un billet à ordre émis par le second assujetti, le premier assujetti garantissant le remboursement à cette société d’affacturage dudit billet à ordre à son échéance.

19

S’agissant, en premier lieu, de l’applicabilité de la directive TVA, il ressort de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive que sont soumises à la TVA, notamment, les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel. En vertu de l’article 9, paragraphe 1, premier alinéa, de ladite directive, est considéré comme étant un assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité à caractère économique. La notion d’« activité économique » est définie à l’article 9, paragraphe 1, second alinéa, de cette même directive comme englobant toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services.

20

À cet égard, il résulte de la jurisprudence de la Cour qu’une personne qui est déjà assujettie à la TVA pour une activité économique qu’elle exerce de manière permanente doit être considérée comme un « assujetti » pour toute autre activité économique qu’elle exerce de manière occasionnelle, à condition que cette activité constitue une « activité », au sens de l’article 9, paragraphe 1, second alinéa, de la directive TVA (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 2019, Paulo Nascimento Consulting, C‑692/17, EU:C:2019:867, point 24 et jurisprudence citée).

21

En l’occurrence, l’opération en cause au principal, consistant en la mise à disposition de fonds en contrepartie d’une rémunération, constitue une « activité économique », au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA. La circonstance que cette opération ne correspond pas à l’activité principale de Franck, qui consiste en la transformation de thé et de café, n’exclut pas que cette société, en réalisant ladite opération, ait agi dans le cadre de son activité économique.

22

En deuxième lieu, il convient de relever que l’opération en cause au principal, telle que décrite aux points 7 à 10 du présent arrêt, est composée d’une série de transactions auxquelles trois personnes morales, à savoir Franck, Konzum et une société d’affacturage, participaient en exécution de trois types de contrats séparés.

23

À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour, que, lorsqu’une opération est constituée d’un faisceau d’éléments et d’actes, il y a lieu de prendre en considération toutes les circonstances dans lesquelles elle se déroule afin de déterminer si cette opération donne lieu, aux fins de la TVA, à deux ou à plusieurs prestations distinctes ou à une prestation unique (arrêt du 4 septembre 2019, KPC Herning, C‑71/18, EU:C:2019:660, point 35 et jurisprudence citée).

24

En effet, dans certaines circonstances, plusieurs prestations formellement distinctes, qui pourraient être fournies séparément et, ainsi, donner lieu, séparément, à taxation ou à exonération, doivent être considérées comme constituant une opération unique lorsqu’elles ne sont pas indépendantes (arrêt du 4 septembre 2019, KPC Herning, C‑71/18, EU:C:2019:660, point 37 et jurisprudence citée).

25

Une prestation doit être considérée comme étant unique lorsque deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par l’assujetti sont si étroitement liés qu’ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable, dont la division revêtirait un caractère artificiel. Tel est également le cas lorsqu’une ou plusieurs prestations constituent une prestation principale et que la ou les autres prestations constituent une ou plusieurs prestations accessoires partageant le sort fiscal de la prestation principale. Notamment, une prestation doit être considérée comme étant accessoire à une prestation principale lorsqu’elle constitue pour la clientèle non pas une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal du prestataire (arrêt du 4 septembre 2019, KPC Herning, C‑71/18, EU:C:2019:660, point 38 et jurisprudence citée).

26

Dans ce contexte, il convient de relever, d’une part, que, pour déterminer si une opération qui comporte plusieurs prestations constitue une opération unique aux fins de la TVA, la Cour tient compte tant de l’objectif économique de cette opération que de l’intérêt des destinataires des prestations (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2016, Stock ‘94, C‑208/15, EU:C:2016:936, point 29 et jurisprudence citée).

27

D’autre part, il importe de rappeler que, dans le cadre de la coopération instituée en vertu de l’article 267 TFUE, il appartient aux juridictions nationales de déterminer si l’assujetti fournit une prestation unique dans une espèce particulière et de porter toutes appréciations de fait définitives à cet égard. Toutefois, il incombe à la Cour de fournir auxdites juridictions tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elles sont saisies (arrêt du 8 décembre 2016, Stock ‘94, C‑208/15, EU:C:2016:936, point 30 et jurisprudence citée).

28

En l’occurrence, il est constant que l’objectif économique de l’opération en cause au principal était de satisfaire les besoins en capitaux de Konzum, cette dernière ne pouvant pas emprunter des fonds auprès des institutions financières en Croatie en raison de son niveau d’endettement ainsi que de celui du groupe dont elle faisait partie.

29

Il s’ensuit, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que la prestation principale fournie par Franck doit être considérée comme étant la mise à la disposition de Konzum des fonds que Franck a obtenus auprès d’une société d’affacturage. Les autres prestations assurées par celle-ci en exécution des trois types de contrats auxquels elle était partie doivent être considérées comme étant accessoires à cette prestation principale, dépourvues d’objectif indépendant de celui de cette dernière.

30

En troisième lieu, pour ce qui est de la question de savoir si une telle prestation relève d’une ou de plusieurs des exonérations visées à l’article 135, paragraphe 1, de la directive TVA, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, ces exonérations constituent des notions autonomes du droit de l’Union qui ont pour objet d’éviter des divergences dans l’application du régime de la TVA d’un État membre à un autre [arrêt du 2 juillet 2020, Blackrock Investment Management (UK), C‑231/19, EU:C:2020:513, point 21 et jurisprudence citée].

31

En outre, les termes employés pour désigner les exonérations visées à l’article 135, paragraphe 1, de la directive TVA sont d’interprétation stricte, étant donné qu’elles constituent des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti [arrêt du 2 juillet 2020, Blackrock Investment Management (UK), C‑231/19, EU:C:2020:513, point 22 et jurisprudence citée].

32

Toutefois, l’interprétation de ces termes doit être conforme aux objectifs poursuivis par lesdites exonérations et respecter les exigences du principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de TVA. Ainsi, cette règle d’interprétation stricte ne signifie pas que les termes utilisés pour définir les exonérations visées à ladite disposition doivent être interprétés d’une manière qui priverait celles-ci de leurs effets [arrêt du 2 juillet 2020, Veronsaajien oikeudenvalvontayksikkö (Service d’hébergement en centre de données), C‑215/19, EU:C:2020:518, point 39 et jurisprudence citée].

33

C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient d’examiner si une prestation telle que celle mentionnée au point 29 du présent arrêt relève des opérations exonérées visées à l’article 135, paragraphe 1, sous b) et d), de la directive TVA.

34

S’agissant de l’article 135, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA, il y a lieu de rappeler, d’une part, que les opérations exonérées en vertu de cette disposition sont définies en fonction de la nature des prestations de services fournies et non en fonction du prestataire ou du destinataire du service de telle sorte que l’application de ces exonérations ne dépend pas du statut de l’entité qui fournit ces services (arrêt du 15 mai 2019, Vega International Car Transport and Logistic, C‑235/18, EU:C:2019:412, point 43 et jurisprudence citée).

35

En particulier, l’expression « octroi et négociation de crédits » figurant à ladite disposition doit être interprétée largement de sorte que sa portée ne saurait être limitée aux seuls prêts et crédits octroyés par des organismes bancaires et financiers. En effet, une telle interprétation est corroborée par la finalité du système commun, instauré par la directive TVA, qui tend, notamment, à garantir aux assujettis une égalité de traitement (voir, en ce sens, arrêt du 15 mai 2019, Vega International Car Transport and Logistic, C‑235/18, EU:C:2019:412, points 44 et 45 ainsi que jurisprudence citée).

36

D’autre part, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’octroi de crédits, au sens de l’article 135, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA, consiste, notamment, en la mise à disposition d’un capital contre rémunération (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 2019, Paulo Nascimento Consulting, C‑692/17, EU:C:2019:867, point 38).

37

Si pareille rémunération est notamment assurée moyennant le versement d’intérêts, d’autres formes de contrepartie ne sauraient être exclues. Ainsi, la Cour a déjà eu l’occasion de considérer comme constituant une opération financière s’apparentant à l’octroi d’un crédit et, partant, exonérée de la TVA en vertu de ladite disposition, le financement à l’avance de l’achat de marchandises en contrepartie d’une majoration du montant remboursé par le bénéficiaire de ce financement (voir, en ce sens, arrêt du 15 mai 2019, Vega International Car Transport and Logistic, C‑235/18, EU:C:2019:412, points 47 et 48).

38

En ce qui concerne le litige au principal, il découle de ce qui précède que la circonstance que Franck n’est pas un organisme bancaire ou financier n’exclut pas qu’une prestation telle que celle effectuée par cette dernière soit susceptible de constituer un octroi de crédits, au sens de l’article 135, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, aux fins de l’exonération prévue à cette disposition pour une telle prestation, que la rémunération que Franck percevait de Konzum constitue la contrepartie de la mise à la disposition de cette dernière des fonds concernés.

39

Par ailleurs, il est sans pertinence que les fonds mis à disposition étaient remboursés non pas à Franck, mais aux sociétés d’affacturage. En effet, ainsi que la Commission le fait remarquer, dans ses observations écrites, l’article 135, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA ne subordonne pas ladite exonération à une obligation de rembourser les crédits à la personne qui les a octroyés.

40

S’agissant de l’article 135, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA, il convient de rappeler que, aux termes de cette disposition, les États membres exonèrent les opérations concernant, notamment, « les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, chèques et autres effets de commerce ».

41

Ainsi que la Cour l’a jugé, lesdites opérations, y compris celles concernant d’« autres effets de commerce », relèvent du domaine des opérations financières et portent, notamment, sur des instruments de paiement dont le mode de fonctionnement implique un transfert d’argent (voir, en ce sens, arrêts du 12 juin 2014, Granton Advertising, C‑461/12, EU:C:2014:1745, points 36 à 38, et du 22 octobre 2015, Hedqvist, C‑264/14, EU:C:2015:718, point 40).

42

Pour ce qui est de l’affaire au principal, il y a lieu de considérer que les billets à ordre émis par Konzum sont des « effets de commerce », au sens de l’article 135, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA, dans la mesure où, ainsi qu’il découle de la décision de renvoi, ils contiennent une obligation pour Konzum, en tant qu’émetteur, de payer le montant précisé au détenteur à leur échéance.

43

Cette conclusion n’est pas infirmée par la circonstance que, en contradiction avec cette obligation, Konzum était désignée, dans les contrats portant sur lesdits billets à ordre, comme prêteur et Franck comme emprunteur.

44

En effet, il convient de rappeler que, contrairement à la qualification formelle des parties au contrat, la prise en compte de la réalité économique et commerciale constitue un critère fondamental pour l’application du système commun de TVA (voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2018, MEO – Serviços de Comunicações e Multimédia, C‑295/17, EU:C:2018:942, point 43 ainsi que jurisprudence citée).

45

Afin qu’une prestation, telle que celle effectuée par Franck, puisse être considérée comme une opération concernant d’autres effets de commerce, exonérée au titre de l’article 135, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA, cette prestation doit former un ensemble distinct, apprécié de façon globale, qui a pour effet de remplir les fonctions spécifiques et essentielles d’une telle opération. À cet égard, il convient de distinguer le service exonéré, au sens de la directive TVA de la fourniture d’une simple prestation matérielle ou technique (voir, en ce sens, arrêts du 22 octobre 2015, Hedqvist, C‑264/14, EU:C:2015:718, point 39, et du 26 mai 2016, Bookit, C‑607/14, EU:C:2016:355, point 40).

46

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que la prestation consistant en la mise à disposition de fonds était intrinsèquement liée à l’émission des billets à ordre, dès lors que c’est en transmettant ceux-ci aux sociétés d’affacturage que Franck a obtenu de ces dernières les montants qu’elle a mis à la disposition de Konzum. Dans la mesure où Franck était partie aux contrats portant sur les billets à ordre, il apparaît qu’elle a rempli les fonctions spécifiques et essentielles d’une opération concernant ceux-ci, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

47

Par conséquent, sous réserve de cette vérification, il y a lieu de considérer qu’une prestation, telle que celle mentionnée au point 29 du présent arrêt, constitue une opération concernant d’autres effets de commerce, exonérée de la TVA conformément à l’article 135, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA.

48

Toutefois, dans ses observations écrites, le gouvernement croate fait valoir que la prestation fournie par Franck constitue un recouvrement de créances qui, conformément à l’article 135, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA, est exclu de l’exonération visée à cette disposition. À cet égard, Franck aurait agi en tant qu’intermédiaire entre les sociétés d’affacturage et Konzum, en ce qu’elle aurait repris la dette de cette dernière et l’aurait remise auxdites sociétés en vue de son rachat, tout en prenant à sa charge, en tant que garant de la dette, le risque de défaillance du débiteur.

49

Une telle argumentation ne saurait être retenue.

50

En effet, si l’opération, par laquelle un opérateur rachète des créances en prenant à sa charge le risque de défaillance des débiteurs, contre une rémunération, constitue, certes, un recouvrement de créances, exclu de l’exonération en vertu de ladite disposition (voir, en ce sens, arrêt du 26 juin 2003, MKG-Kraftfahrzeuge-Factoring, C‑305/01, EU:C:2003:377, point 80), il apparaît, toutefois, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que, en l’occurrence, Franck n’a ni effectué une telle opération ni agi en tant qu’intermédiaire pour les sociétés d’affacturage dans ce cadre. Bien au contraire, il ressort de la décision de renvoi que la rémunération qu’elle a perçue a été versée par Konzum en contrepartie de la mise à disposition de fonds. En outre, Franck a payé à ces sociétés d’affacturage des intérêts et des frais, qu’elle s’est par la suite vu rembourser par Konzum.

51

Par ailleurs, est sans incidence aux fins d’exonération de la TVA la circonstance, invoquée par le gouvernement croate, selon laquelle l’opération en cause au principal visait à contourner la réglementation bancaire croate interdisant aux banques d’octroyer des prêts à une société telle que Konzum en raison de son taux d’endettement.

52

En effet, selon une jurisprudence constante, le principe de neutralité fiscale s’oppose, en matière de perception de la TVA, à une différenciation généralisée entre les transactions illicites et les transactions licites (arrêt du 10 novembre 2011, The Rank Group, C‑259/10 et C‑260/10, EU:C:2011:719, point 45 et jurisprudence citée). Le caractère éventuellement illicite de l’opération en cause au principal ne saurait donc être pris en compte aux fins de l’exonération prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous b) et d), de la directive TVA.

53

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 135, paragraphe 1, sous b) et d), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que l’exonération de la TVA, que ces dispositions prévoient, respectivement, pour l’octroi de crédits et les opérations concernant d’autres effets de commerce, s’applique à une opération qui consiste, pour l’assujetti, à mettre à la disposition d’un autre assujetti, contre rémunération, des fonds obtenus auprès d’une société d’affacturage à la suite de la transmission à celle-ci d’un billet à ordre émis par le second assujetti, le premier assujetti garantissant le remboursement à cette société d’affacturage dudit billet à ordre à son échéance.

Sur les dépens

54

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

 

L’article 135, paragraphe 1, sous b) et d), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens que l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée, que ces dispositions prévoient, respectivement, pour l’octroi de crédits et les opérations concernant d’autres effets de commerce, s’applique à une opération qui consiste, pour l’assujetti, à mettre à la disposition d’un autre assujetti, contre rémunération, des fonds obtenus auprès d’une société d’affacturage à la suite de la transmission à celle-ci d’un billet à ordre émis par le second assujetti, le premier assujetti garantissant le remboursement à cette société d’affacturage dudit billet à ordre à son échéance.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le croate.