CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 14 janvier 2021 ( 1 )

Affaires jointes C‑551/19 P et C‑552/19 P

ABLV Bank AS (C‑551/19 P)

Ernests Bernis,

Oļegs Fiļs,

OF Holding SIA,

Cassandra Holding Company SIA (C‑552/19 P)

contre

Banque centrale européenne

« Pourvoi – Union bancaire – Mécanisme de résolution unique des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement (MRU) – Règlement (UE) no 806/2014 – Procédure de résolution applicable en cas de défaillance avérée ou prévisible d’une entité – Société mère et filiale – Déclaration par la Banque centrale européenne (BCE) d’une situation de défaillance avérée ou prévisible – Actes préparatoires – Actes non susceptibles de recours – Irrecevabilité »

1.

Le 23 février 2018, la Banque centrale européenne (BCE), à laquelle incombait, du fait de la qualité d’entité financière « importante » d’ABLV Bank AS, la surveillance de cette dernière, a déclaré que cette entité et ABLV Bank Luxembourg SA (ci-après « ABLV Luxembourg ») « présentaient une défaillance avérée ou prévisible » au sens de l’article 18, paragraphe 1, du règlement (UE) no 806/2014 ( 2 ).

2.

ABLV Bank et certains de ses actionnaires, directs et indirects, ont contesté cette déclaration de la BCE devant le Tribunal, qui, par deux ordonnances ( 3 ) rendues dans les affaires T‑281/18 ( 4 ) et T‑283/18 ( 5 ), a jugé irrecevables les recours en annulation respectifs.

3.

Les parties requérantes devant le Tribunal contestent à présent ces deux ordonnances dans le cadre de procédures de pourvoi.

4.

En statuant sur ces pourvois, la Cour dispose de l’opportunité de se prononcer pour la première fois, sauf erreur de ma part, sur la procédure applicable à l’adoption de « dispositifs de résolution » des établissements financiers soumis au mécanisme de surveillance unique (MSU), qu’il appartient au Conseil de résolution unique (CRU) de mettre en œuvre dans le cadre du mécanisme de résolution unique (MRU).

5.

L’intervention de la BCE, qui évalue la « défaillance avérée ou prévisible » d’un établissement de crédit, est prévue à l’une des étapes de cette procédure.

6.

Le litige porte sur le point de savoir s’il est possible d’introduire un recours en annulation contre cette évaluation de la BCE. Dans les deux thèses en présence, les parties soutiennent, selon des points de vue opposés :

qu’il s’agit d’un acte obligatoire, doté d’une substance propre, qui, produisant des effets juridiques, peut faire l’objet d’un recours en annulation (thèse des requérants) ;

que, étant donné qu’il s’agit d’un simple acte préparatoire de la décision finale qui relèvera de la compétence du CRU, elle n’est pas susceptible de recours. Seule la décision adoptée par le CRU pourra faire l’objet d’un recours devant le Tribunal (thèse de la BCE, soutenue par la Commission européenne).

I. Le cadre juridique : le règlement MRU

7.

Aux termes des considérants 24 et 26 du règlement MRU :

« (24)

Étant donné que seules les institutions de l’Union peuvent définir la politique de l’Union en matière de résolution et qu’il existe une marge d’appréciation dans l’adoption de chaque dispositif de résolution spécifique, il est nécessaire de prévoir la participation appropriée du Conseil et de la Commission, en tant qu’institutions qui peuvent exercer des pouvoirs d’exécution conformément à l’article 291 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La Commission devrait procéder à l’évaluation des aspects discrétionnaires des décisions de résolution prises par le CRU. Compte tenu des répercussions considérables des décisions de résolution sur la stabilité financière des États membres et sur l’Union proprement dite, ainsi que sur la souveraineté budgétaire des États membres, il est important que le pouvoir d’exécution permettant de prendre certaines décisions en matière de résolution soit conféré au Conseil. Il appartiendrait alors au Conseil, sur proposition de la Commission, d’assurer le contrôle effectif de l’appréciation, par le CRU, de l’existence d’un intérêt public et d’évaluer toute modification importante du montant du Fonds [de résolution unique] à utiliser pour une mesure de résolution donnée. De plus, la Commission devrait être habilitée à adopter des actes délégués pour préciser davantage les critères ou conditions à prendre en compte par le CRU dans l’exercice de ses différents pouvoirs. Cette attribution de tâches en matière de résolution ne devrait en aucun cas entraver le fonctionnement du marché intérieur des services financiers. Il importe donc de maintenir l’[Autorité bancaire européenne (ABE)] dans son rôle et de lui conserver ses pouvoirs et tâches existants : elle devrait élaborer la législation de l’Union applicable à tous les États membres, contribuer à son application cohérente et favoriser la convergence des pratiques en matière de résolution dans l’ensemble de l’Union.

[...]

(26)

La BCE, en tant qu’autorité de surveillance au sein du MSU, et le CRU devraient être en mesure d’apprécier si un établissement de crédit est en situation de défaillance avérée ou prévisible, et s’il n’existe aucune perspective raisonnable qu’une autre mesure, de nature privée ou prudentielle, puisse empêcher sa défaillance dans un délai raisonnable. Le CRU, s’il estime réunis tous les critères relatifs au déclenchement de la résolution, devrait adopter le dispositif de résolution. La procédure relative à l’adoption du dispositif de résolution, qui suppose la participation de la Commission et du Conseil, renforce la nécessaire indépendance opérationnelle du CRU tout en respectant le principe de délégation des pouvoirs aux agences, selon l’interprétation qu’en donne la [Cour]. Par conséquent, le présent règlement prévoit que le dispositif de résolution adopté par le CRU entre en vigueur uniquement si le Conseil ou la Commission, dans un délai de vingt-quatre heures après l’adoption du dispositif de résolution par le CRU, n’émet aucune objection, ou le dispositif de résolution est approuvé par la Commission. Les raisons pour lesquelles le Conseil pourrait, sur proposition de la Commission, contester le dispositif de résolution du CRU devraient se limiter strictement à l’existence d’un intérêt public ou de modifications importantes apportées par la Commission au montant utilisé dans le cadre du Fonds [de résolution unique], tel que proposé par le CRU.

[...] »

8.

L’article 18 (« Procédure de résolution ») du règlement MRU prévoit :

« 1.   Le CRU n’adopte, en vertu du paragraphe 6, un dispositif de résolution à l’égard des entités et des groupes visés à l’article 7, paragraphe 2, et des entités et des groupes visés à l’article 7, paragraphe 4, [sous] b), et paragraphe 5, lorsque les conditions d’application de ces paragraphes sont remplies, que s’il estime en session exécutive, après réception d’une communication en vertu du quatrième alinéa ou de sa propre initiative, que les conditions suivantes sont remplies :

a)

la défaillance de l’entité est avérée ou prévisible ;

b)

compte tenu des délais requis et d’autres circonstances pertinentes, il n’existe aucune perspective raisonnable que d’autres mesures de nature privée, y compris des mesures prévues par un système de protection institutionnel, ou des mesures prudentielles, y compris des mesures d’intervention précoce ou la dépréciation ou la conversion d’instruments de fonds propres pertinents conformément à l’article 21, prises à l’égard de l’entité, empêchent sa défaillance dans un délai raisonnable ;

c)

une mesure de résolution est nécessaire dans l’intérêt public en vertu du paragraphe 5.

Une évaluation de la condition visée au premier alinéa, [sous] a), est réalisée par la BCE, après consultation du CRU. Le CRU, en session exécutive, ne peut réaliser une telle évaluation qu’après avoir informé la BCE de son intention et que si la BCE ne procède pas à cette évaluation dans les trois jours calendaires à compter de la réception de cette information. La BCE fournit sans retard au CRU toute information utile demandée par le CRU aux fins de son évaluation.

Lorsqu’elle estime que la condition visée au premier alinéa, [sous] a), est remplie pour une entité ou un groupe visés au premier alinéa, la BCE communique sans retard son évaluation à la Commission et au CRU.

L’évaluation de la condition visée au premier alinéa, [sous] b), est réalisée par le CRU, en session exécutive, ou, le cas échéant, par les autorités de résolution nationales, en étroite collaboration avec la BCE. La BCE peut aussi informer le CRU ou les autorités de résolution nationales concernées qu’elle juge remplie la condition fixée audit point.

[...]

4.   Aux fins du paragraphe 1, [sous] a), la défaillance d’une entité est réputée avérée ou prévisible si celle-ci se trouve dans l’une ou plusieurs des situations suivantes :

a)

l’entité enfreint les exigences qui conditionnent le maintien de l’agrément, ou des éléments objectifs permettent de conclure qu’elle les enfreindra dans un proche avenir, dans des proportions justifiant un retrait de l’agrément par la BCE, notamment mais pas exclusivement du fait que l’établissement a subi ou est susceptible de subir des pertes qui absorberont la totalité ou une partie substantielle de ses fonds propres ;

b)

l’actif de l’entité est inférieur à son passif, ou il existe des éléments objectifs permettant de conclure que cela se produira dans un proche avenir ;

c)

l’entité n’est pas en mesure de s’acquitter de ses dettes ou autres engagements à l’échéance, ou il existe des éléments objectifs permettant de conclure que cela se produira dans un proche avenir ;

d)

un soutien financier public exceptionnel est requis [...]

5.   Aux fins du paragraphe 1, [sous] c), du présent article, une mesure de résolution est considérée comme étant dans l’intérêt public si elle est nécessaire pour atteindre, par des moyens proportionnés, un ou plusieurs des objectifs de la résolution visés à l’article 14, alors qu’une liquidation de l’entité selon les procédures normales d’insolvabilité ne le permettrait pas dans la même mesure.

6.   Si les conditions fixées au paragraphe 1 sont remplies, le CRU adopte un dispositif de résolution. Le dispositif de résolution :

a)

soumet l’entité à une procédure de résolution ;

b)

détermine l’application des instruments de résolution à l’établissement soumis à une procédure de résolution visés à l’article 22, paragraphe 2, en particulier les exclusions de l’application du renflouement interne conformément à l’article 27, paragraphes 5 et 14 ;

c)

détermine le recours au Fonds [de résolution unique] à l’appui de la mesure de résolution, conformément à l’article 76 et selon une décision prise par la Commission conformément à l’article 19.

[...] »

9.

L’article 86 (« Recours devant la Cour de justice ») du règlement MRU dispose :

« 1.   Une décision prise par le comité d’appel ou, lorsqu’il n’existe pas de droit de recours auprès du comité d’appel, par le CRU, peut être contestée devant la [Cour] conformément à l’article 263 [TFUE].

2.   Les États membres et les institutions de l’Union, de même que toute personne physique ou morale, peuvent introduire un recours auprès de la [Cour] contre les décisions du CRU, conformément à l’article 263 [TFUE].

3.   Si le CRU est tenu d’agir et s’abstient de statuer, un recours en carence peut être formé devant la [Cour] conformément à l’article 265 [TFUE].

4.   Le CRU prend les mesures nécessaires pour se conformer à l’arrêt de la [Cour]. »

II. Les antécédents du litige

10.

Les antécédents du litige peuvent être résumés comme suit ( 6 ). ABLV Bank est un établissement de crédit établi en Lettonie et la société mère du groupe ABLV.

11.

ABLV Luxembourg est un établissement de crédit établi au Luxembourg. C’est l’une des filiales du groupe ABLV et ABLV Bank en est l’actionnaire unique.

12.

Ernests Bernis, Oļegs Fiļs, OF Holding SIA et Cassandra Holding Company SIA ( 7 ) sont des actionnaires, directs et indirects, d’ABLV Bank.

13.

ABLV Bank a été qualifiée d’« entité importante » et est soumise à ce titre à la surveillance de la BCE dans le cadre du MSU.

14.

Le 13 février 2018, le département du Trésor des États-Unis d’Amérique a publié son intention de prendre des mesures spéciales qui empêcheraient le groupe ABLV d’avoir accès au système financier en dollars des États-Unis (USD).

15.

Le 22 février 2018, la BCE a communiqué au CRU son projet d’évaluation relative à la situation de défaillance avérée ou prévisible en ce qui concerne ABLV Bank et ABLV Luxembourg, dans le but de consulter celui-ci conformément à l’article 18, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement MRU.

16.

Le 23 février 2018, la BCE a conclu que la défaillance d’ABLV Bank et d’ABLV Luxembourg était réputée avérée ou prévisible au sens de l’article 18, paragraphe 1, du règlement MRU. L’évaluation d’ABLV Bank et d’ABLV Luxembourg a été communiquée au CRU le même jour.

17.

Le 23 février 2018, le CRU a émis deux décisions (SRB/EES/2018/09 et SRB/EES/2018/10) en ce qui concerne respectivement ABLV Bank et ABLV Luxembourg. Dans ces deux décisions, il a souscrit aux évaluations de la défaillance avérée ou prévisible au sens de l’article 18, paragraphe 1, sous a), du règlement MRU, mais a considéré que, compte tenu des caractéristiques particulières de ces deux établissements ainsi que de leur situation financière et économique, leur résolution n’était pas nécessaire dans l’intérêt public.

18.

À cette même date du 23 février 2018, les deux décisions du CRU ont été notifiées aux autorités de résolution nationales (ci-après les « ARN ») de Lettonie et du Luxembourg, la Finanšu un kapitāla tirgus komisija (Commission des marchés financiers et des capitaux, Lettonie) et la Commission de surveillance du secteur financier (Luxembourg).

19.

ABLV Bank ainsi que les actionnaires directs et indirects ont chacun introduit un recours, devant le Tribunal, contre les déclarations de la BCE du 23 février 2018. Le recours d’ABLV Bank a été enregistré sous le numéro T‑281/18 et celui des actionnaires directs et indirects sous le numéro T‑283/18.

20.

Parallèlement, ABLV Bank et ses actionnaires directs et indirects ont chacun introduit un recours en annulation, devant le Tribunal (affaires T‑280/18 et T‑282/18, respectivement), contre les décisions du CRU du 23 février 2018 ( 8 ).

21.

Le 26 février 2018, les actionnaires d’ABLV Bank ont engagé une procédure permettant à cette dernière de mener à terme sa propre liquidation et ont soumis à l’ARN de Lettonie la demande d’approbation de son plan de liquidation volontaire.

22.

Le 11 juillet 2018, la BCE a retiré l’agrément d’ABLV Bank, à la suite de la proposition de l’ARN de Lettonie.

III. La procédure devant le Tribunal et les ordonnances attaquées

23.

ABLV Bank (affaire T‑281/18) et les actionnaires directs et indirects (affaire T‑283/18) ont invoqué devant le Tribunal les dix mêmes moyens d’annulation.

24.

Dans les deux affaires, la BCE a soulevé plusieurs exceptions d’irrecevabilité, sur le fondement de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, qui permet à la partie défenderesse de demander que le Tribunal statue sur l’irrecevabilité, sans engager le débat au fond.

25.

Par sa première exception d’irrecevabilité, la BCE a soutenu, en substance, que « les actes attaqués [étaient] des mesures préparatoires qui présent[ai]ent une évaluation des faits sans effet obligatoire, que ces actes n[’étaient] pas communiqués à l’établissement concerné mais au CRU, qu’ils n[’étaient] pas susceptibles de recours en annulation, mais qu’ils constitu[ai]ent la base de l’adoption, par le CRU, d’un dispositif de résolution ou d’une décision établissant qu’une résolution n’[était] pas dans l’intérêt public » ( 9 ).

26.

Le Tribunal a accueilli la première exception invoquée par la BCE, sans qu’il lui ait été nécessaire de se prononcer sur les autres.

IV. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

27.

Les deux pourvois, formés, respectivement, par ABLV Bank (affaire C‑551/19 P) et par ses actionnaires directs et indirects (affaire C‑552/19 P), présentent un contenu très similaire et ont donc été joints.

28.

Dans les deux pourvois, les parties requérantes concluent à ce qu’il plaise à la Cour :

annuler les ordonnances du Tribunal déclarant leurs recours en annulation irrecevables ;

juger les recours en annulation recevables ;

renvoyer les affaires devant le Tribunal afin que celui-ci statue sur le fond des recours, et

condamner la BCE aux dépens.

29.

La BCE conclut à ce qu’il plaise à la Cour rejeter les pourvois au motif que ceux-ci sont manifestement irrecevables, ou rejeter les pourvois comme étant en partie irrecevables et en partie infondés. Elle demande également que les requérants soient condamnés aux dépens.

30.

La Cour a admis la Commission à intervenir au soutien des conclusions de la BCE. La Commission conclut au rejet du recours comme étant infondé et demande à la Cour de remplacer le raisonnement exposé au point 34 des ordonnances attaquées.

31.

Lors de l’audience, qui s’est tenue le 22 octobre 2020, ABLV Bank, les actionnaires directs et indirects, la BCE et la Commission sont intervenus.

V. Analyse

A. Recevabilité

32.

Selon la BCE, les moyens de pourvoi ont trait à l’argument selon lequel l’évaluation de la défaillance, avérée ou prévisible, de l’établissement financier qu’effectue la BCE elle-même ne lie pas le CRU. Or, cet argument n’aurait pas constitué le fondement de la solution retenue par le Tribunal dans les ordonnances attaquées, de sorte que les moyens de pourvoi seraient inopérants.

33.

L’objection de la BCE ne saurait être accueillie.

34.

Il est vrai que le Tribunal a rejeté comme étant irrecevables les recours en annulation en se fondant sur le caractère préparatoire des évaluations de la défaillance réalisées par la BCE dans le cadre de la procédure de résolution des établissements financiers.

35.

Il parvient toutefois à cette conclusion après avoir procédé à une interprétation selon laquelle, en vertu de l’article 18 du règlement MRU, l’évaluation de la BCE « ne lie en rien le CRU » et la BCE « n’a aucun pouvoir de décision dans le cadre prévu pour l’adoption d’un dispositif de résolution » ( 10 ).

36.

En raisonnant de la sorte, le Tribunal considère que les évaluations de la BCE sont des actes préparatoires qui ne peuvent pas modifier la situation juridique des requérants puisqu’ils sont dépourvus de toute force juridique contraignante dans le cadre de la procédure de résolution bancaire.

37.

Le Tribunal met ainsi en évidence que, selon lui, l’absence de caractère contraignant (pour le CRU) des évaluations de la BCE est un élément clé dans le raisonnement qui aboutit au dispositif des ordonnances attaquées. Dans cette mesure, les parties requérantes au pourvoi peuvent le contester.

38.

Quant à la demande de la Commission portant sur le remplacement du point 34 des ordonnances attaquées, il convient de rappeler que cette institution participe à la procédure de pourvoi en tant que partie intervenante au soutien des conclusions de la BCE. Celles-ci ne tendent pas au remplacement du contenu du point 34 de ces ordonnances.

39.

L’article 40 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et les articles 129 et 132 de son règlement de procédure, applicables aux pourvois en vertu de l’article 190 dudit règlement, prévoient que l’intervention ne peut avoir d’autre objet que le soutien, total ou partiel, des conclusions de l’une des parties. Étant donné que la BCE conclut uniquement au rejet des pourvois (et à la condamnation des requérants aux dépens), la demande de la Commission va au-delà de ce que celle-ci est admise à solliciter dans le cadre de son intervention, de sorte que cette demande ne saurait être accueillie ( 11 ).

B. Sur le fond

40.

Les requérants invoquent deux moyens de pourvoi :

le Tribunal a commis une erreur de droit, enfreignant l’article 263 TFUE, en ne fondant pas les ordonnances attaquées sur la décision effectivement adoptée par la BCE ;

le Tribunal interprète de manière erronée l’article 18, paragraphe 1, du règlement MRU.

1.   Sur le premier moyen de pourvoi : violation de l’article 263 TFUE

a)   Argumentation des parties

41.

Même si la lecture du premier moyen de pourvoi ne permet pas de comprendre de façon parfaitement claire les allégations des parties qui l’invoquent, je pense que l’on peut discerner dans lesdites allégations les éléments des ordonnances attaquées dont l’exactitude est discutée.

42.

Si j’en ai fait bonne lecture, les requérants font valoir, dans leur premier moyen de pourvoi, des arguments visant à soutenir que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant irrecevables les recours en annulation sur le fondement des décisions que la BCE aurait dû adopter (conformément à l’interprétation de l’article 18 du règlement MRU qu’a lui-même effectuée le Tribunal) et non de celles qu’elle a réellement adoptées en ce qui concerne la défaillance avérée ou prévisible d’ABLV Bank.

43.

Selon les requérants, la thèse du Tribunal serait erronée, car la déclaration de défaillance avérée ou prévisible de la BCE, adoptée à l’égard d’ABLV Bank, constituerait un acte ayant des effets juridiques contraignants et des conséquences directes sur leur situation juridique.

44.

Partant de cette prémisse, les requérants reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit, consistant en une violation de l’article 263 TFUE, en ne fondant pas les ordonnances attaquées sur la décision effectivement adoptée par la BCE. Les recours en annulation auraient ainsi dû être déclarés recevables et il y aura lieu d’examiner, en tant que question de fond, la légalité du comportement de la BCE.

45.

Outre l’interprétation de l’article 18 du règlement MRU, les requérants avancent plusieurs éléments à l’appui de leur thèse. En particulier, ils relèvent que l’évaluation de la défaillance a été communiquée par la BCE à ABLV Bank et à ABLV Luxembourg ; que la BCE a rendu publiques les évaluations sur son site Internet, en indiquant qu’il s’agissait d’évaluations de la défaillance avérée ou prévisible au titre de l’article 18, paragraphe 1, sous a), du règlement MRU ; et que la BCE ne s’est pas bornée à transmettre des données factuelles sur la situation financière des banques.

46.

La BCE estime que les requérants n’identifient pas clairement l’erreur de droit constitutive d’une violation de l’article 263 TFUE qu’aurait commise le Tribunal. Du reste, la BCE et la Commission contestent les arguments des requérants.

b)   Appréciation

47.

Selon moi, bien que ce moyen de pourvoi ne brille pas précisément par sa clarté, la Cour doit le considérer comme étant recevable. La lecture de ce moyen, qui n’est pas aisée, aide à discerner l’erreur de droit reprochée au Tribunal, à savoir que celui-ci n’a pas fondé les ordonnances attaquées sur les décisions réellement adoptées par la BCE.

48.

Quant au fond, j’estime qu’il y a lieu de rejeter ce moyen de pourvoi.

49.

Le Tribunal ne s’est pas fondé, de manière abstraite, sur les décisions que la BCE aurait dû adopter concernant la viabilité d’ABLV Bank. Au contraire, il a pris en compte les décisions effectivement et réellement adoptées par la BCE, auxquelles il a appliqué, sans commettre la moindre erreur de droit, la jurisprudence de la Cour relative à la recevabilité des recours en annulation.

50.

Le Tribunal, je le répète, a pris en considération la jurisprudence de la Cour relative à la recevabilité des recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE ( 12 ). Conformément à cette jurisprudence :

peuvent seuls être attaqués par une personne physique ou morale, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, les actes produisant des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique ( 13 );

dans le cas d’actes intégrés à une procédure interne en plusieurs phases, seuls sont, en principe, des actes attaquables ceux fixant définitivement la position de l’institution au terme de la procédure, à l’exclusion des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale, et dont l’illégalité pourrait être utilement soulevée dans le cadre d’un recours dirigé contre celle-ci ( 14 ) ;

un acte intermédiaire n’est pas susceptible de recours s’il est établi « que l’illégalité attachée à cet acte pourra être invoquée à l’appui d’un recours dirigé contre la décision finale dont il constitue un acte d’élaboration. Dans de telles conditions, le recours introduit contre la décision mettant fin à la procédure assurera une protection juridictionnelle suffisante » ( 15 ) ;

il n’en serait autrement que si des actes ou des décisions pris au cours de la procédure préparatoire emportaient eux-mêmes le terme ultime d’une procédure spéciale distincte de celle qui doit permettre à l’institution de statuer sur le fond ( 16 ).

51.

Après avoir rappelé cette jurisprudence, qui n’est pas contestée par les requérants, le Tribunal a vérifié si, en l’espèce, les évaluations de la défaillance réalisées par la BCE, eu égard à leur substance, avaient des conséquences sur la situation juridique des requérants ou si, au contraire, elles étaient purement préparatoires à la décision finale du CRU concernant l’application ou non d’un dispositif de résolution ( 17 ).

52.

Selon le Tribunal, les évaluations de la défaillance réalisées par la BCE constituaient des mesures préparatoires au cours de la procédure visant à permettre au CRU de prendre une décision quant à la résolution des deux établissements bancaires, de sorte qu’elles ne pouvaient faire l’objet d’un recours direct en annulation.

53.

Le Tribunal, en interprétant l’article 18, paragraphe 1, du règlement MRU, a estimé que la décision relative à la pertinence ou non de l’application d’un dispositif de résolution incombait au CRU et que la BCE se limitait à communiquer son évaluation de la défaillance, avérée ou prévisible, de l’établissement bancaire. En ce sens, il a rappelé que les requérants avaient également introduit des recours en annulation contre les décisions du CRU dans les affaires T‑280/18 (ABLV Bank / CRU) et T‑282/18 (Bernis e.a. / CRU).

54.

Je ne vois aucune erreur dans ce raisonnement du Tribunal, qui, selon moi, est conforme à la jurisprudence de la Cour.

55.

Les requérants au pourvoi avancent plusieurs arguments, dont la plupart ont déjà été débattus et rejetés par le Tribunal, pour prouver que les évaluations de la défaillance réalisées par la BCE revêtaient réellement un caractère obligatoire et affectaient leurs intérêts, en modifiant de façon caractérisée leur situation juridique.

56.

Certaines de ces allégations se rapprochent de l’invocation d’une dénaturation des faits ( 18 ), même si les requérants ne font pas ce reproche au Tribunal ( 19 ). En tout état de cause, les arguments exposés dans ce premier moyen méritent d’être examinés au stade du pourvoi ( 20 ), car ils ne se limitent pas à répéter ou à reproduire textuellement, sans autre élément, ce qui a déjà été expliqué devant le Tribunal ( 21 ).

57.

Premièrement, les requérants soutiennent qu’il existe une présomption selon laquelle toute appréciation d’une autorité est contraignante, sauf si cette autorité affirme expressément le contraire.

58.

Cette affirmation ne saurait être admise. Une telle présomption ferait perdre son sens à la jurisprudence de la Cour obligeant à examiner le contenu et la nature d’un acte d’une institution de l’Union pour déterminer si cet acte est contraignant ou non. Si l’on suivait le raisonnement des requérants, tous les actes des institutions, organes et organismes de l’Union seraient contraignants, à moins qu’ils n’indiquent expressément le contraire, ce qui dépendrait de la volonté exclusive de leurs auteurs. Tel n’est manifestement pas le cas.

59.

Deuxièmement, les requérants affirment que, dans ses évaluations de la défaillance, la BCE procède à une analyse de proportionnalité et que ces évaluations auraient, dès lors, un caractère contraignant.

60.

Certes, de nombreux actes juridiques contraignants des institutions, organes et organismes de l’Union contiennent une analyse de la proportionnalité des mesures qu’ils comportent. Cependant, on ne saurait en déduire que tout acte qui contient une analyse de proportionnalité est contraignant. En tout état de cause, les requérants n’indiquent pas, dans le moyen de pourvoi, les raisons pour lesquelles la prétendue analyse de proportionnalité effectuée par la BCE dans ses évaluations de la défaillance conférerait à celles-ci des effets obligatoires ayant une incidence sur la situation juridique des banques concernées.

61.

Troisièmement, les requérants soutiennent que les évaluations de la défaillance réalisées par la BCE sont des actes contraignants, car la BCE a procédé à une annonce publique de leur élaboration et les a communiquées aux banques concernées.

62.

Cet argument ne saurait davantage prospérer. D’une part, il est basé sur une appréciation des faits non susceptible de contrôle dans le cadre d’un pourvoi : le Tribunal a considéré que « les actes attaqués n’ont pas fait l’objet d’une publication, mais que la BCE a publié deux communiqués qui ne constituent nullement les actes attaqués » ( 22 ).

63.

D’autre part, la publication de deux communiqués de presse concernant une évaluation de la défaillance n’implique pas que la BCE cherche à conférer à ces évaluations un caractère contraignant ou que ces évaluations possèdent par nature un tel caractère. Je reviendrai sur cet aspect ultérieurement.

64.

Quatrièmement, selon les requérants, le caractère contraignant des évaluations de la défaillance réalisées par la BCE découlerait du fait que la BCE elle-même et le CRU ont déclaré que la liquidation d’ABLV Bank et de sa filiale luxembourgeoise était inévitable.

65.

Cette déduction n’est pas fondée. Le contenu des évaluations de la défaillance n’avait pas pour objet de décider de la résolution des deux banques en application du droit letton et luxembourgeois, et ce n’était pas non plus l’intention de la BCE lorsqu’elle a adopté ces évaluations. Ce scénario a été la conséquence du fait que le CRU a décidé qu’il n’y avait pas d’intérêt public à appliquer des dispositifs de résolution aux deux établissements financiers, conformément au règlement MRU.

66.

Enfin, les requérants remettent en cause la référence, opérée par le Tribunal, au passage du jugement rendu le 9 mars 2018 par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg (Luxembourg), dans lequel il était indiqué que « les parties s’accord[ai]ent à dire que les évaluations et constats faits par la BCE et le CRU dans le cadre du Règlement ne s’impos[ai]ent pas au tribunal saisi de la présente demande » ( 23 ).

67.

Pour écarter cette critique, il suffit de relever que, par cette référence, le Tribunal ne faisait que corroborer son argument principal. Si la reproduction de ce passage ne constituait donc pas la ratio decidendi de l’ordonnance du Tribunal, le grief s’y rapportant qui est formulé dans le moyen de pourvoi devient inopérant.

68.

En somme, je propose à la Cour de rejeter ce premier moyen de pourvoi.

2.   Sur le second moyen de pourvoi : interprétation erronée de l’article 18, paragraphe 1, du règlement MRU

69.

Par leur second moyen de pourvoi, les requérants reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en interprétant strictement l’article 18, paragraphe 1, du règlement MRU, pour considérer que les évaluations de la défaillance réalisées par la BCE ne sont pas des actes attaquables.

70.

Les requérants soutiennent également que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la situation d’ABLV Bank et d’ABLV Luxembourg n’avait pas été modifiée par les évaluations de la défaillance réalisées par la BCE.

a)   Sur la première branche du moyen : interprétation erronée de l’article 18 du règlement MRU

1) Argumentation des parties

71.

Selon les requérants, l’article 18, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement MRU ne saurait recevoir l’interprétation retenue par le Tribunal (voulant qu’il ne prévoie qu’une communication non obligatoire d’informations par la BCE au CRU, lequel serait seul compétent pour adopter un dispositif de résolution).

72.

Les requérants soutiennent que l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible requiert une analyse juridique et une conclusion de même nature. L’article 18, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement MRU conférerait à la BCE la faculté de se prononcer avec des effets contraignants à l’égard du CRU.

73.

Le Tribunal aurait, en outre, porté atteinte à la cohérence des relations entre le système de surveillance prudentielle et le système de résolution des établissements de crédit. En vertu de ce système, l’autorité de surveillance (en l’occurrence la BCE) déterminerait si une banque est en situation de défaillance avérée ou prévisible et son appréciation lierait l’autorité de résolution.

74.

Enfin, les requérants affirment que le Tribunal n’a pas apprécié de manière adéquate l’équivalence fonctionnelle entre l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible et le retrait de l’agrément bancaire.

75.

La BCE et la Commission contestent ces arguments.

2) Appréciation

76.

Je suis d’avis, comme le Tribunal, que les évaluations de la défaillance avérée ou prévisible réalisées par la BCE doivent être qualifiées d’« actes préparatoires s’inscrivant dans la procédure de résolution des établissements bancaires ». Bien que l’un des raisonnements utilisés dans les ordonnances attaquées pour parvenir à cette qualification puisse être nuancé, j’estime que, en substance, ces raisonnements ne révèlent aucune erreur de droit.

77.

Pour aboutir à cette conclusion, j’examinerai, dans un premier temps, la procédure administrative complexe d’approbation des dispositifs de résolution. Dans un deuxième temps, je m’intéresserai à la question de la cohérence des relations entre le MSU et le MRU. Dans un troisième temps, je me pencherai sur l’éventuelle équivalence fonctionnelle entre l’évaluation de la défaillance et le retrait de l’agrément bancaire.

i) Sur la procédure administrative complexe d’approbation des dispositifs de résolution de l’article 18 du règlement MRU

78.

L’approbation des dispositifs de résolution des établissements financiers a de lourdes conséquences économiques et juridiques. C’est pourquoi le règlement MRU a organisé une procédure dans laquelle interviennent, ou peuvent participer, plusieurs institutions et une agence de l’Union.

79.

Le pouvoir décisionnel le plus important se concentre entre les mains du CRU. La BCE dispose d’un pouvoir d’initiative, non exclusif toutefois, et la Commission et le Conseil d’un pouvoir d’objection en dernier ressort, notamment dans les cas qui requièrent que le Fonds de résolution unique mobilise des montants ( 24 ).

80.

À la complexité de la procédure s’ajoute la célérité avec laquelle ces institutions et agences de l’Union doivent prendre leurs décisions afin d’éviter l’impact négatif de la résolution de l’établissement bancaire sur les marchés financiers. Cette célérité les oblige, d’ailleurs, de facto à avoir « préparé » la décision avant de lancer la procédure, qui débute et s’achève généralement en un week-end, pour profiter de la fermeture des marchés de valeurs mobilières.

81.

La complexité de la procédure décisionnelle résulte du fait qu’y interviennent ou peuvent y participer :

l’autorité de surveillance (BCE), qui a été chargée de la surveillance de la banque ayant des problèmes de solvabilité ;

l’autorité de résolution (CRU), à laquelle il incombe de décider si un dispositif de résolution doit être appliqué à l’établissement de crédit ;

la Commission et le Conseil, dont l’intervention s’impose du fait que le CRU est une agence de l’Union, à laquelle des compétences sont déléguées de manière limitée, et parce qu’il existe un Fonds de résolution unique ayant une composante intergouvernementale jusqu’à son unification définitive en 2024 ( 25 ).

82.

Il convient de préciser quels actes, dans le cadre de cette procédure complexe, sont purement préparatoires (non susceptibles de recours), afin de les distinguer des décisions finales susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation devant le Tribunal.

83.

La procédure de résolution ( 26 ) débute avec la déclaration de défaillance avérée ou prévisible de l’établissement bancaire ( 27 ). Cette déclaration, d’une certaine manière, met fin à la surveillance et alerte du risque pour la stabilité financière qu’implique la situation d’insolvabilité de l’établissement, de sorte que l’action de l’autorité de résolution peut être précisée.

84.

Bien qu’elle doive au préalable consulter le CRU ( 28 ), c’est en premier lieu à la BCE qu’incombe la responsabilité d’évaluer si la défaillance d’une banque soumise à sa surveillance est avérée ou prévisible. Si son évaluation est positive, la BCE la communique sans retard à la Commission et au CRU ( 29 ).

85.

Il est logique que la BCE soit la responsable principale s’agissant de l’évaluation de la défaillance, car il y a lieu de mettre en balance un ensemble d’éléments dont la connaissance directe relève de sa compétence, en tant qu’autorité de surveillance dans le cadre du MSU ( 30 ).

86.

Cependant, la BCE n’a pas le monopole de l’évaluation de la défaillance ( 31 ). Le CRU intervient de manière subsidiaire, étant donné qu’il ne peut réaliser une telle évaluation qu’après avoir informé la BCE de son intention et que si la BCE ne procède pas à cette évaluation dans les trois jours calendaires à compter de la réception de cette information. Dans ce cas, la BCE fournit sans retard au CRU toute information utile demandée par le CRU aux fins de son évaluation ( 32 ).

87.

Une fois que la BCE (ou, à titre subsidiaire, le CRU) a procédé à l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible, il appartient au CRU de déterminer s’il adopte, ou non, un dispositif de résolution. Pour décider de l’adoption d’un tel dispositif, il est indispensable que les trois conditions énoncées à l’article 18, paragraphe 1, du règlement MRU soient remplies :

confirmation du fait que la défaillance de l’établissement est avérée ou prévisible ;

absence de perspective raisonnable que d’autres mesures de nature privée empêchent la défaillance de l’établissement dans un délai raisonnable, compte tenu des délais requis et d’autres circonstances pertinentes ;

nécessité de la résolution dans l’intérêt public ( 33 ).

88.

Si le CRU constate que ces trois conditions sont réunies, il adopte, conformément à l’article 18, paragraphe 6, du règlement MRU, un dispositif de résolution qui : a) soumet l’établissement à une procédure de résolution ; b) détermine l’application des instruments de résolution visés à l’article 22, paragraphe 2 ; et c) se prononce sur « le recours au Fonds [de résolution unique] à l’appui de la mesure de résolution, conformément à l’article 76 et selon une décision prise par la Commission conformément à l’article 19 ».

89.

On déduit de cette description que la décision du CRU portant adoption du dispositif de résolution (ou par laquelle le CRU décide de ne pas appliquer un tel dispositif et renvoie au droit national aux fins de la liquidation de l’établissement bancaire) est le véritable acte final de la procédure. En cas d’intervention de la Commission ou du Conseil, les décisions de ces institutions présenteraient ce même caractère ( 34 ).

90.

L’acte définitif de la procédure de résolution étant donc la décision du CRU, l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible qui incombe à la BCE revêt le caractère d’un acte préparatoire dans le cadre de cette procédure, ainsi que le Tribunal l’a considéré à juste titre dans les ordonnances attaquées ( 35 ).

91.

On pourrait cependant se demander si, en dépit de sa qualité d’acte préparatoire, l’évaluation de la BCE peut produire des effets juridiques spécifiques pour les banques concernées (modification de leur situation juridique), avec pour conséquence que celles-ci, ou leurs actionnaires, pourraient directement introduire un recours en annulation contre cet acte.

92.

La réponse à cette interrogation doit être négative. L’incidence sur la situation juridique des banques concernées, qui pourrait justifier, le cas échéant, la recevabilité d’un recours en annulation devant le Tribunal ( 36 ), correspondrait éventuellement aux décisions du CRU, mais non aux déclarations de la BCE.

93.

Lors de l’audience, les requérants ont insisté, dans leurs plaidoiries, sur le défaut de protection juridictionnelle qui résulterait de l’application de la thèse retenue dans les ordonnances attaquées. Cependant, je ne pense pas qu’il existe un tel défaut de protection juridictionnelle, car l’illégalité (prétendue) du contenu des évaluations de la BCE peut être invoquée à l’appui d’un recours dirigé contre les décisions du CRU qui reprennent ce contenu et concluent la procédure.

94.

Un tel recours contre les décisions du CRU garantit une protection juridictionnelle suffisante pour ceux qui entendent dénoncer les vices pouvant avoir entaché les actes préparatoires de la BCE, dont les évaluations servent de base au CRU pour prendre ses propres décisions.

95.

La réponse négative est corroborée par le fait que les dispositifs de résolution n’ont pas à être contestés au moyen de recours « superflus » contre des actes préparatoires, alors que leur éventuelle illégalité peut être attaquée sans réserve dans le cadre de recours en annulation contre l’acte final du CRU, la protection juridictionnelle des intéressés étant ainsi garantie.

96.

Admettre la possibilité de deux séries parallèles de recours simultanés (les uns contre les évaluations de la défaillance réalisées par la BCE et les autres contre les décisions du CRU de la même date) ne contribue pas à une bonne administration de la justice et semble peu approprié en matière d’économie de procédure. La légalité des évaluations réalisées par la BCE, je le répète, peut être examinée dans le cadre des recours dirigés contre les décisions du CRU, sans que d’autres actions (superposées) visant spécifiquement à contester les déclarations de défaillance souscrites par la BCE ne soient nécessaires.

97.

L’irrecevabilité des recours formés contre les déclarations de défaillance de la BCE s’accorde, par ailleurs, avec les critères dégagés par la Cour dans l’arrêt Berlusconi et Fininvest et repris dans l’arrêt Iccrea Banca ( 37 ).

98.

Cette jurisprudence, bien qu’applicable, en principe, aux procédures administratives composites de type vertical, impliquant des autorités nationales et des institutions et organes ou organismes de l’Union (tels que la BCE et le CRU), est transposable à une procédure de l’Union à laquelle participent plusieurs institutions ou organes de celle-ci.

99.

En vertu des deux arrêts susmentionnés, le contrôle juridictionnel doit être exercé sur la décision finale de la procédure. C’est au juge saisi du recours contre ces actes finaux qu’il revient de statuer sur les éventuels griefs d’illégalité des actes préparatoires, à moins que ces actes ne lient l’institution qui détient le pouvoir de décision finale.

100.

Comme je l’ai expliqué, dans la procédure d’adoption de dispositifs de résolution, la décision finale incombe au CRU ( 38 ). Le seul point qu’il resterait à trancher est celui de savoir si l’évaluation de la défaillance réalisée par la BCE lie le CRU. Si tel était le cas, on pourrait se demander si cet acte de la BCE est susceptible de faire l’objet d’un recours spécifique, au motif qu’il possède une substance propre et qu’il affecte les droits des particuliers.

101.

La BCE peut déclencher la procédure de résolution d’une banque, en procédant à l’évaluation de la défaillance et en la transmettant au CRU. Si elle considère que l’établissement bancaire ne se trouve pas dans une situation de défaillance, elle ne doit rien transmettre au CRU et son évaluation ne produira pas le moindre effet sur cet établissement. Dans cette hypothèse, étant donné que la procédure de l’article 18 du règlement MRU n’est pas engagée, aucun recours en annulation intenté contre la BCE ne serait susceptible d’être introduit (ni même un recours en carence, car l’évaluation serait effectuée, son résultat ne faisant, cependant, pas état d’un risque de défaillance).

102.

Lorsque, au contraire, la BCE transmet son évaluation de la défaillance avérée ou prévisible, le CRU doit décider si un dispositif de résolution est adopté ou si l’établissement est liquidé en application du droit national.

103.

Or, les effets juridiques sur la banque n’existent pas avant que le CRU constate que les trois conditions susvisées de l’article 18, paragraphe 1, du règlement MRU sont réunies. En elle-même, l’évaluation de la BCE ne produit pas d’effets juridiques contraignants (sous réserve de ce que j’indiquerai plus loin), car, j’insiste, il est nécessaire que le CRU se prononce sur la réunion de ces trois conditions pour appliquer un dispositif de résolution.

104.

En présence d’une déclaration de défaillance avérée ou prévisible de la BCE, le CRU ne peut s’abstenir de prendre une décision : si, contrairement au point de vue de la BCE, il estime que l’établissement n’est pas en situation de défaillance avérée ou prévisible, le CRU lui-même doit écarter l’application d’un dispositif de résolution. Cette décision constituerait donc l’acte définitif susceptible de recours : l’évaluation de la BCE aurait le caractère d’un acte préparatoire dont la légalité pourrait être contestée dans le cadre de ce recours contre la décision finale du CRU.

105.

Dans le même sens, l’article 86, paragraphe 1, du règlement MRU prévoit uniquement la possibilité de former un recours en annulation contre les décisions du CRU (ou du comité d’appel, le cas échéant), mais il ne mentionne pas les évaluations de la défaillance avérée ou prévisible de la BCE.

106.

L’évaluation de la défaillance réalisée par la BCE oblige le CRU à prendre une décision finale sur l’adoption d’un dispositif de résolution, mais n’en conditionne pas le contenu : le CRU dispose également de la capacité d’apprécier la défaillance avérée ou prévisible au moment de prendre une décision.

107.

En somme, le pouvoir de la BCE se limite au déclenchement de la procédure. Bien qu’une différence d’approche entre l’autorité de surveillance et l’autorité de résolution concernant la défaillance d’une banque soit difficilement envisageable (l’article 18 du règlement MRU incite ces autorités à coopérer), les fonctions et les responsabilités de l’une et de l’autre sont différentes ( 39 ).

108.

Le Tribunal affirme que la déclaration de défaillance de la BCE n’est « qu[’]une évaluation, qui ne lie en rien le CRU ». Une telle affirmation, qui est compréhensible et correcte dans le contexte du point 34 des ordonnances attaquées, doit être nuancée.

109.

L’organe qui, véritablement, détient le pouvoir de décision finale dans la procédure de résolution est le CRU, et non la BCE. Celle-ci possède, cependant, la capacité de déclencher cette procédure et, ainsi, d’« obliger » le CRU à prendre une décision, après lui avoir communiqué le résultat de son évaluation de la défaillance. Ce n’est qu’en ce sens que la déclaration de la BCE a des effets contraignants pour le CRU, mais ces effets sont de nature procédurale et ne concernent pas le fond de l’évaluation, dont le CRU pourrait s’écarter.

110.

Lors de l’audience, la Commission a insisté sur le fait que la déclaration de défaillance de la BCE jouissait d’une « autorité », qui découle de la meilleure connaissance par la BCE de la situation des banques soumises à sa surveillance, mais elle n’est pas allée jusqu’à proposer que son contenu lie le CRU au point de prédéterminer, dans tous ses aspects, la décision ultérieure de celui-ci.

111.

Je ne vois pas d’inconvénient à admettre que l’évaluation de la BCE puisse être revêtue d’auctoritas, au sens classique du terme, et que le CRU ne pourrait manquer de tenir compte de cette évaluation ou d’en rejeter le contenu sans examen critique. Cependant, cela n’implique pas que cette évaluation soit, en outre, dotée de la potestas inhérente aux décisions juridiques qui s’imposent dans les relations entre institutions, lorsque l’une d’elles ne peut s’écarter, quant au fond, de ce qu’une autre a convenu ou décidé ( 40 ). C’est en cela, précisément, que consiste le caractère contraignant.

ii) Sur la cohérence des relations entre le système de surveillance prudentielle et le système de résolution des établissements de crédit

112.

Les requérants soutiennent, en des termes qui ne sont guère bien précis, que la solution retenue par le Tribunal est entachée d’une erreur de droit, car elle irait à l’encontre de l’articulation adéquate des relations entre le MSU et le MRU.

113.

Selon eux, l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible d’un établissement de crédit doit toujours incomber, de manière contraignante, à l’autorité de surveillance (en l’occurrence la BCE), et il serait illogique de permettre que le CRU adopte une résolution bancaire contre l’avis de l’autorité de surveillance.

114.

Cet argument ne tient pas compte du fait que le CRU dispose d’un pouvoir subsidiaire pour effectuer directement l’évaluation de la défaillance, lorsque la BCE ne l’a pas réalisée.

115.

L’article 18, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement MRU prévoit que le CRU, en session exécutive, ne peut effectuer une telle évaluation qu’après avoir informé la BCE de son intention et que si la BCE ne procède pas à cette évaluation dans les trois jours calendaires à compter de la réception de cette information. La BCE fournit sans retard au CRU toute information utile demandée par le CRU afin de faire son évaluation.

116.

Même s’il ne serait pas habituel que cette situation se produise (la BCE, en tant qu’autorité de surveillance, est celle qui traite des informations pertinentes aux fins de l’évaluation), le règlement MRU permet au CRU de déclencher la procédure de résolution sans disposer de l’évaluation de la BCE.

117.

Le raisonnement avancé par les requérants dans cette partie de cette branche du second moyen de pourvoi doit donc être rejeté.

iii) Sur l’éventuelle équivalence fonctionnelle entre l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible et le retrait de l’agrément bancaire

118.

Les requérants invoquent de nouveau au stade du pourvoi une équivalence entre l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible et le retrait de l’agrément bancaire.

119.

Le Tribunal leur a déjà fourni une réponse appropriée dans les ordonnances attaquées. Il a indiqué que, « s’il est vrai qu’une telle évaluation peut se fonder sur l’appréciation du fait que les conditions de maintien de l’agrément ne sont plus réunies en vertu de l’article 18, paragraphe 4, sous a), du règlement [MRU], ces deux actes ne sont nullement équivalents. À cet égard, il suffit de constater que les conditions du retrait de l’agrément énumérées à l’article 18 de la directive 2013/36/UE [ ( 41 )] diffèrent manifestement des considérations sous-tendant l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible, telles qu’elles sont présentées à l’article 18, paragraphe 4, du règlement [MRU] » ( 42 ).

120.

Les requérants réitèrent, à cet égard, les arguments qu’ils ont avancés devant le Tribunal, sans ajouter d’autres arguments pertinents, de sorte que cette partie de cette branche du moyen de pourvoi ne saurait être recevable.

121.

En tout état de cause, le raisonnement du Tribunal est correct : l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible d’un établissement de crédit se distingue de l’adoption d’une décision concernant le retrait de son agrément pour exercer.

122.

On saurait encore moins déduire, comme le font les requérants, que l’adoption de la décision de retrait par l’autorité de surveillance implique que ce doive être cette autorité, de manière exclusive, qui réalise l’évaluation de la défaillance.

123.

En définitive, cette branche du second moyen de pourvoi doit également être rejetée.

b)   Sur la seconde branche du second moyen de pourvoi : la modification de la situation juridique d’ABLV Bank et d’ABLV Luxembourg

1) Argumentation des parties

124.

Outre l’erreur dans l’interprétation de l’article 18 du règlement MRU, les requérants critiquent ce qu’ils qualifient d’« arguments erronés » du Tribunal concernant la modification de leur situation juridique, en conséquence de l’évaluation de la défaillance réalisée par la BCE.

125.

Premièrement, ils soutiennent que leur situation juridique a été modifiée par la publication, par la BCE, de ses évaluations de la défaillance avérée ou prévisible, ce qui en ferait des actes attaquables.

126.

Deuxièmement, ils estiment que le Tribunal a commis une erreur, au point 47 des ordonnances attaquées, en considérant que le texte pertinent était celui communiqué en interne par la BCE au CRU, indépendamment de la publication opérée par la BCE.

127.

Troisièmement, ils affirment que le Tribunal a commis une nouvelle erreur de droit en fondant sa décision sur la jurisprudence qu’il cite ( 43 ) pour soutenir que l’évaluation de la défaillance réalisée par la BCE n’est pas un acte attaquable.

128.

La BCE et la Commission contestent ces arguments.

2) Appréciation

129.

Dans la mesure où les requérants répètent, dans le cadre de cette branche du second moyen de pourvoi, des arguments déjà exposés dans les branches précédentes, les indications que j’ai données dans d’autres points des présentes conclusions valent pour ces arguments.

130.

Il me semble opportun de relever, en outre, que les requérants font uniquement référence aux effets juridiques des déclarations de défaillance adoptées par la BCE (c’est-à-dire aux effets sur leur situation juridique). L’incidence éventuelle de ces déclarations sur la situation économique des établissements bancaires concernés reste en dehors de la discussion.

131.

Or, en réponse aux questions de la Cour lors de l’audience, les requérants ne sont parvenus à discerner aucune règle dont on pourrait déduire que la déclaration de défaillance réalisée par la BCE est, en elle-même, de nature à modifier leur situation juridique.

i) Sur la publication de la déclaration de défaillance

132.

Les évaluations de la défaillance réalisées par la BCE et les décisions du CRU concernant ABLV Bank et ABLV Luxembourg ont été révélées à la même date, le 24 février 2018.

133.

Les décisions du CRU sont officiellement publiées en tant qu’acte final de la procédure, acte qui a clairement une incidence sur la situation juridique des établissements qu’il concerne. Or, l’évaluation de la BCE a fait l’objet d’un simple communiqué de presse ( 44 ).

134.

L’éventuelle modification de la situation juridique des banques résulterait, le cas échéant, de la décision finale du CRU, qui a été officiellement publiée. Le communiqué de presse de la BCE concernant son évaluation de la défaillance des deux établissements de crédit est intervenu du fait que le CRU a adopté et publié sa décision définitive.

135.

Selon les indications fournies par la BCE dans son mémoire en duplique ( 45 ), si le CRU n’adopte aucune décision finale dans la procédure, l’évaluation de la défaillance que réalise la BCE n’est pas rendue publique, afin qu’elle n’ait pas de répercussions économiques négatives sur les établissements de crédit examinés.

136.

En toute logique, la BCE ne communique pas non plus son évaluation avant que le CRU ne rende publique sa décision finale, afin de neutraliser ces éventuelles répercussions économiques négatives. Dans la pratique suivie jusqu’à présent, qui a été respectée en l’espèce, la décision du CRU et le communiqué de presse de la BCE sont publiés simultanément.

137.

En théorie, la BCE pourrait publier sa déclaration relative à la défaillance d’un établissement de crédit sans que le CRU ait adopté la décision finale dans le cadre de la procédure de résolution de l’article 18 du règlement MRU. Une telle hypothèse ne s’étant pas réalisée en l’espèce, il n’est pas nécessaire d’examiner les répercussions de ce comportement sur la situation de l’établissement bancaire concerné.

138.

Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, le premier argument des requérants dans cette seconde branche du second moyen de pourvoi doit être rejeté.

ii) Sur les différences entre la déclaration de défaillance et le communiqué rendu public par la BCE

139.

Le deuxième argument avancé dans cette branche du moyen de pourvoi doit également être écarté, car il repose sur une mauvaise compréhension du point 47 des ordonnances attaquées.

140.

S’appuyant sur les considérations qu’il avait exposées aux points 32 à 36 desdites ordonnances, le Tribunal y a déduit qu’« il ressort de la substance des actes attaqués qu’il ne s’agit nullement de décisions, mais de mesures préparatoires ».

141.

Or, ce raisonnement (dont j’ai déjà analysé l’exactitude au fond) avait pour effet d’anéantir le grief formulé par les requérants en annulation, selon lequel la déclaration de défaillance différait de ce qui avait été publié sur le site Internet de la BCE.

142.

Ce qui importait, en tout état de cause, était que l’acte de la BCE visé par le recours (la déclaration de défaillance) n’était pas susceptible de faire l’objet d’un recours autonome devant le Tribunal.

iii) Sur la jurisprudence citée dans les ordonnances attaquées

143.

Le troisième et dernier argument avancé dans cette branche du moyen de pourvoi revêt un caractère circulaire et doit également être rejeté. Les requérants soutiennent que la jurisprudence citée par le Tribunal concerne des cas dans lesquels existaient des doutes quant à la possibilité d’attaquer l’acte dans le cadre d’un recours en annulation, circonstance qui, selon eux, fait défaut en l’espèce.

144.

Comme je l’ai déjà indiqué, le litige portait sur la possibilité de demander directement l’annulation d’une évaluation de la défaillance adoptée par la BCE, séparément du recours dirigé contre la décision définitive du CRU dans une procédure de résolution bancaire.

145.

Or, la jurisprudence citée par le Tribunal était pertinente pour juger de la recevabilité de cette action précise intentée par les requérants. Cette jurisprudence fournit les indications permettant de discerner les cas dans lesquels il est possible de contester les actes successifs adoptés par les institutions de l’Union dans des procédures administratives complexes, telles que celle examinée en l’espèce.

146.

En définitive, la seconde branche du second moyen de pourvoi doit également être rejetée, tout comme le reste du recours.

VI. Sur les dépens

147.

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

148.

Conformément à l’article 184, paragraphe 1, lu en combinaison avec l’article 140, paragraphe 1, dudit règlement, la Commission, en tant que partie intervenante aux litiges, supporte ses propres dépens.

VII. Conclusion

149.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer de la manière suivante :

1)

Les pourvois sont rejetés comme étant, en partie, irrecevables et, en partie, dénués de fondement.

2)

ABLV Bank AS est condamnée aux dépens dans l’affaire C‑551/19 P, et Ernests Bernis, Oļegs Fiļs, OF Holding SIA et Cassandra Holding Company SIA sont condamnés aux dépens dans l’affaire C‑552/19 P.

3)

La Commission européenne supporte ses propres dépens.


( 1 ) Langue originale : l’espagnol.

( 2 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 15 juillet 2014 établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) no 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1, ci-après le « règlement MRU »).

( 3 ) Ci-après les « ordonnances attaquées ».

( 4 ) Ordonnance du 6 mai 2019, ABLV Bank/BCE (T‑281/18, EU:T:2019:296).

( 5 ) Ordonnance du 6 mai 2019, Bernis e.a./BCE (T‑283/18, non publiée, EU:T:2019:295).

( 6 ) L’exposé des antécédents est tiré de l’ordonnance du 6 mai 2019, ABLV Bank/BCE (T‑281/18, EU:T:2019:296, points 1 à 9).

( 7 ) Ci-après les « actionnaires directs et indirects ».

( 8 ) Le traitement de l’affaire T‑280/18, ABLV Bank/CRU, devant le Tribunal est suspendu, dans l’attente de la décision sur les présents pourvois. Le recours dans l’affaire T‑282/18 a été déclaré irrecevable par le Tribunal dans l’ordonnance du 14 mai 2020, Bernis e.a./CRU (T‑282/18, non publiée, EU:T:2020:209).

( 9 ) Ordonnances attaquées, point 17.

( 10 ) Ordonnances attaquées, point 34.

( 11 ) La Commission demandait à la Cour de clarifier deux aspects du point 34 des ordonnances attaquées : a) l’éventuelle intervention de la Commission et du Conseil dans la procédure de résolution ; et b) le degré de caractère contraignant pour le CRU de l’évaluation de la BCE. Sur ce dernier point, la Cour devra se prononcer dans le cadre de l’examen du pourvoi ; en revanche, il n’est pas nécessaire de s’étendre sur les éventuelles interventions de la Commission et du Conseil, qui, en l’espèce, n’ont finalement pas eu lieu.

( 12 ) Ordonnances attaquées, points 29 à 32.

( 13 ) Arrêts du 11 novembre 1981, IBM/Commission (60/81, EU:C:1981:264, point 9), et du 18 juin 2020, Commission/RQ (C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 44) : « seuls font grief [...] les actes ou les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter directement et immédiatement les intérêts du requérant en modifiant, de façon caractérisée, la situation juridique de celui-ci ».

( 14 ) Arrêt du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission (C‑463/10 P et C‑475/10 P, EU:C:2011:656, point 50).

( 15 ) Arrêts du 11 novembre 1981, IBM/Commission (60/81, EU:C:1981:264, point 12) ; du 24 juin 1986, AKZO Chemie et AKZO Chemie UK/Commission (53/85, EU:C:1986:256, point 19), et du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission (C‑463/10 P et C‑475/10 P, EU:C:2011:656, point 53).

( 16 ) Arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission (60/81, EU:C:1981:264, point 11).

( 17 ) Ordonnances attaquées, point 33.

( 18 ) Il y a dénaturation des faits lorsque, sans avoir recours à de nouveaux éléments de preuve, l’appréciation des éléments de preuve existants apparaît manifestement erronée. Cette dénaturation doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves. Lorsqu’un requérant allègue une dénaturation d’éléments de preuve par le Tribunal, il doit indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par celui-ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation (arrêts du 3 décembre 2015, Italie/Commission, C‑280/14 P, EU:C:2015:792, point 52, et du 19 septembre 2019, Pologne/Commission, C‑358/18 P, non publié, EU:C:2019:763, point 45).

( 19 ) Ils l’affirment au point 42 de leur mémoire en réplique.

( 20 ) Conformément à une jurisprudence constante, « dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être à nouveau discutés dans le cadre d’un pourvoi. En effet, si un requérant ne pouvait fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et des arguments déjà utilisés devant le Tribunal, la procédure de pourvoi serait privée d’une partie de son sens » (arrêts du 20 septembre 2016, Mallis e.a./Commission et BCE, C‑105/15 P à C‑109/15 P, EU:C:2016:702, point 36 et jurisprudence citée, ainsi que du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 42).

( 21 ) « [L]es points de droit examinés en première instance peuvent être à nouveau discutés au cours d’un pourvoi, dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal. En effet, si un requérant ne pouvait fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et des arguments déjà utilisés devant le Tribunal, la procédure de pourvoi serait privée d’une partie de son sens » (voir arrêt du 3 décembre 2015, Italie/Commission, C‑280/14 P, EU:C:2015:792, point 43, ainsi que ordonnance du 5 septembre 2019, Iceland Foods/EUIPO, C‑162/19 P, non publiée, EU:C:2019:686, point 5).

( 22 ) Ordonnances attaquées, point 45.

( 23 ) Ordonnances attaquées, point 48.

( 24 ) Immédiatement après son adoption, le CRU transmet le dispositif de résolution à la Commission qui, dans un délai de vingt-quatre heures, soit approuve le dispositif de résolution, soit émet des objections sur les aspects discrétionnaires du dispositif de résolution. Si la Commission estime que la décision du CRU ne satisfait pas au critère de l’intérêt public ou qu’elle entraîne une modification importante du montant du Fonds de résolution unique, elle peut, dans un délai de douze heures, proposer au Conseil, qui statue à la majorité simple, d’émettre des objections concernant cette décision. La décision du CRU entre en vigueur si, dans un délai de vingt-quatre heures, il n’y a pas d’objections de la part de la Commission ou du Conseil. En cas d’objections du Conseil sur la contribution du Fonds de résolution unique, ou de la Commission sur des aspects discrétionnaires du dispositif de résolution, le CRU peut modifier sa proposition dans un délai de huit heures. En vertu de l’article 18, paragraphe 8, du règlement MRU, si le Conseil s’oppose à ce qu’un établissement soit soumis à une procédure de résolution au motif que le critère de l’intérêt public n’est pas rempli, l’entité concernée est liquidée de manière ordonnée conformément au droit national applicable.

( 25 ) Voir considérant 24 du règlement MRU.

( 26 ) L’article 18 du règlement MRU reprend, en grande partie, le contenu de l’article 32 de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) no 1093/2010 et (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190).

( 27 ) Les aspects matériels de l’évaluation de la défaillance, ainsi que certains éléments procéduraux, ont été détaillés dans les orientations ABE/GL/2015/07 de l’Autorité bancaire européenne, du 6 août 2015, sur l’interprétation des différentes situations dans lesquelles la défaillance d’un établissement est considérée comme avérée ou prévisible en vertu de l’article 32, paragraphe 6, de la [directive 2014/59].

( 28 ) Article 18, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement MRU.

( 29 ) Article 18, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement MRU.

( 30 ) Ces éléments, mentionnés à l’article 18, paragraphe 4, du règlement MRU, sont :

– l’appréciation du respect des exigences conditionnant le maintien de l’agrément aux fins de l’exercice de l’activité bancaire, ainsi que de la justification du retrait de l’agrément par la BCE, notamment mais pas exclusivement du fait que l’établissement a subi ou est susceptible de subir des pertes qui absorberont la totalité ou une partie substantielle de ses fonds propres ;

– la vérification du fait que « l’actif de l’entité est inférieur à son passif, ou [qu’]il existe des éléments objectifs permettant de conclure que cela se produira dans un proche avenir » ;

– la constatation du fait que « l’entité n’est pas en mesure de s’acquitter de ses dettes ou autres engagements à l’échéance, ou [qu’]il existe des éléments objectifs permettant de conclure que cela se produira dans un proche avenir » ;

– la nécessité d’un soutien financier public exceptionnel, sous réserve de certaines exceptions.

( 31 ) L’article 21, paragraphe 2, du règlement MRU prévoit une autre modalité d’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible, aux fins de décider de la dépréciation et conversion d’instruments de fonds propres. Cette évaluation coïncide avec celle prévue à l’article 18 de ce règlement.

( 32 ) Article 18, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement MRU.

( 33 ) Conformément à l’article 18, paragraphe 5, du règlement MRU, « une mesure de résolution est considérée comme étant dans l’intérêt public si elle est nécessaire pour atteindre, par des moyens proportionnés, un ou plusieurs des objectifs de la résolution visés à l’article 14, alors qu’une liquidation de l’entité selon les procédures normales d’insolvabilité ne le permettrait pas dans la même mesure ».

( 34 ) En l’espèce, il y a seulement eu deux décisions du CRU, datées du 23 février 2018 (SRB/EES/2018/09 et SRB/EES/2018/10), et aucune décision de la Commission ni du Conseil. Le CRU a estimé qu’il n’était pas pertinent d’adopter un dispositif de résolution et l’a ainsi notifié aux ARN de Lettonie et du Luxembourg.

( 35 ) La proximité dans le temps d’un acte (l’évaluation de la défaillance) et d’un autre (la décision du CRU) ne saurait susciter de confusion quant à leur différence de nature. En l’espèce, les évaluations de la défaillance réalisées par la BCE et les décisions du CRU datent du même jour. Voir les informations disponibles sur la page suivante : https://srb.europa.eu/en/node/495.

( 36 ) Comme il a déjà été indiqué, ABLV Bank ainsi que ses actionnaires directs et indirects ont chacun introduit un recours en annulation des actes du CRU devant le Tribunal. Sur l’issue de ces recours, voir note en bas de page 8 des présentes conclusions.

( 37 ) Respectivement arrêts du 19 décembre 2018 (C‑219/17, EU:C:2018:1023), et du 3 décembre 2019 (C‑414/18, EU:C:2019:1036).

( 38 ) Dans le cadre du MRU, comme l’indique le considérant 11 du règlement MRU, « un pouvoir de résolution centralisé est institué et conféré au [CRU] institué conformément au présent règlement et aux [ARN] ».

( 39 ) Des consultations et échanges d’informations entre ces deux autorités sont prévus aux points 32 à 38 des orientations ABE/GL/2015/07 de l’Autorité bancaire européenne, du 6 août 2015, sur l’interprétation des différentes situations dans lesquelles la défaillance d’un établissement est considérée comme avérée ou prévisible en vertu de l’article 32, paragraphe 6, de la [directive 2014/59].

( 40 ) L’article 266 TFUE fournit un exemple paradigmatique de décisions contraignantes.

( 41 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE (JO 2013, L 176, p. 338).

( 42 ) Ordonnances attaquées, point 46.

( 43 ) Ordonnances attaquées, points 29 à 32.

( 44 ) Le communiqué de presse est disponible sur le site Internet de la BCE : https://www.bankingsupervision.europa.eu/press/pr/date/2018/html/ssm.pr180224.en.html.

( 45 ) Mémoire en duplique de la BCE, point 19.