ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

23 septembre 2020 ( *1 )

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de la Syrie – Gel des fonds – Erreur d’appréciation – Droit de propriété – Proportionnalité – Atteinte à la réputation – Détermination des critères d’inscription »

Dans l’affaire T‑510/18,

Khaled Kaddour, demeurant à Damas (Syrie), représenté par Mmes V. Davies, V. Wilkinson, solicitors, M. R. Blakeley, barrister, et Mme M. Lester, QC,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. V. Piessevaux et Mme T. Haas, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (PESC) 2018/778 du Conseil, du 28 mai 2018, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2018, L 131, p. 16), et du règlement d’exécution (UE) 2018/774 du Conseil, du 28 mai 2018, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2018, L 131, p. 1), en tant que ces actes visent le requérant,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise et J. Martín y Pérez de Nanclares (rapporteur), juges,

greffier : Mme E. Artemiou, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 5 mars 2020,

rend le présent

Arrêt ( 1 )

I. Antécédents du litige

1

Le requérant, M. Khaled Kaddour, est un homme d’affaires de nationalité syrienne qui développe une activité commerciale, notamment, dans le domaine des télécommunications et du pétrole.

[omissis]

B.   Sur la réinscription et le maintien du nom du requérant sur les listes de personnes visées par des mesures restrictives

[omissis]

20

Le 12 octobre 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/1836 modifiant la décision 2013/255 (JO 2015, L 266, p. 75). Le même jour, il a adopté le règlement (UE) 2015/1828 modifiant le règlement no 36/2012 (JO 2015, L 266, p. 1).

21

Aux termes du considérant 6 de la décision 2015/1836, « [l]e Conseil a estimé que, en raison du contrôle étroit exercé sur l’économie par le régime syrien, un cercle restreint de femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie n’[était] en mesure de maintenir son statut que grâce à des liens étroits avec le régime et au soutien de celui-ci, ainsi qu’à l’influence exercée en son sein », et « le Conseil estime qu’il devrait prévoir des mesures restrictives pour imposer des restrictions à l’admission des femmes et des hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie, identifiés par le Conseil et dont la liste figure à l’annexe I, ainsi que pour geler tous les fonds et ressources économiques qui leur appartiennent, qui sont en leur possession, ou qui sont détenus ou contrôlés par eux, afin de [les] empêcher de fournir un soutien matériel ou financier au régime et, par l’influence qu’ils exercent, d’accroître la pression sur le régime lui-même afin qu’il modifie sa politique de répression ».

22

La rédaction des articles 27 et 28 de la décision 2013/255 a été modifiée par la décision 2015/1836. Ces articles prévoient désormais des restrictions à l’entrée ou au passage en transit sur le territoire des États membres ainsi que le gel des fonds des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie », sauf « informations suffisantes indiquant [que ces personnes] ne sont pas, ou ne sont plus, lié[e]s au régime ou qu’[elles] n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’[elles] ne sont pas associé[e]s à un risque réel de contournement ».

23

Le règlement 2015/1828 a modifié, notamment, la rédaction de l’article 15 du règlement no 36/2012 afin d’y intégrer les nouveaux critères d’inscription définis par la décision 2015/1836 et introduits dans la décision 2013/255.

[omissis]

2. Sur les motifs d’inscription et la détermination des critères d’inscription

66

Compte tenu de ce que, lors de l’audience, le requérant et le Conseil ont échangé sur le fait de savoir si le nom du requérant avait été maintenu sur les listes en cause en raison de deux ou de trois motifs d’inscription, le Tribunal estime nécessaire d’apporter les précisions suivantes.

67

En l’espèce, ainsi qu’il ressort du point 27 ci-dessus, les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause n’ont pas été modifiés par rapport à la décision 2016/850 et au règlement d’exécution 2016/840, et sont les suivants :

« Homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, ayant des intérêts et/ou activités dans les secteurs des télécommunications, du pétrole et de l’industrie des matières plastiques, et entretenant des relations d’affaires étroites avec Maher Al-Assad.

Du fait de ses activités commerciales, il tire avantage du régime syrien et le soutient.

Il fait partie de l’entourage de Maher Al-Assad du fait, notamment, de ses activités commerciales. »

68

Selon l’article 28, paragraphe 1, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836 :

« 1.   Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant à des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie, à des personnes et entités bénéficiant des politiques menées par le régime ou soutenant celui-ci et à des personnes et entités qui leur sont liées, dont les listes figurent aux annexes I et II, de même que tous les fonds et ressources économiques qu’elles possèdent, détiennent ou contrôlent.

2.   Conformément aux évaluations et aux constatations faites par le Conseil dans le contexte de la situation en Syrie énoncées aux considérants 5 à 11, sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes relevant des catégories suivantes, de même que tous les fonds et ressources économiques qu’elles possèdent, détiennent ou contrôlent, à savoir :

a)

les femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie ; […]

3.   Les personnes, entités ou organismes relevant de l’une des catégories visées au paragraphe 2 ne sont pas inscrits ou maintenus sur les listes des personnes et entités qui figurent à l’annexe I s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’ils ne sont pas, ou ne sont plus, liés au régime ou qu’ils n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’ils ne sont pas associés à un risque réel de contournement. »

69

L’article 15, paragraphe 1, sous a), paragraphe 1 bis, sous a), et paragraphe 1 ter, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, est rédigé dans des termes quasi identiques.

70

Au regard de la formulation des motifs d’inscription du nom du requérant et de celle des critères d’inscription, il convient de considérer que, en l’espèce, trois motifs d’inscription ont été retenus à son égard. Le premier alinéa, qui correspond au premier motif, est relatif à la qualité d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, le deuxième alinéa, qui correspond au deuxième motif, concerne le bénéfice tiré du régime syrien et le soutien donné à celui-ci et, le troisième alinéa, qui correspond au troisième motif, est relatif au lien avec le régime syrien.

71

Il en résulte que le premier motif d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause est fondé sur le critère légal défini à l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et à l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828 (critère d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie) et que les deuxième et troisième motifs d’inscription du nom du requérant sont fondés sur le critère légal défini à l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et à l’article 15, paragraphe 1, sous a), du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828 (critère d’association avec le régime) en raison soit de l’avantage qu’il tire du régime syrien et du soutien qu’il lui apporte, soit de son lien avec M. M. Al-Assad, personnalité clé du régime syrien.

72

Dans la mesure où le Conseil a avancé, lors de l’audience, qu’il ne fallait pas interpréter la référence aux bénéfices tirés du régime syrien et au soutien apporté audit régime comme un troisième motif d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, ce à quoi le requérant ne s’est pas opposé, le Tribunal juge utile de procéder aux clarifications qui suivent.

73

Le bénéfice tiré du régime syrien ou le soutien apporté à celui-ci constitue un critère juridique autonome, prévu par l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, devant, à ce titre, être distingué de celui des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » et prévu par l’article 28, paragraphe 2, sous a), de ladite décision, ou encore de celui du lien avec des personnes appartenant audit régime, prévu par l’article 28, paragraphe 1, de cette même décision.

74

Cela ressort des termes mêmes de l’article 28 de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836. Celui-ci prévoit, en son paragraphe 1, le gel des fonds et des ressources économiques de trois catégories de personnes, à savoir, premièrement, celles qui sont responsables de la répression violente exercée contre la population civile, deuxièmement, celles qui bénéficient des politiques menées par le régime ou soutiennent celui-ci et, troisièmement, celles qui leur sont liées. En son paragraphe 2, il envisage le gel des fonds et des ressources économiques d’une série de catégories de personnes, dont les femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie. Le paragraphe 1 et le paragraphe 2 de l’article 28 de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, visent donc, en principe, des catégories différentes de personnes, ce qui est confirmé par la possibilité uniquement offerte aux personnes relevant de l’article 28, paragraphe 2, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, de se prévaloir du paragraphe 3 de cette disposition, permettant à ces dernières, à certaines conditions, de ne pas avoir leur nom inscrit ou maintenu sur les listes en cause.

75

L’interprétation littérale de cette disposition est conforme au contexte de son adoption et à l’objectif visé par celle-ci (voir, en ce sens, arrêts du 17 novembre 1983, Merck, 292/82, EU:C:1983:335, point 12, et du 10 mars 2005, easyCar, C‑336/03, EU:C:2005:150, point 21). En effet, il convient de rappeler, tout d’abord, qu’il ressort du considérant 5 de la décision 2015/1836 que le Conseil a établi une série de catégories de personnes, introduites à l’article 28, paragraphe 2, de la décision 2013/255, afin de développer, en conservant une approche ciblée et différenciée, les mesures restrictives déjà existantes qu’il entendait maintenir. Ainsi, il a clairement exprimé sa volonté d’ajouter des critères d’inscription à ceux déjà existants et prévus à l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255. Ensuite, la décision 2015/1836, qui a introduit le paragraphe 3 de l’article 28 de la décision 2013/255, a entendu ne viser que ces nouvelles catégories de personnes, ainsi que cela ressort du considérant 14 de ladite décision. Enfin, il convient de relever que la possibilité offerte par l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255 n’avait pas d’équivalent au sein de l’article 28 de ladite décision 2013/255 avant sa modification par la décision 2015/1836.

76

Le fait que l’article 28 de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, prévoit différentes catégories de personnes ne signifie pas, pour autant, qu’une personne ne puisse pas relever de plusieurs catégories. Cela signifie, en revanche, que, lorsque le Conseil décide d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur les listes en cause, il doit déterminer, à l’aune des éléments de preuve dont il dispose, la ou les catégories auxquelles cette personne est susceptible d’appartenir. À cet égard, il doit s’interroger sur le ou les critères qu’il entend retenir pour inscrire ou maintenir le nom d’une personne sur les listes en cause, d’une part, et sur le fait de savoir s’il dispose d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptible de démontrer le bien-fondé de chacun des motifs d’inscription, fondés sur le ou les critères qu’il a choisis, d’autre part.

77

À cet égard, il ne saurait être exclu que, pour une personne déterminée, les motifs d’inscription se recoupent dans une certaine mesure, en ce sens qu’une personne peut être qualifiée de femme ou d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie et être considérée comme bénéficiant, dans le cadre de ses activités, du régime syrien ou comme soutenant celui-ci au travers de ces mêmes activités. Cela ressort précisément de ce que, ainsi qu’il est établi au considérant 6 de la décision 2015/1836, les liens étroits avec le régime syrien et le soutien de celui-ci apporté par cette catégorie de personnes sont l’une des raisons pour lesquelles le Conseil a décidé de créer cette catégorie. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit, même dans cette hypothèse, de critères différents.

78

En effet, il a été reconnu par la jurisprudence que la décision 2015/1836 a introduit comme critère d’inscription objectif, autonome et suffisant, celui des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie », de sorte que le Conseil n’est plus tenu de démontrer l’existence d’un lien entre cette catégorie de personnes et le régime syrien, ni non plus entre cette catégorie de personnes et le soutien apporté à ce régime ou le bénéfice tiré de ce dernier, étant donné qu’être une femme ou un homme d’affaires influents exerçant ses activités en Syrie suffit pour l’application des mesures restrictives en cause à une personne (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2019, HX/Conseil, C‑540/18 P, non publié, EU:C:2019:707, point 38 ; du 4 avril 2019, Sharif/Conseil, T‑5/17, EU:T:2019:216, points 55 et 56, et ordonnance du 11 septembre 2019, Haswani/Conseil, T‑231/15 RENV, non publiée, EU:T:2019:589, point 56).

79

Il en découle que, lorsque le Conseil décide d’inscrire le nom d’une personne en raison de sa qualité de femme ou d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, il n’est pas tenu de préciser, dans les motifs d’inscription de cette personne, qu’elle bénéficie ou soutient le régime syrien. S’il le fait, c’est qu’il entend aussi lui appliquer le critère prévu à l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255. Cette interprétation est la plus à même de garantir l’effet utile de chacun des paragraphes de l’article 28 de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et de permettre aux personnes inscrites de déterminer avec précision sur la base de quels critères leur nom a été inscrit ou maintenu sur les listes en cause.

80

Par conséquent, si le Conseil vise, explicitement, dans les motifs d’inscription du nom d’une personne, le bénéfice ou le soutien qu’elle apporte au régime syrien, cela implique pour le Conseil de démontrer, au moyen d’un faisceau d’indices concrets, précis et concordants, comment la personne soutient ou tire avantage du régime syrien. En ce sens, bien que le Conseil estime que le bénéfice ou le soutien au régime syrien découle des activités exercées par une personne qualifiée, par ailleurs, de femme ou d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, les éléments de preuve que le Conseil devrait posséder et pourrait être amené à produire afin de démontrer le bénéfice ou le soutien ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux permettant de démontrer la qualité de « femmes ou hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie ».

81

Il en résulte que, en l’espèce, contrairement à ce qu’a soutenu le Conseil, la référence aux bénéfices tirés du régime syrien et au soutien apporté audit régime par le requérant doit être interprété comme un motif d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause distinct de celui relatif au statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie et de celui relatif à son lien avec une personnalité clé du régime syrien. Dès lors, le Conseil doit être en mesure de démontrer, par un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants, le bien-fondé dudit motif.

82

Ces précisions et clarifications ayant été apportées, il convient de vérifier si, en l’espèce, le Conseil a, ainsi que le soutient le requérant, commis une erreur d’appréciation en décidant du maintien de son nom sur les listes en cause.

3. Sur l’erreur d’appréciation

[omissis]

88

Le Conseil rappelle, en substance, que le requérant a vu son nom être maintenu sur les listes en cause par les actes attaqués sur la base des mêmes motifs que ceux se trouvant dans la décision 2016/850 et le règlement d’exécution 2016/840. Or, en ce qui concerne ces actes de 2016, il y aurait lieu de relever que le Tribunal a jugé, dans l’arrêt du 31 mai 2018, Kaddour III (T‑461/16, EU:T:2018:316, point 102), que les éléments de preuve sur lesquels s’était appuyé le Conseil pour maintenir l’inscription du requérant sur les listes en cause constituaient un faisceau d’indices permettant de justifier une telle réinscription. En outre, le requérant n’aurait présenté aucun élément susceptible de remettre en cause l’appréciation du Tribunal telle qu’elle ressort de l’arrêt du 31 mai 2018, Kaddour III (T‑461/16, EU:T:2018:316).

89

Ainsi, il convient de s’interroger sur l’incidence, sur l’analyse du présent moyen, de l’arrêt du 31 mai 2018, Kaddour III (T‑461/16, EU:T:2018:316), mais également de l’arrêt du 26 octobre 2016, Kaddour II (T‑155/15, non publié, EU:T:2016:628), dans la mesure où ces deux arrêts ont analysé les éléments de preuve repris dans la présente procédure.

90

À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 30, paragraphe 3, de la décision 2013/255 et l’article 32, paragraphe 3, du règlement no 36/2012 disposent que, si des observations sont formulées ou si de nouveaux éléments de preuve substantiels sont présentés, le Conseil revoit sa décision et en informe la personne physique ou morale, l’entité ou l’organisme concernés. Par ailleurs, conformément à l’article 32, paragraphe 4, dudit règlement, les listes en cause sont examinées à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois.

91

Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le Conseil peut être amené, lors de tout réexamen préalable à l’adoption d’actes maintenant le nom d’une personne inscrite sur les listes en cause, voire à tout moment, à vérifier, en fonction des éléments de preuve substantiels ou des observations qui lui sont soumis, si la situation factuelle a changé depuis l’inscription initiale, la réinscription du nom de la partie requérante ou depuis un précédent réexamen, de telle manière que sa désignation n’est plus justifiée (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 26 juillet 2017, Conseil/LTTE, C‑599/14 P, EU:C:2017:583, point 46, et du 27 septembre 2018, Ezz e.a./Conseil, T‑288/15, EU:T:2018:619, point 50).

92

Par ailleurs, sans être lié au sens strict sous l’angle de l’autorité de la chose jugée, dès lors que l’objet des recours rejetés par les arrêts du 26 octobre 2016, Kaddour II (T‑155/15, non publié, EU:T:2016:628), et du 31 mai 2018, Kaddour III (T‑461/16, EU:T:2018:316), n’est pas identique à celui du présent recours, le Tribunal ne saurait totalement faire abstraction du raisonnement qu’il a développé dans ces deux affaires, qui concernent les mêmes parties et soulèvent, pour l’essentiel, les mêmes questions juridiques.

93

Toutefois, rien ne permet de présumer, sans un examen des éléments de fait et de droit présentés au soutien du présent moyen, que le Tribunal parviendrait aux mêmes conclusions que celles retenues dans les arrêts du 26 octobre 2016, Kaddour II (T‑155/15, non publié, EU:T:2016:628), et du 31 mai 2018, Kaddour III (T‑461/16, EU:T:2018:316) (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2018, Ezz e.a./Conseil, T‑288/15, EU:T:2018:619, point 53).

94

En l’espèce, il ne saurait donc être exclu, sans procéder à leur examen, que les éléments présentés par le requérant dans le cadre de son moyen soient susceptibles de démontrer que c’est à tort que le Conseil a décidé, en 2018, du maintien de son nom sur les listes en cause.

[omissis]

a) Sur la pertinence des éléments de preuve soumis par le Conseil

96

Le requérant remet en cause la pertinence des éléments de preuve soumis par le Conseil pour démontrer, en 2018, que le maintien de son nom sur les listes en cause était toujours fondé.

97

Il y a lieu de relever que, en matière de mesures restrictives prises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, la question qui importe lors de l’examen du maintien d’une personne sur la liste litigieuse est celle de savoir si, depuis l’inscription de cette personne sur ladite liste ou depuis le réexamen précédent, la situation factuelle a changé de telle manière qu’elle ne permet plus de tirer la même conclusion concernant l’implication de cette personne dans des activités terroristes (arrêt du 15 novembre 2012, Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, C‑539/10 P et C‑550/10 P, EU:C:2012:711, point 82). De plus, il a été précisé, dans le cadre de mesures restrictives adoptées à l’encontre de l’Iran, que le Conseil n’est pas tenu d’invoquer de nouveaux faits pour autant que les faits motivant l’inscription initiale soient pertinents et suffisent à maintenir la partie concernée sur la liste (conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, C‑225/17 P, EU:C:2018:720, point 182).

98

Enfin, il a été jugé que le Conseil est tenu de présenter de nouveaux éléments de preuve afin de démontrer le bien-fondé de l’inscription du nom d’une personne dès lors que le critère et les motifs de cette inscription ont changé (voir, en ce sens, ordonnance du 11 septembre 2019, Haswani/Conseil, T‑231/15 RENV, non publiée, EU:T:2019:589, point 56).

99

Il en résulte que, pour justifier le maintien du nom d’une personne sur les listes en cause, il n’est pas interdit au Conseil de se fonder sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié l’inscription initiale, la réinscription ou le maintien précédent du nom de la partie requérante sur les listes en cause, pour autant que, d’une part, les motifs d’inscription sont inchangés et, d’autre part, le contexte n’a pas évolué d’une manière telle que ces éléments de preuve seraient devenus obsolètes.

100

À cet égard, il convient encore de relever qu’il est inhérent aux mesures adoptées dans le cadre de la politique extérieure et de sécurité commune (PESC) d’être sujettes à un réexamen périodique et d’être appliquées de manière répétée lors de périodes ultérieures. C’est notoirement le cas lorsque, malgré les mesures restrictives précédemment appliquées, la situation géopolitique n’évolue pas. Dans cette situation, le Conseil doit être autorisé à poursuivre l’application des mesures nécessaires, même si la situation n’a pas changé, pour autant que les faits à la base du maintien des mesures restrictives continuent de justifier leur application au moment de leur adoption, notamment en ce qui concerne le caractère suffisamment récent des faits (voir, en ce sens, conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, C‑225/17 P, EU:C:2018:720, points 201 et 202).

101

Ainsi, en l’espèce, dès lors que, ainsi qu’il a été mentionné au point 67 ci-dessus, les motifs d’inscription du nom du requérant n’ont pas été modifiés, il y a uniquement lieu de vérifier si, dans le dossier soumis au Tribunal, il existe des éléments pouvant laisser penser que la situation factuelle du requérant ou celle de la Syrie ont évolué d’une manière telle que les éléments de preuve soumis par le Conseil pour justifier le bien-fondé du maintien du nom du requérant sur les listes en cause en 2016 ne seraient plus pertinents pour justifier le maintien de son nom sur lesdites listes en 2018.

102

À cet égard, d’une part, force est de constater que la situation en Syrie n’a pas connu d’amélioration entre 2016 et 2018. Les preuves apportées par le requérant dans le cadre de la requête et visant à démontrer que la situation économique en Syrie serait telle qu’il serait fantaisiste de penser qu’il serait capable de soutenir le régime avec le peu de fortune qui lui resterait ne permettent pas de considérer que le contexte syrien aurait changé de telle sorte que le maintien du nom du requérant sur les listes en cause ne serait plus justifié. Au contraire, le rapport de 2017 du groupe de la Banque mondiale portant sur les conséquences économiques et sociales du conflit en Syrie, l’article du journal International Business Times, du 14 mars 2016, qui traite des coûts de la guerre en Syrie pour la Russie et les États-Unis et, enfin l’article du journal Time, du 9 avril 2018, qui se propose de répondre à la question de savoir pourquoi la guerre civile syrienne devient encore plus complexe, attestent que la guerre en Syrie est toujours d’actualité. Dans ce contexte, le Conseil et l’Union sont fondés à maintenir les mesures restrictives qu’ils estiment nécessaires pour faire pression sur le régime syrien.

103

D’autre part, si le requérant soutient que ses activités commerciales ont cessé et qu’il n’a jamais eu de lien avec M. M. Al-Assad, il convient de constater qu’il avait déjà évoqué de tels arguments dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 31 mai 2018, Kaddour III (T‑461/16, EU:T:2018:316, point 115), et qu’il n’a avancé, dans le cadre de ses écritures, aucun indice de ce que sa situation personnelle aurait changé entre 2016 et 2018. Quant aux documents soumis par le requérant afin de démontrer que le général Bilal était le chef de cabinet de M. M. Al-Assad, il convient de noter que, sans préjudice de l’examen de leur force probante et de leur capacité à remettre en cause les éléments de preuve soumis par le Conseil, réalisé au point 120 ci-après, ces preuves ne font toutefois référence qu’audit général et ne permettent pas en tant que telles de mettre en évidence un changement concret dans la situation du requérant dont le Conseil aurait pu et aurait dû avoir connaissance au moment de l’adoption de la décision de maintien du nom du requérant sur les listes en cause. En outre, ces documents visent à remettre en cause cet aspect de la relation entre le requérant et M. M. Al-Assad, mais ils ne portent pas sur les relations d’affaires existant entre ces derniers.

104

Par conséquent, sans que soit préjugée, à ce stade du raisonnement du Tribunal, la question de savoir si les éléments de preuve produits par le Conseil permettent effectivement de démontrer le bien-fondé, en 2018, des motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, le Conseil n’était pas tenu d’apporter des éléments de preuve supplémentaires par rapport à ceux produits en 2016 en raison de changements dans la situation du requérant ou de celle de la Syrie de nature à justifier que son nom soit retiré des listes en cause.

105

Il convient, dès lors, de rejeter les arguments présentés par le requérant et visant à contester la pertinence des preuves produites au regard de leur ancienneté ou du manque de preuves nouvelles les corroborant. Par ailleurs et en tout état de cause, il y a lieu de rejeter l’argument du requérant selon lequel le Conseil ne pouvait pas se fonder sur des articles que le Tribunal avait, dans le cadre de l’arrêt du 13 novembre 2014, Kaddour I (T‑654/11, non publié, EU:T:2014:947), considérés comme ne démontrant pas le bien-fondé des motifs de son inscription. En effet, l’arrêt du 26 octobre 2016, Kaddour II (T‑155/15, non publié, EU:T:2016:628, point 78), a déjà rejeté cet argument portant sur les mêmes éléments de preuve en rappelant que chaque affaire introduite devant le Tribunal dispose de son propre dossier et que chacun de ces dossiers est entièrement autonome. Ainsi, la circonstance que le Conseil apporte, dans la présente procédure, certains des documents que le Tribunal avait considérés, dans le cadre d’une autre affaire, comme ne satisfaisant pas à la charge de la preuve, ne prive pas le Conseil de la possibilité d’invoquer ces documents, parmi d’autres éléments de preuve, aux fins de la constitution d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants à même de justifier le bien-fondé du maintien de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause.

[omissis]

B.   Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 27, paragraphe 3, de l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et de l’article 15, paragraphe 1 ter, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828

143

Le requérant considère qu’il a le droit de bénéficier des dispositions de l’article 27, paragraphe 3, de l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et de l’article 15, paragraphe 1 ter, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828.

144

À cet égard, les conditions posées par ces dispositions ne seraient pas cumulatives, de sorte que, contrairement à ce que soutient le Conseil dans le mémoire en défense, il lui serait possible d’invoquer le bénéfice desdites dispositions dès lors qu’il remplirait une des conditions qui y sont établies.

[omissis]

147

À cet égard, il convient de rappeler que, selon l’article 27, paragraphe 3, et l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, les personnes, entités ou organismes relevant de l’une des catégories visées aux paragraphes 2 de ces articles ne sont pas inscrits ou maintenus sur les listes des personnes et entités qui figurent à l’annexe I de la décision 2013/255 s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’ils ne sont pas, ou ne sont plus, liés au régime ou qu’ils n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’ils ne sont pas associés à un risque réel de contournement. Les mêmes conditions ont été reprises, en ce qui concerne le gel des fonds, à l’article 15, paragraphe 1 ter, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828.

148

S’agissant, tout d’abord, de l’argument du requérant selon lequel ces conditions seraient alternatives et non cumulatives, il nécessite une interprétation de ces dispositions. Selon la jurisprudence, il convient d’interpréter les dispositions en tenant compte non seulement de leurs termes, mais également de leur contexte et de leurs objectifs (voir, en ce sens, arrêts du 17 novembre 1983, Merck, 292/82, EU:C:1983:335, point 12, et du 10 mars 2005, easyCar, C‑336/03, EU:C:2005:150, point 21).

149

À cet égard, il y a lieu de noter que les conditions énumérées à l’article 27, paragraphe 3, et à l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1 ter, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, sont séparées par la conjonction de coordination « ou ». Cette conjonction peut, d’un point de vue linguistique, revêtir un sens soit alternatif, soit cumulatif, et doit, par conséquent, être lue dans le contexte dans lequel elle est utilisée et à la lumière des finalités de l’acte en cause [voir, par analogie, arrêt du 14 mai 2019, M e.a. (Révocation du statut de réfugié), C‑391/16, C‑77/17 et C‑78/17, EU:C:2019:403, point 102].

150

Or, l’objectif poursuivi par le régime des mesures restrictives institué par la décision 2013/255 et par le règlement d’exécution no 36/2012 est d’interdire toute forme de soutien au régime syrien afin de faire pression sur celui-ci pour qu’il modifie sa politique de répression à l’égard de la population civile. Pour parvenir à cet objectif, le Conseil a adopté la décision 2015/1836, modifiant la décision 2013/255, car, précisément, il a constaté que le régime syrien tentait de contourner les mesures restrictives de l’Union pour continuer de financer et soutenir sa politique de répression violente exercée contre la population civile (considérant 4 de la décision 2015/1836). Ainsi, pour assurer l’efficacité desdites mesures, le Conseil a défini certaines catégories de personnes et d’entités revêtant une importance particulière pour l’accomplissement d’un tel objectif (considérant 5 de la décision 2015/1836), personnes et entités à l’égard desquelles des mesures de gels des fonds devaient, notamment, être adoptées. Ces catégories de personnes et d’entités ont été définies au regard du lien qu’elles présentent avec le régime, de l’influence qu’elles peuvent exercer sur celui-ci ou du soutien, sous quelque forme que ce soit, qu’elles sont susceptibles de lui apporter (considérants 6 à 12 de la décision 2015/1836).

151

Par conséquent, la formulation retenue dans l’article 27, paragraphe 3, et à l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1 ter, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, doit être comprise comme reflétant les différentes manières par lesquelles une personne est amenée à favoriser le régime syrien actuellement en place sans qu’elles puissent être considérées comme étant exclusives les unes des autres. Compte tenu de ce contexte et de l’objectif poursuivi par la décision 2013/255 et le règlement no 36/2012, les conditions énumérées à ces différents articles sont nécessairement cumulatives.

152

Il ne saurait en être autrement, sauf à risquer de vider de son sens le régime des mesures restrictives en cause. En effet, cela reviendrait à admettre qu’une personne ou une entité soit retirée des listes en cause parce qu’elle ne serait plus associée au régime alors, par exemple, qu’elle exercerait une influence sur lui ou qu’elle serait associée à un risque réel de contournement.

[omissis]

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

 

1)

Le recours est rejeté.

 

2)

M. Khaled Kaddour est condamné à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

 

Gervasoni

Madise

Martín y Pérez de Nanclares

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 23 septembre 2020.

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.

( 1 ) Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.