ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

30 avril 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Contrôles aux frontières, asile et immigration – Décision no 565/2014/UE – Régime simplifié de contrôle des personnes aux frontières extérieures – Ressortissant d’un pays tiers détenteur d’un titre de séjour temporaire délivré par un État membre – Article 3 – Reconnaissance par la Bulgarie, la Croatie, Chypre et la Roumanie de certains documents comme équivalant à leurs visas nationaux – Invocabilité d’une décision à l’encontre d’un État – Effet direct – Reconnaissance d’une entité de droit privé comme émanation de l’État – Conditions – Règlement (CE) no 562/2006 – Code frontières Schengen – Article 13 – Refus d’entrée sur le territoire d’un État membre – Obligation de motivation – Règlement (CE) no 261/2004 – Indemnisation et assistance des passagers aériens en cas de refus d’embarquement – Article 2, sous j) – Refus d’embarquement fondé sur le caractère prétendument inadéquat des documents de voyage – Article 15 – Obligations pesant sur les transporteurs aériens à l’égard des passagers – Irrecevabilité des dérogations prévues par le contrat de transport ou d’autres documents »

Dans l’affaire C‑584/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Eparchiako Dikastirio Larnakas (tribunal de district de Larnaca, Chypre), par décision du 3 septembre 2018, parvenue à la Cour le 19 septembre 2018, dans la procédure

D. Z.

contre

Blue AirAirline Management Solutions SRL,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la troisième chambre, Mme L. S. Rossi, MM. J. Malenovský (rapporteur) et F. Biltgen, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. R. Schiano, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 septembre 2019,

considérant les observations présentées :

pour D. Z., par Me K. Papantoniou, dikigoros,

pour Blue Air – Airline Management Solutions SRL, par Me N. Damianou, dikigoros,

pour le gouvernement chypriote, par Mme E. Neofytou et M. D. Lysandrou, en qualité d’agents,

pour le gouvernement allemand, initialement par MM. J. Möller, T. Henze et R. Kanitz, puis par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,

pour le gouvernement néerlandais, par Mme M. K. Bulterman et M. J. Langer, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mmes M. Condou-Durande, C. Cattabriga et N. Yerrell ainsi que par M. G. Wils, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 21 novembre 2019,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la décision no 565/2014/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un régime simplifié de contrôle des personnes aux frontières extérieures, fondé sur la reconnaissance unilatérale par la Bulgarie, la Croatie, Chypre et la Roumanie de certains documents comme équivalant à leurs visas nationaux aux fins de transit par leur territoire ou de séjours envisagés sur leur territoire n’excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours, et abrogeant les décisions no 895/2006/CE et no 582/2008/CE (JO 2014, L 157, p. 23), des articles 4 et 13 du règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2006, L 105, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 610/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013 (JO 2013, L 182, p. 1) (ci-après le « code frontières Schengen »), ainsi que de l’article 4, paragraphe 3, et des articles 14 et 15 du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (JO 2004, L 46, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant D. Z. à Blue Air – Airline Management Solutions SRL (ci-après « Blue Air »), au sujet du refus de cette dernière d’autoriser D. Z. à embarquer sur un vol au départ de Larnaca (Chypre) et à destination de Bucarest (Roumanie).

Le cadre juridique

La CAAS

3

La convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990 et entrée en vigueur le 26 mars 1995 (JO 2000, L 239, p. 19, ci-après la « CAAS »), fait partie de l’acquis de Schengen.

4

L’article 26, paragraphes 1 et 2, de la CAAS stipule :

« 1.   Sous réserve des engagements qui découlent de leur adhésion à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, telle qu’amendée par le Protocole de New York du 31 janvier 1967, les Parties Contractantes s’engagent à introduire dans leur législation nationale les règles suivantes :

a)

si l’entrée sur le territoire d’une des Parties Contractantes est refusée à un étranger, le transporteur qui l’a amené à la frontière extérieure par voie aérienne, maritime ou terrestre est tenu de le reprendre en charge sans délai. À la requête des autorités de surveillance de la frontière, il doit ramener l’étranger dans l’État tiers à partir duquel il a été transporté, dans l’État tiers qui a délivré le document de voyage avec lequel il a voyagé ou dans tout autre État tiers où son admission est garantie ;

b)

le transporteur est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que l’étranger transporté par voie aérienne ou maritime est en possession des documents de voyage requis pour l’entrée sur les territoires des Parties Contractantes.

2.   Les Parties Contractantes s’engagent, sous réserve des engagements qui découlent de leur adhésion à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, telle qu’amendée par le Protocole de New York du 31 janvier 1967 et dans le respect de leur droit constitutionnel, à instaurer des sanctions à l’encontre des transporteurs qui acheminent par voie aérienne ou maritime d’un État tiers vers leur territoire, des étrangers qui ne sont pas en possession des documents de voyage requis. »

La directive 2001/51/CE

5

Aux termes de l’article 1er de la directive 2001/51/CE du Conseil, du 28 juin 2001, visant à compléter les dispositions de l’article 26 de la convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 (JO 2001, L 187, p. 45) :

« La présente directive a pour objet de compléter les dispositions de l’article 26 de la [CAAS] et de préciser certaines conditions relatives à leur application. »

6

Selon l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/51 :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer que les sanctions applicables aux transporteurs en vertu de l’article 26, paragraphes 2 et 3, de la [CAAS] sont dissuasives, effectives et proportionnelles [...] »

Le code frontières Schengen

7

L’article 2 du code frontières Schengen disposait :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

13)

“garde-frontière”, tout agent public affecté, conformément à la législation nationale, soit à un point de passage frontalier, soit le long de la frontière ou à proximité immédiate de cette dernière, et qui exerce, conformément au présent règlement et à la législation nationale, des fonctions de contrôle aux frontières ;

[...] »

8

Selon l’article 5, paragraphe 1, de ce code :

« Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d’une durée n’excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours [...], les conditions d’entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes :

a)

être en possession d’un document de voyage en cours de validité autorisant son titulaire à franchir la frontière [...]

b)

être en possession d’un visa en cours de validité si celui-ci est requis en vertu du règlement (CE) no 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation [(JO 2001, L 81, p. 1)], sauf s’ils sont titulaires d’un titre de séjour ou d’un visa de long séjour en cours de validité ;

c)

justifier l’objet et les conditions du séjour envisagé, et disposer des moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel leur admission est garantie, ou être en mesure d’acquérir légalement ces moyens ;

d)

ne pas être signalé aux fins de non-admission dans le [système d’information Schengen (SIS)] ;

e)

ne pas être considéré comme constituant une menace pour l’ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales de l’un des États membres et, en particulier, ne pas avoir fait l’objet d’un signalement aux fins de non-admission dans les bases de données nationales des États membres pour ces mêmes motifs. »

9

L’article 7 dudit code prévoyait :

« 1.   Les mouvements transfrontaliers aux frontières extérieures font l’objet de vérifications de la part des garde-frontières. Les vérifications sont effectuées conformément au présent chapitre.

[...]

3.   À l’entrée et à la sortie, les ressortissants des pays tiers sont soumis à une vérification approfondie.

a)

La vérification approfondie à l’entrée comporte la vérification des conditions d’entrée fixées à l’article 5, paragraphe 1, ainsi que, le cas échéant, des documents autorisant le séjour et l’exercice d’une activité professionnelle. Cette vérification comprend un examen détaillé des éléments suivants :

i)

la vérification que le ressortissant du pays tiers est en possession, pour franchir la frontière, d’un document valable et qui n’est pas arrivé à expiration, et que ce document est accompagné, le cas échéant, du visa ou du permis de séjour requis ;

ii)

l’examen approfondi du document de voyage à la recherche d’indices de falsification ou de contrefaçon ;

iii)

l’examen des cachets d’entrée et de sortie sur le document de voyage du ressortissant de pays tiers concerné, afin de vérifier, en comparant les dates d’entrée et de sortie, que cette personne n’a pas déjà dépassé la durée de séjour maximale autorisée sur le territoire des États membres ;

iv)

la vérification des points de départ et d’arrivée du ressortissant de pays tiers concerné ainsi que de l’objet du séjour envisagé et, si nécessaire, la vérification des documents justificatifs correspondants ;

v)

la vérification que le ressortissant du pays tiers concerné dispose de moyens de subsistance suffisants pour la durée et l’objet du séjour envisagé, pour le retour dans le pays d’origine ou pour le transit vers un pays tiers dans lequel son admission est garantie, ou qu’il est en mesure d’acquérir légalement ces moyens ;

[...] »

10

Aux termes de l’article 13, paragraphes 2 et 3, du même code :

« 2.   L’entrée ne peut être refusée qu’au moyen d’une décision motivée indiquant les raisons précises du refus. La décision est prise par une autorité compétente habilitée à ce titre par la législation nationale. Elle prend effet immédiatement.

La décision motivée indiquant les raisons précises du refus est notifiée au moyen d’un formulaire uniforme tel que celui figurant à l’annexe V, partie B, et rempli par l’autorité compétente habilitée par la législation nationale à refuser l’entrée. Le formulaire uniforme ainsi complété est remis au ressortissant concerné, qui accuse réception de la décision de refus au moyen dudit formulaire.

3.   Les personnes ayant fait l’objet d’une décision de refus d’entrée ont le droit de former un recours contre cette décision. Les recours sont formés conformément au droit national. Des indications écrites sont également mises à la disposition du ressortissant du pays tiers en ce qui concerne des points de contact en mesure de communiquer des informations sur des représentants compétents pour agir au nom du ressortissant du pays tiers conformément au droit national.

[...] »

11

L’article 15, paragraphes 1 et 2, du code frontières Schengen disposait :

« 1.   Le contrôle aux frontières prévu aux articles 6 à 13 est effectué par les garde-frontières, conformément aux dispositions du présent règlement et au droit national.

Dans l’exercice de ce contrôle, les garde-frontières conservent les compétences en matière de poursuites pénales dont ils sont investis par la législation nationale et qui sortent du champ d’application du présent règlement.

Les États membres veillent à ce que les garde-frontières soient des professionnels spécialisés et dûment formés, tenant compte des programmes communs pour la formation des garde-frontières établis et développés par l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres créée par le règlement (CE) no 2007/2004 du Conseil[, du 26 octobre 2004, portant création d’une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne (JO 2004, L 349, p. 1)]. [...]

2.   Les États membres notifient à la Commission la liste des services nationaux chargés du contrôle aux frontières par leur législation nationale conformément à l’article 34. »

Le règlement no 539/2001

12

Aux termes de l’article 1er du règlement no 539/2001 :

« Les ressortissants des pays tiers figurant sur la liste de l’annexe I doivent être munis d’un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres. »

13

Le Kazakhstan figure sur la liste des pays tiers visés à cette annexe.

La décision no 565/2014

14

Les considérants 5 et 7 de la décision no 565/2014 énoncent :

« (5)

[...] En ce qui concerne Chypre, qui a mis en œuvre le régime commun établi par la décision no 895/2006/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2006, établissant un régime simplifié de contrôle des personnes aux frontières extérieures, fondé sur la reconnaissance unilatérale par la République tchèque, l’Estonie, Chypre, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, Malte, la Pologne, la Slovénie et la Slovaquie de certains documents comme équivalant à leurs visas nationaux aux fins de transit par leur territoire (JO 2006, L 167, p. 1),] depuis le 10 juillet 2006, et la Bulgarie et la Roumanie, qui ont mis en œuvre le régime commun établi par la décision no 582/2008/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, établissant un régime simplifié de contrôle des personnes aux frontières extérieures, fondé sur la reconnaissance unilatérale par la Bulgarie, Chypre et la Roumanie de certains documents comme équivalents à leurs visas nationaux aux fins de transit par leur territoire (JO 2008, L 161, p. 30),] depuis le 18 juillet 2008, il y a lieu d’adopter des règles communes afin de les autoriser, comme la Croatie, à reconnaître unilatéralement certains documents délivrés par les États membres qui mettent en œuvre l’intégralité de l’acquis de Schengen, ainsi que des documents similaires délivrés par la Croatie, comme équivalant à leurs visas nationaux et à établir un régime simplifié de contrôle des personnes à leurs frontières extérieures, fondé sur cette équivalence unilatérale. [...]

[...]

(7)

La participation au régime simplifié devrait être facultative et ne pas imposer aux États membres d’obligations supplémentaires par rapport à celles fixées dans l’acte d’adhésion de 2003, l’acte d’adhésion de 2005 ou l’acte d’adhésion de 2011. »

15

Aux termes de l’article 1er de la décision no 565/2014 :

« La présente décision établit un régime simplifié de contrôle des personnes aux frontières extérieures en vertu duquel la Bulgarie, la Croatie, Chypre et la Roumanie peuvent reconnaître unilatéralement, comme équivalant à leurs visas nationaux aux fins de transit par leur territoire ou de séjours envisagés sur leur territoire n’excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours, les documents visés à l’article 2, paragraphe 1, et à l’article 3 de la présente décision, délivrés à des ressortissants de pays tiers soumis à l’obligation de visa en vertu du règlement [no 539/2001].

La mise en œuvre de la présente décision n’affecte pas les vérifications effectuées sur les personnes aux frontières extérieures conformément aux articles 5 à 13, 18 et 19 du [code frontières Schengen]. »

16

L’article 2 de cette décision prévoit :

« 1.   La Bulgarie, la Croatie, Chypre et la Roumanie peuvent considérer comme équivalant à leurs visas nationaux, aux fins de transit par leur territoire ou de séjours envisagés sur leur territoire n’excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours, les documents suivants délivrés par les États membres qui mettent en œuvre l’intégralité de l’acquis de Schengen, indépendamment de la nationalité des titulaires de ces documents :

a)

un “visa uniforme” tel que défini à l’article 2, point 3), du code des visas, valable pour deux entrées ou des entrées multiples ;

b)

un “visa de long séjour” tel que visé à l’article 18 de la [CAAS] ;

c)

un “titre de séjour” tel que défini à l’article 2, point 15), du [code frontières Schengen].

2.   La Bulgarie, la Croatie, Chypre et la Roumanie peuvent également considérer comme équivalant à leurs visas nationaux, aux fins de transit par leur territoire ou de séjours envisagés sur leur territoire n’excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours, les visas à validité territoriale limitée délivrés conformément à l’article 25, paragraphe 3, première phrase, du code des visas.

3.   Si la Bulgarie, la Croatie, Chypre ou la Roumanie décident d’appliquer la présente décision, elles doivent reconnaître tous les documents visés aux paragraphes 1 et 2, quel que soit l’État membre ayant délivré le document, à moins que ceux-ci ne soient apposés sur des documents de voyage qu’elles ne reconnaissent pas ou sur des documents de voyage délivrés par un pays tiers avec lequel elles n’entretiennent pas de relations diplomatiques. »

17

Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de ladite décision :

« Si la Bulgarie, la Croatie, Chypre ou la Roumanie décident d’appliquer l’article 2, elles peuvent, outre les documents visés [audit] article, reconnaître comme équivalant à leurs visas nationaux, aux fins de transit par leur territoire ou de séjours envisagés sur leur territoire n’excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours :

a)

les visas nationaux de court séjour et les visas nationaux de long séjour délivrés par la Bulgarie, la Croatie, Chypre ou la Roumanie suivant le modèle type de visa établi par le règlement (CE) no 1683/95 du Conseil [, du 29 mai 1995, établissant un modèle type de visa (JO 1995 L 164, p. 1)] ;

b)

les titres de séjour délivrés par la Bulgarie, la Croatie, Chypre ou la Roumanie suivant le modèle uniforme de titre de séjour établi par le règlement (CE) no 1030/2002 du Conseil[, du 13 juin 2002, établissant un modèle uniforme de titre de séjour pour les ressortissants de pays tiers (JO 2002, L 157, p. 1)] ;

à moins que ces visas et titres de séjour ne soient apposés sur des documents de voyage que ces États membres ne reconnaissent pas ou sur des documents de voyage délivrés par un pays tiers avec lequel ils n’entretiennent pas de relations diplomatiques. »

18

L’article 5 de la décision no 565/2014 dispose :

« La Bulgarie, la Croatie, Chypre et la Roumanie notifient à la Commission, dans un délai de vingt jours ouvrables à compter de l’entrée en vigueur de la présente décision, leur décision d’appliquer la présente décision. La Commission publie cette information au Journal officiel de l’Union européenne.

Ces notifications précisent, le cas échéant, les pays tiers vis-à-vis desquels la Bulgarie, la Croatie, Chypre et la Roumanie n’appliquent pas la présente décision, en raison de l’absence de relations diplomatiques, en vertu de l’article 2, paragraphe 3, et de l’article 3, paragraphe 1. »

19

Aux termes de l’article 8 de cette décision :

« La Bulgarie, la Croatie, Chypre et la Roumanie sont destinataires de la présente décision. »

20

Le point II des informations communiquées par la Commission au sujet des notifications par les États membres de décisions relatives à l’application de la décision no 565/2014 (JO 2014, C 302, p. 1, ci-après le « point II des informations communiquées par la Commission »), contient le passage suivant :

« La Commission a reçu les notifications suivantes.

[...]

La Roumanie met en œuvre la décision [no 565/2014] et, conformément à l’article 3 de celle-ci, reconnaît les visas nationaux et les titres de séjour délivrés par la Bulgarie, Chypre et la Croatie énumérés, respectivement, aux annexes I, II et III de ladite décision, comme équivalant aux visas roumains. »

Le règlement no 261/2004

21

Les considérants 1 et 2 du règlement no 261/2004 énoncent :

« (1)

L’action de la Communauté dans le domaine des transports aériens devrait notamment viser à garantir un niveau élevé de protection des passagers. Il convient en outre de tenir pleinement compte des exigences de protection des consommateurs en général.

(2)

Le refus d’embarquement et l’annulation ou le retard important d’un vol entraînent des difficultés et des désagréments sérieux pour les passagers. »

22

L’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement prévoit :

« Le présent règlement reconnaît, dans les conditions qui y sont spécifiées, des droits minimum aux passagers dans les situations suivantes :

a)

en cas de refus d’embarquement contre leur volonté ;

[...] »

23

L’article 2, sous j), dudit règlement définit le « refus d’embarquement », au sens de ce règlement, comme étant « le refus de transporter des passagers sur un vol, bien qu’ils se soient présentés à l’embarquement dans les conditions fixées à l’article 3, paragraphe 2, sauf s’il est raisonnablement justifié de refuser l’embarquement, notamment pour des raisons de santé, de sûreté ou de sécurité, ou de documents de voyages inadéquats ».

24

Aux termes de l’article 3 du même règlement, intitulé « Champ d’application » :

« 1.   Le présent règlement s’applique :

a)

aux passagers au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre soumis aux dispositions du traité ;

[...]

2.   Le paragraphe 1 s’applique à condition que les passagers :

a)

disposent d’une réservation confirmée pour le vol concerné et se présentent, sauf en cas d’annulation visée à l’article 5, à l’enregistrement :

comme spécifié et à l’heure indiquée à l’avance et par écrit (y compris par voie électronique) par le transporteur aérien, l’organisateur de voyages ou un agent de voyages autorisé,

ou, en l’absence d’indication d’heure,

au plus tard quarante-cinq minutes avant l’heure de départ publiée, ou

[...] »

25

Selon l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 :

« S’il refuse des passagers à l’embarquement contre leur volonté, le transporteur aérien effectif indemnise immédiatement ces derniers conformément à l’article 7, et leur offre une assistance conformément aux articles 8 et 9. »

26

L’article 15 de ce règlement, intitulé « Irrecevabilité des dérogations », prévoit :

« 1.   Les obligations envers les passagers qui sont énoncées par le présent règlement ne peuvent être limitées ou levées, notamment par une dérogation ou une clause restrictive figurant dans le contrat de transport.

2.   Si toutefois une telle dérogation ou une telle clause restrictive est appliquée à l’égard d’un passager, ou si un passager n’est pas dûment informé de ses droits et accepte, par conséquent, une indemnisation inférieure à celle prévue par le présent règlement, ce passager a le droit d’entreprendre les démarches nécessaires auprès des tribunaux ou des organismes compétents en vue d’obtenir une indemnisation complémentaire. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

27

Le 6 septembre 2015, D. Z., ressortissant de la République du Kazakhstan, s’est rendu à l’aéroport de Larnaca en vue d’embarquer sur un vol de la compagnie aérienne roumaine Blue Air à destination de Bucarest, où il avait prévu de séjourner jusqu’au 12 septembre 2015 afin de participer à des examens organisés par l’Association of Chartered Certified Accountants (association des comptables agréés).

28

D. Z. a présenté pour contrôle aux employés de la société agissant en qualité de mandataire de Blue Air à l’aéroport de Larnaca ses documents de voyage, son passeport et un titre de séjour temporaire délivré par la République de Chypre et dont la validité expirait le 6 avril 2016. Il a également présenté la demande de visa d’entrée sur le territoire roumain qu’il avait antérieurement introduite en ligne auprès du ministère des Affaires étrangères de la Roumanie ainsi que la réponse dudit ministère, fournie au moyen du système en ligne automatisé de celui-ci, selon laquelle un tel visa n’était pas nécessaire pour un séjour n’excédant pas les 90 jours sur toute période de 180 jours, l’intéressé disposant déjà d’un titre de séjour temporaire délivré par la République de Chypre.

29

Contacté par les employés de ladite société, le personnel au sol de Blue Air à l’aéroport de Bucarest a, par voie téléphonique et par courriel, répondu à ces derniers que D. Z. ne pouvait, en l’absence de visa ou de titre de séjour de membre de la famille délivré par les autorités roumaines, entrer en Roumanie. Lesdits employés ont alors refusé d’embarquer D. Z. sur le vol prévu, au motif que son transport aurait pour conséquence son retour immédiat à Chypre par le vol retour de l’avion et vaudrait des sanctions à Blue Air.

30

D. Z. a réclamé, en vain, que les raisons de ce refus lui soient communiquées par écrit. Aucune décision écrite relative à un refus d’entrée sur le territoire roumain ne lui a, par ailleurs, été communiquée.

31

Considérant que le refus d’embarquement qui lui avait été opposé était injustifié et méconnaissait les dispositions de la décision no 565/2014, D. Z. a saisi l’Eparchiako Dikastirio Larnakas (tribunal de district de Larnaca, Chypre) d’un recours contre Blue Air, en vue d’être indemnisé au titre de la perte du montant de son billet d’avion aller-retour, des frais d’annulation de sa réservation d’hôtel à Bucarest, des frais relatifs aux examens auxquels il n’avait pu participer, de la contre-valeur du montant des salaires qui ne lui avaient pas été versés en raison du congé de formation accordé par son employeur pour se préparer auxdits examens et du préjudice moral qu’il estimait avoir subi.

32

Devant la juridiction de renvoi, Blue Air soutient, notamment, que c’est à tort que D. Z. a dirigé son recours contre elle. En effet, ainsi que l’indiqueraient les conditions de transport qu’elle applique, Blue Air ne serait pas responsable de la décision des autorités de l’État de destination de refuser l’entrée sur le territoire de cet État à un passager, ni des documents que ce dernier est tenu d’avoir en sa possession, ni du respect de la réglementation de l’État de destination.

33

Selon la juridiction de renvoi, le litige au principal soulève, en premier lieu, la question de savoir si D. Z. est en droit de se prévaloir des dispositions de la décision no 565/2014 à l’égard de Blue Air. Elle considère que, si le requérant avait été autorisé à embarquer sur le vol en cause, il aurait pu invoquer devant une juridiction roumaine son droit d’entrer dans le pays en vertu de cette décision.

34

Or, le seul acte préjudiciable auquel D. Z. a été confronté serait le refus d’embarquement que lui a opposé Blue Air. La juridiction de renvoi en déduit qu’il est nécessaire de déterminer dans quelle mesure ce refus d’embarquement a fait naître à l’égard de D. Z. un droit dont celui-ci peut se prévaloir en justice à l’encontre de Blue Air.

35

Ladite juridiction estime, en second lieu, qu’il lui appartient d’apprécier si un refus d’embarquement opposé dans des circonstances telles que celles au principal relève du champ d’application du règlement no 261/2004 et, dans l’affirmative, si une clause du contrat de transport peut néanmoins limiter, voire exclure, la responsabilité du transporteur aérien en cas de documents de voyage inadéquats.

36

Considérant, dans ces conditions, que le litige au principal soulève des questions d’interprétation du droit de l’Union, l’Eparchiako Dikastirio Larnakas (tribunal de district de Larnaca) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

La décision [no 565/2014] doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle produit des effets juridiques directs de sorte à créer, d’une part, le droit pour les ressortissants de pays tiers qu’un visa ne soit pas exigé aux fins de leur entrée sur le territoire de l’État membre de destination et, d’autre part, l’obligation pour ledit État membre de destination de ne pas exiger un tel visa, dans le cas où ces ressortissants sont titulaires d’un visa d’entrée ou d’un titre de séjour relevant de la liste des documents bénéficiant d’une reconnaissance mutuelle conformément à la décision [no 565/2014] que l’État membre de destination s’est engagé à mettre en œuvre ?

2)

Un transporteur aérien qui, lui-même ou/et par l’intermédiaire de ses représentants et mandataires à l’aéroport de l’État membre de départ, refuse l’embarquement à un passager en invoquant le refus d’entrée opposé par les autorités de l’État membre de destination en raison d’une prétendue absence de visa d’entrée peut-il être considéré comme agissant et exerçant son autorité en tant qu’émanation dudit État, de sorte que le passager lésé puisse lui opposer la décision [no 565/2014] devant la juridiction de l’État membre de départ, aux fins de démontrer qu’il était titulaire d’un droit d’entrée ne nécessitant pas de visa additionnel et de réclamer une indemnisation pour la violation de ce droit et, par voie de conséquence, de son contrat de transport ?

3)

Un transporteur aérien peut-il, lui-même ou/et par l’intermédiaire de ses représentants et mandataires à l’aéroport de l’État membre de départ, refuser l’embarquement à un ressortissant d’un pays tiers en invoquant le refus des autorités de l’État membre de destination de lui permettre l’entrée sur son territoire, sans qu’une décision écrite et motivée de refus d’entrée ait été adoptée et/ou lui ait été communiquée au préalable [voir l’article 14, paragraphe 2, du règlement (UE) 2016/399 [du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2016, L 77, p. 1)], anciennement l’article 13 du règlement [no 562/2006], qui prévoit que l’entrée ne peut être refusée qu’au moyen d’une décision motivée], garantissant ainsi le respect des droits fondamentaux et, plus précisément, la protection juridictionnelle des droits du passager affecté [voir l’article 4 dudit règlement 2016/399] ?

4)

L’article 2, sous j), du règlement [no 261/2004] doit-il être interprété en ce sens qu’il exclut de son champ d’application tout cas de refus d’embarquement d’un passager décidé par un transporteur aérien en raison, prétendument, de “documents de voyage inadéquats” ? Un tel refus d’embarquement relèverait-il du champ d’application dudit règlement en cas de décision de justice jugeant, au regard des circonstances propres à chaque affaire, que les documents de voyage étaient adéquats et que le refus d’embarquement était injustifié ou illégal en tant que contraire au droit de l’Union ?

5)

Un passager peut-il être privé de son droit à indemnisation tiré de l’article 4, paragraphe 3, du règlement [no 261/2004] sur le fondement d’une clause de limitation ou d’exclusion de la responsabilité d’un transporteur aérien en cas de documents de voyage prétendument inadéquats, lorsqu’une telle clause figure dans les conditions générales, préalablement publiées, relatives aux modalités de fonctionnement et/ou aux prestations de services dudit transporteur ? L’article 15, lu en combinaison avec l’article 14 du règlement susmentionné, s’oppose-t-il à l’application de telles clauses de limitation et/ou d’exclusion de la responsabilité du transporteur aérien ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

37

Blue Air fait valoir, tout d’abord, que les deuxième et troisième questions préjudicielles sont irrecevables au motif que les parties au principal n’ont pas été entendues à propos desdites questions préalablement à l’introduction de la présente demande de décision préjudicielle, en violation des règles de procédure chypriotes.

38

À cet égard, il convient de rappeler que l’article 267 TFUE confère aux juridictions nationales la faculté la plus étendue de saisir la Cour si elles considèrent qu’une affaire pendante devant elles soulève des questions exigeant une interprétation ou une appréciation de validité des dispositions du droit de l’Union nécessaires au règlement du litige qui leur est soumis. Les juridictions nationales ont donc la faculté et, le cas échéant, l’obligation de procéder à un renvoi préjudiciel dès qu’elles constatent, soit d’office, soit à la demande des parties, que le fond du litige comporte une question à résoudre relevant du premier alinéa de cet article (arrêts du 16 janvier 1974, Rheinmühlen-Düsseldorf, 166/73, EU:C:1974:3, point 3, ainsi que du 1er février 2017, Tolley, C‑430/15, EU:C:2017:74, point 30 et jurisprudence citée).

39

En outre, s’il peut s’avérer de l’intérêt d’une bonne administration de la justice qu’une question préjudicielle ne soit posée qu’à la suite d’un débat contradictoire, l’existence d’un tel débat préalable ne figure pas au nombre des conditions requises pour la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article 267 TFUE (arrêt du 1er février 2017, Tolley, C‑430/15, EU:C:2017:74, point 32 et jurisprudence citée). Il appartient à la seule juridiction nationale d’apprécier la nécessité éventuelle d’un tel débat contradictoire préalable (arrêt du 28 juin 1978, Simmenthal, 70/77, EU:C:1978:139, point 11).

40

Partant, le fait que les parties à un litige n’ont pas débattu préalablement devant la juridiction nationale d’une question portant sur le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce que la Cour puisse être saisie d’une telle question (arrêt du 1er février 2017, Tolley, C‑430/15, EU:C:2017:74, point 33).

41

En tout état de cause, il convient de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour de vérifier si la décision de renvoi a été prise conformément aux règles nationales d’organisation et de procédure judiciaires (arrêt du 23 novembre 2017, Benjumea Bravo de Laguna, C‑381/16, EU:C:2017:889, point 26 et jurisprudence citée).

42

Blue Air soutient, ensuite, que la juridiction de renvoi a omis d’exposer la teneur des dispositions nationales applicables et de la jurisprudence nationale pertinente, ainsi que l’ensemble des éléments pertinents, de fait et de droit, qui l’ont amenée à considérer que des dispositions du droit de l’Union sont susceptibles de s’appliquer en l’espèce.

43

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, laquelle est désormais reflétée à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. La décision de renvoi doit en outre indiquer les raisons précises qui ont conduit le juge national à s’interroger sur l’interprétation du droit de l’Union et à estimer nécessaire de poser une question préjudicielle à la Cour (arrêt du 19 décembre 2018, Stanley International Betting et Stanleybet Malta, C‑375/17, EU:C:2018:1026, point 29 et jurisprudence citée).

44

Or, en l’occurrence, la demande de décision préjudicielle définit de manière suffisante le cadre juridique et factuel du litige au principal. En particulier, l’absence d’indication de la teneur des dispositions nationales applicables ne fait, au regard de la nature et de la portée des actes du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée, aucunement obstacle à la bonne compréhension du contexte dans lequel s’inscrivent les interrogations de la juridiction de renvoi. En outre, les indications fournies par ladite juridiction quant à la pertinence des questions posées aux fins de statuer sur ledit litige permettent d’apprécier la portée de ces questions et de fournir une réponse utile à celles-ci, ainsi que le confirment, au demeurant, les observations écrites déposées par les gouvernements chypriote, allemand et néerlandais.

45

Enfin, le gouvernement allemand émet des doutes quant à la pertinence des quatrième et cinquième questions en raison du fait que D. Z. ne semble pas avoir introduit de demande d’indemnisation au titre du règlement no 261/2004.

46

À cet égard, il y a lieu de rappeler, d’une part, que les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence (arrêts du 15 mai 2003, Salzmann, C‑300/01, EU:C:2003:283, point 31, ainsi que du 28 mars 2019, Cogeco Communications, C‑637/17, EU:C:2019:263, point 57 et jurisprudence citée).

47

D’autre part, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 23 de ses conclusions, la juridiction de renvoi a indiqué, dans sa demande de décision préjudicielle, que le droit chypriote lui permet d’accorder une réparation à une partie quand bien même celle-ci ne l’aurait pas expressément sollicitée, de telle sorte qu’elle serait en mesure d’accorder au requérant au principal une indemnisation au titre du règlement no 261/2004, pour autant que ce dernier doive être interprété en ce sens qu’il lui confère ce droit.

48

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur le fond

Sur la première question

49

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, de la décision no 565/2014 doit être interprété en ce sens qu’il produit un effet direct et engendre, au profit des ressortissants de pays tiers, des droits dont ceux-ci peuvent se prévaloir à l’encontre de l’État membre de destination, en particulier celui qu’un visa ne soit pas exigé aux fins de leur entrée sur le territoire de cet État membre dans le cas où ils sont titulaires d’un visa d’entrée ou d’un titre de séjour relevant de la liste des documents bénéficiant d’une reconnaissance que ledit État membre s’est engagé à appliquer conformément à ladite décision.

50

D’emblée, il convient de rappeler que, selon l’article 288, quatrième alinéa, TFUE, une décision de l’Union est obligatoire dans tous ses éléments et, lorsqu’elle désigne des destinataires, elle n’est obligatoire que pour ceux-ci.

51

En l’occurrence, la décision no 565/2014 désigne, à son article 8, la Bulgarie, la Croatie, Chypre et la Roumanie en tant que destinataires de celle-ci. Par conséquent, elle n’est obligatoire que pour ces quatre États membres.

52

Par ailleurs, l’article 3, paragraphe 1, de cette décision prévoit en substance que chacun de ces quatre États membres peut reconnaître comme équivalant à ses visas nationaux les visas et les titres de séjour y énumérés, délivrés par les autres États membres destinataires de cette décision.

53

En premier lieu, il ressort ainsi du libellé de l’article 3, paragraphe 1, de la décision no 565/2014, lu en combinaison avec le considérant 7 de cette dernière, que la reconnaissance des visas et des titres de séjour visés à cette disposition constitue une simple faculté pour les États membres concernés.

54

Toutefois, lorsque ces derniers s’engagent à appliquer la décision no 565/2014 et, conformément à l’article 5 de celle-ci, notifient leur décision de reconnaître comme équivalant à leurs propres visas les visas nationaux et les titres de séjour délivrés par les autres États membres destinataires de cette décision, y compris les documents visés à l’article 3, paragraphe 1, de ladite décision, ainsi que l’a fait la Roumanie, comme il ressort du point II des informations communiquées par la Commission, l’exercice, par ces premiers États membres, de la faculté que leur accorde ainsi ledit article 3, paragraphe 1, emporte, pour ceux-ci, l’obligation de reconnaître les documents visés à cette dernière disposition.

55

Cette conclusion n’est pas remise en cause par la circonstance que l’article 3 de la décision no 565/2014 ne comporte pas de disposition équivalente à celle contenue à l’article 2 de celle-ci, dont le paragraphe 3 précise expressément que la décision d’un des quatre États membres destinataires de la décision no 565/2014 d’appliquer celle-ci emporte l’obligation de reconnaître, en principe, tous les documents visés aux paragraphes 1 et 2 dudit article.

56

En effet, il ressort de l’article 2, paragraphe 3, de la décision no 565/2014 que les États membres destinataires de cette décision et qui ont choisi de l’appliquer sont tenus de reconnaître, en principe, tous les documents visés à l’article 2, paragraphes 1 et 2, de la même décision, délivrés par les États membres qui mettent en œuvre l’intégralité de l’acquis de Schengen, et ce quel que soit, parmi ces derniers, l’État membre d’émission.

57

Dans ces conditions, l’absence, à l’article 3 de la décision no 565/2014, de disposition équivalente à celle figurant à l’article 2, paragraphe 3, de cette décision ne saurait être interprétée en ce sens que les États membres destinataires de ladite décision, qui ont choisi d’appliquer l’article 3 de celle-ci, conservent la liberté de déroger, au cas par cas, au régime de reconnaissance des visas et des titres de séjour auquel ils ont adhéré conformément à l’article 5 de la même décision.

58

En deuxième lieu, s’agissant de la portée de l’obligation visée au point 54 du présent arrêt, elle consiste, pour les États membres concernés, à reconnaître comme équivalant à leurs visas nationaux, aux fins de transit par leur territoire ou de séjours envisagés sur leur territoire n’excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours, les visas et les titres de séjour délivrés par les autres États membres destinataires de la décision no 565/2014, tels que mentionnés à l’article 3, paragraphe 1, sous a) et b), de cette décision et énumérés dans les annexes de celle-ci.

59

Ainsi qu’il résulte par ailleurs de l’article 3, paragraphe 1, de la décision no 565/2014, la seule dérogation possible envisagée par le législateur de l’Union à l’obligation qu’il prévoit concerne les visas et les titres de séjour apposés sur des documents de voyage que les États membres concernés ne reconnaissent pas ou sur des documents de voyage délivrés par un pays tiers avec lequel ils n’entretiennent pas de relations diplomatiques.

60

Il s’ensuit que, hormis cette dérogation explicitement envisagée, les États membres destinataires de la décision no 565/2014 et qui ont choisi d’adhérer au régime prévu à l’article 3, paragraphe 1, de la décision no 565/2014 doivent se conformer à ladite obligation de reconnaissance en présence de cas individuels relevant de son champ d’application.

61

Cette interprétation est corroborée par l’objectif de la décision no 565/2014 qui consiste, ainsi qu’il ressort de son intitulé, à établir un régime simplifié de contrôle des personnes aux frontières extérieures, fondé sur la reconnaissance, par les États membres y participant, de l’équivalence de certains documents de voyage à leurs visas nationaux.

62

En effet, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 49 de ses conclusions, d’une part, si les États membres destinataires de la décision no 565/2014 qui ont choisi d’appliquer l’article 3 de celle-ci jouissaient de la faculté de déroger, au cas par cas, au régime simplifié de contrôle visé par cette décision, ce régime ne pourrait être mis en œuvre de manière effective.

63

D’autre part, une telle faculté ne serait pas conforme au principe de sécurité juridique que la publication, au Journal officiel de l’Union européenne, de la décision de l’État membre concerné d’appliquer la décision no 565/2014, effectuée en vertu de l’article 5 de cette décision, vise à favoriser.

64

En troisième lieu, concernant l’invocabilité, à l’encontre de l’État membre de destination, de l’obligation visée à l’article 3, paragraphe 1, de la décision no 565/2014, il convient de rappeler que la Cour a admis que les justiciables peuvent se prévaloir, à l’encontre d’un État membre, des dispositions d’une décision de l’Union qui lui est adressée, dans la mesure où les obligations que prévoient ces dispositions à la charge de cet État membre sont inconditionnelles et suffisamment précises (voir, en ce sens, arrêt du 10 novembre 1992, Hansa Fleisch Ernst Mundt, C‑156/91, EU:C:1992:423, points 12 et 13 ainsi que jurisprudence citée).

65

À cet égard, il y a lieu de considérer que, une fois l’engagement visé au point 54 du présent arrêt pris par l’État membre concerné, l’obligation prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la décision no 565/2014, tel qu’interprété aux points 60 à 63 du présent arrêt, satisfait à ces critères d’inconditionnalité et de précision suffisante.

66

Cette appréciation n’est pas infirmée par la circonstance que, de manière analogue à l’article 2, paragraphe 3, de la décision no 565/2014, l’article 3, paragraphe 1, de cette décision autorise les États membres à déroger à l’obligation que cette disposition prévoit dans le cas où les visas et les titres de séjour sont apposés sur des documents que ces États membres ne reconnaissent pas ou sur des documents de voyage délivrés par un État tiers avec lequel ils n’entretiennent pas de relations diplomatiques.

67

En effet, la Cour a déjà jugé que le fait qu’une décision permette aux États membres qui en sont les destinataires de déroger, dans certaines conditions susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, à des dispositions claires et précises de cette même décision ne saurait, en lui-même, priver ces dispositions d’effet direct (arrêt du 9 septembre 1999, Feyrer, C‑374/97, EU:C:1999:397, point 24 et jurisprudence citée).

68

Par conséquent, les justiciables peuvent invoquer l’obligation prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la décision no 565/2014 à l’encontre d’un État membre destinataire de cette décision et qui a décidé d’exercer la faculté prévue par cette disposition.

69

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 3, paragraphe 1, de la décision no 565/2014 doit être interprété en ce sens qu’il produit un effet direct et engendre, au profit des ressortissants de pays tiers, des droits dont ceux-ci peuvent se prévaloir à l’encontre de l’État membre de destination, en particulier celui qu’un visa ne soit pas exigé aux fins de leur entrée sur le territoire de cet État membre dans le cas où ces ressortissants sont titulaires d’un visa d’entrée ou d’un titre de séjour relevant de la liste des documents bénéficiant d’une reconnaissance que ledit État membre s’est engagé à appliquer conformément à cette décision.

Sur la deuxième question

70

Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’un transporteur aérien qui, lui-même ou par l’intermédiaire de ses représentants et mandataires à l’aéroport de l’État membre de départ, refuse l’embarquement à un passager en invoquant le refus d’entrée opposé à ce dernier par les autorités de l’État membre de destination doit être considéré comme agissant en tant qu’émanation dudit État, de sorte que le passager lésé peut opposer à ce transporteur aérien la décision no 565/2014 devant une juridiction de l’État membre de départ aux fins d’obtenir réparation au titre de la violation de son droit d’entrer sur le territoire de l’État membre de destination sans être en possession d’un visa émis par ce dernier.

71

À titre liminaire, il y a lieu de relever que, au vu des précisions reprises aux points 29 et 30 du présent arrêt, c’est à la juridiction de renvoi qu’il appartiendra de vérifier si un tel refus d’entrée a ou non effectivement été opposé par les autorités roumaines. Sous cette réserve et la deuxième question ayant été libellée par ladite juridiction en référence à l’hypothèse que tel pourrait avoir été le cas en l’occurrence, la Cour est appelée à répondre à celle-ci en partant d’une telle hypothèse.

72

Il convient de rappeler que la Cour a jugé que les dispositions inconditionnelles et suffisamment précises d’une directive peuvent être invoquées par les justiciables non seulement à l’encontre d’un État membre et de l’ensemble des organes de son administration, mais également à l’encontre d’organismes ou d’entités, fussent-ils de droit privé, qui soit sont soumis à l’autorité ou au contrôle d’une autorité publique, soit se sont vu confier par un État membre l’accomplissement d’une mission d’intérêt public et détiennent à cet effet des pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers. En effet, il convient d’éviter que l’État ne puisse tirer avantage de sa méconnaissance du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 10 octobre 2017, Farrell, C‑413/15, EU:C:2017:745, points 32, 34 et 35).

73

Une telle jurisprudence peut être transposée par analogie aux dispositions inconditionnelles et suffisamment précises d’une décision de l’Union, telles que celles figurant à l’article 3, paragraphe 1, de la décision no 565/2014 (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2007, Carp, C‑80/06, EU:C:2007:327, point 21).

74

Par conséquent, aux fins de déterminer si un transporteur aérien est susceptible de se voir opposer la décision no 565/2014 par un passager qu’il a refusé à l’embarquement au motif que les autorités de l’État membre de destination lui auraient refusé l’entrée sur leur territoire en raison de l’absence de visa d’entrée, il convient de vérifier si ce transporteur doit être considéré comme étant une entité telle que celles visées au point 72 du présent arrêt.

75

En particulier, la question se pose de savoir si un transporteur aérien ou son mandataire, qui procède à la vérification des documents de voyage d’un passager, ressortissant d’un pays tiers, à l’aéroport de l’État membre de départ doit être considéré comme ayant été chargé par l’État membre de destination d’assumer des fonctions de contrôle aux frontières conformément à l’article 7, paragraphe 3, du code frontières Schengen et comme disposant, à cet effet, de pouvoirs adéquats.

76

À cet égard, d’une part, ainsi qu’il résulte de l’article 7, paragraphe 1, du code frontières Schengen, lu en combinaison avec l’article 2, point 13, de ce code, il appartient aux seuls garde-frontières, lesquels ont la qualité d’agent public et sont soumis, notamment, aux règles établies par ledit code, d’exercer les fonctions de contrôle aux frontières. Conformément à l’article 15, paragraphe 1, du code frontières Schengen, il s’agit de professionnels spécialisés et dûment formés. En outre, en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de ce code, les États membres sont tenus de notifier à la Commission la liste des services nationaux chargés du contrôle aux frontières.

77

D’autre part, il résulte de l’article 7, paragraphe 3, du code frontières Schengen que les contrôles aux frontières portant sur les ressortissants des pays tiers consistent en une vérification approfondie, laquelle inclut, notamment, la recherche d’indices de falsification ou de contrefaçon du document de voyage, la vérification que le ressortissant du pays tiers concerné dispose de moyens de subsistance suffisants, ainsi que la vérification que le ressortissant du pays tiers concerné, son moyen de transport et les objets qu’il transporte ne sont pas de nature à compromettre l’ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales de l’un des États membres.

78

Or, s’agissant des transporteurs aériens, leur mission est manifestement différente de celle qui incombe aux garde-frontières dans la mesure où, ainsi qu’il résulte de l’article 26, paragraphe 1, sous b), de la CAAS, elle consiste uniquement à vérifier que les ressortissants étrangers qu’ils transportent sont « en possession des documents de voyage requis » pour l’entrée sur le territoire de l’État membre de destination.

79

Il découle des considérations qui précèdent qu’un transporteur aérien ou son mandataire ne saurait être considéré ni comme ayant été chargé, par l’État membre de destination, d’assumer les fonctions de contrôle aux frontières conformément à l’article 7, paragraphe 3, du code frontières Schengen, ni comme disposant, à cet effet, des pouvoirs adéquats.

80

Par conséquent, un transporteur aérien ne peut se voir opposer la décision no 565/2014 par un passager qu’il a refusé à l’embarquement au motif que l’entrée sur le territoire de l’État membre de destination aurait été refusée à ce passager par les autorités de ce dernier État.

81

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’un transporteur aérien qui, lui-même ou par l’intermédiaire de ses représentants et de ses mandataires à l’aéroport de l’État membre de départ, refuse l’embarquement à un passager en invoquant le refus d’entrée opposé par les autorités de l’État membre de destination ne saurait être considéré comme agissant en tant qu’émanation dudit État, de sorte que le passager lésé n’est pas fondé à lui opposer la décision no 565/2014 devant une juridiction de l’État membre de départ aux fins d’obtenir réparation au titre de la violation de son droit d’entrer sur le territoire de l’État membre de destination sans être en possession d’un visa émis par ce dernier.

Sur la troisième question

82

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union, notamment l’article 13 du code frontières Schengen, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un transporteur aérien refuse l’embarquement à un ressortissant de pays tiers en invoquant un refus des autorités de l’État membre de destination de permettre à ce dernier l’entrée sur son territoire, sans que ce refus d’entrée ait fait l’objet d’une décision écrite et motivée, notifiée au préalable audit ressortissant.

83

À cet égard, il importe de souligner que, conformément à l’article 13, paragraphe 2, du code frontières Schengen, l’entrée d’un ressortissant de pays tiers sur le territoire d’un État membre ne peut être refusée qu’au moyen d’une décision motivée indiquant les raisons précises du refus, adoptée par une autorité compétente habilitée à ce titre par la législation nationale applicable et notifiée au moyen d’un formulaire uniforme remis au ressortissant concerné, qui accuse réception de la décision de refus au moyen dudit formulaire.

84

Il résulte de cette disposition que le refus d’entrée est soumis à des conditions de forme particulièrement strictes, lesquelles sont notamment destinées à préserver les droits de la défense, ainsi qu’il découle de l’article 13, paragraphe 3, du code frontières Schengen, aux termes duquel les personnes ayant fait l’objet d’une décision de refus d’entrée ont le droit de former un recours contre cette décision.

85

Il s’ensuit que l’article 13, paragraphe 3, du code frontières Schengen s’oppose à ce que, en l’absence de décision de refus d’entrée adoptée et communiquée conformément à l’article 13, paragraphe 2, de ce code, un transporteur aérien puisse, afin de justifier le refus d’embarquer un passager, invoquer à l’encontre de ce dernier un quelconque refus d’entrée sur le territoire de l’État membre de destination, sans quoi un tel passager se verrait privé, en particulier, de la possibilité d’exercer effectivement ses droits de la défense.

86

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question que le droit de l’Union, notamment l’article 13 du code frontières Schengen, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un transporteur aérien refuse l’embarquement à un ressortissant de pays tiers en invoquant un refus des autorités de l’État membre de destination de permettre à ce dernier l’entrée sur son territoire, sans que ce refus d’entrée ait fait l’objet d’une décision écrite et motivée, notifiée au préalable audit ressortissant.

Sur la quatrième question

87

Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le règlement no 261/2004, notamment son article 2, sous j), doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un transporteur aérien refuse l’embarquement à un passager au motif que celui-ci aurait présenté des documents de voyage inadéquats, un tel refus prive ce passager de la protection prévue par ledit règlement ou s’il appartient à la juridiction compétente d’apprécier, en tenant compte des circonstances de l’espèce, le caractère raisonnablement justifié dudit refus au regard de cette disposition.

88

À cet égard, il convient, tout d’abord, de rappeler que le champ d’application du règlement no 261/2004 est défini à son article 3, dont le paragraphe 2, sous a), prévoit que ledit règlement s’applique, notamment, aux passagers qui disposent d’une réservation confirmée pour un vol au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre et se présentent à l’enregistrement comme spécifié et à l’heure indiquée ou, en l’absence d’indication d’heure, au plus tard quarante-cinq minutes avant l’heure de départ publiée.

89

Ensuite, il importe de relever que l’article 4 du règlement no 261/2004, intitulé « Refus d’embarquement », prévoit, à son paragraphe 3, que le transporteur aérien qui refuse des passagers à l’embarquement contre leur volonté est tenu d’indemniser ces derniers conformément à l’article 7 de ce règlement et de leur offrir une assistance conformément aux articles 8 et 9 dudit règlement.

90

Enfin, le refus d’embarquement est défini à l’article 2, sous j), du règlement no 261/2004 comme étant le refus de transporter des passagers sur un vol, bien qu’ils se soient présentés à l’embarquement dans les conditions fixées à l’article 3, paragraphe 2, de ce règlement, sauf s’il est raisonnablement justifié de refuser l’embarquement, notamment pour des raisons de santé, de sûreté ou de sécurité, ou de documents de voyage inadéquats.

91

Il résulte d’une lecture combinée de l’ensemble des dispositions mentionnées aux points 88 à 90 du présent arrêt que, lorsqu’un passager satisfaisant aux conditions établies à l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 261/2004 est refusé à l’embarquement contre sa volonté, il a droit à une indemnisation ainsi qu’à une assistance de la part du transporteur aérien effectif, à moins que ce refus ne soit raisonnablement justifié, par exemple en raison du caractère inadéquat de ses documents de voyage.

92

La formulation de l’expression « sauf s’il est raisonnablement justifié de refuser l’embarquement », figurant à l’article 2, sous j), du règlement no 261/2004, met en évidence que le législateur de l’Union n’a pas entendu réserver au transporteur aérien le pouvoir d’apprécier et d’établir lui-même de manière définitive le caractère inadéquat des documents de voyage.

93

Cette interprétation est corroborée par l’objectif du règlement no 261/2004, énoncé à son considérant 1, qui est de garantir un niveau élevé de protection des passagers, de sorte que les droits reconnus à ces derniers doivent faire l’objet d’une interprétation large (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2012, Rodríguez Cachafeiro et Martínez-Reboredo Varela-Villamor, C‑321/11, EU:C:2012:609, point 25).

94

En effet, le règlement no 261/2004 visant notamment à remédier aux difficultés et aux désagréments sérieux qu’entraîne pour les passagers un refus d’embarquement, il serait contraire audit objectif, lequel implique une protection élevée de ces derniers, d’accorder au transporteur aérien concerné le pouvoir d’apprécier et de décider unilatéralement et de manière définitive que, dans tel cas d’espèce, le refus est raisonnablement justifié et, par voie de conséquence, de priver les passagers en question de la protection dont ils sont censés bénéficier en vertu dudit règlement.

95

Dès lors, en cas de contestation de la part du passager ayant fait l’objet d’un refus d’embarquement, il appartient à la juridiction compétente d’apprécier, en tenant compte des circonstances pertinentes de l’espèce, le caractère éventuellement inadéquat de ses documents de voyage et, en définitive, le caractère raisonnablement justifié de ce refus.

96

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que le requérant au principal a présenté, au moment de l’embarquement, non seulement sa réservation de vol, son passeport et son titre de séjour temporaire chypriote en cours de validité, mais aussi la réponse écrite à sa demande de visa émise par le ministère des Affaires étrangères roumain confirmant qu’il n’avait pas besoin, pour entrer sur le territoire roumain, d’un tel visa, à laquelle il s’est fié de bonne foi. Il ressort également du dossier dont dispose la Cour que le refus d’embarquement a été opposé sans que le transporteur aérien dispose d’une décision de refus d’entrée au sens de l’article 13 du code frontières Schengen ou d’une assurance que l’information fournie par le personnel au sol de Blue Air à Bucarest, indiquant que le requérant au principal se verrait refuser l’entrée sur le territoire roumain en cas d’embarquement, provenait d’une autorité compétente pour émettre une telle décision ou pour fournir une information fiable à cet égard. Le refus d’embarquement paraît également avoir été opposé sans que tous ces éléments soient vérifiés de manière croisée avec les informations figurant dans les bases de données pertinentes et susceptibles de confirmer que, en vertu de la décision no 565/2014, les autorités roumaines ne pouvaient, dans les circonstances telles qu’elles ressortent du dossier dont dispose la Cour, refuser l’entrée sur leur territoire au requérant au principal au seul motif qu’il ne disposait pas d’un visa national.

97

Or, dans de telles circonstances, dont la juridiction de renvoi doit vérifier l’exactitude, il ne saurait être considéré que le refus d’embarquement en cause au principal ait pu revêtir un caractère raisonnablement justifié au sens de l’article 2, sous j), du règlement no 261/2004, dès lors que, d’une part, ce refus apparaît être fondé non pas sur un comportement imputable au passager, mais sur une compréhension erronée du transporteur aérien quant aux exigences tenant aux documents de voyage requis pour le voyage en cause, le cas échéant étayée par une information également erronée de la part d’une autorité non identifiée de l’État membre de destination, et, d’autre part, il semble que cette erreur aurait pu être raisonnablement évitée.

98

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la quatrième question que le règlement no 261/2004, notamment son article 2, sous j), doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un transporteur aérien refuse l’embarquement à un passager au motif que celui-ci aurait présenté des documents de voyage inadéquats, un tel refus ne prive pas, en lui-même, ce passager de la protection prévue par ledit règlement. En cas de contestation de la part de ce passager, il appartient, en effet, à la juridiction compétente d’apprécier, en tenant compte des circonstances de l’espèce, le caractère raisonnablement justifié ou non dudit refus au regard de cette disposition.

Sur la cinquième question

99

Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le règlement no 261/2004, notamment son article 15, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une clause contenue dans les conditions générales, préalablement publiées, relatives aux modalités de fonctionnement ou aux prestations de services d’un transporteur aérien, qui limite ou exclut la responsabilité de ce dernier lorsque l’embarquement est refusé à un passager en raison du caractère prétendument inadéquat de ses documents de voyage, privant ainsi ledit passager de son éventuel droit à indemnisation.

100

L’article 15 du règlement no 261/2004, intitulé « Irrecevabilité des dérogations », dispose, à son paragraphe 1, que les obligations des transporteurs aériens envers les passagers qui sont énoncées par ce règlement ne sauraient être limitées ou levées, notamment par une dérogation ou une clause restrictive figurant dans le contrat de transport.

101

Pour sa part, l’article 15, paragraphe 2, dudit règlement précise que, si toutefois une telle dérogation ou une telle clause restrictive est appliquée à l’égard d’un passager, ou si un passager n’est pas dûment informé de ses droits et accepte, par conséquent, une indemnisation inférieure à celle prévue par le même règlement, ce passager a le droit d’entreprendre les démarches nécessaires auprès des tribunaux ou des organismes compétents en vue d’obtenir une indemnisation complémentaire.

102

À cet égard, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la question de savoir si les conditions générales d’un transporteur aérien, telles que celles décrites par la juridiction de renvoi dans le libellé de sa question, doivent être regardées comme faisant partie du contrat de transport, au sens de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 261/2004, il convient de relever que, compte tenu de l’emploi, dans cette disposition, de l’adverbe « notamment » et eu égard à l’objectif de protection élevée des passagers aériens sous-jacent à ladite disposition et au règlement no 261/2004 dans son ensemble, doivent être considérées comme étant irrecevables non seulement les dérogations qui figurent dans un contrat de transport, acte de nature synallagmatique auquel le passager a souscrit, mais également, et a fortiori, celles qui seraient contenues dans d’autres documents de nature unilatérale émanant du transporteur et dont celui-ci entendrait se prévaloir à l’égard des passagers concernés.

103

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la cinquième question que le règlement no 261/2004, notamment son article 15, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une clause applicable aux passagers, contenue dans les conditions générales, préalablement publiées, relatives aux modalités de fonctionnement ou aux prestations de services d’un transporteur aérien, qui limite ou exclut la responsabilité de ce dernier lorsque l’embarquement est refusé à un passager en raison du caractère prétendument inadéquat de ses documents de voyage, privant ainsi ledit passager de son éventuel droit à indemnisation.

Sur les dépens

104

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 3, paragraphe 1, de la décision no 565/2014/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un régime simplifié de contrôle des personnes aux frontières extérieures, fondé sur la reconnaissance unilatérale par la Bulgarie, la Croatie, Chypre et la Roumanie de certains documents comme équivalant à leurs visas nationaux aux fins de transit par leur territoire ou de séjours envisagés sur leur territoire n’excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours, et abrogeant les décisions no 895/2006/CE et no 582/2008/CE, doit être interprété en ce sens qu’il produit un effet direct et engendre, au profit des ressortissants de pays tiers, des droits dont ceux-ci peuvent se prévaloir à l’encontre de l’État membre de destination, notamment celui qu’un visa ne soit pas exigé aux fins de leur entrée sur le territoire de cet État membre dans le cas où ces ressortissants sont titulaires d’un visa d’entrée ou d’un titre de séjour relevant de la liste des documents bénéficiant d’une reconnaissance que ledit État membre s’est engagé à appliquer conformément à cette décision.

 

2)

Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’un transporteur aérien qui, lui-même ou par l’intermédiaire de ses représentants et de ses mandataires à l’aéroport de l’État membre de départ, refuse l’embarquement à un passager en invoquant le refus d’entrée opposé par les autorités de l’État membre de destination ne saurait être considéré comme agissant en tant qu’émanation dudit État, de sorte que le passager lésé n’est pas fondé à lui opposer la décision no 565/2014 devant une juridiction de l’État membre de départ aux fins d’obtenir réparation au titre de la violation de son droit d’entrer sur le territoire de l’État membre de destination sans être en possession d’un visa émis par ce dernier.

 

3)

Le droit de l’Union, notamment l’article 13 du règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), tel que modifié par le règlement (UE) no 610/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un transporteur aérien refuse l’embarquement à un ressortissant de pays tiers en invoquant un refus des autorités de l’État membre de destination de permettre à ce dernier l’entrée sur son territoire, sans que ce refus d’entrée ait fait l’objet d’une décision écrite et motivée, notifiée au préalable audit ressortissant.

 

4)

Le règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91, notamment son article 2, sous j), doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un transporteur aérien refuse l’embarquement à un passager au motif que celui-ci aurait présenté des documents de voyage inadéquats, un tel refus ne prive pas, en lui-même, ce passager de la protection prévue par ledit règlement. En cas de contestation de la part de ce passager, il appartient, en effet, à la juridiction compétente d’apprécier, en tenant compte des circonstances de l’espèce, le caractère raisonnablement justifié ou non dudit refus au regard de cette disposition.

 

5)

Le règlement no 261/2004, notamment son article 15, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une clause applicable aux passagers, contenue dans les conditions générales, préalablement publiées, relatives aux modalités de fonctionnement ou aux prestations de services d’un transporteur aérien, qui limite ou exclut la responsabilité de ce dernier lorsque l’embarquement est refusé à un passager en raison du caractère prétendument inadéquat de ses documents de voyage, privant ainsi ledit passager de son éventuel droit à indemnisation.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le grec.