ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

19 décembre 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Protection communautaire des obtentions végétales – Règlement (CE) no 2100/94 – Article 13, paragraphe 2 et paragraphe 3 – Effets de la protection – Système de protection en cascade – Mise en culture de constituants variétaux et récolte de leurs fruits – Distinction entre les actes accomplis sur les constituants variétaux et ceux accomplis sur le matériel de récolte – Notion d’“utilisation non autorisée de constituants variétaux” – Article 95 – Protection provisoire »

Dans l’affaire C‑176/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), par décision du 6 mars 2018, parvenue à la Cour le 7 mars 2018, dans la procédure

Club de Variedades Vegetales Protegidas

contre

Adolfo Juan Martínez Sanchís,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. P. G. Xuereb, président de chambre, MM. T. von Danwitz (rapporteur) et A. Kumin, juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : Mme L. Carrasco Marco, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 mai 2019,

considérant les observations présentées :

pour Club de Variedades Vegetales Protegidas, par Me P. Tent Alonso, abogado, ainsi que par Mes V. Gigante Pérez, G. Navarro Pérez, et I. Pérez-Cabrero Ferrández, abogadas,

pour M. Martínez Sanchís, par Me C. Kraus Frutos, abogada, et par Mme M. L. Maestre Gómez, procuradora,

pour le gouvernement hellénique, par M. G. Kanellopoulos ainsi que par Mmes E. Leftheriotou et A. Vasilopoulou, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mmes B. Eggers, I. Galindo Martín, G. Koleva et F. Castilla Contreras ainsi que par M. F. Castillo de la Torre, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 18 septembre 2019,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 13 du règlement (CE) no 2100/94 du Conseil, du 27 juillet 1994, instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales (JO 1994, L 227, p. 1, et rectificatif JO 2001, L 111, p. 31).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Club de Variedades Vegetales Protegidas (ci-après « CVVP »), représentant les intérêts du titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales pour la variété de mandariniers Nadorcott, à M. Adolfo Juan Martínez Sanchís au sujet de l’exploitation, par ce dernier, de plants de cette variété.

Le cadre juridique

La convention UPOV

3

La convention internationale pour la protection des obtentions végétales, du 2 décembre 1961, dans sa version révisée le 19 mars 1991 (ci-après la « convention UPOV »), a été approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision du Conseil, du 30 mai 2005 (JO 2005, L 192, p. 63).

4

Aux termes de l’article 14 de cette convention :

« 1.   [Actes à l’égard du matériel de reproduction ou de multiplication] a) Sous réserve des articles 15 et 16, l’autorisation de l’obtenteur est requise pour les actes suivants accomplis à l’égard du matériel de reproduction ou de multiplication de la variété protégée :

i)

la production ou la reproduction,

ii)

le conditionnement aux fins de la reproduction ou de la multiplication,

iii)

l’offre à la vente,

iv)

la vente ou toute autre forme de commercialisation,

v)

l’exportation,

vi)

l’importation,

vii)

la détention à l’une des fins mentionnées aux points i) à vi) ci-dessus.

b)

L’obtenteur peut subordonner son autorisation à des conditions et à des limitations.

2.   [Actes à l’égard du produit de la récolte] Sous réserve des articles 15 et 16, l’autorisation de l’obtenteur est requise pour les actes mentionnés aux points i) à vii) du paragraphe 1), a), accomplis à l’égard du produit de la récolte, y compris des plantes entières et des parties de plantes, obtenu par utilisation non autorisée de matériel de reproduction ou de multiplication de la variété protégée, à moins que l’obtenteur ait raisonnablement pu exercer son droit en relation avec ledit matériel de reproduction ou de multiplication.

[...] »

Le règlement no 2100/94

5

Aux termes des quatorzième, dix-septième, dix-huitième, vingtième et vingt-neuvième considérants du règlement no 2100/94 :

« considérant que, puisque la protection communautaire des obtentions végétales doit avoir un effet uniforme dans toute la Communauté, les transactions commerciales soumises au consentement du titulaire doivent être clairement définies ; que l’étendue de la protection devrait être élargie, par rapport à la plupart des systèmes nationaux, à certains matériels de la variété pour tenir compte des échanges avec des pays extérieurs à la Communauté où il n’existe aucune protection ; que l’introduction du principe d’épuisement des droits doit toutefois garantir que la protection n’est pas excessive ;

[...]

considérant que l’exercice des droits conférés par la protection communautaire des obtentions végétales doit être soumis à des restrictions prévues dans des dispositions adoptées dans l’intérêt public ;

considérant que cela comporte la sauvegarde de la production agricole ; que, dans ce but, l’agriculteur doit être autorisé à utiliser, selon certaines modalités, le produit de sa récolte à des fins de propagation ;

[...]

considérant que des licences obligatoires doivent également être prévues dans certaines circonstances dans l’intérêt public, ce qui peut comprendre la nécessité d’approvisionner le marché en matériel présentant des caractéristiques déterminées ou de continuer à encourager la sélection constante de variétés améliorées ;

[...]

considérant que le présent règlement tient compte des conventions internationales existantes telles que la [convention UPOV] [...] »

6

L’article 5 de ce règlement, intitulé « Objet de la protection communautaire des obtentions végétales », prévoit, à son paragraphe 3 :

« Un ensemble végétal est constitué de végétaux entiers ou de parties de végétaux dans la mesure où ces parties peuvent produire des végétaux entiers, tous deux dénommés ci-après “constituants variétaux”. »

7

L’article 13 dudit règlement, intitulé « Droits du titulaire d’une protection communautaire des obtentions végétales et limitations », dispose :

« 1.   La protection communautaire des obtentions végétales a pour effet de réserver à son ou ses titulaires, ci-après dénommés “titulaire”, le droit d’accomplir les actes indiqués au paragraphe 2.

2.   Sans préjudice des articles 15 et 16, l’autorisation du titulaire est requise pour les actes suivants en ce qui concerne les constituants variétaux ou le matériel de récolte de la variété protégée, ci-après dénommés “matériel” :

a)

production ou reproduction (multiplication) ;

b)

conditionnement aux fins de la multiplication ;

c)

offre à la vente ;

d)

vente ou autre forme de commercialisation ;

e)

exportation à partir de la Communauté ;

f)

importation dans la Communauté ;

g)

détention aux fins mentionnées aux points a) à f).

Le titulaire peut subordonner son autorisation à des conditions et à des limitations.

3.   Le paragraphe 2 s’applique au matériel de récolte uniquement si celui-ci a été obtenu par l’utilisation non autorisée de constituants variétaux de la variété protégée et sauf si le titulaire a raisonnablement pu exercer son droit en relation avec lesdits composants variétaux.

[...] »

8

L’article 16 du même règlement, intitulé « Épuisement de la protection communautaire des obtentions végétales », dispose :

« La protection communautaire des obtentions végétales ne s’étend pas aux actes concernant du matériel de la variété protégée ou d’une variété couverte par les dispositions de l’article 13 paragraphe 5 qui a été cédé à des tiers par le titulaire ou avec son consentement en un lieu quelconque de la Communauté, ou du matériel dérivé dudit matériel, à moins que ces actes :

a)

impliquent la multiplication ultérieure de la variété en question, sauf si cette multiplication était prévue lors de la cession du matériel

ou

b)

impliquent une exportation de constituants variétaux vers un pays tiers qui ne protège pas les variétés du genre végétal ou de l’espèce végétale dont la variété fait partie, sauf si le matériel exporté est destiné à la consommation. »

9

En vertu de l’article 94 du règlement no 2100/94, intitulé « Contrefaçon » :

« 1.   Toute personne qui :

a)

accomplit, sans y avoir été autorisée, un des actes visés à l’article 13, paragraphe 2, à l’égard d’une variété faisant l’objet d’une protection communautaire des obtentions végétales

ou

b)

n’utilise pas correctement une dénomination variétale conformément à l’article 17, paragraphe 1, ou omet d’indiquer les informations nécessaires conformément à l’article 17, paragraphe 2

ou

c)

utilise, contrairement à l’article 18, paragraphe 3, la dénomination variétale d’une variété faisant l’objet d’une protection communautaire des obtentions végétales ou une dénomination pouvant être confondue avec ladite dénomination

peut faire l’objet d’une action, intentée par le titulaire, en cessation de la contrefaçon ou en versement d’une rémunération équitable ou à ce double titre.

2.   Toute personne qui agit de propos délibéré ou par négligence est en outre tenue de réparer le préjudice subi par le titulaire. En cas de faute légère, le droit à réparation du titulaire peut être diminué en conséquence, sans être toutefois inférieur à l’avantage acquis par l’auteur de la contrefaçon du fait de cette contrefaçon. »

10

L’article 95 de ce règlement est rédigé comme suit :

« Le titulaire peut exiger une rémunération équitable de la part de toute personne ayant accompli, pendant la période comprise entre la publication de la demande de protection communautaire des obtentions végétales et l’octroi de ladite protection, un acte qui lui aurait été interdit après ladite période au titre de la protection communautaire. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11

À la suite d’une demande déposée par Nadorcott Protection SARL le 22 août 1995 auprès de l’office communautaire des variétés végétales (OCVV), ce dernier lui a octroyé, le 4 octobre 2004, une protection communautaire des obtentions végétales relative à la variété de mandariniers dénommée « Nadorcott ». Cette décision a fait l’objet d’un recours à effet suspensif, lequel a été rejeté le 8 novembre 2005 par une décision publiée au Bulletin officiel de l’OCVV du 15 février 2006.

12

Entre le 22 août 1995 et le 15 février 2006, M. Martínez Sanchís a acquis, auprès d’une pépinière ouverte au public, des plants de la variété Nadorcott, dont certains ont été mis en culture au printemps de l’année 2005 et d’autres au printemps de l’année 2006. Après le 15 février 2006, il a procédé au remplacement d’un certain nombre de plants de cette variété végétale, les nouveaux plants ayant été achetés, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, auprès de cette même pépinière.

13

CVVP, à qui a été confié l’exercice des actions en contrefaçon en ce qui concerne la variété Nadorcott, a attrait M. Martínez Sanchís en justice, au motif qu’il aurait violé les droits du titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales relative à cette variété végétale. CVVP a ainsi engagé, d’une part, une action au titre de la « protection provisoire » concernant les actes entrepris par M. Martínez Sanchís antérieurement à l’octroi de cette protection, soit le 15 février 2006, et, d’autre part, une action en contrefaçon en raison des actes intervenus postérieurement à cette date. CVVP a demandé, en outre, la cessation de l’ensemble de ces actes, y compris celui relatif à la commercialisation des fruits obtenus à partir des arbres de ladite variété végétale, ainsi que la réparation du préjudice prétendument subi du fait des actes entrepris par M. Martínez Sanchís tant pendant la période de protection provisoire, qu’après celle-ci.

14

Considérant que l’action en contrefaçon de CVVP était prescrite en vertu de l’article 96 du règlement no 2100/94, le juge de première instance a rejeté son recours.

15

L’Audiencia Provincial (cour provinciale, Espagne), saisie en appel de cette décision, a jugé que l’action n’était pas prescrite, mais l’a rejetée comme non fondée. Cette juridiction a constaté, d’une part, que M. Martínez Sanchís avait acquis les plants de la variété Nadorcott de bonne foi, auprès d’une pépinière ouverte au public et, d’autre part, que cette acquisition avait eu lieu à une date antérieure à celle de l’octroi de la protection communautaire des obtentions végétales relative à cette variété, à savoir le 15 février 2006. Dans ces circonstances, ladite juridiction a décidé que les prétentions de CVVP n’étaient pas fondées.

16

Le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), a été saisie par CVVP d’un pourvoi en cassation contre ce jugement.

17

Cette juridiction s’interroge sur le point de savoir si la mise en culture de constituants végétaux d’une variété protégée et la récolte des fruits de ces constituants doivent être considérées comme un acte concernant les « constituants variétaux » nécessitant, selon l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement no 2100/94, l’autorisation préalable du titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales relative à la variété végétale, sous peine d’être constitutif d’un acte de contrefaçon, ou plutôt comme un acte concernant le « matériel de récolte », lequel n’est, selon cette même juridiction, soumis à cette exigence d’autorisation préalable que dans les conditions visées à l’article 13, paragraphe 3, de ce règlement.

18

Dans l’hypothèse où l’article 13, paragraphe 3, du règlement no 2100/94 serait applicable à l’affaire dont elle est saisie, la juridiction de renvoi se demande, en outre, si la condition relative à une « utilisation non autorisée de constituants variétaux de la variété protégée », au sens de cette disposition, peut être remplie lorsque la variété en cause, dont les plants ont été acquis pendant la période comprise entre la publication de la demande de protection et l’octroi effectif de cette protection, ne bénéficie que d’une « protection provisoire », conformément à l’article 95 de ce règlement.

19

Dans ces conditions, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Lorsqu’un agriculteur a acheté en pépinière (établissement appartenant à un tiers) des plants d’une variété végétale et qu’il les a plantés avant que l’octroi de la protection de cette variété ne produise ses effets, faut-il, pour que l’activité réalisée ensuite par l’agriculteur, consistant à effectuer les récoltes successives des arbres, soit concernée par le ius prohibendi visé à l’article 13, paragraphe 2, du règlement [no 2100/94], que les conditions posées par le paragraphe 3 de cet article soient remplies au motif qu’il s’agit de “matériel de récolte” ? Ou doit-on considérer que cette activité de récolte constitue un acte de production ou de reproduction de la variété donnant naissance au “matériel de récolte”, dont l’interdiction par le titulaire de la variété végétale ne requiert pas le respect des conditions du paragraphe 3 ?

2)

Une interprétation selon laquelle le système de protection en cascade concerne tous les actes visés au paragraphe 2 portant sur le “matériel de récolte”, y compris la récolte elle-même, ou uniquement les actes postérieurs à la production de ce matériel de récolte, comme ce serait le cas de la détention et de sa commercialisation, est-elle conforme à l’article 13, paragraphe 3, du règlement [no 2100/94] ?

3)

Dans le cadre de l’application au “matériel de récolte” du système d’extension de la protection en cascade prévue par l’article 13, paragraphe 3, du règlement [no 2100/94], faut-il, pour que la première condition soit remplie, que l’achat des plants ait été effectué après que le titulaire a obtenu la protection communautaire de la variété végétale, ou suffirait-il qu’il ait bénéficié, à cette date, d’une protection provisoire, l’achat ayant eu lieu pendant la période comprise entre la publication de la demande de protection et le début des effets de l’octroi de la protection de la variété végétale ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur les première et deuxième questions

20

À titre liminaire, il convient de relever que, si CVVP a fait valoir devant la juridiction de renvoi que M. Martínez Sanchís avait planté, greffé ou exploité commercialement la variété végétale en cause au principal, cette juridiction mentionne uniquement, dans sa présentation des faits afférents au litige au principal, qu’il a planté les plants qu’il avait acquis dans une pépinière. Il apparaît ainsi qu’il n’aurait pas procédé lui-même à une multiplication de constituants de la variété protégée, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier. En outre, il y a lieu d’observer que, ainsi qu’il ressort, de manière concordante, des observations écrites soumises à la Cour, le fruit récolté des mandariniers de la variété Nadorcott, en cause au principal, n’est pas susceptible d’être utilisé en tant que matériel de multiplication des végétaux de cette variété végétale.

21

Dans ces conditions, il y a lieu de comprendre que, par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 13, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3, du règlement no 2100/94 doit être interprété en ce sens que l’activité de mise en culture d’une variété protégée et de récolte des fruits de celle-ci, qui ne sont pas susceptibles d’être utilisés en tant que matériel de multiplication, requiert l’autorisation du titulaire de ladite variété végétale pour autant que les conditions prévues au paragraphe 3 dudit article sont remplies.

22

À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement no 2100/94, l’autorisation du titulaire de la protection d’une variété végétale est requise pour les « actes de production et de reproduction (multiplication) » portant sur les « constituants variétaux » ou le « matériel de récolte » d’une variété protégée.

23

Si ladite disposition se réfère tant aux constituants variétaux qu’au matériel de récolte de la variété protégée, qu’elle dénomme ensemble le « matériel », la protection prévue pour ces deux catégories diffère néanmoins. En effet, l’article 13, paragraphe 3, de ce règlement précise que, en ce qui concerne les actes visés au paragraphe 2 de cet article portant sur le matériel de récolte, une telle autorisation n’est requise que si celui-ci a été obtenu par l’utilisation non autorisée de constituants variétaux de la variété protégée et à la condition que le titulaire de cette variété n’ait pas raisonnablement pu exercer son droit en relation avec les constituants variétaux de la variété protégée. Partant, l’autorisation requise, au titre de l’article 13, paragraphe 2, sous a), dudit règlement, de la part du titulaire d’une protection communautaire des obtentions végétales n’est requise, s’agissant d’actes portant sur le matériel de récolte, que lorsque les conditions prévues au paragraphe 3 de cet article sont remplies.

24

Il y a dès lors lieu de considérer que le règlement no 2100/94 prévoit une protection « primaire » qui couvre la production ou la reproduction de constituants variétaux, conformément à l’article 13, paragraphe 2, sous a), de ce règlement. Le matériel de récolte fait, quant à lui, l’objet d’une protection « secondaire », qui, bien qu’également mentionnée à cette disposition, est fortement limitée par les conditions supplémentaires prévues au paragraphe 3 du même article (voir, en ce sens, arrêt du 20 octobre 2011, Greenstar-Kanzi Europe, C‑140/10, EU:C:2011:677, point 26).

25

Ainsi, aux fins de déterminer si et sous quelles conditions l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement no 2100/94 s’applique à l’activité de mise en culture d’une variété végétale protégée et de récolte des fruits de cette variété qui ne sont pas susceptibles d’être utilisés en tant que matériel de multiplication, il convient d’examiner si cette activité est susceptible de donner lieu à la production ou à la reproduction de constituants variétaux ou du matériel de récolte de la variété protégée.

26

À cet égard, il convient de constater que, compte tenu du sens habituel des termes « production » et « reproduction » employés à cette disposition, celle-ci s’applique aux actes par lesquels sont générés de nouveaux constituants variétaux ou du matériel de récolte.

27

En outre, il y a lieu de rappeler que l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 2100/94 définit la notion de « constituants variétaux » comme visant les végétaux entiers ou les parties de végétaux, pour autant qu’elles peuvent produire des végétaux entiers.

28

Or, en l’occurrence, le fruit récolté à partir des arbres de la variété en cause au principal n’est pas, ainsi qu’il ressort du point 20 du présent arrêt, susceptible d’être utilisé en tant que matériel de multiplication des végétaux de cette variété.

29

Partant, la mise en culture d’une telle variété protégée et la récolte des fruits des plants de cette variété ne sauraient être qualifiées d’« acte de production ou de reproduction (multiplication) » de constituants variétaux, au sens de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement no 2100/94, mais doivent être regardées comme la production de matériel de récolte qui ne requiert l’autorisation du titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales, conformément à cette disposition lue en combinaison avec l’article 13, paragraphe 3, de ce règlement, que pour autant que ce matériel de récolte a été obtenu par l’utilisation non autorisée de constituants variétaux de la variété protégée, à moins que ce titulaire n’ait raisonnablement pu exercer son droit en relation avec lesdits composants variétaux.

30

L’importance que revêt la capacité de multiplication pour l’application de l’article 13, paragraphe 2, sous a), de ce règlement aux actes de production ou de reproduction, hormis les cas dans lesquels les conditions du paragraphe 3 de cet article sont remplies en ce qui concerne le matériel de récolte, est corroborée par le contexte dans lequel s’inscrit cet article 13.

31

En particulier, il ressort des dispositions de l’article 16 du règlement no 2100/94, relatives à l’épuisement de la protection communautaire des obtentions végétales, que cette protection ne s’étend aux actes concernant du matériel de la variété protégée qui a été cédé à des tiers par le titulaire ou avec son consentement que pour autant que ces actes impliquent, notamment, une multiplication ultérieure, non consentie par le titulaire, de la variété en question.

32

En ce qui concerne les objectifs du règlement no 2100/94, il ressort, notamment, des cinquième, quatorzième et vingtième considérants de ce règlement que bien que le régime mis en place par l’Union vise à octroyer une protection aux obtenteurs qui développent de nouvelles variétés afin d’encourager, dans l’intérêt public, la sélection et le développement de nouvelles variétés, cette protection ne doit pas aller au-delà de ce qui est indispensable pour encourager cette activité, sous peine de compromettre la protection des intérêts publics que sont la sauvegarde de la production agricole, l’approvisionnement du marché en matériel présentant des caractéristiques déterminées, ou de compromettre l’objectif même consistant à continuer à encourager la sélection constante de variétés améliorées. En particulier, selon une lecture combinée des dix-septième et dix-huitième considérants dudit règlement, la production agricole constitue un intérêt public justifiant de soumettre l’exercice des droits conférés par la protection communautaire des obtentions végétales à des restrictions. En vue de répondre à cet objectif, l’article 13, paragraphe 3, du règlement no 2100/94 dispose que la protection conférée par le paragraphe 2 de cet article au titulaire d’une protection communautaire des obtentions végétales ne s’applique que dans certaines conditions au « matériel de récolte ».

33

En revanche, l’interprétation selon laquelle l’article 13, paragraphe 2, du règlement no 2100/94 concernerait également, indépendamment des conditions prévues au paragraphe 3 de cet article, l’activité consistant à récolter les fruits d’une variété protégée, sans que ces fruits soient susceptibles d’être utilisés à des fins de multiplication de cette variété, serait incompatible avec ledit objectif, dès lors qu’elle aurait pour effet de priver de toute utilité le paragraphe 3 de cet article et, partant, de mettre en cause le régime de protection en cascade établi à l’article 13, paragraphes 2 et 3, de ce règlement.

34

En outre, l’intérêt public lié à la sauvegarde de la production agricole, visé aux dix-septième et dix-huitième considérants du règlement no 2100/94, serait potentiellement remis en cause si les droits que tire le titulaire d’une protection communautaire des obtentions végétales de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement no 2100/94 s’étendaient, indépendamment des conditions prévues au paragraphe 3 de cet article, aux produits de la récolte de la variété protégée qui ne sont pas susceptibles d’être utilisés à des fins de multiplication.

35

L’interprétation selon laquelle la protection « primaire » au titre de l’article 13, paragraphe 2, sous a), de ce règlement se limite, en dehors des cas dans lesquels les conditions du paragraphe 3 de cet article sont remplies en ce qui concerne le matériel de récolte, aux constituants variétaux en tant que matériel de multiplication, est corroborée par l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la convention UPOV, dont il y a lieu de tenir compte aux fins de l’interprétation dudit règlement, conformément au considérant 29 de celui-ci.

36

En effet, en vertu de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de cette convention, l’autorisation de l’obtenteur est requise pour les actes de « production » ou de « reproduction » accomplis à l’égard du « matériel de reproduction ou de multiplication de la variété protégée ».

37

En outre, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 32 à 35 de ses conclusions, il ressort des travaux préparatoires relatifs à l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la convention UPOV que l’utilisation du matériel de reproduction aux fins de la production d’une récolte a été explicitement rejetée du champ d’application de cette disposition qui établit les conditions d’application de la protection primaire, telle qu’elle correspond à celle de l’article 13, paragraphe 2, du règlement no 2100/94.

38

Partant, en vertu de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la convention UPOV, l’obtenteur peut interdire non pas l’utilisation de constituants variétaux aux seules fins d’une récolte agricole, mais seulement des actes donnant lieu à une reproduction ou une multiplication de la variété protégée.

39

Au vu de l’ensemble de ces considérations, il convient de répondre aux première et deuxième questions que l’article 13, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3, du règlement no 2100/94 doit être interprété en ce sens que l’activité de mise en culture d’une variété protégée et de récolte des fruits de celle-ci, qui ne sont pas susceptibles d’être utilisés en tant que matériel de multiplication, requiert l’autorisation du titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales relative à ladite variété végétale pour autant que les conditions prévues à l’article 13, paragraphe 3, de ce règlement sont remplies.

Sur la troisième question

40

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 13, paragraphe 3, du règlement no 2100/94 doit être interprété en ce sens que les fruits d’une variété végétale qui ne sont pas susceptibles d’être utilisés en tant que matériel de multiplication doivent être regardés comme ayant été obtenus par une « utilisation non autorisée des constituants variétaux » de cette variété végétale, au sens de cette disposition, lorsque ces constituants variétaux ont été multipliés et vendus à un exploitant agricole par une pépinière pendant la période comprise entre la publication de la demande de protection communautaire de ladite variété végétale et son octroi.

41

À cet égard, il convient de relever, d’une part, que, suivant l’octroi de la protection communautaire des obtentions végétales, l’accomplissement non autorisé des actes visés à l’article 13, paragraphe 2, du règlement no 2100/94 à l’égard de la variété végétale faisant l’objet de cette protection constitue une « utilisation non autorisée », au sens de l’article 13, paragraphe 3, du règlement no 2100/94. Ainsi, conformément à l’article 94, paragraphe 1, sous a), dudit règlement, toute personne qui, dans ces circonstances, accomplit l’un de ces actes peut faire l’objet d’une action, intentée par ce titulaire, en cessation de la contrefaçon ou en versement d’une rémunération équitable ou à ce double titre.

42

D’autre part, s’agissant de la période antérieure à l’octroi de cette protection, ledit titulaire peut exiger, conformément à l’article 95 du règlement no 2100/94, une rémunération équitable de la part de toute personne ayant accompli, pendant la période comprise entre la publication de la demande de protection communautaire des obtentions végétales et l’octroi de ladite protection, un acte qui aurait été interdit à cette dernière personne après ladite période au titre d’une telle protection.

43

Il y a lieu de considérer que, pour autant que l’article 95 de ce règlement ne vise que la possibilité pour le titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales d’une variété végétale de prétendre à une rémunération équitable, il ne lui confère pas d’autres droits, tels que, notamment, le droit d’autoriser ou d’interdire l’utilisation de constituants variétaux de cette variété végétale pour la période visée par cet article 95. Ce régime de protection se distingue donc de celui de l’autorisation préalable qui s’impose lorsque les actes visés à l’article 13, paragraphe 2, du règlement no 2100/94 sont réalisés après l’octroi de la protection communautaire.

44

Il en découle que, en ce qui concerne la période de protection visée à l’article 95 du règlement no 2100/94, le titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales ne peut pas interdire l’accomplissement d’un des actes visés à l’article 13, paragraphe 2, de ce règlement en raison de l’absence de son consentement, de sorte que leur accomplissement ne constitue pas une « utilisation non autorisée », au sens de l’article 13, paragraphe 3, dudit règlement.

45

En l’occurrence, il résulte de ce qui précède que, dans la mesure où la multiplication et la vente à M. Martínez Sanchís des plants de la variété végétale protégée en cause au principal ont été réalisées pendant la période visée à l’article 95 du règlement no 2100/94, ces actes ne sauraient être considérés comme une telle utilisation non autorisée.

46

Ainsi, les fruits obtenus à partir de ces plants ne doivent pas être considérés comme ayant été obtenus par une utilisation non autorisée, au sens de l’article 13, paragraphe 3, de ce règlement, et ce même s’ils ont été récoltés après l’octroi de la protection communautaire des obtentions végétales. En effet, ainsi qu’il ressort de la réponse aux première et deuxième questions, la mise en culture des constituants variétaux d’une variété végétale et la récolte des fruits de celle-ci qui ne sont pas susceptibles d’être utilisés en tant que matériel de multiplication ne constitue pas un acte de production ou de reproduction de constituants variétaux, au sens de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement no 2100/94.

47

S’agissant des plants de la variété végétale protégée qui ont été multipliés et vendus à M. Martínez Sanchís par une pépinière après l’octroi de la protection communautaire des obtentions végétales, il convient de relever que tant la multiplication de ces plants que la vente de ceux-ci peuvent constituer une telle utilisation non autorisée, dès lors que, en vertu de l’article 13, paragraphe 2, sous c) et d), du règlement no 2100/94, l’offre à la vente et la vente ou toute autre forme de commercialisation des fruits d’une variété protégée sont subordonnées à l’accord préalable du titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales.

48

Dans ces conditions, les fruits des plants de la variété végétale protégée visés au point précédent récoltés par M. Martínez Sanchís peuvent être considérés comme ayant été obtenus par une utilisation non autorisée de constituants variétaux d’une variété protégée, au sens de l’article 13, paragraphe 3, du règlement no 2100/94.

49

Cela étant, aux fins de l’application de cette dernière disposition, encore faut-il que ce titulaire n’ait raisonnablement pas pu exercer son droit en relation avec la variété végétale en cause au principal auprès de la pépinière qui aurait procédé à la multiplication et à la vente des constituants variétaux.

50

La décision de renvoi ne comportant pas d’indication concrète s’agissant de cette dernière condition établie à l’article 13, paragraphe 3, du règlement no 2100/94, il appartient, en tout état de cause, à la juridiction de renvoi de procéder aux vérifications nécessaires à cet égard.

51

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question que l’article 13, paragraphe 3, du règlement no 2100/94 doit être interprété en ce sens que les fruits d’une variété végétale qui ne sont pas susceptibles d’être utilisés en tant que matériel de multiplication ne sauraient être regardés comme ayant été obtenus par une « utilisation non autorisée des constituants variétaux » de cette variété végétale, au sens de cette disposition, lorsque ces constituants variétaux ont été multipliés et vendus à un exploitant agricole par une pépinière pendant la période comprise entre la publication de la demande de protection communautaire des obtentions végétales relative à ladite variété végétale et son octroi. Lorsque, après l’octroi de cette protection, lesdits constituants variétaux ont été multipliés et vendus sans le consentement du titulaire de cette protection, ce dernier peut faire valoir le droit que lui confère l’article 13, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3, de ce règlement en ce qui concerne lesdits fruits, sauf s’il a raisonnablement pu exercer son droit en relation avec ces mêmes constituants variétaux.

Sur les dépens

52

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 13, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3, du règlement (CE) no 2100/94 du Conseil, du 27 juillet 1994, instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales, doit être interprété en ce sens que l’activité de mise en culture d’une variété protégée et de récolte des fruits de celle-ci, qui ne sont pas susceptibles d’être utilisés en tant que matériel de multiplication, requiert l’autorisation du titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales relative à ladite variété végétale pour autant que les conditions prévues à l’article 13, paragraphe 3, de ce règlement sont remplies.

 

2)

L’article 13, paragraphe 3, du règlement no 2100/94 doit être interprété en ce sens que les fruits d’une variété végétale qui ne sont pas susceptibles d’être utilisés en tant que matériel de multiplication ne sauraient être regardés comme ayant été obtenus par une « utilisation non autorisée des constituants variétaux » de cette variété végétale, au sens de cette disposition, lorsque ces constituants variétaux ont été multipliés et vendus à un exploitant agricole par une pépinière pendant la période comprise entre la publication de la demande de protection communautaire des obtentions végétales relative à ladite variété végétale et son octroi. Lorsque, après l’octroi de cette protection, lesdits constituants variétaux ont été multipliés et vendus sans le consentement du titulaire de cette protection, ce dernier peut faire valoir le droit que lui confère l’article 13, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3, de ce règlement en ce qui concerne lesdits fruits, sauf s’il a raisonnablement pu exercer son droit en relation avec ces mêmes constituants variétaux.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.