ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

26 septembre 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Articles 49 et 56 TFUE – Passation des marchés publics – Directive 2014/24/UE – Article 71 – Sous-traitance – Réglementation nationale limitant la possibilité de sous-traiter à 30 % du montant total du marché »

Dans l’affaire C‑63/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional de Lombardie, Italie), par décision du 13 décembre 2017, parvenue à la Cour le 1er février 2018, dans la procédure

Vitali SpA

contre

Autostrade per l’Italia SpA,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan (rapporteur), président de chambre, MM. C. Lycourgos, E. Juhász, M. Ilešič et I. Jarukaitis, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme C. Colelli et de M. V. Nunziata, avvocati dello Stato,

pour le gouvernement norvégien, par Mme K. H. Aarvik ainsi que par MM. H. Røstum et C. Anker, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mme L. Haasbeek ainsi que par MM. G. Gattinara et P. Ondrůšek, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49 et 56 TFUE, de l’article 71 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65), telle que modifiée par le règlement délégué (UE) 2015/2170 de la Commission, du 24 novembre 2015 (JO 2015, L 307, p. 5) (ci-après la « directive 2014/24 »), ainsi que du principe de proportionnalité.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Vitali SpA à Autostrade per l’Italia SpA au sujet d’une décision prise par cette dernière, en sa qualité de pouvoir adjudicateur, d’exclure la première d’une procédure de passation d’un marché public.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Les considérants 1, 41, 78, 100 et 105 de la directive 2014/24 prévoient :

« (1)

La passation de marchés publics par les autorités des États membres ou en leur nom doit être conforme aux principes du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment la libre circulation des marchandises, la liberté d’établissement et la libre prestation de services, ainsi qu’aux principes qui en découlent comme l’égalité de traitement, la non-discrimination, la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence. Toutefois, en ce qui concerne les marchés publics dépassant un certain montant, des dispositions devraient être élaborées pour coordonner les procédures nationales de passation de marchés afin de garantir que ces principes soient respectés en pratique et que la passation des marchés publics soit ouverte à la concurrence.

[...]

(41)

Aucune disposition de la présente directive ne devrait empêcher d’imposer ou d’appliquer des mesures nécessaires à la protection de l’ordre public, de la moralité et de la sécurité publiques [...], à condition que ces mesures soient conformes au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

[...]

(78)

La passation des marchés publics devrait être adaptée aux besoins des [petites et moyennes entreprises (PME)]. Il convient d’encourager les pouvoirs adjudicateurs à recourir au code des bonnes pratiques présenté dans le document de travail de la Commission du 25 juin 2008 intitulé “Code européen des bonnes pratiques facilitant l’accès des PME aux marchés publics”, qui fournit des orientations sur la manière dont ils peuvent appliquer le cadre régissant les marchés publics en vue de faciliter la participation des PME. À cet effet, et afin de renforcer la concurrence, les pouvoirs adjudicateurs devraient en particulier être encouragés à diviser en lots les marchés importants. [...]

Les États membres devraient demeurer libres d’aller plus loin pour faciliter la participation des PME aux marchés publics, en étendant la portée de l’obligation d’examiner l’opportunité de diviser les marchés en lots de taille plus réduite, en exigeant des pouvoirs adjudicateurs qu’ils motivent leur décision de ne pas diviser les marchés en lots ou en rendant obligatoire une telle division dans certaines conditions. Dans le même but, les États membres devraient également être libres de prévoir des mécanismes de paiements directs aux sous-traitants.

[...]

(100)

Les marchés publics ne devraient pas être attribués à des opérateurs économiques qui ont participé à une organisation criminelle ou ont été déclarés coupables de corruption, de fraude au détriment des intérêts financiers de l’Union, d’infractions terroristes, de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. [...]

[...]

(105)

Il importe que le respect, par les sous-traitants, des obligations applicables dans les domaines du droit environnemental, social et du travail, établies par le droit de l’Union, le droit national ou des conventions collectives, ou par les dispositions de droit international environnemental, social et du travail énumérées dans la présente directive, à condition que ces règles et leur application soient conformes au droit de l’Union, soit assuré au moyen de mesures appropriées prises par les autorités nationales compétentes dans le cadre de leurs responsabilités et compétences, par exemple les inspections du travail ou les agences de protection de l’environnement.

[...]

[...] En outre, il convient d’indiquer expressément que les États membres devraient pouvoir aller plus loin, par exemple en élargissant les obligations de transparence, en autorisant les paiements directs en faveur des sous-traitants ou en permettant ou en imposant aux pouvoirs adjudicateurs de vérifier que des sous- traitants ne se trouvent pas dans l’une quelconque des situations qui justifieraient l’exclusion d’opérateurs économiques. [...]

En outre, il convient d’indiquer expressément que les États membres restent libres de prévoir, dans leur législation nationale, des règles plus strictes en matière de responsabilité ou d’aller plus loin en ce qui concerne les paiements directs en faveur des sous-traitants. »

4

Conformément à l’article 4, sous a), de la directive 2014/24, celle-ci s’applique aux marchés dont la valeur estimée hors taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est égale ou supérieure au seuil de 5225000 euros pour les marchés publics de travaux.

5

L’article 18 de cette directive, intitulé « Principes de la passation de marchés », dispose, à son paragraphe 1, premier alinéa :

« Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination et agissent d’une manière transparente et proportionnée. »

6

L’article 57 de ladite directive, intitulé « Motifs d’exclusion », prévoit, à son paragraphe 1, que les pouvoirs adjudicateurs excluent un opérateur économique de la participation à une procédure de passation de marchés lorsqu’ils ont établi, en procédant à des vérifications conformément aux articles 59 à 61, ou qu’ils sont informés de quelque autre manière que cet opérateur économique a fait l’objet d’une condamnation, prononcée par un jugement définitif, pour l’une des raisons énumérées à cette disposition.

7

L’article 63 de la même directive, intitulé « Recours aux capacités d’autres entités », dispose, à son paragraphe 1, premier alinéa :

« Un opérateur économique peut, le cas échéant et pour un marché déterminé, avoir recours aux capacités d’autres entités, quelle que soit la nature juridique des liens qui l’unissent à ces entités, en ce qui concerne les critères relatifs à la capacité économique et financière énoncés à l’article 58, paragraphe 3, et les critères relatifs aux capacités techniques et professionnelles, visés à l’article 58, paragraphe 4. En ce qui concerne les critères relatifs aux titres d’études et professionnels visés à l’annexe XII, partie II, point f), ou à l’expérience professionnelle pertinente, les opérateurs économiques ne peuvent toutefois avoir recours aux capacités d’autres entités que lorsque ces dernières exécuteront les travaux ou fourniront les services pour lesquels ces capacités sont requises. Si un opérateur économique souhaite recourir aux capacités d’autres entités, il apporte au pouvoir adjudicateur la preuve qu’il disposera des moyens nécessaires, par exemple, en produisant l’engagement de ces entités à cet effet. »

8

L’article 71 de la directive 2014/24, intitulé « Sous-traitance », prévoit :

« 1.   Le respect des obligations visées à l’article 18, paragraphe 2, par les sous-traitants est assuré grâce à des mesures appropriées adoptées par les autorités nationales compétentes agissant dans le cadre de leurs responsabilités et de leurs compétences.

2.   Dans les documents de marché, le pouvoir adjudicateur peut demander ou peut être obligé par un État membre à demander au soumissionnaire d’indiquer, dans son offre, toute part du marché qu’il a éventuellement l’intention de sous-traiter à des tiers ainsi que les sous-traitants proposés.

3.   Les États membres peuvent prévoir que, à la demande du sous-traitant et si la nature du marché le permet, le pouvoir adjudicateur effectue directement au sous-traitant les paiements dus pour les services, fournitures ou travaux qu’il a fournis à l’opérateur économique auquel le marché public a été attribué (le contractant principal). Ces mesures peuvent comprendre des mécanismes appropriés permettant au contractant principal de s’opposer à des paiements indus. Les dispositions relatives à ce mode de paiement sont exposées dans les documents de marché.

4.   Les paragraphes 1 à 3 s’entendent sans préjudice de la question de la responsabilité du contractant principal.

5.   En ce qui concerne les marchés de travaux et les services qui doivent être fournis dans un local placé sous la surveillance directe du pouvoir adjudicateur, après l’attribution du marché et, au plus tard, au début de l’exécution du marché, le pouvoir adjudicateur exige du contractant principal qu’il lui indique le nom, les coordonnées et les représentants légaux de ses sous-traitants participant à ces travaux ou à la prestation de ces services dans la mesure où ces informations sont connues à ce stade. Le pouvoir adjudicateur exige que le contractant principal lui fasse part de tout changement relatif à ces informations intervenant au cours du marché ainsi que des informations requises pour tout nouveau sous-traitant qui participe ultérieurement à ces travaux ou à la prestation de ces services.

Nonobstant le premier alinéa, les États membres peuvent imposer au contractant principal l’obligation de fournir les informations requises directement.

Au besoin, aux fins du paragraphe 6, point b), du présent article, les informations requises sont assorties de déclarations sur l’honneur des sous-traitants selon les dispositions de l’article 59. Les mesures d’exécution visées au paragraphe 8 du présent article peuvent prévoir que les sous-traitants qui sont présentés après l’attribution du marché fournissent des certificats et d’autres documents justificatifs en lieu et place d’une déclaration sur l’honneur.

Le premier alinéa ne s’applique pas aux fournisseurs.

Les pouvoirs adjudicateurs peuvent étendre ou être contraints par des États membres à étendre les obligations prévues au premier alinéa, par exemple :

a)

aux marchés de fournitures, aux marchés de services autres que ceux concernant des services à fournir dans les locaux du pouvoir adjudicateur sous sa surveillance directe ou aux fournisseurs participant aux marchés de travaux ou de services ;

b)

aux sous-traitants des sous-traitants du contractant principal ou se trouvant à des échelons inférieurs de la chaîne de sous-traitance.

6.   Dans le but d’éviter les manquements aux obligations visées à l’article 18, paragraphe 2, des mesures appropriées peuvent être prises, telles que les mesures suivantes :

a)

lorsque la législation d’un État membre prévoit un mécanisme de responsabilité solidaire entre les sous-traitants et le contractant principal, l’État membre concerné veille à ce que les règles correspondantes s’appliquent conformément aux conditions énoncées à l’article 18, paragraphe 2 ;

b)

conformément aux articles 59, 60 et 61, les pouvoirs adjudicateurs peuvent vérifier ou être obligés par les États membres à vérifier s’il existe des motifs d’exclusion des sous-traitants en vertu de l’article 57. Dans de tels cas, le pouvoir adjudicateur exige que l’opérateur économique remplace un sous-traitant à l’encontre duquel ladite vérification a montré qu’il existe des motifs d’exclusion obligatoires. Le pouvoir adjudicateur peut exiger ou être obligé par un État membre à exiger de l’opérateur économique qu’il remplace un sous–traitant à l’encontre duquel la vérification a montré qu’il existe des motifs d’exclusion non obligatoires.

7.   Les États membres peuvent édicter des règles de responsabilité plus strictes en droit national ou des dispositions plus larges en matière de paiements directs aux sous-traitants dans la législation nationale, par exemple en prévoyant de tels paiements sans que les sous-traitants aient besoin d’en faire la demande.

8.   Les États membres ayant décidé de prévoir des mesures en vertu des paragraphes 3, 5 ou 6 précisent les conditions de mise en œuvre de ces mesures, par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives et dans le respect du droit de l’Union. Ce faisant, les États membres peuvent limiter leur applicabilité, notamment à l’égard de certains types de marchés, certaines catégories de pouvoirs adjudicateurs ou d’opérateurs économiques ou à partir de certains montants. »

Le droit italien

9

L’article 105, paragraphe 2, troisième phrase, du decreto legislativo n. 50 – Codice dei contratti pubblici (décret législatif no 50 portant code des marchés publics), du 18 avril 2016 (supplément ordinaire à la GURI no 91, du 19 avril 2016, ci-après le « décret législatif no 50/2016 »), prévoit :

« Sous réserve des dispositions du paragraphe 5, l’éventuelle sous-traitance ne peut pas excéder la proportion de 30 % du montant total du marché de travaux, services ou fournitures. »

10

L’article 105, paragraphe 5, du décret législatif no 50/2016 est libellé comme suit :

« Pour les ouvrages visés à l’article 89, paragraphe 11, et sans préjudice des limites prévues par ce même paragraphe, l’éventuelle sous-traitance ne peut pas excéder 30 % du montant des ouvrages et ne peut pas être subdivisée sans raisons objectives. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

11

Par un avis de marché public publié au mois d’août 2016, Autostrade per l’Italia a lancé une procédure d’appel d’offres restreint en vue de l’attribution, par voie d’adjudication, des travaux d’élargissement de la cinquième voie de l’autoroute italienne A 8 entre la barrière de péage de Milan Nord (Italie) et l’interconnexion de Lainate (Italie), pour un montant de base de 85211216,84 euros, hors TVA.

12

Vitali a été exclue de la procédure d’adjudication au motif que la limite de 30 % prévue, en matière de sous-traitance, à l’article 105, paragraphe 2, du décret législatif no 50/2016 était dépassée.

13

Vitali a introduit un recours devant la juridiction de renvoi visant, notamment, à sa réadmission à la procédure d’adjudication.

14

Par jugement partiel du 5 janvier 2018, la juridiction de renvoi a rejeté tous les moyens invoqués par Vitali à l’appui de ce recours, à l’exception de celui tiré de la non-conformité au droit de l’Union de la limite de 30 % en matière de sous-traitance, prévue par le droit italien.

15

La juridiction de renvoi éprouve des doutes quant à la compatibilité d’une telle limite quantitative avec les articles 49 et 56 TFUE, l’article 71 de la directive 2014/24 ainsi qu’avec le principe de proportionnalité.

16

Cette juridiction fait observer que le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) s’est prononcé en ce sens que le législateur national est en droit de fixer, en matière de sous-traitance, des limites plus strictes que celles prévues par les dispositions pertinentes du droit de l’Union, dans la mesure où de telles limites plus strictes se justifient, d’une part, à la lumière des principes de viabilité sociale et, d’autre part, au regard des valeurs exposées à l’article 36 TFUE, au nombre desquelles figurent l’ordre public et la sécurité publique. Ladite juridiction souligne en outre que le Consiglio di Stato (Conseil d’État) est d’avis que la jurisprudence de la Cour relative aux limites quantitatives à la sous-traitance en matière de marchés publics, laquelle jurisprudence porte sur la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114), ne s’applique pas dans le cadre de la directive 2014/24.

17

Toutefois, la juridiction de renvoi fait également observer que, à l’instar de la directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux (JO 2004, L 134, p. 1), et de la directive 2004/18, la directive 2014/24 ne prévoit aucune limite quantitative à la sous-traitance. Selon la juridiction de renvoi, le fait de prévoir pour la sous-traitance un plafond général de 30 % par rapport au montant total du marché peut rendre plus difficile pour les entreprises, en particulier pour les petites et moyennes entreprises, l’accès aux marchés publics, faisant ainsi obstacle à l’exercice de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services. Cette limite serait fixée de manière abstraite à un pourcentage déterminé du marché, indépendamment de la possibilité de vérifier la capacité des éventuels sous-traitants et sans mention aucune du caractère essentiel des missions concernées.

18

Par conséquent, la juridiction de renvoi se demande si la réglementation nationale en cause ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire aux fins d’atteindre les objectifs poursuivis.

19

Dans ces conditions, le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional de Lombardie, Italie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les principes de liberté d’établissement et de libre prestation des services, énoncés aux articles 49 et 56 [TFUE], l’article 71 de la directive [2014/24], qui ne prévoit pas de limitation quantitative à la sous-traitance, ainsi que le principe de proportionnalité consacré par le droit de l’Union font-ils obstacle à l’application d’une réglementation nationale en matière de marchés publics telle que la règle italienne contenue à l’article 105, paragraphe 2, troisième phrase, du [décret législatif no 50/2016], en vertu de laquelle la sous-traitance ne peut pas excéder la proportion de 30 % du montant total du marché de travaux, de services ou de fourniture ? »

20

La demande de la juridiction de renvoi tendant au traitement accéléré de sa demande de décision préjudicielle conformément à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour a été rejetée par ordonnance du président de la Cour du 8 mars 2018, Vitali (C‑63/18, non publiée, EU:C:2018:199).

Sur la question préjudicielle

21

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 49 et 56 TFUE et la directive 2014/24 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui limite à 30 % la part du marché que le soumissionnaire est autorisé à sous-traiter à des tiers.

22

Il y a lieu de relever, à titre liminaire, que la valeur hors TVA du marché en cause au principal étant supérieure au seuil de 5225000 euros prévu à l’article 4, sous a), de la directive 2014/24, c’est au regard de cette dernière qu’il y a lieu de répondre à la présente demande de décision préjudicielle.

23

Il convient de rappeler que cette directive a pour objectif, ainsi qu’il ressort en substance de son considérant 1, d’assurer le respect, lors de la passation de marchés publics, notamment, de la libre circulation des marchandises, de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services ainsi que des principes qui en découlent, en particulier l’égalité de traitement, la non-discrimination, la proportionnalité et la transparence, et de garantir que la passation des marchés publics soit ouverte à la concurrence.

24

En particulier, à cette fin, ladite directive envisage expressément, à son article 63, paragraphe 1, la possibilité, pour les soumissionnaires, d’avoir recours, sous certaines conditions, aux capacités d’autres entités pour satisfaire à certains critères de sélection des opérateurs économiques.

25

Par ailleurs, l’article 71 de la même directive, qui porte spécifiquement sur la sous-traitance, dispose, à son paragraphe 2, que le pouvoir adjudicateur peut demander ou peut être obligé par un État membre à demander au soumissionnaire d’indiquer, dans son offre, toute part du marché qu’il a éventuellement l’intention de sous-traiter à des tiers ainsi que les sous-traitants proposés.

26

Il en découle que, à l’instar de la directive 2004/18 qu’elle a abrogée, la directive 2014/24 consacre la possibilité, pour les soumissionnaires, de recourir à la sous-traitance en vue de l’exécution d’un marché, pourvu que les conditions qu’elle prévoit soient satisfaites (voir, en ce sens, s’agissant de la directive 2004/18, arrêt du 14 juillet 2016, Wrocław - Miasto na prawach powiatu, C‑406/14, EU:C:2016:562, points 31 à 33).

27

En effet, selon une jurisprudence constante, et ainsi qu’il ressort du considérant 78 de la directive 2014/24, il est de l’intérêt de l’Union que, en matière de marchés publics, l’ouverture d’un appel d’offres à la concurrence soit renforcée. Le recours à la sous-traitance, qui est susceptible de favoriser l’accès des petites et moyennes entreprises aux marchés publics, contribue à la poursuite de cet objectif (voir, en ce sens, arrêt du 5 avril 2017, Borta, C‑298/15, EU:C:2017:266, point 48 et jurisprudence citée).

28

En outre, la Cour a jugé au point 35 de l’arrêt du 14 juillet 2016, Wrocław - Miasto na prawach powiatu (C‑406/14, EU:C:2016:562), qui portait sur l’interprétation de la directive 2004/18, qu’une clause du cahier des charges d’un marché public de travaux qui impose des limitations au recours à des sous-traitants pour une part du marché fixée de manière abstraite à un certain pourcentage de celui-ci, et ce indépendamment de la possibilité de vérifier les capacités des éventuels sous-traitants et sans aucune mention relative au caractère essentiel de tâches qui seraient concernées, est incompatible avec cette directive, applicable dans le cadre du litige ayant donné lieu à cet arrêt.

29

Il y a lieu de relever à cet égard que, si l’article 71 de la directive 2014/24 reprend, en substance, la teneur de l’article 25 de la directive 2004/18, il fixe néanmoins des règles supplémentaires en matière de sous-traitance. En particulier, cet article 71 prévoit la possibilité pour le pouvoir adjudicateur de demander, voire celle d’être obligé par l’État membre à demander au soumissionnaire de l’informer de ses intentions en matière de sous-traitance, ainsi que la possibilité, sous certaines conditions, pour le pouvoir adjudicateur d’effectuer directement au sous-traitant les paiements dus pour les services, fournitures ou travaux fournis au contractant principal. En outre, ledit article 71 dispose que les pouvoirs adjudicateurs peuvent vérifier ou être obligés par les États membres à vérifier s’il existe des motifs d’exclusion des sous-traitants en vertu de l’article 57 de cette directive, tenant, notamment, à la participation à une organisation criminelle, à la corruption ou à la fraude.

30

Toutefois, il ne saurait être déduit de la volonté du législateur de l’Union d’encadrer plus précisément, par le biais de l’adoption de telles règles, les situations dans lesquelles le soumissionnaire a recours à la sous-traitance que les États membres disposeraient désormais de la faculté de limiter ce recours à une part du marché fixée de manière abstraite à un certain pourcentage de celui-ci, à l’instar de la limite imposée par la réglementation en cause au principal.

31

À cet égard, le gouvernement italien fait valoir qu’il est loisible aux États membres de prévoir des mesures autres que celles spécifiquement énumérées dans la directive 2014/24, aux fins d’assurer, notamment, le respect du principe de transparence dans le cadre des procédures de passation de marchés publics, dès lors que ce principe est davantage mis en avant dans le cadre de cette directive.

32

Plus spécifiquement, ce gouvernement met en exergue le fait que la limitation du recours à la sous-traitance en cause au principal est justifiée eu égard aux circonstances particulières prévalant en Italie, où la sous-traitance a toujours constitué l’un des instruments utilisés pour la mise en œuvre d’intentions criminelles. En limitant la part du marché susceptible d’être sous-traitée, la réglementation nationale rendrait la participation aux commandes publiques moins attrayante pour les organisations criminelles, ce qui serait de nature à prévenir le phénomène d’infiltration mafieuse dans la commande publique et à protéger ainsi l’ordre public.

33

Il est vrai, comme le fait observer le gouvernement italien, que les considérants 41 et 105 de la directive 2014/24 ainsi que certaines dispositions de cette dernière, tel l’article 71, paragraphe 7, indiquent expressément que les États membres restent libres de prévoir, dans leur législation nationale, des règles plus strictes à certains égards que celles prévues par ladite directive en matière de sous-traitance, à condition que ces premières règles soient compatibles avec le droit de l’Union.

34

Il est également vrai, ainsi qu’il découle, notamment, des critères de sélection qualitatives prévus par la directive 2014/24, en particulier des motifs d’exclusion édictés à son article 57, paragraphe 1, que le législateur de l’Union a souhaité éviter, par l’adoption de telles dispositions, que les opérateurs économiques ayant fait l’objet d’une condamnation, prononcée par un jugement définitif, dans les conditions prévues à cet article, participent à une procédure de passation de marchés.

35

De même, le considérant 41 de la directive 2014/24 prévoit qu’aucune disposition de celle-ci ne devrait empêcher d’imposer ou d’appliquer des mesures nécessaires, notamment, à la protection de l’ordre public, de la moralité et de la sécurité publiques, à condition que ces mesures soient conformes au traité FUE, tandis que le considérant 100 de cette directive précise que les marchés publics ne devraient pas être attribués, notamment, à des opérateurs économiques qui ont participé à une organisation criminelle.

36

De surcroît, selon une jurisprudence constante, il convient de reconnaître aux États membres une certaine marge d’appréciation aux fins de l’adoption de mesures destinées à garantir le respect de l’obligation de transparence, laquelle s’impose aux pouvoirs adjudicateurs dans toute procédure de passation d’un marché public. En effet, chaque État membre est le mieux à même d’identifier, à la lumière de considérations historiques, juridiques, économiques ou sociales qui lui sont propres, les situations propices à l’apparition de comportements susceptibles d’entraîner des entorses au respect de cette obligation (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2015, Impresa Edilux et SICEF, C‑425/14, EU:C:2015:721, point 26 ainsi que jurisprudence citée).

37

Plus spécifiquement, la Cour a déjà jugé que la lutte contre le phénomène d’infiltration du secteur des marchés publics par la criminalité organisée constitue un objectif légitime susceptible de justifier une restriction aux règles fondamentales et aux principes généraux du traité FUE qui s’appliquent dans le cadre des procédures de passation des marchés publics (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2015, Impresa Edilux et SICEF, C‑425/14, EU:C:2015:721, points 27 et 28).

38

Toutefois, à supposer même qu’une restriction quantitative au recours à la sous-traitance puisse être considérée comme étant de nature à lutter contre un tel phénomène, une restriction telle que celle en cause au principal va au-delà de ce qui est nécessaire afin d’atteindre cet objectif.

39

Il convient de rappeler, à cet égard, que les pouvoirs adjudicateurs doivent, tout au long de la procédure, respecter les principes de passation des marchés énoncés à l’article 18 de la directive 2014/24, au nombre desquels figurent, notamment, les principes d’égalité de traitement, de transparence et de proportionnalité (arrêt du 20 septembre 2018, Montte, C‑546/16, EU:C:2018:752, point 38).

40

Or, en particulier, ainsi qu’il a été rappelé au point 30 du présent arrêt, la réglementation nationale en cause au principal proscrit de manière générale et abstraite le recours à la sous-traitance qui excède un pourcentage fixe du marché public concerné, de sorte que cette interdiction s’applique quels que soient le secteur économique concerné par le marché en cause, la nature des travaux ou l’identité des sous-traitants. Par ailleurs, une telle interdiction générale ne laisse pas de place à une appréciation au cas par cas par l’entité adjudicatrice (voir, par analogie, arrêt du 5 avril 2017, Borta, C‑298/15, EU:C:2017:266, points 54 et 55).

41

Il s’ensuit que, dans le cadre d’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, pour tous les marchés, une partie importante des travaux, fournitures ou services concernés doit être réalisée par le soumissionnaire lui-même, sous peine de se voir exclu automatiquement de la procédure de passation du marché, y compris dans le cas où l’entité adjudicatrice serait en mesure de vérifier les identités des sous-traitants concernés et où elle estimerait, après vérification, qu’une telle interdiction n’est pas nécessaire afin de lutter contre la criminalité organisée dans le cadre du marché en question.

42

Ainsi que le souligne la Commission, des mesures moins restrictives seraient susceptibles d’atteindre l’objectif poursuivi par le législateur italien, à l’instar de celles prévues à l’article 71 de la directive 2014/24 et rappelées au point 29 du présent arrêt. Du reste, ainsi que l’indique la juridiction de renvoi, le droit italien prévoit déjà de nombreuses mesures visant expressément à interdire aux entreprises soupçonnées d’appartenance mafieuse ou, en tout cas, de liens avec les intérêts des principales organisations criminelles opérant dans le pays d’accéder aux appels d’offres publics.

43

Partant, une restriction au recours à la sous-traitance telle que celle en cause au principal ne saurait être considérée comme étant compatible avec la directive 2014/24.

44

Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument avancé par le gouvernement italien, selon lequel les contrôles de vérification que doit effectuer le pouvoir adjudicateur en vertu du droit national seraient inefficaces. En effet, une telle circonstance qui, ainsi qu’il semble ressortir des observations mêmes de ce gouvernement, résulte des modalités spécifiques de ces contrôles n’enlève rien au caractère restrictif de la mesure nationale en cause au principal. Au demeurant, le gouvernement italien n’a aucunement démontré, dans le cadre de la présente affaire, que les diverses règles prévues à l’article 71 de la directive 2014/24, par lesquelles les États membres peuvent limiter le recours à la sous-traitance, ainsi que les motifs d’exclusion des sous-traitants rendus possibles en vertu de l’article 57 de cette directive, et auxquels fait référence l’article 71, paragraphe 6, sous b), de celle–ci, ne peuvent être mises en œuvre d’une manière qui permettrait d’atteindre l’objectif poursuivi par la réglementation nationale en cause au principal.

45

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question préjudicielle que la directive 2014/24 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui limite à 30 % la part du marché que le soumissionnaire est autorisé à sous-traiter à des tiers.

Sur les dépens

46

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

 

La directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE, telle que modifiée par le règlement délégué (UE) 2015/2170 de la Commission, du 24 novembre 2015, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui limite à 30 % la part du marché que le soumissionnaire est autorisé à sous-traiter à des tiers.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’italien.