ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

6 juin 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coordination des systèmes de sécurité sociale – Travailleurs migrants – Règlement (CE) no 883/2004 – Dispositions transitoires – Article 87, paragraphe 8 – Règlement (CEE) no 1408/71 – Article 14 quater, sous b) – Travailleur exerçant une activité salariée et une activité non salariée dans différents États membres – Dérogations au principe d’unicité de la législation nationale applicable – Double affiliation – Introduction d’une demande en vue d’être soumis à la législation applicable en vertu du règlement no 883/2004 »

Dans l’affaire C‑33/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la cour du travail de Liège (Belgique), par décision du 21 décembre 2017, parvenue à la Cour le 18 janvier 2018, dans la procédure

V

contre

Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants (Inasti),

Securex Integrity ASBL,

LA COUR (sixième chambre),

composée de Mme C. Toader, présidente de chambre, MM. A. Rosas (rapporteur) et L. Bay Larsen, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : Mme V. Giacobbo-Peyronnel, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 décembre 2018,

considérant les observations présentées :

pour le gouvernement belge, par Mmes M. Jacobs et L. Van den Broeck, en qualité d’agents, assistées de Me S. Rodrigues, avocat,

pour la Commission européenne, par MM. D. Martin et M. Van Hoof, en qualité d’agents,

pour M. V, par lui-même,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 février 2019,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 87, paragraphe 8, du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 988/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009 (JO 2009, L 284, p. 43) (ci-après le « règlement no 883/2004 »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. V à l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants (Inasti) (Belgique) ainsi qu’à Securex Integrity ASBL (ci-après « Securex ») au sujet de l’assujettissement de M. V à la législation sociale belge.

Le cadre juridique

Le règlement no 1408/71

3

Le règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), tel que modifié, en dernier lieu, par le règlement (CE) no 592/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008 (JO 2008, L 177, p. 1) (ci-après le « règlement no 1408/71 »), disposait, à son article 14 quater, sous b), figurant à son titre II :

« La personne qui exerce simultanément une activité salariée et une activité non salariée sur le territoire de différents États membres est soumise :

[...]

b)

dans les cas mentionnés à l’annexe VII :

à la législation de l’État membre sur le territoire duquel elle exerce une activité salariée, cette législation étant déterminée conformément aux dispositions de l’article 14, points 2 ou 3, si elle exerce une telle activité sur le territoire de deux ou plusieurs États membres

et

à la législation de l’État membre sur le territoire duquel elle exerce une activité non salariée, cette législation étant déterminée conformément aux dispositions de l’article 14 bis, points 2, 3 ou 4, si elle exerce une telle activité sur le territoire de deux ou plusieurs États membres. »

4

L’annexe VII de ce règlement énumérait les cas dans lesquels une personne était soumise simultanément à la législation de deux États membres, conformément à l’article 14 quater, sous b), dudit règlement. Parmi ces cas, figurait, au point 1 de cette annexe, l’« [e]xercice d’une activité non salariée en Belgique et d’une activité salariée dans un autre État membre ».

5

Le règlement no 1408/71 a été abrogé et remplacé par le règlement no 883/2004, dans sa version initiale, à compter du 1er mai 2010, date à laquelle ce dernier règlement est devenu applicable.

Le règlement no 883/2004

6

Le considérant 4 du règlement no 883/2004 énonce qu’il convient de respecter les caractéristiques propres aux législations nationales de sécurité sociale et d’élaborer uniquement un système de coordination.

7

Aux termes du considérant 45 de ce règlement :

« Étant donné que l’objectif de l’action envisagée, à savoir l’adoption de mesures de coordination visant à garantir l’exercice effectif de la libre circulation des personnes, ne peut pas être réalisé de manière suffisante par les États membres et peut donc, en raison des dimensions et des effets de cette action, être mieux réalisé au niveau communautaire, la Communauté peut prendre des mesures conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 du traité. Conformément au principe de proportionnalité tel qu’énoncé audit article, le présent règlement n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. »

8

L’article 11, paragraphe 1, dudit règlement dispose :

« Les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément au présent titre. »

9

L’article 13, paragraphe 3, du même règlement est libellé comme suit :

« La personne qui exerce normalement une activité salariée et une activité non salariée dans différents États membres est soumise à la législation de l’État membre dans lequel elle exerce une activité salariée ou, si elle exerce une telle activité dans deux ou plusieurs États membres, à la législation déterminée conformément au paragraphe 1. »

10

L’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004 prévoit :

« Si, en conséquence du présent règlement, une personne est soumise à la législation d’un État membre autre que celui à la législation duquel elle est soumise en vertu du titre II du [règlement no 1408/71], cette personne continue d’être soumise à cette dernière législation aussi longtemps que la situation qui a prévalu reste inchangée, mais en tout cas pas plus de dix ans à compter de la date d’application du présent règlement, à moins qu’elle n’introduise une demande en vue d’être soumise à la législation applicable en vertu du présent règlement. La demande est introduite dans un délai de trois mois à compter de la date d’application du présent règlement auprès de l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable en vertu du présent règlement pour que l’intéressé puisse être soumis à la législation de cet État membre dès la date d’application du présent règlement. Si la demande est présentée après l’expiration de ce délai, le changement de législation applicable intervient le premier jour du mois suivant. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11

M. V a travaillé en tant qu’avocat inscrit au barreau de Bruxelles (Belgique), du mois de septembre 1980 jusqu’au 30 septembre 2007. Durant cette période, il était inscrit à l’Inasti et était affilié à la caisse d’assurances sociales belge Securex.

12

Le 30 septembre 2007, M. V a demandé à ne plus être inscrit sur le tableau de l’ordre des avocats et s’est, en conséquence, désaffilié de Securex. Le même jour, le cabinet d’avocats au sein duquel il exerçait son activité a été mis en liquidation et M. V a été désigné liquidateur.

13

Depuis le 1er octobre 2007, M. V travaille comme directeur juridique au sein d’une société établie au Luxembourg et est assujetti, en tant que salarié, au régime de sécurité sociale luxembourgeois.

14

Le 11 juin 2010, l’Inasti a demandé à M. V des précisions concernant son mandat de liquidateur. Par courrier du 24 juin 2010, M. V a répondu que les émoluments de liquidateur qui lui avaient été versés par le cabinet d’avocats en liquidation ne permettaient pas de l’assimiler à un travailleur indépendant ni de l’assujettir au statut social des travailleurs indépendants.

15

Le 11 décembre 2013, l’Inasti a notifié à Securex une décision de régularisation concernant les revenus de M. V relatifs aux années 2008 à 2010. Le 23 décembre 2013, Securex a indiqué à M. V que, à la lumière des informations fournies par l’Inasti, il devait être considéré comme étant assujetti au régime de sécurité sociale belge, en qualité de travailleur indépendant à titre complémentaire depuis le 1er octobre 2007 et que, en conséquence, il devait s’acquitter auprès de Securex d’un solde d’un montant de 35198,42 euros au titre de cotisations et de majorations dues pour la période allant du quatrième trimestre 2007 au quatrième trimestre 2013.

16

Le 12 mars 2014, M. V a introduit un recours devant le tribunal du travail de Liège (Belgique), visant à contester son assujettissement au régime de sécurité sociale belge en qualité de travailleur indépendant à titre complémentaire ainsi que la demande de paiement des cotisations sociales formulée par Securex.

17

Postérieurement à l’introduction de ce recours, M. V a communiqué à Securex une déclaration sur l’honneur concernant la gratuité de son mandat en tant que liquidateur en joignant à cette dernière le procès-verbal de la réunion des associés coopérateurs du cabinet d’avocats en cause au principal, qui s’est tenue le 24 février 2014, dans lequel il était constaté, notamment, que son mandat de liquidateur avait été exercé à titre gratuit depuis le 1er janvier 2010 et que cette situation devait perdurer jusqu’à la clôture de la liquidation. Par la même communication, M. V demandait à ne plus être assujetti au régime de sécurité sociale belge à compter de la date de cette réunion.

18

Par jugement du 17 août 2016, le tribunal du travail de Liège, tout en reconnaissant que les intérêts légaux calculés sur les cotisations sociales en cause au principal n’étaient pas dus pour la période allant du mois d’octobre 2011 au mois de septembre 2013, a rejeté le recours de M. V comme étant non fondé.

19

Le 22 septembre 2016, M. V a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi en demandant à celle-ci de réformer ledit jugement et en faisant valoir, notamment, que, au regard du règlement no 883/2004, l’Inasti et Securex ne pouvaient réclamer le paiement des cotisations en cause au principal.

20

Il ressort de la décision de renvoi que M. V n’était plus assujetti au régime de sécurité sociale belge depuis le 30 septembre 2007, date à laquelle il a cessé son activité d’avocat. La juridiction de renvoi se pose dès lors la question de savoir si M. V, qui, à la date d’application du règlement no 883/2004, était uniquement assujetti au régime de sécurité sociale luxembourgeois, devait néanmoins introduire une demande expresse dans un délai de trois mois, conformément à l’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004, aux fins de pouvoir bénéficier de l’application de ce règlement.

21

La juridiction de renvoi ajoute que, selon le guide pratique pour la détermination de la législation applicable aux travailleurs dans l’Union européenne, l’Espace économique européen et en Suisse, élaboré par la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, la première condition pour appliquer l’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004 est que, en conséquence de ce règlement, une personne soit assujettie à la législation d’un État membre autre que « celui déjà déterminé » en vertu du règlement no 1408/71. Selon cette juridiction, ce guide semble indiquer que cette disposition s’applique à condition que, à la date du 1er mai 2010, qui correspond à la date d’abrogation du règlement no 1408/71 et à celle de l’application du règlement no 883/2004, la personne concernée était effectivement assujettie à la législation de l’État membre compétent selon le règlement no 1408/71. Toutefois, une telle condition ne serait pas explicitement visée par le libellé de l’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004, ce qui soulèverait une difficulté d’interprétation de cette disposition.

22

Dans ces conditions, la cour du travail de Liège (Belgique) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 87, paragraphe 8, du [règlement no 883/2004] doit-il être interprété en ce sens que la personne qui, avant le 1er mai 2010, a commencé à exercer une activité salariée au [Luxembourg] et une activité non salariée en Belgique, doit, pour être soumise à la législation applicable en vertu du [règlement no 883/2004], introduire une demande expresse en ce sens, même si elle ne faisait l’objet d’aucun assujettissement en Belgique avant le 1er mai 2010 et n’a été assujettie à la législation belge relative au statut social des travailleurs indépendants que de manière rétroactive, après l’expiration du délai de trois mois prenant cours le 1er mai 2010 ?

2)

En cas de réponse affirmative à la première question, la demande visée à l’article 87, paragraphe 8, du [règlement no 883/2004], introduite dans les circonstances décrites ci-dessus, entraîne-t-elle l’application de la législation de l’État [membre] compétent en vertu du [règlement no 883/2004] avec effet rétroactif au 1er mai 2010 ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

23

Dans ses observations écrites, le Royaume de Belgique a fait valoir que l’analyse de la juridiction de renvoi repose sur une prémisse factuelle erronée selon laquelle M. V ne faisait l’objet d’aucun assujettissement en Belgique au 1er mai 2010, date d’application du règlement no 883/2004. Selon cet État membre, l’assujettissement de M. V au régime de sécurité sociale belge s’est poursuivi sans aucune interruption après le 30 septembre 2007, en raison de son activité de liquidateur.

24

Ainsi, les questions préjudicielles soulèveraient un problème purement hypothétique, non nécessaire pour la résolution du litige au principal et seraient, partant, irrecevables.

25

Il convient de relever que, à la suite d’une demande d’éclaircissement que la Cour lui a adressée en application de l’article 101 de son règlement de procédure, la juridiction de renvoi a précisé que, à la date d’application du règlement no 883/2004, M. V pouvait être considéré comme étant soumis à la législation belge en tant que travailleur non salarié au titre de son activité de liquidateur.

26

Ainsi, eu égard aux précisions apportées dans sa réponse par la juridiction de renvoi, le gouvernement belge a affirmé, lors de l’audience devant la Cour, qu’il ne persistait plus à soulever l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle.

27

En tout état de cause, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dès lors que les questions posées par les juridictions nationales portent sur l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer, à moins qu’il ne soit manifeste que la demande de décision préjudicielle tend, en réalité, à l’amener à statuer par le biais d’un litige construit ou à formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, que l’interprétation du droit de l’Union demandée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige, ou encore que la Cour ne dispose pas des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 7 décembre 2010, VEBIC, C‑439/08, EU:C:2010:739, point 42 et jurisprudence citée).

28

En l’occurrence, ainsi qu’il a été relevé par M. l’avocat général au point 25 de ses conclusions, il résulte du dossier soumis à la Cour que la question de savoir si, aux fins de pouvoir être soumis exclusivement à la législation déterminée au titre du règlement no 883/2004, en l’occurrence, à la législation luxembourgeoise, après le 1er mai 2010, M. V était tenu de présenter une demande au titre de l’article 87, paragraphe 8, de ce règlement et, celle de savoir, en cas de réponse affirmative à la question précédente, quelles sont les conséquences de la présentation d’une telle demande plusieurs années après cette date, ont une incidence certaine sur la solution du litige au principal. En effet, la réponse à ces questions a un effet direct sur la détermination du nombre d’années pour lesquelles les autorités belges seraient en droit de demander le paiement de cotisations à M. V.

29

Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur le fond

30

Eu égard aux précisions fournies par la juridiction de renvoi à la suite de la demande d’éclaircissement de la Cour, il y a lieu de considérer que, par sa première question, la juridiction de renvoi demande si l’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens qu’une personne qui, à la date d’application de ce règlement, exerçait une activité salariée dans un État membre et une activité non salariée dans un autre État membre, étant donc simultanément assujettie aux législations applicables en matière de sécurité sociale de ces deux États membres conformément au titre II du règlement no 1408/71, devait, afin d’être soumise à la législation applicable en vertu du règlement no 883/2004, introduire une demande expresse en ce sens.

31

À cet égard, il convient de rappeler que l’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004 prévoit, en faveur d’une personne qui, en conséquence de ce règlement, est soumise à la législation d’un État membre autre que celui à la législation duquel elle était soumise en vertu du titre II du règlement no 1408/71, le maintien de cette dernière législation pendant une certaine période, après la date d’application du règlement no 883/2004, sous réserve que la situation qui a prévalu reste inchangée.

32

Ainsi, cette disposition s’applique, premièrement, à la condition que la législation applicable relève du titre II du règlement no 1408/71 et, deuxièmement, à la condition que la situation qui a prévalu soit restée inchangée (arrêt du 11 avril 2013, Jeltes e.a., C‑443/11, EU:C:2013:224, point 50).

33

En ce qui concerne la première de ces deux conditions, il n’est pas contesté que, à la date d’application du règlement no 883/2004, la situation de M. V relevait de l’article 14 quater, sous b), du règlement no 1408/71, qui figure au titre II de celui-ci. Il convient de constater, toutefois, que l’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004 ne régit pas explicitement des situations comme celles visées par l’article 14 quater, sous b), du règlement no 1408/71, dans lesquelles la législation de sécurité sociale de deux États membres est simultanément applicable et, en conséquence du règlement no 883/2004, une seule de ces deux législations reste applicable.

34

La question se pose, dès lors, de savoir si cette circonstance fait obstacle à ce qu’une personne se trouvant dans la situation de M. V relève du champ d’application de l’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004.

35

Selon une jurisprudence constante, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 21 mars 2018, Klein Schiphorst, C‑551/16, EU:C:2018:200, point 34).

36

En ce qui concerne son libellé, l’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004, qui est une disposition transitoire, vise le cas d’une personne qui, en conséquence du règlement no 883/2004, « est soumise à la législation d’un État membre autre que celui à la législation duquel elle est soumise en vertu du titre II du règlement [no 1408/71] ».

37

Il semble ainsi ressortir du libellé de cette disposition, en ce que l’adjectif « autre » fait référence au mot « État », que le législateur de l’Union vise la situation dans laquelle l’application d’une législation d’un État membre succède à l’application d’une législation d’un autre État membre.

38

Ainsi, selon une interprétation littérale de l’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004, son premier membre de phrase semble viser uniquement des situations dans lesquelles, à partir de la date d’application du règlement no 883/2004, une personne est soumise à la législation d’un État membre différent de l’État à la législation duquel elle était soumise auparavant.

39

En revanche, une personne qui, sous l’empire du règlement no 1408/71, était soumise à l’application simultanée des législations de deux États membres, en vertu du règlement no 883/2004, d’une part, continuerait d’être soumise à la législation d’un de ces deux États membres et, d’autre part, verrait sa situation changer uniquement en raison du fait que la législation de l’autre État membre ne lui sera plus applicable.

40

S’agissant du contexte dans lequel l’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004 s’insère, il convient de relever que, lors de l’extension du règlement no 1408/71 aux travailleurs non salariés, l’article 14 quater de ce règlement a été introduit afin de prévoir une exception à la règle d’unicité de la législation applicable, dans l’hypothèse d’une personne exerçant simultanément une activité non salariée sur le territoire d’un État membre et une activité salariée sur le territoire d’un autre État membre. Dans les cas mentionnés à l’annexe VII au règlement no 1408/71, cette personne était alors soumise à la législation de chacun de ces deux États membres.

41

Ainsi que la Cour l’a déjà relevé, aux termes des considérants 4 et 45 du règlement no 883/2004, ce règlement a pour objet de coordonner les systèmes de sécurité sociale en place dans les États membres afin de garantir l’exercice effectif de la libre circulation des personnes. Ledit règlement a procédé à la modernisation et à la simplification des règles contenues dans le règlement no 1408/71, tout en conservant le même objectif que ce dernier (voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2018, Klein Schiphorst, C‑551/16, EU:C:2018:200, point 31).

42

L’article 11, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 réaffirme le principe d’unicité de la législation applicable, en vertu duquel les personnes auxquelles ce règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Ce principe vise ainsi à éviter les complications qui peuvent résulter de l’application simultanée de plusieurs législations nationales et à supprimer les inégalités de traitement qui, pour les personnes se déplaçant à l’intérieur de l’Union, seraient la conséquence d’un cumul partiel ou total des législations applicables (voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2006, Piatkowski, C‑493/04, EU:C:2006:167, point 21).

43

Conformément au principe d’unicité de la législation applicable, l’article 13, paragraphe 3, du règlement no 883/2004 prévoit qu’une personne qui exerce normalement une activité salariée dans un État membre et une activité non salariée dans un autre État membre est soumise à la législation de l’État membre dans lequel elle exerce une activité salariée.

44

Par ailleurs, force est de constater, ainsi que M. l’avocat général l’a souligné au point 35 de ses conclusions, que le règlement no 883/2004 a procédé à la suppression de toutes les exceptions au principe d’unicité de la législation nationale applicable qui existaient dans le règlement no 1408/71.

45

Dans ces conditions, une interprétation de l’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004, qui tient compte du contexte dans lequel cette disposition s’insère, ne saurait plaider en faveur de la perpétuation du régime dérogatoire prévoyant une double affiliation, laquelle serait incohérente avec le système mis en place par ce règlement, qui se fonde sur le principe d’unicité de la législation nationale applicable.

46

S’agissant de la finalité de l’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004, comme M. l’avocat général l’indique au point 36 de ses conclusions, ainsi que cela ressort du guide pratique pour la détermination de la législation applicable aux travailleurs dans l’Union européenne, l’Espace économique européen et en Suisse, elle a été identifiée comme étant celle d’éviter de nombreux changements de législation applicable lors du passage au règlement no 883/2004 et de permettre une « transition douce » à la personne concernée quant à la législation applicable au cas où il existerait un écart entre la législation applicable selon le règlement no 1408/71 et la législation applicable selon les dispositions du règlement no 883/2004.

47

Au moyen de cette disposition transitoire, le législateur de l’Union a donc voulu assurer aux travailleurs un temps d’adaptation nécessaire, notamment afin de leur permettre de prendre connaissance de la législation d’un autre État membre qui serait nouvelle pour ceux-ci.

48

Or, il ressort du point 39 du présent arrêt que, dans une situation dans laquelle une personne était soumise, sous l’empire du règlement no 1408/71, simultanément aux législations de deux États membres, l’application du règlement no 883/2004 ne conduit pas à l’application au travailleur d’une législation d’un autre État membre, qui serait donc nouvelle, mais entraîne seulement un changement de sa situation en raison de la cessation de l’application, en ce qui le concerne, de la législation d’un des deux États membres à laquelle il était jusqu’alors soumis.

49

Au vu de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner la seconde condition mentionnée au point 32 du présent arrêt, il convient de répondre à la première question que l’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004 n’est pas applicable à une situation, telle que celle de M. V qui, à la date d’application du règlement no 883/2004, était assujetti, en vertu de l’article 14 quater, sous b), du règlement no 1408/71, simultanément à la législation de deux États membres.

50

Il s’ensuit que, à partir du 1er mai 2010, pour être assujetti exclusivement à la législation déterminée par le règlement no 883/2004, à savoir, en l’occurrence, en vertu de l’article 13, paragraphe 3, de ce règlement, à la législation luxembourgeoise, une personne se trouvant dans une situation telle que celle en cause au principal n’est pas tenue de présenter la demande prévue à l’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004.

51

Partant, il convient de répondre à la première question que l’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens qu’une personne qui, à la date d’application du règlement no 883/2004, exerçait une activité salariée dans un État membre et une activité non salariée dans un autre État membre, étant donc simultanément assujettie aux législations applicables en matière de sécurité sociale de ces deux États membres, ne devait pas, afin d’être soumise à la législation applicable en vertu du règlement no 883/2004, introduire une demande expresse en ce sens.

52

Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

Sur les dépens

53

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

 

L’article 87, paragraphe 8, du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (CE) no 988/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, doit être interprété en ce sens qu’une personne qui, à la date d’application du règlement no 883/2004, exerçait une activité salariée dans un État membre et une activité non salariée dans un autre État membre, étant donc simultanément assujettie aux législations applicables en matière de sécurité sociale de ces deux États membres, ne devait pas, afin d’être soumise à la législation applicable en vertu du règlement no 883/2004, tel que modifié par le règlement no 988/2009, introduire une demande expresse en ce sens.

 

Toader

Rosas

Bay Larsen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 juin 2019.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président de la VIème chambre

C. Toader


( *1 ) Langue de procédure : le français.