CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 30 avril 2020 ( 1 )

Affaire C‑815/18

Federatie Nederlandse Vakbeweging

contre

Van den Bosch Transporten BV,

Van den Bosch Transporte GmbH,

Silo-Tank Kft.

[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays‑Bas)]

« Renvoi préjudiciel – Directive 96/71/CE – Détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services – Conducteur routier international – Notion de “détachement sur le territoire d’un État membre” – Notion de “conventions collectives déclarées d’application générale” »

I. Introduction

1.

Van den Bosch Transporten BV (enregistrée aux Pays‑Bas), Van den Bosch Transporte GmbH (Allemagne) et Silo-Tank Kft. (Hongrie) sont trois sociétés différentes ayant le même actionnaire. La société néerlandaise a conclu plusieurs contrats d’affrètement tant avec la société allemande qu’avec la société hongroise de transport international de marchandises par route. Les sociétés allemande et hongroise ont employé des conducteurs qui ont exécuté ces contrats.

2.

Il semblerait que ces conducteurs ont effectivement commencé et terminé leurs déplacements à Erp (Pays‑Bas), siège de la société néerlandaise Van den Bosch Transporten BV. La Federatie Nederlandse Vakbeweging (Fédération du mouvement syndical néerlandais, ci‑après la « FNV ») a introduit un recours contre les trois sociétés en soutenant que ces dernières ont agi en violation de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services ( 2 ) (ci‑après la « directive détachement »).

3.

C’est dans ce contexte que le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays‑Bas) pose à la Cour plusieurs questions, en demandant comment, et tout d’abord, si la directive détachement s’applique aux conducteurs routiers internationaux.

II. Le cadre juridique

4.

L’article 1er de la directive détachement définit le champ d’application de celle‑ci de la manière suivante :

« 1.   La présente directive s’applique aux entreprises établies dans un État membre qui, dans le cadre d’une prestation de services transnationale, détachent des travailleurs, conformément au paragraphe 3, sur le territoire d’un État membre.

2.   La présente directive ne s’applique pas aux entreprises de la marine marchande en ce qui concerne le personnel navigant.

3.   La présente directive s’applique dans la mesure où les entreprises visées au paragraphe 1 prennent l’une des mesures transnationales suivantes :

a)

détacher un travailleur, pour leur compte et sous leur direction, sur le territoire d’un État membre, dans le cadre d’un contrat conclu entre l’entreprise d’envoi et le destinataire de la prestation de services opérant dans cet État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement.

b)

détacher un travailleur sur le territoire d’un État membre, dans un établissement ou dans une entreprise appartenant au groupe, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement.

c)

détacher, en tant qu’entreprise de travail intérimaire ou en tant qu’entreprise qui met un travailleur à disposition, un travailleur à une entreprise utilisatrice établie ou exerçant son activité sur le territoire d’un État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise de travail intérimaire ou l’entreprise qui met un travailleur à disposition et le travailleur pendant la période de détachement.

[…] »

5.

L’article 2 de la directive détachement comporte les définitions suivantes :

« 1.   Aux fins de la présente directive, on entend par “travailleur détaché”, tout travailleur qui, pendant une période limitée, exécute son travail sur le territoire d’un État membre autre que l’État sur le territoire duquel il travaille habituellement.

[…] »

6.

L’article 3 de la directive détachement concerne les conditions de travail et d’emploi :

« 1.   Les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises visées à l’article 1er paragraphe 1 garantissent aux travailleurs détachés sur leur territoire les conditions de travail et d’emploi concernant les matières visées ci‑après qui, dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté, sont fixées :

par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, et/ou

par des conventions collectives ou sentences arbitrales déclarées d’application générale au sens du paragraphe 8, dans la mesure où elles concernent les activités visées en annexe :

a)

les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos ;

b)

la durée minimale des congés annuels payés ;

c)

les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires ; le présent point ne s’applique pas aux régimes complémentaires de retraite professionnels ;

d)

les conditions de mise à disposition des travailleurs (notamment par des entreprises de travail intérimaire) ;

e)

la sécurité, la santé et l’hygiène au travail ;

f)

les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d’emploi des femmes enceintes et des femmes venant d’accoucher, des enfants et des jeunes ;

g)

l’égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi que d’autres dispositions en matière de non‑discrimination.

Aux fins de la présente directive, la notion de taux de salaire minimal visée au second tiret point c) est définie par la législation et/ou la pratique nationale(s) de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché.

[…]

8.   On entend par conventions collectives ou sentences arbitrales, déclarées d’application générale, les conventions collectives ou les sentences arbitrales qui doivent être respectées par toutes les entreprises appartenant au secteur ou à la profession concernés et relevant du champ d’application territoriale de celles‑ci.

En l’absence d’un système de déclaration d’application générale de conventions collectives ou de sentences arbitrales au sens du premier alinéa, les États membres peuvent, s’ils décident ainsi, prendre pour base :

les conventions collectives ou sentences arbitrales qui ont un effet général sur toutes les entreprises similaires appartenant au secteur ou à la profession concernés et relevant du champ d’application territoriale de celles‑ci

et/ou les conventions collectives qui sont conclues par les organisations des partenaires sociaux les plus représentatives au plan national et qui sont appliquées sur l’ensemble du territoire national,

pour autant que leur application aux entreprises visées à l’article 1er, paragraphe 1, garantisse, quant aux matières énumérées au paragraphe 1, premier alinéa, du présent article, une égalité de traitement entre ces entreprises et les autres entreprises visées au présent alinéa se trouvant dans une situation similaire.

[…]

10.   La présente directive ne fait pas obstacle à ce que les États membres, dans le respect du traité, imposent aux entreprises nationales et aux entreprises d’autres États, d’une façon égale :

[…]

des conditions de travail et d’emploi fixées dans des conventions collectives ou sentences arbitrales au sens du paragraphe 8 et concernant des activités autres que celles visées à l’annexe ».

III. Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles

A.   Les faits et les dispositions nationales applicables

7.

Van den Bosch Transporten BV exploite une entreprise de transport depuis Erp (Pays‑Bas). Deux autres sociétés, Van den Bosch Transporte GmbH (société de droit allemand) et Silo-Tank Kft. (société de droit hongrois) font partie du même groupe de sociétés. Ces trois sociétés ont toutes le même actionnaire.

8.

Van den Bosch Transporten BV est membre de la Vereniging Goederenvervoer Nederland (association néerlandaise des transports de marchandises). Cette association a conclu avec la FNV la collectieve arbeidsovereenkomst Goederenvervoer (convention collective de travail applicable au secteur du transport de marchandises, ci‑après la « CCT TM »), qui a pris effet le 1er janvier 2012. Toutefois, cette dernière convention collective, la CCT TM, n’a pas été déclarée d’application générale.

9.

L’article 44 de la CCT TM, dit « Disposition d’affrètement », précise que, dans les contrats de sous‑traitance qui sont exécutés dans ou à partir de sa société établie aux Pays‑Bas par des entrepreneurs indépendants agissant en qualité d’employeurs, l’employeur est tenu de stipuler que les conditions de travail de base de cette CCT seront reconnues aux travailleurs de ces entrepreneurs indépendants, lorsque cela résulte de la directive détachement, et ce même si les parties ont choisi d’appliquer au contrat le droit d’un autre pays que les Pays‑Bas. L’employeur est également tenu d’informer les travailleurs des conditions de travail qui leur sont applicables.

10.

Il ressort de la décision de renvoi qu’une autre convention collective de travail, l collectieve arbeidsovereenkomst Beroepsgoederenvervoer over de weg en verhuur van mobiele kranen (convention collective de travail applicable aux secteurs du transport routier de marchandises pour compte d’autrui et de la location de grues mobiles, ci‑après la « CCT transport routier pour compte d’autrui »), reprend, à son article 73, le contenu de l’article 44 de la CCT TM. La CCT transport routier pour compte d’autrui a été déclarée d’application générale du 31 janvier 2013 au 31 décembre 2013.

11.

Les entreprises relevant de la CCT TM ont bénéficié, par arrêté ministériel, d’une exemption de l’application de la CCT transport routier pour compte d’autrui. Il ressort de la décision de renvoi que cette exonération s’applique ainsi à Van den Bosch Transporten BV.

12.

Les conducteurs d’Allemagne et de Hongrie travaillent dans le cadre de contrats de travail conclus respectivement avec Van den Bosch Transporte GmbH et Silo-Tank Kft. Les conditions d’emploi fixées par la CCT TM n’ont pas été appliquées aux conducteurs allemands et hongrois.

13.

Van den Bosch Transporten BV a conclu des contrats d’affrètement pour des transports internationaux avec Van den Bosch Transporte GmbH et Silo-Tank Kft.

14.

Selon la juridiction de renvoi, les opérations de transport concernées se déroulent principalement en dehors du territoire néerlandais. À la demande de la Cour, Van den Bosch Transporten BV a expliqué que les conducteurs hongrois et allemands effectuent presque exclusivement des opérations de transport transfrontalières. Jusqu’en 2013, ces conducteurs commençaient et terminaient leurs « tournées » à Erp (Pays‑Bas). En 2013, Van den Bosch Transporte GmbH et Silo‑Tank Kft. ont ouvert des « points relais » dans plusieurs États membres. Erp n’est plus le point relais des conducteurs étrangers. Ces conducteurs sont, au contraire, envoyés par Van den Bosch Transporte GmbH et Silo-Tank Kft. de leur domicile au point relais respectif. Ces dernières sociétés supportent les frais exposés.

B.   La procédure nationale et les questions posées

15.

Dans l’affaire au principal, la FNV conclut à ce qu’il soit enjoint aux trois sociétés de se conformer à la CCT TM. De son point de vue, les Pays‑Bas sont le lieu de travail habituel des conducteurs. C’est pourquoi il convient de verser des salaires néerlandais auxdits conducteurs. Cela résulterait, selon la FNV, de l’article 6, paragraphe 2, sous a), de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles ( 3 ) ou de l’article 8, paragraphe 2, du règlement (CE) no 593/2008 ( 4 ). La FNV fait valoir que, en n’appliquant pas les conditions élémentaires de travail néerlandaises, Van den Bosch Transporte GmbH et Silo-Tank Kft. agissent illégalement à l’égard de la FNV et que Van den Bosch Transporten BV est également responsable de cette illégalité.

16.

La juridiction nationale de première instance a jugé que les dispositions de la CCT TM s’appliquaient aux conducteurs allemands et hongrois.

17.

Toutefois, la juridiction de deuxième instance a fait droit à l’appel et a annulé la décision de première instance. S’agissant de l’argument des trois sociétés défenderesses au pourvoi, selon lequel l’article 44 de la CCT TM serait nul parce que l’obligation qui en découle constituerait une restriction illicite à la libre circulation des services au titre de l’article 56 TFUE, la juridiction de deuxième instance a considéré que, bien qu’elle n’ait pas été déclarée d’application générale, la CCT TM s’applique à la situation en cause en raison de la combinaison de l’applicabilité universelle de la CCT transport routier pour compte d’autrui, d’une part (dont le contenu est presque identique à celui de la CCT TM), et, d’autre part, de l’exemption accordée aux entreprises liées par la CCT TM. Il s’ensuivrait que la condition d’applicabilité générale prévue à l’article 3, paragraphe 8, de la directive détachement serait remplie et que l’article 44 de la CCT TM ne saurait être considéré comme une restriction illicite à la libre prestation des services au sens de l’article 56 TFUE.

18.

En revanche, la juridiction de deuxième instance a conclu en principe que, bien que les opérations d’affrètement en cause aient été effectuées à l’intérieur ou à partir de Van den Bosch Transporten BV (cette société étant située à Erp), l’autre condition d’applicabilité de l’article 44 CCT TM n’était pas remplie, car cette situation ne relevait pas du champ d’application de la directive détachement. En effet, cette directive ne permettait pas une lecture large de la notion de « détachement » qui couvrirait non seulement la situation d’un détachement sur le territoire d’un État membre, mais également celle d’un détachement à partir du territoire d’un État membre. En effet, selon cette juridiction, la directive détachement ne couvrirait que les opérations réalisées, totalement ou principalement, au niveau national. Tel n’étant pas la situation en cause, il n’y aurait pas eu de détachement au sens de la directive détachement.

19.

Devant le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays‑Bas), juridiction de renvoi dans la présente affaire saisie par la voie d’un pourvoi en cassation, la FNV soutient, en substance, que la juridiction de deuxième instance a méconnu le fait que l’expression « sur le territoire d’un État membre » au sens de la directive détachement doit être interprétée comme signifiant « sur ou à partir du territoire d’un État membre » ( 5 ). C’est pourquoi, du point de vue de la FNV, la directive détachement s’applique aux conducteurs travaillant dans le transport routier international.

20.

Eu égard aux doutes relatifs à l’applicabilité de la directive détachement à la situation en cause, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays‑Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

La [directive détachement] doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle est également applicable à un travailleur exerçant l’activité de conducteur dans le transport international routier et qui accomplit dès lors son travail dans plus d’un État membre ?

2a)

Si la [première] question appelle une réponse affirmative, à quel critère ou à quels points de vue convient-il de recourir pour déterminer si un travailleur exerçant l’activité de conducteur dans le transport international routier est détaché “sur le territoire d’un État membre” au sens de l’article 1er, paragraphes 1 et 3, de la [directive détachement] et si ce travailleur “pendant une période limitée, exécute son travail sur le territoire d’un État membre autre que l’État sur le territoire duquel il travaille habituellement” au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la [directive détachement] ?

2b)

L’existence d’un lien (par exemple dans un groupe) entre l’entreprise qui détache le travailleur visé à la [deuxième question, sous a),] et l’entreprise dans laquelle ce travailleur est détaché a-t-elle une incidence sur la réponse à la [deuxième question, sous a)], et, le cas échéant, laquelle ?

2c)

Si le travail du travailleur visé à la [deuxième question, sous a),] comporte du cabotage – c’est‑à‑dire du transport exclusivement accompli sur le territoire d’un autre État membre que l’État membre sur le territoire duquel ce travailleur travaille habituellement – ce travailleur est-il réputé, à tout le moins, pour cette partie de ses activités, travailler temporairement sur le territoire du premier État membre cité ? Le cas échéant y a-t-il un seuil, par exemple sous la forme d’une durée minimale de cabotage par mois ?

3a)

Si la [première] question appelle une réponse affirmative, comment convient-il d’interpréter la notion de “conventions collectives de travail […] déclarées d’application générale” au sens de l’article 3, paragraphes 1 et 8, premier alinéa, de la [directive détachement] ? S’agit-il d’une notion autonome du droit de l’Union et suffit-il, partant, que les conditions requises par l’article 3, paragraphe 8, premier alinéa, de la [directive détachement] soient remplies en fait ? Ou bien ces dispositions exigent-elles également que la convention collective de travail ait été déclarée d’application générale sur la base du droit national ?

3b)

Si une convention collective de travail ne peut pas être assimilée à une convention collective d’application générale au sens de l’article 3, paragraphe 1 et paragraphe 8, premier alinéa, de la [directive détachement], l’article 56 TFUE s’oppose-t-il à ce qu’une entreprise établie dans un État membre qui détache un travailleur sur le territoire d’un autre État membre, soit obligée, par la voie contractuelle, de respecter des dispositions d’une telle convention collective de travail qui s’applique dans ce dernier État membre ? »

21.

La FNV, Van den Bosch Transporten BV, les gouvernements néerlandais, allemand, français, hongrois et polonais ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites. Les mêmes parties ont participé à l’audience qui s’est tenue le 14 janvier 2020.

IV. Analyse

22.

Les présentes conclusions sont structurées comme suit : je commencerai par deux précisions liminaires sur la portée (et les limites) de la présente affaire (A). J’examinerai ensuite la question de l’applicabilité de la directive détachement au transport routier (B). Puis, j’aborderai des questions plus précises concernant les circonstances pertinentes pour déterminer si un conducteur routier international doit être considéré comme « détaché » (C). Enfin, je terminerai par quelques remarques sur la notion de « conventions collectives déclarées d’application générale » (D).

A.   Observations liminaires

23.

Il est nécessaire de clarifier d’emblée deux points.

24.

Premièrement, Van den Bosch Transporten BV a opéré une distinction entre le régime applicable aux transports avant et après 2013. Elle a expliqué de manière détaillée son mode de fonctionnement actuel, y compris la structure des points relais pour les conducteurs dont le groupe dispose dans différents États membres. Elle a également fourni des exemples représentatifs des trajets effectués par les conducteurs, montrant le caractère complexe et international des trajets effectués.

25.

Néanmoins, ainsi que l’a indiqué la juridiction de renvoi et l’a souligné la FNV lors de l’audience, l’affaire au principal porte sur l’année 2013 au cours de laquelle (apparemment) la plupart des déplacements des conducteurs commençaient et se terminaient à Erp.

26.

Deuxièmement, aucune information supplémentaire n’est fournie quant aux modalités concrètes de réalisation des opérations de transports en cause au principal. Il ressort seulement de la décision de renvoi que les « tournées » en cause des conducteurs commençaient et se terminaient à Erp et que la société néerlandaise concluait des contrats d’affrètement soit avec la société allemande, soit avec la société hongroise.

27.

Certes, il appartient à la juridiction nationale de vérifier les éléments de fait pertinents. La raison pour laquelle je les évoque à ce stade, à titre liminaire, est double.

28.

D’une part, conformément à la règle de compétence par défaut, la Cour a pour mission d’interpréter le droit de l’Union, alors qu’il appartient au juge national de l’appliquer au cas concret ( 6 ). Partant, il ne s’agit pas de se prononcer sur le point de savoir si (et à quel moment) il y a effectivement eu détachement de travailleurs dans le cas de figure de l’espèce.

29.

D’autre part, même les éléments d’interprétation que la Cour est raisonnablement en mesure de donner dépendent du degré de précision des éléments fournis par la juridiction de renvoi. Cela vaut, en particulier, pour des questions, telles que le deuxième ensemble de questions posées par la juridiction de renvoi [deuxième question, sous a), b) et c)], dont l’appréciation et les critères d’appréciation sont, dans une large mesure, susceptibles de revêtir un caractère circonstanciel et contextuel. Pour une juridiction (ou en tout cas pour son avocat général qui ne dispose pas des compétences et de la clairvoyance d’un législateur), il est assez difficile d’élaborer un ensemble complet de critères permettant de déterminer s’il y a effectivement eu détachement sans connaître les circonstances de l’espèce. C’est pourquoi, en somme, ces éléments déterminent le niveau d’abstraction auquel la réponse aux questions posées par la juridiction de renvoi pourra être et sera fournie dans les présentes conclusions.

B.   Première question : la directive détachement s’applique-t-elle au transport routier ?

30.

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si la directive détachement s’applique à un conducteur routier international qui accomplit son travail dans plus d’un État membre.

31.

La FNV, les gouvernements néerlandais, allemand et français ainsi que la Commission proposent de répondre par l’affirmative. Toutefois, la thèse inverse est défendue par Van den Bosch Transporten BV ainsi que par les gouvernements hongrois et polonais.

32.

À titre liminaire, je souhaite préciser la portée de cette question et des développements qui s’ensuivent. La question posée, et donc litigieuse entre les parties, est celle de savoir si la directive détachement s’applique aux travailleurs effectuant des transports routiers. Il s’agit d’un débat normatif concernant le champ d’application d’un instrument législatif de l’Union : la directive détachement devrait-elle s’appliquer à un certain type ou domaine d’activité, à savoir le transport routier ? Ou plutôt : sur la base de quelles dispositions ou considérations ce domaine spécifique serait-il exclu du champ d’application de la directive détachement ?

33.

Deux points sont particulièrement intéressants. D’une part, en posant la question de cette façon, les conducteurs qui effectuent des transports routiers (internationaux) sont considérés comme un sous‑ensemble logique de (l’ensemble) des travailleurs effectuant des transports routiers. Toutefois, bien entendu, si le champ d’application de la directive détachement devait ne pas inclure le transport routier, cette exclusion concernerait non seulement les conducteurs, mais également potentiellement d’autres travailleurs des transports routiers. De même, si les transports routiers étaient exclus, quel effet cela aurait-il sur les autres modes de transports internationaux ?

34.

D’autre part, il existe deux niveaux de discussion et deux types d’arguments présentés par les parties à ce sujet : normatif et pratique. Le niveau normatif concerne le point de savoir si, s’agissant de la structure juridique d’un acte, et de son interprétation, le transport routier relève de la directive détachement. Cette question impose d’examiner s’il existe des éléments dans le texte, le contexte (y compris les travaux préparatoires et la base juridique) ainsi que dans la finalité permettant de conclure que le transport routier a été exclu du champ d’application de cette directive.

35.

Ensuite, il y a le niveau pratique ou pragmatique du raisonnement : cela aurait-il vraiment un sens de déclarer que les transports internationaux, et en particulier les conducteurs qui fournissent ces services, relèvent du champ d’application de la directive détachement ? Ne serait-il pas plus raisonnable, compte tenu des difficultés pratiques que cela poserait en raison de la spécificité du type de travail accompli par un conducteur routier international, d’exclure du champ d’application de la directive détachement ce domaine d’activité ?

36.

Ces dernières considérations sont certainement valables. À ce titre, j’y reviendrai à la fin de la présente section (5). Toutefois, à mon avis, le texte (2), le contexte législatif et historique (3) ainsi que la finalité (4) de la directive détachement confirment clairement qu’il n’y a tout simplement aucune exemption par catégorie de ce type du champ d’application de la directive détachement. Avant de procéder à cette analyse, je commencerai avec l’argument central invoqué par le gouvernement hongrois et le gouvernement polonais, relatif à la base juridique choisie, et aux conséquences qu’il convient de tirer de cette base juridique quant au champ d’application de la directive détachement (1).

1. Base juridique

37.

La République de Pologne et la Hongrie contestent l’applicabilité de la directive détachement au secteur du transport routier en raison de la base juridique sur laquelle celle‑ci a été adoptée. La directive détachement est basée sur l’ancien article 57, paragraphe 2, et l’article 66 CE (devenus l’article 53, paragraphe 1, et l’article 62 TFUE), qui sont des dispositions applicables aux services. En revanche, la disposition antérieure, équivalant à l’article 91 TFUE à l’époque, qui constitue la base juridique propre aux transports, ne figure pas parmi les bases juridiques sur lesquelles le législateur s’est fondé. Il en va de même en ce qui concerne la directive (UE) 2018/957 ( 7 ) modifiant la directive détachement.

38.

Aux termes de l’article 58, paragraphe 1, du traité CEE, « la libre circulation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre [du traité FUE] relatif aux transports ». Cela signifie que les actes de l’Union qui visent à harmoniser les questions concernant notamment les transports doivent être basés sur les dispositions correspondantes du titre VI du traité FUE (article 90 et suivants). Ces questions sont, conformément à l’article 91, paragraphe 1, TFUE, « a) des règles communes applicables aux transports internationaux exécutés au départ ou à destination du territoire d’un État membre, ou traversant le territoire d’un ou de plusieurs États membres ; b) les conditions d’admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux dans un État membre ; c) les mesures permettant d’améliorer la sécurité des transports ; d) toutes autres dispositions utiles ».

39.

Selon la Hongrie, les bases juridiques choisies par le législateur de l’Union pour adopter la directive détachement excluent les transports du champ d’application de celle‑ci. Selon une jurisprudence constante, les transports ne seraient pas régis par les dispositions en matière de services. Ce gouvernement souligne également que la directive relative aux services ( 8 ) exclut les transports de son champ d’application, à l’article 2, paragraphe 2, sous d) ( 9 ).

40.

Cet argument se retrouve parfois dans la doctrine. Ainsi, certains auteurs relèvent que, compte tenu du statut particulier des services de transport dans le traité, il n’est pas évident que la directive détachement s’applique à ceux‑ci ( 10 ). D’autres commentateurs semblent partir du principe que ces services ne sont pas exclus, précisément pour cette raison ( 11 ).

41.

La question de la base juridique de la directive détachement a été examinée récemment par l’avocat général Szpunar dans l’affaire Dobersberger. Il a observé : « [d]ans ce contexte, j’aurais eu tendance à penser que l’harmonisation des services dans le domaine des transports, même si elle s’intègre dans une mesure d’harmonisation plus large, devrait être fondée sur l’article 91 TFUE. Toutefois, la directive 96/71 est fondée uniquement sur l’article 53, paragraphe 1, et l’article 62 TFUE, et non, en plus, sur l’article 91 TFUE ». Il a conclu que « si on ne peut que faire des spéculations concernant la raison pour laquelle l’article 91 TFUE n’a pas été mentionné en tant que base juridique pour l’adoption de la directive 96/71, les services dans le domaine des transports ne sont généralement pas considérés comme ne relevant pas du champ d’application de la directive 96/71. […] Il semble, en effet, être admis par la pensée juridique que les services dans le domaine des transports sont, en principe, couverts par la directive 96/71 » ( 12 ).

42.

Dans son arrêt, la Cour ne s’est pas prononcée explicitement sur cette question. Elle a indiqué que « la libre circulation des services dans le domaine des transports est régie non pas par la disposition de l’article 56 TFUE, qui concerne en général la libre prestation des services, mais par la disposition spécifique de l’article 58, paragraphe 1, TFUE » ( 13 ).

43.

Dans ce contexte, le fait que la disposition spécifique applicable aux transports ne figure pas parmi les bases juridiques de la directive détachement fait-il obstacle à ce que celle‑ci soit appliquée au détachement de travailleurs du secteur des transports ?

44.

Je ne le pense pas.

45.

Premièrement, sur le plan structurel, je trouve plutôt singulier l’argument selon lequel il serait possible de limiter de manière interprétative le champ d’application d’un acte du droit dérivé de l’Union, malgré son libellé clair, par référence aux dispositions du droit primaire sur lesquelles il est basé (ou plutôt sur lesquelles il aurait prétendument dû être basé mais ne l’a pas été), il y a des années.

46.

Pour être clair, le choix correct de la base juridique d’un acte de droit dérivé revêt naturellement une importance primordiale. Mais ce choix (ainsi que la pertinence de ce choix) doit être examiné dans le cadre d’une éventuelle contestation de la validité de cet acte de droit dérivé ( 14 ). Je voudrais mettre en garde contre un recours à cette logique pour créer des exemptions par catégorie supplémentaires, qui ne sont mentionnées, ne serait-ce que par une allusion, nulle part dans le texte d’un tel acte de droit dérivé. Il ne s’agit guère d’une question d’interprétation juridique. Il s’agit là d’une recette de désordre juridique.

47.

En outre, la jurisprudence de la Cour a déjà confirmé que la base juridique principale sur laquelle un acte de droit dérivé a été adopté n’est pas nécessairement déterminante aux fins de l’interprétation du champ d’application de cet acte de droit dérivé. Tel a été notamment le cas lorsque les dispositions du traité invoquées font référence à un élément transfrontalier, mais que l’acte de droit dérivé adopté sur leur base ne comporte, a priori, pas une telle exigence. Dans cette catégorie figurent notamment différents actes dérivés du droit de l’Union adoptés au titre de l’article 114 TFUE ( 15 ). Plus récemment, la même question s’est posée concernant l’ensemble des directives procédurales issues du programme de Stockholm et basées sur l’article 82, paragraphe 2, TFUE ( 16 ).

48.

Le fait que ces bases du droit primaire mentionnent, d’une manière ou d’une autre, les éléments transfrontaliers n’a pas été considéré comme une raison suffisante pour limiter le champ d’application d’actes de droit dérivé adoptés sur leur fondement, mais ne mentionnant pas une telle condition de lien transfrontalier. Dans ce contexte, la Cour a refusé la « réduction interprétative » de la portée de tels instruments qui, eux‑mêmes, ne contenaient pas une telle limitation. Je ne vois pas pourquoi elle devrait, avec une base argumentaire encore plus faible, se rallier à la « création interprétative d’une exception par catégorie », parce qu’un article du traité n’a pas non plus été invoqué.

49.

Dès lors, compte tenu également de l’intérêt à la sécurité juridique des destinataires (normaux) de la législation de l’Union, il convient de rappeler que tout (absolument tout) texte doit être lu et interprété au pied de la lettre. Si un État membre conteste le champ d’application tel que clairement indiqué dans le texte d’un acte, il est naturellement en droit de contester la validité de cet acte en tant que requérant privilégié, au titre de l’article 263 TFUE.

50.

En second lieu, et au vu du premier argument à titre subsidiaire, il convient de rappeler que, pour déterminer si un acte de droit dérivé est fondé sur une base juridique appropriée, aux fins de l’appréciation de la validité de celui‑ci, la Cour opère une distinction entre, d’une part, l’objectif et le contenu principaux du texte ( 17 ), et, d’autre part, d’autres domaines qui sont secondaires et qui peuvent être concernés de manière incidente.

51.

De ce point de vue, il me paraît clair que l’objectif et le contenu principaux de la directive détachement ne consistent pas à réglementer les services de transport. L’objectif de la directive détachement est de réagir aux conséquences sociales et économiques qu’entraîne le détachement de travailleurs dans le cadre de la prestation de (tout type de) services. En principe, ces conséquences affectent tous les employeurs de manière égale, quelle que soit la nature des services que ceux‑ci fournissent ( 18 ). Elles sont transversales, applicables à tous les services.

52.

Selon moi, et sans vouloir commenter le choix de la base juridique appropriée, l’invocation de la base juridique spécifique de la réglementation des services dans le domaine des transports n’aurait été nécessaire que si, quel que soit le type d’acte juridique de l’Union dont il s’agit, cet acte entendait réglementer spécifiquement la prestation de services dans le domaine des transports routiers. Or, tel n’est manifestement pas le cas en ce qui concerne la directive détachement ( 19 ).

53.

Les services sont fournis dans plusieurs secteurs ou domaines. Plusieurs de ces secteurs susceptibles d’être concernés figurent dans d’autres titres de la troisième partie du traité FUE. Si l’on suivait jusqu’au bout le raisonnement proposé par les gouvernements hongrois et polonais, avec tout ce qu’il implique, pourrait-on invoquer des arguments identiques ou similaires concernant d’autres secteurs spécifiquement réglementés par ailleurs par le droit primaire ? L’applicabilité de la directive détachement serait-elle alors également exclue pour les services relevant, par exemple, du domaine de la santé publique, de l’énergie, du tourisme ou de la culture, au motif que ces domaines spécifiques et leurs bases juridiques spécifiques n’ont pas non plus été mentionnés dans la directive détachement ?

54.

C’est pourquoi je ne considère pas que l’absence de mention de la base juridique spécifique du transport dans la directive détachement ait pour effet d’exclure du champ d’application de ladite directive le détachement des travailleurs dans le secteur des transports routiers. Ce point liminaire ayant été abordé, je me pencherai à présent sur les arguments relatifs au libellé, au contexte et à la finalité de la directive détachement, considérés notamment dans le contexte de la genèse assez complexe de cet instrument.

2. Libellé

55.

Sur la base du libellé, rien dans la directive détachement n’exclurait les transports routiers du champ d’application de celle‑ci. La directive détachement est rédigée en des termes généraux.

56.

Cela est d’ailleurs confirmé par l’exclusion explicite du personnel navigant du champ d’application de la directive détachement, prévue à l’article 1er, paragraphe 2, de celle‑ci, comme l’ont souligné les gouvernements néerlandais, allemand et français, ainsi que la Commission ( 20 ). Cet exemple montre que, pour que quelque chose soit exclu du champ d’application d’un acte par ailleurs formulé de manière générale, cela peut et doit être fait de manière claire.

57.

Or, le transport routier, ou tout autre transport ne relevant pas de l’exception expresse prévue à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive détachement, n’ont tout simplement pas été exclus. Pour moi, l’analyse pourrait vraiment s’arrêter ici. Toutefois, des objections supplémentaires à cette conclusion se fondaient sur les travaux préparatoires et la finalité de la directive détachement.

3. Contexte législatif

a) Sur l’intention historique du législateur

58.

La directive détachement trouve son origine dans la proposition de la Commission de 1991 (ci‑après la « proposition de 1991 »). L’exposé des motifs précisait, ainsi que l’ont rappelé certaines parties dans le cadre de la présente affaire, que « l’association et l’interdépendance des [projets d’]articles 1 et 2 rendent superflu d’inclure une liste d’exclusions telles que voyageurs de commerce, membres du personnel naviguant d’une entreprise effectuant des transports internationaux de passagers ou de marchandises par rail, route, air, voie intérieure ou mer, fonctionnaires et personnel assimilé employés par des administrations publiques » ( 21 ).

59.

Ce libellé implique que les transports routiers internationaux étaient censés être exclus du champ d’application de la (à l’époque, future) directive. Toutefois, une déclaration du Conseil faite dans le cadre de la procédure législative a ajouté une nuance à cela, comme l’indiquent en substance le gouvernement allemand et la Commission, en suggérant de ne pas exclure les transports internationaux du champ d’application de la directive détachement en toutes circonstances, mais uniquement lorsque les conditions générales d’applicabilité de celle‑ci ne sont pas remplies ( 22 ).

60.

Lors de l’audience, la Commission a mis en exergue d’autres documents législatifs qui semblent attester du caractère ouvert de la discussion ayant eu lieu au cours du processus législatif concernant l’inclusion des transports dans le champ d’application de la directive détachement ( 23 ).

61.

Il apparaît ainsi assez clairement que, au cours du processus législatif, diverses idées ont été exprimées quant au champ d’application de la future directive. À mon avis, un juge pourrait et devrait prendre connaissance de ce que le législateur a voulu. Sa mission principale demeure néanmoins d’interpréter le droit qui a, une fois adopté, une vie propre. À cet égard, il convient de mettre en exergue deux éléments.

62.

D’une part, à supposer que le législateur ait été clair quant aux objectifs, il est juste d’imaginer qu’il aurait pu certainement inclure une exemption pour les transports routiers dans le texte de la directive. Alternativement, il aurait pu à tout le moins indiquer cette intention normative dans la déclaration d’objectif et de finalité de la mesure que constituent, en droit de l’Union, les considérants. Or, rien de tout cela ne figure ni dans le texte ni dans les considérants de la directive détachement. Les espoirs, les idées ou les souhaits n’ont pas de valeur juridique contraignante. Le texte adopté est le texte adopté.

63.

D’autre part, ce constat doit assurément être d’autant plus vrai dans le cadre du droit de l’Union et de ses procédures législatives. En effet, de telles procédures législatives impliquent de multiples acteurs (le Conseil, le Parlement et la Commission), chacun de ces acteurs étant composé de plusieurs acteurs supplémentaires, chacun d’entre eux étant susceptible d’avoir des idées différentes quant à ce qu’il souhaite obtenir. Dans un tel système, seul le texte final peut être le point de référence, et non la volonté ou les idées de l’un des acteurs qui s’est exprimé au cours du processus législatif sur ce qu’il croyait faire à un stade particulier dudit processus.

b) Évolution législative ultérieure

64.

À titre subsidiaire, il semblerait également que les évolutions législatives postérieures à l’adoption de la directive détachement reposent sur l’hypothèse selon laquelle ladite directive s’applique bien aux transports routiers.

65.

À cet égard, certaines des parties ont fait référence au règlement (CE) no 1072/2009 ( 24 ) qui établit les règles applicables, notamment au cabotage, et dont le considérant 17 mentionne l’application de la directive détachement au cabotage ( 25 ). Une déclaration similaire figure au considérant 11 du règlement (CE) no 1073/2009 ( 26 ).

66.

Il convient également de relever que l’article 9, paragraphe 1, sous b), de la directive 2014/67/UE mentionne les prescriptions administratives et les mesures de contrôle que les États membres peuvent imposer pour assurer le respect des exigences liées au détachement, « l’obligation de conserver ou de fournir […] des copies […] les fiches de paie, les relevés d’heures […] les preuves du paiement des salaires… pendant la durée du détachement en un lieu accessible et clairement identifié du territoire de l’État membre de détachement, comme le lieu de travail ou le site de construction ou encore, pour les travailleurs mobiles du secteur des transports, la base d’opération ou le véhicule avec lequel le service est fourni » ( 27 ).

67.

Le gouvernement français a notamment fait référence à un document de la Commission selon lequel « [l]a position de la Commission a toujours été que la directive actuelle sur le détachement de travailleurs est applicable au secteur du transport routier » ( 28 ). Je prends également acte d’une étude d’impact publiée par la Commission, indiquant que, « [d]ans le cas de la prestation transfrontalière de services de transport routier, les règles de la directive détachement s’appliquent également, ainsi que celles de la directive 2014/67/UE relative à l’exécution » ( 29 ).

68.

L’adoption de la directive (UE) 2018/957 modifiant la directive détachement a été l’évolution législative suivante dans ce contexte ( 30 ). Selon l’article 3, paragraphe 3, cette directive modificative ne doit pas s’appliquer aux transports routiers tant qu’un acte législatif établissant des règles spécifiques n’est pas adopté.Une fois encore, les parties dans la présente affaire ont présenté des opinions divergentes quant à l’incidence de cette disposition sur l’appréciation de la question de savoir si la version actuelle de la directive détachement s’applique ou non au transport routier ( 31 ).

69.

En outre, en prenant des mesures concrètes pour fixer des règles relatives au détachement des travailleurs dans le secteur des transports routiers, la Commission a publié une proposition (ci‑après la « proposition de 2017 ») dont le considérant 9 indique que « [l]es États membres ont […] rencontré des difficultés dans l’application des règles concernant le détachement de travailleurs prescrites par la directive [détachement] ». Le texte explicatif de la proposition de 2017 cite encore, parmi les « principales règles sociales qui s’appliquent au transport routier », « les dispositions concernant le détachement de travailleurs qui figurent dans la directive 96/71/CE ». Il est également précisé que « [c]es actes juridiques s’inscrivent dans le cadre d’un effort plus vaste visant à améliorer les conditions de travail des conducteurs, à assurer une concurrence loyale entre opérateurs et à améliorer la sécurité des routes européennes ainsi qu’à garantir un équilibre entre la protection sociale des travailleurs et la liberté des opérateurs de fournir des services transfrontières » ( 32 ). La même proposition précise également la nécessité de surmonter les difficultés résultant des « divergences dans l’interprétation des directives 96/71/CE et 2014/67/UE et dans leur application au secteur du transport routier », puisque « les dispositions relatives au détachement et les exigences administratives ne sont pas adaptées à la nature extrêmement mobile du travail des conducteurs du transport routier international » ( 33 ).

70.

Cette proposition admet donc à plusieurs reprises que les règles générales de détachement existantes sont inadaptées au secteur des transports et que leur application pose des difficultés particulières, elle le répète à plusieurs reprises, le reconnaît et propose d’y remédier ( 34 ). Toutefois, la reconnaissance de l’insuffisance de la réglementation existante peut difficilement entraîner l’inapplicabilité de cette réglementation à un secteur. Elle signifie exactement le contraire : qu’elle est effectivement applicable, autrement elle pourrait difficilement être jugée problématique.

4. Finalité

71.

Tel qu’il est formulé en substance dans la proposition de 1991, l’objectif de la directive détachement n’est pas d’harmoniser le droit du travail ( 35 ). Cependant, comme la Cour l’a relevé, cette directive fournit quelques précisions sur le contenu matériel des règles impératives qui doivent être appliquées ( 36 ).

72.

Ainsi que l’a relevé l’avocat général Szpunar en se référant au considérant 5 de la directive détachement, il est possible de considérer cette harmonisation comme un moyen d’atteindre « un triple objectif, à savoir la promotion de la prestation de services dans un cadre transnational, selon une concurrence loyale, et en garantissant le respect des droits des travailleurs » ( 37 ). Ainsi que l’a également relevé l’avocat général Szpunar, la combinaison de ces objectifs n’aboutit pas nécessairement à un ensemble harmonieux. Pour cette raison, il a estimé qu’il est « plus cohérent d’envisager la directive [détachement] comme une mesure cherchant à concilier les objectifs divergents de la libre prestation de services et de la protection des droits des travailleurs » ( 38 ).

73.

J’éprouve également quelques difficultés intellectuelles à voir en quoi exactement la directive détachement favorise la « prestation de services transnationale » ( 39 ). Tout au plus, l’objet même de la directive détachement est de limiter la libre prestation de services transnationale, en mettant l’accent sur les droits des travailleurs et sur un climat de concurrence loyale, surtout du point de vue des pays dans lesquels les travailleurs sont détachés.

74.

Toutefois, pour ce qui nous intéresse en l’espèce, je ne vois pas comment ces deux objectifs déclarés de la directive détachement pourraient remettre en cause la conclusion assez simple, tirée du texte de cette directive, quant à son champ d’application. Rien dans la protection des « droits [minimaux] des travailleurs » ou du « climat de concurrence loyale » ne pourrait pas être applicable au transport routier ou n’imposerait d’exclure ce domaine spécifique du champ d’application de la directive, d’application transversale par ailleurs.

5. « Il convient de l’exclure parce que ça ne marche pas »

75.

En somme, selon moi, rien dans la base juridique ni dans la procédure législative ne permet de douter de la conclusion claire découlant du texte, du contexte ainsi que de la finalité de la directive détachement : celle‑ci est censée s’appliquer à tous les services, y compris au transport routier.

76.

Il s’agit là de la conclusion normative claire. Néanmoins, il y a, ainsi que je l’ai déjà mentionné ( 40 ), l’argument persistant relatif à la capacité de la directive détachement à s’appliquer effectivement aux conducteurs routiers internationaux. En invoquant la spécificité du secteur du transport routier, certaines parties ont fait valoir que, en raison de sa mobilité élevée, ce secteur est simplement impropre à être régi par les dispositions de la directive détachement ( 41 ).

77.

De même, plusieurs difficultés pratiques ont été admises dans la proposition de 2017 ( 42 ).

78.

Il a également été observé à juste titre que la notion de détachement « tradui[…]t l’idée d’un travailleur sédentaire, exerçant habituellement son activité dans un État membre, envoyé temporairement dans un autre État membre et retournant à terme dans le premier État membre » ( 43 ). En effet, à l’instar de l’équipage de cabine d’un avion, les conducteurs de camions sont naturellement « mobiles par hypothèse » et « [l’exercice d’] activités dans plusieurs États membres constitue un aspect normal de leurs conditions de travail » ( 44 ). Ainsi, bien qu’il soit beaucoup plus compliqué de déterminer si une situation de détachement s’est produite par rapport à des secteurs sédentaires, , cela n’est pas impossible.

79.

Je reconnais pleinement le caractère mobile (quelque peu évident) du secteur des transports, ainsi que les difficultés que pose la mise en œuvre des obligations prévues par la directive détachement. Toutefois, je ne pense pas qu’il y ait lieu de permettre à ces éléments pratiques de modifier le champ d’application d’un instrument législatif de l’Union, indiqué plutôt clairement dans le texte de cet instrument.

80.

Certes, les règles et les textes de l’Union, autant que n’importe quelle législation, devraient être pratiques et réalisables. En cas de doutes d’interprétation, lorsque plusieurs options sont possibles, choisir l’option qui est susceptible de fonctionner le mieux d’un point de vue pratique est certainement une bonne recette. À mon avis, dans des situations extrêmes, une législation qui est, ou plutôt qui est devenue totalement irréalisable et impraticable, devrait être annulée ( 45 ). Toutefois, suggérer que quelque chose devrait être exclu judiciairement par voie d’interprétation, contrairement au libellé clair du texte, au motif que cela se heurterait à des difficultés pratiques, constituerait bien une nouveauté dans l’interprétation du droit de l’Union et aurait sans doute un impact majeur également sur plusieurs autres domaines du droit de l’Union.

6. Conclusion intermédiaire

81.

Eu égard à ce qui précède, je conclus à titre intermédiaire que la directive détachement doit être interprétée en ce sens qu’elle s’applique à un travailleur qui exerce une activité de conducteur du secteur routier et qui est détaché, au sens de cette directive, sur le territoire d’un État membre autre que l’État membre dans lequel il travaille normalement.

C.   Deuxième question : circonstances pertinentes pour la détermination du statut de travailleur « détaché » dans le domaine des transports routiers

82.

La deuxième question posée comporte trois sous-questions. En premier lieu, la juridiction de renvoi souhaite savoir quels sont les critères qu’il convient de retenir pour déterminer si un conducteur du secteur routier doit être considéré comme ayant été détaché (1). D’autre part, elle demande également si, en substance, le fait que l’entreprise détachant le travailleur soit une filiale de l’entreprise à laquelle ce travailleur est détaché a une importance à cet égard (2). Enfin, la juridiction de renvoi se demande également si, dans le cas du cabotage, le travailleur serait, en tout état de cause pour cette partie de son travail, considéré comme détaché et, le cas échéant, si une règle de minimis (telle que la durée minimale du cabotage) s’applique (3).

1. Critères permettant d’établir l’existence d’un détachement

83.

La première sous-question porte sur les critères permettant de déterminer si un conducteur est détaché « sur le territoire d’un État membre » au sens de l’article 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive détachement et si ce travailleur « pendant une période limitée, exécute son travail sur le territoire d’un État membre autre que l’État sur le territoire duquel il travaille habituellement », au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive détachement.

84.

Les deux dispositions auxquelles la juridiction de renvoi fait référence se recoupent partiellement. L’article 2, paragraphe 1, de la directive détachement définit la notion de « travailleur détaché ». Elle précise qu’il s’agit d’« un travailleur qui, pendant une période limitée, exécute son travail sur le territoire d’un État membre autre que l’État sur le territoire duquel il travaille habituellement ». L’expression « sur le territoire d’un État membre » figure dans certaines autres dispositions de la directive détachement. Elle fait généralement référence à la même notion que celle de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive. Toutefois, l’article 2, paragraphe 1, de la directive détachement apporte davantage de précisions sur la dimension territoriale et temporelle de la notion de détachement (« sur le territoire d’un État membre autre que l’État sur le territoire duquel il travaille normalement » et « pour une période limitée »).

85.

Ainsi, je me pencherai sur la définition donnée à l’article 2, paragraphe 1, de la directive détachement. Une fois établis les critères permettant de déterminer si une situation décrite à l’article 2, paragraphe 1, est intervenue, ces critères fourniront également une réponse à la question de savoir si un travailleur doit être considéré comme étant détaché « sur le territoire d’un État membre » au sens de l’article 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive détachement.

86.

Dans l’arrêt Dobersberger, la Cour a relevé qu’« un travailleur ne saurait, au vu de l’arrêt [PWD], être considéré comme étant détaché sur le territoire d’un État membre si l’accomplissement de son travail ne présente pas un lien suffisant avec ce territoire. Cette interprétation découle de l’économie de la directive [détachement] et, notamment, de son article 3, paragraphe 2, lu à la lumière de son considérant 15, qui, dans le cas de prestations de caractère très limité sur le territoire sur lequel les travailleurs concernés sont envoyés, prévoit que les dispositions de cette directive concernant les taux de salaire minimal et la durée minimale des congés annuels payés ne sont pas applicables » ( 46 ).

87.

S’agissant du type spécifique d’activité en cause dans l’arrêt Dobersberger, précité, à savoir la prestation de services de restauration et de nettoyage sur des trains internationaux, la Cour a conclu que des travailleurs fournissant ce type de services n’entretiennent pas avec le territoire du ou des États membres que ces trains traversent un lien suffisant pour y être considérés comme étant « détachés » au sens de la directive parce qu’ils « exécutent une partie importante de leur travail dans l’État membre dans lequel est établie l’entreprise qui les a affectés à la fourniture de services dans des trains internationaux, à savoir l’ensemble des activités relevant de ce travail à l’exception de l’activité de service de bord effectuée lors du déplacement du train, et qui commencent ou terminent leur service dans cet État membre » ( 47 ).

88.

Comment faut-il alors apprécier l’existence de ce « lien suffisant » en ce qui concerne les conducteurs routiers ? Les parties soutenant que le transport routier relève du champ d’application de la directive détachement ont suggéré divers critères qui pourraient être pris en compte dans ce contexte.

89.

Le gouvernement allemand suggère une approche conforme aux critères appliqués dans le cadre de l’article 8, paragraphe 2, du règlement Rome I sur la détermination de la loi applicable au contrat de travail, tout en mettant en garde contre une transposition pure et simple de ces critères dans le cadre d’un instrument différent tel que la directive détachement. L’article 8, paragraphe 2, du règlement Rome I dispose que, « [à] défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail. Le pays dans lequel le travail est habituellement accompli n’est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre pays » ( 48 ).

90.

Quant à la nécessité de rechercher une cohérence dans l’interprétation de la directive détachement et du règlement Rome I ( 49 ), certes, ces deux instruments visent à déterminer le droit (certains éléments du droit) à appliquer aux différents aspects d’une relation de travail. Cependant, il convient de relever que l’article 8, paragraphe 2, du règlement Rome I concerne la détermination de la loi régissant l’ensemble de la relation de travail en l’absence de choix de la loi dans le contrat de travail. En revanche, l’article 2, paragraphe 1, de la directive détachement fait référence à l’État de détachement dont les normes (choisies) de droit du travail doivent être garanties aux travailleurs détachés dans les domaines précisés à l’article 3, paragraphe 1, sous a) à g), de la directive.

91.

Partant, les deux instruments poursuivent des objectifs différents. La détermination de la « loi applicable » entraîne également des conséquences différentes. Surtout, la situation du détachement n’affecte pas le droit applicable à l’emploi, comme le précise clairement le règlement Rome I (et auparavant la convention de Rome) ( 50 ) auquel renvoie la directive détachement ( 51 ). En d’autres termes, le fait que le détachement d’un travailleur déclenche l’applicabilité des normes de travail obligatoires mentionnées de l’État d’accueil ne fait pas obstacle à ce que sa relation de travail soit régie par la loi déterminée sur le fondement des règles du règlement Rome I.

92.

Toutefois, ces différences n’empêchent pas de prendre en compte, sur un plan plus général d’abstraction, par analogie, des critères similaires. En effet, ces deux instruments visent à déterminer certains types de liens matériels entre le travailleur et un État membre donné. Ces liens matériels ont tendance à être similaires dans la mesure où ils visent à établir une présence physique substantielle d’une personne donnée sur un territoire donné ( 52 ).

93.

L’équivalent de l’article 8, paragraphe 2, du règlement Rome I dans la convention de Rome a été interprété par la Cour dans l’arrêt Koelzsch ( 53 ). Cette affaire concernait un conducteur, domicilié en Allemagne et travaillant dans le transport international, qui contestait l’applicabilité du droit luxembourgeois (choisi contractuellement) au licenciement par son employeur luxembourgeois, filiale d’une société danoise. Il a fait valoir que sa situation devait relever des règles impératives du droit allemand, l’Allemagne étant la principale destination des chargements qu’il transportait depuis le Danemark, dans des camions basés en Allemagne et immatriculés au Luxembourg.

94.

La Cour a conclu que, pour déterminer le « pays où le travailleur “accomplit habituellement son travail” », il convient de tenir compte « de l’ensemble des éléments qui caractérisent l’activité du travailleur », et notamment « le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, reçoit les instructions sur ses missions et organise son travail, ainsi que le lieu où se trouvent les outils de travail. […] les lieux où le transport est principalement effectué, les lieux de déchargement de la marchandise ainsi que le lieu où le travailleur rentre après ses missions » ( 54 ).

95.

De même, s’agissant de la détermination du « lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail » au sens de l’article 19, paragraphe 2, sous a), du règlement no 44/2001, la Cour a précisé que, lorsque le contrat de travail est « exécuté sur le territoire de plusieurs États contractants et en l’absence d’un centre effectif d’activités professionnelles du travailleur à partir duquel il se serait acquitté de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur », cette notion doit être interprétée comme « visant le lieu où, ou à partir duquel, le travailleur s’acquitte de fait de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur » ( 55 ).

96.

En outre, au regard des objectifs concurrents que poursuit la directive détachement ( 56 ), les critères à appliquer devraient refléter la nécessité de fournir aux travailleurs détachés la protection qui est due au regard de leur présence dans l’État membre d’accueil. Toutefois, ces critères ne devraient pas étendre l’application de la règle du détachement à absolument toute forme de présence dans un État membre donné, car cela entraînerait une charge indue pour les entreprises détachant des travailleurs.

97.

En présence d’une mosaïque d’éléments de rattachement éventuel, dont la liste peut être particulièrement variée dans le secteur du transport routier, il faut nécessairement procéder à une analyse au cas par cas et considérer l’interaction entre ces éléments. Dans des « circonstances mobiles » similaires, l’avocat général Saugmandsgaard Øe et la Cour on fait référence à un « faisceau d’indices » ( 57 ) ou à une « méthode indiciaire » qui « permet non seulement de mieux refléter la réalité des relations juridiques, […], mais également de prévenir que [la notion en cause] ne soit instrumentalisée ou ne contribue à la réalisation de stratégies de contournement » ( 58 ).

98.

Il y aura certainement des cas évidents à chaque extrémité du spectre.

99.

D’une part, je suis d’accord avec ceux qui suggèrent que le simple transit vers un État membre ou un simple transport transfrontalier ne constitue pas un « détachement » au sens de la directive détachement. Une telle situation ne permet pas d’établir tout lien matériellement pertinent entre le conducteur et l’État membre par lequel il transite. La situation est similaire en ce qui concerne ce qu’il est convenu d’appeler les « opérations de transport bilatérales » dans lesquelles, en principe, le conducteur franchit une frontière pour livrer le chargement à l’étranger et revient.

100.

D’autre part, on peut imaginer une hypothèse dans laquelle un employeur met à la disposition d’un destinataire de services, situé dans un autre État membre, son conducteur salarié qui effectuera ensuite, à titre temporaire, des opérations de transport nationales ou internationales pour ce destinataire. À cette fin, ce conducteur sera transporté jusqu’au siège de l’entreprise du destinataire des services, y reçoit des instructions, y charge des camions de chargement et effectue les transports depuis et vers ce lieu. Une telle situation constitue, à notre avis, un détachement au sens de la directive détachement. À toutes fins pratiques, le conducteur en cause est transféré dans un autre État membre, affecté au centre d’opérations à partir duquel les transports sont effectués, et revient à ce lieu après l’exécution des opérations de transport, pour la durée du détachement.

101.

Entre ces deux hypothèses, de nombreuses autres situations moins évidentes peuvent se présenter, impliquant plusieurs variables. On peut imaginer une opération de transport international à destinations multiples comportant des opérations de chargement et de déchargement dans différents lieux, les instructions étant reçues par le conducteur tout au long de l’opération de transport dans différents lieux de l’Union.

102.

Dans une telle hypothèse, l’examen auquel il convient de procéder doit nécessairement être spécifique et circonstanciel. Dans certaines circonstances, des indices spécifiques peuvent être pertinents alors que dans d’autres situations de fait, mis en balance avec un autre faisceau d’indices, ils peuvent ne pas l’être.

103.

Toutefois, à un niveau assez élevé d’abstraction ( 59 ), ce qui est susceptible d’être particulièrement important est le lieu où se situe l’entreprise ou la personne à laquelle les services des travailleurs concernés sont fournis. En particulier, si ce lieu est également celui où les opérations de transport sont organisées, où les conducteurs reçoivent leurs missions et où ils retournent après l’accomplissement de leur travail.

104.

Ces éléments, sans être exhaustifs, doivent être pris en considération dans leur interaction. Ainsi, le lieu de la réception effective des instructions a moins d’importance si celles‑ci sont reçues de manière souple par voie électronique et littéralement « sur la route ». En revanche, si elles sont reçues, par exemple à l’endroit où les transports commencent et se terminent, ce lieu étant celui du siège de la personne au nom de laquelle ils sont effectués, un tel lieu est pertinent. De même, considéré isolément, le point de savoir qui transmet immédiatement les instructions au conducteur concerné ou d’où ces instructions proviennent ne devrait pas être pertinent, puisque les deux endroits peuvent se trouver ailleurs que le lieu où le conducteur se trouve effectivement, effectue l’essentiel de son travail et effectue ses dépenses de vie courante.

105.

Au vu des éléments qui précèdent, je conclus que la notion de « travailleur qui, pendant une période limitée, exécute son travail sur le territoire d’un État membre autre que l’État sur le territoire duquel il travaille habituellement », au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive détachement, doit être comprise comme un travailleur ayant un lien suffisant avec un tel territoire. L’existence d’un tel lien suffisant doit être déterminée en fonction de l’ensemble des indices pertinents, tels que la localisation du destinataire des services en cause, le lieu où sont organisés les opérations de transport, où les conducteurs reçoivent leurs missions et où ils retournent après avoir accompli leur travail.

2. Pertinence des liens intragroupe

106.

L’existence de liens intragroupes entre les entreprises concernées a-t-elle une incidence sur l’appréciation de l’existence d’un détachement de travailleurs ? La directive détachement prend en compte la pertinence de tels liens dans le cas de figure du détachement intragroupe décrit à l’article 1er, paragraphe 3, sous b), de cette directive.

107.

Toutefois, la présente affaire ne concerne pas les différentes modalités de détachement selon que la situation relève de l’article 1er, paragraphe 3, sous a) ou b), de la directive détachement. En effet, la question posée par la juridiction de renvoi est beaucoup plus large et porte sur le point de savoir dans quelle mesure les liens intragroupe sont pertinents pour la notion de détachement de travailleurs au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive détachement. L’existence de liens intragroupe doit-elle importer lors de l’examen de la question antérieure, de savoir s’il y a eu ou non détachement ?

108.

La FNV et le gouvernement néerlandais font valoir, en substance, que l’existence de tels liens devrait faire partie des critères à prendre en compte pour apprécier s’il y a eu ou non « détachement ».

109.

Je ne saurais souscrire à une thèse aussi générale. Ainsi que je l’ai expliqué dans la partie précédente des présentes conclusions, dans le cadre législatif actuel, qui ne comporte aucune indication quant aux critères à retenir, l’examen doit nécessairement être très précis. Dans le cadre de cette appréciation, le fait qu’un travailleur soit détaché auprès d’une entreprise liée à l’entreprise détachant ce travailleur n’est pas déterminant à lui seul. En effet, un travailleur peut naturellement être détaché exactement de la même manière dans une entreprise qui n’est aucunement liée à l’entreprise détachant ce travailleur.

110.

En revanche, il est également impossible d’affirmer dans l’absolu que de tels liens intragroupes seraient toujours, en toutes circonstances, dénués de toute pertinence. Certes, sur le plan pratique, les liens intragroupes rendent plus facile pour les entreprises concernées de convenir d’une stratégie consistant à éviter l’application des règles de détachement que pour deux entreprises qui ne sont pas liées. Mais faut-il aller pour autant jusqu’à créer effectivement une « suspicion de contournement » fondée sur la seule circonstance que certains services sont fournis à l’intérieur de sociétés ou entre des sociétés qui sont liées d’une manière ou d’une autre ? Il est évident qu’il ne peut en être ainsi.

111.

Quoi qu’il en soit, outre l’affirmation générale selon laquelle les trois sociétés défenderesses au principal ont le même actionnaire, les éléments fournis dans le dossier ne révèlent pas d’autres éléments permettant de comprendre la raison pour laquelle les liens intragroupes entre les trois sociétés défenderesses devraient importer pour déterminer s’il y a eu ou non détachement de travailleurs.

112.

C’est pourquoi je propose de laisser effectivement cette question ouverte : l’existence de liens intragroupes entre les entreprises impliquées dans un détachement donné, considérée avec tous les indices pertinents, peut éventuellement avoir de l’importance pour déterminer de manière générale s’il y a eu ou non détachement. Toutefois, elle n’est pas décisive en soi.

3. Règle de cabotage et de minimis

113.

Au vu des doutes émis précédemment quant à l’applicabilité de la directive détachement au transport routier, par la sous-question suivante, la juridiction de renvoi cherche à savoir si le cabotage constitue une situation dans laquelle le travailleur serait considéré comme détaché. Dans l’affirmative, elle souhaite savoir si une telle affectation est soumise à une règle de minimis.

114.

D’une part, la notion de cabotage vise de manière générale la situation dans laquelle le transport est effectué entre deux lieux d’un même État membre par une entreprise établie dans un autre État membre. L’article 2, paragraphe 6, du règlement no 1072/2009 définit le cabotage comme des « transports nationaux pour compte d’autrui assurés à titre temporaire dans un État membre d’accueil » ( 60 ).

115.

Les « conditions auxquelles les transporteurs non résidents peuvent effectuer des transports dans un État membre » ( 61 ) sont par ailleurs précisées à l’article 8 du règlement no 1072/2009 ( 62 ). En principe ces règles permettent d’effectuer jusqu’à trois transports de cabotage dans l’État membre d’accueil à l’issue d’un transport international dans cet État, dans un délai de sept jours à compter de l’achèvement de cette opération de transport.

116.

Je rappelle que le considérant 17 du règlement no 1072/2009 énonce que les dispositions de la directive détachement s’appliquent aux entreprises de transport effectuant une opération de cabotage.

117.

Deuxièmement, en ce qui concerne les règles de minimis, le considérant 14 de la directive détachement énonce qu’« un “noyau dur” de règles protectrices, clairement définies, devrait être observé par le prestataire de services, nonobstant la durée du détachement du travailleur ».

118.

Toutefois, en vertu de l’article 3, paragraphe 3, de la directive détachement, les États membres peuvent, après consultation des partenaires sociaux, décider de ne pas appliquer le taux de salaire minimal du pays d’accueil si la totalité de la durée du détachement est inférieure à un mois. Dans la présente affaire, il n’a pas été indiqué si les Pays‑Bas ont fait usage de cette faculté, de sorte que nous supposerons que cette exception n’a pas été mise en œuvre par cet État membre.

119.

En dehors de cette exception, la directive détachement ne subordonne l’existence d’un détachement à aucune règle de minimis, telle que la durée ou la durée minimale du transport effectué, ainsi que le relèvent la Commission et le gouvernement allemand.

120.

Troisièmement, la mise en relation des deux éléments précédents nous amène à la conclusion que, pour qu’une situation de détachement puisse intervenir dans le contexte spécifique du cabotage, aucun délai minimal ne s’applique.

121.

À la lumière de ces éléments, ma conclusion intermédiaire suivante est que l’application de la directive détachement au cabotage n’est subordonnée à aucune règle minimale relative à la durée d’un tel transport dans l’État membre d’accueil.

D.   Troisième question : conventions collectives déclarées d’application générale

122.

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi souhaite préciser la notion de « conventions collectives déclarées d’application générale », au sens de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 3, paragraphe 8, premier alinéa, de la directive détachement (1). Elle se demande également si l’article 56 TFUE s’oppose à ce qu’une entreprise, détachant un travailleur sur le territoire d’un autre État membre, soit obligée contractuellement de se conformer à une convention collective qui ne peut être considérée comme étant d’application générale (2).

1. Notion de « conventions collectives déclarées d’application générale »

123.

La notion de « conventions collectives déclarées d’application générale » figurant dans la directive détachement constitue-t-elle une notion autonome du droit de l’Union ? Ou l’appréciation, sous réserve du respect des conditions posées à l’article 3, paragraphe 1, et à l’article 3, paragraphe 8, premier alinéa, de la directive détachement, relève-t-elle du droit national ?

124.

Il résulte de l’article 3, paragraphe 1, de la directive détachement que les normes du droit du travail à accorder aux travailleurs détachés sont non seulement définies dans les législations respectives des États membres, mais également dans des « conventions collectives […] déclarées d’application générale […] dans la mesure où elles concernent les activités visées en annexe ». Cette annexe concerne, en définitive, le secteur de la construction. En outre, en vertu de l’article 3, paragraphe 10, de la directive détachement, l’État membre peut appliquer des conditions de travail et d’emploi fixées dans des conventions collectives et concernant des activités autres que celles visées à l’annexe.

125.

Du libellé de la question préjudicielle, ainsi que des faits de la présente affaire, je comprends que la juridiction de renvoi s’intéresse à la partie de la définition qui concerne la déclaration d’applicabilité générale, par opposition aux éléments de l’article 3, paragraphe 8, de la directive détachement relatifs au respect d’une convention « par toutes les entreprises appartenant au secteur ou à la profession concernés et relevant du champ d’application territoriale de celles‑ci ». Partant, je me concentrerai sur la question de la « déclaration d’applicabilité générale ». C’est d’ailleurs l’approche adoptée par toutes les parties qui ont présenté des observations concernant cette question dans la présente affaire.

126.

Les parties ont exprimé des points de vue différents sur la question de savoir si la notion de « conventions collectives déclarées d’application générale » constitue une notion autonome du droit de l’Union ou si elle doit être définie par référence au droit national ou par une combinaison des deux.Elles ont également exprimé des avis divergents quant aux implications de l’arrêt Rüffert ( 63 ). Prenant acte du fait que la convention collective en cause dans cette affaire n’avait pas été déclarée d’application générale sur la base du droit national, la Cour a relevé que, « [p]ar ailleurs, le dossier […] ne contient aucun indice permettant de conclure que cette convention serait néanmoins susceptible d’être qualifiée d’application générale au sens de la directive détachement ».

127.

D’une part, pour le gouvernement néerlandais et la FNV, en l’absence de renvoi au droit national, la notion de « convention déclarée d’application générale » est, en principe, une notion autonome du droit de l’Union. Le gouvernement néerlandais ajoute qu’une convention collective déclarée d’application générale en vertu du droit national ne peut toutefois ne pas satisfaire aux conditions posées à l’article 3, paragraphe 8, de la directive détachement. À l’inverse, une convention collective qui n’a pas été déclarée comme telle ne peut jamais relever de l’article 3, paragraphe 8, de la directive détachement.

128.

D’autre part, selon les gouvernements allemand et polonais, l’applicabilité universelle ne saurait être déterminée sans renvoi au droit national. Pour relever de l’article 3, paragraphe 8, de la directive détachement, un accord doit être déclaré d’application générale en droit national et être conforme à l’article 3, paragraphe 8, de la directive détachement. L’applicabilité générale nécessite ainsi un acte de droit interne.

129.

Si je suis d’accord avec le gouvernement néerlandais et la FNV en ce qui concerne l’absence de renvoi exprès au droit national, je considère que le libellé de l’article 3, paragraphe 1, de la directive détachement renvoie logiquement au droit national, dans la mesure où il exige que l’applicabilité générale ait été « déclarée ». Une telle déclaration requiert, ainsi que le font valoir à juste titre les gouvernements allemand et polonais, qu’un acte déclaratif spécifique soit pris au niveau national, en suivant des règles nationales déterminant qui est appelé à négocier et à adopter de telles conventions collectives, et comment il convient de le faire. Je ne vois pas en quoi une telle déclaration pourrait être une question de droit de l’Union, toutes ces règles relevant manifestement du droit national du travail.

130.

Si le législateur de l’Union entendait établir la notion de « conventions collectives […] déclarées d’application générale » en tant que notion autonome et indépendante du droit de l’Union, il aurait vraisemblablement utilisé une formulation différente, peut-être sans faire référence à une « déclaration » d’applicabilité générale, et aurait prévu au moins quelques critères matériels ou procéduraux aux fins de l’appréciation de cette applicabilité générale. Une telle notion autonome d’applicabilité générale devrait être établie en fonction des caractéristiques intrinsèques des différentes conventions. À l’inverse, en précisant que les conventions collectives concernées sont celles qui ont été déclarées d’application générale, le législateur de l’Union a fait référence, selon moi, à un système dans lequel une telle déclaration peut intervenir. En l’absence d’éléments susceptibles d’être invoqués dans ce cadre en droit de l’Union, ce système doit nécessairement être un système national, dans le cadre de l’organisation nationale du dialogue social à mener entre différentes parties prenantes.

131.

De même, l’article 3, paragraphe 8, deuxième alinéa, de la directive détachement fait référence à un « système de déclaration d’application générale de conventions collectives » ( 64 ). Conformément à cette disposition, seulement en l’absence d’un système permettant que les conventions collectives soient déclarées d’application générale, les États membres peuvent se fonder sur les conventions collectives qui sont généralement applicables à toutes les entreprises similaires de la même zone géographique et appartenant au secteur ou à la profession concernés et/ou sur les conventions collectives qui ont été conclues par les organisations les plus représentatives des employeurs et des travailleurs sur le plan national et qui sont appliquées sur l’ensemble de leur territoire national.

132.

Cette option subsidiaire ne modifie cependant pas la règle principale qui repose sur un système national de déclaration.

133.

D’ailleurs, le droit néerlandais prévoit un tel système, comme le souligne la Commission. Il ressort du dossier que la convention collective en cause, à savoir la CCT TM, doit être considérée, selon le droit national et sous réserve de l’appréciation de la juridiction de renvoi, comme couverte par une déclaration d’applicabilité générale en raison des liens existant entre cette convention et la CCT transport routier pour compte d’autrui.

134.

En définitive, la notion de « conventions collectives déclarées d’application générale », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive détachement, doit être comprise comme renvoyant au droit national. En d’autres termes, la déclaration d’applicabilité générale d’une convention collective doit être appréciée au regard du droit national applicable en la matière.

2. Sur l’existence d’une restriction à l’article 56 TFUE

135.

Par sa troisième question sous b), la juridiction de renvoi demande si l’article 56 TFUE s’oppose à ce qu’une entreprise établie dans un État membre et qui détache un travailleur sur le territoire d’un autre État membre soit tenue, par voie contractuelle, de se conformer aux dispositions d’une convention collective qui ne saurait être considérée comme étant d’application générale dans le cadre de la directive détachement.

136.

Cette question de la juridiction de renvoi n’est posée que pour le cas où la réponse à la troisième question sous a) conduirait à la conclusion que la convention collective en cause ne peut pas être considérée comme ayant été déclarée d’application générale au sens de la directive détachement. En effet, dans une telle hypothèse, les obligations d’application des conditions de travail de base de la CCT TM ne découleraient pas de la directive détachement, mais pourraient encore découler de l’article 44 de la CCT TM. Cela constitue-t-il une restriction au sens de l’article 56 TFUE, comme le soutient Van den Bosch Transporten BV dans l’affaire au principal ?

137.

Cette question appelle plusieurs précisions.

138.

En premier lieu, la question de savoir si la CCT TM doit être considérée comme déclarée d’application générale relève du droit national. Ainsi, c’est finalement une décision qui appartient à la juridiction de renvoi. La juridiction de renvoi indique, dans sa décision de renvoi, que, en vertu du droit national, la convention collective en cause au principal, la CCT TM, doit être considérée comme déclarée d’application générale.

139.

Si tel est effectivement le cas en droit national, la troisième question sous b) est hypothétique.

140.

Cela étant précisé, la juridiction de renvoi peut encore parvenir à un avis contraire et en déduire que la CCT TM ne peut pas être considérée comme déclarée d’application générale. Cela rendrait nécessaire de répondre à la troisième question sous b).

141.

D’autre part, ainsi que cela est exposé dans la décision de renvoi, l’incompatibilité trouverait sa source dans l’application des conditions élémentaires d’emploi énoncées dans CCT TM à une entreprise étrangère détachant des travailleurs, alors même que cette convention ne saurait être considérée comme déclarée d’application générale. La juridiction de renvoi pose cette question bien que l’article 44 de la CCT TM semble lier l’applicabilité de ces obligations uniquement « lorsque cela découle de la directive détachement» ( 65 ). Selon moi, aux fins de la troisième question sous b), cette partie de l’article 44 de la directive détachement doit, en réalité, plutôt être lue dans le sens de « même lorsque cela ne découle pas de la directive détachement ».

142.

Dans cette optique, la troisième question sous b) viserait alors à savoir si l’article 56 TFUE s’oppose à ce qu’une entreprise qui est établie dans un État membre et qui détache un travailleur sur le territoire d’un autre État membre soit tenue de respecter les dispositions d’une convention collective qui ne saurait être considérée comme déclarée d’application générale au sens de la directive détachement.

143.

Supposant que j’ai compris cette question correctement, et indépendamment de l’aspect problématique de savoir en vertu de quelle disposition du droit national une convention collective qui n’est pas d’application générale pourrait cependant être déclarée contraignante pour des prestataires de services d’autres États membres, la réponse à cette question résulterait alors de l’examen de restrictions à la libre prestation des services au titre de l’article 56 TFUE.

144.

Je conviens avec le gouvernement néerlandais que la situation décrite dans la troisième question sous b) constituerait alors une restriction à la libre prestation des services.Elle imposerait une charge aux entreprises concernées, car elle exigerait le respect d’obligations correspondant à celles définies dans la directive détachement au-delà du champ d’application de cet instrument. La question essentielle serait alors celle de savoir si une telle restriction peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général et si elle respecte le critère de proportionnalité.

145.

J’observe que la décision de renvoi ne contient pas davantage d’informations quant aux éventuelles justifications et éléments pertinents aux fins du contrôle de proportionnalité.

146.

En ce qui concerne la justification par une raison impérieuse d’intérêt général, je suis d’accord avec le gouvernement allemand et le gouvernement néerlandais pour considérer que la protection des travailleurs ( 66 ) et la prévention de la concurrence déloyale ( 67 ) pourraient en tant que telles en bénéficier. Ces motifs se recoupent en réalité avec les objectifs poursuivis par la directive détachement évoqués ci‑dessus ( 68 ). Partant, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si, envisagés objectivement, les auteurs de la CCT TM ont poursuivi, lors de la rédaction de l’article 44 de cette convention collective, la promotion des droits des travailleurs détachés ou la prévention de la concurrence déloyale.

147.

Ainsi que la Cour l’a itérativement rappelé, une mesure en cause, pour être justifiée, une mesure doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre ( 69 ). Cette appréciation reviendrait, en définitive, à la juridiction de renvoi, compte tenu toutefois de ce que, dans la directive détachement et à l’intérieur de celle‑ci, le législateur de l’Union a déjà atteint un certain équilibre entre les objectifs concurrents et plutôt opposés propres à cette directive.

V. Conclusion

148.

Je propose à la Cour de répondre au Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays‑Bas) de la manière suivante :

1)

La directive no 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1), doit être interprétée en ce sens qu’elle s’applique également à un travailleur qui exerce une activité de conducteur dans le secteur du transport routier et qui est détaché au sens de cette directive, sur le territoire d’un État membre autre que l’État membre dans lequel il travaille normalement.

2a)

La notion de « travailleur qui, pendant une période limitée, effectue son travail sur le territoire d’un État membre autre que l’État dans lequel il travaille normalement », au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71, doit être entendue comme se rapportant au travailleur qui a un lien de rattachement suffisant avec un tel territoire. L’existence d’un tel lien doit être déterminée en fonction de l’ensemble des indices pertinents, tels que la localisation du destinataire des services en cause, le lieu où sont organisées les opérations de transport, où les conducteurs reçoivent leurs missions et où ils retournent après avoir terminé leur travail.

2b)

L’existence de liens intragroupes entre les entreprises concernées par un détachement donné, prise ensemble avec tout autre indice pertinent, peut éventuellement avoir de l’importance pour déterminer de manière globale s’il y a eu détachement. Toutefois, elle n’est pas décisive en soi.

2c)

Le cabotage relève du champ d’application de la directive 96/71. L’application de la directive détachement au cabotage n’est conditionnée par aucune règle minimale relative à la durée de l’opération de cabotage dans l’État membre d’accueil.

3)

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 doit être interprété en ce sens que la question de savoir si une convention collective a été déclarée d’application générale doit être appréciée par référence au droit national applicable.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 (JO 1997, L 18, p. 1).

( 3 ) Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (JO 1980, L 266, p. 1), version consolidée (JO 2005, L 334, p. 1), ci‑après la « convention de Rome ».

( 4 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO 2008, L 177, p. 6).

( 5 ) Mise en italique par mes soins.

( 6 ) Voir, par exemple, arrêt du 19 novembre 2019, A.K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 132.

( 7 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 28 juin 2018 modifiant la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 2018, L 173, p. 16).

( 8 ) Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36).

( 9 ) En renvoyant à l’arrêt du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi (C‑434/15, EU:C:2017:981, point 44).

( 10 ) Voir, par exemple, van Hoek, A., Houwerzijl, M., Report for the Dutch Social Partners in Transport, Radboud University, Nijmegen, 2008, p. 88.

( 11 ) Par exemple, Barnard, C., EU Employment Law, Oxford University Press, Oxford, 2012, p. 234 ; Van Overbeeke, F., « Do we need a new conflict-of-laws rule for labour in the European road transport sector ? Yes we do », From social competition to social dumping, Intersentia, Cambridge, 2016, p. 107‑108 (note 2) ; Lhernould, J.-P., « Directive (EU) 2018/957 of 28 June 2018 amending Directive 96/71/EC concerning the posting of workers in the framework of the provision of services – What will change in 2020 ? », ERA Forum, vol. 20(2), 2019, p. 255.

( 12 ) Conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Dobersberger (C‑16/18, EU:C:2019:638, points 34, 35 et 37).

( 13 ) Arrêt du 19 décembre 2019, Dobersberger (C‑16/18, EU:C:2019:1110, point 24).

( 14 ) Voir, notamment, arrêts du 10 décembre 2002, British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco (C‑491/01, EU:C:2002:741) ou du 12 juillet 2005, Alliance for Natural Health e.a. (C‑154/04 et C‑155/04, EU:C:2005:449).

( 15 ) Voir, par exemple, arrêts du 20 mai 2003(Österreichischer Rundfunk e.a., C‑465/00, C‑138/01 et C‑139/01, EU:C:2003:294, points 41 à 43), et du 6 novembre 2003, Lindqvist (C‑101/01, EU:C:2003:596, points 40 à 42).

( 16 ) Voir arrêt du 13 juin 2019, Moro (C‑646/17, EU:C:2019:489, points 32 et 33), ainsi que mes conclusions dans cette affaire examinant la question de manière approfondie (EU:C:2019:95, en particulier points 37 à 54).

( 17 ) Arrêts du 10 décembre 2002, British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco (C‑491/01, EU:C:2002:741, points 96 et 97), et du 12 juillet 2005, Alliance for Natural Health e.a. (C‑154/04 et C‑155/04, EU:C:2005:449, point 41).

( 18 ) À l’exception explicite prévue pour les entreprises de marine marchande en ce qui concerne le personnel navigant, conformément à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive détachement. À cet égard je ne peux que souscrire à l’argumentation du Procureur-Generaal Drijber devant la juridiction de renvoi, concernant l’affaire au principal (avis du 7 septembre 2018, NL:PHR:2018:943, point 5.3).

( 19 ) Voir, a contrario, l’explication concernant la base juridique fournie par la Commission dans la proposition actuelle sur des dispositions en matière de détachement spécifiques au secteur des transports : « Les directives 96/71/CE et 2014/67/UE sont fondées sur l’(actuel) article 53, paragraphe 1, du TFUE. Toutefois, puisque les règles proposées ici se rapportent exclusivement à des situations propres à la fourniture de services de transport, l’article 91, paragraphe 1, du TFUE devrait servir de base juridique ». Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2006/22/CE quant aux exigences en matière de contrôle et établissant des règles spécifiques en ce qui concerne la directive 96/71/CE et la directive 2014/67/UE pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier [COM(2017) 278 final, p. 4].

( 20 ) Voir également van Hoek, A., Houwerzijl, M., Report for the Dutch Social Partners in Transport, Radboud University, Nijmegen, 2008, p. 88, relevant que l’exclusion expresse du personnel navigant des entreprises de marine marchande « indique que le reste du personnel des transports internationaux relève en principe du champ d’application de la directive, dès lors que les autres conditions sont remplies ».

( 21 ) COM(91) 230 final SYN 346 du 1er août 1991, proposition de directive du Conseil concernant le dépôt de travailleurs dans le cadre de la prestation de services, point 23. Le projet d’article 1er prévoyait que la directive « s’applique à toute entreprise, quel que soit l’État dans lequel elle est établie ». Le projet d’article 2 énumérait trois situations de détachement. (Mise en italique par mes soins).

( 22 ) Procès‑verbal du Conseil à l’occasion de l’adoption de la directive 96/71, document 10048/96. SOC 264 CODEC 550, déclaration no 3 : « Les dispositions de l’article premier, paragraphe 3, sous a), s’appliquent à des situations de détachement qui remplissent les conditions suivantes : – la prestation transnationale de services par une entreprise pour son propre compte et sous sa direction dans le cadre d’un contrat conclu entre ladite entreprise et le destinataire de la prestation de services ; – le détachement en tant que partie d’une prestation de services. Dès lors, si les conditions citées ci‑dessus ne sont pas remplies, les situations suivantes ne relèvent pas du champ d’application de l’article premier, paragraphe 3, sous a) : – celle d’un travailleur qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres et qui fait partie du personnel mobile d’une entreprise qui exerce de manière professionnelle pour son propre compte des activités de services de transport international de passagers ou de marchandises par rail, par route ou par mer ; » (mise en italique par mes soins).

( 23 ) Document du groupe « Questions sociales » du Conseil, du 29 octobre 1992, 9790/92, du10 novembre 1992, p. 5 ; document du groupe « Questions sociales » du Conseil, du 13 juillet 1993, 9570/93, du 3 novembre 1993, p. 5 ; document du groupe « Questions sociales » du Conseil, du 24 septembre 1992, 8255/92, du 9 octobre 1992, p. 5.

( 24 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 établissant des règles communes pour l’accès au marché du transport international de marchandises par route (JO 2009, L 300, p. 72).

( 25 ) Défini en substance à l’article 2, paragraphe 6, de ce règlement comme « des transports nationaux pour compte d’autrui assurés à titre temporaire dans un État membre d’accueil ».

( 26 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 établissant des règles communes pour l’accès au marché international des services de transport par autocars et autobus, et modifiant le règlement (CE) no 561/2006 (JO 2009, L 300, p. 88).

( 27 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à l’exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services et modifiant le règlement (UE) no 1024/2012 concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur (« règlement IMI ») (JO 2014, L 159, p. 11) (mise en italique par mes soins).

( 28 ) Révision de la directive concernant le détachement de travailleurs – Foire aux questions, 8 mars 2016, mise à jour le 24 octobre 2017 (MEMO/16/467).

( 29 ) Étude de soutien à l’appui d’une évaluation d’impact en vue de la révision de la législation sociale dans le secteur du transport routier, Rapport final, Contrat d’étude no MOVE/D3/2016‑605, dont les auteurs : Gibson, G., Tsamis, A., Lohr, E., Guidorzi, E., Levin, S., mai 2017, p. 7.

( 30 ) Voir note 7 des présentes conclusions.

( 31 ) Aux fins de la présente affaire et des présentes conclusions, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de s’engager dans un débat (plutôt classique en droit de l’Union) sur le point de savoir si une règle intégrée dans une nouvelle version d’un instrument législatif est i) une codification de ce qui a toujours été, bien que seulement « implicitement » ou ii) une véritable modification introduisant expressément une nouvelle règle qui s’écarte de la version précédente du même instrument.

( 32 ) COM(2017) 278 final, proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2006/22/CE quant aux exigences en matière de contrôle et établissant des règles spécifiques en ce qui concerne la directive 96/71/CE et la directive 2014/67/UE pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier, p. 2.

( 33 ) COM(2017) 278 final, p. 2.

( 34 ) Je relève que la Commission admettait déjà ces difficultés dans la proposition de modification de la directive 96/71/CE du 8 mars 2016 [COM(2016) 128 final].

( 35 ) Voir également arrêts du 18 décembre 2007, Laval un Partneri (C‑341/05, EU:C:2007:809, points 60 et 68), et du 12 février 2015, Sähköalojen ammattiliitto (C‑396/13, EU:C:2015:86, point 31). Voir aussi p. 16, point 27, de la proposition COM(1991) 230 final.

( 36 ) Arrêt 12 février 2015, Sähköalojen ammattiliitto (C‑396/13, EU:C:2015:86, point 31). Voir aussi arrêt du 19 juin 2008, Commission/Luxembourg (C‑319/06, EU:C:2008:350, point 24 et jurisprudence citée).

( 37 ) Conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Dobersberger (C‑16/18, EU:C:2019:638, point 23).

( 38 ) Conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Dobersberger (C‑16/18, EU:C:2019:638, points 23 et 24). Voir également arrêts du 18 décembre 2007, Laval un Partneri (C‑341/05, EU:C:2007:809, points 74 à 76), et du 12 février 2015, Sähköalojen ammattiliitto (C‑396/13, EU:C:2015:86, point 30).

( 39 ) À moins, naturellement, que le postulat implicite sous-tendant cette affirmation soit que, si l’on n’acceptait pas quelques restrictions à la libre prestation de services, cette dernière n’existerait même pas, en effet, en langage véritablement orwellien, restriction signifie effectivement liberté.

( 40 ) Voir point 35 des présentes conclusions.

( 41 ) Un point de vue similaire a parfois été exprimé dans la doctrine. Voir par exemple Lhernould, J.-P., « Directive (EU) 2018/957 of 28 June 2018 amending Directive 96/71/EC concerning the posting of workers in the framework of the provision of services – What will change in 2020 ? », ERA Forum, vol. 20(2), 2019, p. 255 ; Van Overbeeke, F., « Do we need a new conflict-of-laws rule for labour in the European road transport sector ? Yes we do », From social competition to social dumping, Intersentia, Cambridge, 2016, p. 114, 119 et 120 ; Even, Z., Zwanenburg, A., « A Dutch insight into the applicability of the Posted Workers Directive on international road transport. But still : a long and winding road ahead ? » (NL), European Employment Law Cases, vol. 2(3), 2017, p. 157 ; Laagland, F., « Navigeren door het labyrint van grensoverschrijdende detachering – de fundamentele verkeersvrijheden, de Detacheringsrichtlijn en het internationaal privaatrecht », Arbeidsrechtelijke Annotaties, vol. 10(2), 2016, p. 19.

( 42 ) Voir exposé des motifs de la proposition citée précédemment en note 32, p. 5, et considérant 9.

( 43 ) Conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans les affaires jointes CRPNPAC et Vueling Airlines (C‑370/17 et C‑37/18, EU:C:2019:592, point 131), concernant le personnel navigant des compagnies aériennes dans le contexte du détachement conformément au règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (JO 1971, L 149, p. 2), tel que modifié par le règlement (CE) no 1992/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006 (JO 2006, L 392, p. 1).

( 44 ) Ibidem.

( 45 ) Voir mes conclusions dans les affaires Lidl (C‑134/15, EU:C:2016:169, point 90), et Confédération paysanne e.a. (C‑528/16, EU:C:2018:20, point 139).

( 46 ) Arrêt du 19 décembre 2019, Dobersberger (C‑16/18, EU:C:2019:1110, point 31).

( 47 ) Arrêt du 19 décembre 2019, Dobersberger (C‑16/18, EU:C:2019:1110, point 33). La proposition de 2017 fait également référence à la notion de « lien suffisant ». Voir propositions de considérants 11 et 12 de la proposition citée à la note 32.

( 48 ) Mise en italique par mes soins.

( 49 ) Les considérants 7 et 11 de la directive détachement font référence à la convention de Rome qui a précédé le règlement Rome I.

( 50 ) Considérant 34 du règlement Rome I : « La règle relative au contrat individuel de travail ne devrait pas porter atteinte à l’application des lois de police du pays de détachement, prévue par la directive [détachement] ».

( 51 ) Voir considérant 10 de la directive détachement : « considérant que l’article 7 de ladite convention prévoit, sous certaines conditions, que soit donné effet, concurremment avec la loi déclarée applicable, aux règles de police d’une autre loi, en particulier celle de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché à titre temporaire ». Voir à cet égard, article 8 du règlement Rome I. L’article 8, paragraphe 2, dispose, in fine : « [l]e pays dans lequel le travail habituellement accompli n’est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre pays ».

( 52 ) Voir, par analogie et concernant la pertinence de la notion de « base d’affectation » au sens du règlement (CEE) no 3922/91 du Conseil, du 16 décembre 1991, relatif à l’harmonisation de règles techniques et de procédures administratives dans le domaine de l’aviation civile afin de définir la notion de « lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail » au sens du règlement (CE) no 44/2001du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. (C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:688, points 65 à 69).

( 53 ) Arrêt du 15 mars 2011, Koelzsch (C‑29/10, EU:C:2011:151). Voir également arrêt du 15 décembre 2011, Voogsgeerd (C‑384/10, EU:C:2011:842).

( 54 ) Arrêt du 15 mars 2011 (C‑29/10, EU:C:2011:151, points 48 et 49). Voir également arrêt du 12 septembre 2013, Schlecker (C‑64/12, EU:C:2013:551, points 30 à 34 et jurisprudence citée).

( 55 ) Arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. (C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:688, points 58 et 59). Voir également arrêt du 27 février 2002, Weber (C‑37/00, EU:C:2002:122, point 49 et jurisprudence citée).

( 56 ) Points 72 et 73 des présentes conclusions.

( 57 ) Conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans les affaires jointes Nogueira e.a. (C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:312, points 85 et 95).

( 58 ) Arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. (C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:688, points 61 et 62).

( 59 ) Points 28 et 29 des présentes conclusions.

( 60 ) De manière similaire, l’article 1er, paragraphe 4, du règlement no 1072/2009 dispose que celui‑ci « s’applique aux transports nationaux de marchandises par route assurés à titre temporaire par un transporteur non résident conformément aux dispositions du chapitre III ». Voir également définition du cabotage dans le règlement (CE) no 1073/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 établissant des règles communes pour l’accès au marché international des services de transport par autocars et autobus, et modifiant le règlement (CE) no 561/2006 (JO 2009, L 300, p. 88).

( 61 ) Considérant 2 du règlement no 1072/2009.

( 62 ) Concernant le nombre possible de points de chargement et de déchargement dans le cadre de ce règlement, voir arrêt du 12 avril 2018, Commission/Danemark (C‑541/16, EU:C:2018:251).

( 63 ) Arrêt du 3 avril 2008 (C‑346/06, EU:C:2008:189, point 26).

( 64 ) Mise en italique par mes soins.

( 65 ) Mise en italique par mes soins.

( 66 ) Voir en ce sens arrêt du 24 janvier 2002, Portugaia Construções (C‑164/99, EU:C:2002:40, points 28 et 29).

( 67 ) Arrêt du 12 octobre 2004, Wolff & Müller (C‑60/03, EU:C:2004:610, points 41 et 42).

( 68 ) Voir points 72 et 73 des présentes conclusions.

( 69 ) Arrêt du 12 octobre 2004, Wolff & Müller (C‑60/03, EU:C:2004:610, point 43).