CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 5 septembre 2019 ( 1 )

Affaire C‑642/18

Commission européenne

contre

Royaume d’Espagne

« Recours en manquement – Environnement – Directive 2008/98/CE – Déchets – Plans de gestion des déchets – Évaluation et révision – Délai – Notification à la Commission européenne – Communautés autonomes des îles Baléares et des îles Canaries »

I. Introduction

1.

La directive relative aux déchets ( 2 ) prévoit l’établissement de plans de gestion des déchets ainsi que leur évaluation et leur révision régulières. La présente affaire doit permettre de déterminer si le Royaume d’Espagne a mené à temps ladite révision dans deux régions. À cet égard, est déterminant le point de savoir si cette révision doit être achevée avant un certain délai. La règle applicable a été introduite ultérieurement dans la directive relative aux déchets et n’est malheureusement pas rédigée de manière particulièrement claire sur ce point.

II. Le cadre juridique

2.

L’article 28 de la directive relative aux déchets oblige les États membres à établir des plans de gestion des déchets et en précise le contenu :

« 1.   Les États membres veillent à ce que leurs autorités compétentes établissent, conformément aux articles 1er, 4, 13 et 16, un ou plusieurs plans de gestion des déchets.

[...]

2.   Les plans de gestion des déchets établissent une analyse de la situation en matière de gestion des déchets dans l’entité géographique concernée, ainsi que les mesures à prendre pour assurer dans de meilleures conditions une préparation des déchets respectueuse de l’environnement en vue de leur réemploi, recyclage, valorisation ou élimination et une évaluation de la manière dont le plan soutiendra la mise en œuvre des dispositions et la réalisation des objectifs de la présente directive.

[...] »

3.

L’article 30, paragraphe 1, de la directive relative aux déchets régit l’évaluation et le réexamen des plans :

« Les États membres veillent à ce que les plans de gestion des déchets et les programmes de prévention des déchets soient évalués au moins tous les six ans et révisés, s’il y a lieu, et, dans l’affirmative, conformément aux articles 9 et 11. »

4.

Les articles 9 et 11 de la directive relative aux déchets contiennent certains objectifs quant à la prévention des déchets ainsi que pour le réemploi et le recyclage.

5.

Conformément à l’article 33, paragraphe 1, de la directive relative aux déchets, la Commission européenne doit recevoir notification :

« Les États membres notifient à la Commission les plans de gestion des déchets et les programmes de prévention des déchets visés aux articles 28 et 29, une fois qu’ils les ont adoptés, ainsi que toute révision notable de ces plans ou programmes. »

6.

L’article 40, paragraphe 1, de la directive relative aux déchets précise le délai de transposition :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 12 décembre 2010.

[...] »

III. La procédure précontentieuse et les conclusions des parties

7.

Le 18 novembre 2016, la Commission invitait le Royaume d’Espagne à présenter ses observations notamment sur le grief tiré de ce que, dans certaines régions espagnoles, les plans de gestion des déchets n’auraient pas été révisés dans les délais. Suite à la réponse du Royaume d’Espagne, la Commission a adressé à cet État membre, le 14 juillet 2017, un avis motivé dans lequel elle lui fixait un dernier délai, expirant le 14 septembre 2017, pour mettre fin à la violation alléguée de la directive relative aux déchets. Le 12 octobre 2018, la Commission a introduit le présent recours.

8.

Après avoir partiellement retiré sa requête initiale, la Commission conclut désormais à ce qu’il plaise à la Cour :

déclarer, conformément à l’article 258, premier alinéa, TFUE,

qu’en n’ayant pas révisé les plans de gestion des déchets prévus par la directive relative aux déchets en ce qui concerne les communautés autonomes des îles Baléares et des îles Canaries, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 30, paragraphe 1, de cette directive ;

qu’en n’ayant pas informé officiellement la Commission de la révision des plans de gestion des déchets en ce qui concerne les communautés autonomes des îles Baléares et des îles Canaries, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 33, paragraphe 1, de la directive relative aux déchets ;

condamner le Royaume d’Espagne aux dépens.

9.

Dans la duplique, le Royaume d’Espagne conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

déclarer le recours irrecevable ou, à titre subsidiaire, le rejeter dans son intégralité, et

condamner la Commission aux dépens.

10.

Les parties ont échangé des mémoires écrits.

IV. Appréciation juridique

11.

Nous estimons que le recours est irrecevable, car la Commission, comme nous l’exposerons ci‑après, a invité prématurément le Royaume d’Espagne à présenter ses observations sur le grief tiré de la révision tardive de plans de gestion des déchets. Par conséquent, ce n’est plus qu’à titre subsidiaire que nous nous pencherons ensuite sur le bien-fondé du recours, dans l’hypothèse où la Cour jugerait ce dernier néanmoins recevable.

A. Sur la recevabilité

12.

Si, dans la duplique, le Royaume d’Espagne conclut bien à l’irrecevabilité du recours, cette conclusion n’est accompagnée d’aucune motivation.

13.

Elle serait en outre tardive en vertu de l’article 127 du règlement de procédure de la Cour. Selon cette disposition, les moyens nouveaux en cours d’instance sont interdits, à moins qu’ils ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. De tels éléments ne sont toutefois pas apparents.

14.

La Cour peut cependant, en cas de doute, examiner d’office la recevabilité d’un recours ( 3 ). De tels doutes résultent en l’espèce du moment auquel a été transmis le courrier du 18 novembre 2016, par le biais duquel la Commission invitait le Royaume d’Espagne, conformément à l’article 258 TFUE, à présenter ses observations sur les griefs litigieux concernant la révision de plans de gestion des déchets.

15.

Ainsi que la Cour l’a jugé, l’émission d’une lettre de mise en demeure suppose que la Commission allègue un manquement préalable à une obligation incombant à l’État membre concerné ( 4 ). La possibilité pour ledit État membre de présenter ses observations constitue – même s’il ne souhaite pas en faire usage – une garantie essentielle, voulue par le traité FUE, dont l’observation est une forme substantielle de la régularité de la procédure constatant un manquement d’État membre. Par conséquent, la lettre de mise en demeure ne saurait, en particulier, avoir pour objet la non‑transposition d’une directive dont le délai de mise en œuvre n’était pas encore expiré ( 5 ). Il en va de même lorsque la Commission allègue la violation d’une obligation d’un autre type, qui doit être remplie dans un certain délai ( 6 ). Une lettre de mise en demeure adressée par la Commission à un État membre avant l’expiration de ce délai n’est pas valide. Un recours sur le fondement de l’article 258 TFUE qui s’appuierait sur une telle mise en demeure prématurée serait irrecevable en raison d’une procédure précontentieuse entachée d’erreurs ( 7 ).

16.

L’article 28, paragraphe 1, de la directive relative aux déchets oblige les États membres à établir des plans de gestion des déchets. Conformément à l’article 40, les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à cette directive au plus tard le 12 décembre 2010. Et, conformément à l’article 30, paragraphe 1, de la directive relative aux déchets, ils veillent à ce que les plans de gestion des déchets et les programmes de prévention des déchets soient évalués au moins tous les six ans et révisés, s’il y a lieu.

17.

Les plans de gestion des déchets devaient ainsi être établis pour la première fois avant le 12 décembre 2010. Par conséquent, le délai prévu à l’article 30, paragraphe 1, de la directive relative aux déchets, dont le non‑respect est allégué par la Commission, a expiré (au plus tôt ( 8 )) six ans plus tard, le 12 décembre 2016.

18.

Or, quelques semaines auparavant, le 18 novembre 2016, la Commission invitait déjà le Royaume d’Espagne à présenter ses observations sur le grief tiré de ce que, dans certaines régions espagnoles, les plans de gestion des déchets n’auraient pas été révisés dans les délais.

19.

Il est vrai que le délai fixé par la Commission pour ces observations expirait seulement après le 12 décembre 2016, à savoir le 18 janvier 2017 ( 9 ). La procédure précontentieuse de l’article 258 TFUE présuppose toutefois que l’État membre a déjà manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités. Dès lors, la Commission ne peut pas, pour ainsi dire en prévision d’un manquement futur, l’inviter à présenter ses observations. L’on ne saurait en outre exclure qu’une telle invitation « en prévision » affecte les droits de la défense de l’État membre et entraîne des incertitudes en ce qui concerne le respect des conditions procédurales.

20.

Le recours ne peut donc pas s’appuyer sur la lettre de mise en demeure du 18 novembre 2016. Il n’apparaît pas non plus que, à l’expiration du délai prévu à l’article 30, paragraphe 1, de la directive relative aux déchets, la Commission aurait de nouveau invité le Royaume d’Espagne à présenter ses observations.

21.

Par conséquent, le recours est irrecevable.

22.

L’on ne peut toutefois pas exclure que la Cour ne partage pas notre point de vue sur la recevabilité du recours ou que, à tout le moins, elle ne le retienne pas, par exemple parce que les parties ne se sont pas exprimées au sujet du caractère prématuré de l’invitation à présenter des observations.

23.

Nous examinerons donc ci‑après, à titre subsidiaire, le bien-fondé du recours.

B. À titre subsidiaire : Sur le bien–fondé du recours

24.

Selon la Commission, en n’ayant pas révisé et communiqué à la Commission cette révision des plans de gestion des déchets des communautés autonomes des îles Baléares et des îles Canaries conformément aux exigences de la directive, c’est‑à‑dire dans un délai de six ans après expiration du délai de transposition, le Royaume d’Espagne a manqué à l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 30, paragraphe 1, et de l’article 33, paragraphe 1, de la directive relative aux déchets.

1.   En ce qui concerne la révision des plans de gestion des déchets

25.

En vertu de l’article 30, paragraphe 1, de la directive relative aux déchets, les États membres veillent à ce que les plans de gestion des déchets soient évalués au moins tous les six ans et révisés, s’il y a lieu.

26.

La Commission et le Royaume d’Espagne conviennent que les communautés autonomes des îles Baléares et des îles Canaries révisent effectivement leurs plans de gestion des déchets, mais que ces procédures n’étaient pas encore achevées au moment de la clôture de la procédure écrite.

a)   Quant à la nécessité d’une révision

27.

Le Royaume d’Espagne reconnaît que les plans de gestion des déchets doivent être évalués tous les six ans. Elle défend toutefois la position selon laquelle une modification des plans ne serait nécessaire que si les plans existants ne remplissaient plus les conditions. Cela ne serait toutefois pas le cas.

28.

La Commission objecte, à juste titre, à l’argumentation du Royaume d’Espagne que les plans de gestion des déchets doivent, conformément à l’article 28, paragraphe 2, de la directive relative aux déchets, contenir une analyse de la situation en matière de gestion des déchets. À l’exception de la version française, toutes les versions linguistiques de la directive prévoient expressément qu’il doit s’agir d’une évaluation actuelle. Et l’obligation d’évaluer les plans au moins tous les six ans montre que des analyses qui remontent à six ans ne peuvent pas en tant que telles être considérées comme actuelles. Même s’il devait ressortir de l’évaluation que la situation n’a pas changé, cela requerrait néanmoins une constatation explicite. Cette constatation devrait en tout cas être associée au plan de gestion des déchets de manière à montrer clairement, dès la lecture de ce dernier, que l’analyse reste actuelle. Les États membres peuvent décider si cela doit s’effectuer au moyen d’une modification explicite du plan ou sous une autre forme, par exemple en ajoutant un rapport d’évaluation au plan. Quoi qu’il en soit, c’est la révision minimale du plan qui s’impose dans tous les cas.

29.

En l’espèce, le Royaume d’Espagne a déjà fait savoir à la Commission, dans le cadre de la procédure précontentieuse, que les plans de gestion des déchets des îles Baléares étaient en cours de révision ( 10 ) et que les îles Canaries établissaient un plan de gestion des déchets ( 11 ). Le Royaume d’Espagne a maintenu cette affirmation durant la procédure.

30.

Puisqu’on ne peut pas présumer que ces régions modifient leurs plans, bien que cela ne soit pas nécessaire, le Royaume d’Espagne a admis au moins implicitement que les plans de gestion des déchets de ces deux régions nécessitent une révision.

b)   Quant au délai pour la révision

31.

Dans la duplique, le Royaume d’Espagne complète cependant son argumentation en droit en affirmant que si les plans doivent bien être évalués après six ans, la clôture de cette évaluation et d’éventuelles modifications ne seraient toutefois soumises à aucun délai.

32.

En premier lieu, il convient de relever que cette affirmation est tardive, car le Royaume d’Espagne l’a introduite pour la première fois dans la duplique ( 12 ), alors que dans son mémoire en réponse, le Royaume d’Espagne considérait encore que le délai s’appliquait également à la révision ( 13 ).

33.

En tout état de cause, cette argumentation n’est, finalement, pas non plus convaincante sur le fond.

i) Le libellé

34.

Quelques versions linguistiques de l’article 30, paragraphe 1, de la directive relative aux déchets suggèrent ainsi, en effet, que le délai de six ans se rapporte uniquement à l’évaluation, alors que ce délai ne serait pas nécessairement applicable à la révision. Cela découle grammaticalement de l’ordre des termes par exemple en français (« que les programmes de prévention des déchets soient évalués au moins tous les six ans et révisés, s’il y a lieu »), en anglais (« the waste management plans and waste prevention programmes are evaluated at least every sixth year and revised as appropriate »), en italien (« i piani di gestione e i programmi di prevenzione dei rifiuti siano valutati almeno ogni sei anni e, se opportuno, riesaminati ») et en espagnol (« los planes de gestión de residuos y los programas de prevención de residuos se evalúen, como mínimo, cada seis años y se revisen en la forma apropiada »).

35.

Ces versions pourraient notamment être comprises en ce sens qu’une révision doit être réalisée dans le cas où et aussitôt qu’elle s’avère nécessaire. Tant la nécessité de la révision que le moment où elle doit être réalisée devraient alors être appréciés au cas par cas sur la base des résultats de l’évaluation.

36.

Ces versions linguistiques ne s’opposent toutefois pas non plus à ce que le délai de six ans soit applicable à la révision. En effet, la disposition peut également être comprise en ce sens que les États membres doivent évaluer les plans au moins tous les six ans et, si nécessaire, également les réviser dans ce délai ( 14 ). Une telle interprétation ne serait exclue que dans l’hypothèse où un autre délai aurait été expressément fixé pour l’éventuelle révision ( 15 ).

37.

Il s’avère que la version allemande de l’article 30, paragraphe 1, de la directive relative aux déchets correspond plutôt à cette seconde interprétation. En effet, le délai y est mentionné avant les deux phases (« die Abfallwirtschaftspläne und Abfallvermeidungsprogramme [werden] mindestens alle sechs Jahre bewertet und gegebenenfalls – […] – überarbeitet »). Grammaticalement, cependant, ce rapport ne s’impose pas non plus. Il serait également possible de lier le délai exclusivement à la première phase.

38.

Dès lors, afin d’interpréter cette disposition, il convient de rechercher la volonté réelle de son auteur ( 16 ), en examinant notamment son contexte et sa finalité ( 17 ) ainsi que sa genèse ( 18 ).

ii) La genèse de la disposition

39.

La genèse de l’article 30, paragraphe 1, de la directive relative aux déchets montre surtout que les États membres souhaitaient éviter l’obligation de réviser les plans de gestion des déchets régulièrement et indépendamment des véritables besoins.

40.

La Commission avait en effet proposé de réviser les plans de gestion des déchets au moins tous les cinq ans ( 19 ). Le Conseil a complété cette proposition concernant la révision en précisant que les plans ne seraient révisés que pour autant que cela soit nécessaire. À cet égard, le délai a été porté à six ans ( 20 ).

41.

S’il ne saurait être exclu que le Conseil ait, en même temps, eu l’intention d’exempter une éventuelle révision de tout délai, cette constatation ne s’impose pas non plus. Il est tout aussi envisageable que le report du délai à six ans ait eu l’objectif de prévoir suffisamment de temps pour entreprendre les deux phases, à savoir l’évaluation et la révision.

iii) Le contexte et la finalité

42.

Tant le contexte que la finalité de la révision des plans de gestion des déchets plaident en faveur de l’application du délai indiqué de six ans à la révision également.

43.

À tout le moins l’évaluation doit en effet avoir lieu au moins tous les six ans. Cela implique que l’évaluation des plans doit également être effectuée à intervalles plus rapprochés si cela se révèle nécessaire. C’est la raison pour laquelle le délai constitue la limite maximale pour l’évaluation, limite qui ne saurait en particulier être dépassée, au contraire de ce que prétend le Royaume d’Espagne, en ce que l’évaluation serait certes entamée dans le délai, mais clôturée ultérieurement seulement.

44.

S’il résulte toutefois de l’évaluation qu’une révision est nécessaire, il ne serait pas judicieux de ne pas imposer de délai pour cette dernière. En effet, en l’absence de délai, il y aurait lieu de craindre qu’une révision en principe nécessaire ne soit pas du tout réalisée ou seulement différée. L’effet utile de l’article 30, paragraphe 1, de la directive relative aux déchets et le niveau élevé de protection de l’environnement au sens de l’article 3, paragraphe 3, TUE, de l’article 37 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de l’article 191, paragraphe 2, TFUE, ne seraient plus garantis.

45.

L’hypothèse d’une obligation implicite de réviser les plans dans un délai raisonnable pourrait également ne pas suffire à garantir l’effet utile de l’article 30, paragraphe 1, de la directive relative aux déchets ( 21 ), car un tel « délai raisonnable » entraînerait des difficultés pratiques considérables. Avant que la Cour ne statue en ce sens, l’existence même de ce délai serait incertaine, et il serait ensuite nécessaire de déterminer au cas par cas le délai estimé raisonnable. Si la Cour a déjà reconnu l’existence d’un tel délai implicite, il s’agissait toutefois dans chaque cas d’un palliatif, dans la mesure où absolument aucun délai n’était prévu ( 22 ). En revanche, étendre le délai indiqué de six ans à la révision serait en l’espèce parfaitement compatible avec le libellé de la disposition ( 23 ).

46.

Le fait que la révision d’un plan prenne nécessairement du temps ne s’oppose pas non plus à cette interprétation. S’il est exact qu’il est impossible de réviser un plan avant l’expiration du délai alors que l’évaluation est tout juste clôturée à cette date, ce problème peut cependant être résolu en procédant à l’évaluation à temps, de sorte qu’il reste ensuite suffisamment de temps pour une éventuelle révision.

47.

Organiser ainsi la mise en œuvre de l’article 30, paragraphe 1, de la directive relative aux déchets ne devrait pas non plus poser de grandes difficultés aux entités compétentes. En effet, en raison de leur expérience pratique dans le domaine de la gestion des déchets, elles devraient pouvoir anticiper de manière relativement poussée les résultats de l’évaluation et, par conséquent, la nécessité d’une révision. C’est par ailleurs ce que montrent aussi les informations communiquées par le Royaume d’Espagne au sujet de la situation dans les deux régions concernées par le litige. Il y semblait acquis, dès le départ, que l’évaluation déboucherait sur une révision ( 24 ).

48.

Enfin, il y a lieu de tenir compte, dans le cadre de l’interprétation de l’article 30, paragraphe 1, de la directive relative aux déchets, de ce que les obligations concernées ne sont pas directement applicables à l’égard des particuliers. Ce sont en revanche les États membres, qui ont participé au sein du Conseil à l’adoption de la directive relative aux déchets, qui sont tenus d’évaluer et de réviser les plans de gestion des déchets. Dès lors, il est justifié d’interpréter une disposition ambiguë de manière à garantir son effet utile.

49.

Par conséquent, contrairement à ce que défend le Royaume d’Espagne, l’article 30, paragraphe 1, de la directive relative aux déchets doit être interprété en ce sens que les États membres sont tenus d’évaluer les plans de gestion des déchets au moins tous les six ans et, si nécessaire, également de les réviser dans ce délai. Cela n’a pas été effectué en l’espèce.

50.

Dans l’hypothèse où la Cour jugerait le recours recevable, le premier chef des conclusions serait donc fondé.

2.   En ce qui concerne la communication de plans révisés à la Commission

51.

Le second chef des conclusions, visant à faire constater que, en n’ayant pas informé officiellement la Commission de la révision des plans de gestion des déchets en ce qui concerne les communautés autonomes des îles Baléares et des îles Canaries, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 33, paragraphe 1, de la directive relative aux déchets, devrait en revanche être rejeté. En effet, le Royaume d’Espagne fait valoir à juste titre que, conformément à l’article 33, paragraphe 1, de la directive relative aux déchets, il est uniquement tenu d’informer la Commission des modifications substantielles apportées aux plans de gestion des déchets. Or, la Commission n’a pas établi que la révision des plans de ces deux régions comportait nécessairement des changements substantiels.

V. Les dépens

52.

Si la Cour partage notre position quant à la recevabilité du recours, la Commission supporte les dépens conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, puisque le Royaume d’Espagne a conclu en ce sens.

53.

Si, en revanche, la Cour estimait que le recours est recevable et suivait notre position présentée à titre subsidiaire, statuer sur les dépens deviendrait plus compliqué. Les deux parties obtiennent pour partie gain de cause et, par conséquent, succombent pour partie. Si le retrait partiel par la Commission de sa requête est notamment dû au fait que le Royaume d’Espagne a révisé tardivement les plans de gestion des déchets de certaines régions, cela est toutefois également dû, en ce qui concerne le grief initial tiré de la violation de l’article 28, paragraphe 1, de la directive relative aux déchets, au fait que la Commission n’a pas examiné le contenu des plans de gestion des déchets plus anciens dont elle dispose. C’est pourquoi les deux parties devraient dans ce cas supporter leurs propres dépens, conformément à l’article 138, paragraphe 3, première phrase, du règlement de procédure de la Cour.

VI. Conclusion

54.

Nous proposons donc à la Cour de statuer comme suit :

1)

Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)

La Commission européenne est condamnée aux dépens.

55.

Si la Cour estime néanmoins le recours recevable, elle devrait à tout le moins l’accueillir partiellement :

1)

En n’ayant pas révisé les plans de gestion des déchets des communautés autonomes des îles Baléares et des îles Canaries conformément aux exigences de la directive relative aux déchets, c’est‑à‑dire dans un délai de six ans après expiration du délai de transposition, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 30, paragraphe 1, de cette directive.

2)

Le recours est rejeté pour le surplus.

3)

La Commission européenne et le Royaume d’Espagne sont condamnés à supporter leurs propres dépens.


( 1 ) Langue originale : l’allemand.

( 2 ) Directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, relative aux déchets et abrogeant certaines directives (JO 2008, L 312, p. 3), telle que modifiée par la directive (UE) 2015/1127 de la Commission, du 10 juillet 2015 (JO 2015, L 184, p. 13).

( 3 ) Arrêts du 31 mars 1992, Commission/Italie (C‑362/90, EU:C:1992:158, point 8), du 14 janvier 2010, Commission/République tchèque (C‑343/08, EU:C:2010:14, point 25), et du 22 septembre 2016, Commission/République tchèque (C‑525/14, EU:C:2016:714, point 14).

( 4 ) Ordonnance du 13 septembre 2000, Commission/Pays‑Bas (C‑341/97, EU:C:2000:434, point 18), et arrêts du 15 février 2001, Commission/France (C‑230/99, EU:C:2001:100, point 32), du 27 octobre 2005, Commission/Luxembourg (C‑23/05, EU:C:2005:660, point 7), et du 21 juillet 2016, Commission/Roumanie (C‑104/15, non publié, EU:C:2016:581, point 35).

( 5 ) Arrêts du 27 octobre 2005, Commission/Luxembourg (C‑23/05, EU:C:2005:660, point 7), et du 21 juillet 2016, Commission/Roumanie (C‑104/15, non publié, EU:C:2016:581, point 35).

( 6 ) Voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2016, Commission/Roumanie (C‑104/15, non publié, EU:C:2016:581, point 36).

( 7 ) Arrêt du 27 octobre 2005, Commission/Luxembourg (C‑23/05, EU:C:2005:660, point 8).

( 8 ) Voir points 31 et suivants des présentes conclusions.

( 9 ) Lettre de mise en demeure, annexe I de la requête, p. 8.

( 10 ) Voir annexe II de la requête, p. 23 et suivantes.

( 11 ) Voir annexe II de la requête, p. 30 et suivantes.

( 12 ) Voir point 13 des présentes conclusions.

( 13 ) Point 19 des présentes conclusions.

( 14 ) C’est également ce qu’avance le Royaume d’Espagne au point 19 de son mémoire en réponse.

( 15 ) À titre d’illustration, voir arrêt du 2 mai 2002, Commission/France (C‑292/99, EU:C:2002:276, point 41).

( 16 ) Arrêts du 12 novembre 1969, Stauder (29/69, EU:C:1969:57, point 3), du 3 octobre 2013, Confédération paysanne (C‑298/12, EU:C:2013:630, point 22), et du 4 février 2016, C & J Clark International et Puma (C‑659/13 et C‑34/14, EU:C:2016:74, point 122).

( 17 ) Arrêts du 27 octobre 1977, Bouchereau (30/77, EU:C:1977:172, point 14), du 23 novembre 2016, Bayer CropScience et Stichting De Bijenstichting (C‑442/14, EU:C:2016:890, point 84), et du 8 juin 2017, Sharda Europe (C‑293/16, EU:C:2017:430, point 21).

( 18 ) Arrêts du 22 octobre 2009, Zurita García et Choque Cabrera (C‑261/08 et C‑348/08, EU:C:2009:648, point 57), et du 3 octobre 2013, Confédération paysanne (C‑298/12, EU:C:2013:630, point 27).

( 19 ) Article 26, paragraphe 1, de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux déchets [COM(2005) 667 final].

( 20 ) Article 27 de la position commune (CE) no 4/2008, du 20 décembre 2007, arrêtée par le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l’article 251 du traité instituant la Communauté européenne, en vue de l’adoption de la directive Parlement européen et du Conseil relative aux déchets et abrogeant certaines directives (JO 2008, C 71 E, p. 16). Voir, déjà, article 26b de la proposition du 11 mai 2007 (document du Conseil 9475/07, p. 32).

( 21 ) Voir, en ce sens, arrêt du 26 juin 2003, Commission/France (C‑233/00, EU:C:2003:371, points 116 et 117).

( 22 ) Arrêts du 2 juin 2005, Commission/Irlande (C‑282/02, EU:C:2005:334, points 31 et 33), et du 25 mars 2010, Commission/Espagne (C‑392/08, EU:C:2010:164, point 21).

( 23 ) Voir arrêt du 26 juin 2003, Commission/France (C‑233/00, EU:C:2003:371, point 118).

( 24 ) Voir les références en notes 10 et 11.