CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 13 juin 2019 ( 1 )

Affaire C‑261/18

Commission européenne

contre

Irlande

« Manquement d’État – Non-exécution de l’arrêt de la Cour du 3 juillet 2008, Commission/Irlande (C‑215/06) – Demande de condamnation au paiement d’une astreinte et d’une somme forfaitaire »

1. 

Par le recours qui fait l’objet des présentes conclusions, présenté en vertu de l’article 260, paragraphe 2, TFUE, la Commission européenne demande à la Cour, d’une part, de constater que, en n’ayant pas pris les mesures que comporte l’exécution du deuxième chef du dispositif de l’arrêt du 3 juillet 2008, Commission/Irlande (C‑215/06, EU:C:2008:380, ci‑après l’arrêt « Commission/Irlande »), l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 260 TFUE et, d’autre part, de condamner l’Irlande, pour cette violation, à payer une somme forfaitaire et une astreinte jusqu’à la complète exécution de cet arrêt.

I. Les antécédents du litige et l’arrêt Commission/Irlande

2.

En 2003 ont débuté à Derrybrien, dans le comté de Galway, en Irlande, les travaux de réalisation d’un parc éolien (ci‑après le « parc de Derrybrien »). Il s’agit du plus grand projet d’exploitation terrestre de l’énergie éolienne réalisé en Irlande et de l’un des plus vastes en Europe. Les différentes phases d’autorisation de la réalisation du parc de Derrybrien sont exposées comme suit au point 83 de l’arrêt Commission/Irlande : « des demandes d’autorisation relatives aux deux premières phases du projet, visant chacune 23 turbines éoliennes, ont été déposées les 4 et 18 décembre 1997. De nouvelles demandes ont été déposées le 23 janvier 1998, les précédentes demandes d’autorisation n’ayant pas été jugées valables. Un permis a été délivré le 12 mars 1998. Le 5 octobre 2000, une demande d’autorisation a été introduite pour une troisième phase de travaux, portant notamment sur 25 turbines et sur des voies de service, qui a obtenu une suite favorable le 15 novembre 2001. Le 20 juin 2002, le maître d’ouvrage a sollicité l’autorisation de modifier les deux premières phases du projet, autorisation qui lui a été accordée le 30 juillet 2002. Au cours du mois d’octobre 2003, l’autorisation accordée pour les deux premières phases des travaux ayant expiré, le maître d’ouvrage a demandé le renouvellement de ladite autorisation, ce auquel il a été fait droit au cours du mois de novembre 2003 ».

3.

Le 16 octobre 2003 s’est produit à Derrybrien un énorme glissement de terrain, dans lequel environ un demi-million de mètres cubes de tourbe s’est déversé dans la rivière Owendalulleegh, ce qui l’a polluée et a provoqué la mort d’environ 50000 poissons. Il ressort du dossier de l’affaire C‑215/06 que deux rapports d’enquête, publiés en février 2004, ont conclu que cette catastrophe écologique devait être mise en relation avec les travaux de réalisation du parc de Derrybrien.

4.

Le 21 décembre 2001, faisant suite à une lettre de mise en demeure du 5 avril 2001, la Commission a adressé à l’Irlande un avis motivé, faisant état de différents projets d’extraction de tourbe réalisés sans évaluation préalable des incidences sur l’environnement, en violation de la directive 85/337/CEE ( 2 ). Le 7 juillet 2004, la Commission a adressé à l’Irlande une lettre de mise en demeure complémentaire, dans laquelle elle énumérait une série de violations de la directive 85/337, dont la réalisation du parc éolien de Derrybrien sur la base d’une évaluation insuffisante des incidences sur l’environnement. Cette lettre a été suivie d’un avis motivé complémentaire le 5 janvier 2005.

5.

Le 11 mai 2006, la Commission a présenté un recours contre l’Irlande en vertu de l’article 226 CE. D’une part, la Commission reprochait à l’Irlande de n’avoir pas pris les dispositions nécessaires pour faire en sorte que, avant l’octroi des autorisations, les projets comportant des incidences notables sur l’environnement soient soumis à une évaluation de leurs incidences, conformément à la directive 85/337, et de permettre la présentation de demandes de régularisations après la réalisation totale ou partielle des projets, en violation des objectifs de prévention de cette directive. D’autre part, la Commission faisait grief à l’Irlande des conditions dans lesquelles la réalisation du parc éolien de Derrybrien avait été autorisée.

6.

Dans l’arrêt Commission/Irlande, la Cour a fait droit aux deux griefs. Dans le deuxième chef du dispositif de son arrêt, la Cour a jugé que, en n’ayant pas pris toutes les dispositions nécessaires pour faire en sorte que « l’octroi des autorisations relatives à la construction d’un parc éolien et aux activités connexes à Derrybrien, dans le comté de Galway, ainsi que la réalisation des travaux soient précédés d’une évaluation des incidences du projet sur l’environnement, conformément aux articles 5 à 10 de la directive 85/337, dans sa version antérieure ou postérieure aux modifications introduites par la directive 97/11/CE ( 3 ) », l’Irlande avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2, 4 et 5 à 10 de ladite directive.

II. La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour

7.

Par lettre du 15 juillet 2008, la Commission a demandé à l’Irlande de lui fournir, dans un délai de deux mois à compter de la date de l’arrêt Commission/Irlande, des informations sur les mesures prises pour exécuter celui‑ci. Dans sa réponse du 3 septembre 2008, l’Irlande a déclaré acquiescer pleinement à l’arrêt Commission/Irlande et vouloir y donner suite rapidement. S’agissant du parc de Derrybrien, les autorités irlandaises ont informé la Commission que l’exploitant de ce parc avait accepté de fournir une évaluation actualisée des incidences sur l’environnement, contenant les informations prévues à l’article 5 et à l’annexe IV de la directive 85/337, qui « recenserait, examinerait et évaluerait les incidences directes et indirectes du site de Derrybrien sur l’environnement ainsi que l’interaction de ces incidences, et viserait à déterminer les mesures réalisables restant à prendre pour remédier à ces incidences ». Cette évaluation devait être menée à bien pour la fin de l’année 2008.

8.

Une réunion a eu lieu le 18 septembre 2008 entre la Commission et les autorités irlandaises, qui y ont réitéré leur engagement de faire procéder à une évaluation corrective des incidences sur l’environnement du parc de Derrybrien. Les parties ont débattu de la possibilité de réaliser cette évaluation sans réviser l’autorisation existante et ont décidé d’attendre l’adoption de la modification de la législation irlandaise sur la procédure de régularisation prévue pour mettre à exécution le premier chef du dispositif de l’arrêt Commission/Irlande.

9.

Le 10 mars 2009, les autorités irlandaises ont informé la Commission que la modification législative projetée introduirait une procédure d’« autorisation de substitution » (ci‑après la « procédure de substitution »), qui permettrait, dans des cas exceptionnels, de régulariser des autorisations délivrées en violation de la directive 85/337. Le 17 avril 2009, conformément à l’engagement qu’elles avaient pris lors de la réunion du 18 mars 2009, les autorités irlandaises ont fait parvenir à la Commission un document-cadre, intitulé « ECJ Judgement in case C‑215/06 : Draft framework response by Ireland 17 April 2009 ». Ce document exposait les mesures par lesquelles l’Irlande entendait exécuter l’arrêt Commission/Irlande. La section D de ce document contenait une description de la procédure de substitution qui devrait figurer dans la modification législative en projet, dont l’adoption était prévue pour la fin de l’année 2009. La section E du document-cadre, intitulée « Propositions spécifiques relatives au parc éolien de Derrybrien », précisait que l’exploitant du parc présenterait une demande d’autorisation de substitution en utilisant cette procédure.

10.

Le 26 juin 2009, la Commission a adressé à l’Irlande une lettre de mise en demeure en vertu de l’article 228, paragraphe 2, CE. Dans cette lettre, la Commission soulignait ne pas avoir reçu d’autres informations sur l’avancement de l’évaluation des incidences sur l’environnement du parc de Derrybrien. Le 9 septembre 2009, l’Irlande a répondu à la lettre de mise en demeure en indiquant, entre autres, que la modification législative qui introduirait la procédure de substitution serait adoptée à brève échéance et en confirmant que l’exploitant du parc éolien de Derrybrien avait accepté d’introduire une demande d’autorisation de substitution et de réaliser une évaluation des incidences sur l’environnement, dès l’entrée en vigueur de la nouvelle législation.

11.

La Commission n’ayant pas reçu d’informations supplémentaires au sujet de l’adoption des mesures proposées, elle a adressé à l’Irlande, le 22 mars 2010, une nouvelle lettre de mise en demeure, à laquelle l’Irlande a répondu par lettres des 18 mai 2010, 22 juillet 2010 et 13 septembre 2010. Dans la lettre du 22 juillet 2010, les autorités irlandaises ont indiqué que la nouvelle législation, approuvée par le Parlement, entrerait en vigueur à la fin du mois de juillet. S’agissant du parc de Derrybrien, les autorités irlandaises ont répété que, dès que la procédure de substitution serait opérationnelle, l’exploitant du parc présenterait une demande d’autorisation de substitution accompagnée d’une évaluation corrective des incidences sur l’environnement, « comprenant des informations sur des mesures destinées à réparer les dommages causés à l’environnement par la réalisation du projet ». Dans leur lettre du 13 septembre 2010, les autorités irlandaises ont informé la Commission de l’adoption du Planning and Development (Amendment) Act 2010 (No. 30 of 2010) [loi (modificative) sur l’aménagement du territoire et le développement de 2010 (no 30 de 2010)] (ci‑après le « PDAA »). La partie XA de cette loi régit la procédure d’autorisation de substitution.

12.

Le 19 septembre 2012, la Commission a écrit aux autorités irlandaises pour leur demander de lui fournir davantage de précisions sur les mesures législatives notifiées, afin d’évaluer la conformité du droit national avec l’arrêt Commission/Irlande. En outre, ayant appris que certains doutes entouraient la volonté de l’exploitant du parc de Derrybrien de présenter une demande d’autorisation de substitution, la Commission a demandé aux autorités irlandaises de faire le point sur cette question. Par lettre du 13 octobre 2012, les autorités irlandaises ont confirmé que l’exploitant actuel du parc de Derrybrien refusait de se soumettre à la procédure de substitution, en raison des frais que cela entraînerait ainsi que de la crainte que les autorisations lui soient retirées. Dans la même lettre, les autorités irlandaises expliquaient que, après une analyse plus approfondie du droit de l’Union, elles avaient acquis la conviction que celui‑ci n’imposait pas de remettre en cause les autorisations délivrées aux fins de la réalisation du parc de Derrybrien, devenues définitives entre temps, et que les principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité de la loi, ainsi que la jurisprudence de la Cour en matière d’autonomie procédurale des États membres, s’opposaient à une solution qui impliquerait le retrait de ces autorisations. Dans ces circonstances, les autorités irlandaises étaient d’avis que toute tentative de l’État irlandais de contraindre l’exploitant du parc de Derrybrien à se soumettre à la procédure de substitution serait presque certainement mise en échec par le pouvoir judiciaire, qui donnerait la préséance aux droits garantis à cet exploitant par la constitution irlandaise. Pour ces raisons, les autorités irlandaises ont conclu qu’une évaluation corrective des incidences sur l’environnement du parc de Derrybrien ne pourrait être obtenue qu’à la condition que l’exploitant du parc y collabore volontairement. Les autorités irlandaises ont réitéré cette position dans la lettre qu’elles ont adressée à la Commission le 21 décembre 2012.

13.

Le 10 mai 2013, les autorités irlandaises ont signalé à la Commission avoir pris contact avec l’exploitant du parc de Derrybrien afin d’étudier la possibilité d’une évaluation des incidences sur l’environnement « indépendante et non officielle », à réaliser sur la base d’un « protocole d’entente clair et concis ». Par lettre du 13 décembre 2013, les autorités irlandaises ont informé la Commission que l’exploitant du parc de Derrybrien, quoique « fermement convaincu de ne pas y être tenu », avait accepté de réaliser cette évaluation. À la suite de cette lettre, les 8 mai et 1er août 2014, les autorités irlandaises ont envoyé un document intitulé « Derrybrien Environmental Review‑Concept » (Analyse environnementale de Derrybrien – concept) (ci‑après le « document conceptuel »), indiquant qu’une évaluation des incidences sur l’environnement, portant sur les points indiqués en annexe de ce document et définis sur la base d’un « accord parallèle », serait réalisée par un expert indépendant, engagé directement par le gouvernement irlandais, qui agirait sous le contrôle d’un comité de pilotage. Cette évaluation n’entraînerait aucune révision des autorisations existantes et ne serait pas soumise à un contrôle juridictionnel. Le 6 août 2014, les services de la Commission ont indiqué aux autorités irlandaises que les modalités prévues dans ce document ne répondaient pas aux exigences de la directive 85/337.

14.

Le 15 septembre 2014, les autorités irlandaises ont informé la Commission qu’elles travaillaient à un protocole d’entente avec l’exploitant du parc de Derrybrien. Un projet de protocole a été envoyé à la Commission le 11 mars 2015. Au cours d’une réunion « paquet » qui a eu lieu le 17 novembre 2015, la Commission et les autorités irlandaises sont convenues qu’une version définitive du protocole d’entente soit envoyée rapidement à la Commission.

15.

En l’absence d’autres éléments, le 18 janvier 2016, la Commission a demandé aux autorités irlandaises de lui envoyer une version définitive du protocole d’entente. Le 7 mars 2016, les autorités irlandaises ont envoyé une nouvelle version du protocole d’entente à la Commission, en indiquant que certaines questions faisaient encore l’objet de discussions avec l’exploitant du parc de Derrybrien. Par courrier électronique du 6 juin 2016, les services de la Commission ont indiqué aux autorités irlandaises que certains points de la nouvelle version du protocole d’entente devaient être modifiés. Par un courrier électronique du 15 décembre 2016, faisant suite à une réunion du 29 novembre 2016, les services de la Commission ont indiqué aux autorités irlandaises que le texte définitif du protocole d’entente signé devrait parvenir à la Commission pour la fin de 2016 et que, dans le cas contraire, cette dernière saisirait à nouveau la Cour au début de l’année 2017. Le 22 décembre 2016, l’Irlande a envoyé à la Commission une nouvelle version du document conceptuel qui, selon les autorités irlandaises, était pleinement conforme aux critères prévus à la directive 85/337, ainsi qu’un nouveau document de cadrage, daté du 2 décembre 2015. Dans la lettre d’accompagnement, les autorités irlandaises indiquaient que la signature des deux documents était prévue pour la fin de janvier 2017.

16.

Le 2 octobre 2017, la Commission a écrit aux autorités irlandaises pour leur indiquer que, vu l’absence de progrès dans l’exécution du deuxième chef du dispositif de l’arrêt Commission/Irlande, elle avait l’intention de saisir la Cour. Le 16 octobre 2017, l’Irlande a répondu en annexant un nouveau document conceptuel, signé le 11 octobre 2017, et a déclaré attendre une réponse de la Commission à ce sujet. La nouvelle version du document conceptuel n’a pas été produite devant la Cour. Dans sa requête, la Commission indique toutefois que ce document faisait référence à un protocole d’entente bilatéral entre l’exploitant du parc de Derrybrien et les autorités irlandaises, qui ne lui avait pas été communiqué.

17.

Par lettre du 13 décembre 2017, la Commission a confirmé que les progrès accomplis jusqu’alors étaient insuffisants pour mettre à exécution le deuxième chef du dispositif de l’arrêt Commission/Irlande et répété que la version définitive du protocole d’entente était attendue pour la fin de l’année 2016. Le 9 janvier 2018, les autorités irlandaises ont répondu que le protocole d’entente avait été intégré au document conceptuel à la demande de la Commission, que ce document avait été signé et qu’elles attendaient le feu vert de la Commission pour mettre en œuvre l’évaluation officieuse des incidences sur l’environnement. Par lettre du 26 janvier 2018, la Commission a répliqué que, indépendamment des questions de forme relatives aux documents que les autorités irlandaises avaient communiqués, aucune avancée substantielle n’avait été faite, en neuf ans, pour mettre en place un processus qui pourrait mener à la réalisation d’une évaluation sérieuse des incidences sur l’environnement du parc de Derrybrien et que, pour cette raison, la Commission estimait être entrée dans une nouvelle phase, dans laquelle elle n’était plus disposée à sanctionner un « accord extrajudiciaire ». La Commission a également suggéré à l’Irlande de réexaminer la possibilité de soumettre l’exploitant du parc de Derrybrien à la procédure de substitution. Le 1er février 2018, les autorités irlandaises ont répondu en déplorant la détérioration de la relation de coopération avec la Commission et en reprochant à cette dernière de n’avoir pas pris position sur les documents envoyés par l’Irlande le 22 décembre 2016, documents qui devaient être considérés comme définitifs, ce qui aurait retardé davantage la mise en œuvre de l’évaluation des incidences sur l’environnement.

18.

Considérant que l’Irlande n’avait pas pris toutes les mesures que comporte la pleine exécution du deuxième chef du dispositif de l’arrêt Commission/Irlande, le 13 avril 2018, la Commission a introduit le recours qui fait l’objet des présentes conclusions.

19.

Les parties ont procédé à deux échanges de mémoires et ont été entendues en leurs plaidoiries lors de l’audience du 1er avril 2019. En application de l’article 62, paragraphe 2, du règlement de procédure, les parties ont été invitées à répondre, à l’audience, à certaines questions écrites posées par le juge rapporteur. Par lettre signifiée au greffe de la Cour le 1er avril 2019, avant le début de l’audience, la Commission a informé la Cour avoir reçu des autorités irlandaises, le 29 mars 2019, une communication indiquant que l’exploitant du parc de Derrybrien avait accepté de coopérer pour mettre en œuvre la procédure de substitution prévue par le PDAA. Le 1er avril 2019, les autorités irlandaises ont transmis au greffe de la Cour la lettre qu’elles avaient envoyée à la Commission le 29 mars 2019. Elles indiquent, dans cette lettre, que la procédure de substitution sera mise en œuvre « dans le plus bref délai possible, afin de garantir la réalisation d’une évaluation ex post des incidences sur l’environnement ».

III. Le recours

A. Le manquement

1.   Arguments des parties

20.

La Commission estime que l’Irlande n’a pas pris les mesures que comporte l’exécution du deuxième chef de l’arrêt Commission/Irlande. Tout en se déclarant disposée à donner suite rapidement à cet arrêt, l’Irlande se serait bornée, pendant les dix années qui se sont écoulées entre le prononcé de l’arrêt et le recours qui fait l’objet des présentes conclusions, à proposer différentes mesures pour remédier au manquement relatif au parc de Derrybrien, mais sans en mettre aucune en œuvre.

21.

L’Irlande observe, en premier lieu, qu’il ressort des motifs et du dispositif de l’arrêt Commission/Irlande que les manquements constatés par la Cour concernent globalement la transposition imparfaite de la directive 85/337, alors qu’« [a]ucune mesure concernant le parc éolien de Derrybrien n’a été sollicitée ou accordée ».

22.

En deuxième lieu, l’Irlande rappelle, d’une part, que l’obligation de remédier à l’absence d’évaluation des incidences sur l’environnement d’un projet spécifique est limitée par l’autonomie procédurale des États membres et, d’autre part, que, dans l’arrêt du 17 novembre 2016, Stadt Wiener Neustadt (C‑348/15, EU:C:2016:882, points 41 et 42), la Cour a déclaré que le droit de l’Union ne s’opposait pas à la fixation par l’État membre concerné de délais de recours raisonnables contre les autorisations d’urbanisme délivrées en violation de l’obligation de réaliser une évaluation préalable des incidences sur l’environnement, prévue par la directive 85/337. Dans ce contexte, l’Irlande précise que les autorisations délivrées pour la réalisation du parc de Derrybrien et pour l’exercice des activités connexes ne pouvaient être annulées que par une décision de la High Court (Haute Cour, Irlande) dans le cadre d’un contrôle juridictionnel de la décision d’autorisation, à la suite d’un recours devant être introduit dans le délai prévu par la loi, c’est‑à‑dire dans les huit semaines à partir de la date de la décision ( 4 ). Or, puisque le délai légal prévu pour contester la validité de ces autorisations est désormais écoulé, et cela depuis plusieurs années avant que la Commission n’introduise le recours en manquement qui a débouché sur le prononcé de l’arrêt Commission/Irlande, les autorités irlandaises ne seraient nullement tenues d’annuler ces autorisations.

23.

En troisième lieu, l’Irlande observe, s’il était admis qu’un arrêt dans lequel la Cour fait droit à un recours en manquement introduit sur la base de l’article 258 TFUE, au terme d’une procédure d’infraction à laquelle seuls ont participé la Commission et l’État membre concerné, puisse avoir pour effet d’invalider une décision administrative devenue définitive en vertu de la législation nationale, cela violerait la confiance légitime des destinataires de cette décision, en particulier dans les circonstances du cas d’espèce, où près de dix ans se sont écoulés entre la délivrance de la première autorisation de construction et l’arrêt Commission/Irlande.

24.

En quatrième lieu, l’Irlande fait valoir que le déroulement de la procédure précontentieuse démontre que la lenteur avec laquelle ont été adoptées les mesures d’exécution de l’arrêt Commission/Irlande est due à la complexité des questions juridiques concernées, en particulier du point de vue de la sécurité juridique et de la protection de la confiance légitime et des droits de propriété de l’exploitant du parc de Derrybrien, plutôt qu’à un manque de coopération de la part de l’Irlande. Cet État membre observe que, après avoir proposé, en 2013, de procéder à une évaluation officieuse des incidences sur l’environnement, les autorités irlandaises ont, par lettre du 22 décembre 2016, envoyé à la Commission un document conceptuel afin d’obtenir de cette dernière un accord formel, qui n’est cependant jamais intervenu. Le temps qui s’est écoulé entre l’envoi de ce document et l’envoi, en octobre 2017, du même document signé, serait à imputer à un malentendu entre les autorités irlandaises et les fonctionnaires de la Commission, sinon à un véritable manque de coopération de cette dernière. L’Irlande fait également valoir, d’une part, que l’exécution de l’arrêt Commission/Irlande impliquait d’ouvrir une procédure qui se situait en dehors du champ d’application des dispositions de transposition de la directive 85/337 et, d’autre part, que la Commission elle‑même n’a pas été en mesure, même dans le cadre de la requête, de désigner les mesures spécifiques que cet État membre était tenu de prendre pour éliminer les effets du manquement constaté dans le deuxième chef du dispositif dudit arrêt. Dans ces circonstances, l’Irlande ne devrait pas être pénalisée pour avoir pris le temps de mettre en place les mesures appropriées, ou pour avoir échoué à identifier ces mesures en temps utile.

25.

Enfin, l’Irlande affirme avoir désormais pleinement exécuté le deuxième chef du dispositif de l’arrêt Commission/Irlande, étant donné l’avancement de la procédure d’évaluation officieuse prévue par le document conceptuel.

2.   Analyse

a)   La portée du manquement constaté au deuxième chef du dispositif de l’arrêt Commission/Irlande

26.

En vertu de l’article 260, paragraphe 1, TFUE, si la Cour de justice de l’Union européenne reconnaît qu’un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, cet État est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour.

27.

Dans les motifs de l’arrêt Commission/Irlande, la Cour a analysé séparément les griefs de la Commission portant, le premier, sur la transposition incomplète de la directive 85/337 en droit irlandais (points 34 à 81) et, le second, sur les conditions dans lesquelles ont été délivrées les autorisations de réalisation du parc de Derrybrien et ont été exécutés les travaux y afférents (points 82 à 112). Après avoir fait droit aux deux griefs, dans le dispositif de l’arrêt, la Cour a déclaré établis deux manquements distincts de l’Irlande aux obligations qui lui incombaient en vertu de cette directive.

28.

Certes, le manquement qui consiste à n’avoir pas effectué, conformément à la directive 85/337, une évaluation des incidences sur l’environnement du projet de réalisation du parc de Derrybrien est la conséquence de l’application à un cas concret des dispositions du droit irlandais que la Cour a jugées non conformes aux dispositions de ladite directive. Toutefois, contrairement à ce que semble considérer l’Irlande, cela n’implique pas que ce manquement, qui a fait l’objet d’une constatation autonome par la Cour au deuxième chef du dispositif de l’arrêt Commission/Irlande, doive être considéré comme inclus dans celui qui est constaté au premier chef de ce dispositif ( 5 ).

29.

En conséquence, il ne suffisait pas à l’Irlande de rendre sa législation conforme à la directive 85/337 pour exécuter le deuxième chef du dispositif de cet arrêt – sauf à priver d’effet utile la constatation autonome de manquement qui y figure – mais il incombait à cet État membre d’adopter des mesures distinctes, destinées spécifiquement à remédier à la violation de cette directive qui résulte de la réalisation du projet de parc de Derrybrien. La circonstance que l’arrêt Commission/Irlande n’a pas précisé la nature de ces mesures, ce que met en évidence l’Irlande, ne permet pas, ainsi que le fait valoir à bon droit la Commission, de remettre en cause la constatation du manquement faite par la Cour ni les obligations qui découlent de ce prononcé pour cet État membre.

b)   Les mesures nécessaires pour exécuter le deuxième chef du dispositif de l’arrêt Commission/

1) La finalité de l’évaluation des incidences sur l’environnement prévue à la directive 85/337

30.

La directive 85/337 impose aux États membres de prendre les dispositions nécessaires pour que les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation, soient soumis à une évaluation de leurs incidences selon des principes harmonisés au niveau de l’Union ( 6 ). Cette évaluation vise essentiellement à recueillir les informations nécessaires pour permettre aux autorités compétentes des États membres d’identifier, au cours de la procédure d’autorisation de tels projets, les éléments environnementaux susceptibles de subir un préjudice et d’orienter ainsi la décision de délivrance ou de refus des permis d’urbanisme y afférents ( 7 ).

31.

La directive 85/337 part indubitablement d’une logique de prévention des dommages à l’environnement ( 8 ), dans laquelle l’obligation d’évaluer au préalable les incidences d’un projet sur l’environnement répond à la nécessité d’assurer que, dans le processus décisionnel, les autorités compétentes tiennent compte le plus tôt possible des effets éventuels sur l’environnement de tous les processus techniques de planification et de décision, afin « d’éviter, dès l’origine, la création de pollutions ou de nuisances plutôt que de combattre ultérieurement leurs effets» ( 9 ). Toutefois, il émerge du texte de la directive que l’évaluation des incidences sur l’environnement a également pour objectif de permettre aux autorités compétentes des États membres, lorsqu’elles délivrent une autorisation, de la subordonner au respect de conditions qui réduisent les incidences négatives de la réalisation du projet sur l’environnement et, plus généralement, de prendre des mesures qui garantissent que l’ouvrage qui en résulte sera exploité selon des critères de bonne gestion environnementale ( 10 ).

32.

D’autre part, la Cour a itérativement jugé que le champ d’application de la directive était « étendu et son objectif très large » et reconnu qu’il serait « réducteur » et contraire à l’approche voulue par le législateur de l’Union de ne prendre en considération, pour l’« appréciation globale» ( 11 ) des incidences sur l’environnement visées par cette directive, « que les effets directs des travaux envisagés eux‑mêmes, sans tenir compte des incidences sur l’environnement susceptibles d’être provoquées par l’utilisation et l’exploitation des ouvrages issus de ces travaux» ( 12 ).

33.

Il s’ensuit que, contrairement à ce que semble sous-entendre l’Irlande, l’évaluation des incidences sur l’environnement prévue par la directive 85/337 ne déploie pas ses effets seulement au moment de la décision d’autoriser le projet en question, mais aussi ultérieurement, pendant sa réalisation et l’utilisation de l’ouvrage qui en résulte. Elle fournit ainsi la base d’une gestion optimale des risques que l’exploitation de l’ouvrage présente pour l’environnement et permet de limiter les effets négatifs de cette exploitation sur les différents facteurs qui ont été pris en compte dans cette évaluation.

34.

Dès lors, un État membre qui a manqué à son obligation de garantir que l’autorisation d’un projet susceptible d’avoir des incidences importantes sur l’environnement soit précédée d’une évaluation des incidences de ce projet sur l’environnement ne saurait tirer de la logique de prévention qui sous-tend la directive 85/337 des arguments pour se soustraire à l’obligation d’adopter les mesures nécessaires afin de remédier ex post à ce manquement.

2) Les mesures nécessaires pour remédier à l’absence d’une évaluation des incidences sur l’environnement conforme à la directive 85/337

35.

La Cour a déjà eu l’occasion d’affirmer que, s’il est vrai que la directive 85/337 (comme la directive 2011/92, actuellement en vigueur) ne contient pas de dispositions relatives aux conséquences d’une violation de l’obligation de procéder à une évaluation préalable des incidences sur l’environnement, les États membres n’en sont pas moins tenus, en vertu du principe de coopération loyale consacré à l’article 4 TUE, d’effacer les conséquences illicites d’une telle violation et qu’il incombe dès lors aux autorités compétentes de chaque État membre de prendre, « dans le cadre de leurs compétences, toutes les mesures nécessaires, générales ou particulières pour que les projets soient examinés, afin de déterminer s’ils sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement et, dans l’affirmative, qu’ils soient soumis à une étude de celles‑ci» ( 13 ). Je relève, par ailleurs, que la Cour a également affirmé cette obligation dans des cas où le projet qui n’avait pas fait l’objet d’une évaluation des incidences sur l’environnement, en violation de la directive 85/337, avait été complètement réalisé et où l’ouvrage était en cours d’exploitation ( 14 ). La Cour a également précisé que constituent des mesures susceptibles de remédier à une violation de l’obligation de procéder à une évaluation préalable des incidences sur l’environnement, notamment, « le retrait ou la suspension d’une autorisation déjà accordée afin d’effectuer une évaluation des incidences du projet en question sur l’environnement telle que prévue par la directive 85/337» ( 15 ). Lorsque la législation nationale permet d’adopter de telles mesures, les autorités compétentes de l’État membre concerné sont tenues, en vertu du principe de coopération loyale et dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité, de les adopter ( 16 ).

36.

Il s’ensuit que, conformément aux objectifs de la directive 85/337 qui sont évoqués aux points 31 à 33 des présentes conclusions, en cas de violation de l’obligation de procéder à une évaluation préalable des incidences sur l’environnement d’un projet susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement, les États membres sont tenus de prendre toutes les mesures nécessaires pour qu’une telle évaluation ou une évaluation corrective soit effectuée après la délivrance de l’autorisation, même lorsque le projet est en cours de réalisation ou a déjà été réalisé. Lorsque la législation nationale le permet, les autorités nationales compétentes sont tenues de suspendre ou d’annuler l’autorisation déjà délivrée afin de permettre sa régularisation ou la délivrance d’une nouvelle autorisation conforme aux prescriptions de cette directive.

37.

L’obligation de garantir qu’une évaluation des incidences sur l’environnement soit réalisée a posteriori est d’autant plus contraignante, pour l’État membre concerné, dans une situation comme celle qui fait l’objet des présentes conclusions, où le projet en cause, en particulier par ses dimensions, est susceptible d’avoir des incidences particulièrement importantes et permanentes sur l’environnement, où sa réalisation a déjà causé d’importants dommages environnementaux et où la violation de la directive a été constatée par la Cour dans le cadre d’un recours en manquement.

38.

Il y a donc lieu de rejeter l’argument de l’Irlande selon lequel, pour exécuter le deuxième chef du dispositif de l’arrêt Commission/Irlande, cet État membre n’était pas tenu de révoquer les autorisation délivrées à l’exploitant du parc de Derrybrien ni d’imposer à ce dernier d’effectuer (ou de consentir à ce que soit effectuée) une évaluation a posteriori des incidences sur l’environnement.

c)   Les justifications avancées par l’Irlande

1) La limite de l’autonomie procédurale et la confiance légitime de l’exploitant du parc de Derrybrien

39.

Pour contester le manquement avancé par la Commission, l’Irlande invoque, en premier lieu, le principe de l’autonomie procédurale des États membres et, renvoyant à l’arrêt du 17 novembre 2016, Stadt Wiener Neustadt (C‑348/15, EU:C:2016:882), fait valoir qu’elle n’était pas tenue de remettre en cause la validité des autorisations délivrées pour la réalisation du parc de Derrybrien, devenues définitives en droit irlandais plusieurs années avant que la Cour prononce l’arrêt Commission/Irlande .

40.

Je rappelle à cet égard que, dans l’arrêt du 7 janvier 2004, Wells (C‑201/02, EU:C:2004:12, point 65), saisie à titre préjudiciel, dans le cadre d’un litige né du recours introduit par un particulier contre le refus de l’administration nationale de révoquer ou modifier une autorisation d’exploitation minière délivrée sans évaluation préalable des incidences sur l’environnement ( 17 ), la Cour a jugé que l’obligation, pour les autorités compétentes, de révoquer ou de suspendre une autorisation délivrée en violation de la directive 85/337 était limitée par le principe de l’autonomie procédurale des États membres ( 18 ). En vertu de ce principe, en l’absence de réglementation au niveau de l’Union, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, pour autant que lesdites modalités ne soient pas moins favorables que celles régissant les recours similaires fondés sur le droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) ( 19 ).

41.

Dans l’arrêt du 17 novembre 2016, Stadt Wiener Neustadt (C‑348/15, EU:C:2016:882, points 41 et 42), auquel renvoie l’Irlande, la Cour a précisé que le droit de l’Union, qui ne prévoit pas de règles relatives aux délais de recours contre les autorisations délivrées en violation de l’obligation d’évaluation préalable des incidences sur l’environnement, visée à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 85/337, ne s’opposait pas, en principe et sous réserve du respect du principe d’équivalence, à la fixation, par l’État membre concerné, de « délais raisonnables de recours dans l’intérêt de la sécurité juridique, qui protège à la fois le particulier et l’administration concernés» ( 20 ).

42.

Contrairement à ce que soutient l’Irlande, j’estime que cet État membre ne peut valablement invoquer, afin de se soustraire à l’obligation de donner pleinement exécution au deuxième chef du dispositif de l’arrêt Commission/Irlande, ni le principe de l’autonomie procédurale des États membres ni le caractère définitif que les autorisations des travaux de réalisation du parc de Derrybrien ont acquis à la suite de l’échéance des délais de recours prévus pour les actions intentées par les particuliers contre ces autorisations.

43.

Pour procéder à cette exécution, il incombait en effet à cet État membre d’adopter toutes les mesures nécessaires, générales ou particulières, susceptibles de remédier à l’absence d’évaluation des incidences sur l’environnement conforme à la directive 85/337 et, au nombre de ces mesures, en particulier, des mesures permettant d’assurer la réalisation d’une évaluation ex post des incidences sur l’environnement.

44.

Or, en principe, l’échéance des délais prévus pour introduire des recours destinés à protéger les droits des particuliers contre des mesures adoptées par l’administration n’exclut pas le pouvoir de cette dernière de retirer ou suspendre de sa propre initiative un acte illégal émanant d’elle‑même ni n’exclut l’adoption de mesures qui imposent au titulaire d’un permis d’urbanisme de procéder à sa régularisation, le cas échéant en se conformant à des obligations qu’il n’avait pas respectées précédemment, ou d’adapter l’exploitation des ouvrages réalisés sur la base de ce permis pour respecter certaines conditions ou critères imposés afin de protéger des intérêts généraux. Sur la base du principe de coopération loyale, les autorités des États membres sont tenues, chacune dans le cadre de ses compétences respectives, d’adopter de telles mesures et de mettre en œuvre les pouvoirs dont elles sont investies, lorsque cela permet de remédier à une violation du droit de l’Union.

45.

Il est vrai que, en réponse à une question posée par la Cour lors de l’audience, le représentant de l’Irlande a précisé que le droit irlandais ne prévoyait pas la possibilité que des permis d’urbanisme, tels que ceux qui ont été délivrés pour réaliser le parc de Derrybrien, devenus définitifs, soient révoqués par l’autorité administrative pour des raisons d’intérêt public, confirmant que de tels permis ne pouvaient être invalidés que par une décision de la High Court (Haute Cour), qui, en l’espèce, ne pouvait plus intervenir, étant donné que les délais de recours étaient venus à échéance, une telle décision. Toutefois, même une telle circonstance ne permet pas, selon moi, de justifier la position de l’Irlande selon laquelle celle‑ci n’était en l’espèce tenue d’adopter aucune mesure spécifique pour remédier au manquement constaté par la Cour.

46.

En effet, je relève que le droit irlandais actuellement en vigueur prévoit une procédure de régularisation des autorisations délivrées en violation des obligations de la directive 85/337, procédure qui est applicable dans les circonstances du cas d’espèce.

47.

En vertu de l’article 177B, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous b), de la partie XA du PDAA, introduit par la réforme législative de 2010, lorsque, par « décision définitive de la Cour de justice de l’Union européenne », il est jugé qu’une autorisation relative à un projet pour lequel une évaluation des incidences sur l’environnement était requise a été délivrée illégalement, l’autorité de l’urbanisme (planning authority) compétente notifie un avis écrit à l’exploitant du projet, en lui enjoignant d’introduire une demande afin d’obtenir une autorisation de substitution. Le même article, au paragraphe 2, sous c), précise que l’avis écrit enjoint à l’exploitant du projet d’effectuer, en même temps qu’il présente sa demande, une déclaration corrective des incidences sur l’environnement (remedial environmental impact statement).

48.

L’Irlande interprète cette disposition en ce sens qu’elle ne s’applique pas dans des circonstances comme celles du cas d’espèce, où le permis d’urbanisme qui a été accordé est devenu définitif. Or, une telle limitation ne ressort pas du texte de l’article 177B du PDAA et n’apparaît pas à une lecture littérale de cette disposition. Au contraire, l’interprétation soutenue par l’Irlande est contredite par le fait que le paragraphe 1 de cette disposition n’établit pas de distinction entre un arrêt rendu par la Cour sur une demande de décision préjudicielle, qui se greffe sur une procédure nationale dans laquelle la validité de l’autorisation en question est mise en cause, et un arrêt rendu sur un recours en manquement, qui peut intervenir, comme c’est le cas de l’arrêt Commission/Irlande, après l’échéance des délais de recours contre la décision administrative d’autorisation ou après qu’un recours interne contre cette décision a été rejeté définitivement.

49.

Je relève en outre que – statuant récemment sur une affaire qui portait, entre autres, sur l’application de l’article 177B du PDAA au propriétaire d’une carrière dont l’exploitation avait commencé dans les années 60, à une période où il n’était pas nécessaire d’obtenir un permis d’urbanisme – la Supreme Court (Cour suprême, Irlande) a déclaré que cette disposition s’appliquait à une « catégorie exceptionnelle » de projets, pour lesquels la Cour a jugé qu’« une autorisation accordée précédemment » et « par ailleurs valide » a été délivrée illégalement à cause d’une omission dans l’évaluation des incidences sur l’environnement ( 21 ), sans mentionner aucune limite liée au caractère définitif ou non de cette autorisation. Contrairement à ce que soutient l’Irlande, il n’était donc nullement acquis que toute tentative de soumettre l’exploitant du parc de Derrybrien à la procédure prévue à l’article 177B du PDAA aurait été mise en échec par les juridictions irlandaises ( 22 ).

50.

Je rappelle, enfin, que l’Irlande n’a soulevé cette interprétation restrictive, dans le cours de la procédure précontentieuse, qu’au mois d’octobre 2012. Avant ce moment, les autorités irlandaises avaient constamment manifesté leur intention, tant avant qu’après l’entrée en vigueur du PDAA, de mettre en œuvre la procédure de substitution afin de donner exécution au chef du dispositif de l’arrêt Commission/Irlande qui concerne le parc de Derrybrien. Comme l’a confirmé l’Irlande lors de l’audience, le comté de Galway lui‑même a notifié, le 12 octobre 2011, l’avis prévu à l’article 177B du PDAA à l’exploitant du parc de Derrybrien, avant de le retirer quelques jours plus tard, ce qui montre que, à tout le moins initialement, il interprétait cette disposition autrement que cet État membre.

51.

Dans ces circonstances, l’Irlande ne peut pas valablement soutenir que le droit irlandais ne prévoit pas d’instrument permettant de soumettre à un nouvel examen des autorisations telles que celles qui concernent le parc de Derrybrien. La procédure prévue à l’article 177B du PDAA constitue un tel instrument. Il incombait donc aux autorités irlandaises de la mettre en œuvre afin de donner pleinement exécution au deuxième chef du dispositif de l’arrêt Commission/Irlande.

52.

Selon moi, les considérations invoquées par l’Irlande sur la protection de la confiance légitime de l’exploitant du parc de Derrybrien ne sauraient faire obstacle à une telle mesure d’exécution.

53.

En effet, en premier lieu, la procédure de substitution prévue par le PDAA a pour objectif essentiel de permettre, dans des circonstances bien définies, de réviser des autorisations délivrées en violation de la directive 85/337 ainsi que les projets pour lesquels ces autorisations ont été délivrées et de les adapter aux critères imposés par cette directive, en particulier pour ce qui concerne l’obligation de réaliser une évaluation des incidences sur l’environnement. Cette procédure ne débouche donc pas nécessairement sur le retrait des permis faisant l’objet de la révision et, partant sur la cessation des activités autorisées, mais peut se borner à imposer leur régularisation, outre l’obligation de mettre en œuvre les mesures correctives jugées nécessaires le cas échéant ( 23 ).

54.

En second lieu, je rappelle que, dans l’arrêt du 17 novembre 2016, Stadt Wiener Neustadt (C‑348/15, EU:C:2016:882), la Cour a précisé que « les projets dont l’autorisation n’est plus exposée à un recours contentieux direct, du fait de l’expiration du délai de recours prévu par la législation nationale », ne peuvent être « purement et simplement considérés comme légalement autorisés au regard de l’obligation d’évaluation des incidences sur l’environnement» ( 24 ), de sorte que, s’il existe en droit interne un instrument permettant d’assurer qu’une telle évaluation soit réalisée, les autorités compétentes de l’État membre concerné sont tenues de le mettre en œuvre ( 25 ). Il s’ensuit que l’exploitant d’un tel projet ne peut invoquer l’existence d’une confiance légitime dans la validité d’autorisations qui ont été délivrées en violation de l’obligation d’effectuer une évaluation préalable des incidences sur l’environnement et qui ne sont plus susceptibles de recours juridictionnels internes, pour s’opposer à l’obligation d’effectuer une telle évaluation a posteriori, qui lui est imposée en vertu d’une mesure prise par les autorités nationales en exécution d’un arrêt de la Cour constatant un manquement. Cela vaut à plus forte raison pour l’exploitant du parc de Derrybrien qui, comme le montre le dossier et comme l’a confirmé l’Irlande lors de l’audience, est une filiale indépendante détenue à 100 % par Electricity Supply Board (ESB), elle‑même détenue à 95 % par l’État irlandais ( 26 ).

55.

Le temps écoulé entre la délivrance des autorisations litigieuses et l’arrêt Commission/Irlande ne permet pas de remettre en cause la conclusion qui précède. Je relève par ailleurs que, s’il est vrai que cet arrêt a été prononcé en 2008 alors que la dernière autorisation relative au parc de Derrybrien est devenue définitive en 2003, cependant, au moment où cette autorisation a été délivrée, la Commission avait déjà ouvert à l’encontre de l’Irlande une procédure d’infraction fondée sur l’article 226 CE, dans laquelle ‑ sans encore mettre directement en cause le projet de réalisation de ce parc ‑ elle reprochait à l’Irlande une violation systématique des obligations lui incombant en vertu de la directive 85/337. Or, je me demande dans quelle mesure un opérateur public peut invoquer la confiance légitime dans la validité d’une autorisation non conforme à cette directive délivrée dans de telles circonstances.

56.

Enfin, quand bien même l’on suivrait la thèse de l’Irlande, selon laquelle la procédure contraignante prévue à l’article 177B du PDAA n’est pas applicable en l’espèce, étant donné le caractère définitif des autorisations litigieuses, je relève que l’article 177C de la même loi permet à l’exploitant d’un projet autorisé sans évaluation préalable des incidences sur l’environnement de demander que lui soit appliquée la procédure de substitution. Le PDAA offrait donc aussi aux autorités irlandaises un autre instrument que la mesure d’autorité pour remédier à l’absence d’évaluation des incidences sur l’environnement du projet de réalisation du parc de Derrybrien ( 27 ) auquel ces autorités auraient pu recourir sans difficultés particulières, étant donné le contrôle que l’État irlandais exerce sur l’exploitant de ce parc.

2) La complexité des questions juridiques soulevées et l’absence de coopération de la Commission

57.

Contrairement à l’Irlande, je ne considère pas que l’exécution du deuxième chef du dispositif de l’arrêt Commission/Irlande comportait une difficulté particulière quant à l’identification des mesures à adopter pour éliminer les effets du manquement, ni qu’elle soulevait des questions juridiques d’une complexité telle qu’elle justifierait que se prolonge pendant plus de dix ans une situation de substantiel blocage.

58.

Il ressort du dossier que, dès les premiers échanges de correspondance entre la Commission et les autorités irlandaises et durant tout le déroulement de la procédure précontentieuse, c’est la réalisation d’une évaluation a posteriori des incidences sur l’environnement que les deux parties ont identifiée comme la seule mesure appropriée pour remédier à l’absence de réalisation d’une telle évaluation au préalable. La Commission et l’Irlande ont discuté, dans la phase finale de la procédure précontentieuse, des modalités de réalisation de cette évaluation, mais il ne ressort pas du dossier qu’elles aient envisagé d’autres mesures d’exécution.

59.

C’est seulement vers la fin de l’année 2012, c’est‑à‑dire environ quatre ans après que la Cour a prononcé l’arrêt Commission/Irlande, que les autorités irlandaises – qui, jusqu’alors, avaient constamment donné des assurances quant à l’application de la procédure de substitution à l’exploitant du parc de Derrybrien – ont soulevé des obstacles liés à la protection de la sécurité juridique et de la confiance légitime de cet exploitant, proposant dans le même temps à la Commission une autre solution, c’est‑à‑dire une évaluation « non réglementaire » des incidences sur l’environnement. Toutefois, la mise en œuvre de cette solution a également été marquée par l’absence de progrès substantiels qui, malgré les affirmations de l’Irlande, n’est pas imputable à un manque de coopération de la Commission.

60.

Contrairement à ce que soutient cet État membre, en effet, je ne pense pas que l’on puisse imputer à cette dernière le temps écoulé entre les deux envois, le 22 décembre 2016 et le 2 octobre 2017, du document conceptuel mentionné au point 15 des présentes conclusions. En effet, en premier lieu, comme l’admet l’Irlande elle‑même, la lettre qui accompagne le premier envoi de ce document n’indique pas que les autorités irlandaises attendraient un accord formel de la Commission avant de passer à la phase suivante. En second lieu, la version de ce document qui a été envoyée en décembre 2016 n’était pas signée par l’exploitant du parc de Derrybrien, circonstance qui permettait de mettre en doute le sérieux de l’engagement pris par ce dernier. Enfin, sans être contredite par l’Irlande, la Commission soutient que le contenu du document envoyé en décembre 2016 était substantiellement le même que celui d’un document précédent sur lequel elle avait soulevé une série d’observations qui n’auraient pas été prises en compte par les autorités irlandaises.

61.

Plus généralement, selon moi, la Commission a fait montre, tout au long de la procédure précontentieuse, d’une disponibilité et d’une volonté de coopération allant jusqu’à l’excès, en particulier devant le changement d’attitude drastique des autorités irlandaises quant à la possibilité d’appliquer la procédure de substitution à l’exploitant du parc de Derrybrien, changement intervenu plus de quatre ans après le prononcé de l’arrêt Commission/Irlande.

62.

À la lumière des éléments qui précèdent, je ne considère pas que la lenteur et l’échec de la procédure précontentieuse puissent, même en partie seulement, être attribués à la complexité des questions juridiques soulevées ni à une incertitude de la Commission quant à l’identification des mesures nécessaires pour garantir l’exécution de l’arrêt Commission/Irlande ou à un manque de coopération de cette institution.

d)   Conclusions sur l’existence du manquement invoqué

63.

Plus de dix ans après le prononcé de l’arrêt Commission/Irlande, non seulement aucune évaluation des incidences sur l’environnement des travaux de réalisation du parc de Derrybrien et des activités connexes, conforme aux prescriptions de la directive 85/337, n’a été réalisée, alors que l’Irlande n’a jamais contesté la possibilité de procéder à une telle évaluation, mais aucune mesure concrète n’a même été prise en vue de procéder à une telle évaluation. Qui plus est, après avoir déclaré dans le mémoire en défense être sur le point d’obtenir de l’exploitant de ce parc la réalisation d’une évaluation a posteriori non réglementaire, l’Irlande a annoncé, avant l’audience qui a eu lieu dans la présente affaire, comme dans une espèce de jeu de l’oie, le « retour à la case départ », informant la Commission qu’elle avait à nouveau changé d’avis quant à la possibilité de recourir à la procédure de substitution. Dans de telles circonstances, et sur la base de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu, selon moi, de conclure à la matérialité du manquement reproché à l’Irlande et au rejet des justifications avancées par cette dernière.

B. Les sanctions pécuniaires

64.

Dans sa requête, la Commission propose à la Cour, en vertu de l’article 260, paragraphe 2, TFUE et sur la base de la communication du 13 décembre 2005 sur l’application de l’article 228 du traité CE (ci‑après la « communication de 2005 ») ( 28 ), de sanctionner le défaut d’exécution de l’arrêt Commission/Irlande par une condamnation au paiement d’une astreinte et d’une somme forfaitaire.

65.

Dans sa duplique, l’Irlande fait valoir qu’aucune sanction ne doit lui être infligée, dans la mesure où les arrêts du 26 juillet 2017, Comune di Corridonia e.a. (C‑196/16 et C‑197/16, EU:C:2017:589), et du 28 février 2018, Comune di Castelbellino (C‑117/17, EU:C:2018:129), sur lesquels se fonde la Commission, ont marqué une rupture par rapport à la jurisprudence antérieure. Selon moi, cet argument doit être rejeté à la lumière des considérations exposées aux points 26 à 38 des présentes conclusions.

1.   L’astreinte

66.

Comme je l’ai constaté au point 63 des présentes conclusions, à tout le moins à la date de l’audience devant la Cour, l’Irlande n’avait pas exécuté le deuxième chef du dispositif de l’arrêt Commission/Irlande. En conséquence, dans le cas où cette violation persisterait à la date du prononcé de l’arrêt sur le présent recours ( 29 ), il y a lieu de considérer comme justifiée la condamnation à une astreinte en vertu de l’article 260, paragraphe 2, TFUE ( 30 ).

67.

S’agissant du montant de cette sanction, il incombe à la Cour de fixer l’astreinte de sorte que celle‑ci soit, d’une part, adaptée aux circonstances et, d’autre part, proportionnée au manquement constaté ainsi qu’à la capacité de paiement de l’État membre concerné ( 31 ). Dans le cadre de l’appréciation de la Cour, les critères devant être pris en considération sont la durée de l’infraction, son degré de gravité et la capacité de paiement de l’État membre en cause. Pour l’application de ces critères, la Cour est appelée à tenir compte, en particulier, des conséquences du défaut d’exécution sur les intérêts publics et privés en cause ainsi que de l’urgence qu’il y a à ce que l’État membre concerné se conforme à ses obligations ( 32 ).

68.

La Commission propose d’appliquer un montant journalier correspondant à un forfait de base de 700 euros, multiplié par les coefficients de gravité, de durée et de facteur de dissuasion, soit un total de 12264 euros par jour à compter de la date du prononcé de l’arrêt dans la présente affaire et jusqu’à la complète exécution de l’arrêt Commission/Irlande.

69.

Pour ce qui concerne la gravité, la Commission a pris en compte, en premier lieu, l’importance des règles du droit de l’Union qui ont été violées et le contexte dans lequel cette violation s’est produite, en deuxième lieu, les conséquences de cette violation et le caractère répété des infractions à la directive 85/337 perpétrées par l’Irlande ( 33 ) et, en troisième lieu, le manque de coopération de cet État membre pendant une période particulièrement longue. À la lumière de ces éléments et compte tenu du fait que l’inexécution de l’arrêt Commission/Irlande ne concerne qu’une partie du dispositif de cet arrêt, la Commission propose un coefficient de gravité de 2, sur l’échelle de 1 à 20 qui est prévue par la communication de 2005.

70.

À mon avis, l’ensemble des éléments que la Commission a pris en compte pour évaluer la gravité du manquement en question sont pertinents. Par contre, les arguments avancés par l’Irlande, selon lesquels il y aurait lieu de tenir compte, à cette fin, des efforts qu’elle a accomplis pour se conformer aux demandes de la Commission et du manque de coopération de cette dernière, doivent être écartés. Je renvoie, à ce propos, aux considérations exposées aux points 58 à 62 des présentes conclusions.

71.

L’Irlande conteste, en outre, que la violation constatée par la Cour dans le deuxième chef du dispositif de l’arrêt Commission/Irlande soit à l’origine des dommages environnementaux résultant du glissement de terrain de 2003 et soutient, en conséquence, que cet élément ne devrait pas être pris en considération pour évaluer la gravité de l’infraction. À cet égard, je relève qu’il ressort de l’arrêt Commission/Irlande que cet État membre n’a jamais contesté le fait que ce glissement de terrain a été causé par les travaux de réalisation du parc de Derrybrien (voir point 93). Dans ce contexte, il n’est pas exclu qu’une évaluation préalable des incidences sur l’environnement, mettant en évidence les risques liés à ces travaux ou recommandant l’adoption de mesures préventives particulières, eût permis d’éviter les dommages qui s’en sont suivis. Les conséquences du glissement de terrain de 2003 doivent donc être prises en compte pour évaluer la gravité de l’infraction perpétrée par l’Irlande, même si leur poids ne doit pas être surestimé dans cette évaluation.

72.

S’agissant de la durée, la Commission a appliqué le coefficient maximal prévu par la communication de 2005, c’est‑à‑dire 3, étant donné la période de 114 mois qui s’est écoulée entre le prononcé de l’arrêt Commission/Irlande et le 25 janvier 2018, date à laquelle la Commission a introduit le présent recours. Bien que l’article 260, paragraphe 1, TFUE ne précise pas le délai dans lequel l’exécution d’un arrêt doit intervenir, l’intérêt qui s’attache à une application immédiate et uniforme du droit de l’Union exige, selon une jurisprudence constante de la Cour, que cette exécution soit entamée immédiatement et aboutisse dans des délais aussi brefs que possible ( 34 ). Or, dans le cas d’espèce, le manquement imputé à l’Irlande dure depuis plus de dix ans, sans qu’aucun progrès substantiel ait été accompli afin d’obtenir une évaluation des incidences sur l’environnement de la réalisation du parc de Derrybrien et des activités connexes. Cette durée est incontestablement excessive. Même en admettant que l’exécution du deuxième chef du dispositif de l’arrêt Commission/Irlande requérait que soit instaurée la procédure de substitution, comme le soutient l’Irlande, le manquement aurait aujourd’hui duré plus de sept ans, c’est‑à‑dire en tout état de cause une période notable.

73.

Enfin, la Commission a appliqué le facteur de dissuasion fixé pour l’Irlande dans la communication de 2005, c’est‑à‑dire 2,92, que l’Irlande ne conteste pas.

74.

Sur la base des considérations qui précèdent, je propose à la Cour d’appliquer une astreinte journalière de 10000 euros.

2.   La somme forfaitaire

75.

Conformément à la communication de 2005, la Commission propose à la Cour d’appliquer, à titre de somme forfaitaire, un montant de base de 230 euros, multiplié par le facteur de gravité et le facteur de dissuasion « n », c’est‑à‑dire un montant de 1343,20 euros pour chaque jour écoulé entre le 3 juillet 2008 et la date d’exécution de l’arrêt Commission/Irlande ou, à défaut d’exécution, la date de l’arrêt qui sera rendu dans la présente affaire, avec un montant fixe minimal de 1685000 euros ( 35 ). Sur la base des considérations exposées au point 68des présentes conclusions, je propose à la Cour de réduire ce montant à 1000 euros.

IV. Conclusion

76.

À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de statuer comme suit :

En n’ayant pas pris toutes les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du 3 juillet 2008, Commission/Irlande (C‑215/06, EU:C:2008:380), l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 260, paragraphe 1, TFUE.

Si le manquement persiste au jour du prononcé de l’arrêt de la Cour dans la présente affaire, l’Irlande est condamnée à payer à la Commission européenne, sur le compte « Ressources propres de l’Union européenne », une astreinte de 10000 euros par jour de retard dans la mise en œuvre des mesures nécessaires pour se conformer à l’arrêt du 3 juillet 2008, Commission/Irlande (C‑215/06, EU:C:2008:380), à compter de la date du prononcé du présent arrêt et jusqu’à la parfaite exécution de l’arrêt du 3 juillet 2008, Commission/Irlande (C‑215/06, EU:C:2008:380).

L’Irlande est condamnée à payer à la Commission européenne, sur le compte « Ressources propres de l’Union européenne », la somme forfaitaire de 1000 euros pour chaque jour écoulé entre le prononcé de l’arrêt du 3 juillet 2008, Commission/Irlande (C‑215/06, EU:C:2008:380), et la date d’exécution de cet arrêt ou, à défaut d’exécution, la date de l’arrêt prononcé dans la présente affaire.

L’Irlande est condamnée aux dépens.


( 1 ) Langue originale : l’italien.

( 2 ) Directive du Conseil du 27 juin 1985 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 1985, L 175, p. 40). Cette directive a été remplacée, à dater du 16 février 2012, par la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 2012, L 26, p. 1).

( 3 ) Directive du Conseil du 3 mars 1997 modifiant la directive 85/337/CEE concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 1997, L 73, p. 5).

( 4 ) Voir article 50 du Planning and Development Act 2000. L’Irlande observe qu’une prorogation de ce délai est prévue, mais à des conditions qui ne sont pas applicables dans le cas d’espèce.

( 5 ) Dans le sens de l’autonomie de ces deux types de manquements l’un par rapport à l’autre, voir arrêt du 5 juillet 2007, Commission/Italie (C‑255/05, EU:C:2007:406, points 50 et 51). De manière plus générale, je relève que la Cour a, en plusieurs occasions, constaté des manquements résultant de la violation des dispositions de la directive 85/337 concernant des projets particuliers, soit isolément, soit en même temps que la constatation d’un manquement « systémique ». En ce sens, voir par exemple arrêts du 10 juin 2004, Commission/Italie (C‑87/02, EU:C:2004:363) ; du 2 juin 2005, Commission/Italie (C‑83/03, EU:C:2005:339) ; du 16 mars 2006, Commission/Espagne (C‑332/04, non publié, EU:C:2006:180) ; du 23 novembre 2006, Commission/Italie (C‑486/04, EU:C:2006:732) ; du 5 juillet 2007, Commission/Italie (C‑255/05, EU:C:2007:406) ; du 24 novembre 2011, Commission/Espagne (C‑404/09, EU:C:2011:768), et du 14 janvier 2016, Commission/Bulgarie (C‑141/14, EU:C:2016:8) (concernant la directive 2011/92).

( 6 ) Voir article 2, paragraphe 1, de la directive 85/337, tel que modifié par la directive 97/11, ainsi que ses premier, quatrième et sixième considérants ; voir aussi arrêt du 28 février 2008, Abraham e.a. (C‑2/07, EU:C:2008:133, point 42).

( 7 ) Voir sixième considérant de la directive 85/337, aux termes duquel « l’autorisation des projets publics et privés susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ne devrait être accordée qu’après évaluation préalable des effets notables que ces projets sont susceptibles d’avoir sur l’environnement ».

( 8 ) Voir en particulier premier considérant de la directive 85/337.

( 9 ) Voir arrêt Commission/Irlande, point 58. Voir aussi arrêt du 26 juillet 2017, Comune di Corridonia e.a. (C‑196/16 et C‑197/16, EU:C:2017:589, point 33).

( 10 ) Voir notamment article 5, paragraphe 3, deuxième tiret, de la directive 85/337, telle que modifiée par la directive 97/11, aux termes duquel le maître d’ouvrage est tenu de fournir, au minimum, une description des mesures envisagées pour « éviter et réduire des effets négatifs importants et, si possible, y remédier » en rapport avec le projet, et article 9, paragraphe 1, tel que modifié par la directive 2003/35, qui prévoit que les autorités compétentes informent le public des « conditions dont la décision est éventuellement assortie » lorsqu’une décision d’accorder ou de refuser une autorisation a été prise (premier tiret), ainsi qu’une « description, le cas échéant, des principales mesures permettant d’éviter, de réduire et, si possible, d’annuler les effets négatifs les plus importants » (troisième tiret).

( 11 ) Voir, en ce sens, arrêts du 24 octobre 1996, Kraaijeveld e.a. (C‑72/95, EU:C:1996:404, point 31), et du 16 septembre 1999, WWF e.a. (C‑435/97, EU:C:1999:418, point 40).

( 12 ) Voir arrêt du 28 février 2008, Abraham e.a. (C‑2/07, EU:C:2008:133, point 43).

( 13 ) Voir arrêt du 7 janvier 2004, Wells (C‑201/02, EU:C:2004:12, points 64 et 65), rappelé aussi au point 59 de l’arrêt Commission/Irlande. Voir aussi arrêt du 26 juillet 2017, Comune di Corridonia e.a. (C‑196/16 et C‑197/16, EU:C:2017:589, point 35) et, par analogie, pour ce qui concerne la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 juin 2001, relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement (JO 2001, L 197, p. 30), arrêt du 28 février 2012, Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne (C‑41/11, EU:C:2012:103, points 42, 43 et 46).

( 14 ) Voir arrêt du 7 janvier 2004, Wells (C‑201/02, EU:C:2004:12) et arrêt du 26 juillet 2017, Comune di Corridonia e.a. (C‑196/16 et C‑197/16, EU:C:2017:589), dans lequel la question portait spécifiquement sur les mesures à prendre, en cas d’absence d’évaluation des incidences sur l’environnement d’un projet, postérieurement à la réalisation de l’installation (voir formulation de la question préjudicielle au point 27 de l’arrêt). Dans cet arrêt, la Cour a par ailleurs précisé, au point 41, qu’une « évaluation effectuée après l’implantation et la mise en service d’une installation ne peut se limiter aux incidences futures de celle‑ci sur l’environnement, mais doit également prendre en compte les incidences environnementales intervenues depuis sa réalisation ». Voir également arrêt du 28 février 2018, Comune di Castelbellino (C‑117/17, EU:C:2018:129, point 30).

( 15 ) Voir arrêts du 7 janvier 2004, Wells (C‑201/02, EU:C:2004:12, point 65), et du 26 juillet 2017, Comune di Corridonia e.a. (C‑196/16 et C‑197/16, EU:C:2017:589, point 35).

( 16 ) Voir arrêt du 7 janvier 2004, Wells (C‑201/02, EU:C:2004:12, point 69). Voir aussi, par analogie, arrêt du 28 février 2012, Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne (C‑41/11, EU:C:2012:103, points 45 et 46).

( 17 ) L’autorisation litigieuse avait été délivrée en 1947.

( 18 ) Voir arrêt du 7 janvier 2004, Wells (C‑201/02, EU:C:2004:12, point 65).

( 19 ) Voir, entre autres, arrêt du 17 novembre 2016, Stadt Wiener Neustadt (C‑348/15, EU:C:2016:882, point 40) et, en dernier lieu, arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar (C‑349/17, EU:C:2019:172, point 137, concernant les modalités de recouvrement d’aides illégales).

( 20 ) Voir points 41 et 42 de l’arrêt du 17 novembre 2016, Stadt Wiener Neustadt (C‑348/15, EU:C:2016:882). Il s’agissait en l’espèce d’un délai de recours de trois ans prévu par la législation autrichienne.

( 21 ) Arrêt rendu le 7 novembre 2018 dans l’affaire An Taise – The National Trust for Ireland v McTigue Quarries Ltd & ors., points 31 et 74. Dans cet arrêt, la Supreme Court (Cour suprême) insiste notamment sur la genèse de l’article 177B, en soulignant que cette disposition a été introduite afin de donner exécution à l’arrêt Commission/Irlande (voir point 31).

( 22 ) Lettre des autorités irlandaises à la Commission du 21 décembre 2012.

( 23 ) Voir article 177K, paragraphe 1, du PDAA.

( 24 ) Arrêt du 17 novembre 2016, Stadt Wiener Neustadt (C‑348/15, EU:C:2016:882, point 43).

( 25 ) Voir en ce sens, pour le cas où des travaux ou des interventions physiques liés au projet requièrent une nouvelle autorisation, arrêts du 17 novembre 2016, Stadt Wiener Neustadt (C‑348/15, EU:C:2016:882, point 44), et du 17 mars 2011, Brussels Hoofdstedelijk Gewest e.a. (C‑275/09, EU:C:2011:154, point 37).

( 26 ) Voir, à cet égard, arrêt du 14 juin 2007, Medipac-Kazantzidis (C‑6/05, EU:C:2007:337, point 43).

( 27 ) L’article 177D, paragraphe 7, sous b), du PDAA prévoit que, s’il est fait droit à la demande d’application de la procédure de substitution présentée au titre de l’article 177C de la même loi, la demande d’autorisation de substitution doit être accompagnée d’une évaluation corrective des incidences sur l’environnement.

( 28 ) SEC(2005) 1658. Les montants indiqués dans la communication de 2005 ont été actualisés par la communication du 15 décembre 2017 [C(2017) 8720] (ci‑après la « communication de 2017 »).

( 29 ) Arrêt du 22 juin 2016, Commission/Portugal (C‑557/14, EU:C:2016:471, point 66).

( 30 ) Voir, entre autres, arrêts du 2 décembre 2014, Commission/Italie (C‑196/13, EU:C:2014:2407, point 87), et du 15 octobre 2015, Commission/Grèce (C‑167/14, non publié, EU:C:2015:684, point 47).

( 31 ) Voir, entre autres, arrêts du 2 décembre 2014, Commission/Italie (C‑196/13, EU:C:2014:2407, point 95), et du 15 octobre 2015, Commission/Grèce (C‑167/14, non publié, EU:C:2015:684, point 52).

( 32 ) Voir, entre autres, arrêts du 17 octobre 2013, Commission/Belgique (C‑533/11, EU:C:2013:659, point 69) ; du 2 décembre 2014, Commission/Italie (C‑196/13, EU:C:2014:2407, point 97), et du 15 octobre 2015, Commission/Grèce (C‑167/14, non publié, EU:C:2015:684, point 54).

( 33 ) La Commission renvoie aux affaires C‑392/96, C‑427/07, C‑50/09 et C‑66/06.

( 34 ) Voir, en particulier, arrêt du 25 juin 2014, Commission/Portugal (C‑76/13, non publié, EU:C:2014:2029, point 57).

( 35 ) Il s’agit du montant minimal fixé pour l’Irlande dans la communication de 2017.