CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 2 mai 2019 ( 1 )

Affaire C‑70/18

Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid

contre

A

B

P

[demande de décision préjudicielle formée par Raad van State (Conseil d’État, Pays‑Bas)]

« Renvoi préjudiciel – Accord d’association CEE/Turquie – Libre circulation des personnes – Travailleurs – Règles de “standstill” – Décision no 1/80 – Article 13 – Nouvelles restrictions – Interdiction – Données biométriques des ressortissants turcs – Fournitures de ces données à des tiers – Raison impérieuse d’intérêt général – Prévention et lutte contre la fraude à l’identité et documentaire – Caractère nécessaire et proportionné – Prévention, détection et investigation d’infractions pénales – Effet aléatoire et indirect »

1. 

Le présent renvoi préjudiciel soulève la question de savoir si l’obligation, imposée aux travailleurs turcs au moment d’entrer sur le territoire néerlandais pour y exercer une activité salariée et aux membres de la famille des travailleurs turcs déjà présents sur ledit territoire, et souhaitant les y rejoindre, de fournir dix empreintes digitales et une image faciale avant que ces données biométriques soient versées dans le fichier des ressortissants étrangers consulté soit à des fins de vérification de l’authenticité des documents et de l’identité de leur détenteur, soit à des fins d’identification des auteurs d’infraction pénale constitue une restriction prohibée par l’article 7 de la décision no 2/76 ( 2 ), du 20 décembre 1976, adoptée par le conseil d’association (ci‑après la « décision no 2/76 ») institué par l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé, le 12 septembre 1963, à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et qui a été conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963 ( 3 ) (ci-après l’« accord d’association »), et – surtout – par l’article 13 de la décision no 1/80 ( 4 ) du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association (ci-après la « décision no 1/80 »).

I. Le cadre juridique

2.

Le régime national en cause au principal peut être présenté comme suit.

3.

Il résulte de la législation néerlandaise que les ressortissants d’États tiers, y inclus les ressortissants turcs, qui souhaitent séjourner aux Pays-Bas pour une durée supérieure à 90 jours au titre d’un séjour ordinaire doivent, en principe, être détenteurs d’une autorisation de séjour provisoire au moment de leur entrée sur le territoire. Une telle autorisation est délivrée par les autorités consulaires et diplomatiques des Pays-Bas. Aux fins de l’obtention d’une autorisation de séjour provisoire, outre la satisfaction de conditions de fond, les demandeurs doivent « coopérer à l’établissement des données en vue de [leur] identification» ( 5 ).

4.

La loi sur les étrangers, a conféré aux autorités néerlandaises le pouvoir de relever et de traiter les données biométriques des ressortissants d’États tiers. Notamment, l’article 106a de cette loi prévoit, en substance, qu’une image faciale et une image des dix empreintes digitales d’un ressortissant étranger peuvent être prises et traitées pour établir l’identité de celui-ci en vue de l’exécution de ladite loi. Lesdites images sont immédiatement comparées avec celles qui figurent dans le fichier des ressortissants étrangers puis stockées dans ce dernier.

5.

L’article 107 de la loi sur les étrangers prévoit la création d’un fichier des ressortissants étrangers qui contient les données biométriques énoncées à l’article 106a de cette loi et précise que ces données seront traitées à des fins d’exécution de ladite loi ( 6 ) ainsi qu’à des fins de détection d’infractions et de poursuites pénales ( 7 ). La mise à disposition des données biométriques des ressortissants d’États tiers à des fins de détection d’infractions et de poursuites pénales est soumise au respect des conditions énoncées à l’article 107, paragraphe 6, de la loi sur les étrangers. Ainsi, une mesure de détention provisoire doit pouvoir être prononcée pour l’infraction en question ( 8 ) et la consultation du fichier des étrangers doit être autorisée par écrit par le juge d’instruction à la demande du ministère public lorsque existe un soupçon raisonnable que le suspect est un ressortissant d’État tiers ( 9 ) ou lorsque cela est dans l’intérêt de l’enquête, dans l’hypothèse où l’enquête préliminaire ne progresse pas ou dans l’hypothèse où des résultats rapides sont nécessaires pour l’élucidation de l’enquête ( 10 ). Le suspect doit, par ailleurs, susciter de graves préoccupations.

6.

Les données biométriques sont conservées pour une durée de cinq ans suivant le rejet de la demande d’autorisation de séjour provisoire, le départ des Pays-Bas à la fin d’un séjour régulier ou la perte de validité d’une interdiction d’entrée ou d’une déclaration d’indésirabilité. Les données sont donc détruites après cette période ou avant, en cas de naturalisation du ressortissant d’État tiers ( 11 ).

7.

Il ressort de la décision de renvoi que le pouvoir de prendre, traiter et conserver des données biométriques dans le fichier des ressortissants étrangers peut être exercé à l’égard des ressortissants d’États tiers qui souhaitent obtenir un titre de séjour aux Pays-Bas pour une durée supérieure à 90 jours ou qui séjournent illégalement dans cet État membre.

II. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

8.

B est un ressortissant turc né en 1982 dont la conjointe, P ( 12 ), a la double nationalité néerlandaise et turque. Le 17 février 2014, P a introduit une demande d’autorisation de séjour provisoire pour B en vue d’un regroupement familial. Après avoir initialement refusé, le staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité, ci-après le « secrétaire d’État ») a finalement accordé l’autorisation demandée par décision du 4 avril 2014 tout en conditionnant celle-ci à la fourniture des données biométriques de B. Ce dernier a consenti à la prise desdites données avant d’introduire le 2 mai 2014, ensemble avec P, un recours administratif contre la prise et le traitement de ses données biométriques dans lequel B et P excipaient de la contrariété de l’obligation de fournir ses données biométriques avec l’article 7 de la décision no 2/76 et l’article 13 de la décision no 1/80. Le 23 décembre 2014, le secrétaire d’État a réfuté l’argument selon lequel une telle obligation serait constitutive d’une nouvelle restriction au sens de ces dispositions, l’obligation de coopérer à l’enregistrement des données à des fins d’identification découlant déjà d’une législation de 1965. S’il est vrai que la prise et le traitement des données affectent les articles 7 et 8 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ( 13 ), cette atteinte serait justifiée par un objectif légitime. Le secrétaire d’État a estimé que la prise et le traitement de données biométriques n’étaient pas davantage contraires à l’article 9 de l’accord d’association ( 14 ). Contrairement au cas des citoyens de l’Union, le titre de séjour des ressortissants turcs lors d’une première admission est de nature non pas déclarative mais constitutive, ce qui justifierait que les données biométriques de ces premiers ne soient ni prélevées ni stockées. Le secrétaire d’État a par ailleurs souligné que les passeports des citoyens de l’Union contenaient des données biométriques.

9.

A est un ressortissant turc né en 1966, employé depuis le 1er décembre 2013 pour une durée de cinq ans comme chauffeur routier international. Le 15 novembre 2013, la personne de référence de A – c’est-à-dire son employeur – a introduit une demande aux fins de la délivrance à A d’une autorisation de séjour provisoire en vue de l’exercice d’une activité salariée. Le 28 mars 2014, le secrétaire d’État a fait droit à cette demande. La décision d’octroi prévoyait toutefois que l’autorisation sollicitée ne serait accordée qu’une fois que A aurait fourni ses données biométriques. Après avoir coopéré à la prise desdites données, A a introduit un recours administratif contre la prise et le traitement de ses données biométriques. Le secrétaire d’État a statué sur ce recours le 6 janvier 2015 en adoptant la même position que celle indiquée dans sa décision du 23 décembre 2014 par laquelle il a rejeté le recours administratif de B et de P.

10.

A, d’une part, et B et P, d’autre part, ont introduit un recours contre ces deux décisions du secrétaire d’État devant le rechtbank den Haag (tribunal de La Haye, Pays-Bas) qui a rendu ses deux jugements le 3 février 2016. Le rechtbank den Haag (tribunal de La Haye) a d’abord jugé que l’obligation de coopérer à la prise et au traitement des données biométriques, qui conditionne la délivrance d’une autorisation de séjour provisoire, constituait une condition formelle de l’admission sur le territoire néerlandais et, en tant que telle, une condition nouvelle eu égard aux données concernées. Il a ensuite jugé que l’objectif poursuivi par une telle obligation, c’est-à-dire la prévention et la lutte contre les fraudes à l’identité et documentaires, était légitime. Il a enfin considéré l’obligation en cause comme disproportionnée par rapport à l’objectif légitime poursuivi. À cet égard, le rechtbank den Haag (tribunal de La Haye) a jugé que le secrétaire d’État n’avait pas établi à suffisance la nécessité que les données biométriques soient traitées dans le fichier des ressortissants étrangers prévu à l’article 107, paragraphe 1, de la loi sur les étrangers. Il n’a, selon lui, pas été démontré que les ressortissants turcs auraient davantage recours à des documents de voyage falsifiés ou à des documents authentiques délivrés sur la base de documents falsifiés que les autres ressortissants d’États tiers. L’argument selon lequel la constitution d’un tel fichier serait nécessaire pour s’assurer que le détenteur du document de voyage – lequel contient déjà des données biométriques – n’avait pas déjà introduit une demande sous une autre identité n’a pas été retenu en raison du fait que la situation des ressortissants turcs ne serait, à cet égard, pas différente de celle des citoyens de l’Union n’ayant pas la nationalité néerlandaise à propos desquels la législation nationale ne prévoit pourtant pas le versement des données biométriques dans un fichier central. Enfin, le rechtbank den Haag (tribunal de La Haye) a jugé que la mise à disposition des données biométriques à des fins de l’identification des auteurs d’infractions pénales allait au-delà de ce qui était nécessaire pour atteindre l’objectif légitime. Le rechtbank den Haag (tribunal de La Haye) a jugé que l’obligation de coopérer au prélèvement de ses données biométriques et de consentir au traitement desdites données dans le fichier central, en vertu de l’article 107 de la loi sur les étrangers, constituait une nouvelle restriction prohibée par l’article 7 de la décision no 2/76 et par l’article 13 de la décision no 1/80.

11.

Le secrétaire d’État s’est pourvu devant la juridiction de renvoi et soutient devant elle que le prélèvement et le traitement des données biométriques dans un fichier de ressortissants d’États tiers est nécessaire pour atteindre l’objectif légitime de prévention et de lutte contre les fraudes à l’identité. L’identification grâce à la comparaison des dix empreintes digitales serait plus fiable, la période de conservation des données nécessaire et proportionnée au regard de l’objectif d’établir de façon fiable l’identité des ressortissants étrangers. Le pouvoir de traiter les données biométriques serait limité dans le temps et prendrait fin, selon le secrétaire d’État, le 1er mars 2021. En ce qui concerne la mise à disposition des données biométriques à des fins d’identification d’auteurs d’infractions pénales, elle servirait l’objectif légitime de préservation de l’ordre public et serait proportionnée.

12.

La juridiction de renvoi part du postulat selon lequel le pouvoir de prendre et de traiter des données biométriques de ressortissants turcs constitue une nouvelle restriction au sens de l’article 7 de la décision no 2/76 et de l’article 13 de la décision no 1/80. S’appuyant notamment sur l’arrêt Genc ( 15 ) aux termes duquel une restriction nouvelle est prohibée sauf à ce qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif légitime poursuivi et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre, cette juridiction s’interroge essentiellement sur le caractère nécessaire et proportionné de la prise et du traitement des données biométriques. D’une part, elle doute de la nécessité et de la proportionnalité de la constitution d’un fichier des étrangers dans lequel les données biométriques sont conservées pour une durée relativement longue. D’autre part, elle se demande si le fait que le fichier puisse être mis à disposition des autorités de police dans le cadre de la détermination de l’identité de l’auteur d’une infraction pénale n’est pas de nature à aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif légitime en lien avec la répression pénale.

13.

C’est dans ces conditions que le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et, par décision parvenue au greffe de la Cour le 2 février 2018, a adressé les questions préjudicielles suivantes à cette dernière :

« 1)

a)

Faut-il interpréter, respectivement, l’article 7 de la [décision no 2/76] et l’article 13 de la [décision no 1/80] en ce sens que ces dispositions ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit, en termes généraux, le traitement et la conservation de données biométriques de ressortissants d’États tiers, y compris turcs, dans un fichier au sens de [l’article 2, sous a) et b)], de la [directive 95/46 du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ( 16 )], car cette réglementation nationale ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire à la réalisation de l’objectif légitime [poursuivi], [à savoir la] prévention et [la] lutte contre les fraudes à l’identité et documentaires ?

b)

Le fait que la durée de conservation des données biométriques soit liée à celle du séjour légal et/ou illégal des ressortissants d’États tiers, notamment turcs, est-il un élément à prendre en compte à cet égard ?

2)

L’article 7 de la [décision no 2/76] et l’article 13 de la [décision no 1/80] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’une réglementation nationale ne constitue pas une restriction au sens de ces dispositions lorsque son effet sur l’accès à l’emploi tel que visé par celles-ci est trop aléatoire et indirect pour que l’on puisse conclure à l’existence d’une entrave à cet accès ?

3)

a)

S’il y a lieu de répondre à la [deuxième] question qu’une réglementation nationale permettant la mise à disposition de tiers de données biométriques de ressortissants de pays tiers, y compris turcs, contenues dans un fichier à des fins de prévention, de détection et d’investigation d’infractions – terroristes ou non – constitue une restriction nouvelle, faut-il interpréter l’article 52, paragraphe 1, de la [Charte], lu conjointement avec les articles 7 et 8 de ladite Charte, en ce sens que cette disposition s’oppose à une telle réglementation nationale ?

b)

Le fait que le ressortissant de pays tiers ait sur lui, au moment où il est arrêté comme suspect de la commission d’une infraction, un document de séjour contenant ses données biométriques est-il un élément à prendre en compte à cet égard ? »

14.

La présente affaire a bénéficié d’observations écrites déposées par A, les gouvernements néerlandais, danois et du Royaume-Uni ainsi que par la Commission européenne.

15.

Lors de l’audience qui s’est tenue devant la Cour le 17 janvier 2019, A, les gouvernements néerlandais et irlandais ainsi que la Commission ont été entendus en leurs plaidoiries.

III. Analyse

A.   Remarques préliminaires

16.

Je souhaite faire précéder l’analyse de trois séries de remarques préliminaires.

17.

En premier lieu, tant l’article 7 de la décision no 2/76 que l’article 13 de la décision no 1/80 énoncent une clause non équivoque de « standstill » pour ce qui est de l’introduction de nouvelles restrictions à l’accès à l’emploi des travailleurs se trouvant en situation régulière en ce qui concerne leur séjour et leur emploi sur le territoire des États contractants ( 17 ). Ces clauses prohibent donc de manière générale l’introduction de toute nouvelle mesure interne ayant pour objet ou pour effet de soumettre l’exercice par un ressortissant turc de la libre circulation des travailleurs sur le territoire national à des conditions plus restrictives que celles qui étaient applicables à la date d’entrée en vigueur desdites décisions à l’égard de l’État membre concerné ( 18 ). La Cour a déjà jugé que l’article 7 de la décision no 2/76 s’applique ratione temporis aux mesures nationales introduites au cours de la période allant du 20 décembre 1976 au 30 novembre 1980 et que l’article 13 de la décision no 1/80 s’applique, quant à lui, ratione temporis aux mesures nationales introduites à partir du 1er décembre 1980 ( 19 ). Le régime en cause au principal découlant de lois et d’arrêtés adoptés après cette date, son examen relève du seul champ d’application temporel de l’article 13 de la décision no 1/80 et c’est à la lumière de cette unique disposition que j’analyserai ledit régime.

18.

En deuxième lieu, je remarque que la Cour n’est pas saisie de la question de savoir si, oui ou non, le régime en cause au principal constitue une nouvelle restriction d’un point de vue chronologique ni de celle de savoir s’il poursuit une raison impérieuse d’intérêt général au sens de la jurisprudence de la Cour. Il s’agit là des deux premières étapes du test que la Cour mène pour déterminer si elle est en présence d’une nouvelle restriction compatible avec l’article 13 de la décision no 1/80 ( 20 ). Seule la question de la nécessité et de la proportionnalité est soumise à la Cour. Si nous sommes, bien sûr, tenus par les questions qui nous sont adressées, j’émets toutefois des réserves quant à l’affirmation selon laquelle l’obligation de coopérer au prélèvement des données biométriques serait per se constitutive d’une nouvelle restriction. À cet égard, il ressort du dossier que, depuis l’année 1965, des données biométriques pouvaient être prises si, de l’avis du fonctionnaire en charge de la surveillance des frontières ou du contrôle des étrangers, cela apparaissait justifié pour des raisons légitimes ( 21 ). Dans ces conditions, il serait envisageable de considérer que les dispositions résultant de la version modifiée en 2013 de la loi sur les étrangers et obligeant notamment les travailleurs turcs et les membres de leur famille à coopérer au prélèvement des dix empreintes digitales et à une photo faciale ne s’entendent pas, à proprement parler, comme une nouvelle restriction mais plutôt comme un nouveau développement technologique d’une exigence d’identification qui existait déjà dans le droit néerlandais avant l’entrée en vigueur de la décision no 1/80. L’on pourrait donc mettre en doute l’existence d’une telle restriction.

19.

Toutefois, l’on ne saurait occulter le fait que le régime en cause au principal ne se borne pas à imposer le prélèvement des données biométriques mais prévoit également leur traitement dans un fichier consultable par des tiers à des fins diverses ainsi que leur conservation pendant une durée qui peut se révéler très longue. Le nouveau développement technologique dont je faisais préalablement mention a entraîné avec lui une atteinte potentielle aux droits des travailleurs turcs justifiant que le régime en cause au principal soit considéré comme relevant de la notion de « nouvelle restriction » par rapport à la portée de l’obligation imposée en 1965.

20.

Par ailleurs, il est utile de rappeler que la Cour a déjà reconnu que l’article 13 de la décision no 1/80 s’oppose à l’introduction dans la réglementation des États membres, à compter de la date d’entrée en vigueur dans l’État membre concerné de la décision no 1/80, de toutes nouvelles restrictions à l’exercice de la libre circulation des travailleurs, y compris celles portant sur les conditions de fond et/ou de procédure en matière de première admission sur le territoire de cet État membre des ressortissants turcs se proposant d’y faire usage de cette liberté ( 22 ), comme cela semble être le cas de A. Prima facie, le régime en cause au principal paraît donc bien relever du champ d’application ratione materiae de l’article 13 de la décision no 1/80 ( 23 ).

21.

En troisième lieu, je remarque que la juridiction de renvoi a déjà constaté elle-même l’existence de deux raisons impérieuses d’intérêt général, l’une tenant à la prévention et à la lutte contre les fraudes à l’identité et documentaires, l’autre tenant à la prévention, la détection et l’investigation d’infractions pénales. Ce constat doit être entériné par la Cour. En effet, la lutte contre les fraudes à l’identité et documentaires est à rapprocher de l’objectif de lutte contre l’entrée et le séjour illégaux, voire de l’objectif d’une gestion efficace des flux migratoires, déjà qualifiés par la Cour de raison impérieuse d’intérêt général ( 24 ). La prévention, la détection et l’investigation d’infractions pénales, bien que n’ayant pas encore été consacrées – à ma connaissance – comme raison impérieuse d’intérêt général par la Cour dans le contexte de l’accord d’association, doit être considérée comme un corollaire du maintien de l’ordre public susceptible de justifier une nouvelle restriction en vertu de l’article 14, paragraphe 1, de la décision no 1/80 ( 25 ) et constitue, à ce titre, un objectif pouvant être légitimement poursuivi.

22.

Cela étant posé, venons-en à l’analyse de la première question.

B.   Sur la première question préjudicielle

23.

Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si le régime en cause au principal qui prévoit le traitement et la conservation des données biométriques des ressortissants de pays tiers, y compris les travailleurs turcs et les membres de leur famille, à des fins de prévention et de lutte contre les fraudes à l’identité et documentaires ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour la réalisation de l’objectif légitime poursuivi. La juridiction de renvoi se demande si, à cet égard, la durée de conservation est un élément à prendre en considération. L’enjeu de cette question est de déterminer si la restriction nouvelle, qui consiste à imposer aux ressortissants turcs concernés de coopérer au relevé de leurs données biométriques pour que celles-ci soient par la suite versées et traitées dans le fichier des étrangers, est justifiée au sens de l’article 13 de la décision no 1/80.

24.

En substance, les principales caractéristiques du régime en cause au principal peuvent être résumées comme suit. Les ressortissants d’États tiers sont tenus, sauf exception ( 26 ), de coopérer au prélèvement de leurs dix empreintes digitales ainsi que d’une photo faciale dès lors qu’il est envisagé de leur délivrer une autorisation de séjour provisoire. Cette autorisation prend la forme d’une vignette apposée sur le document de voyage en cours de validité. La vignette contient les données biométriques de son titulaire. Deux empreintes seront stockées sur le permis de séjour délivré une fois l’individu concerné arrivé sur le territoire néerlandais. L’intégralité des données prélevées est, par ailleurs, versée au registre biométrique des étrangers qui constitue une partie du fichier des étrangers. Le fichier, en ce compris le registre, ne peut être consulté que par des collaborateurs spécifiquement habilités à cette fin par les autorités associées à la mise en œuvre de la politique nationale relative aux étrangers, c’est-à-dire, en principe, le personnel des postes diplomatiques et consulaires dans l’exercice de leurs tâches. En ce qui concerne les autorités d’accueil, celles-ci se bornent à procéder à des vérifications, le cas échéant en consultant le fichier. La mise en place de ce fichier, dans sa partie biométrique, répond à l’exigence de s’assurer non seulement de l’identité propre à la personne qui détient et présente le document de voyage mais également de l’adéquation entre le titulaire de l’autorisation de séjour provisoire et la personne qui en a formé la demande. La comparaison des données du demandeur avec les données déjà insérées dans le fichier permet, par ailleurs, aux autorités de s’assurer que le demandeur n’a pas déjà introduit de demande sous une autre identité ni n’a déjà séjourné de manière irrégulière sur le territoire néerlandais. Les données sont conservées dans le fichier pour une durée de cinq ans après le rejet de la demande, le départ de l’individu concerné à la fin d’un séjour régulier ou la perte de validité d’une interdiction d’entrée ou d’une déclaration d’indésirabilité. Les données biométriques seront détruites immédiatement en cas de naturalisation de l’individu concerné. La durée de conservation, relativement longue, s’expliquerait au regard de l’objectif poursuivi de lutter contre les échanges d’identités, un tel échange pouvant survenir après que l’individu concerné a mis fin à son séjour sur le territoire néerlandais.

25.

Pour répondre à la question posée, il faut d’abord relever que les données biométriques sont des données personnelles sensibles dont l’utilisation et le traitement doivent être encadrés. En tant que telles, elles sont protégées par l’article 8 de la Charte. Leur rôle dans l’identification des personnes a déjà été reconnu dans la jurisprudence de la Cour. En particulier, cette dernière a déjà jugé que les empreintes digitales relèvent de la notion de « données personnelles » dès lors qu’elles contiennent objectivement des informations uniques sur des personnes physiques et permettent leur identification précise ( 27 ). Le législateur de l’Union a prévu d’avoir recours à ce type de données en vue de l’établissement de l’identité des citoyens de l’Union ( 28 ) ou des ressortissants d’États tiers ( 29 ). Par ailleurs, l’action des autorités nationales consistant dans le prélèvement et la conservation d’empreintes digitales sur la vignette et dans le fichier central des étrangers doit être considérée comme constituant un traitement de données à caractère personnel lui aussi encadré ( 30 ).

26.

Est susceptible de constituer une atteinte au droit à la protection des données à caractère personnel tout traitement des données à caractère personnel par un tiers ( 31 ). Les dérogations à la protection des données à caractère personnel et les limitations de celle-ci doivent s’opérer dans les limites du strict nécessaire ( 32 ). C’est donc à la lumière de ces considérations que le caractère nécessaire et proportionné du régime en cause au principal doit être apprécié. Pour ce faire, devront être examinées la nécessité du prélèvement et du stockage pour la réalisation de l’objectif poursuivi, la nature des données, leur quantité ainsi que la durée de conservation et les conditions dans lesquelles elles peuvent être consultées dans le fichier.

27.

Comme je l’ai déjà dit, il apparaît tout à fait légitime pour un État membre de chercher à s’assurer, au travers de la détermination des conditions d’entrée sur son territoire, de l’identité correcte du demandeur d’une autorisation de séjour provisoire. Le stockage de deux empreintes digitales dans la vignette permet de s’assurer du fait que le détenteur de ladite vignette est bien la personne à laquelle une telle autorisation a effectivement été délivrée. Quant au versement des données biométriques des demandeurs dans le fichier central des étrangers, là encore, cela m’apparaît nécessaire dans la mesure où le gouvernent néerlandais, soutenu en ce sens par les autres gouvernements intervenus au cours de la présente procédure préjudicielle, a fait état de la nécessité de lutter contre les utilisations frauduleuses d’identité, ce qui peut requérir de s’assurer qu’un demandeur n’a pas déjà déposé une demande sous une identité différente en comparant ses empreintes avec celles déjà enregistrées.

28.

La nature des données collectées est évidemment cohérente avec l’objectif poursuivi eu égard au lien intrinsèque entre les données biométriques et l’identité des personnes.

29.

La quantité des données n’apparaît pas excessive. Le législateur de l’Union a d’ailleurs fait le choix de soumettre les demandeurs de visas à l’obligation de fournir leurs dix empreintes digitales ainsi qu’une photo faciale ( 33 ). De telles données font également l’objet d’un traitement dans le système d’information sur les visas ( 34 ) dont le but est d’améliorer la mise en œuvre de la politique commune en matière de visas et de lutte contre la fraude.

30.

La durée de conservation doit, bien sûr, être prise en considération au moment d’établir la proportionnalité de la nouvelle restriction, au sens de l’article 13 de la décision no 1/80. Il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une telle durée doit toujours répondre à des critères objectifs, établissant un rapport entre les données à caractère personnel à conserver et l’objectif poursuivi ( 35 ). Le gouvernement néerlandais reconnaît que la durée de conservation sera, en pratique, très souvent supérieure à cinq ans, le délai de conservation étant lié à la durée du séjour aux Pays-Bas. Pour autant, il apparaît que ce délai est fixé en considération de l’objectif poursuivi. L’exigence de s’assurer de l’identité du demandeur d’une autorisation de séjour provisoire ne disparaît pas immédiatement une fois l’individu concerné entré sur le territoire néerlandais ou une fois qu’il a quitté ce dernier. Ladite identité pourra encore être vérifiée à mesure que son droit de séjour sera réexaminé ou consolidé. De la même manière, la lutte contre la fraude à l’identité et contre les identités multiples peut justifier une conservation longue des données biométriques dans le fichier des étrangers. Cela peut d’ailleurs jouer en faveur des ressortissants d’États tiers déjà présents sur le territoire néerlandais dans l’hypothèse où une demande d’autorisation de séjour provisoire serait introduite en leur nom, et donc sous leur fausse identité. Le personnel consulaire pourrait alors, par exemple, se rendre compte qu’à l’identité déclarée correspondent des données biométriques déjà prélevées. La Commission a fait utilement remarquer à ce propos que sa proposition de modification du règlement VIS prévoit que le délai de conservation des données relatives aux demandeurs de visas, de visas de longue durée, voire de permis de séjour, serait porté à cinq ans à partir de la fin de validité de ces titres ( 36 ).

31.

Les conditions dans lesquelles la consultation du fichier est prévue sont en ligne avec sa fonction et l’objectif poursuivi puisque ce sont les personnels des postes consulaires et diplomatiques qui sont habilités à alimenter et à consulter le fichier, toujours à des fins de vérification de l’identité du demandeur et de l’absence d’usurpation ou de fraude à l’identité. Les autorités d’accueil ne pourront que le consulter à ces mêmes fins.

32.

Partant, l’examen du régime en cause au principal n’a fait apparaître aucun motif susceptible de remettre en question le caractère nécessaire et proportionné de la nouvelle restriction au regard de l’objectif de lutte contre la fraude à l’identité et documentaire.

33.

Il résulte dès lors de ce qui précède que l’article 13 de la décision no 1/80 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas au régime en cause au principal qui fait obligation aux travailleurs turcs souhaitant entrer sur le territoire néerlandais pour y exercer une activité salariée et aux membres de la famille des travailleurs trucs déjà présents sur ce territoire souhaitant les y rejoindre, afin d’obtenir une autorisation de séjour provisoire aux Pays-Bas en vue d’un séjour d’une durée supérieure à 90 jours nécessaire en vue de l’entrée sur le territoire néerlandais, de coopérer au prélèvement de leurs dix empreintes digitales et d’une photo faciale en vue de leur stockage et de leur traitement dans un fichier des étrangers pouvant être consulté par les personnels des autorités consulaires, diplomatiques et d’accueil à des fins de prévention et de lutte contre la fraude à l’identité et documentaire, et alors que ces données seront conservées pour une durée de cinq ans suivant le rejet de la demande d’autorisation de séjour provisoire, le départ des Pays-Bas à la fin d’un séjour régulier ou la perte de validité d’une interdiction d’entrée ou d’une déclaration d’indésirabilité.

C.   Sur les deuxième et troisième questions préjudicielles

34.

Par sa deuxième question adressée à la Cour, la juridiction de renvoi cherche à déterminer si la législation nationale en cause au principal est susceptible de ne pas relever de la notion de « nouvelle restriction » au sens de l’article 13 de la décision no 1/80 dans la mesure où son effet sur l’accès à l’emploi des ressortissants turcs devait se révéler trop aléatoire et indirect pour que l’on puisse conclure à l’existence d’une entrave audit accès. En dépit de sa formulation générale, il ressort de la demande de décision préjudicielle que cette question est posée au regard de la deuxième fonctionnalité du fichier des étrangers, à savoir celle poursuivant l’objectif tenant à la prévention, la détection et l’investigation des infractions pénales.

35.

Comme je l’ai déjà rappelé, la clause de « standstill » énoncée à l’article 13 de la décision no 1/80 prohibe de manière générale l’introduction de toute nouvelle mesure qui aurait pour objet ou pour effet de soumettre l’exercice par un ressortissant turc d’une liberté économique sur le territoire de l’État membre concerné à des conditions plus restrictives que celles qui lui étaient applicables à la date d’entrée en vigueur de ladite décision. C’est donc dans l’hypothèse où la nouvelle restriction est de nature à affecter la liberté de A d’exercer une activité salariée aux Pays‑Bas que l’application du régime national en cause au principal devrait être écartée. Par ailleurs, la décision de P de s’établir et, surtout, de rester aux Pays-Bas en sa qualité de travailleuse turque pourrait également être influencée négativement si la législation nationale rendait difficile ou impossible le regroupement familial avec B de sorte que P pourrait alors être obligée de choisir entre son activité aux Pays-Bas et sa vie de famille en Turquie ( 37 ). La question est donc ici de savoir si la seule potentialité de l’utilisation des données biométriques des ressortissants turcs – travailleurs ou membres de la famille des travailleurs – à des fins pénales est de nature à affecter l’exercice d’une activité économique par lesdits travailleurs et constitue donc bien une « nouvelle restriction », au sens de l’article 13 de la décision no 1/80, à l’exercice de la libre circulation par ces travailleurs turcs.

36.

À cet égard, il faut rappeler la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle il doit être inféré du libellé de l’accord d’association ainsi que de l’objectif de la décision no 1/80 que les principes admis dans le cadre des articles 45 et 46 TFUE doivent être transposés, dans la mesure du possible, aux ressortissants turcs bénéficiant des droits reconnus par ladite décision ( 38 ). Il y a donc lieu de s’inspirer de la jurisprudence de la Cour consacrée à la notion d’« entrave à la libre circulation des travailleurs de l’Union » afin de déterminer si le régime en cause au principal, en ce qu’il prévoit que les données biométriques recueillies auprès des ressortissants turcs au moment de la délivrance de l’autorisation de séjour provisoire pour venir exercer une activité salariée sur le territoire néerlandais ou pour rejoindre sur ce territoire un travailleur turc déjà présent, pourront être consultées à des fins d’identification d’auteurs d’infractions pénales, est susceptible d’affecter l’exercice par les ressortissants turcs concernés de leur activité économique.

37.

La juridiction de renvoi ainsi que le gouvernement néerlandais ont notamment invoqué l’arrêt Graf ( 39 ). Il ressort de cet arrêt, rendu en matière de libre circulation des travailleurs de l’Union, que, si l’effet restrictif d’une mesure nationale apparaît trop aléatoire et indirect, elle ne sera pas considérée comme étant de nature à entraver la libre circulation des travailleurs ( 40 ).

38.

Or, l’événement consistant en la mise à disposition, dans le fichier des étrangers, des données biométriques de A ou de B afin d’aider à l’identification de suspects d’infractions pénales m’apparaît être trop aléatoire et indirect pour constituer une restriction à l’exercice de la liberté de circulation dont sont titulaires les travailleurs turcs.

39.

Le régime en cause au principal, en ce qu’il prévoit la mise à disposition des données biométriques des travailleurs turcs et des membres de leur famille à des fins d’identification d’auteurs d’infractions pénales, n’est, selon moi, pas de nature à empêcher ou à dissuader lesdits travailleurs de séjourner et d’exercer une activité économique sur le territoire des Pays-Bas car cette mise à disposition dépend d’une série d’événements futurs et hypothétiques, à savoir a) le fait d’être soupçonné d’avoir commis une infraction pour la répression de laquelle une recherche dans le fichier des étrangers est possible ou le fait que l’intérêt de l’enquête exige la consultation du fichier, b) le fait qu’il existe des soupçons raisonnables que l’auteur de l’infraction est un ressortissant d’États tiers, c) le fait que le comportement dudit étranger soit source de graves préoccupations et, enfin, d) le fait que ladite recherche soit demandée par le ministère public et autorisée par le juge ( 41 ).

40.

J’ai donc du mal à imaginer que P serait dissuadée de rester travailler aux Pays-Bas en raison du fait que les données biométriques de son époux seront éventuellement mises à disposition des autorités compétentes dans l’hypothèse où celui-ci serait soupçonné de manière sérieuse d’avoir participé à la commission d’une infraction ou que A serait prêt à renoncer à son activité de chauffeur international pour cette raison. L’affirmation du gouvernement néerlandais, qui n’a pas été contestée par les parties ayant pris part à la procédure devant la Cour, selon laquelle le fichier des étrangers est consulté, à des fins pénales, entre 10 et 30 fois par an confirme, à mon sens, l’effet trop aléatoire et indirect d’une telle consultation sur l’exercice de la liberté économique dont sont titulaires les travailleurs turcs. Le gouvernement néerlandais a également confirmé lors de l’audience, en réponse à une question de la Cour, que les données des requérants au principal n’avaient pas été utilisées dans le cadre d’une procédure pénale.

41.

Dans ces conditions, le régime en cause au principal, en ce qu’il permet la mise à disposition de tiers de données biométriques des travailleurs turcs et des membres de leur famille contenues dans un fichier à des fins de prévention, de détection et d’investigation d’infractions ne constitue pas une nouvelle restriction au sens de l’article 13 de la décision no 1/80 en raison de son effet trop aléatoire et indirect sur l’accès à l’emploi desdits travailleurs.

42.

Puisque la troisième question préjudicielle est adressée à la Cour dans l’hypothèse d’une réponse affirmative à la deuxième question, il n’y a pas lieu, selon mon analyse, de l’examiner.

IV. Conclusion

43.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas) :

1)

L’article 13 de la décision no 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas au régime en cause au principal qui fait obligation aux travailleurs turcs souhaitant entrer sur le territoire néerlandais pour y exercer une activité salariée et aux membres de la famille des travailleurs trucs déjà présents sur ce territoire souhaitant les y rejoindre, afin d’obtenir une autorisation de séjour provisoire aux Pays‑Bas en vue d’un séjour d’une durée supérieure à 90 jours nécessaire en vue de l’entrée sur le territoire néerlandais, de coopérer au prélèvement de leurs dix empreintes digitales et d’une photo faciale en vue de leur stockage et de leur traitement dans un fichier des étrangers pouvant être consulté par les personnels des autorités consulaires, diplomatiques et d’accueil à des fins de prévention et de lutte contre la fraude à l’identité et documentaire, et alors que ces données seront conservées pour une durée de cinq ans suivant le rejet de la demande d’autorisation de séjour provisoire, le départ des Pays‑Bas à la fin d’un séjour régulier ou la perte de validité d’une interdiction d’entrée ou d’une déclaration d’indésirabilité.

2)

Le régime en cause au principal, en ce qu’il permet la mise à disposition de tiers de données biométriques des travailleurs turcs et des membres de leur famille contenues dans un fichier à des fins de prévention, de détection et d’investigation d’infractions ne constitue pas une nouvelle restriction au sens de l’article 13 de la décision no 1/80 en raison de son effet trop aléatoire et indirect sur l’accès à l’emploi desdits travailleurs.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Aux termes duquel « [l]es États membres de la Communauté et la Turquie ne peuvent introduire de nouvelles restrictions concernant les conditions d’accès à l’emploi des travailleurs qui se trouvent sur leur territoire respectif en situation régulière en ce qui concerne leur séjour et leur emploi ».

( 3 ) JO 1964, 217, p. 3685.

( 4 ) Aux termes duquel « [l]es États membres de la Communauté et de la Turquie ne peuvent introduire de nouvelles restrictions concernant les conditions d’accès à l’emploi des travailleurs et des membres de leur famille qui se trouvent sur leur territoire respectif en situation régulière en ce qui concerne le séjour et l’emploi ».

( 5 ) Article 54, paragraphe 1, sous c), de la Vreemdelingenwet 2000 (loi de 2000 sur les étrangers), telle que modifiée par la Wet van 11 december 2013 tot wijziging van de Vreemdelingenwet 2000 in verband met de uitbreiding van het gebruik van biometrische kenmerken in de vreemdelingenketen in verband met het verbeteren van de identiteitsvaststelling van de vreemdeling (loi du 11 décembre 2013 modifiant la loi de 2000 sur les étrangers en ce qui concerne l’utilisation élargie des identificateurs biométriques dans le cadre de la coopération entre les organes compétents en matière d’étrangers en vue d’améliorer l’identification d’un ressortissant étranger, entrée en vigueur le 1er mars 2014 (Stb. 2014, no 2, ci-après la « loi sur les étrangers »).

( 6 ) Article 107, paragraphe 2, de la loi sur les étrangers.

( 7 ) Article 107, paragraphe 5, de la loi sur les étrangers.

( 8 ) Cela est le cas, en principe, pour toute infraction passible d’une peine d’au moins quatre ans de prison, pour les cas spécifiques prévus par le code pénal néerlandais et par les lois spéciales.

( 9 ) Article 107, paragraphe 6, sous a), de la loi sur les étrangers.

( 10 ) Article 107, paragraphe 6, sous b), de la loi sur les étrangers.

( 11 ) Article 107, paragraphe 9, de la loi sur les étrangers. Voir, également, article 8.35 du Vreemdelingenbesluit 2000 (arrêté sur les étrangers de 2000).

( 12 ) Dans la mesure où la demande de regroupement familial semble fondée sur les dispositions de la décision no 1/80, il y a lieu de présumer que P a la qualité de travailleuse turque, au sens de ladite décision, déjà présente sur le territoire néerlandais. Il faut également présumer que l’activité de P est une activité salariée.

( 13 ) Ci-après la « Charte ».

( 14 ) Aux termes duquel « [l]es Parties contractantes reconnaissent que dans le domaine d’application de l’accord, et sans préjudice des dispositions particulières qui pourraient être établies en application de l’article 8, toute discrimination exercée en raison de la nationalité est interdite en conformité du principe énoncé dans l’article 7 du traité instituant la Communauté ».

( 15 ) Arrêt du 12 avril 2016 (C‑561/14, EU:C:2016:247, point 51).

( 16 ) JO 1995, L 281, p. 31.

( 17 ) Voir arrêt du 7 août 2018, Yön (C‑123/17, EU:C:2018:632, point 38 et jurisprudence citée).

( 18 ) Voir arrêt du 7 août 2018, Yön (C‑123/17, EU:C:2018:632, point 39 et jurisprudence citée).

( 19 ) Voir arrêt du 7 août 2018, Yön (C‑123/17, EU:C:2018:632, points 40 à 48).

( 20 ) Pour un rappel de ce test, voir point 12 des présentes conclusions.

( 21 ) Voir point 7 de la demande de décision préjudicielle qui cite la Vreemdelingenwet 1965 (loi sur les étrangers de 1965) et le Vreemdelingenbesluit 1966 (arrêté sur les étrangers de 1966).

( 22 ) Voir arrêts du 29 avril 2010, Commission/Pays-Bas (C‑92/07, EU:C:2010:228, point 49), et du 7 novembre 2013, Demir (C‑225/12, EU:C:2013:725, point 34 et jurisprudence citée).

( 23 ) À cet égard, je rappelle que les questions préjudicielles dont la Cour est saisie portent exclusivement sur la compatibilité du régime en cause avec l’article 13 de la décision no 1/80, à l’exclusion de la question de la compatibilité avec l’article 9 de l’accord d’association CEE-Turquie invoquée par le secrétaire d’État dans le cadre de la procédure devant le juge de première instance (voir point 8 des présentes conclusions).

( 24 ) Voir, respectivement, arrêt du 7 novembre 2013, x (C‑225/12, EU:C:2013:725, point 41) ; du 29 mars 2017, Tekdemir (C‑652/15, EU:C:2017:239, point 39), ainsi que du 7 août 2018, Yön (C‑123/17, EU:C:2018:632, point 77).

( 25 ) Aux termes duquel « [l]es dispositions de la présente section sont appliquées sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité et de santé publiques ».

( 26 ) Il ressort du dossier que l’obligation de prélèvement n’est pas imposée aux enfants de moins de 6 ans ni aux personnes dans l’incapacité physique de se soumettre à une telle obligation.

( 27 ) Voir arrêt du 17 octobre 2013, Schwarz (C‑291/12, EU:C:2013:670, point 27).

( 28 ) Voir, notamment, règlement (CE) no 2252/2004 du Conseil, du 13 décembre 2004, établissant des normes pour les éléments de sécurité et les éléments biométriques intégrés dans les passeports et les documents de voyage délivrés par les États membres (JO 2004, L 385, p. 1).

( 29 ) Voir, notamment, règlement (CE) no 810/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, établissant un code communautaire des visas (code des visas) (JO 2009, L 243, p. 1).

( 30 ) Voir article 8, paragraphe 2, de la Charte.

( 31 ) Voir arrêt du 17 octobre 2013, Schwarz (C‑291/12, EU:C:2013:670, point 25).

( 32 ) Arrêt du 21 décembre 2016, Tele2 Sverige et Watson e.a. (C‑203/15 et C‑698/15, EU:C:2016:970, point 96).

( 33 ) Voir article 13 du code des visas.

( 34 ) Voir règlement (CE) no 767/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 9 juillet 2008, concernant le système d’information sur les visas (VIS) et l’échange de données entre les États membres sur les visas de court séjour (règlement VIS) (JO 2008, L 218, p. 60).

( 35 ) Voir avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017 (EU:C:2017:592, point 191 et jurisprudence citée).

( 36 ) Voir proposition d’article 23 de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) no 767/2008, le règlement (CE) no 810/2009, le règlement (UE) 2017/2226, le règlement (UE) 2016/399, le règlement no XX/2018 [règlement sur l’interopérabilité] et la décision 2004/512/CE et abrogeant la décision 2008/663/JAI du Conseil [COM(2018) 302 final, Bruxelles, 16 mai 2018].

( 37 ) Voir arrêt du 12 avril 2016, Genc (C‑561/14, EU:C:2016:247, points 39 et 40), ainsi que du 29 mars 2017, Tekdemir (C‑652/15, EU:C:2017:239, point 31). Voir, également, arrêt du 21 décembre 2016, Ucar et Kilic (C‑508/15 et C‑509/15, EU:C:2016:986, point 68). Voir, en ce qui concerne le lien entre la liberté d’établissement des travailleurs turcs et les conditions dans lesquelles le regroupement familial est autorisé, arrêts du 10 juillet 2014, Dogan (C‑138/13, EU:C:2014:2066, point 34 ainsi que jurisprudence citée, et point 35), et du 7 août 2018, Yön (C‑123/17, EU:C:2018:632, point 60 et jurisprudence citée).

( 38 ) Voir arrêts du 6 juin 1995, Bozkurt (C‑434/93, EU:C:1995:168, point 20) ; du 10 février 2000, Nazli (C‑340/97, EU:C:2000:77, points 50 et 54) ; du 19 novembre 2002, Kurz (C‑188/00, EU:C:2002:694, point 30 et jurisprudence citée), ainsi que du 8 décembre 2011, Ziebell (C‑371/08, EU:C:2011:809, points 52, 58 et 66).

( 39 ) Arrêt du 27 janvier 2000 (C‑190/98, EU:C:2000:49).

( 40 ) Voir arrêt du 27 janvier 2000, Graf (C‑190/98, EU:C:2000:49, points 23 à 25). Voir, également, arrêt du 13 mars 2019, Gemeinsamer Betriebsrat EurothermenResort Bad Schallerbach (C‑437/17, EU:C:2019:193, point 40).

( 41 ) Par analogie, voir arrêt du 27 janvier 2000, Graf (C‑190/98, EU:C:2000:49, point 24).