ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

29 juillet 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique commune en matière d’asile et de protection subsidiaire – Procédures communes pour l’octroi de la protection internationale – Directive 2013/32/UE – Article 46, paragraphe 3 – Examen complet et ex nunc – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit à un recours effectif – Étendue des pouvoirs de la juridiction de première instance – Absence de pouvoir de réformation – Refus de l’autorité administrative ou quasi juridictionnelle compétente de se conformer à une décision de cette juridiction »

Dans l’affaire C‑556/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Pécsi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Pécs, Hongrie), par décision du 5 septembre 2017, parvenue à la Cour le 22 septembre 2017, dans la procédure

Alekszij Torubarov

contre

Bevándorlási és Menekültügyi Hivatal,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice–présidente, M. A. Arabadjiev, Mme A. Prechal et M. M. Vilaras, présidents de chambre, MM. A. Rosas, E. Juhász, M. Ilešič (rapporteur), M. Safjan, D. Šváby, C. G. Fernlund, C. Vajda, N. Piçarra, Mme L. S. Rossi et M. I. Jarukaitis, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. I. Illéssy, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 janvier 2019,

considérant les observations présentées :

pour M. Torubarov, par Mes T. Fazekas et I. Bieber, ügyvédek,

pour le gouvernement hongrois, par MM. M. Z. Fehér et G. Koós ainsi que par Mme M. M. Tátrai, en qualité d’agents,

pour le gouvernement slovaque, par Mme B. Ricziová, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par Mme M. Condou-Durande et M. A. Tokár, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 avril 2019,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60), lu à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Alekszij Torubarov au Bevándorlási és Menekültügyi Hivatal (Office de l’immigration et de l’asile, Hongrie, ci-après l’« Office de l’immigration ») au sujet du rejet par ce dernier de sa demande de protection internationale.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2011/95/UE

3

L’article 1er de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9), prévoit :

« La présente directive a pour objet d’établir des normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés et les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection. »

4

L’article 2 de la directive 2011/95 énonce :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)

“protection internationale”, le statut de réfugié et le statut conféré par la protection subsidiaire [...]

[...]

d)

“réfugié”, tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 12 ;

[...]

f)

“personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire”, tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 15, l’article 17, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ;

[...] »

5

Les chapitres II à VI de cette directive portent, respectivement, sur l’évaluation des demandes de protection internationale, sur les conditions pour être considéré comme réfugié, sur le statut de réfugié, sur les conditions de la protection subsidiaire et sur le statut conféré par celle-ci.

6

L’article 13 de ladite directive, intitulé « Octroi du statut de réfugié » et faisant partie du chapitre IV de celle-ci, dispose :

« Les États membres octroient le statut de réfugié à tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui remplit les conditions pour être considéré comme réfugié conformément aux chapitres II et III. »

7

L’article 14 de la directive 2011/95, intitulé « Révocation, fin du statut de réfugié ou refus de le renouveler » et faisant partie du même chapitre IV, énonce :

« 1.   En ce qui concerne les demandes de protection internationale [...], les États membres révoquent le statut de réfugié octroyé par une autorité gouvernementale, administrative, judiciaire ou quasi judiciaire à un ressortissant d’un pays tiers ou à un apatride [...]

[...]

4.   Les États membres peuvent révoquer le statut octroyé à un réfugié par une autorité gouvernementale, administrative, judiciaire ou quasi judiciaire, [...]

[...] »

8

L’article 15 de cette directive, intitulé « Atteintes graves » et faisant partie du chapitre V de celle-ci, énumère les types d’atteintes ouvrant droit à la protection subsidiaire.

9

L’article 18 de ladite directive, intitulé « Octroi du statut conféré par la protection subsidiaire » et faisant partie du chapitre VI de celle-ci, est libellé comme suit :

« Les États membres octroient le statut conféré par la protection subsidiaire à un ressortissant d’un pays tiers ou à un apatride pouvant bénéficier de la protection subsidiaire conformément aux chapitres II et V. »

10

L’article 19 de la directive 2011/95, intitulé « Révocation, fin du statut conféré par la protection subsidiaire ou refus de le renouveler » et faisant partie du même chapitre VI, dispose :

«1.   En ce qui concerne les demandes de protection internationale [...], les États membres révoquent le statut conféré par la protection subsidiaire qui a été accordé par une autorité gouvernementale, administrative, judiciaire ou quasi judiciaire à un ressortissant d’un pays tiers ou à un apatride [...]

2.   Les États membres peuvent révoquer le statut conféré par la protection subsidiaire octroyé par une autorité gouvernementale, administrative, judiciaire ou quasi judiciaire [...]

[...] »

La directive 2013/32

11

Les considérants 18, 50 et 60 de la directive 2013/32 énoncent :

« (18)

Il est dans l’intérêt à la fois des États membres et des demandeurs d’une protection internationale que les demandes de protection internationale fassent l’objet d’une décision aussi rapide que possible, sans préjudice de la réalisation d’un examen approprié et exhaustif.

[...]

(50)

Conformément à un principe fondamental du droit de l’Union, les décisions prises en ce qui concerne une demande de protection internationale [...] font l’objet d’un recours effectif devant une juridiction.

[...]

(60)

La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par la Charte. Elle vise en particulier à garantir le plein respect de la dignité humaine et à favoriser l’application des articles 1er, 4, 18, 19, 21, 23, 24 et 47 de la Charte, et doit être mise en œuvre en conséquence. »

12

Selon son article 1er, la directive 2013/32 a pour objet d’établir des procédures communes d’octroi et de retrait de la protection internationale en vertu de la directive 2011/95.

13

L’article 2, sous f), de la directive 2013/32 définit l’« autorité responsable de la détermination » comme étant « tout organe quasi juridictionnel ou administratif d’un État membre, responsable de l’examen des demandes de protection internationale et compétent pour se prononcer en première instance sur ces demandes ».

14

Aux termes de l’article 46, paragraphes 1, 3 et 4, de cette directive :

« 1.   Les États membres font en sorte que les demandeurs disposent d’un droit à un recours effectif devant une juridiction contre les actes suivants :

a)

une décision concernant leur demande de protection internationale, y compris :

i)

les décisions considérant comme infondée une demande quant au statut de réfugié et/ou au statut conféré par la protection subsidiaire ;

[...]

[...]

3.   Pour se conformer au paragraphe 1, les États membres veillent à ce qu’un recours effectif prévoie un examen complet et ex nunc tant des faits que des points d’ordre juridique, y compris, le cas échéant, un examen des besoins de protection internationale en vertu de la directive [2011/95], au moins dans le cadre des procédures de recours devant une juridiction de première instance.

4.   Les États membres prévoient des délais raisonnables et énoncent les autres règles nécessaires pour que le demandeur puisse exercer son droit à un recours effectif en application du paragraphe 1. [...] »

15

L’article 51, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer [...] aux articles 32 à 46 [...] au plus tard le 20 juillet 2015. [...] »

16

Aux termes de l’article 52, premier alinéa, de la directive 2013/32 :

« Les États membres appliquent les dispositions législatives, réglementaires et administratives visées à l’article 51, paragraphe 1, aux demandes de protection internationale introduites [...] après le 20 juillet 2015 ou à une date antérieure. Les demandes introduites avant le 20 juillet 2015 [...] sont régies par les dispositions législatives, réglementaires et administratives adoptées en vertu de la directive 2005/85/CE [du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (JO 2005, L 326, p. 13)]. »

Le droit hongrois

La législation applicable aux procédures relatives à la protection internationale en vigueur avant le 15 septembre 2015

17

L’article 339, paragraphes 1 et 2, sous j), de la polgári perrendtartásról szóló 1952. évi III. törvény (loi no III de 1952 instituant le code de procédure civile), dans sa version en vigueur avant le 15 septembre 2015, prévoyait :

« 1.   Sauf disposition contraire de la loi, le juge annule une décision administrative qui a été rendue en violation des règles de droit, sauf s’il s’agit de violations de règles procédurales sans incidence sur le fond, et le cas échéant, il ordonne à l’autorité adoptant une décision administrative de mener une nouvelle procédure.

2.   Le juge peut réformer les décisions administratives suivantes :

[...]

j)

décision rendue à propos de l’octroi du statut de réfugié. »

18

Une disposition analogue audit article 339, paragraphe 2, sous j), figurait à l’article 68, paragraphe 5, de la menedékjogról szóló 2007. évi LXXX. törvény (loi no LXXX de 2007 relative au droit d’asile, ci-après la « loi relative au droit d’asile »).

La législation applicable aux procédures relatives à la protection internationale en vigueur après le 15 septembre 2015

19

Le 15 septembre 2015, la egyes törvényeknek a tömeges bevándorlás kezelésével összefüggő módosításáról szóló 2015. évi CXL. törvény (loi no CXL de 2015 modifiant certaines lois dans un contexte de gestion de l’immigration de masse, ci-après la « loi relative à la gestion de l’immigration de masse ») est entrée en vigueur. L’article 1er, paragraphe 3, sous a), de cette loi a abrogé l’article 339, paragraphe 2, sous j), de la loi no III de 1952 instituant le code de procédure civile. L’article 14 de la loi relative à la gestion de l’immigration de masse a modifié l’article 68, paragraphe 5, de la loi relative au droit d’asile.

20

À la suite de cette dernière modification, l’article 68, paragraphes 3, 5 et 6, de la loi relative au droit d’asile, rendu applicable également aux affaires en cours au moment de son entrée en vigueur, se lit comme suit :

« 3.   [...] La juridiction effectue un examen complet tant des faits que des points d’ordre juridique à la date de l’adoption de la décision juridictionnelle.

[...]

5.   Le juge ne peut pas réformer la décision de l’autorité compétente en matière d’asile ; il annule une décision administrative qui a été rendue en violation des règles de droit, sauf s’il s’agit de violations de règles procédurales sans incidence sur le fond, et le cas échéant, il ordonne à l’autorité compétente en matière d’asile de mener une nouvelle procédure.

6.   La décision du juge clôturant la procédure n’est pas susceptible de recours. »

21

L’article 109, paragraphe 4, de la közigazgatási hatósági eljárás és szolgáltatás általános szabályairól szóló 2004. évi CXL. törvény (loi no CXL de 2004 portant dispositions générales relatives à la procédure et aux prestations administratives, ci-après la « loi relative à la procédure administrative ») prévoit :

« L’autorité administrative est liée par le dispositif et les motifs de la décision rendue par la juridiction saisie d’un litige administratif et se conforme à ceux-ci lors de la nouvelle procédure et de l’adoption d’une nouvelle décision. »

22

Aux termes de l’article 121, paragraphe 1, sous f), de cette loi :

« Dans le cadre des procédures régies dans le présent chapitre, la décision doit être annulée :

[...]

(f)

si son contenu est contraire aux dispositions de l’article 109, [paragraphe 4]. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

23

M. Torubarov, ressortissant russe, exerçait la profession d’entrepreneur et participait, en tant que membre, aux activités d’un parti politique russe d’opposition et d’une organisation non gouvernementale représentant les intérêts des entrepreneurs. Plusieurs procédures pénales ont été intentées contre lui en Russie depuis l’année 2008. M. Torubarov a alors quitté le territoire russe pour s’installer d’abord en Autriche et ensuite en République tchèque, d’où il a été extradé vers la Russie, le 2 mai 2013.

24

Après son retour en Russie, il a de nouveau été mis en accusation, mais laissé en liberté pour organiser sa défense. Le 9 décembre 2013, il a franchi illégalement la frontière hongroise et a été immédiatement interpellé par les forces de police de cet État membre. M. Torubarov n’étant pas en mesure d’établir la légalité de son séjour en Hongrie, la police a procédé à son arrestation. M. Torubarov a introduit une demande de protection internationale le même jour.

25

Par une décision du 15 août 2014, l’Office de l’immigration a rejeté cette demande de protection internationale. À l’appui de sa décision, il a considéré que tant les déclarations faites par M. Torubarov que les informations recueillies à propos de la situation dans son pays d’origine confirmaient l’improbabilité du fait qu’il y fasse l’objet de persécutions, que ce soit pour des raisons politiques ou autres, ou qu’il y subisse des atteintes graves, au sens de l’article 15 de la directive 2011/95.

26

M. Torubarov a formé un recours contre cette décision devant la juridiction de renvoi, le Pécsi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Pécs, Hongrie). Cette dernière a, par jugement du 6 mai 2015, annulé ladite décision et a ordonné à l’Office de l’immigration de diligenter une nouvelle procédure et de rendre une nouvelle décision. Cette annulation a été prononcée aux motifs que cette même décision présentait des contradictions et que l’Office de l’immigration avait, de manière générale, omis d’examiner les faits qui avaient été soumis à son appréciation ou, s’agissant de ceux qu’il avait pris en compte, les avait appréciés de manière tendancieuse, de telle sorte que sa décision était dépourvue de fondement et ne se prêtait pas à un contrôle juridictionnel sur le fond. Dans sa décision, ladite juridiction a également fourni à l’Office de l’immigration des consignes détaillées sur les éléments qu’il lui incombait d’examiner dans le cadre de la nouvelle procédure à diligenter.

27

À l’issue de cette deuxième procédure administrative, l’Office de l’immigration a, par une décision du 22 juin 2016, de nouveau rejeté la demande de protection internationale de M. Torubarov, en considérant notamment que le droit à une procédure juridictionnelle indépendante lui serait garanti dans son pays d’origine et qu’il n’y serait exposé à aucun risque de persécution. À l’appui de cette nouvelle décision, et conformément aux consignes fournies par la juridiction de renvoi, cet office, eu égard à tous les documents que M. Torubarov lui avait communiqués, a notamment recueilli des informations relatives à la corruption en Russie et aux conditions de détention dans les prisons russes ainsi que sur le fonctionnement de la justice en Russie.

28

Dans cette deuxième décision, l’Office de l’immigration s’est également fondé sur une expertise de l’Alkotmányvédelmi Hivatal (Office pour la protection de la constitution, Hongrie). Ce dernier a considéré que la présence de M. Torubarov sur le territoire hongrois portait atteinte aux intérêts de la sécurité nationale, dans la mesure où l’intéressé se serait rendu coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, au sens de l’article 1er, section F, sous c), de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 (1954)], entrée en vigueur le 22 avril 1954 et complétée et amendée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967, lui-même entré en vigueur le 4 octobre 1967.

29

M. Torubarov a saisi la juridiction de renvoi d’un recours contre la décision de l’Office de l’immigration du 22 juin 2016. Cette juridiction a annulé cette décision par un jugement du 25 février 2017 et a ordonné à l’Office de l’immigration d’entamer une nouvelle procédure et de rendre une nouvelle décision. Elle a en effet considéré que la décision du 22 juin 2016 était illégale en raison d’une appréciation manifestement erronée, d’une part, des informations relatives au pays concerné et, d’autre part, de l’expertise de l’Office pour la protection de la constitution.

30

À cet égard, la juridiction de renvoi a constaté qu’il ressortait clairement des faits décrits dans cette décision que, contrairement à l’appréciation effectuée par l’Office de l’immigration, M. Torubarov avait des raisons de craindre d’être persécuté en Russie pour ses opinions politiques et d’y subir des atteintes graves. Elle a, en outre, relevé que le contenu et le dispositif de l’expertise de l’Office pour la protection de la constitution, qui contenait des informations nationales classifiées, ne concordaient pas et que l’Office de l’immigration n’avait pas évalué le contenu de cette expertise, dont il pouvait être clairement déduit que les faits y retenus constituaient non pas des éléments à charge contre M. Torubarov mais, au contraire, des preuves démontrant le bien-fondé de sa demande de protection internationale.

31

Par décision du 15 mai 2017 (ci-après la « décision en cause »), l’Office de l’immigration a, pour la troisième fois, rejeté la demande de protection internationale de M. Torubarov en ce qui concerne l’octroi tant du statut de réfugié que du statut conféré par la protection subsidiaire, au motif notamment qu’aucune persécution pour des motifs politiques ne pouvait être établie à son égard. Cet office ne s’est toutefois plus référé à l’expertise de l’Office pour la protection de la constitution à l’appui de sa décision.

32

La juridiction de renvoi est à présent saisie d’un troisième recours, contre, cette fois, la décision en cause, par lequel M. Torubarov demande que cette décision soit réformée en ce sens que cette juridiction lui octroie, à titre principal, le statut de réfugié ou, à titre subsidiaire, celui de bénéficiaire de la protection subsidiaire.

33

À cet égard, la juridiction de renvoi indique, toutefois, que, depuis l’entrée en vigueur, le 15 septembre 2015, de la loi relative à la gestion de l’immigration de masse, le pouvoir des juges administratifs de réformer les décisions administratives relatives à l’octroi de la protection internationale a été supprimé.

34

Or, selon la juridiction de renvoi, cette législation revient à priver les demandeurs d’une protection internationale d’un recours juridictionnel effectif. En effet, la seule conséquence prévue par le droit national en cas de méconnaissance, par l’administration, de son obligation de se conformer au dispositif et aux motifs d’un premier jugement annulant une première décision administrative de rejet d’une demande de protection internationale consisterait en l’annulation de la nouvelle décision administrative. Dans une telle situation, le juge saisi n’aurait donc pas d’autre solution que d’ordonner à l’administration d’entamer une nouvelle procédure et d’adopter une nouvelle décision. Ainsi, il ne pourrait ni enjoindre à l’administration d’octroyer une protection internationale au demandeur concerné, ni sanctionner le non-respect par celle-ci de son premier jugement, ce qui comporterait le risque que la procédure se prolonge indéfiniment, en violation des droits du demandeur.

35

Tel serait précisément le cas dans l’affaire dont est saisie la juridiction de renvoi, qui aurait déjà donné lieu à deux reprises à l’annulation des décisions de l’Office de l’immigration et qui serait caractérisée par l’adoption, par cet office, d’une troisième décision, à savoir la décision en cause, qui ne serait pas conforme à son jugement du 25 février 2017, au terme duquel cette juridiction avait décidé qu’une protection internationale devait être reconnue à M. Torubarov, sauf en cas de menace avérée pour la sécurité publique. Ainsi, depuis l’introduction de sa demande de protection internationale au mois de décembre 2013, M. Torubarov vivrait, en l’absence d’une décision définitive sur cette demande, dans une situation d’insécurité juridique, sans bénéficier d’aucun statut quelconque sur le territoire hongrois.

36

Dans une telle situation, la juridiction de renvoi considère que le droit hongrois ne garantit pas le droit à un recours effectif, consacré à l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32 et à l’article 47 de la Charte. Elle se demande, en conséquence, si ces dispositions du droit de l’Union l’autorisent à réformer une décision telle que la décision en cause en laissant inappliquée la législation nationale qui lui dénie cette compétence.

37

Dans ces circonstances, le Pécsi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Pécs) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Convient-il d’interpréter l’article 46, paragraphe 3, de la directive [2013/32], lu à la lumière de l’article 47 de la [Charte], en ce sens que les juridictions hongroises ont le droit de réformer une décision administrative de l’autorité compétente en matière d’asile refusant la protection internationale et d’octroyer elles-mêmes cette protection ? »

Sur la question préjudicielle

38

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il confère, dans des circonstances telles que celles en cause dans l’affaire au principal, à une juridiction de première instance, saisie d’un recours introduit contre une décision rejetant une demande de protection internationale, le pouvoir de réformer cette décision administrative et de substituer sa propre décision à celle de l’organe administratif l’ayant adoptée.

39

À titre liminaire, il importe de relever que, conformément à l’article 52, premier alinéa, première phrase, de la directive 2013/32, les États membres appliquent les dispositions législatives, réglementaires et administratives, visées à l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, aux demandes de protection internationale introduites « après le 20 juillet 2015 ou à une date antérieure ».

40

Il ressort des travaux préparatoires de la directive 2013/32 que, en ajoutant les termes « ou à une date antérieure » audit article 52, premier alinéa, première phrase, le législateur de l’Union a entendu permettre aux États membres d’appliquer leurs dispositions mettant en œuvre cette directive, avec effet immédiat, aux demandes de protection internationale introduites avant le 20 juillet 2015 (voir, en ce sens, arrêts du 25 juillet 2018, Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, points 71 et 72, ainsi que du 19 mars 2019, Ibrahim e.a., C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219, points 63 et 64).

41

Dès lors que l’article 52, premier alinéa, de la directive 2013/32 offre diverses possibilités d’application temporelle, il importe toutefois, afin que les principes de sécurité juridique et d’égalité devant la loi soient respectés dans la mise en œuvre du droit de l’Union et que les demandeurs de protection internationale soient ainsi protégés contre l’arbitraire, que chaque État membre lié par cette directive examine d’une manière prévisible et uniforme les demandes de protection internationale qui sont introduites au cours d’une même période sur son territoire (voir, en ce sens, arrêts du 25 juillet 2018, Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, point 73, ainsi que du 19 mars 2019, Ibrahim e.a., C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219, point 66).

42

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que la demande de protection internationale de M. Torubarov a été présentée le 9 décembre 2013, soit postérieurement à l’entrée en vigueur de la directive 2013/32, le 19 juillet 2013, mais antérieurement à la date ultime à laquelle celle-ci devait être transposée en droit national, à savoir le 20 juillet 2015.

43

En outre, la juridiction de renvoi a indiqué, en réponse à une demande d’information qui lui avait été adressée par la Cour, que, en vertu du droit national, elle est tenue de se conformer à la réglementation nationale transposant la directive 2013/32, qui est entrée en vigueur le 15 septembre 2015, et qui interdit à une juridiction de réformer une décision administrative en matière de demande de protection internationale, également dans le cadre de procédures judiciaires qui, bien qu’elles concernent une demande de protection internationale introduite avant le 20 juillet 2015, ont, à l’instar du recours au principal, été initiées après cette date. Cette information a été confirmée par le gouvernement hongrois dans ses observations écrites.

44

À cet égard, il ressort, d’une part, de la jurisprudence rappelée au point 40 du présent arrêt qu’un État membre peut librement décider de rendre la législation transposant la directive 2013/32 immédiatement applicable à de telles procédures.

45

D’autre part, la Cour a déjà précisé qu’une disposition de droit national, prévoyant qu’une juridiction doit fonder sa décision sur la situation de fait et de droit existant à la date de sa décision, assure que les demandes de protection internationale, qui ont été introduites au cours d’une même période sur le territoire national et sur lesquelles il n’avait pas encore été statué définitivement, soient examinées d’une manière prévisible et uniforme (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2019, Ibrahim e.a., C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219, points 67 et 68).

46

Dans ces conditions, l’article 52, premier alinéa, de la directive 2013/32 ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction nationale, telle que la juridiction de renvoi, applique la réglementation nationale transposant la directive 2013/32 à une procédure pendante devant elle, bien que cette dernière soit relative à une demande de protection internationale introduite avant le 20 juillet 2015.

47

Ces précisions liminaires étant faites, il y a lieu de relever que la directive 2013/32 a, selon son article 1er, pour objet d’établir des procédures communes d’octroi et de retrait de la protection internationale en vertu de la directive 2011/95.

48

Cette dernière directive prévoit, pour sa part et conformément à son article 1er, des normes relatives, tout d’abord, aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, ensuite, à un statut uniforme pour les réfugiés et les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire et, enfin, au contenu de cette protection.

49

Ainsi que l’a déjà précisé la Cour, il ressort des articles 13 et 18 de la directive 2011/95, lus conjointement avec les définitions des termes « réfugié » et « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », contenues à l’article 2, sous d) et f), de celle-ci, que la protection internationale visée à cette directive doit, en principe, être octroyée à tout ressortissant d’un pays tiers et apatride qui craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, ou qui court un risque réel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 15 de ladite directive (voir, en ce sens, arrêts du 4 octobre 2018, Ahmedbekova, C‑652/16, EU:C:2018:801, point 47, et du 23 mai 2019, Bilali, C‑720/17, EU:C:2019:448, point 36).

50

Partant, lorsqu’une personne satisfait aux normes minimales établies par le droit de l’Union pour bénéficier de l’un de ces statuts, dès lors qu’elle remplit les conditions prévues respectivement aux chapitres II et III, ou aux chapitres II et V de la directive 2011/95, les États membres sont tenus, sous réserve des causes d’exclusion prévues par cette directive, d’octroyer la protection internationale sollicitée, ces États ne disposant pas d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard [voir, en ce sens, arrêts du 24 juin 2015, T., C‑373/13, EU:C:2015:413, point 63 ; du 12 avril 2018, A et S, C‑550/16, EU:C:2018:248, point 52, et du 14 mai 2019, M e.a. (Révocation du statut de réfugié), C‑391/16, C‑77/17 et C‑78/17, EU:C:2019:403, point 89].

51

L’article 46, paragraphe 1, de la directive 2013/32 reconnaît aux demandeurs d’une protection internationale un droit à un recours effectif devant une juridiction contre les décisions concernant leur demande. L’article 46, paragraphe 3, de cette directive définit la portée du droit au recours effectif, en précisant que les États membres liés par celle-ci doivent veiller à ce que la juridiction devant laquelle est contestée la décision relative à la demande de protection internationale procède à « un examen complet et ex nunc tant des faits que des points d’ordre juridique, y compris, le cas échéant, un examen des besoins de protection internationale en vertu de la directive [2011/95] » (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, points 105 et 106).

52

L’expression « ex nunc » met en exergue l’obligation du juge de procéder à une appréciation qui tienne compte, le cas échéant, des nouveaux éléments apparus après l’adoption de la décision faisant l’objet du recours. Quant à l’adjectif « complet », il confirme que le juge est tenu d’examiner tant les éléments dont l’autorité responsable de la détermination a tenu ou aurait pu tenir compte que ceux qui sont survenus après l’adoption de la décision par cette autorité (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, points 111 et 113).

53

Il en résulte que les États membres sont tenus, en vertu de l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, d’aménager leur droit national de manière à ce que le traitement des recours visés comporte un examen, par le juge, de l’ensemble des éléments de fait et de droit qui lui permettent de procéder à une appréciation actualisée du cas d’espèce, de sorte que la demande de protection internationale puisse être traitée de manière exhaustive sans qu’il soit besoin de renvoyer le dossier à ladite autorité. Une telle interprétation favorise l’objectif poursuivi par la directive 2013/32, visant à garantir que de telles demandes fassent l’objet d’un traitement aussi rapide que possible, sans préjudice de la réalisation d’un examen approprié et exhaustif (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, points 109 à 112).

54

Toutefois, l’article 46, paragraphe 3, de cette directive porte uniquement sur l’examen du recours et ne concerne donc pas la suite d’une éventuelle annulation de la décision faisant l’objet de ce recours. Ainsi, en adoptant la directive 2013/32, le législateur de l’Union n’a pas entendu introduire une quelconque règle commune selon laquelle l’organe quasi juridictionnel ou administratif, visé à l’article 2, sous f), de cette directive, devrait perdre sa compétence après l’annulation de sa décision initiale relative à une demande de protection internationale, de telle sorte qu’il demeure loisible aux États membres de prévoir que le dossier doit, à la suite d’une telle annulation, être renvoyé à cet organe afin que celui-ci prenne une nouvelle décision (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, points 145 et 146).

55

Si la directive 2013/32 reconnaît ainsi aux États membres une certaine marge de manœuvre, notamment, pour déterminer les règles relatives au traitement d’une demande de protection internationale lorsque la décision initiale d’un tel organe a été annulée par une juridiction, il importe toutefois de relever, en premier lieu, que, nonobstant une telle marge de manœuvre, les États membres sont tenus, dans la mise en œuvre de cette directive, de respecter l’article 47 de la Charte, qui consacre, en faveur de toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés, le droit à un recours effectif devant un tribunal (voir, en ce sens, arrêt du 26 juillet 2017, Sacko, C‑348/16, EU:C:2017:591, point 30 et jurisprudence citée). Les caractéristiques du recours prévu à l’article 46 de la directive 2013/32 doivent ainsi être déterminées en conformité avec l’article 47 de la Charte, qui constitue une réaffirmation du principe de protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêts du 26 juillet 2017, Sacko, C‑348/16, EU:C:2017:591, point 31, et du 25 juillet 2018, Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, point 114).

56

En deuxième lieu, il y a lieu de rappeler que l’article 47 de la Charte se suffit à lui-même et ne doit pas être précisé par des dispositions du droit de l’Union ou du droit national pour conférer aux particuliers un droit invocable en tant que tel (arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 78). Eu égard, en particulier, à ce qui a été rappelé au point précédent, il ne saurait, dès lors, en aller différemment de l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte.

57

En troisième lieu, le droit à un recours effectif serait illusoire si l’ordre juridique d’un État membre permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie (voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2016, Toma et Biroul Executorului Judecătoresc Horațiu-Vasile Cruduleci, C‑205/15, EU:C:2016:499, point 43).

58

C’est dans ce contexte que la Cour a considéré que l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32 serait privé de tout son effet utile s’il était admis que, après le prononcé d’un jugement par lequel la juridiction de première instance a procédé, conformément à cette disposition, à une appréciation complète et ex nunc des besoins de protection internationale du demandeur en vertu de la directive 2011/95, l’organe quasi juridictionnel ou administratif, visé à l’article 2, sous f), de la directive 2013/32, puisse prendre une décision allant à l’encontre de cette appréciation.

59

Par conséquent, même si la directive 2013/32 n’a pas pour objet d’uniformiser, de manière précise et exhaustive, les règles procédurales devant être appliquées au sein des États membres lorsqu’il s’agit d’adopter une nouvelle décision relative à une demande de protection internationale après l’annulation de la décision administrative initiale rejetant une telle demande, il ressort toutefois de l’objectif que poursuit cette directive, consistant à assurer un traitement aussi rapide que possible des demandes de cette nature, de l’obligation de garantir un effet utile à son article 46, paragraphe 3, de même que de la nécessité, découlant de l’article 47 de la Charte, d’assurer l’effectivité du recours, que chaque État membre lié par ladite directive doit aménager son droit national de manière à ce que, à la suite d’une annulation de cette décision initiale et en cas de renvoi du dossier à cet organe quasi juridictionnel ou administratif, une nouvelle décision soit adoptée dans un bref délai et soit conforme à l’appréciation contenue dans le jugement ayant prononcé l’annulation (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, point 148).

60

C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner la question posée.

61

À cet égard, il y a lieu de relever, tout d’abord, que le libellé de l’article 109, paragraphe 4, de la loi relative à la procédure administrative semble satisfaire, sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi, à l’obligation de résultat pesant sur les États membres en vertu de l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, et rappelée au point 59 du présent arrêt, consistant à garantir que, à la suite de l’annulation d’une décision relative à une demande de protection internationale et en cas de renvoi du dossier à l’organe administratif qui l’avait adoptée, la nouvelle décision dudit organe soit conforme à l’appréciation contenue dans le jugement ayant prononcé l’annulation.

62

Toutefois, le gouvernement hongrois a fait valoir, lors de l’audience devant la Cour, que cette disposition doit être interprétée en ce sens que, pour préserver la répartition des compétences entre, d’une part, l’administration, qui doit assumer un rôle central dans les procédures relatives à une demande de protection internationale, et, d’autre part, la juridiction saisie d’un recours visé à l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, cette juridiction peut donner des instructions sur les faits à examiner et les nouveaux éléments de preuve à recueillir, fournir une interprétation de la loi et indiquer les éléments pertinents que l’autorité administrative doit prendre en considération, mais elle ne peut pas lier cette dernière quant à l’appréciation concrète du cas d’espèce, laquelle peut reposer sur d’autres éléments de droit et de fait que ceux pris en compte par ladite juridiction, tels que des éléments nouveaux survenus postérieurement à la décision judiciaire.

63

Or, l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, lu à la lumière de la jurisprudence de la Cour, s’oppose à une telle interprétation.

64

La Cour a, certes, déjà reconnu que l’examen de la demande de protection internationale par l’organe administratif ou quasi juridictionnel national compétent, pourvu de moyens spécifiques et d’un personnel spécialisé en la matière, est une phase essentielle des procédures communes instaurées par la directive 2013/32 (voir, en ce sens, arrêts du 25 juillet 2018, Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, point 116, et du 4 octobre 2018, Ahmedbekova, C‑652/16, EU:C:2018:801, point 96).

65

Il n’en demeure pas moins que, en prévoyant que la juridiction compétente pour statuer sur un recours contre une décision de rejet d’une demande de protection internationale est tenue d’examiner, le cas échéant, les « besoins de protection internationale » du demandeur, le législateur de l’Union a, par l’adoption de l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, entendu conférer à ladite juridiction, lorsqu’elle estime qu’elle dispose de tous les éléments de fait et de droit nécessaires à cet égard, le pouvoir de se prononcer de manière contraignante, au terme d’un examen complet et ex nunc, c’est-à-dire exhaustif et actualisé, de ces éléments, sur la question de savoir si ledit demandeur remplit les conditions prévues par la directive 2011/95 pour se voir reconnaître une protection internationale.

66

Il résulte de ce qui précède que, ainsi que l’a en substance relevé M. l’avocat général aux points 102 à 105, 107 et 108 de ses conclusions, lorsqu’une juridiction statue sur le recours d’un demandeur de protection internationale de manière exhaustive et procède, à cette occasion, à un examen actualisé des « besoins de protection internationale » de ce demandeur à l’aune de tous les éléments de fait et de droit pertinents, à l’issue duquel elle acquiert la conviction que le statut de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire devrait être, en application des critères prévus par la directive 2011/95, reconnu audit demandeur pour les motifs qu’il invoque à l’appui de sa demande et que cette juridiction procède à l’annulation de la décision de l’organe administratif ou quasi juridictionnel qui avait rejeté cette demande et au renvoi du dossier à cet organe, ce dernier est, sous réserve de la survenance d’éléments de fait ou de droit nécessitant objectivement une nouvelle appréciation actualisée, lié par cette décision juridictionnelle et les motifs qui la sous-tendent. Ainsi, dans le cadre d’un tel renvoi, ledit organe ne dispose plus d’un pouvoir discrétionnaire quant à la décision d’octroyer ou non la protection demandée à la lumière des mêmes motifs que ceux qui ont été soumis à ladite juridiction, sous peine de priver l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, ainsi que les articles 13 et 18 de la directive 2011/95, de tout leur effet utile.

67

En l’occurrence, la juridiction de renvoi se demande si, lorsqu’un tel organe administratif ou quasi juridictionnel, auquel le dossier a été renvoyé, ne s’est pas conformé à son jugement d’annulation et qu’elle est saisie, par le demandeur d’une protection internationale, d’un recours contre la décision de cet organe refusant à nouveau le bénéfice d’une telle protection, sans faire état, à l’appui de ce refus, d’une cause d’exclusion apparue entre-temps ou de nouveaux éléments de fait ou de droit nécessitant une nouvelle appréciation, elle dispose, en vertu du droit de l’Union, du pouvoir de substituer sa propre décision à celle de l’Office de l’immigration en la réformant dans un sens conforme à son jugement précédent, et ce, en dépit d’une réglementation nationale lui interdisant de procéder de la sorte.

68

La juridiction de renvoi souligne, dans ce contexte, le fait que le droit national ne prévoit pas de moyens lui permettant de faire respecter son jugement, la seule sanction prévue par ce droit étant la nullité de la décision de l’Office de l’immigration, ce qui est de nature à conduire à une succession d’annulations de décisions administratives et de recours juridictionnels, susceptible de prolonger la situation d’insécurité juridique du demandeur, ainsi que l’illustre en l’occurrence le cas de M. Torubarov.

69

À cet égard, ainsi qu’il ressort des points 54 et 59 du présent arrêt, si l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32 n’oblige pas les États membres à conférer le pouvoir visé au point 67 du présent arrêt aux juridictions compétentes pour connaître des recours au titre de cette disposition, il n’en reste pas moins que ces États membres sont tenus d’assurer, dans chaque cas, le respect du droit à un recours effectif consacré par l’article 47 de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK, C‑243/15, EU:C:2016:838, point 65 et jurisprudence citée).

70

L’existence d’une violation des droits consacrés par cette disposition doit être appréciée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 102, et du 26 juillet 2017, Sacko, C‑348/16, EU:C:2017:591, point 41).

71

En l’occurrence, il y a lieu de souligner que le gouvernement hongrois a, lors de l’audience devant la Cour, fait état d’une nouvelle loi relative à la procédure administrative, entrée en vigueur le 1er janvier 2018, soit postérieurement à la date de la demande de décision préjudicielle. Cette loi instituerait certaines procédures et certains moyens visant à permettre aux juridictions administratives de contraindre les organes administratifs de se conformer à leurs jugements. Cela étant, ce gouvernement a également souligné que cette modification législative ne s’applique pas ratione temporis au litige au principal et que, en tout état de cause, lesdits moyens ne peuvent pas être mis en œuvre dans le domaine de la protection internationale, de sorte que la situation à laquelle est confrontée la juridiction de renvoi, à savoir celle d’être dépourvue de tout moyen lui permettant de faire respecter son jugement dans ce domaine, demeure inchangée.

72

Or, une législation nationale qui aboutit à une telle situation prive, dans les faits, le demandeur d’une protection internationale d’un recours effectif, au sens de l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, et méconnaît le contenu essentiel du droit à un recours effectif consacré par l’article 47 de la Charte, dès lors que le jugement d’une juridiction rendu après un examen conforme aux exigences dudit article 46, paragraphe 3, et à l’issue duquel celle-ci a décidé que ce demandeur remplissait les conditions prévues par la directive 2011/95 pour se voir octroyer le statut de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire, demeure inopérant, à défaut pour ladite juridiction de disposer d’un moyen quelconque pour faire respecter son jugement.

73

Dans de telles circonstances, serait incompatible avec les exigences inhérentes à la nature même du droit de l’Union toute disposition d’un ordre juridique national ou toute pratique, législative, administrative ou judiciaire, qui aurait pour effet de diminuer l’efficacité du droit de l’Union par le fait de refuser au juge compétent pour appliquer ce droit, le pouvoir de faire, au moment même de cette application, tout ce qui est nécessaire pour écarter les dispositions législatives nationales formant éventuellement obstacle à la pleine efficacité de normes de l’Union dotées d’un effet direct, telles que l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte (voir, en ce sens, arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77, EU:C:1978:49, point 22, et du 24 juin 2019, Popławski, C‑573/17, EU:C:2019:530, points 52 à 62).

74

Partant, en vue de garantir au demandeur d’une protection internationale une protection juridictionnelle effective au sens de l’article 47 de la Charte, et conformément au principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, il incombe à la juridiction nationale saisie du recours de réformer la décision de l’organe administratif ou quasi juridictionnel, en l’occurrence l’Office de l’immigration, non conforme à son jugement précédent, et de substituer à celle-ci sa propre décision sur la demande de protection internationale de l’intéressé, en laissant au besoin inappliquée la réglementation nationale qui lui interdirait de procéder en ce sens (voir, par analogie, arrêt du 5 juin 2014, Mahdi, C‑146/14 PPU, EU:C:2014:1320, point 62).

75

Une telle interprétation de l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, s’impose, en premier lieu, en raison du fait que, ainsi qu’il ressort du point 50 du présent arrêt, lorsqu’un demandeur de protection internationale remplit les conditions prévues par la directive 2011/95 pour bénéficier du statut de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire, les États membres sont tenus de lui octroyer ledit statut sans disposer d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, un tel octroi pouvant, aux termes de l’article 14, paragraphes 1 et 4, ainsi que de l’article 19, paragraphes 1 et 2, de cette dernière directive, être le fait, notamment, d’une autorité judiciaire.

76

En second lieu, si la Cour a, certes, jugé que, en adoptant la directive 2013/32, le législateur de l’Union n’a pas entendu introduire une quelconque règle commune selon laquelle l’organe quasi juridictionnel ou administratif visé à l’article 2, sous f), de cette directive devrait perdre sa compétence après l’annulation de sa décision initiale relative à une demande de protection internationale (arrêt du 25 juillet 2018, Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, point 146), il n’en reste pas moins que, si ledit organe, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, n’a pas respecté le jugement de la juridiction nationale saisie du recours, il incombe à cette juridiction de réformer la décision de cet organe et de substituer à celle-ci sa propre décision.

77

Par conséquent, il convient, en l’occurrence, de considérer que, si, ainsi qu’il paraît ressortir des indications figurant dans la décision de renvoi, la juridiction de renvoi s’est effectivement livrée, dans son jugement du 25 février 2017, à un examen complet et ex nunc des « besoins de protection internationale » de M. Torubarov au titre de la directive 2011/95 au vu de tous les éléments de fait et de droit pertinents, à l’issue duquel elle a jugé qu’une telle protection devait lui être reconnue, mais que ce jugement n’a pas été respecté par l’Office de l’immigration, sans que la décision en cause établisse, à cet égard, la survenance de nouveaux éléments ayant nécessité une nouvelle appréciation, ce qu’il revient à ladite juridiction de confirmer, celle-ci doit, en vertu de l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, réformer la décision en cause, non conforme à son jugement précédent, et substituer à celle-ci sa propre décision quant à la protection internationale dont M. Torubarov doit bénéficier au titre de la directive 2011/95, tout en laissant inappliquée la réglementation nationale qui lui interdit en principe de procéder en ce sens (voir, par analogie, arrêts du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 79, et du 5 juin 2018, Kolev e.a., C‑612/15, EU:C:2018:392, point 66).

78

Il résulte de tout ce qui précède que l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances, telles que celles en cause dans l’affaire au principal, où une juridiction de première instance a constaté, après avoir effectué un examen complet et ex nunc de l’ensemble des éléments de fait et de droit pertinents présentés par le demandeur d’une protection internationale, que, en application des critères prévus par la directive 2011/95, ce demandeur doit se voir reconnaître une telle protection pour le motif qu’il invoque à l’appui de sa demande, mais qu’un organe administratif ou quasi juridictionnel adopte par la suite une décision en sens contraire, sans établir à cet effet la survenance de nouveaux éléments justifiant une nouvelle appréciation des besoins de protection internationale dudit demandeur, ladite juridiction doit réformer cette décision non conforme à son jugement précédent et substituer à celle-ci sa propre décision quant à la demande de protection internationale, en laissant au besoin inappliquée la réglementation nationale qui lui interdirait de procéder en ce sens.

Sur les dépens

79

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

 

L’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, lu à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances, telles que celles en cause dans l’affaire au principal, où une juridiction de première instance a constaté, après avoir effectué un examen complet et ex nunc de l’ensemble des éléments de fait et de droit pertinents présentés par le demandeur d’une protection internationale, que, en application des critères prévus par la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ce demandeur doit se voir reconnaître une telle protection pour le motif qu’il invoque à l’appui de sa demande, mais qu’un organe administratif ou quasi juridictionnel adopte par la suite une décision en sens contraire, sans établir à cet effet la survenance de nouveaux éléments justifiant une nouvelle appréciation des besoins de protection internationale dudit demandeur, ladite juridiction doit réformer cette décision non conforme à son jugement précédent et substituer à celle-ci sa propre décision quant à la demande de protection internationale, en laissant au besoin inappliquée la réglementation nationale qui lui interdirait de procéder en ce sens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le hongrois.