ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

17 avril 2018 ( *1 )

« Manquement d’État – Environnement – Directive 92/43/CEE – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Article 6, paragraphes 1 et 3 – Article 12, paragraphe 1 – Directive 2009/147/CE – Conservation des oiseaux sauvages – Articles 4 et 5 – Site Natura 2000 “Puszcza Białowieska” – Modification du plan de gestion forestière – Augmentation du volume de bois exploitable – Plan ou projet non directement nécessaire à la gestion du site susceptible d’affecter ce site de manière significative – Évaluation appropriée des incidences sur le site – Atteinte à l’intégrité du site – Mise en œuvre effective des mesures de conservation – Effets sur les sites de reproduction et les aires de repos des espèces protégées »

Dans l’affaire C‑441/17,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 20 juillet 2017,

Commission européenne, représentée par MM. C. Hermes et H. Krämer ainsi que par Mmes K. Herrmann et E. Kružíková, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République de Pologne, représentée par M. J. Szyszko, ministre de l’Environnement, ainsi que par MM. B. Majczyna et D. Krawczyk, en qualité d’agents, assistés de M. K. Tomaszewski, ekspert,

partie défenderesse,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice‑président, MM. M. Ilešič, L. Bay Larsen, T. von Danwitz, J. Malenovský et E. Levits, présidents de chambre, MM. A. Borg Barthet, J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev, S. Rodin, F. Biltgen, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos et E. Regan (rapporteur), juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 décembre 2017,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 février 2018,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent :

en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7), telle que modifiée par la directive 2013/17/UE du Conseil, du 13 mai 2013 (JO 2013, L 158, p. 193) (ci-après la « directive “habitats” »), en adoptant une annexe au plan de gestion forestière du district forestier de Białowieża sans s’assurer que cette annexe ne porterait pas atteinte à l’intégrité du site d’importance communautaire (ci‑après le « SIC ») et de la zone de protection spéciale (ci-après la « ZPS ») PLC200004 Puszcza Białowieska (ci-après le « site Natura 2000 Puszcza Białowieska ») ;

en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » ainsi que de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 2010, L 20, p. 7), telle que modifiée par la directive 2013/17 (ci-après la « directive “oiseaux” »), en omettant d’établir les mesures de conservation nécessaires qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels figurant à l’annexe I de la directive « habitats » et des espèces figurant à l’annexe II de cette directive, ainsi que des espèces d’oiseaux mentionnées à l’annexe I de la directive « oiseaux » et des espèces migratrices non visées à cette annexe dont la venue est régulière, pour lesquels le SIC et la ZPS constituant le site Natura 2000 Puszcza Białowieska ont été désignés ;

en vertu de l’article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive « habitats », en omettant d’assurer une protection stricte des coléoptères saproxyliques, à savoir le bupreste splendide (Buprestis splendens), le cucujus vermillon (Cucujus cinnaberinus), le phryganophile à cou roux (Phryganophilus ruficollis) et le Pytho kolwensis, mentionnés à l’annexe IV de cette directive, c’est-à-dire en n’interdisant pas de les tuer intentionnellement ou de les perturber et de détériorer ou de détruire leurs sites de reproduction dans le district forestier de Białowieża, et

en vertu de l’article 5, sous b) et d), de la directive « oiseaux », en omettant d’assurer la protection d’espèces d’oiseaux visées à l’article 1er de cette directive, notamment la chouette chevêchette (Glaucidium passerinum), la chouette de Tengmalm (Aegolius funereus), le pic à dos blanc (Dendrocopos leucotos) et le pic tridactyle (Picoides tridactylus), c’est-à-dire en omettant de veiller à ce que ces espèces ne soient pas tuées ou perturbées durant la période de reproduction et de dépendance et à ce que leurs nids et leurs œufs ne soient pas intentionnellement détruits, endommagés ou enlevés dans le district forestier de Białowieża.

I. Le cadre juridique

A. La directive « habitats »

2

L’article 1er de la directive « habitats » prévoit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)

conservation : un ensemble de mesures requises pour maintenir ou rétablir les habitats naturels et les populations d’espèces de faune et de flore sauvages dans un état favorable au sens des points e) et i) ;

[...]

c)

types d’habitats naturels d’intérêt communautaire : ceux qui, sur le territoire visé à l’article 2 :

i)

sont en danger de disparition dans leur aire de répartition naturelle

ou

ii)

ont une aire de répartition naturelle réduite par suite de leur régression ou en raison de leur aire intrinsèquement restreinte

ou

iii)

constituent des exemples remarquables de caractéristiques propres à l’une ou à plusieurs des neuf régions biogéographiques suivantes : alpine, atlantique, de la mer Noire, boréale, continentale, macaronésienne, méditerranéenne, pannonique et steppique.

Ces types d’habitats figurent ou sont susceptibles de figurer à l’annexe I ;

d)

types d’habitats naturels prioritaires : les types d’habitats naturels en danger de disparition présents sur le territoire visé à l’article 2 et pour la conservation desquels la Communauté porte une responsabilité particulière, compte tenu de l’importance de la part de leur aire de répartition naturelle comprise dans le territoire visé à l’article 2. Ces types d’habitats naturels prioritaires sont indiqués par un astérisque (*) à l’annexe I ;

e)

état de conservation d’un habitat naturel : l’effet de l’ensemble des influences agissant sur un habitat naturel ainsi que sur les espèces typiques qu’il abrite, qui peuvent affecter à long terme sa répartition naturelle, sa structure et ses fonctions ainsi que la survie à long terme de ses espèces typiques sur le territoire visé à l’article 2.

“L’état de conservation” d’un habitat naturel sera considéré comme “favorable” lorsque :

son aire de répartition ainsi que les superficies qu’il couvre au sein de cette aire sont stables ou en extension

et

la structure et les fonctions spécifiques nécessaires à son maintien à long terme existent et sont susceptibles de perdurer dans un avenir prévisible

et

l’état de conservation des espèces qui lui sont typiques est favorable au sens du point i) ;

[...]

g)

espèces d’intérêt communautaire : celles qui, sur le territoire visé à l’article 2, sont :

i)

en danger [...]

ou

ii)

vulnérables, c’est-à-dire dont le passage dans la catégorie des espèces en danger est jugé probable dans un avenir proche en cas de persistance des facteurs qui sont cause de la menace

ou

iii)

rares, c’est-à-dire dont les populations sont de petite taille et qui, bien qu’elles ne soient pas actuellement en danger ou vulnérables, risquent de le devenir. Ces espèces sont localisées dans des aires géographiques restreintes ou éparpillées sur une plus vaste superficie

ou

iv)

endémiques et requièrent une attention particulière en raison de la spécificité de leur habitat et/ou des incidences potentielles de leur exploitation sur leur état de conservation.

Ces espèces figurent ou sont susceptibles de figurer à l’annexe II et/ou IV ou V ;

h)

espèces prioritaires : les espèces visées au point g), [sous] i) et pour la conservation desquelles la Communauté porte une responsabilité particulière compte tenu de l’importance de la part de leur aire de répartition naturelle dans le territoire visé à l’article 2. Ces espèces prioritaires sont indiquées par un astérisque (*) à l’annexe II ;

i)

état de conservation d’une espèce : l’effet de l’ensemble des influences qui, agissant sur l’espèce, peuvent affecter à long terme la répartition et l’importance de ses populations sur le territoire visé à l’article 2.

“L’état de conservation” sera considéré comme “favorable”, lorsque :

les données relatives à la dynamique de la population de l’espèce en question indiquent que cette espèce continue et est susceptible de continuer à long terme à constituer un élément viable des habitats naturels auxquels elle appartient

et

l’aire de répartition naturelle de l’espèce ne diminue ni ne risque de diminuer dans un avenir prévisible

et

il existe et il continuera probablement d’exister un habitat suffisamment étendu pour que ses populations se maintiennent à long terme ;

j)

site : une aire géographiquement définie, dont la surface est clairement délimitée ;

k)

[SIC]: un site qui, dans la ou les régions biogéographiques auxquelles il appartient, contribue de manière significative à maintenir ou à rétablir un type d’habitat naturel de l’annexe I ou une espèce de l’annexe II dans un état de conservation favorable et peut aussi contribuer de manière significative à la cohérence de “Natura 2000” visé à l’article 3, et/ou contribue de manière significative au maintien de la diversité biologique dans la ou les régions biogéographiques concernées.

Pour les espèces animales qui occupent de vastes territoires, les sites d’importance communautaire correspondent aux lieux, au sein de l’aire de répartition naturelle de ces espèces, qui présentent les éléments physiques ou biologiques essentiels à leur vie et reproduction ;

l)

zone spéciale de conservation : un [SIC] désigné par les États membres par un acte réglementaire, administratif et/ou contractuel où sont appliquées les mesures de conservation nécessaires au maintien ou au rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et/ou des populations des espèces pour lesquels le site est désigné ;

[...] »

3

L’article 2 de ladite directive est libellé comme suit :

« 1.   La présente directive a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen des États membres où le traité s’applique.

2.   Les mesures prises en vertu de la présente directive visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt communautaire.

[...] »

4

L’article 3, paragraphe 1, de la directive « habitats » énonce :

« Un réseau écologique européen cohérent de zones spéciales de conservation, dénommé “Natura 2000”, est constitué. Ce réseau, formé par des sites abritant des types d’habitats naturels figurant à l’annexe I et des habitats des espèces figurant à l’annexe II, doit assurer le maintien ou, le cas échéant, le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des types d’habitats naturels et des habitats d’espèces concernés dans leur aire de répartition naturelle.

Le réseau Natura 2000 comprend également les [ZPS] classées par les États membres en vertu des dispositions de la directive 79/409/CEE [du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 1979, L 103, p. 1)]. »

5

L’article 4 de la directive « habitats » dispose :

« 1.   Sur la base des critères établis à l’annexe III (étape 1) et des informations scientifiques pertinentes, chaque État membre propose une liste de sites indiquant les types d’habitats naturels de l’annexe I et les espèces indigènes de l’annexe II qu’ils abritent. Pour les espèces animales qui occupent de vastes territoires, ces sites correspondent aux lieux, au sein de l’aire de répartition naturelle de ces espèces, qui présentent les éléments physiques ou biologiques essentiels à leur vie et reproduction. Pour les espèces aquatiques qui occupent de vastes territoires, ces sites ne sont proposés que s’il est possible de déterminer clairement une zone qui présente les éléments physiques et biologiques essentiels à leur vie et reproduction. Les États membres suggèrent, le cas échéant, l’adaptation de cette liste à la lumière des résultats de la surveillance visée à l’article 11.

La liste est transmise à la Commission, dans les trois ans suivant la notification de la présente directive, en même temps que les informations relatives à chaque site. Ces informations comprennent une carte du site, son appellation, sa localisation, son étendue ainsi que les données résultant de l’application des critères spécifiés à l’annexe III (étape 1) et sont fournies sur la base d’un formulaire établi par la Commission selon la procédure visée à l’article 21.

2.   Sur la base des critères établis à l’annexe III (étape 2) et dans le cadre de chacune des neuf régions biogéographiques mentionnées à l’article 1er, point c), iii) et de l’ensemble du territoire visé à l’article 2 paragraphe 1, la Commission établit, en accord avec chacun des États membres, un projet de liste des [SIC], à partir des listes des États membres, faisant apparaître les sites qui abritent un ou plusieurs types d’habitats naturels prioritaires ou une ou plusieurs espèces prioritaires.

[...]

La liste des sites sélectionnés comme [SIC], faisant apparaître les sites abritant un ou plusieurs types d’habitats naturels prioritaires ou une ou plusieurs espèces prioritaires, est arrêtée par la Commission selon la procédure visée à l’article 21.

[...]

4.   Une fois qu’un [SIC] a été retenu en vertu de la procédure prévue au paragraphe 2, l’État membre concerné désigne ce site comme zone spéciale de conservation le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans en établissant les priorités en fonction de l’importance des sites pour le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, d’un type d’habitat naturel de l’annexe I ou d’une espèce de l’annexe II et pour la cohérence de Natura 2000, ainsi qu’en fonction des menaces de dégradation ou de destruction qui pèsent sur eux.

5.   Dès qu’un site est inscrit sur la liste visée au paragraphe 2 troisième alinéa, il est soumis aux dispositions de l’article 6 paragraphes 2, 3 et 4. »

6

Aux termes de l’article 6 de cette directive :

« 1.   Pour les zones spéciales de conservation, les États membres établissent les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrés dans d’autres plans d’aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de l’annexe I et des espèces de l’annexe II présents sur les sites.

[...]

3.   Tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d’affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans et projets, fait l’objet d’une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site. Compte tenu des conclusions de l’évaluation des incidences sur le site et sous réserve des dispositions du paragraphe 4, les autorités nationales compétentes ne marquent leur accord sur ce plan ou projet qu’après s’être assurées qu’il ne portera pas atteinte à l’intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l’avis du public.

4.   Si, en dépit de conclusions négatives de l’évaluation des incidences sur le site et en l’absence de solutions alternatives, un plan ou projet doit néanmoins être réalisé pour des raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, l’État membre prend toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Nature 2000 est protégée. L’État membre informe la Commission des mesures compensatoires adoptées.

[...] »

7

L’article 7 de ladite directive dispose :

« Les obligations découlant de l’article 6 paragraphes 2, 3 et 4 de la présente directive se substituent aux obligations découlant de l’article 4 paragraphe 4 première phrase de la directive [79/409] en ce qui concerne les zones classées en vertu de l’article 4 paragraphe 1 ou reconnues d’une manière similaire en vertu de l’article 4 paragraphe 2 de ladite directive à partir de la date de mise en application de la présente directive ou de la date de la classification ou de la reconnaissance par un État membre en vertu de la directive [79/409] si cette dernière date est postérieure. »

8

L’article 12, paragraphe 1, de la directive « habitats » prévoit :

« 1.   Les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant :

a)

toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ;

[...]

d)

la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos. »

9

L’annexe I de la directive « habitats », intitulée « Types d’habitats naturels d’intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de zones spéciales de conservation », vise, sous le point 9 relatif aux « [f]orêts (sub)naturelles d’essences indigènes à l’état de futaie avec sous-bois typique, répondant à un des critères suivants : rares ou résiduelles, et/ou hébergeant des espèces d’intérêt communautaire », et sous le titre 91, relatif aux « [f]orêts de l’Europe tempérée », les chênaies-charmaies subcontinentales (chênaies‑charmaies du Galio-Carpinetum) (code Natura 2000 9170) ainsi que les tourbières boisées (code Natura 2000 91D0) et les forêts alluviales à aulnes, à frênes, à saules et à peupliers [forêts alluviales à Alnus glutinosa et Fraximus excelsior (Alno-Padion, Alnion incanae, Salicion albae)] (code Natura 2000 91E0), ces deux dernières forêts étant spécialement désignées comme types d’habitats naturels prioritaires.

10

L’annexe II de cette directive, intitulée « Espèces animales et végétales d’intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de zones spéciales de conservation », vise, sous le point a), intitulé « Animaux », notamment les « Invertébrés », parmi lesquels figurent, dans la liste des espèces d’« Insectes », les coléoptères, dont le Boros schneideri, le bupreste splendide (Buprestis splendens), le cucujus vermillon (Cucujus cinnaberinus), le scarabée pique-prune (Osmoderma eremita) et le phryganophile à cou roux (Phryganophilus ruficollis), avec la précision que ces deux espèces sont prioritaires, ainsi que le Pytho kolwensis et le rhysode sillonné (Rhysodes sulcatus).

11

L’annexe IV de ladite directive, intitulée « Espèces animales et végétales présentant un intérêt communautaire et nécessitant une protection stricte », vise également, sous le point a), intitulé « Animaux », notamment les « Invertébrés », parmi lesquels figurent, dans la liste des espèces d’« Insectes », les coléoptères cités au point précédent, à l’exception du Boros schneideri et du rhysode sillonné.

B. La directive « oiseaux »

12

L’article 1er de la directive « oiseaux » dispose :

« 1.   La présente directive concerne la conservation de toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel le traité est applicable. Elle a pour objet la protection, la gestion et la régulation de ces espèces et en réglemente l’exploitation.

2.   La présente directive s’applique aux oiseaux ainsi qu’à leurs œufs, à leurs nids et à leurs habitats. »

13

L’article 4 de cette directive prévoit :

« 1.   Les espèces mentionnées à l’annexe I font l’objet de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, afin d’assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution.

À cet égard, il est tenu compte :

a)

des espèces menacées de disparition ;

b)

des espèces vulnérables à certaines modifications de leurs habitats ;

c)

des espèces considérées comme rares parce que leurs populations sont faibles ou que leur répartition locale est restreinte ;

d)

d’autres espèces nécessitant une attention particulière en raison de la spécificité de leur habitat.

Il sera tenu compte, pour procéder aux évaluations, des tendances et des variations des niveaux de population.

Les États membres classent notamment en [ZPS] les territoires les plus appropriés en nombre et en superficie à la conservation de ces espèces dans la zone géographique maritime et terrestre d’application de la présente directive.

2.   Les États membres prennent des mesures similaires à l’égard des espèces migratrices non visées à l’annexe I dont la venue est régulière, compte tenu des besoins de protection dans la zone géographique maritime et terrestre d’application de la présente directive en ce qui concerne leurs aires de reproduction, de mue et d’hivernage et les zones de relais dans leur aire de migration. [...]

[...]

4.   Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones de protection visées aux paragraphes 1 et 2, la pollution ou la détérioration des habitats ainsi que les perturbations touchant les oiseaux, pour autant qu’elles aient un effet significatif eu égard aux objectifs du présent article. [...] »

14

Aux termes de l’article 5 de ladite directive :

« Sans préjudice des articles 7 et 9, les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er et comportant notamment l’interdiction :

[...]

b)

de détruire ou d’endommager intentionnellement leurs nids et leurs œufs et d’enlever leurs nids ;

[...]

d)

de les perturber intentionnellement, notamment durant la période de reproduction et de dépendance, pour autant que la perturbation ait un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive ;

[...] »

15

Parmi les diverses espèces mentionnées à l’annexe I de la directive « oiseaux » figurent la bondrée apivore (Pernis apivorus), la chouette chevêchette (Glaucidium passerinum), la chouette de Tengmalm (Aegolius funereus), le pic à dos blanc (Dendrocopos leucotos), le pic tridactyle (Picoides tridactylus), le gobemouche nain (Ficedula parva) et le gobemouche à collier (Ficedula albicollis).

II. Les faits à l’origine du litige

16

Par sa décision 2008/25/CE, du 13 novembre 2007, arrêtant, en application de la directive « habitats », une première liste actualisée des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique continentale (JO 2008, L 12, p. 383), la Commission a approuvé, à la suite des propositions des États membres, la désignation du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, conformément à l’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive « habitats », en tant que SIC, en raison de la présence d’habitats naturels et d’habitats de certaines espèces d’animaux, lequel site devait, par la suite, être désigné par l’État membre concerné comme zone spéciale de conservation, en vertu de l’article 4, paragraphe 4, et de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive. Ce site, qui a été créé pour protéger dix types d’habitats naturels et 55 espèces végétales ou animales, constitue également une ZPS, désignée, en tant que telle, conformément à l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux ». En vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive « habitats », ledit site, en tant que zone spéciale de conservation et que ZPS, relève du réseau Natura 2000.

17

Le site Natura 2000 Puszcza Białowieska est, selon la Commission, l’une des forêts naturelles les mieux conservées d’Europe, se caractérisant par de grandes quantités de bois mort et de vieux arbres, notamment centenaires. Il compte sur son territoire des habitats naturels très bien conservés définis comme « prioritaires », au sens de l’annexe I de la directive « habitats », tels que les habitats 91D0 (tourbières boisées) et 91E0 (forêts alluviales à aulnes, à frênes, à saules et à peupliers), ainsi que d’autres habitats d’importance communautaire, dont l’habitat 9170 (chênaies‑charmaies subcontinentales).

18

Il est constant que, eu égard à l’importante quantité de bois mort, se trouvent aussi sur le territoire du site Natura 2000 Puszcza Białowieska de nombreuses espèces de coléoptères saproxyliques figurant à l’annexe II de la directive « habitats », notamment le Boros schneideri et le rhysode sillonné, ou encore celles inscrites également à l’annexe IV, sous a), de cette directive, en tant qu’espèces nécessitant une protection stricte, telles que le bupreste splendide, le cucujus vermillon, le phryganophile à cou roux et le Pytho kolwensis. Sont également présentes, notamment, des espèces d’oiseaux visées à l’annexe I de la directive « oiseaux », dont l’habitat est constitué par les épicéas moribonds et morts, y compris ceux colonisés par le bostryche typographe (Ips typographus), tels que la bondrée apivore, la chouette chevêchette, la chouette de Tengmalm, le pic à dos blanc, le pic tridactyle, le gobemouche nain et le gobemouche à collier, le pigeon colombin (Colomba oenas) étant, quant à lui, une espèce migratrice relevant de la protection prévue à l’article 4, paragraphe 2, de la directive « oiseaux ».

19

Compte tenu de sa valeur naturelle, la Puszcza Białowieska (ci-après la « forêt de Białowieża ») est également inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).

20

Le site Natura 2000 Puszcza Białowieska, qui s’étend sur une superficie de 63147 hectares, est placé sous l’autorité de deux entités différentes. L’une d’entre elles est chargée de la gestion du parc national de Białowieża (Białowieski Park Narodowy, Pologne), à savoir un territoire qui représente environ 17 % de la superficie de ce site, soit 10517 hectares. L’autre autorité, le Lasy Państwowe (Office des forêts domaniales, Pologne), gère un territoire de 52646,88 hectares, divisé en trois districts forestiers, à savoir Białowieża (12586,48 hectares), Browsk (20419,78 hectares) et Hajnówka (19640,62 hectares). Le district de Białowieża représente ainsi environ 20 % de la superficie du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, soit une superficie presque équivalente à celle du parc national, et correspond à environ 24 % de la superficie des trois districts forestiers réunis.

21

Le 17 mai 2012, le Minister Środowiska (ministre de l’Environnement, Pologne) a émis une recommandation portant exclusion des mesures de gestion au sein des peuplements forestiers de plus de 100 ans.

22

Le 9 octobre 2012, le ministre de l’Environnement a adopté, en réponse à une enquête préinfraction EU Pilot (dossier EU Pilot 2210/11/ENVI) initiée par la Commission au mois de juin 2011, le Plan urządzenia lasu (plan de gestion forestière) relatif à la période 2012-2021 pour les trois districts forestiers de Białowieża, de Browsk et de Hajnówka (ci‑après le « PGF de 2012 »), lequel était accompagné des prévisions quant aux incidences sur l’environnement.

23

Le PGF de 2012 réduisait le volume d’extraction de bois autorisé pour ces districts forestiers à environ 470000 m3 en dix ans, dans une proportion importante par rapport au volume de 1500000 m3 de bois extrait entre les années 2003 et 2012. Pour le district forestier de Białowieża, cette limite était fixée à un volume de 63471 m3.

24

Toutefois, il est constant que, du fait de l’extraction massive de bois entre les années 2012 et 2015, le volume maximal autorisé dans le PGF de 2012 sur une période de dix ans a été atteint dans le district forestier de Białowieża en presque quatre ans. Parallèlement, l’Office des forêts de Białystok a constaté, au cours de cette période, une propagation accrue du bostryche typographe.

25

Le 6 novembre 2015, le Regionalny Dyrektor Ochrony Środowiska w Białymstoku (directeur régional pour la protection de l’environnement de Białystok, Pologne) a adopté le Plan zadań ochronnych (plan de gestion, ci-après le « PZO de 2015 ») qui fixe les objectifs de conservation et établit les mesures de conservation relatives au site Natura 2000 Puszcza Białowieska pour le territoire des trois districts forestiers de Białowieża, de Browsk et de Hajnówka.

26

L’annexe 3 du PZO de 2015 identifie, selon les habitats naturels figurant à l’annexe I de la directive « habitats » ainsi que les habitats des espèces d’animaux figurant à l’annexe II de cette directive et des espèces d’oiseaux mentionnées à l’annexe I de la directive « oiseaux », les pratiques de gestion forestière constituant des dangers potentiels pour le maintien d’un état de conservation favorable des habitats sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

27

L’annexe 5 du PZO de 2015 établit les mesures de conservation visant à prévenir les dangers potentiels recensés à l’annexe 3 de ce plan pour les habitats et les espèces protégés présents dans les trois districts forestiers.

28

Par décision du 25 mars 2016, le ministre de l’Environnement a approuvé, à la demande du directeur général de l’Office des forêts domaniales, une annexe au PGF de 2012 (ci‑après l’« annexe de 2016 ») ayant pour objet de modifier celui-ci, aux fins de porter, dans le district forestier de Białowieża, le volume d’exploitation des principaux produits forestiers, résultant de coupes antérieures à l’abattage et des coupes d’abattage, de 63471 m3 à 188000 m3, ainsi que la surface prévue de boisement et de reforestation, de 12,77 hectares à 28,63 hectares, pour la période 2012‑2021.

29

Cette demande était motivée par « la survenance de graves dommages au sein des peuplements forestiers, à la suite de la propagation constante du bostryche [typographe] de l’épicéa, entraînant (au cours de la période de mise en œuvre du PGF de 2012) la nécessité d’augmenter l’exploitation du bois [...] aux fins de maintenir les forêts dans un état sanitaire approprié, de garantir la durabilité des écosystèmes forestiers, d’interrompre la détérioration et d’entreprendre un processus de régénération des habitats naturels, en ce compris des habitats d’intérêt communautaire ».

30

Ladite demande précisait également que l’annexe de 2016 « porte avant tout sur l’enlèvement d’épicéas colonisés, en vue de limiter la propagation du bostryche typographe (nécessité d’effectuer des coupes sanitaires) » et qu’il sera procédé « à l’enlèvement d’arbres aux fins de garantir la sécurité des personnes présentes dans la forêt de Białowieża (district forestier de Białowieża), car l’accumulation d’arbres moribonds constitue un danger public ». Elle indiquait aussi que « la sécheresse au cours de ces dernières années a accru le dépérissement des arbres et des peuplements d’épicéas, entraînant ainsi une augmentation du risque d’incendie dans la forêt de Białowieża ».

31

Le directeur régional de la protection de l’environnement de Białystok a émis un avis favorable à l’adoption de cette annexe par lettre du 12 février 2016. Par ailleurs, il est constant que, aux fins de cette adoption, la Regionalna Dyrekcja Lasów Państwowych w Białymstoku (direction régionale de l’Office des forêts de Białystok, Pologne), a procédé, dans le courant de l’année 2015, à une évaluation des incidences sur l’environnement des mesures envisagées (ci-après l’« évaluation des incidences de 2015 »), dont il a résulté que celles-ci n’ont pas « d’incidence négative significative sur l’environnement ni, en particulier, sur les objectifs de conservation et l’intégrité du site Natura 2000 [Puszcza Białowieska] ».

32

Par un document daté également du 25 mars 2016, le ministre de l’Environnement et le directeur général de l’Office des forêts domaniales, poursuivant l’objectif de résoudre les divergences d’opinion sur le mode de gestion de la forêt de Białowieża « en s’appuyant sur des connaissances scientifiques », ont élaboré un programme de remédiation, intitulé « programme relatif à la forêt de Białowieża en tant qu’héritage culturel et naturel de l’[Unesco] et en tant que site relevant du réseau Natura 2000 » (ci-après le « programme de remédiation »).

33

En particulier, le programme de remédiation prévoit, afin de mettre un terme à la controverse scientifique sur l’opportunité d’une intervention humaine et de l’abattage des arbres, de mener une expérience à long terme, consistant à réserver un tiers de la surface des trois districts forestiers du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, dans lequel seront évalués les effets de l’absence de mise en œuvre des mesures de gestion forestière, aux fins de les comparer avec ceux des « opérations de coupe et d’exploitation des arbres » prévues dans le courant de l’année 2016, qui auront lieu dans l’autre partie.

34

Le 31 mars 2016, le directeur général de l’Office des forêts domaniales a adopté, conformément à sa mission et « en tenant compte des impératifs liés à la diversification des risques d’altération considérable des habitats naturels et de disparition de la biodiversité, en raison de l’une des plus vastes propagations du bostryche typographe dans l’histoire, sur le territoire de la forêt de Białowieża », la décision no 52 « concernant l’établissement de règles détaillées quant à la gestion forestière dans le ressort territorial des districts forestiers de Białowieża et de Browsk » (ci-après la « décision no 52 »).

35

La section 1 de la décision no 52 prévoit la mise en place, dans ces deux districts forestiers, de « zones fonctionnelles de référence », dans lesquelles il sera uniquement procédé, à partir du 1er avril 2016, à une gestion forestière fondée sur des processus naturels. Elle prévoit ainsi que l’activité de gestion exercée dans ces zones, dont il est précisé qu’elles n’incluent pas les réserves naturelles, doit se limiter, en particulier, à la coupe d’arbres constituant un danger pour la sécurité publique et un risque d’incendie, à laisser place au renouvellement naturel, à maintenir des ressources forestières dans un état limitant au minimum la pénétration des forêts par l’homme et à la création d’une ceinture de protection, le long des limites desdites zones, par l’installation de pièges à phéromones visant à empêcher la transition, depuis et vers ces mêmes zones, d’organismes nuisibles à un degré menaçant la survie des forêts.

36

La section 2 de ladite décision prévoit que, « [d]ans les forêts relevant des districts forestiers de Białowieża et de Browsk, situées en dehors des zones visées à la section 1, l’activité de gestion (fondée sur les plans de gestion forestière) s’exercera conformément aux principes de gestion forestière durable ; cependant, cette gestion s’exercera de manière à assurer, dans les faits, la protection de la nature, en appliquant des méthodes de gestion forestière ».

37

En vertu de la section 4 de cette même décision, des dérogations à ces restrictions sont admises pour l’achèvement de travaux visés par des conventions de gestion forestière existantes et la réalisation de travaux lorsque l’obligation de les réaliser découle de dispositions légales d’application générale, en ce compris le PZO de 2015.

38

Le 17 février 2017, le directeur général de l’Office des forêts domaniales a adopté la décision no 51 « relative à l’enlèvement des arbres colonisés par le bostryche typographe et à l’extraction des arbres constituant une menace pour la sécurité publique et pour la protection contre les incendies dans toutes les classes d’âges des peuplements forestiers des districts forestiers de Białowieża, de Browsk et de Hajnówka » (ci-après la « décision no 51 »).

39

L’article 1er de la décision no 51 impose, notamment, aux autorités compétentes, « [a]u vu de la situation extraordinaire et catastrophique causée par la propagation du bostryche typographe », l’obligation, dans ces trois districts forestiers, de procéder à l’abattage immédiat d’arbres menaçant la sécurité publique, essentiellement le long des voies de communication et des itinéraires touristiques, à l’enlèvement continu d’arbres secs ainsi que des rémanents après récolte, et à l’abattage continu et en temps utile d’arbres colonisés par le bostryche typographe, dans toutes les classes d’âge de peuplements forestiers, ainsi qu’à la récolte du bois et à son transport ou à son écorçage et à son stockage. L’article 2 de cette décision précise, à cet égard, que, pour les besoins de ces coupes, « il est dérogé aux restrictions tenant à l’âge des arbres et à la fonction des peuplements forestiers ».

40

En ce qui concerne l’utilisation du bois récolté à la suite de ces coupes, l’article 1er de ladite décision prévoit que celui-ci doit être intégré dans la réalisation d’un projet de fermes forestières à carbone, que le bois sec non colonisé par le bostryche typographe peut être stocké dans des installations transitoires établies sur les espaces devenus vides et les terrains ouverts, tandis que le bois colonisé exige un écorçage et un stockage. Cette disposition impose également l’organisation d’un système de vente du bois récolté aux fins de satisfaire les besoins des habitants des communes situées dans la zone territoriale de Puszcza Białowieska.

41

Par ailleurs, l’article 1er de la décision no 51 prévoit, d’une part, la mise en œuvre de « différentes méthodes de renouvellement » par voie de régénération naturelle, de reforestation ou de plantation, et de protection, en vue de la restauration des peuplements forestiers après la propagation du bostryche typographe, et, d’autre part, l’obligation de procéder au suivi de ces mesures en effectuant régulièrement l’inventaire de l’état des forêts et l’évaluation de la biodiversité, y compris en recourant à un réseau de surfaces d’inventorisation naturelle à grande échelle.

42

Il est constant que, à la suite de l’adoption de la décision no 51, il a été procédé à l’enlèvement d’arbres secs et d’arbres colonisés par le bostryche typographe dans les trois districts forestiers de Białowieża, de Browsk et de Hajnówka, dans une « zone de restauration forestière » d’environ 34000 hectares, qui représente près de 54 % de la superficie du site Natura 2000 Puszcza Białowieska. Par ailleurs, selon la Commission, qui s’appuie sur les données émanant de l’Office des forêts domaniales, les coupes dans la forêt de Białowieża, réalisées depuis le début de l’année 2017, représenteraient au total plus de 35000 m3 de bois, dont 29000 m3 d’épicéa, soit environ 29000 arbres.

III. La procédure précontentieuse

43

Après avoir été informée de l’approbation de l’annexe de 2016, la Commission a envoyé aux autorités polonaises, par le système électronique de communication préinfraction EU Pilot (dossier EU Pilot 8460/16/ENVI), une demande d’éclaircissements, le 7 avril 2016, sur une série de questions relatives à l’incidence de l’augmentation de l’extraction de bois dans le district forestier de Białowieża sur l’état de conservation d’habitats naturels et d’espèces de la faune sauvage d’intérêt communautaire dans le site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

44

Dans leur réponse du 18 avril 2016, les autorités polonaises ont justifié l’augmentation du volume de bois extrait dans ce site par une propagation sans précédent du bostryche typographe.

45

Les 9 et 10 juin 2016, les services de la Commission se sont rendus dans la forêt de Białowieża pour enquêter sur une dizaine de secteurs différents du site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

46

Le 17 juin 2016, la Commission a adressé aux autorités polonaises, conformément à l’article 258 TFUE, une lettre de mise en demeure, aux motifs que les mesures approuvées dans l’annexe de 2016 n’étaient pas justifiées, que ces autorités avaient omis de s’assurer que lesdites mesures ne porteraient pas atteinte à l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska et que, en autorisant une augmentation de l’extraction de bois, elles avaient manqué aux obligations leur incombant en vertu des directives « habitats » et « oiseaux ».

47

Par lettre du 27 juin 2016 adressée au commissaire européen chargé de l’environnement, le ministre de l’Environnement a fait savoir que des éléments d’information supplémentaires concernant les habitats et les espèces présents sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska étaient nécessaires et que leur inventaire était en cours de réalisation.

48

Les autorités polonaises ont répondu à la lettre de mise en demeure le 18 juillet 2016, en rejetant intégralement les griefs de la Commission.

49

Au cours des mois de février et de mars 2017, un échange de correspondance a eu lieu entre le ministre de l’Environnement et le commissaire européen chargé de l’environnement. Le ministre de l’Environnement a indiqué que les premiers résultats de l’inventaire étaient déjà connus et qu’il avait décidé, sur cette base, de commencer les coupes prévues dans l’annexe de 2016.

50

Par lettre du 28 avril 2017, la Commission a adressé un avis motivé à la République de Pologne, lui reprochant d’avoir manqué aux obligations découlant de l’article 6, paragraphes 1 et 3, et de l’article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive « habitats » ainsi que de l’article 4, paragraphes 1 et 2, et de l’article 5, sous b) et d), de la directive « oiseaux ». La Commission invitait les autorités polonaises à se conformer à cet avis motivé dans un délai d’un mois à compter de sa réception. Elle justifiait ce délai, notamment, par l’information selon laquelle les coupes avaient commencé et par le risque direct que le site Natura 2000 Puszcza Białowieska subisse, de ce fait, un préjudice grave et irréparable.

51

Le 17 mai 2017, la Commission a été informée de l’adoption de la décision no 51.

52

Par lettre du 26 mai 2017, la République de Pologne a répondu à l’avis motivé, en alléguant que les manquements reprochés n’étaient pas fondés.

53

N’étant pas satisfaite de cette réponse, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

IV. La procédure devant la Cour

54

Par acte séparé, déposé au greffe de la Cour le 20 juillet 2017, la Commission a introduit une demande de mesures provisoires au titre de l’article 279 TFUE et de l’article 160, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, visant à ordonner à la République de Pologne que celle‑ci, dans l’attente de l’arrêt de la Cour statuant sur le fond, d’une part, cesse, sauf en cas de menace pour la sécurité publique, les opérations de gestion forestière active dans les habitats 91D0 (tourbières boisées) et 91E0 (forêts alluviales à aulnes, à frênes, à saules et à peupliers), et dans les peuplements forestiers centenaires de l’habitat 9170 (chênaies-charmaies subcontinentales), ainsi que dans les habitats de la bondrée apivore, de la chouette chevêchette, de la chouette de Tengmalm, du pic à dos blanc, du pic tridactyle, du gobemouche nain, du gobemouche à collier et du pigeon colombin et dans les habitats des coléoptères saproxyliques, à savoir le Boros schneideri, le bupreste splendide, le cucujus vermillon, le phryganophile à cou roux, le Pytho kolwensis ainsi que le rhysode sillonné et, d’autre part, cesse l’enlèvement d’épicéas centenaires morts et l’abattage d’arbres dans le cadre de l’augmentation du volume de bois exploitable sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska, lesquelles opérations découlent de l’annexe de 2016 et de la décision no 51.

55

La Commission demandait aussi, en vertu de l’article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure, l’octroi des mesures provisoires susmentionnées avant même que la partie défenderesse n’ait présenté ses observations en raison du risque de préjudice grave et irréparable pour les habitats et l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

56

Par son ordonnance du 27 juillet 2017, Commission/Pologne (C‑441/17 R, non publiée, EU:C:2017:622), le vice-président de la Cour a provisoirement fait droit à cette dernière demande jusqu’au prononcé de l’ordonnance qui mettrait fin à la procédure de référé.

57

Le 13 septembre 2017, la Commission a complété sa demande de mesures provisoires en sollicitant de la Cour qu’elle ordonne, en outre, à la République de Pologne de payer une astreinte pour le cas où celle-ci ne se conformerait pas aux injonctions prononcées dans le cadre de la procédure.

58

Le 28 septembre 2017, la République de Pologne a demandé que la présente affaire soit attribuée à la grande chambre de la Cour, en vertu de l’article 16, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. En application de l’article 161, paragraphe 1, du règlement de procédure, le vice-président de la Cour a déféré cette affaire à la Cour qui, compte tenu de l’importance de ladite affaire, l’a attribuée à la grande chambre, conformément à l’article 60, paragraphe 1, dudit règlement.

59

Par ordonnance du 20 novembre 2017, Commission/Pologne (C‑441/17 R, EU:C:2017:877), la Cour a fait droit à la demande de la Commission, jusqu’au prononcé de l’arrêt qui mettra fin à la présente affaire, tout en autorisant, à titre exceptionnel, la République de Pologne à mettre en œuvre les opérations prévues dans l’annexe de 2016 et la décision no 51 lorsque celles-ci sont strictement nécessaires, et dans la mesure où elles sont proportionnées, pour assurer, de manière directe et immédiate, la sécurité publique des personnes, et cela à condition que d’autres mesures moins radicales ne soient pas possibles pour des raisons objectives. La Cour a également ordonné à la République de Pologne qu’elle communique à la Commission, au plus tard quinze jours après la notification de cette ordonnance, toutes les mesures qu’elle aura adoptées afin de la respecter pleinement, en précisant, de manière motivée, les opérations de gestion forestière active qu’elle prévoit de poursuivre en raison de leur nécessité pour assurer la sécurité publique. La Cour a réservé sa décision concernant la demande complémentaire de la Commission tendant à ce que soit ordonné le paiement d’une astreinte.

60

Par ailleurs, par son ordonnance du 11 octobre 2017, Commission/Pologne (C‑441/17, non publiée, EU:C:2017:794), le président de la Cour a décidé de soumettre d’office la présente affaire à la procédure accélérée prévue à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 133 du règlement de procédure.

V. Sur le recours

61

À l’appui de son recours, la Commission invoque quatre griefs, tirés de la violation, premièrement, de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », deuxièmement, de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive et de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux », troisièmement, de l’article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive « habitats » ainsi que, quatrièmement, de l’article 5, sous b) et d), de la directive « oiseaux ».

A. Sur la recevabilité du recours

1.   Argumentation des parties

62

La République de Pologne fait valoir que les deuxième à quatrième griefs soulevés par la Commission sont irrecevables, dans la mesure où ils portent sur les opérations mises en œuvre sur les territoires des districts forestiers de Browsk et de Hajnówka, visées dans la décision no 51. En effet, d’une part, ces griefs élargiraient de manière injustifiée la portée des griefs définis dans l’avis motivé, dès lors que ces derniers se réfèrent uniquement aux conséquences de l’adoption de l’annexe de 2016 relative au district forestier de Białowieża. Ainsi, l’objet du litige serait élargi ratione loci, mais aussi ratione materiae puisque les opérations visées dans la décision no 51 seraient différentes de celles définies dans l’annexe de 2016. D’autre part, le libellé des deuxième à quatrième griefs serait obscur. En effet, il ne serait pas possible de déterminer si ces griefs sont exclusivement liés à l’adoption de cette annexe ou s’ils portent également sur les opérations prévues par la décision no 51.

63

La Commission estime que les deuxième à quatrième griefs sont recevables. Les faits reprochés à la République de Pologne dans l’avis motivé concerneraient uniquement le district forestier de Białowieża, pour la seule raison que les mesures adoptées par les autorités polonaises, à la date de cet avis, ne concernaient que ce district. Cependant, les mêmes mesures auraient également été adoptées par cet État membre pour les deux autres districts forestiers faisant partie du site Natura 2000 Puszcza Białowieska. S’agissant de faits identiques, constitutifs d’un même comportement, il serait justifié que le recours en manquement porte sur l’ensemble du territoire couvert par les opérations de gestion forestière active concernées au jour de la saisine de la Cour. L’extension géographique opérée entre l’avis motivé et le recours en manquement ne serait que la conséquence du choix des autorités polonaises elles‑mêmes de prendre des décisions de même nature au cours de la procédure précontentieuse et d’en organiser tardivement la publicité.

2.   Appréciation de la Cour

64

Il importe de rappeler que le but de la procédure précontentieuse est de donner à l’État membre concerné la possibilité de se conformer aux obligations découlant pour lui du droit de l’Union ou de faire utilement valoir ses moyens de défense à l’encontre des griefs formulés par la Commission. La régularité de la procédure précontentieuse constitue une garantie essentielle non seulement pour la protection des droits de l’État membre en cause, mais également pour assurer que la procédure contentieuse éventuelle aura pour objet un litige clairement défini (arrêt du 16 septembre 2015, Commission/Slovaquie, C-433/13, EU:C:2015:602, point 39 ainsi que jurisprudence citée).

65

Selon une jurisprudence constante de la Cour, l’objet d’un recours en manquement, en application de l’article 258 TFUE, est fixé par l’avis motivé de la Commission, de telle sorte que le recours doit être fondé sur les mêmes motifs et moyens que cet avis (arrêts du 8 juillet 2010, Commission/Portugal, C‑171/08, EU:C:2010:412, point 25, et du 5 avril 2017, Commission/Bulgarie, C‑488/15, EU:C:2017:267, point 37).

66

Toutefois, cette exigence ne saurait aller jusqu’à imposer, en toute hypothèse, une coïncidence parfaite entre l’énoncé des griefs dans le dispositif de l’avis motivé et les conclusions de la requête, dès lors que l’objet du litige, tel que défini dans l’avis motivé, n’a pas été étendu ou modifié (voir, notamment, arrêt du 9 novembre 2006, Commission/Royaume-Uni, C‑236/05, EU:C:2006:707, point 11).

67

En particulier, l’objet d’un recours en manquement peut s’étendre à des faits postérieurs à l’avis motivé pour autant qu’ils sont de même nature et constitutifs d’un même comportement que les faits visés par ledit avis (voir, notamment, arrêts du 4 février 1988, Commission/Italie, 113/86, EU:C:1988:59, point 11 ; du 9 novembre 2006, Commission/Royaume‑Uni, C‑236/05, EU:C:2006:707, point 12, et du 5 avril 2017, Commission/Bulgarie, C‑488/15, EU:C:2017:267, point 43).

68

En l’occurrence, la Commission invoque, dans l’avis motivé et dans la requête, les quatre mêmes griefs, tirés de la violation par la République de Pologne des obligations lui incombant, d’une part, en vertu de l’article 6, paragraphes 1 et 3, et de l’article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive « habitats » ainsi que, d’autre part, de l’article 4, paragraphes 1 et 2, et de l’article 5, sous b) et d), de la directive « oiseaux ».

69

Il ressort tout autant de l’avis motivé et de la requête que la Commission fait valoir que ces violations sont toutes de nature à porter atteinte à l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

70

À cet égard, il est constant que l’avis motivé porte uniquement sur les opérations prévues dans l’annexe de 2016 dans le district forestier de Białowieża, tandis que les deuxième à quatrième griefs présentés dans la requête, qui font l’objet de l’exception d’irrecevabilité soulevée par la République de Pologne, visent également les opérations mises en œuvre dans les districts forestiers de Browsk et de Hajnówka, en application de la décision no 51.

71

Il convient, toutefois, de relever, tout d’abord, que ces trois districts forestiers relèvent tous du site Natura 2000 Puszcza Białowieska faisant l’objet de l’avis motivé.

72

Ensuite, à l’instar de l’annexe de 2016, qui prévoit, en substance, la mise en œuvre, dans le district forestier de Białowieża, de diverses opérations d’abattage, telles que, en particulier, l’enlèvement, par la voie de « coupes sanitaires », d’épicéas colonisés par le bostryche typographe et celui d’arbres moribonds menaçant la sécurité publique, ainsi que le reboisement, la décision no 51 prévoit, dans ce même district forestier ainsi que dans ceux de Browsk et de Hajnówka, l’abattage continu et en temps utile des arbres colonisés par le bostryche typographe, l’abattage immédiat d’arbres menaçant la sécurité publique, l’enlèvement continu d’arbres secs ainsi que le reboisement des peuplements forestiers affectés par la propagation du bostryche typographe (ci-après les « opérations de gestion forestière active en cause »).

73

Enfin, il ressort des indications fournies par la Commission, non contestées par la République de Pologne, que l’information relative à l’adoption de la décision no 51 n’est parvenue à cette première que le 17 mai 2017, après l’envoi de l’avis motivé, le 28 avril 2017.

74

Il s’ensuit que les faits visés dans l’avis motivé sont de la même nature et constitutifs du même comportement que ceux visés dans la requête.

75

Dans ces conditions, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 66 et 67 du présent arrêt, la Commission pouvait, sans que cela entraîne une modification de l’objet du litige, inclure dans sa requête les opérations de gestion forestière active mises en œuvre dans les districts de Browsk et de Hajnówka du site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

76

Il résulte également des considérations qui précèdent que, contrairement à ce que soutient la République de Pologne, celle-ci ne pouvait éprouver aucun doute quant à la portée des deuxième à quatrième griefs.

77

De plus, eu égard au fait, tout d’abord, que les dispositions dont la violation est invoquée sont identiques, ensuite, que l’objet de ces violations, qui sont toutes de nature à porter atteinte à l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, est le même et, enfin, que les comportements ainsi que les faits visés, à savoir les opérations de gestion forestière active en cause, sont de même nature et motivés par les mêmes considérations, à savoir la propagation du bostryche typographe et la sécurité publique, la République de Pologne ne saurait prétendre qu’elle n’a pas pu utilement faire valoir ses moyens de défense à l’encontre des griefs formulés par la Commission.

78

À cet égard, il convient d’ailleurs d’observer que l’argumentation présentée par cet État membre dans son mémoire en défense concernant ces griefs se rapporte, de manière explicite, tant aux opérations prévues dans l’annexe de 2016 qu’à celles figurant dans la décision no 51.

79

En conséquence, les deuxième à quatrième griefs sont recevables.

B. Sur le manquement

1.   Sur le premier grief, tiré de la violation de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats »

a)   Argumentation des parties

80

La Commission fait valoir que la République de Pologne a manqué aux obligations lui incombant en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », en approuvant l’annexe de 2016 et en mettant en œuvre les opérations de gestion forestière active en cause, sans s’assurer que cela ne porterait pas atteinte à l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

81

Selon la Commission, l’annexe de 2016, en ce qu’elle modifie le PGF de 2012, constitue un « plan » ou un « projet » non directement lié ou nécessaire à la gestion du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, mais susceptible d’affecter ce site de manière significative du fait du triplement du cubage de bois exploitable dans le district forestier de Białowieża qu’elle prévoit. À la différence du PZO de 2015, le PGF de 2012 ne serait pas, en effet, un « plan de gestion », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », parce qu’il ne fixe pas les objectifs et les mesures de conservation nécessaires pour les sites Natura 2000. Le PGF de 2012 viserait principalement à régir les pratiques de gestion forestière, notamment en fixant le volume maximal de bois pouvant être extrait et en établissant des mesures de protection des forêts. Il aurait convenu, dès lors, avant de l’adopter ou de le modifier, de procéder à une évaluation appropriée de ses incidences sur le site Natura 2000 concerné eu égard aux objectifs de conservation de ce site, conformément à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats ».

82

La Commission estime, toutefois, que les autorités polonaises ont omis de s’assurer que l’annexe de 2016 ne porterait pas atteinte à l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, ce qui implique le maintien durable des caractéristiques constitutives de ce site, liées à la présence d’un type d’habitat naturel dont l’objectif de préservation a justifié la désignation dudit site comme SIC et comme ZPS. En l’occurrence, les caractéristiques constitutives de l’intégrité de ce même site seraient les suivantes, à savoir les processus écologiques naturels qui s’y déroulent, tels que la régénération naturelle des arbres, la sélection naturelle des espèces non conduite par l’homme et la succession écologique naturelle, la diversité de la composition en espèces et la structure d’âge de ses peuplements forestiers, qui comptent, notamment, une proportion importante d’arbres dans la phase optimale et dans la phase terminale, l’abondance de bois mort et la présence d’espèces typiques des forêts naturelles non perturbées par l’homme et vivant dans des habitats naturels.

83

Or, les mesures d’enlèvement des arbres morts et moribonds, de gestion forestière sous la forme de « coupes sanitaires », d’abattage d’arbres dans le cas de peuplements plus que centenaires dans des chênaies‑charmaies subcontinentales et dans des forêts alluviales, et d’enlèvement d’épicéas plus que centenaires moribonds ou morts colonisés par le bostryche typographe, prévues dans l’annexe de 2016, coïncideraient avec les dangers potentiels pour les habitats naturels et les habitats d’espèces en cause, recensés dans le PZO de 2015. Ces dangers potentiels incluraient de facto les « coupes sanitaires ».

84

En revanche, l’action du bostryche typographe ne serait pas considérée dans le PZO de 2015 comme une menace pour les habitats en cause, pas plus que la lutte contre le bostryche typographe au moyen de l’abattage de peuplements d’arbres et de l’enlèvement des épicéas colonisés n’aurait été reconnue comme une mesure de conservation dans ce plan. Tout au contraire, ce serait précisément l’enlèvement des épicéas colonisés par le bostryche typographe qui serait explicitement considéré par le PZO de 2015 comme une menace pour les habitats de la chouette chevêchette, de la chouette de Tengmalm et du pic tridactyle.

85

En l’état actuel des connaissances, les phases de propagation du bostryche typographe seraient considérées comme faisant partie du cycle naturel des vieilles forêts comprenant des épicéas. Ces phénomènes auraient été régulièrement observés dans le passé dans la forêt de Białowieża. Ils ne feraient d’ailleurs l’objet d’aucun suivi dans l’enceinte du parc national de Białowieża, où l’état de conservation des habitats serait meilleur que dans les districts forestiers gérés par l’Office des forêts domaniales dans lesquels des « coupes sanitaires » ont été effectuées. Des études scientifiques attesteraient également du meilleur état de conservation des habitats de la forêt de Białowieża qui sont exclus de toute intervention humaine. Les scientifiques craindraient également que l’enlèvement des arbres morts ou moribonds déséquilibre la structure d’âge des peuplements forestiers, appauvrisse la diversité des espèces et des habitats protégés et fasse disparaître d’importantes sources de nourriture pour de nombreuses espèces animales protégées. L’enlèvement du bois mort dans le cadre des « coupes sanitaires » serait donc incompatible avec les objectifs de conservation des zones protégées, le maintien du bois mort dans la forêt étant nécessaire pour préserver la biodiversité.

86

La Commission souligne également que l’étendue sur laquelle les coupes sont prévues dans l’annexe de 2016 n’est pas négligeable.

87

En effet, tout d’abord, les zones où une augmentation de l’extraction de bois est autorisée coïncideraient avec celles où le PZO de 2015 prévoit des mesures de conservation qui excluent les peuplements plus que centenaires des opérations de gestion forestière.

88

Ensuite, la décision no 51 imposerait, dans les trois districts forestiers du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, l’abattage et l’enlèvement d’arbres venant de tous les peuplements de toute classe d’âge afin de lutter contre le bostryche typographe. Ainsi, la « zone de restauration forestière » dans laquelle ont démarré, en vertu de l’annexe de 2016, les opérations visant à empêcher la propagation du bostryche typographe représenterait une superficie de 34000 hectares, soit 50 % de la superficie de ce site, alors que les zones de référence s’étendraient sur 17000 hectares.

89

Enfin, à supposer même que la superficie sur laquelle l’annexe de 2016 prévoit des opérations de gestion forestière représenterait, comme le font valoir les autorités polonaises, 5 % du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, cela ne serait pas négligeable, dès lors qu’il en résulterait la non-application des obligations prévues à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » et qu’une importance déterminante devrait être accordée à l’obligation de préserver l’intégrité fonctionnelle de ce site en respectant la connectivité écologique pour les espèces tributaires d’une grande quantité de bois mort. En réalité, en fixant, dans le PGF de 2012, un volume de bois exploitable de 63471 m3 jusqu’en 2021, les autorités compétentes auraient trouvé, après avoir évalué les incidences sur l’environnement, un niveau équilibré d’exploitation au regard des objectifs de conservation dudit site.

90

La Commission considère que les autorités polonaises n’ont tenu compte, à aucun moment du processus décisionnel, des avis émis par plusieurs organismes scientifiques, dont elles avaient pourtant connaissance, selon lesquels, en substance, les opérations de gestion forestière active en cause étaient de nature à causer des préjudices au site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

91

En particulier, ces autorités n’auraient pas pu exclure l’existence de doutes scientifiques concernant l’absence d’effets préjudiciables sur l’intégrité de ce site en se fondant sur l’évaluation des incidences de 2015. En effet, cette évaluation reposerait sur l’appréciation des incidences effectuée en 2012 et se concentrerait sur les peuplements colonisés par le bostryche typographe. Elle serait, en outre, fondée sur une méthode erronée, dès lors qu’elle ne se réfère pas aux objectifs particuliers de la conservation des habitats et des espèces animales ayant fait l’objet du PZO de 2015, qu’elle ne définit pas ce que signifie l’intégrité dudit site et n’indique pas en quoi les opérations prévues ne sont pas susceptibles de lui porter atteinte. Par ailleurs, l’adoption de l’annexe de 2016 ne serait pas fondée sur des informations actualisées, puisque, afin de mieux connaître les lieux de répartition de ces espèces, les autorités polonaises ont procédé en 2016 à un inventaire du site en cause dont les résultats étaient encore en cours d’établissement lors de l’adoption de l’avis motivé.

92

La Commission rappelle que c’est à la date de l’adoption de la décision autorisant la réalisation du projet en cause qu’il ne doit subsister aucun doute raisonnable d’un point de vue scientifique concernant l’absence d’effets préjudiciables pour l’intégrité du site concerné. Partant, la République de Pologne aurait violé l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » ne fût-ce qu’en raison du fait que le ministre de l’Environnement, en approuvant l’annexe de 2016, ne pouvait pas être certain que les opérations prévues dans cette annexe n’auraient pas d’effets préjudiciables sur l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska. Il en résulterait également qu’aucune mesure ultérieure ne saurait remédier à la violation de cette disposition, pas même en cas d’établissement ultérieur de l’absence d’effets préjudiciables, puisque les conditions de l’adoption d’une décision positive n’étaient pas remplies lorsque ladite annexe a été approuvée.

93

La mise en place de zones de référence par la décision no 52 ne pourrait donc être considérée comme une mesure atténuant les effets préjudiciables de la mise en œuvre de l’annexe de 2016. D’une part, ces zones n’auraient pas fait l’objet de l’évaluation des incidences de 2015. D’autre part, l’établissement desdites zones ne permettrait pas d’éviter ou de réduire les effets préjudiciables causés par la mise en œuvre de cette annexe. Il se bornerait, en effet, à préserver la situation antérieure dans une partie du district forestier de Białowieża, mais ne limiterait pas les effets préjudiciables découlant des opérations prévues dans l’annexe de 2016 sur le reste du territoire de ce district, dont l’étendue est plus importante. Les zones de référence en cause auraient, en outre, été désignées de façon arbitraire. En réalité, la désignation de telles zones n’ayant pas eu d’incidence sur le volume maximal total d’extraction de bois fixé dans cette annexe, la détermination de ces zones entraînerait une intensification de l’abattage sur le reste du territoire du district forestier de Białowieża. Par ailleurs, il serait possible de déroger à l’exclusion desdites zones. En outre, la décision no 51 ordonnerait d’abattre et d’enlever les arbres secs et les arbres de toutes classes d’âge colonisés par le bostryche typographe sans tenir compte de ces mêmes zones.

94

La République de Pologne souligne, tout d’abord, que le PGF de 2012, tout comme l’annexe de 2016, est un « plan de gestion », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ». Un tel plan serait, en effet, un outil technique nécessaire afin d’assurer la mise en œuvre des mesures de conservation prévues dans le PZO de 2015, dès lors que ce dernier ne fixe pas de volume d’extraction de bois. En particulier, l’annexe de 2016 permettrait de réaliser l’objectif de conservation consistant à limiter la propagation du bostryche typographe. À cet égard, il devrait être souligné que le niveau d’exploitation du bois visé dans cette annexe, à savoir 188000 m3 pour le district forestier de Białowieża, est nettement inférieur aux niveaux inscrits dans les plans de gestion relatifs aux périodes 1992-2001 et 2002-2011, qui étaient, respectivement, de 308000 m3 et de302 000 m3.

95

Ensuite, la République de Pologne souligne qu’il a été jugé probable que la mise en œuvre de l’annexe de 2016 puisse avoir un impact potentiel sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska. Ce serait précisément pour cette raison qu’il a été considéré nécessaire de procéder à l’évaluation des incidences de 2015. En l’occurrence, à la suite de cette évaluation, un premier projet d’annexe, portant le volume d’exploitation de bois à 317894 m3, aurait fait l’objet d’un avis négatif. Prenant en considération cette évaluation, l’annexe de 2016 aurait réduit l’exploitation de bois à concurrence de 129000 m3. La nouvelle évaluation portant sur cette annexe aurait démontré l’absence de probabilité d’incidence négative significative sur l’intégrité du site. En réalité, ladite annexe aurait un impact positif significatif sur les éléments protégés dans le PZO de 2015. En effet, la modification du volume d’exploitation serait indispensable aux fins de la mise en œuvre des mesures de conservation prévues dans ce dernier. Par ailleurs, l’annexe de 2016 ne prévoirait pas de tuer intentionnellement, de capturer ou de perturber les animaux.

96

Selon la République de Pologne, la Commission a présumé à tort que les mesures énumérées dans l’annexe de 2016 comportaient en soi un risque d’effets préjudiciables pour l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

97

À cet égard, la Commission aurait omis de prendre en compte le fait que l’intégrité de ce site a été façonnée pendant des siècles par la main de l’homme, par l’intermédiaire d’une exploitation durable des forêts. En particulier, l’état et le pourcentage de couverture des habitats et des espèces présents lors de la désignation dudit site seraient le résultat de l’exploitation antérieure de la forêt de Białowieża, à savoir de l’extraction du bois dans des peuplements forestiers plantés par le passé. En réalité, ce serait la diminution drastique, sous la pression de la Commission, de l’exploitation du bois au sein des peuplements forestiers vieillissants dans le PGF de 2012 qui aurait entraîné un dépérissement des peuplements forestiers, en particulier des épicéas, en raison de la propagation du bostryche typographe ainsi générée. À la suite de ce dépérissement, les habitats protégés auraient commencé à subir des modifications. En particulier, l’habitat 9170 (chênaies‑charmaies subcontinentales), soit l’habitat dominant, aurait commencé à se transformer en marécages ou en prairies. Les autorités polonaises auraient, dès lors, élaboré le programme de remédiation ayant pour point de départ un inventaire global de l’état des habitats et des espèces du site Natura 2000 Puszcza Białowieska. Dans ce contexte, l’adoption de l’annexe de 2016 constituerait une tentative de retour à l’ancienne méthode de gestion.

98

Dans ces conditions, ce serait l’interruption des mesures de conservation qui mettrait en péril l’intégrité de ce site et la continuité des habitats qui s’y trouvent. L’absence d’action de l’homme visant à soutenir le maintien de la biodiversité engendrerait un dépérissement des espèces et de leurs habitats. La Commission aurait donc commis une erreur en se fondant sur le caractère primaire de la forêt de Białowieża et en affirmant que les espèces présentes dans cette forêt sont des espèces typiques des zones non perturbées par l’homme.

99

Le choix d’une gestion forestière active serait également retenu dans d’autres États membres. Ainsi, en Autriche, aurait été mis en place un programme relatif à la limitation de la propagation du bostryche typographe dans les parcs nationaux et sur les terrains à haute valeur naturelle, dans le cadre duquel l’interdiction d’effectuer des travaux a été maintenue dans les « centres de biodiversité », en protégeant simultanément les forêts de production avoisinantes par l’utilisation de techniques de gestion forestière. Il serait généralement recommandé que les terrains sur lesquels les processus naturels sont protégés, comme les parcs nationaux, soient clairement divisés en une zone libre d’intervention et en des zones périphériques, où seront entreprises des opérations visant à restreindre la propagation du bostryche typographe. En créant des zones de référence, la République de Pologne aurait mis en œuvre une approche identique.

100

La République de Pologne fait valoir que les opérations prévues dans l’annexe de 2016 sont conformes au PZO de 2015. En effet, conformément à ce dernier, cette annexe exclurait les opérations de gestion, telles que les abattages et les coupes antérieures à l’abattage, dans les peuplements d’une espèce composés pour au moins 10 % de spécimens de 100 ans et plus. Dans ces peuplements, seules des « coupes sanitaires » auraient lieu afin d’éliminer le bois d’épicéa colonisé par le bostryche typographe. Le bois sec ne serait pas enlevé. De plus, aucune « coupe sanitaire » ne serait effectuée dans les réserves naturelles et dans les habitats marécageux et humides. Les aires non visées par les « coupes sanitaires » représenteraient ainsi 7123 hectares, soit 58 % de la surface du district forestier de Białowieża. Par ailleurs, les opérations prévues dans l’annexe de 2016 porteraient uniquement sur 5,4 % de la surface du site en cause, soit 3401 hectares. Dans ces conditions, l’évaluation des incidences de 2015 aurait exclu que la menace potentielle, identifiée dans le PZO de 2015, liée à l’enlèvement des arbres morts et moribonds, puisse se matérialiser.

101

La République de Pologne ajoute, s’agissant des coléoptères saproxyliques, qu’il ne sera pas procédé à l’enlèvement des pins morts sur pied et exposés au soleil, qui constituent l’habitat du bupreste splendide. Quant aux populations de cucujus vermillon, elles se concentreraient sur le tremble et sur le frêne, selon les études menées au cours des années 2016 et 2017 sur près de 12000 arbres analysés. L’inventaire réalisé depuis le mois d’avril 2016 constituerait le premier projet de cette nature, dans le cadre duquel différents éléments constitutifs de la biodiversité ont été évalués de manière objective et statistiquement vérifiés, sur 1400 aires réparties au sein d’un réseau régulier, s’étendant sur la totalité du site de la forêt de Białowieża. Concernant le Boros schneideri, la menace la plus importante résulterait aussi du déclin du pin. Quant au phryganophile à cou roux, au Pytho kolwensis et au rhysode sillonné, la menace la plus grave résulterait de l’interruption de l’afflux continu de bois mort de grande dimension, interruption qui serait causée par le prompt dépérissement des peuplements d’épicéas plus anciens en raison de la propagation du bostryche typographe.

102

Par ailleurs, la mise en œuvre de coupes liées à l’enlèvement d’épicéas morts aurait un impact positif sur l’habitat du bupreste splendide et du scarabée pique-prune, en augmentant l’accès à la lumière dans la forêt. Quant aux autres espèces, à savoir le Boros schneideri, le cucujus vermillon et le rhysode sillonné, l’épicéa ne serait pas leur essence favorite. À l’heure actuelle, la forêt de Białowieża compterait en moyenne environ 64 m3 de bois mort par hectare. Eu égard à l’apparition continue de bois mort dans le paysage, cet élément garantirait pleinement la sécurité des habitats des espèces de coléoptères en cause.

103

Selon la République de Pologne, il convient également de tenir compte des zones de référence. Celles-ci ne viseraient nullement à compenser ou à atténuer l’incidence prétendument négative des opérations de gestion forestière active en cause. Ces zones auraient en effet été établies conformément au principe de coopération loyale, visé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, à des fins de comparaison par rapport aux autres zones de la forêt de Białowieża. Par ailleurs, la localisation desdites zones serait liée à l’état de conservation des habitats naturels et à l’absence de nécessité d’effectuer des missions de conservation qui résulteraient du PZO de 2015. La Commission ne pourrait non plus reprocher aux autorités polonaises de ne pas avoir soumis ces mêmes zones à une évaluation des incidences sur l’environnement. En effet, à suivre un tel raisonnement, une critique identique devrait être adressée à l’interruption de l’exploitation dans toute la forêt de Białowieża demandée par la Commission.

104

À cet égard, la Commission considérerait, à tort, que l’inaction a un impact positif sur la biodiversité. Ainsi, il ressortirait des résultats de l’inventaire réalisé depuis le mois d’avril 2016 que, par exemple, dans la zone de protection stricte du parc national de Białowieża, une seule colonie de Boros schneideri est présente, alors que, sur le territoire du district forestier de Białowieża, une telle présence a été constatée 70 fois. Une situation analogue se produirait pour toute une série d’autres espèces, telles que, notamment, la chouette chevêchette ou le pic tridactyle.

105

Enfin, en ce qui concerne la prise en compte des meilleures connaissances scientifiques disponibles, la République de Pologne souligne que la forêt de Białowieża est un écosystème à ce point spécifique et unique que les résultats des études, portant sur l’interdépendance entre les différents organismes, réalisées dans d’autres écosystèmes, ne peuvent pas être transposés à la situation de cette forêt. Or, si une partie des milieux scientifiques serait opposée au traitement de la propagation du bostryche typographe par l’abattage des arbres colonisés, il existerait aussi une série de travaux scientifiques selon lesquels l’absence d’intervention contre le bostryche typographe dans la forêt de Białowieża générerait précisément une forte probabilité de voir survenir un préjudice grave et irréparable pour les habitats naturels et pour les habitats des espèces animales pour la conservation desquels le site Natura 2000 Puszcza Białowieska a été désigné. Par ailleurs, il ressortirait d’une étude concernant la forêt de Białowieża que la protection stricte devrait constituer uniquement un complément et non l’élément principal de la stratégie de conservation et de maintien d’un haut niveau de biodiversité.

b)   Appréciation de la Cour

1) Observations liminaires

106

Il convient de rappeler que l’article 6 de la directive « habitats » impose aux États membres une série d’obligations et de procédures spécifiques visant à assurer, ainsi qu’il ressort de l’article 2, paragraphe 2, de cette directive, le maintien ou, le cas échéant, le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt pour l’Union européenne, en vue d’atteindre l’objectif plus général de la même directive qui est de garantir un niveau élevé de protection de l’environnement s’agissant des sites protégés en vertu de celle-ci (voir en ce sens, notamment, arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a., C‑258/11, EU:C:2013:220, point 36, ainsi que du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK, C‑243/15, EU:C:2016:838, point 43).

107

Dans ce contexte, les dispositions de la directive « habitats » visent à ce que les États membres prennent des mesures de protection appropriées afin de maintenir les caractéristiques écologiques des sites qui abritent des types d’habitats naturels (arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a., C‑258/11, EU:C:2013:220, point 38, ainsi que du 21 juillet 2016, Orleans e.a., C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 36).

108

À cette fin, l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » prévoit une procédure d’évaluation visant à garantir, à l’aide d’un contrôle préalable, qu’un plan ou un projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site concerné, mais susceptible d’affecter ce dernier de manière significative, ne soit autorisé que pour autant qu’il ne portera pas atteinte à l’intégrité de ce site (voir, notamment, arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a., C‑258/11, EU:C:2013:220, point 28, ainsi que du 21 juillet 2016, Orleans e.a., C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 43).

109

À cet égard, il convient de préciser que, en ce qui concerne les zones classées en ZPS, les obligations découlant de cette disposition remplacent, conformément à l’article 7 de la directive « habitats », les obligations découlant de l’article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive « oiseaux », à partir de la date de classification en vertu de cette directive lorsque cette dernière date est postérieure à la date de mise en application de la directive « habitats » (voir en ce sens, notamment, arrêt du 24 novembre 2016, Commission/Espagne, C‑461/14, EU:C:2016:895, points 71 et 92 ainsi que jurisprudence citée).

110

L’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » distingue deux phases.

111

La première phase, visée à la première phrase de ladite disposition, exige des États membres d’effectuer une évaluation appropriée des incidences d’un plan ou d’un projet sur un site protégé lorsqu’il existe une probabilité que ce plan ou projet affecte de manière significative ce site (arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a., C‑258/11, EU:C:2013:220, point 29, ainsi que du 21 juillet 2016, Orleans e.a., C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 44).

112

En particulier, compte tenu du principe de précaution, lorsqu’un plan ou un projet non directement lié ou nécessaire à la gestion d’un site risque de compromettre les objectifs de conservation de celui-ci, il doit être considéré comme susceptible d’affecter ce site de manière significative. L’appréciation dudit risque doit être effectuée, notamment, à la lumière des caractéristiques et des conditions environnementales spécifiques du site concerné par un tel plan ou projet (voir, notamment, arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a., C‑258/11, EU:C:2013:220, point 30, ainsi que du 21 juillet 2016, Orleans e.a., C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 45).

113

L’évaluation appropriée des incidences d’un plan ou d’un projet sur le site concerné devant être effectuée en vertu de l’article 6, paragraphe 3, première phrase, de la directive « habitats » implique que doivent être identifiés, compte tenu des meilleures connaissances scientifiques en la matière, tous les aspects du plan ou du projet en cause pouvant, par eux‑mêmes ou en combinaison avec d’autres plans ou projets, affecter les objectifs de conservation de ce site (voir, notamment, arrêts du 21 juillet 2016, Orleans e.a., C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 51, ainsi que du 26 avril 2017, Commission/Allemagne, C‑142/16, EU:C:2017:301, point 57).

114

L’évaluation effectuée au titre de l’article 6, paragraphe 3, première phrase, de la directive « habitats » ne saurait, dès lors, comporter des lacunes et doit contenir des constatations et des conclusions complètes, précises et définitives, de nature à dissiper tout doute scientifique raisonnable quant aux effets des travaux qui sont envisagés sur le site protégé concerné (voir, notamment, arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a., C‑258/11, EU:C:2013:220, point 44, ainsi que du 21 juillet 2016, Orleans e.a., C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 50).

115

La seconde phase, visée à l’article 6, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive « habitats », qui intervient à la suite de ladite évaluation appropriée, limite l’autorisation d’un tel plan ou projet à la condition que celui-ci ne porte pas atteinte à l’intégrité du site concerné, sous réserve des dispositions du paragraphe 4 de cet article (arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a., C‑258/11, EU:C:2013:220, point 31, ainsi que du 21 juillet 2016, Orleans e.a., C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 46).

116

Le fait de ne pas porter atteinte à l’intégrité d’un site en tant qu’habitat naturel, au sens de l’article 6, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive « habitats », suppose de le préserver dans un état de conservation favorable, ce qui implique le maintien durable des caractéristiques constitutives du site concerné, liées à la présence d’un type d’habitat naturel dont l’objectif de préservation a justifié la désignation de ce site dans la liste des SIC, au sens de cette directive (voir, notamment, arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a., C‑258/11, EU:C:2013:220, point 39, ainsi que du 21 juillet 2016, Orleans e.a., C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 47).

117

L’autorisation d’un plan ou d’un projet, au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », ne peut, dès lors, être octroyée qu’à la condition que les autorités compétentes aient acquis la certitude qu’il est dépourvu d’effets préjudiciables durables pour l’intégrité du site concerné. Il en est ainsi lorsqu’il ne subsiste aucun doute raisonnable d’un point de vue scientifique quant à l’absence de tels effets (voir en ce sens, notamment, arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a., C‑258/11, EU:C:2013:220, point 40, ainsi que du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK, C‑243/15, EU:C:2016:838, point 42).

118

Cette disposition intègre ainsi le principe de précaution et permet de prévenir de manière efficace les atteintes à l’intégrité des sites protégés dues aux plans ou aux projets envisagés. Un critère d’autorisation moins strict ne saurait garantir de manière aussi efficace la réalisation de l’objectif de protection des sites à laquelle tend ladite disposition (arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a., C‑258/11, EU:C:2013:220, point 41, ainsi que du 21 juillet 2016, Orleans e.a., C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 53).

119

Les autorités nationales compétentes ne sauraient, dès lors, autoriser des interventions qui risquent de compromettre durablement les caractéristiques écologiques des sites qui abritent des types d’habitats naturels d’intérêt communautaire ou prioritaires. Tel serait, notamment, le cas lorsqu’une intervention risque d’aboutir à la disparition ou à la destruction partielle et irréparable d’un tel type d’habitat naturel présent sur le site concerné (voir en ce sens, notamment, arrêts du 24 novembre 2011, Commission/Espagne, C‑404/09, EU:C:2011:768, point 163, ainsi que du 11 avril 2013, Sweetman e.a., C‑258/11, EU:C:2013:220, point 43).

120

Selon une jurisprudence constante, c’est à la date de l’adoption de la décision autorisant la réalisation du projet qu’il ne doit subsister aucun doute raisonnable d’un point de vue scientifique concernant l’absence d’effets préjudiciables pour l’intégrité du site concerné (voir, notamment, arrêts du 26 octobre 2006, Commission/Portugal, C‑239/04, EU:C:2006:665, point 24, et du 26 avril 2017, Commission/Allemagne, C‑142/16, EU:C:2017:301, point 42).

121

C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner si, comme la Commission le soutient par son premier grief, la République de Pologne a violé, par l’adoption de l’annexe de 2016 et de la décision no 51, les obligations lui incombant au titre de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats ».

2) Sur l’existence d’un plan ou d’un projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site concerné

122

L’annexe de 2016 a modifié le PGF de 2012 relatif au district forestier de Białowieża, aux fins de permettre, pour la période 2012‑2021, l’augmentation, dans ce district forestier, du volume de bois exploitable de 63471 m3 à 188000 m3, par la réalisation d’opérations de gestion forestière active, telles que l’enlèvement, par des « coupes sanitaires », d’épicéas colonisés par le bostryche typographe, l’enlèvement d’arbres moribonds et le reboisement. En application de la décision no 51, ces opérations ont été mises en œuvre, non seulement dans le district forestier de Białowieża, mais également dans les districts forestiers de Browsk et de Hajnówka.

123

Il en ressort que l’annexe de 2016, ayant ainsi pour seul objet d’augmenter le volume de bois exploitable par la réalisation des opérations de gestion forestière active en cause au sein du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, ne fixe en rien les objectifs et les mesures de conservation relatifs à ce site, lesquels figurent, en réalité, dans le PZO de 2015, adopté peu de temps auparavant par les autorités polonaises.

124

Partant, l’annexe de 2016 et la décision no 51, en ce qu’elles permettent une telle intervention dans le milieu naturel destinée à l’exploitation des ressources de la forêt, constituent un « plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion » du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, au sens de l’article 6, paragraphe 3, première phrase, de la directive « habitats ».

125

Il est sans pertinence, à cet égard, que le volume de bois exploitable prévu dans l’annexe de 2016 soit inférieur à celui autorisé par les plans de gestion forestière relatifs aux périodes 1992-2001 et 2002-2011. En effet, l’existence d’un plan ou d’un projet non directement lié ou nécessaire à la gestion d’un site protégé dépend essentiellement de la nature de l’intervention en cause et non de la seule ampleur de celle-ci.

126

Par ailleurs, c’est à tort que la République de Pologne soutient que l’annexe de 2016 a permis de réaliser l’objectif de conservation consistant à limiter la propagation du bostryche typographe. En effet, cet objectif ne figure nullement parmi les objectifs de conservation figurant dans le PZO de 2015, lequel, tout au contraire, prévoit explicitement, à l’annexe 3, que l’enlèvement des épicéas colonisés par le bostryche typographe doit être considéré comme un danger potentiel pour le maintien d’un état de conservation favorable des habitats de la chouette chevêchette, de la chouette de Tengmalm et du pic tridactyle.

127

Il s’ensuit que la République de Pologne était tenue, en vertu de l’article 6, paragraphe 3, première phrase, de la directive « habitats », d’effectuer une évaluation appropriée des incidences des opérations de gestion forestière active en cause s’il existait une probabilité que ces opérations affectent de manière significative l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

3) Sur la nécessité et l’existence d’une évaluation appropriée des incidences sur le site concerné

128

Il y a lieu de constater que, par leur nature même, les opérations de gestion forestière active en cause, en ce qu’elles prévoient la mise en œuvre de mesures, telles que l’enlèvement et l’abattage d’arbres, dans des habitats protégés au sein du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, sont susceptibles, compte tenu également de leur ampleur et de leur intensité, de compromettre les objectifs de conservation de ce site.

129

À cet égard, il convient, en particulier, de relever que l’annexe de 2016 autorise l’extraction d’un volume de bois de 188000 m3 dans le district forestier de Białowieża pour la période 2012-2021, ce qui représente un niveau important d’exploitation, presque trois fois supérieur à celui qui était autorisé par le PGF de 2012 pour la même période.

130

Il en résulte qu’il existait une probabilité que les opérations de gestion forestière active en cause affectent de manière significative l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

131

En l’occurrence, la République de Pologne ne conteste d’ailleurs pas qu’elle était tenue d’effectuer une évaluation des incidences de ces opérations sur ledit site, au titre de l’article 6, paragraphe 3, première phrase, de la directive « habitats ». Elle soutient, en revanche, s’être pleinement conformée à cette disposition en ayant procédé à l’évaluation des incidences de 2015.

132

Certes, il est constant que, à la suite d’une première évaluation ayant conclu que le projet initial d’annexe au PGF de 2012 relatif au district forestier de Białowieża, qui autorisait un volume d’exploitation de bois de 317894 m3, était susceptible de comporter des effets préjudiciables pour l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, les autorités polonaises ont réduit ce volume, dans l’annexe de 2016, à 188000 m3.

133

Toutefois, il demeure que l’évaluation des incidences de 2015 comporte plusieurs lacunes substantielles.

134

En premier lieu, il convient de constater que cette évaluation porte uniquement sur l’annexe de 2016 et non sur la décision no 51, alors que celle‑ci a étendu la mise en œuvre des opérations de gestion forestière active prévues dans ladite annexe dans le seul district forestier de Białowieża aux districts forestiers de Browsk et de Hajnówka et, partant, à l’ensemble du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, à l’exception du seul parc national.

135

Il en résulte que l’incidence de ces opérations dans ces deux derniers districts forestiers n’a fait l’objet d’aucune évaluation par les autorités polonaises. Or, conformément à la jurisprudence rappelée au point 113 du présent arrêt, l’évaluation des incidences d’un plan ou d’un projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site concerné doit tenir compte des effets cumulatifs qui découlent de la combinaison de ce plan ou projet avec d’autres plans ou projets eu égard aux objectifs de conservation de ce site.

136

En deuxième lieu, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 162 de ses conclusions, il ressort des termes mêmes du point 4.2 de l’évaluation des incidences de 2015, selon lequel « [l]es dispositions relatives aux incidences sur le site Natura 2000 [Puszcza Białowieska] figurant dans l’“évaluation des incidences sur l’environnement” pour les années 2012-2021 ne doivent pas, en principe, être actualisées », que celle‑ci a été effectuée sur la base des données utilisées aux fins d’évaluer les incidences du PGF de 2012 sur ce site, et non sur la base de données actualisées.

137

Or, une évaluation ne saurait être considérée comme « appropriée », au sens de l’article 6, paragraphe 3, première phrase, de la directive « habitats », lorsque manquent des données actualisées concernant les habitats et les espèces protégés (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2012, Nomarchiaki Aftodioikisi Aitoloakarnanias e.a., C‑43/10, EU:C:2012:560, point 115).

138

Tel est d’autant plus le cas dans la présente affaire que les opérations de gestion forestière active en cause visent précisément à tenir compte d’un élément nouveau qui serait survenu sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska après l’adoption du PGF de 2012, à savoir, selon les termes du point 2.8 de l’évaluation des incidences de 2015, « une dégradation plus importante des peuplements forestiers causée par la propagation croissante du bostryche typographe », dont les premiers symptômes seraient apparus, selon ce document, dès l’année 2011 et dont l’apogée aurait été atteinte au cours de l’année 2015.

139

En outre, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 113, 114 et 120 du présent arrêt, c’est sur le fondement de constatations et de conclusions complètes, précises et définitives qu’il ne devait subsister, à la date de l’adoption de l’annexe de 2016 autorisant la réalisation des opérations de gestion forestière active en cause, aucun doute raisonnable d’un point de vue scientifique, compte tenu des meilleures connaissances en la matière, en ce qui concerne l’absence d’effets préjudiciables pour l’intégrité dudit site.

140

En troisième lieu, il y a lieu de relever que l’évaluation des incidences de 2015 ne se réfère pas aux objectifs de conservation des habitats et des espèces protégés sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska ayant fait l’objet du PZO de 2015, pas plus qu’elle ne définit l’intégrité de ce site ou n’examine sérieusement les raisons pour lesquelles les opérations de gestion forestière active en cause ne sont pas susceptibles de lui porter atteinte.

141

En particulier, cette évaluation, qui se focalise essentiellement sur les peuplements colonisés par le bostryche typographe, à savoir, principalement, les épicéas, n’examine pas de manière systématique et détaillée les risques que la mise en œuvre de ces opérations comporte pour chacun des habitats et des espèces protégés au sein du site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

142

Ainsi, en ce qui concerne les habitats 91D0 (tourbières boisées) et 91E0 (forêts alluviales à aulnes, à frênes, à saules et à peupliers), ladite évaluation, après avoir relevé que ces habitats feront l’objet d’« éclaircies » dans des peuplements comprenant l’épicéa, conclut, sans autre analyse, à son point 4.2.1, que ces éclaircies « ne seront pas préjudiciables à l’état de conservation de l’habitat », se bornant, à cet égard, à indiquer que l’étendue des coupes « devrait découler du risque réel d’extension de la propagation », sans cependant fournir la moindre donnée concrète concernant l’évolution probable de cette propagation.

143

De même, l’évaluation des incidences de 2015 conclut, à son point 4.2.3, à l’existence « d’incidences négligeables » pour le phryganophile à cou roux, le Pytho kolwensis, la bondrée apivore, le pic à dos blanc, le gobemouche nain, le gobemouche à collier et le pigeon colombin, sans autre explication que le fait qu’il s’agit d’espèces « qui, pour la plupart, sont directement liées aux zones forestières et sur lesquelles les opérations programmées n’auront aucune incidence notable ». Par ailleurs, si cette évaluation relève, au même point 4.2.3, s’agissant du Boros schneideri, du bupreste splendide, du cucujus vermillon, du scarabée pique-prune, du rhysode sillonné, de la chouette chevêchette et du pic tridactyle, qu’« une incidence sur leur habitat ne peut être exclue dans des cas isolés », elle se borne à constater, pour écarter l’existence d’une incidence significative, le maintien d’« une partie des peuplements avec les arbres moribonds », sans cependant fixer leur quantité ni l’endroit où ceux-ci doivent être conservés.

144

Il en résulte que l’évaluation des incidences de 2015 ne pouvait pas être de nature à dissiper tout doute scientifique quant aux effets préjudiciables de l’annexe de 2016 sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

145

Cette constatation est corroborée par l’adoption, le jour même de l’approbation de cette annexe, du programme de remédiation et, six jours plus tard, de la décision no 52.

146

En effet, ainsi qu’il ressort des motifs de ce programme et des dispositions de cette décision, ces mesures avaient précisément pour objet d’évaluer les incidences des opérations de gestion forestière active prévues dans ladite annexe sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska, par la mise en place, dans les districts forestiers de Białowieża et de Browsk, de zones de référence, au sein desquelles aucune de ces opérations ne devait être mise en œuvre.

147

Selon les explications fournies par la République de Pologne elle‑même, ces zones devaient, en particulier, permettre d’évaluer, sur une surface d’environ 17000 hectares, l’évolution des caractéristiques de ce site en dehors de toute intervention humaine, afin de comparer cette évolution avec celle résultant des opérations de gestion forestière active prévues dans l’annexe de 2016, lesquelles seraient ainsi mises en œuvre sur le reste de la surface des trois districts forestiers en cause, représentant environ 34000 hectares.

148

Toutefois, une évaluation appropriée des incidences sur le site concerné du plan ou du projet doit précéder l’approbation de celui-ci (voir, notamment, arrêt du 7 septembre 2004, Waddenvereniging et Vogelbeschermingsvereniging, C‑127/02, EU:C:2004:482, point 53). Elle ne saurait donc lui être concomitante ou postérieure (voir, par analogie, arrêts du 20 septembre 2007, Commission/Italie, C‑304/05, EU:C:2007:532, point 72, et du 24 novembre 2011, Commission/Espagne, C‑404/09, EU:C:2011:768, point 104).

149

En outre, il est constant que, au moment de l’adoption de l’annexe de 2016, les autorités polonaises ne disposaient pas des résultats complets de l’inventaire portant sur la biodiversité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, auquel elles ont estimé nécessaire de devoir procéder à partir du mois d’avril 2016, afin d’identifier les lieux de répartition des espèces protégées présentes sur ce site.

150

Il en ressort que ces autorités étaient donc elles-mêmes conscientes de l’insuffisance des données disponibles au moment de l’adoption de cette annexe concernant l’incidence des opérations de gestion forestière active en cause sur ces espèces.

151

Dans ces conditions, il convient de conclure que, à défaut de disposer de toutes les données pertinentes pour évaluer les incidences des opérations de gestion forestière active en cause sur l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, les autorités polonaises n’ont pas procédé, avant l’adoption de l’annexe de 2016 et de la décision no 51, à une évaluation appropriée de ces incidences et ont, partant, méconnu leur obligation découlant de l’article 6, paragraphe 3, première phrase, de la directive « habitats ».

4) Sur l’atteinte à l’intégrité du site concerné

152

La Commission soutient, en outre, que les autorités polonaises ont approuvé les opérations de gestion forestière active en cause alors que celles-ci sont susceptibles de porter atteinte à l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

153

À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été indiqué au point 16 du présent arrêt, le site Natura 2000 Puszcza Białowieska a été classé, à la demande de la République de Pologne, comme SIC, en application de la directive « habitats », et constitue également une ZPS, désignée conformément à la directive « oiseaux ».

154

Or, le régime de protection que ces directives confèrent aux sites appartenant au réseau Natura 2000, s’il n’interdit pas, comme le fait valoir la République de Pologne, toute activité humaine à l’intérieur de ces sites, conditionne néanmoins l’autorisation desdites activités au respect des obligations prévues par celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2011, Azienda Agro-Zootecnica Franchini et Eolica di Altamura, C‑2/10, EU:C:2011:502, point 40).

155

En conséquence, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 134 de ses conclusions, l’argumentation de cet État membre, tirée du fait que la forêt de Białowieża ne pourrait pas être considérée comme une forêt « naturelle » ou « primaire », dès lors que celle-ci fait l’objet, depuis toujours, d’une exploitation humaine active qui en a déterminé les caractéristiques, est dépourvue de toute pertinence, les directives « habitats » et « oiseaux » encadrant, quelle que soit la qualification de cette forêt, la gestion forestière de celle-ci.

156

Ainsi, conformément à l’article 6, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive « habitats », applicable, en vertu de l’article 7 de cette directive, aux ZPS, la République de Pologne ne pouvait autoriser les opérations de gestion forestière active en cause qu’à la condition que celles-ci ne comportent pas des effets préjudiciables au maintien durable des caractéristiques constitutives du site Natura 2000 Puszcza Białowieska qui sont liées à la présence des types d’habitats dont l’objectif de préservation a justifié la désignation de ce site dans la liste des SIC.

157

En l’occurrence, il est constant que l’objectif de conservation ayant conduit à la désignation du site Natura 2000 Puszcza Białowieska comme SIC et ZPS correspond au maintien dans un état de conservation favorable, au titre des caractéristiques constitutives de ce site, des habitats 9170 (chênaies-charmaies subcontinentales), 91D0 (tourbières boisées) et 91E0 (forêts alluviales à aulnes, à frênes, à saules et à peupliers), des habitats de coléoptères saproxyliques, tels que le Boros schneideri, le bupreste splendide, le cucujus vermillon, le phryganophile à cou roux, le Pytho kolwensis et le rhysode sillonné, ainsi que des habitats d’oiseaux, tels que la bondrée apivore, la chouette chevêchette, la chouette de Tengmalm, le pic à dos blanc, le pic tridactyle, le gobemouche nain, le gobemouche à collier et le pigeon colombin.

158

Afin d’établir un manquement à l’article 6, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive « habitats », la Commission, compte tenu du principe de précaution, qui, ainsi qu’il a été indiqué au point 118 du présent arrêt, est intégré à cette disposition, n’a pas à prouver une relation de cause à effet entre les opérations de gestion forestière active en cause et l’atteinte à l’intégrité de ces habitats et espèces, mais il suffit qu’elle établisse l’existence d’une probabilité ou d’un risque que ces opérations provoquent une telle atteinte (voir, en ce sens, arrêt du 24 novembre 2011, Commission/Espagne, C‑404/09, EU:C:2011:768, point 142 et jurisprudence citée).

159

Il convient, dès lors, d’examiner si, comme la Commission le soutient à l’appui de son premier grief, les opérations de gestion forestière active en cause sont susceptibles de comporter des effets préjudiciables pour lesdits habitats et espèces protégés sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska et, partant, de porter atteinte à l’intégrité de ce site.

160

À cet égard, il y a lieu, tout d’abord, de constater que, si ces opérations visent, « avant tout », selon les termes de l’annexe de 2016, à procéder à l’abattage des épicéas colonisés par le bostryche typographe, ni cette annexe ni la décision no 51 ne comportent de restrictions tenant à l’âge des arbres ou aux peuplements forestiers visés par lesdites opérations, en particulier selon l’habitat dans lequel ceux‑ci se trouvent. Bien au contraire, la décision no 51 prévoit explicitement l’abattage des arbres colonisés par le bostryche typographe « dans toutes les classes d’âge de peuplements forestiers » et précise qu’il est dérogé, pour les coupes, « aux restrictions tenant à l’âge des arbres et à la fonction des peuplements forestiers ». Il s’ensuit que l’annexe de 2016 et la décision no 51 autorisent l’abattage d’épicéas centenaires dans tout type de peuplements, y compris dans les habitats protégés.

161

Ensuite, il apparaît que tant l’annexe de 2016 que la décision no 51 permettent l’abattage d’arbres pour des motifs de « sécurité publique », sans la moindre précision quant aux conditions concrètes justifiant un abattage pour de tels motifs.

162

Enfin, l’annexe de 2016 et la décision no 51 autorisent l’enlèvement de tout type d’« arbres », incluant ainsi non seulement les épicéas, mais aussi les pins, les charmes, les chênes, les aulnes, les frênes, les saules et les peupliers, lorsqu’ils sont « morts », « secs » ou « moribonds », sans non plus prévoir de restriction quant aux peuplements concernés.

163

Il apparaît ainsi que, contrairement à ce que la République de Pologne fait valoir, les opérations de gestion forestière active en cause ne consistent pas exclusivement dans des « coupes sanitaires » en vue d’éliminer les seuls épicéas colonisés par le bostryche typographe et permettent l’abattage et les coupes antérieures à l’abattage dans les peuplements d’une espèce composés pour au moins 10 % de spécimens de 100 ans et plus.

164

Or, conformément à la jurisprudence rappelée au point 119 du présent arrêt, des opérations de gestion forestière active, telles que celles en cause, qui consistent à enlever et à abattre un nombre significatif d’arbres dans le site Natura 2000 Puszcza Białowieska, risquent, par leur nature même, de compromettre durablement les caractéristiques écologiques de ce site, dès lors qu’elles sont inévitablement susceptibles d’aboutir à la disparition ou à la destruction partielle et irréparable des habitats et des espèces protégés présents sur ledit site.

165

Ainsi, il y a lieu de constater que les opérations de gestion forestière active en cause constituent précisément la réalisation des dangers potentiels identifiés par les autorités polonaises à l’annexe 3 du PZO de 2015 pour ces habitats et espèces.

166

En effet, tout d’abord, « l’abattage d’arbres dans les peuplements plus que centenaires » est identifié comme un danger potentiel dans le PZO de 2015 pour les habitats 9170 (chênaies-charmaies subcontinentales) et 91E0 (forêts alluviales à aulnes, à frênes, à saules et à peupliers) ainsi que pour la bondrée apivore vivant dans ces habitats, les « coupes forestières » et le « rajeunissement des forêts et des forêts mixtes par des opérations de gestion forestière » étant, par ailleurs, mentionnés comme des dangers pesant sur le Boros schneideri.

167

Ensuite, « l’enlèvement des pins et des épicéas scolytés de plus de 100 ans », à savoir colonisés par le bostryche typographe, est identifié comme un danger potentiel pour la chouette chevêchette, la chouette de Tengmalm et le pic tridactyle.

168

Enfin, « l’enlèvement des arbres morts ou moribonds » est recensé comme un danger potentiel pour les habitats 9170 (chênaies-charmaies subcontinentales) et 91E0 (forêts alluviales à aulnes, à frênes, à saules et à peupliers), ainsi que pour la chouette chevêchette, la chouette de Tengmalm, le pic à dos blanc, le pic tridactyle et le cucujus vermillon, tandis que « l’enlèvement d’arbres moribonds » est identifié comme un danger potentiel pour le Boros schneideri, le bupreste splendide, le phryganophile à cou roux, le Pytho kolwensis et le rhysode sillonné.

169

À cet égard, il y a lieu de préciser que, dans la mesure où les opérations de gestion forestière active en cause correspondent précisément aux dangers potentiels identifiés par les autorités polonaises à l’annexe 3 du PZO de 2015 pour ces habitats et espèces, il est sans pertinence pour l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, contrairement à ce que fait valoir la République de Pologne, que l’annexe de 2016 ne comporte aucune disposition prévoyant explicitement de tuer intentionnellement, de capturer ou de perturber les animaux.

170

Aucun des autres arguments avancés par la République de Pologne n’est de nature à remettre en cause ces constatations.

171

En premier lieu, en ce qui concerne la nécessité de lutter contre la propagation du bostryche typographe, il ne peut, certes, être exclu, compte tenu du principe de précaution, qui est l’un des fondements de la politique de protection d’un niveau élevé poursuivi par l’Union dans le domaine de l’environnement, conformément à l’article 191, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE, et à la lumière duquel la législation de l’Union sur la protection de l’environnement doit être interprétée, qu’un État membre puisse, dans le strict respect du principe de proportionnalité, être autorisé à mettre en œuvre des opérations de gestion forestière active au sein d’un site Natura 2000 protégé au titre des directives « habitats » et « oiseaux », afin d’enrayer la propagation d’un organisme nuisible susceptible de porter atteinte à l’intégrité de ce site.

172

Toutefois, en l’occurrence, l’argumentation développée par la République de Pologne sur ce point ne permet pas de considérer que les opérations de gestion forestière active en cause peuvent être justifiées par la nécessité d’enrayer la propagation d’un tel organisme nuisible.

173

En effet, premièrement, ainsi qu’il ressort déjà des points 126 et 167 du présent arrêt, le bostryche typographe, alors même que les premiers symptômes de sa propagation auraient été observés, selon cet État membre, dans le courant de l’année 2011, n’a nullement été identifié par le PZO de 2015 comme un danger potentiel pour l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, mais, tout au contraire, c’est l’enlèvement des épicéas et des pins centenaires colonisés par le bostryche typographe qui a été recensé par ce plan comme un tel danger potentiel. Contrairement à ce qu’a soutenu la République de Pologne lors de l’audience, le PZO de 2015 ne prévoit d’ailleurs pas la possibilité d’effectuer des « coupes sanitaires » visant spécifiquement les arbres colonisés par le bostryche typographe.

174

Deuxièmement, aucun lien ne peut, au vu des informations dont dispose la Cour dans la présente affaire, être établi, contrairement à ce que prétend la République de Pologne, entre le volume de bois exploitable et la propagation du bostryche typographe.

175

En effet, s’il est vrai que le PGF de 2012, à la suite de l’intervention de la Commission, a réduit à 63471 m3 le volumede bois exploitable dans le district forestier de Białowieża pour la période 2012-2021, il est constant que, avant même la fin de l’année 2015, soit après moins de quatre années, ce plafond, ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 24 du présent arrêt, avait déjà été épuisé par les autorités polonaises.

176

Il apparaît ainsi que, comme l’a également observé M. l’avocat général au point 160 de ses conclusions, le cubage de bois extrait de ce district est, en réalité, resté le même que celui relevé lors des périodes précédentes, au cours desquelles les plans de gestion forestière applicables avaient fixé le volume de bois exploitable dans le district forestier de Białowieża, respectivement, à 308000 m3 pour la période 1992‑2001 et à 302000 m3 pour la période 2002-2011. Il ne peut, dès lors, être valablement soutenu que la propagation du bostryche typographe serait due à la réduction des volumes de bois exploités entre les années 2012 et 2015.

177

Troisièmement, ainsi qu’il ressort déjà des points 160 à 163 du présent arrêt, les opérations de gestion forestière active en cause ne sont en rien ciblées sur les seuls épicéas colonisés par le bostryche typographe, dès lors que ces opérations, d’une part, portent également sur les épicéas morts, quand bien même ils ne seraient pas colonisés par le bostryche typographe, et, d’autre part, n’excluent pas l’enlèvement d’autres types d’arbres, tels que les charmes, les chênes, les aulnes, les frênes, les saules et les peupliers. Or, ainsi que l’a confirmé la République de Pologne lors de l’audience en réponse à une question de la Cour sur ce point, le bostryche typographe colonise uniquement les arbres à épines, essentiellement les épicéas, mais non les arbres à feuilles.

178

Par ailleurs, s’il est vrai que, comme la République de Pologne l’a souligné elle-même lors de l’audience, un certain équilibre doit être trouvé, pour lutter contre la propagation du bostryche typographe, entre les mesures de gestion forestière active et les mesures de gestion forestière passive, afin de réaliser les objectifs de conservation visés par les directives « habitats » et « oiseaux », force est de constater que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 158 de ses conclusions, cette mise en balance ne se retrouve nullement dans les prescriptions de la décision no 51, lesquelles permettent l’abattage d’épicéas ainsi que l’enlèvement d’arbres morts et moribonds, sans autre restriction que le plafond résultant du volume maximal de bois exploitable autorisé dans les trois districts forestiers en cause.

179

Quatrièmement, il ressort des éléments fournis à la Cour ainsi que des débats tenus lors de l’audience qu’il persistait à la date de l’adoption de l’annexe de 2016 une controverse scientifique sur les méthodes les plus appropriées pour enrayer la propagation du bostryche typographe. Ainsi qu’il ressort du programme de remédiation, cette controverse portait, notamment, sur l’opportunité même de lutter contre cette propagation, celle-ci relevant, selon certains avis scientifiques, d’un cycle naturel correspondant à des tendances périodiques propres aux caractéristiques du site dont l’objectif de préservation a justifié sa désignation dans la liste des SIC et comme ZPS. Par conséquent, conformément à la jurisprudence rappelée au point 117 du présent arrêt, les autorités polonaises ne pouvaient adopter l’annexe de 2016, à défaut de certitude scientifique quant à l’absence d’effets préjudiciables durables des opérations de gestion forestière active en cause pour l’intégrité du site concerné.

180

Enfin, cinquièmement, la République de Pologne ne peut, sans se contredire, chercher à tirer un argument des mesures prises par d’autres États membres, comme la République d’Autriche, pour lutter contre la propagation du bostryche typographe, dès lors que, selon ses propres allégations, réitérées lors de l’audience, la forêt de Białowieża est à ce point spécifique et unique que les études scientifiques portant sur d’autres écosystèmes ne peuvent lui être transposées.

181

En revanche, en ce qui concerne le même écosystème, il est pertinent d’observer que, lors de l’audience, la Commission a relevé, sans que la République de Pologne le conteste, que, dans la partie biélorusse de la forêt de Białowieża, adjacente au site Natura 2000 Puszcza Białowieska, laquelle couvre environ 82000 hectares, les autorités nationales compétentes n’ont pas estimé nécessaire de procéder à des « coupes sanitaires » pour enrayer la propagation du bostryche typographe.

182

En deuxième lieu, en ce qui concerne la mise en place de zones de référence par la décision no 52, il convient de relever que la République de Pologne reconnaît elle-même que ces zones ne visent pas à atténuer les effets des opérations de gestion forestière active en cause dans le site Natura 2000 Puszcza Białowieska, lesdites zones ayant pour seul objet, ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 146 du présent arrêt, d’évaluer l’évolution des caractéristiques de ce site en dehors de toute intervention humaine.

183

Il y a donc lieu de constater que les zones de référence prévues par la décision no 52, en ce qu’elles se bornent à préserver la situation antérieure à la mise en œuvre de l’annexe de 2016 dans certaines parties des districts forestiers de Białowieża et de Browsk, ne limitent en rien les effets préjudiciables découlant des opérations de gestion forestière active en cause sur la partie restante du territoire de ces districts forestiers. Tout au contraire, ainsi que la Commission le soutient à juste titre, en l’absence d’incidence sur le volume maximal total d’extraction de bois autorisé, la mise en place desdites zones, dont il est constant qu’elles portent sur une surface de 17000 hectares représentant environ la moitié de la surface des deux districts forestiers en cause, est susceptible d’aggraver ces effets, dès lors qu’il en résultera nécessairement une intensification de l’abattage dans les parties non exclues de ces districts forestiers.

184

Quant à l’allégation selon laquelle les opérations de gestion forestière active en cause seraient également exclues dans les réserves naturelles ainsi que dans les zones humides et marécageuses, il y a lieu d’observer que, s’il pourrait, certes, en résulter une exclusion des opérations de gestion forestière active en cause, comme le soutient la République de Pologne, dans les habitats 91D0 (tourbières boisées) et 91E0 (forêts alluviales à aulnes, à frênes, à saules et à peupliers), il n’a pas, en revanche, été soutenu et il n’est pas, à plus forte raison, établi que cette exclusion concernerait l’intégralité de la surface de ces habitats. En outre, lesdites exclusions, bien qu’elles soient mentionnées par le directeur régional de la protection de l’environnement de Białystok dans l’avis qu’il a rendu, le 12 février 2016, au sujet de l’annexe de 2016, ne figurent ni dans cette annexe ni dans la décision no 51 ou même dans la décision no 52.

185

En troisième lieu, en ce qui concerne l’incidence des opérations de gestion forestière active en cause sur les coléoptères saproxyliques, si la République de Pologne soutient qu’il ne sera pas procédé à l’enlèvement « des pins morts sur pied et exposés au soleil » qui constituent l’habitat du bupreste splendide, elle n’avance toutefois aucun élément probant à l’appui de cette affirmation, qui est, au demeurant, contredite par les dispositions de l’annexe de 2016 et de la décision no 51, lesquelles prévoient explicitement l’enlèvement des arbres morts ou moribonds, sans comporter la restriction invoquée par cet État membre.

186

Par ailleurs, il convient de relever que les prétendues menaces pesant sur le Boros schneideri, le cucujus vermillon, le phryganophile à cou roux, le Pytho kolwensis et le rhysode sillonné, invoquées par la République de Pologne et mentionnées au point 101 du présent arrêt, ne correspondent pas à celles identifiées par les autorités polonaises dans le PZO de 2015. En revanche, il ressort de ce dernier document que l’enlèvement d’épicéas et de pins moribonds constitue une telle menace.

187

En quatrième lieu, il est sans pertinence que les populations de certains coléoptères saproxyliques, comme le Boros schneideri, ou d’oiseaux, tels que la chouette chevêchette ou le pic tridactyle, soient plus importantes dans le district forestier de Białowieża que dans le parc national, dans lequel aucune opération de gestion forestière active ne peut avoir lieu. En effet, même à la supposer avérée, une telle circonstance n’est en rien de nature à remettre en cause le fait que, pour les motifs exposés aux points 164 à 168 du présent arrêt, ces opérations portent atteinte à l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

188

Enfin, en cinquième lieu, pour autant que la République de Pologne, en justifiant certaines des opérations de gestion forestière active en cause par des motifs tenant à la sécurité publique ou à la nécessité d’exploiter, pour des raisons économiques et/ou sociales, les ressources de la forêt, viserait à se prévaloir de l’article 6, paragraphe 4, de la directive « habitats », il convient de rappeler que, certes, le but principal de cette directive étant de favoriser le maintien de la biodiversité, tout en tenant compte des exigences économiques, sociales, culturelles et régionales, le maintien de cette biodiversité peut, dans certains cas, requérir, dans le respect de cette disposition, le maintien, voire l’encouragement, d’activités humaines (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2012, Nomarchiaki Aftodioikisi Aitoloakarnanias e.a., C‑43/10, EU:C:2012:560, point 137).

189

Toutefois, il convient de souligner que, en tant que disposition dérogatoire au critère d’autorisation énoncé à l’article 6, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive « habitats », l’article 6, paragraphe 4, de celle-ci doit faire l’objet d’une interprétation stricte et ne saurait s’appliquer qu’après que les incidences d’un plan ou d’un projet ont été analysées conformément aux dispositions dudit paragraphe 3 (voir, notamment, arrêt du 21 juillet 2016, Orleans e.a., C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 60 ainsi que jurisprudence citée).

190

En effet, en vertu de l’article 6, paragraphe 4, de la directive « habitats », dans l’hypothèse où, en dépit de conclusions négatives de l’évaluation effectuée conformément à l’article 6, paragraphe 3, première phrase, de cette directive, un plan ou un projet doit néanmoins être réalisé pour des raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et lorsqu’il n’existe pas de solutions alternatives, l’État membre doit prendre toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Natura 2000 soit protégée (voir, notamment, arrêt du 21 juillet 2016, Orleans e.a., C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 62).

191

Dans ces conditions, la connaissance des incidences d’un plan ou d’un projet, au regard des objectifs de conservation relatifs au site en question, constitue un préalable indispensable à l’application de l’article 6, paragraphe 4, de ladite directive, car, en l’absence de ces éléments, aucune condition d’application de cette disposition dérogatoire ne saurait être appréciée. L’examen d’éventuelles raisons impératives d’intérêt public majeur et celui de l’existence d’alternatives moins préjudiciables requièrent en effet une mise en balance par rapport aux atteintes portées audit site par le plan ou le projet considéré. En outre, afin de déterminer la nature d’éventuelles mesures compensatoires, les atteintes au site concerné doivent être identifiées avec précision (voir, notamment, arrêts du 24 novembre 2011, Commission/Espagne, C‑404/09, EU:C:2011:768, point 109, ainsi que du 14 janvier 2016, Grüne Liga Sachsen e.a., C‑399/14, EU:C:2016:10, point 57).

192

En l’occurrence, cependant, en l’absence d’évaluation appropriée des incidences des opérations de gestion forestière active en cause sur l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, au titre de l’article 6, paragraphe 3, première phrase, de la directive « habitats », et à défaut de tout examen quant à la faisabilité de solutions alternatives à la mise en œuvre de ces opérations, la République de Pologne ne saurait se prévaloir des dispositions dérogatoires de l’article 6, paragraphe 4, de cette directive, et cela d’autant moins qu’elle n’a, par ailleurs, envisagé aucune mesure compensatoire.

193

Eu égard aux considérations qui précèdent, le premier grief, tiré de la violation de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », est fondé.

2.   Sur le deuxième grief, tiré de la violation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » ainsi que de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux »

a)   Argumentation des parties

194

La Commission estime que la République de Pologne a violé les obligations lui incombant en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » et de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux », en mettant en œuvre les opérations de gestion forestière active en cause.

195

Le seul fait d’inscrire dans le PZO de 2015 des mesures de conservation pour le site Natura 2000 Puszcza Białowieska, sans possibilité de les mettre réellement en œuvre, ne suffirait pas pour se conformer à l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », qui impose l’obligation d’établir les mesures de conservation nécessaires pour les habitats naturels figurant à l’annexe I de cette directive et les espèces animales figurant à l’annexe II de ladite directive. En effet, le terme « établir » exigerait que ces mesures puissent être effectivement mises en œuvre. Cette interprétation s’appliquerait également à l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux ».

196

Or, la mise en œuvre d’opérations de gestion forestière active, telles que l’abattage, les « coupes sanitaires » et le reboisement, dans des habitats dont le maintien de l’état de conservation exclut formellement de telles activités, qui constituent, par leur nature même, une menace pour le maintien dudit état de conservation, serait manifestement contraire aux mesures de conservation prévues à l’annexe 5 du PZO de 2015, consistant à exclure des opérations de gestion forestière « tous les peuplements d’une espèce composés pour au moins 10 % de spécimens de 100 ans et plus », à « conserver les arbres morts » ainsi qu’à « maintenir tous les épicéas morts de plus de cent ans jusqu’à minéralisation complète ». À cet égard, les lieux où les opérations de gestion forestière active en cause sont planifiées coïncideraient avec des sites de peuplements centenaires et des habitats de coléoptères saproxyliques, essentiellement le Boros schneideri et le cucujus vermillon.

197

En outre, ces opérations seraient, en tout point, identiques aux menaces identifiées à l’annexe 3 du PZO de 2015 pour les habitats naturels et les habitats d’espèces d’oiseaux et de coléoptères saproxyliques. Étant donné qu’il convient de prévenir ces menaces en mettant en œuvre des mesures de conservation, toute mesure qui matérialise lesdites menaces remettrait en cause ces mesures de conservation, voire ruinerait l’effet utile de celles-ci.

198

La mise en œuvre de la décision no 51, qui prévoit l’enlèvement d’arbres morts sur tout le territoire du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, renforcerait encore les menaces identifiées par le PZO de 2015 et compliquerait davantage la mise en œuvre des mesures de conservation établies dans celui-ci.

199

De surcroît, les opérations de gestion forestière active en cause seraient susceptibles d’avoir une incidence préjudiciable sur l’état général de conservation de certaines espèces de coléoptères saproxyliques, notamment le bupreste splendide et le phryganophile à cou roux, en Pologne et dans toute l’Europe, étant donné que le site Natura 2000 Puszcza Białowieska constitue l’une de leurs dernières ou l’une de leurs plus importantes aires de distribution dans l’Union.

200

Enfin, les directives « habitats » et « oiseaux » ayant pour objectif de permettre le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable des habitats des espèces protégées et pas seulement d’en prévenir l’extinction, tout argument tiré du maintien de la population d’une espèce donnée au niveau indiqué dans le formulaire standard des données de 2007 pour le site Natura 2000 Puszcza Białowieska (ci‑après le « FSD ») devrait être rejeté.

201

La République de Pologne soutient que l’annexe de 2016 assure la mise en œuvre effective des mesures de conservation établies par le PZO de 2015, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ». Cette annexe serait ainsi conforme à ce plan, dès lors qu’elle assure le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels ou des espèces pour lesquels le site Natura 2000 Puszcza Białowieska a été désigné. Le seul fait d’avoir établi des mesures de conservation dans le PZO de 2015 n’aurait pas été suffisant à cet égard.

202

Ainsi, les mesures de conservation prévues dans le PZO de 2015 pour l’habitat 9170 (chênaies-charmaies subcontinentales) consisteraient, notamment, à adapter la composition du peuplement forestier d’une manière qui soit conforme à l’habitat naturel au sein des peuplements forestiers dominés par les trembles, les bouleaux, les pins et, plus rarement, les épicéas. Ces mesures seraient reflétées dans le PGF de 2012 sous la forme de travaux planifiés de nettoyage, d’éclaircies et de coupes. L’exécution de ces mesures de conservation exigerait donc l’extraction de bois.

203

Il serait, à cet égard, contraire tant aux directives « habitats » et « oiseaux » qu’aux « fondements du savoir écologique » et au bon sens de rejeter les arguments tirés du maintien de la population d’une espèce donnée au niveau indiqué dans le FSD. En effet, si le niveau quantitatif de chaque espèce protégée sur un site Natura 2000 donné devait augmenter constamment au-delà de ce niveau, il en résulterait un dérèglement imprévisible du système écologique sur le territoire concerné.

204

Les changements quantitatifs observés au sein d’une partie des populations d’espèces protégées dans la forêt de Białowieża seraient le résultat d’un accès accru à la nourriture, lié à une perturbation de courte durée, à savoir une propagation à grande échelle du bostryche typographe. À plus long terme, la conséquence naturelle de cette situation serait un reflux brutal. Un contrôle permanent et limité dans l’espace de la propagation du bostryche typographe, c’est-à-dire un maintien de sa portée territoriale et d’une part élevée d’épicéas dans les peuplements, pourrait être un facteur de maintien d’une situation relativement stable, s’agissant, par exemple, des populations de pics. En dépit des effets négatifs possibles sur ces populations causés par les opérations de gestion forestière active en cause, la taille desdites populations se maintiendrait à un niveau relativement élevé, conformément au PZO de 2015.

205

Les populations de pics à dos blanc et de pics tridactyles ne présenteraient pas de changement quantitatif brutal aux frontières du parc national. En effet, la propagation du bostryche typographe n’y revêtirait pas un caractère massif, en raison de la faible part que représentent les épicéas au sein des peuplements forestiers de ce parc et de la nature différente des habitats forestiers. Il en ressortirait que, dans les habitats caractérisés par des paramètres différents, conditionnant leur propension à subir une propagation massive du bostryche typographe, l’équilibre dynamique pourrait être maintenu grâce à des mesures choisies de gestion forestière.

206

L’annexe de 2016 et la décision no 51 ne seraient pas davantage susceptibles d’avoir une incidence préjudiciable sur l’état de conservation de certaines espèces de coléoptères saproxyliques. En effet, le danger pour les espèces telles que le bupreste splendide et le phryganophile à cou roux résulterait essentiellement de la limitation et de la suppression des effets des incendies. D’autres espèces, telles que le Boros schneideri et le cucujus vermillon, trouveraient dans la forêt de Białowieża de bonnes conditions de développement. S’agissant du Boros schneideri, la menace à long terme découlerait de l’absence de renouvellement du pin dans le parc national de Białowieża.

b)   Appréciation de la Cour

207

À titre liminaire, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », pour chaque zone spéciale de conservation, les États membres doivent établir les mesures de conservation nécessaires qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels figurant à l’annexe I de cette directive et des espèces figurant à l’annexe II de ladite directive présents sur le site concerné. Conformément à l’article 4, paragraphe 4, de la même directive, tout SIC doit être désigné par l’État membre concerné comme une telle zone.

208

Par ailleurs, il y a lieu de relever que l’article 4 de la directive « oiseaux » prévoit un régime spécifiquement ciblé et renforcé tant pour les espèces mentionnées à l’annexe I de cette directive que pour les espèces migratrices non visées à cette annexe dont la venue est régulière, qui trouve sa justification dans le fait qu’il s’agit, respectivement, des espèces les plus menacées et des espèces constituant un patrimoine commun de l’Union. Les États membres ont donc l’obligation d’adopter les mesures nécessaires à la conservation desdites espèces (arrêt du 13 décembre 2007, Commission/Irlande, C‑418/04, EU:C:2007:780, point 46 et jurisprudence citée).

209

Ces mesures doivent être susceptibles d’assurer, notamment, la survie et la reproduction des espèces d’oiseaux mentionnées à l’annexe I de la directive « oiseaux » ainsi que la reproduction, la mue et l’hivernage des espèces migratrices non visées à cette annexe dont la venue est régulière. Elles ne peuvent se limiter à obvier aux atteintes et aux perturbations externes causées par l’homme, mais doivent aussi, selon la situation qui se présente, comporter des mesures positives visant à conserver et à améliorer l’état du site (arrêt du 13 décembre 2007, Commission/Irlande, C‑418/04, EU:C:2007:780, points 153 et 154).

210

En l’occurrence, il est constant que le PZO de 2015 a pour objet d’établir, conformément à ces dispositions des directives « habitats » et « oiseaux », les mesures de conservation nécessaires au maintien d’un état de conservation favorable des habitats et des espèces protégés par ces directives qui sont présents sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

211

En substance, ces mesures, qui figurent à l’annexe 5 du PZO de 2015, consistent, d’une part, à exclure des opérations de gestion forestière active « tous les peuplements d’arbres » dans les habitats 91D0 (tourbières boisées) et 91E0 (forêts alluviales à aulnes, à frênes, à saules et à peupliers), ainsi que « tous les peuplements d’une espèce composés pour au moins 10 % de spécimens de 100 ans et plus » dans l’habitat 9170 (chênaies-charmaies subcontinentales) et dans les habitats de la bondrée apivore, de la chouette chevêchette, de la chouette de Tengmalm, du pic à dos blanc, du pic tridactyle, du gobemouche nain, du gobemouche à collier, du Boros schneideri, du bupreste splendide, du cucujus vermillon et du scarabée pique-prune, et, d’autre part, à maintenir les « arbres morts dans les peuplements forestiers exploités », notamment « tous les épicéas morts de plus de 100 ans jusqu’à minéralisation complète », aux fins de la conservation des habitats du phryganophile à cou roux, du Pytho kolwensis et du rhysode sillonné.

212

Ces mesures de conservation visent ainsi à prévenir la survenance des dangers potentiels menaçant ces habitats et espèces, identifiés à l’annexe 3 du PZO de 2015, à savoir, selon le cas, ainsi qu’il ressort des points 166 à 168 du présent arrêt, la mise en œuvre d’opérations de gestion forestière active, l’enlèvement des arbres morts et/ou moribonds ainsi que l’enlèvement des épicéas ou des pins de plus de 100 ans colonisés par le bostryche typographe.

213

Toutefois, ainsi que la Commission le fait valoir à bon droit, et comme l’admet d’ailleurs la République de Pologne, l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » et l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux », sous peine d’être privés de tout effet utile, exigent non seulement l’adoption des mesures de conservation nécessaires au maintien d’un état de conservation favorable des habitats et des espèces protégés au sein du site concerné, mais également, et surtout, leur mise en œuvre effective.

214

Cette interprétation est, au demeurant, corroborée par l’article 1er, paragraphe 1, sous l), de la directive « habitats », qui définit une zone spéciale de conservation comme un SIC dans lequel sont « appliquées » des mesures de conservation, ainsi que par le huitième considérant de ladite directive, selon lequel il convient, dans chaque zone désignée, de « mettre en œuvre » les mesures nécessaires eu égard aux objectifs de conservation visés.

215

Or, en l’occurrence, il ressort du point 4.2.4 de l’évaluation des incidences de 2015 que « [t]rop de temps s’étant écoulé depuis l’élaboration du PZO [de 2015] jusqu’à aujourd’hui, une partie de ses dispositions concernant l’évaluation de l’état de conservation et les mesures de conservation prévues à l’égard des espèces liées à l’épicéa est devenue caduque ». Ainsi, le PZO de 2015 n’a jamais été appliqué par les autorités polonaises, mais, au contraire, comme la Commission le soutient à bon droit, l’annexe de 2016 et la décision no 51, même si elles ne modifient pas formellement le PZO de 2015, privent d’effet utile les mesures de conservation qui figurent dans ce dernier.

216

En effet, l’annexe de 2016 et la décision no 51, dès lors qu’elles ne comportent aucune restriction tenant à l’âge des arbres ou aux peuplements forestiers visés par les opérations de gestion forestière active en cause, autorisent, dans les trois districts forestiers du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, les mesures dont l’exclusion est prévue par le PZO de 2015 en tant que mesure de conservation.

217

Ainsi, l’annexe de 2016 et la décision no 51 permettent, d’une part, l’abattage et l’enlèvement de tout type d’arbre dans les habitats 91D0 (tourbières boisées) et 91E0 (forêts alluviales à aulnes, à frênes, à saules et à peupliers), ainsi que la mise en œuvre de telles opérations de gestion forestière active dans les peuplements d’une espèce composés pour au moins 10 % de spécimens centenaires dans l’habitat 9170 (chênaies-charmaies subcontinentales) et dans les habitats de la bondrée apivore, de la chouette chevêchette, de la chouette de Tengmalm, du pic à dos blanc, du pic tridactyle, du gobemouche nain, du gobemouche à collier, du Boros schneideri, du bupreste splendide, du cucujus vermillon et du scarabée pique-prune, et, d’autre part, l’enlèvement des arbres morts dans les peuplements forestiers exploités, qui constituent l’habitat du phryganophile à cou roux, du Pytho kolwensis et du rhysode sillonné.

218

Il en résulte que la mise en œuvre des opérations de gestion forestière active en cause conduit à la disparition d’une partie du site Natura 2000 Puszcza Białowieska. De telles opérations ne sauraient constituer des mesures assurant la conservation de ce site, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » (voir, par analogie, arrêt du 21 juillet 2016, Orleans e.a., C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 38).

219

Dans ces conditions, les arguments avancés par la République de Pologne afin de soutenir que les opérations de gestion forestière active en cause n’ont pas d’effets préjudiciables sur les espèces de coléoptères saproxyliques protégées ne peuvent qu’être rejetés. Au demeurant, les prétendues menaces alléguées par cet État membre pour le maintien de l’état favorable de ces espèces ne correspondent pas à celles identifiées dans le PZO de 2015. Partant, elles ne sauraient être retenues.

220

Quant aux arguments tirés de la propagation du bostryche typographe, ils doivent être rejetés pour les mêmes motifs que ceux figurant aux points 173 à 181 du présent arrêt. En particulier, il convient de rappeler, à cet égard, que le bostryche typographe n’a nullement été identifié par le PZO de 2015 comme un danger potentiel pour l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, mais que, tout au contraire, c’est l’enlèvement des épicéas et des pins centenaires colonisés par le bostryche typographe qui a été identifié par ce PZO comme un tel danger potentiel.

221

En conséquence, le deuxième grief, tiré de la violation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » ainsi que de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux », est fondé.

3.   Sur le troisième grief, tiré de la violation de l’article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive « habitats »

a)   Argumentation des parties

222

La Commission fait valoir que la République de Pologne a violé les obligations lui incombant en vertu de l’article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive « habitats », en mettant en œuvre les opérations de gestion forestière active en cause, dès lors que ces opérations ne permettent pas d’éviter la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos de coléoptères saproxyliques figurant à l’annexe IV, sous a), de cette directive, à savoir le bupreste splendide, le cucujus vermillon, le phryganophile à cou roux et le Pytho kolwensis.

223

L’article 12 de la directive « habitats » imposerait aux États membres la mise en place d’un système de protection stricte exigeant l’adoption de mesures cohérentes et coordonnées, à caractère préventif, de nature à permettre d’éviter effectivement la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos de ces espèces.

224

Toutes les espèces de coléoptères saproxyliques couvertes par cette protection stricte auraient besoin, au cours de leur cycle de vie, d’arbres morts ou moribonds, sur pied ou au sol. Diverses études scientifiques confirmeraient que les épicéas morts constituent un habitat important du cucujus vermillon ainsi qu’un élément primordial de son cycle de vie. Après deux à trois ans de dépérissement et lors d’étapes ultérieures de pourrissement, les épicéas seraient envahis par les autres espèces de coléoptères saproxyliques, comme le phryganophile à cou roux et le Pytho kolwensis. Dans ces conditions, l’intensification des coupes de peuplements d’arbres, dont essentiellement des épicéas, et l’enlèvement du bois sec ou mort et d’arbres moribonds colonisés par le bostryche typographe conduiraient inévitablement à la mort de spécimens de ces espèces relevant d’une protection stricte et à la destruction de leurs sites de reproduction et de repos.

225

Dès lors que lesdites espèces séjournent de façon peu visible dans les souches et sous l’écorce des arbres, il serait impossible de prendre des mesures palliatives efficaces, comme l’abattage sélectif. La seule mesure efficace susceptible de prévenir la détérioration de leurs sites de reproduction ou de repos consisterait à ne pas intervenir dans les habitats dans lesquels ces espèces sont présentes.

226

Les interdictions figurant à l’article 12 de la directive « habitats » seraient absolues, indépendamment du nombre et de la présence de spécimens des espèces relevant de la conservation stricte. La présence largement répandue du cucujus vermillon ne pourrait donc justifier l’intensification d’opérations de gestion forestière susceptibles de conduire à une violation de ces interdictions. Par ailleurs, le phryganophile à cou roux serait une espèce très rare pour laquelle il n’existe que quatre habitats connus en Pologne, au point que la perte d’un seul habitat pourrait avoir une incidence préjudiciable considérable sur le maintien de son état de conservation en Europe. Quant au bupreste splendide, il ne serait présent en Pologne que sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska. Enfin, ce site serait le plus important habitat du Pytho kolwensis dans cet État membre, sachant que, par ailleurs, il n’est présent dans l’Union qu’en Finlande et en Suède.

227

La République de Pologne fait valoir que toutes les espèces de coléoptères saproxyliques, tels le bupreste splendide, le cucujus vermillon, le scarabée pique-prune, le phryganophile à cou roux et le Pytho kolwensis, présentes sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska ont besoin, au cours de leur cycle de vie, d’arbres morts ou moribonds et qu’il est impossible de constater la présence de leurs stades larvaires sans porter atteinte à cet habitat. Pour assurer un état approprié de protection, les autorités polonaises auraient ainsi adopté un système de conservation à long terme de la continuité de l’habitat de ces espèces sous la forme d’un réseau d’îlots de plantations forestières dans les réserves et de zones de protection autour des espèces protégées, sur les habitats humides, dans les zones de référence et dans la partie permanente et naturelle d’arbres morts dans tous les peuplements de la forêt de Białowieża. L’efficacité de cette opération serait démontrée par les résultats de l’inventaire effectué en 2016 par l’Instytut Badawczy Leśnictwa (Institut d’études forestières, Pologne).

228

Il ressortirait de ces résultats que le cucujus vermillon, pour lequel l’épicéa serait un habitat de deuxième choix, est une espèce commune sur l’ensemble du site de la forêt de Białowieża, pour laquelle les arbres morts et moribonds ne constituent pas un habitat essentiel. S’agissant du Boros schneideri, ces mêmes résultats prouveraient qu’il s’agit d’une espèce préférant le pin, pour laquelle les épicéas morts ou moribonds ne sont pas un habitat essentiel et qui se trouve, en outre, répandue sur l’ensemble de la forêt de Białowieża. La zone essentielle pour le phryganophile à cou roux et le rhysode sillonné serait le parc national de Białowieża. Les localisations du phryganophile à cou roux dans le district de Białowieża se trouveraient, en outre, dans les zones de référence. En outre, la cause essentielle de sa disparition serait l’absence de bois brûlés. De même, la présence du Pytho kolwensis n’aurait pas été signalée en dehors de ce parc national. L’activité du bostryche typographe pourrait, en revanche, avoir une incidence négative sur la continuité des environnements occupés par cette espèce, à savoir les épicéas morts, anciens, abattus, dans les habitats humides. Enfin, quant au bupreste splendide, la cause principale de sa disparition en Europe serait l’absence de pins anciens morts à la suite d’incendies. En raison de l’absence de renouvellement du pin dans ledit parc national, l’avenir de cette espèce ne pourrait être assuré que dans les forêts exploitées, dans lesquelles le pin a été renouvelé artificiellement.

229

Pour toutes ces raisons, les opérations prévues dans l’annexe de 2016 n’auraient pas d’incidence négative significative sur la population de ces espèces. Le maintien de celles-ci irait de pair avec la continuité de certains habitats découlant de perturbations, comme des incendies. À défaut, seules des interventions de protection active seraient en mesure de préserver l’habitat desdites espèces.

b)   Appréciation de la Cour

230

L’article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive « habitats » impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV, sous a), de cette directive, dans leur aire de répartition naturelle, interdisant toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ainsi que la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos.

231

Le respect de cette disposition impose aux États membres non seulement l’adoption d’un cadre législatif complet, mais également la mise en œuvre de mesures concrètes et spécifiques de protection. De même, le système de protection stricte suppose l’adoption de mesures cohérentes et coordonnées, à caractère préventif. Un tel système de protection stricte doit donc permettre d’éviter effectivement la capture ou la mise à mort intentionnelle dans la nature ainsi que la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos des espèces animales figurant à l’annexe IV, sous a), de la directive « habitats » (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2011, Commission/France, C‑383/09, EU:C:2011:369, points 19 à 21).

232

En l’occurrence, il convient de rappeler que tant l’annexe de 2016 que la décision no 51 prévoient l’abattage des épicéas colonisés par le bostryche typographe, sans restriction tenant à leur âge, ce qui inclut donc les arbres centenaires, morts ou moribonds.

233

Or, il ressort clairement du PZO de 2015 que les épicéas morts ou moribonds, le cas échéant colonisés par le bostryche typographe, constituent, à tout le moins, un habitat important pour les coléoptères saproxyliques tels que le bupreste splendide, le cucujus vermillon, le phryganophile à cou roux et le Pytho kolwensis, qui figurent à l’annexe IV, sous a), de la directive « habitats ». En effet, ainsi qu’il a déjà été constaté au point 168 du présent arrêt, l’enlèvement de ce type d’arbres a précisément été identifié par ce plan comme un danger potentiel pour ces espèces de coléoptères.

234

Les arguments présentés par la République de Pologne en vue de démontrer que l’épicéa n’est pas l’habitat ou n’est pas, à tout le moins, un habitat important desdites espèces ne sauraient donc prospérer, ces arguments contredisant de manière flagrante les propres constatations effectuées par les autorités polonaises dans le PZO de 2015 qu’elles ont élaboré concernant le site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

235

Il ne saurait non plus être soutenu que certaines de ces mêmes espèces ne seraient pas ou ne seraient que très peu présentes au sein de ce site, alors qu’elles sont explicitement inscrites dans le PZO de 2015 en tant qu’espèces protégées dans les trois districts forestiers en cause. Quant à l’affirmation selon laquelle le phryganophile à cou roux ne serait présent que dans les zones de référence, il suffit de constater qu’elle n’est nullement étayée.

236

Il en résulte que l’annexe de 2016 et la décision no 51 sont inévitablement de nature à conduire à la mise à mort ainsi qu’à la détérioration ou à la destruction des sites de reproduction et des aires de repos des espèces de coléoptères saproxyliques mentionnées au point 233 du présent arrêt.

237

Il n’est pas déterminant, à cet égard, que lesdites espèces soient présentes en nombre important sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska. En effet, ainsi qu’il ressort du point 231 du présent arrêt, l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » prévoit un régime de protection stricte des sites de reproduction et des aires de repos des espèces figurant à l’annexe IV, sous a), de la directive « habitats », indépendamment de leur nombre.

238

En conséquence, le troisième grief, tiré de la violation de l’article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive « habitats », est fondé.

4.   Sur le quatrième grief, tiré de la violation de l’article 5, sous b) et d), de la directive « oiseaux »

a)   Argumentation des parties

239

La Commission soutient que, en mettant en œuvre les opérations de gestion forestière active en cause, la République de Pologne n’a pas établi, en violation de l’article 5, sous b) et d), de la directive « oiseaux », un régime général de conservation prévenant, notamment, la destruction intentionnelle des nids et la perturbation, sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska, de la chouette chevêchette, de la chouette de Tengmalm, du pic à dos blanc et du pic tridactyle, ces espèces figurant à l’annexe I de cette directive.

240

L’article 5 de la directive « oiseaux » imposerait aux États membres, à l’instar de l’article 12 de la directive « habitats », non seulement d’établir un cadre réglementaire complet, mais aussi de prendre des mesures de conservation concrètes et détaillées, parmi lesquelles des mesures d’exécution efficaces. Ce régime résulterait de l’obligation d’enrayer le déclin des espèces d’oiseaux visées à l’article 1er de cette directive. Or, il serait évident que l’augmentation importante du volume de bois extrait dans des habitats d’une importance cruciale pour la reproduction et le repos d’espèces vivant naturellement à l’état sauvage sur le site en cause augmenterait le risque de destruction de leurs nids et de perturbation intentionnelle, y compris pendant leur période de reproduction.

241

En effet, le site Natura 2000 Puszcza Białowieska serait la zone la plus importante de présence du pic à dos blanc et du pic tridactyle en Pologne. Les arbres moribonds et morts, notamment les épicéas centenaires, seraient les lieux d’alimentation et de reproduction les plus importants de ces deux espèces de pics. La suppression de milliers d’arbres colonisés par le bostryche typographe entraînerait une destruction intentionnelle des habitats desdites espèces de pics ainsi qu’une perturbation à grande échelle de leurs populations. À cet égard, les autorités polonaises n’auraient pas présenté de preuve démontrant que les deux espèces de pics en cause tirent profit de l’intensification de l’abattage des arbres sur le lieu de leurs habitats, alors que, au contraire, celle-ci serait de nature à accélérer la diminution de ces deux espèces de pics. De plus, il n’existerait pas de données indiquant si, après la fin de la propagation du bostryche typographe, la population desdites espèces de pics retrouvera un niveau plus ou moins important. Enfin, il conviendrait de prendre en considération le fait que les épicéas se régénèrent eux-mêmes dans les zones attaquées par le bostryche typographe, sans besoin d’une intervention humaine.

242

Les arbres moribonds et morts seraient aussi d’importants sites de nidification de la chouette chevêchette et de la chouette de Tengmalm, qui dépendent des cavités creusées par les pics. L’élimination sur une grande échelle des épicéas colonisés par le bostryche typographe serait un facteur de destruction majeure de leur aire de reproduction. Or, le site Natura 2000 Puszcza Białowieska serait l’une des aires de répartition les plus importantes de ces espèces de chouettes. Le fait que la concentration de chouettes chevêchettes sur ce site est plus importante que la concentration moyenne de cette espèce en Pologne ne justifierait pas qu’il soit procédé à des opérations de gestion forestière active susceptibles de perturber des spécimens et de détruire des nids de ladite espèce.

243

Il ressortirait aussi des informations obtenues que l’enlèvement et l’abattage ont eu lieu pendant la période de reproduction des quatre espèces en cause. Or, l’annexe de 2016 et la décision no 51 autoriseraient l’abattage sans limitation dans le temps. Une violation de l’interdiction de perturber ces espèces pendant la période de reproduction ne saurait donc être exclue.

244

La République de Pologne fait valoir que l’évaluation des incidences de 2015 a fait apparaître que les mesures nécessaires pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d’oiseaux sauvages avaient été prises, comportant, notamment, l’interdiction de détruire ou d’endommager intentionnellement leurs nids et leurs œufs ainsi que d’enlever leurs nids et de les perturber intentionnellement durant la période de reproduction et de dépendance, pour autant que la perturbation a un effet significatif eu égard aux objectifs de la directive « oiseaux ».

245

Compte tenu des effectifs des quatre espèces d’oiseaux concernées constatés sur le site de la forêt de Białowieża, dans le cadre des données figurant dans le FSD, ni la présence ni le mode de vie d’aucune d’entre elles ne seraient menacés. Par ailleurs, les autorités polonaises se seraient engagées à maintenir au moins 60 couples de chacune de ces espèces. En outre, sur l’ensemble des sites Natura 2000 de Pologne, il serait possible de constater des effectifs des deux espèces de pics en cause plus importants que ceux figurant dans le FSD. En particulier, la valeur de l’indice global d’abondance des populations d’oiseaux forestiers aurait progressé de 25 % au cours de la période 2000-2014.

246

L’incidence positive de la propagation à grande échelle du bostryche typographe sur la survie et la reproduction des pics ne pourrait être que temporaire, car, à long terme, cette propagation aboutirait à la disparition des parties plus anciennes de la forêt avec la prédominance des conifères. La réduction constante de la propagation du bostryche typographe pourrait être un facteur de maintien d’une situation relativement stable s’agissant des populations de pics.

247

L’effondrement des populations de carnivores en raison de la raréfaction de la nourriture serait un fait scientifique. Or, la Commission n’aurait pas fourni de données scientifiques mettant en cause le scénario présenté de transformation de l’environnement après la propagation du bostryche typographe. Seule serait impossible à prévoir la mesure de la transformation, à savoir si la chute des effectifs des espèces bénéficiant de la prolifération d’une espèce précise d’insectes se limiterait au retour à la situation antérieure à la propagation ou bien si, compte tenu de la disparition de la nourriture et de l’impossibilité pour le bostryche typographe de coloniser d’autres arbres, l’effectif des pics à la suite de cette chute serait plus faible que celui indiqué, notamment, dans le FSD en vigueur et décrit dans les objectifs de conservation du site en cause.

248

La Commission ignorerait que les processus naturels se déroulant dans les sites Natura 2000 sont des processus à long terme. Or, une limitation permanente de la propagation du bostryche typographe, c’est-à-dire une limitation de sa couverture territoriale et le maintien d’une part élevée d’épicéas dans les peuplements, pourrait être une opération de protection active maintenant une situation relativement stable par rapport aux populations de pics, dans une perspective à long terme. Malgré des effets négatifs potentiels sur ces populations causés par les opérations de gestion forestière active en cause, la taille desdites populations se maintiendrait à un niveau relativement élevé, conformément au PZO de 2015, et les éventuelles modifications des aires de répartition des espèces d’oiseaux, découlant des modèles prédictifs de changement climatique, s’échelonneraient dans le temps. Par conséquent, l’effet final des opérations temporaires mises en œuvre avec les méthodes appliquées dans la gestion forestière pourrait permettre de remédier à la diminution importante ultérieure des effectifs de pics.

249

S’agissant de la chouette chevêchette, la perte de lieux de reproduction en raison de la suppression d’épicéas sur 5 % du site en cause serait illusoire. En effet, cette espèce, nichant dans les cavités creusées par les pics, en général le pic épeiche, une espèce dont les effectifs sont nombreux, ne manifesterait pas de préférence s’agissant de l’espèce d’arbre dans lequel elle se reproduit. De surcroît, cette chouette apparaîtrait souvent dans des environnements dégradés. Elle serait ainsi plus fréquente dans la partie aménagée de la forêt de Białowieża. De même, la chouette de Tengmalm occuperait souvent les cavités creusées par le pic noir. L’impact éventuel découlant de la suppression des épicéas sur 5 % du site en cause pourrait donc être considéré comme inexistant du point de vue des effectifs de chouettes chevêchettes et de chouettes de Tengmalm occupant la forêt de Białowieża.

250

Par ailleurs, conformément à des données finlandaises, la gestion forestière par l’éclaircissement d’espaces, à condition que la portion abattue n’excède pas 50 % de l’espace forestier dans une perspective à long terme, non seulement n’aurait pas d’incidence négative sur ces espèces, mais aboutirait, en augmentant l’accessibilité de la nourriture, à un accroissement de la reproduction. En outre, la taille des populations desdites espèces augmenterait et s’étendrait à de nouvelles zones. Les arbres dits « biocénotiques », dont les arbres creux, seraient laissés à leur mort biologique. Par conséquent, les lieux potentiels de nidification de la chouette chevêchette et de la chouette de Tengmalm resteraient accessibles, d’autant plus que le PZO de 2015 prévoit des opérations consistant à « conserver, au cours des interventions de gestion, tous les pins et sapins comportant des cavités apparentes, sauf en cas de danger pour le public ».

b)   Appréciation de la Cour

251

L’article 5 de la directive « oiseaux » impose aux États membres l’adoption des mesures nécessaires pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er de cette directive. Ledit régime comporte, notamment, aux termes de l’article 5, sous b) et d), de ladite directive, l’interdiction de détruire ou d’endommager intentionnellement leurs nids et leurs œufs et d’enlever leurs nids, ainsi que de les perturber intentionnellement, notamment, durant la période de reproduction et de dépendance, pour autant que la perturbation a un effet significatif eu égard aux objectifs de la même directive.

252

L’article 5 de la directive « oiseaux » exige ainsi que les États membres adoptent un cadre législatif complet et efficace (arrêts du 12 juillet 2007, Commission/Autriche, C‑507/04, EU:C:2007:427, points 103 et 339, ainsi que du 26 janvier 2012, Commission/Pologne, C‑192/11, non publié, EU:C:2012:44, point 25), par la mise en œuvre, à l’instar de ce que prévoit l’article 12 de la directive « habitats », de mesures concrètes et spécifiques de protection qui doivent permettre d’assurer le respect effectif des interdictions susmentionnées visant, en substance, à protéger les sites de reproduction et les aires de repos des oiseaux relevant de cette directive. Par ailleurs, ces interdictions doivent s’appliquer sans restriction dans le temps (arrêt du 27 avril 1988, Commission/France, 252/85, EU:C:1988:202, point 9).

253

En l’occurrence, il convient de rappeler que l’annexe de 2016 et la décision no 51 prévoient, notamment, l’abattage des épicéas colonisés par le bostryche typographe ainsi que l’enlèvement des arbres morts ou moribonds.

254

Or, il ressort sans équivoque du PZO de 2015 que les épicéas centenaires colonisés par le bostryche typographe et les arbres morts ou moribonds constituent, à tout le moins, un habitat important pour la chouette chevêchette, la chouette de Tengmalm, le pic à dos blanc et le pic tridactyle, visés à l’annexe I de la directive « oiseaux ». En effet, ainsi qu’il a déjà été constaté aux points 167 et 168 du présent arrêt, l’enlèvement de ce type d’arbres a précisément été identifié par ce plan comme un danger potentiel pour ces espèces d’oiseaux.

255

Partant, les autorités polonaises, par l’annexe de 2016 et la décision no 51, s’autorisent à déroger à la protection de ces oiseaux dans le cadre des opérations de gestion forestière active en cause.

256

Or, il y a lieu de constater que ni cette annexe ni cette décision ne comportent de restriction tenant à l’âge des arbres visés par ces opérations ou à la période pendant laquelle ces mêmes opérations pourront être mises en œuvre sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska. Ladite annexe et ladite décision ne contiennent ainsi aucune disposition concrète ayant pour objet d’empêcher effectivement la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos des oiseaux en cause.

257

L’évaluation des incidences de 2015 ne permet pas, contrairement à ce que soutient la République de Pologne, de remettre en cause cette conclusion, dès lors que cette évaluation se limite à indiquer, à son point 4.2.3, qu’« il faudra veiller à [...] suspendre les opérations de gestion forestière durant la période de nidification », sans toutefois constater que les mesures nécessaires pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d’oiseaux sauvages ont été prises.

258

À cet égard, en ce que cet État membre invoque les mesures de conservation prévues par le PZO de 2015 concernant les cavités apparentes dans les pins et les sapins, il suffit de rappeler que, comme il a déjà été constaté au point 215 du présent arrêt, il ressort du point 4.2.4 de l’évaluation des incidences de 2015 que, selon les autorités polonaises, ce plan est devenu « cadu[c] » et que, partant, il n’est pas appliqué par celles-ci. Ledit État membre ne saurait donc se prévaloir des dispositions du PZO de 2015 pour justifier que les opérations de gestion forestière active en cause n’entraîneront pas la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos des oiseaux protégés sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

259

Dans ces conditions, il convient de considérer que l’annexe de 2016 et la décision no 51, dont la mise en œuvre conduirait inévitablement à la détérioration ou à la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos desdites espèces d’oiseaux, ne comportent pas de mesures concrètes et spécifiques de protection qui permettraient tant d’exclure de leur champ d’application des atteintes intentionnelles à la vie et à l’habitat de ces oiseaux que d’assurer le respect effectif des interdictions de détruire ou d’endommager intentionnellement leurs nids et leurs œufs et d’enlever leurs nids, ainsi que de les perturber intentionnellement, notamment, durant la période de reproduction et de dépendance.

260

Aucun des arguments avancés par la République de Pologne n’est de nature à remettre en cause cette conclusion.

261

En premier lieu, en ce que cet État membre invoque la propagation du bostryche typographe, il convient de rejeter l’ensemble de ses arguments pour les mêmes motifs que ceux figurant aux points 173 à 181 du présent arrêt.

262

En deuxième lieu, en ce que la République de Pologne soutient que les populations d’oiseaux en cause sont restées stables, voire même qu’elles ont augmenté, il convient de relever que la Cour a déjà jugé qu’une telle circonstance ne saurait mettre en cause l’existence d’une violation de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « oiseaux », qui impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour éviter la détérioration des habitats ainsi que les perturbations touchant les oiseaux, dès lors que les obligations de protection existent avant même qu’une diminution du nombre d’oiseaux ne soit constatée ou que le risque d’extinction d’une espèce d’oiseaux protégée ne se soit concrétisé (arrêts du 14 janvier 2016, Commission/Bulgarie, C‑141/14, EU:C:2016:8, point 76, et du 24 novembre 2016, Commission/Espagne, C‑461/14, EU:C:2016:895, point 83).

263

Force est de constater que ces considérations, qui concernent le régime général de protection des oiseaux prévue à cette disposition, s’appliquent, à plus forte raison encore, dans le cadre de la protection spécifique prévue à l’article 5, sous b) et d), de la directive « oiseaux ».

264

Au demeurant, il convient de relever que la République de Pologne s’est bornée à faire valoir que ni la présence ni le mode de vie des quatre espèces d’oiseaux typiques des forêts naturelles, à savoir la chouette chevêchette, la chouette de Tengmalm, le pic à dos blanc et le pic tridactyle, ne seraient menacés par les opérations de gestion forestière active en cause. Elle s’est, notamment, prévalue, à cet effet, de données afférentes aux années 2014 et 2015 pour démontrer que les effectifs de pics à dos blanc n’avaient pas diminué. Or, de telles données sont antérieures à l’application de ces opérations. Quant au fait qu’il serait possible de trouver, dans d’autres sites Natura 2000 situés en Pologne, des effectifs de pics à dos blanc et de pics tridactyles plus importants que ceux indiqués dans le FSD en vigueur pour le site Natura 2000 Puszcza Białowieska, il n’est pas de nature à infirmer le constat selon lequel lesdites opérations sont de nature à menacer la stabilité de la population de ces deux espèces dans ce dernier site.

265

Enfin, en troisième lieu, en ce que la République de Pologne fait valoir que l’abattage d’épicéas ne risque pas de porter atteinte de manière significative à l’intégrité de l’habitat de la chouette chevêchette et de la chouette de Tengmalm, son argumentation ne saurait être retenue, dès lors que, d’une part, il ressort clairement du PZO de 2015 que l’épicéa constitue l’habitat principal de ces espèces d’oiseaux et, d’autre part, dans le district de Białowieża, l’annexe de 2016 prévoit, en substance, le triplement du volume de bois exploitable, notamment des épicéas.

266

En conséquence, le quatrième grief, tiré de la violation de l’article 5, sous b) et d), de la directive « oiseaux », est fondé.

267

Il convient, dès lors, d’accueillir le recours introduit par la Commission dans son intégralité.

268

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent :

en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », en adoptant une annexe au plan de gestion forestière du district forestier de Białowieża sans s’assurer que cette annexe ne porterait pas atteinte à l’intégrité du SIC et de la ZPS constituant le site Natura 2000 Puszcza Białowieska ;

en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » ainsi que de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux », en omettant d’établir les mesures de conservation nécessaires qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels figurant à l’annexe I de la directive « habitats » et des espèces figurant à l’annexe II de cette directive, ainsi que des espèces d’oiseaux mentionnées à l’annexe I de la directive « oiseaux » et des espèces migratrices non visées à cette annexe dont la venue est régulière, pour lesquels le SIC et la ZPS constituant le site Natura 2000 Puszcza Białowieska ont été désignés ;

en vertu de l’article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive « habitats », en omettant d’assurer une protection stricte des coléoptères saproxyliques, à savoir le bupreste splendide (Buprestis splendens), le cucujus vermillon (Cucujus cinnaberinus), le phryganophile à cou roux(Phryganophilus ruficollis) et le Pytho kolwensis, mentionnés à l’annexe IV de cette directive, c’est-à-dire en n’interdisant pas de les tuer intentionnellement ou de les perturber et de détériorer ou de détruire leurs sites de reproduction dans le district forestier de Białowieża, et

en vertu de l’article 5, sous b) et d), de la directive « oiseaux », en omettant d’assurer la protection d’espèces d’oiseaux visées à l’article 1er de cette directive, notamment la chouette chevêchette (Glaucidium passerinum), la chouette de Tengmalm (Aegolius funereus), le pic à dos blanc (Dendrocopos leucotos) et le pic tridactyle (Picoides tridactylus), c’est‑à‑dire en omettant de veiller à ce que ces espèces ne soient pas tuées ou perturbées durant la période de reproduction et de dépendance et à ce que leurs nids et leurs œufs ne soient pas intentionnellement détruits, endommagés ou enlevés dans le district forestier de Białowieża.

VI. Sur les dépens

269

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République de Pologne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

 

1)

La République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent :

en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, telle que modifiée par la directive 2013/17/UE du Conseil, du 13 mai 2013, en adoptant une annexe au plan de gestion forestière du district forestier de Białowieża sans s’assurer que cette annexe ne porterait pas atteinte à l’intégrité du site d’importance communautaire et de la zone de protection spéciale PLC200004 Puszcza Białowieska ;

en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 92/43, telle que modifiée par la directive 2013/17, ainsi que de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages, telle que modifiée par la directive 2013/17, en omettant d’établir les mesures de conservation nécessaires qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels figurant à l’annexe I de la directive 92/43, telle que modifiée par la directive 2013/17, et des espèces figurant à l’annexe II de cette directive, ainsi que des espèces d’oiseaux mentionnées à l’annexe I de la directive 2009/147, telle que modifiée par la directive 2013/17, et des espèces migratrices non visées à cette annexe dont la venue est régulière, pour lesquels le site d’importance communautaire et la zone de protection spéciale PLC200004 Puszcza Białowieska ont été désignés ;

en vertu de l’article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive 92/43, telle que modifiée par la directive 2013/17, en omettant d’assurer une protection stricte des coléoptères saproxyliques, à savoir le bupreste splendide (Buprestis splendens), le cucujus vermillon (Cucujus cinnaberinus), le phryganophile à cou roux (Phryganophilus ruficollis) et le Pytho kolwensis, mentionnés à l’annexe IV de cette directive, c’est-à-dire en n’interdisant pas de les tuer intentionnellement ou de les perturber et de détériorer ou de détruire leurs sites de reproduction dans le district forestier de Białowieża, et

en vertu de l’article 5, sous b) et d), de la directive 2009/147, telle que modifiée par la directive 2013/17, en omettant d’assurer la protection d’espèces d’oiseaux visées à l’article 1er de cette directive, notamment la chouette chevêchette (Glaucidium passerinum), la chouette de Tengmalm (Aegolius funereus), le pic à dos blanc (Dendrocopos leucotos) et le pic tridactyle (Picoides tridactylus), c’est-à-dire en omettant de veiller à ce que ces espèces ne soient pas tuées ou perturbées durant la période de reproduction et de dépendance et à ce que leurs nids et leurs œufs ne soient pas intentionnellement détruits, endommagés ou enlevés dans le district forestier de Białowieża.

 

2)

La République de Pologne est condamnée aux dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le polonais.