ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

25 octobre 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics de fourniture de matériel et de dispositifs médicaux de diagnostic – Directive 2014/24/UE – Article 42 – Attribution – Marge d’appréciation du pouvoir adjudicateur – Formulation détaillée des spécifications techniques »

Dans l’affaire C‑413/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie), par décision du 30 juin 2017, parvenue à la Cour le 10 juillet 2017, dans la procédure engagée par

« Roche Lietuva » UAB

en présence de :

Kauno Dainavos poliklinika VšĮ,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe, présidente de chambre, MM. E. Juhász (rapporteur) et C. Vajda, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour « Roche Lietuva » UAB, par Mes G. Balčiūnas et K. Karpickis, advokatai,

pour Kauno Dainavos poliklinika VšĮ, par Mes K. Laurynaitė et J. Judickienė, advokatai,

pour le gouvernement lituanien, par MM. D. Kriaučiūnas et K. Dieninis, ainsi que par Mme D. Stepanienė, en qualité d’agents,

pour le gouvernement hellénique, par Mmes M. Tassopoulou et A. Magrippi, ainsi que par M. K. Georgiadis, en qualité d’agents,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. S. Fiorentino, avvocato dello Stato,

pour la Commission européenne, par Mme A. Steiblytė et M. P. Ondrůšek, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte notamment sur l’interprétation des articles 2 et 23 ainsi que de l’annexe VI de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure engagée par « Roche Lietuva » UAB, soumissionnaire évincé d’une procédure de passation d’un marché public organisée par Kauno Dainavos poliklinika VšĮ, une polyclinique publique sise à Kaunas (Lituanie) (ci‑après la « polyclinique Dainava de Kaunas »), au sujet des spécifications techniques de ce marché.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

La directive 2004/18 a été abrogée, avec effet au 18 avril 2016, par la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18 (JO 2014, L 94, p. 65), conformément à l’article 91, premier alinéa, de cette dernière directive.

4

Aux termes du considérant 74 de la directive 2014/24 :

« (74)

Il est nécessaire que les spécifications techniques établies par les acheteurs publics permettent d’ouvrir les marchés publics à la concurrence et d’atteindre les objectifs de durabilité. À cet effet, la présentation d’offres reflétant la diversité des solutions techniques, des normes et des spécifications techniques existant sur le marché, y compris celles définies sur la base de critères de performance liés au cycle de vie et à la durabilité du processus de production des travaux, fournitures et services, devrait être possible.

Les spécifications techniques devraient donc être élaborées de manière à éviter de restreindre artificiellement la concurrence en instaurant des exigences qui favorisent un opérateur économique particulier en reprenant les principales caractéristiques des fournitures, services ou travaux qu’il propose habituellement. La rédaction des spécifications techniques en termes de performances et d’exigences fonctionnelles permet généralement d’atteindre au mieux cet objectif. Les exigences fonctionnelles et celles liées aux performances sont également des moyens appropriés pour promouvoir l’innovation dans la passation de marchés publics et elles devraient être utilisées aussi largement que possible. Lorsqu’il est fait référence à une norme européenne ou, à défaut, à une norme nationale, les offres fondées sur des standards équivalents devraient être prises en compte par les pouvoirs adjudicateurs. Il devrait incomber à l’opérateur économique de prouver l’équivalence avec le label demandé.

[...] »

5

L’article 18, paragraphe 1, de cette directive, intitulé « Principes de la passation de marchés », dispose :

« Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination et agissent d’une manière transparente et proportionnée.

Un marché ne peut être conçu dans l’intention de le soustraire au champ d’application de la présente directive ou de limiter artificiellement la concurrence. La concurrence est considérée comme artificiellement limitée lorsqu’un marché est conçu dans l’intention de favoriser ou de défavoriser indûment certains opérateurs économiques. »

6

L’article 42 de ladite directive, intitulé « Spécifications techniques », prévoit :

« 1.   Les spécifications techniques définies au point 1 de l’annexe VII figurent dans les documents de marché. Les spécifications techniques définissent les caractéristiques requises des travaux, des services ou des fournitures.

Ces caractéristiques peuvent également se référer au processus ou à la méthode spécifique de production ou de fourniture des travaux, des produits ou des services demandés ou à un processus propre à un autre stade de leur cycle de vie même lorsque ces facteurs ne font pas partie de leur contenu matériel, à condition qu’ils soient liés à l’objet du marché et proportionnés à sa valeur et à ses objectifs.

[...]

2.   Les spécifications techniques donnent aux opérateurs économiques une égalité d’accès à la procédure de passation de marché et n’ont pas pour effet de créer des obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence.

3.   Sans préjudice des règles techniques nationales obligatoires, dans la mesure où elles sont compatibles avec le droit de l’Union, les spécifications techniques sont formulées de l’une des façons suivantes :

a)

en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles, y compris de caractéristiques environnementales, à condition que les paramètres soient suffisamment précis pour permettre aux soumissionnaires de déterminer l’objet du marché et aux pouvoirs adjudicateurs d’attribuer le marché ;

b)

par référence à des spécifications techniques et, par ordre de préférence, aux normes nationales transposant des normes européennes, aux évaluations techniques européennes, aux spécifications techniques communes, aux normes internationales, aux autres référentiels techniques élaborés par les organismes européens de normalisation, ou, en leur absence, aux normes nationales, aux agréments techniques nationaux ou aux spécifications techniques nationales en matière de conception, de calcul et de réalisation des ouvrages et d’utilisation des fournitures ; chaque référence est accompagnée de la mention “ou équivalent” ;

c)

en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles visées au point a), en se référant, comme moyen de présumer la conformité à ces performances ou à ces exigences fonctionnelles, aux spécifications techniques visées au point b) ;

d)

par référence aux spécifications visées au point b) pour certaines caractéristiques et aux performances ou exigences fonctionnelles visées au point a) pour d’autres caractéristiques.

4.   À moins qu’elles ne soient justifiées par l’objet du marché, les spécifications techniques ne font pas référence à une fabrication ou une provenance déterminée ou à un procédé particulier, qui caractérise les produits ou les services fournis par un opérateur économique spécifique, ni à une marque, à un brevet, à un type, à une origine ou à une production déterminée qui auraient pour effet de favoriser ou d’éliminer certaines entreprises ou certains produits. Cette référence est autorisée, à titre exceptionnel, dans le cas où il n’est pas possible de fournir une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché en application du paragraphe 3. Une telle référence est accompagnée des termes “ou équivalent”.

[...] »

7

L’annexe VII de la directive 2014/24, intitulée « Définition de certaines spécifications techniques », dispose, à son point 1 :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1.

“spécification technique”, soit :

a)

[...]

b)

lorsqu’il s’agit de marchés publics de fournitures ou de services, une spécification qui figure dans un document définissant les caractéristiques requises d’un produit ou d’un service, telles que les niveaux de qualité, les niveaux de la performance environnementale et climatique, la conception pour tous les besoins (y compris l’accessibilité pour les personnes handicapées) et l’évaluation de la conformité, la propriété d’emploi, l’utilisation du produit, la sécurité ou les dimensions, y compris les prescriptions applicables au produit en ce qui concerne le nom sous lequel il est vendu, la terminologie, les symboles, les essais et méthodes d’essais, l’emballage, le marquage et l’étiquetage, les instructions d’utilisation, les processus et méthodes de production à tout stade du cycle de vie de la fourniture ou du service, ainsi que les procédures d’évaluation de la conformité ».

Le droit lituanien

8

Les articles 2 et 23 ainsi que l’annexe VI de la directive 2004/18 ont été transposés dans le droit lituanien par les articles 3 et 25 ainsi que par l’annexe 3 de la Lietuvos Respublikos viešųjų pirkimų įstatymas (loi lituanienne sur les marchés publics). S’agissant de la directive 2014/24, sa transposition a été effectuée par la loi XIII-327, du 2 mai 2017. Cette loi est entrée en vigueur le 1er juillet 2017.

Le litige au principal et la question préjudicielle

9

Il ressort du dossier dont dispose la Cour que, le 22 juin 2016, la polyclinique Dainava de Kaunas a publié un appel d’offres ouvert intitulé « Location de matériels médicaux de diagnostic de laboratoire et achat des services et du matériel permettant d’assurer leur bon fonctionnement ». Cet appel d’offres se décomposait en treize lots. La valeur de la partie de l’appel d’offres en cause au principal atteint 250000 euros.

10

Le 4 juillet 2016, Roche Lietuva a fait valoir, dans le cadre d’une réclamation, que les spécifications techniques prévues à l’annexe no 1 du cahier des charges du marché concerné limitaient de manière injustifiée la concurrence entre fournisseurs en raison de leur spécificité élevée et qu’elles étaient en réalité adaptées aux caractéristiques des produits de certains fabricants d’analyseurs sanguins. La polyclinique Dainava de Kaunas a, par une décision du 14 juillet 2016, modifié certaines dispositions des spécifications techniques.

11

Le 28 juillet 2016, n’ayant pas été satisfaite de ces modifications apportées par suite de sa réclamation, Roche Lietuva a introduit un recours devant les juridictions nationales.

12

Tant la juridiction de première instance que la juridiction d’appel, saisies par Roche Lietuva, ont rejeté les recours de cette société, respectivement le 6 octobre et le 14 décembre 2016, notamment aux motifs, d’une part, que la polyclinique Dainava de Kaunas avait fait correctement usage de son pouvoir d’appréciation dans l’établissement des spécifications techniques détaillées au regard de ses exigences fondées sur la qualité des examens et la protection de la santé des personnes et, d’autre part, que la requérante au principal n’avait pas démontré que l’appel d’offres en cause était adapté à des dispositifs ou des fabricants spécifiques.

13

Le 28 décembre 2016, la polyclinique Dainava de Kaunas a retiré l’appel d’offres concerné, par suite d’une demande en ce sens du Viešųjų pirkimų tarnyba (Autorité des marchés publics, Lituanie), cette autorité ayant constaté la violation de dispositions applicables autres que celles indiquées dans la demande de décision préjudicielle.

14

Le 17 janvier 2017, Roche Lietuva s’est pourvue en cassation devant le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême, Lituanie), qui a examiné cette affaire le 17 mai 2017. Par une ordonnance du 19 juin 2017, cette juridiction a décidé ex officio la réouverture de la procédure. Elle a informé les parties de son intention d’aller au-delà des limites du pourvoi en cassation et a invité celles-ci, ainsi que l’Autorité des marchés publics, à présenter des observations sur les stipulations du cahier des charges établissant non pas les exigences relatives aux services (analyses médicales), mais celles concernant le matériel nécessaire pour la fourniture de ces services.

15

La juridiction de renvoi s’interroge sur les limites de la marge d’appréciation d’un pouvoir adjudicateur, tel que la défenderesse au principal, en ce qui concerne la fixation, dans l’appel d’offres, des caractéristiques spécifiques de fournitures médicales à acquérir, lorsque celui-ci vise à en disposer non pas dans un but autonome, mais en tant que moyen pour effectuer des examens médicaux. À cet égard, ladite juridiction se demande si ce pouvoir adjudicateur satisferait aux exigences légales si le fonctionnement d’un dispositif était défini comme une exigence fonctionnelle, liée non pas au fonctionnement isolé ou aux caractéristiques de ce dispositif, mais au résultat de ce fonctionnement, notamment en ce qui concerne la rapidité ou la fiabilité des examens ainsi que les méthodes employées.

16

Dans ces conditions, le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les dispositions des articles 2 et 23 et de l’annexe VI de la directive 2004/18 (ensemble ou séparément, mais sans s’y limiter) doivent-elles être interprétées et comprises en ce sens que, lorsque le pouvoir adjudicateur – un établissement médical – souhaite acquérir au moyen d’un appel d’offres des fournitures (des dispositifs et des matériels de diagnostic médical) ou certains droits sur ces fournitures, afin de pouvoir effectuer lui-même les examens, son pouvoir d’appréciation englobe le droit de fixer uniquement les conditions des spécifications techniques relatives aux fournitures, qui ne décrivent pas isolément les caractéristiques (techniques) de fonctionnement et les caractéristiques (fonctionnelles) d’utilisation des différents dispositifs et (ou) moyens, mais qui définissent les paramètres qualitatifs des examens à effectuer et l’efficacité des travaux du laboratoire d’examens, dont le contenu doit être décrit séparément dans les dispositions de ce même appel d’offres ? »

Observations liminaires

17

La juridiction de renvoi se réfère, dans sa question, à certaines dispositions de la directive 2004/18. En ce qui concerne l’applicabilité ratione temporis de cette directive, il convient de relever que l’avis de marché en cause au principal a été publié le 22 juin 2016, soit postérieurement à la date à laquelle l’abrogation de ladite directive a pris effet, cette date ayant été fixée au 18 avril 2016 en vertu de l’article 91, premier alinéa, de la directive 2014/24.

18

Or, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, la directive applicable est, en principe, celle en vigueur au moment où le pouvoir adjudicateur choisit le type de procédure qu’il va suivre et tranche définitivement la question de savoir s’il y a ou non obligation de procéder à une mise en concurrence préalable pour l’adjudication d’un marché public (arrêt du 14 septembre 2017, Casertana Costruzioni, C‑223/16, EU:C:2017:685, point 21 et jurisprudence citée).

19

Il convient d’ajouter que les articles 2 et 23 de la directive 2004/18 ont été en substance repris, respectivement, à l’article 18, paragraphe 1, et aux articles 42 à 44 de la directive 2014/24. Le contenu de l’annexe VI de la directive 2004/18 a été en substance repris à l’annexe VII de la directive 2014/24. Les conditions applicables aux spécifications techniques définissant les caractéristiques requises des travaux, des services ou des fournitures faisant l’objet d’un marché sont plus particulièrement régies par l’article 42 de cette dernière directive.

20

Il s’ensuit qu’il y a lieu d’interpréter les dispositions pertinentes de la directive 2014/24, afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi.

Sur la question préjudicielle

21

Eu égard à ce qui précède, il convient de considérer que, par sa question, la juridiction de renvoi demande en substance, dans quelle mesure, en application des articles 18 et 42 de la directive 2014/24, ainsi que des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, un pouvoir adjudicateur, dans l’établissement des spécifications techniques d’un appel d’offres portant sur l’acquisition de fournitures médicales, doit accorder de l’importance aux caractéristiques individuelles des appareils ou au résultat du fonctionnement de ces appareils.

22

À titre liminaire, la Commission européenne s’interroge sur la recevabilité de cette question eu égard au fait que la procédure d’appel d’offres, qui fait l’objet du litige au principal, a été retirée, de telle sorte que ladite question revêtirait un caractère hypothétique.

23

Il convient de rappeler, à cet égard, que, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer. En effet, dans le cadre de la procédure de coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Il n’est possible pour la Cour de refuser de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale, au sens dudit article, que lorsque, notamment, les exigences concernant le contenu de la demande de décision préjudicielle figurant à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour ne sont pas respectées ou lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation ou l’appréciation de la validité d’une règle de l’Union, demandées par la juridiction nationale, n’ont aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou lorsque le problème est de nature hypothétique (arrêt du 25 juillet 2018, Confédération paysanne e.a., C‑528/16, EU:C:2018:583, points 72 et 73 ainsi que jurisprudence citée).

24

En l’occurrence, la juridiction de renvoi a fourni dans sa demande de décision préjudicielle plusieurs motifs indiquant les raisons pour lesquelles, malgré le fait que la procédure d’appel d’offres en cause au principal a été retirée, il persistait, selon le droit national, un intérêt juridique à la résolution du litige au principal. Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la question posée ne doit pas être regardée comme étant de nature hypothétique et doit, par conséquent, être considérée comme recevable.

25

Sur le fond, conformément à l’article 42, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/24, les spécifications techniques définies au point 1 de l’annexe VII de cette directive figurent dans les documents de marché et définissent les caractéristiques requises des travaux, des services ou des fournitures.

26

En vertu de l’article 42, paragraphe 3, de cette directive, les spécifications techniques peuvent être formulées de plusieurs façons soit en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles, soit par référence à des spécifications techniques et, par ordre de préférence, aux normes nationales transposant des normes européennes, aux évaluations techniques européennes, aux spécifications techniques communes, aux normes internationales, aux autres référentiels techniques élaborés par les organismes européens de normalisation, ou, en leur absence, aux normes nationales, aux agréments techniques nationaux ou aux spécifications techniques nationales en matière de conception, de calcul et de réalisation des ouvrages et d’utilisation des fournitures, soit par une combinaison de ces deux façons.

27

À cet égard, il convient de constater que ledit article 42, paragraphe 3, en ce qu’il prévoit que les spécifications techniques doivent être formulées en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles suffisamment précises ou par référence à des spécifications techniques et à différentes normes, n’exclut nullement que soit précisée, dans un appel d’offres portant sur des fournitures médicales destinées à la réalisation d’examens médicaux, des caractéristiques de fonctionnement et d’utilisation des dispositifs et moyens individuels recherchés.

28

Par ailleurs, il convient de faire observer, d’une part, que le libellé de l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24 n’établit pas de hiérarchie entre les méthodes de formulation des spécifications techniques et n’accorde aucune préférence à l’une de ces méthodes.

29

D’autre part, il ressort de cette disposition que la réglementation de l’Union relative aux spécifications techniques reconnaît une large marge d’appréciation au pouvoir adjudicateur dans le cadre de la formulation des spécifications techniques d’un marché.

30

Cette marge d’appréciation est justifiée par le fait que ce sont les pouvoirs adjudicateurs qui connaissent le mieux les fournitures dont ils ont besoin et qui sont les mieux à même de déterminer les exigences auxquelles il doit être satisfait afin d’obtenir les résultats souhaités.

31

Néanmoins, la directive 2014/24 pose certaines limites que le pouvoir adjudicateur doit respecter.

32

Notamment, il est exigé à l’article 42, paragraphe 2, de la directive 2014/24 que les spécifications techniques donnent aux opérateurs économiques une égalité d’accès à la procédure de passation de marché et qu’elles n’aient pas pour effet de créer des obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence.

33

Cette exigence concrétise, aux fins de la formulation des spécifications techniques, le principe d’égalité de traitement figurant à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, de ladite directive. Selon cette disposition, les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination et agissent d’une manière transparente et proportionnée.

34

Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, les principes d’égalité de traitement, de non-discrimination et de transparence revêtent une importance cruciale en ce qui concerne les spécifications techniques, eu égard aux risques de discrimination liés soit au choix de celles-ci, soit à la manière de les formuler (voir, s’agissant de la directive 2004/18, arrêt du 10 mai 2012, Commission/Pays-Bas, C‑368/10, EU:C:2012:284, point 62).

35

Il est en outre précisé à l’article 18, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2014/24 qu’un marché ne peut être conçu dans l’intention de le soustraire au champ d’application de ladite directive ou de limiter artificiellement la concurrence et que la concurrence est considérée comme artificiellement limitée lorsqu’un marché est conçu dans l’intention de favoriser ou de défavoriser indûment certains opérateurs économiques.

36

Dans le même ordre d’idées, le considérant 74 de la directive 2014/24 énonce que les spécifications techniques devraient « être élaborées de manière à éviter de restreindre artificiellement la concurrence en instaurant des exigences qui favorisent un opérateur économique particulier en reprenant les principales caractéristiques des fournitures, services ou travaux qu’il propose habituellement ». En effet, selon ce considérant également, « la présentation d’offres reflétant la diversité des solutions techniques, des normes et des spécifications techniques existant sur le marché [...] devrait être possible ».

37

Le respect de ces exigences est d’autant plus important lorsque, comme en l’espèce, les spécifications techniques figurant dans le cahier des charges d’un marché sont formulées de manière particulièrement détaillée. En effet, plus les spécifications techniques sont détaillées, plus le risque de voir les produits d’un fabricant donné être privilégiés est important.

38

Certes, ainsi qu’il ressort de l’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24, il est possible, à titre exceptionnel et lorsqu’il n’est pas possible de fournir une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché en application de l’article 42, paragraphe 3, de cette directive, de faire référence à une fabrication ou à une provenance déterminée ou à un procédé particulier, qui caractérise les produits ou les services fournis par un opérateur économique spécifique, ou encore à une marque ou à un brevet, pour autant que l’objet du marché le justifie et que les conditions fixées à cet effet par la directive 2014/24 sont respectées, notamment, qu’une telle référence est accompagnée, dans les documents du marché, des termes « ou équivalent ». Toutefois, eu égard à la nature dérogatoire de cette disposition, les conditions dans lesquelles le pouvoir adjudicateur peut faire usage d’une telle possibilité doivent faire l’objet d’une interprétation stricte.

39

En effet, selon la jurisprudence dans le domaine des marchés publics de fournitures, le fait de ne pas ajouter la mention « ou équivalent » après la désignation, dans le cahier des charges, d’un produit déterminé peut non seulement dissuader les opérateurs économiques utilisant des systèmes analogues à ce produit de soumissionner à l’appel d’offres, mais aussi entraver les courants d’importation dans le commerce transfrontalier dans l’Union, en réservant le marché aux seuls fournisseurs se proposant d’utiliser le produit spécifiquement indiqué (voir, en ce sens, ordonnance du 3 décembre 2001, Vestergaard, C‑59/00, EU:C:2001:654, point 22 et jurisprudence citée).

40

Au regard des éléments qui précèdent, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si, tout en tenant compte de la marge d’appréciation dont dispose le pouvoir adjudicateur pour fixer les spécifications techniques selon des exigences qualitatives en fonction de l’objet du marché en cause, le caractère particulièrement détaillé des spécifications techniques en cause au principal ne conduit pas à favoriser indirectement un soumissionnaire.

41

Il importe également que le degré de détail des spécifications techniques respecte le principe de proportionnalité, ce qui implique, en particulier, un examen de la question de savoir si ce degré de détail est nécessaire aux fins de la réalisation des objectifs recherchés.

42

Cela étant, il convient de relever que le principe de proportionnalité s’applique de manière particulière dans le domaine sensible de la santé publique. En effet, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que, pour apprécier le respect par un État membre du principe de proportionnalité dans ce domaine, il convient de tenir compte du fait que la santé et la vie des personnes occupent le premier rang parmi les biens et intérêts protégés par le traité FUE et qu’il appartient aux États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique et la manière dont ce niveau doit être atteint. Ce niveau pouvant varier d’un État membre à l’autre, il convient de reconnaître aux États membres une marge d’appréciation (arrêt du 8 juin 2017, Medisanus, C‑296/15, EU:C:2017:431, point 82 et jurisprudence citée).

43

Il convient également de relever dans ce contexte que, ainsi qu’il a été rappelé au point 11 des recommandations de la Cour à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2018, C 257, p. 1), si, pour rendre sa décision, la Cour prend nécessairement en compte le cadre juridique et factuel du litige au principal, tel qu’il a été défini par la juridiction de renvoi dans sa demande de décision préjudicielle, elle n’applique pas, elle-même, le droit de l’Union à ce litige. Lorsqu’elle se prononce sur l’interprétation ou la validité du droit de l’Union, la Cour s’efforce de donner une réponse utile pour la solution du litige au principal, mais c’est à la juridiction de renvoi qu’il revient d’en tirer les conséquences concrètes. Pour ces raisons, l’interprétation fournie par la Cour est normalement exprimée in abstracto.

44

En l’occurrence, il appartient à la juridiction de renvoi, eu égard aux éléments d’interprétation exposés ci-dessus, d’apprécier concrètement la conformité des spécifications techniques en cause au principal avec les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité.

45

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que les articles 18 et 42 de la directive 2014/24 doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’imposent pas au pouvoir adjudicateur, dans l’établissement des spécifications techniques d’un appel d’offres portant sur l’acquisition de fournitures médicales, de faire prévaloir, par principe, soit l’importance des caractéristiques individuelles des appareils médicaux, soit l’importance du résultat du fonctionnement de ces appareils, mais exigent que les spécifications techniques, dans leur ensemble, respectent les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité. Il appartient à la juridiction de renvoi d’évaluer si, dans le litige dont elle est saisie, les spécifications techniques en cause répondent à ces exigences.

Sur les dépens

46

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

 

Les articles 18 et 42 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE, doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’imposent pas au pouvoir adjudicateur, dans l’établissement des spécifications techniques d’un appel d’offres portant sur l’acquisition de fournitures médicales, de faire prévaloir, par principe, soit l’importance des caractéristiques individuelles des appareils médicaux, soit l’importance du résultat du fonctionnement de ces appareils, mais exigent que les spécifications techniques, dans leur ensemble, respectent les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité. Il appartient à la juridiction de renvoi d’évaluer si, dans le litige dont elle est saisie, les spécifications techniques en cause répondent à ces exigences.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le lituanien.