ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

14 novembre 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Restrictions à la liberté d’établissement – Compétence de la Cour – Recevabilité de la demande de décision préjudicielle – Situation purement interne – Réglementation nationale interdisant toute activité lucrative portant sur la conservation des urnes cinéraires – Test de proportionnalité – Cohérence de la réglementation nationale »

Dans l’affaire C‑342/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale amministrativo regionale per il Veneto (tribunal administratif régional pour la Vénétie, Italie), par décision du 11 mai 2017, parvenue à la Cour le 8 juin 2017, dans la procédure

Memoria Srl,

Antonia Dall’Antonia

contre

Comune di Padova,

en présence de :

Alessandra Calore,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Vilaras, président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, MM. J. Malenovský (rapporteur), L. Bay Larsen, M. Safjan et D. Šváby, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. R. Schiano, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 avril 2018,

considérant les observations présentées :

pour Memoria Srl et Mme Dall’Antonia, par Mes G. Martini, A. Sitzia et P. Piva, avvocati,

pour le Comune di Padova, par Mes M. Lotto, V. Mizzoni, A. Sartori et P. Bernardi, avvocati,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. E. De Bonis, avvocato dello Stato,

pour la Commission européenne, par Mme H. Tserepa-Lacombe et M. L. Malferrari, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 21 juin 2018,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49 et 56 TFUE.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Memoria Srl et Mme Antonia Dall’Antonia au Comune di Padova (commune de Padoue, Italie) au sujet d’une réglementation, adoptée par cette dernière, ayant pour effet d’interdire aux dépositaires d’une urne cinéraire d’en confier la garde, contre paiement, à une entreprise privée.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Le considérant 8 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36), prévoit :

« (8)

Les dispositions de la présente directive concernant la liberté d’établissement et la libre circulation des services ne devraient s’appliquer que dans la mesure où les activités en cause sont ouvertes à la concurrence, de manière à ce qu’elles n’obligent pas les États membres à libéraliser les services d’intérêt économique général ou à privatiser des entités publiques proposant de tels services, ni à abolir les monopoles existants pour d’autres activités ou certains services de distribution. »

4

Aux termes de l’article 1er, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive 2006/123 :

« La présente directive ne traite pas de l’abolition des monopoles fournissant des services, ni des aides accordées par les États membres qui relèvent des règles communautaires en matière de concurrence. »

Le droit italien

La loi no 234, du 24 décembre 2012

5

L’article 53 de la legge n. 234 – Norme generali sulla partecipazione dell’Italia alla formazione e all’attuazione della normativa e delle politiche dell’Unione europea (loi no 234 portant règles générales sur la participation de la République italienne à la formation et à la mise en œuvre de la réglementation et des politiques de l’Union européenne), du 24 décembre 2012 (GURI no 3, du 4 janvier 2013), énonce :

« Ne sont pas applicables à l’égard des ressortissants italiens les règles de l’ordre juridique italien produisant des effets discriminatoires par rapport à la condition et au traitement garantis dans l’ordre juridique italien aux ressortissants de l’Union. »

La loi no 130, du 30 mars 2001

6

L’article 3 de la legge n. 130 – Disposizioni in materia di cremazione e dispersione delle ceneri (loi no 130 relative à la crémation et à la dispersion des cendres), du 30 mars 2001 (GURI no 91, du 19 avril 2001), dispose :

« 1.   Dans les six mois suivants l’entrée en vigueur de la présente loi, le [decreto del Presidente della Repubblica n. 285 approvazione del regolamento di polizia mortuaria (décret du président de la République no 285 portant approbation du règlement de police mortuaire), du 10 septembre 1990 (GURI no 239, du 12 octobre 1990),] pourra être modifié par un règlement adopté en application de l’article 17, paragraphe 1, de la loi no 400, du 23 août 1988 modifiée, sur proposition du ministre de la Santé, les ministres de l’Intérieur et de la Justice entendus, après avis des commissions parlementaires compétentes, sur la base des principes suivants :

[...]

b)

l’autorisation de procéder à la crémation est accordée suivant la volonté, en ce sens exprimée par le défunt de son vivant ou par un membre de sa famille, selon l’une des modalités suivantes :

[...]

c)

la dispersion des cendres n’est autorisée, suivant la volonté du défunt, que dans un secteur du cimetière réservé à cet effet, en pleine nature ou dans un domaine privé ; la dispersion dans un domaine privé doit se faire à l’air libre avec l’autorisation du propriétaire et ne peut donner lieu à rémunération ; en tout état de cause, la dispersion des cendres est interdite dans des zones habitées [...] ; la dispersion en mer dans les eaux de lacs et de cours d’eau est autorisée dans les zones sans embarcations et sans constructions ;

d)

la dispersion des cendres est effectuée par le conjoint ou par tout autre membre de la famille habilité, par l’exécuteur testamentaire ou par le représentant légal de l’association visée sous b), point 2, ci‑dessus, à laquelle le défunt adhérait ou, à défaut, par une personne habilitée à cet effet par la commune ;

[...]

f)

le transport de l’urne contenant les cendres n’est pas soumis aux mesures sanitaires de précaution prévues pour le transport de cadavres, sauf indication contraire des autorités sanitaires ;

[...]

i)

une salle attenante au crématorium doit être aménagée pour permettre l’accomplissement des rites funéraires et de rendre un dernier hommage au défunt dans la dignité.

[...] »

7

En vertu de l’article 5, paragraphe 2, de cette loi :

« Par décret du ministère de l’Intérieur, en consultation avec le ministre de la Santé, et après avoir entendu l’Associazione nationale dei comuni italiani (ANCI) (Association nationale des municipalités italiennes), la Confederazione nazionale dei servizi (Confservizi) (Confédération nationale des services) ainsi que les associations les plus représentatives ayant, parmi leur objet social, les questions de crémation, sont établis dans les six mois à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, les tarifs applicables pour la crémation des cadavres, ainsi que pour la conservation et la dispersion des cendres dans les lieux appropriés des cimetières. »

Le décret du président de la République no 285, du 10 septembre 1990

8

En vertu de l’article 92, paragraphe 4, du décret du président de la République no 285, du 10 septembre 1990 :

« Nul ne peut concéder des parcelles pour des sépultures privées à des personnes physiques ou morales qui entendent en tirer profit ou se livrer à la spéculation. »

La loi régionale no 18, du 4 mars 2010

9

La legge regionale n. 18 – Norme in materia funeraria, della Regione del Veneto (loi régionale no 18 en matière funéraire, de la région de Vénétie), du 4 mars 2010, a confié aux communes le soin de fixer les prescriptions relatives à la garde et aux caractéristiques des urnes cinéraires.

Le règlement relatif aux services funéraires de la commune de Padoue

10

L’article 52 du règlement relatif aux services funéraires de la commune de Padoue, tel que modifié par la décision de la commune de Padoue no 84, du 30 novembre 2015, prévoit :

« 1.   La garde de l’urne cinéraire aux fins de la conservation dans une habitation est confiée dans le respect des dispositions écrites prises par le défunt de son vivant. En l’absence de telles dispositions, la garde peut être demandée par le conjoint ou, à défaut, par le parent le plus proche, déterminé conformément aux articles 74, 75, 76 et 77 du code civil et, s’il y a plusieurs parents au même degré, par la majorité absolue de ceux-ci.

2.   En cas de liens affectifs ou de reconnaissance avérés, la garde de l’urne peut également être confiée à d’autres personnes que celles visées à la deuxième phrase du paragraphe précédent, sous réserve de l’accord préalable écrit des ayants droit.

3.   Le dépositaire de l’urne ne peut en aucun cas en confier la garde à un tiers. Cette interdiction vaut même en cas de volonté expresse manifestée par le défunt de son vivant.

4.   L’urne doit être gardée exclusivement dans l’habitation de celui qui en est le dépositaire, dans un lieu protégé contre d’éventuelles profanations ou soustractions. Aucune ouverture ni aucun trou ne peuvent être faits sur l’urne, pour quelque motif que ce soit.

5.   Les services funéraires peuvent exiger à tout moment la présentation de l’urne cinéraire par le dépositaire, afin d’en vérifier l’intégrité et l’état de conservation.

[...]

9.   Le placement dans un cimetière d’une urne placée en dépôt peut être demandé à tout moment.

10.   Outre les exigences énoncées au paragraphe 4, la garde de l’urne cinéraire ne peut en aucun cas être exercée dans un but lucratif et, par conséquent, ne sont pas autorisées les activités économiques dont l’objet, même non exclusif, est la garde d’urnes cinéraires à quelque titre que ce soit et quelle qu’en soit la durée. Cette interdiction vaut même en cas de volonté expresse manifestée par le défunt de son vivant. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

11

Memoria est une société constituée le 1er décembre 2014, dont l’activité consiste à offrir aux familles de défunts incinérés un service de garde de leurs urnes cinéraires au moyen de contrats de cession d’emplacements pour le dépôt de celles-ci dans des columbariums. Ce service est présenté comme visant à permettre aux familles d’éviter d’avoir à garder de telles urnes chez elles, tout en leur offrant un accès aux locaux où sont conservées ces urnes plus facilement que dans le cas d’un cimetière. Les lieux où lesdites urnes sont conservées se présentent comme des espaces exclusivement destinés à les accueillir, dans un environnement esthétiquement agréable, calme, protégé et adapté au recueillement et aux prières à la mémoire des défunts.

12

À partir du mois de septembre 2015, Memoria a inauguré des lieux destinés exclusivement à l’accueil d’urnes cinéraires, qu’elle appelle « lieux de mémoire », répartis dans différents quartiers de la commune de Padoue. L’accès des membres de la famille du défunt à ces lieux est subordonné à l’acceptation d’un règlement de conduite interne, qui impose notamment le respect de règles de bonne éducation, de correction et de dignité, l’interdiction de consommer des boissons alcoolisées et l’obligation d’une tenue vestimentaire correcte.

13

Mme Dall’Antonia est une cliente potentielle de Memoria, envisageant de faire incinérer la dépouille de son mari et de transférer ses cendres dans l’une de ces installations.

14

Toutefois, la commune de Padoue a adopté la décision no 84, du 30 novembre 2015, qui a modifié le règlement relatif aux services funéraires de cette commune. Les modifications intervenues ont pour effet d’exclure expressément la possibilité pour le dépositaire d’une urne cinéraire de recourir aux services d’une entreprise privée, gérée indépendamment du service municipal des cimetières, aux fins de conservation de cette urne hors du foyer domestique.

15

Le 15 février 2016, Memoria et Mme Dall’Antonia ont saisi le Tribunale amministrativo regionale per il Veneto (tribunal administratif régional pour la Vénétie, Italie) d’un recours tendant à l’annulation de ladite décision et, s’agissant de Memoria, à la réparation du préjudice subi du fait de cette même décision. À l’appui de leur recours, ils font valoir, en substance, que la réglementation nationale en cause n’est pas conforme au droit de l’Union et, plus précisément, aux principes de liberté d’établissement et de libre prestation de services.

16

À cet égard, la juridiction de renvoi indique éprouver des doutes quant à l’invocabilité de ces principes, dans la mesure où la réglementation nationale en cause s’applique non pas à l’ensemble du territoire national, mais uniquement à la commune de Padoue. En revanche, si lesdits principes doivent être considérés comme invocables, cette même juridiction estime qu’il existe alors des raisons de douter de la conformité de la réglementation nationale en cause à leur égard, car cette réglementation ne serait justifiée par aucun motif d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

17

Dans ces conditions, le Tribunale amministrativo regionale per il Veneto (tribunal administratif régional pour la Vénétie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« [L]es articles 49 et 56 TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils font obstacle à l’application des dispositions suivantes de l’article 52 du règlement relatif aux services funéraires de la commune de Padoue, [tel que modifié par la décision de la commune de Padoue no 84, du 30 novembre 2015, qui prévoient que] :

“Le dépositaire de l’urne ne peut en aucun cas en confier la garde à un tiers. Cette interdiction vaut même en cas de volonté expresse manifestée par le défunt de son vivant” (paragraphe 3).

“L’urne doit être gardée exclusivement dans l’habitation de celui qui en est le dépositaire [...]” (paragraphe 4).

“[...] La garde de l’urne cinéraire ne peut en aucun cas être exercée dans un but lucratif et, par conséquent, ne sont pas autorisées les activités économiques dont l’objet, même non exclusif, est la garde d’urnes cinéraires à quelque titre que ce soit et quelle qu’en soit la durée. Cette interdiction vaut même en cas de volonté expresse manifestée par le défunt de son vivant (paragraphe 10)” ? »

18

Par ordonnance du président de la Cour du 31 juillet 2017, la demande de la juridiction de renvoi visant à soumettre le présent renvoi préjudiciel à la procédure accélérée prévue à l’article 105 du règlement de procédure de la Cour a été rejetée.

Sur la question préjudicielle

Sur la compétence de la Cour

19

Le gouvernement italien soutient que la Cour n’est pas compétente pour répondre à la question posée, car les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée ne s’appliquent pas au litige au principal, ce dernier ayant trait à une situation purement interne.

20

Conformément à l’article 94 du règlement de procédure, il appartient à la juridiction de renvoi d’indiquer à la Cour en quoi, en dépit de son caractère purement interne, le litige pendant devant elle présente avec les articles 49 et 56 TFUE un élément de rattachement qui rend leur interprétation nécessaire à la solution de ce litige (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, point 55).

21

À défaut de telles indications, la demande de décision préjudicielle doit être déclarée irrecevable.

22

Il y a donc lieu d’examiner l’objection évoquée par le gouvernement italien dans le cadre de la vérification de la recevabilité de la demande de décision préjudicielle.

Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

23

Il convient de rappeler qu’un litige, bien qu’opposant des ressortissants d’un même État membre, doit être considéré comme présentant un élément de rattachement avec les articles 49 et 56 TFUE susceptible de rendre l’interprétation de ces dispositions nécessaire à la solution de ce litige, lorsque le droit national impose à la juridiction de renvoi de faire bénéficier lesdits ressortissants des mêmes droits que les ressortissants d’autres États membres placés dans la même situation tireraient du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 21 février 2013, Ordine degli Ingegneri di Verona e Provincia e.a., C‑111/12, EU:C:2013:100, point 35, ainsi que du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, point 52).

24

En l’occurrence, le litige au principal oppose, certes, une société de droit italien et une ressortissante italienne à une commune située sur le territoire de l’Italie, mais la juridiction de renvoi indique que, en vertu de l’article 53 de la loi no 234, du 24 décembre 2012, elle est tenue de faire bénéficier cette société et cette ressortissante des articles 49 et 56 TFUE.

25

Dans ces conditions, il doit être constaté que la juridiction de renvoi a établi en quoi, en dépit de son caractère purement interne, le litige pendant devant elle présente, avec les articles 49 et 56 TFUE, un élément de rattachement qui rend l’interprétation du droit de l’Union sollicitée nécessaire à la solution de ce litige et, par conséquent, que la demande de décision préjudicielle s’avère à cet égard recevable.

26

En outre, la commune de Padoue et le gouvernement italien soutiennent que la demande de décision préjudicielle est également irrecevable pour d’autres motifs.

27

Tout d’abord, cette demande ne contiendrait pas tous les éléments de fait et de droit nécessaires pour permettre à la Cour de répondre de façon utile à la question posée. Notamment, la juridiction de renvoi n’aurait pas exposé les arguments de la commune de Padoue visant à mettre en lumière les intérêts publics pour la protection desquels les dispositions en cause au principal ont été adoptées.

28

À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 94, sous b) et c), du règlement de procédure, toute demande de décision préjudicielle doit exposer la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer au litige au principal ainsi que le lien que la juridiction de renvoi établit entre ces dispositions et les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée.

29

En l’occurrence, la juridiction de renvoi a cité les dispositions pertinentes du règlement relatif aux services funéraires de la commune de Padoue, tel que modifié par la décision de la commune de Padoue no 84, du 30 novembre 2015, et précisé que l’interprétation des articles 49 et 56 TFUE était sollicitée dans la mesure où la légalité de ce règlement était contestée en raison de sa prétendue contrariété avec les principes de libre prestation de services et de liberté d’établissement.

30

Il s’ensuit que la juridiction de renvoi a satisfait, à suffisance de droit, à son obligation d’exposer la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer au litige au principal ainsi que le lien existant entre ces dispositions et les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée.

31

Dès lors, la fin de non-recevoir soulevée par la commune de Padoue et le gouvernement italien doit être rejetée.

32

Ensuite, le gouvernement italien allègue que la demande de décision préjudicielle est prématurée. En effet, selon ce gouvernement, avant de poser une question préjudicielle à la Cour, la juridiction de renvoi aurait dû examiner si la réglementation nationale en cause au principal interdit ou autorise l’exercice d’une activité économique ayant pour objet la garde et la conservation d’urnes cinéraires et, à cette occasion, identifier les objectifs poursuivis par cette réglementation.

33

À cet égard, il doit être rappelé que les juridictions nationales ont la faculté la plus étendue de saisir la Cour si elles considèrent qu’une affaire pendante devant elles soulève des questions comportant une interprétation ou une appréciation de la validité des dispositions du droit de l’Union nécessaires au règlement du litige qui leur est soumis et que, notamment, elles sont libres d’exercer cette faculté à tout moment de la procédure qu’elles jugent approprié (arrêt du 5 juillet 2016, Ognyanov, C‑614/14, EU:C:2016:514, point 17 et jurisprudence citée).

34

Par conséquent, une demande de décision préjudicielle ne saurait être déclarée irrecevable au seul motif qu’elle serait survenue à un stade précoce de la procédure au principal.

35

Dès lors, la fin de non-recevoir soulevée par le gouvernement italien doit être rejetée.

36

Enfin, la commune de Padoue estime que, la réglementation nationale en cause au principal ayant trait au statut des droits les plus personnels de l’individu, les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime font, en tout état de cause, obstacle à ce que cette réglementation puisse être remise en cause.

37

Toutefois, s’il n’est pas nécessairement exclu que les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime puissent être pertinents, leur éventuelle interaction avec les libertés de circulation constitue une question de fond. Partant, leur simple évocation ne saurait suffire à établir qu’une demande de décision préjudicielle est dépourvue d’utilité, la réponse à celle-ci demeurant nécessaire à la juridiction de renvoi afin de rendre sa décision. Ainsi, une telle demande de décision préjudicielle n’est pas irrecevable.

38

Par conséquent, il y a lieu de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la commune de Padoue.

39

Il découle de ce qui précède que la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur le fond

Observations liminaires

40

Premièrement, lors de l’audience, la Commission européenne a soutenu qu’il n’y a pas lieu d’examiner la réglementation nationale en cause au principal au regard des dispositions du traité FUE relatives aux libertés fondamentales, dès lors que c’est la directive 2006/123 qui s’applique dans l’affaire au principal.

41

Toutefois, il convient de relever qu’une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit aux entreprises privées de fournir un service de garde d’urnes cinéraires, a pour effet, ainsi qu’il résulte des énonciations de la décision de renvoi, de conférer un monopole aux services municipaux sur la fourniture du service de conservation de ces urnes. Or, il résulte de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2006/123, lu à la lumière du considérant 8 de cette directive, que cette dernière ne traite pas de l’abolition des monopoles fournissant des services.

42

Par conséquent, une telle réglementation ne relève pas du champ d’application de la directive 2006/123 et doit donc être examinée au regard des seules dispositions du traité.

43

Deuxièmement, la juridiction de renvoi s’est référée, dans sa question, tant à l’article 49 TFUE qu’à l’article 56 TFUE.

44

Cependant, à cet égard, il doit être constaté que seule la première de ces deux dispositions est applicable dans le litige au principal. En effet, dès lors qu’un opérateur entend exercer, de manière effective, son activité économique au moyen d’une installation stable et pour une durée indéterminée, sa situation doit être examinée à l’aune de la liberté d’établissement, telle que définie à l’article 49 TFUE (voir, notamment, arrêts du 29 septembre 2011, Commission/Autriche, C‑387/10, non publié, EU:C:2011:625, point 22, et du 23 février 2016, Commission/Hongrie, C‑179/14, EU:C:2016:108, points 148 à 150).

45

Or, il apparaît que, dans l’affaire au principal, Memoria souhaite fournir sur le territoire de la commune de Padoue un service de garde d’urnes cinéraires au moyen d’une installation stable et pour une durée indéterminée. Il s’ensuit que la question préjudicielle doit être regardée comme portant sur l’interprétation du seul article 49 TFUE.

46

Eu égard à ce qui précède, il convient de comprendre la question posée en ce sens que la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit, même en dépit de la volonté expresse du défunt, au dépositaire d’une urne cinéraire d’en confier la garde à un tiers, qui lui impose de la conserver dans son habitation, sauf à la confier à un cimetière municipal, et, en outre, qui proscrit toute activité exercée à titre lucratif ayant pour objet, même non exclusif, la garde d’urnes cinéraires, à quelque titre que ce soit et quelle qu’en soit la durée.

Sur la question

47

D’emblée, il convient de rappeler que l’article 49 TFUE s’oppose à toute mesure nationale constituant une restriction à la liberté d’établissement, sauf pour une telle restriction à être justifiée par des considérations impérieuses d’intérêt général (voir en ce sens, notamment, arrêt du 5 décembre 2013, Venturini e.a., C‑159/12 à C‑161/12, EU:C:2013:791, points 30 et 37).

48

En premier lieu, conformément à une jurisprudence constante, constitue une restriction au sens de l’article 49 TFUE toute mesure nationale qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, interdit, gêne ou rend moins attrayant l’exercice, par les ressortissants de l’Union, de la liberté d’établissement garantie par le traité (voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2016, Laezza, C‑375/14, EU:C:2016:60, point 21).

49

En l’occurrence, compte tenu des énonciations faites par la juridiction de renvoi, il doit être constaté qu’une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit aux ressortissants de l’Union de fournir un service de garde d’urnes cinéraires dans l’État membre concerné fait obstacle à ce que ces ressortissants s’y établissent afin d’exercer une telle garde et qu’elle est donc susceptible de gêner l’exercice par lesdits ressortissants de la liberté d’établissement garantie par le traité.

50

Par conséquent, une telle réglementation instaure une restriction à la liberté d’établissement, au sens de l’article 49 TFUE.

51

En deuxième lieu, selon une jurisprudence constante, une restriction à la liberté d’établissement peut être justifiée, à condition de s’appliquer sans discrimination tenant à la nationalité, pour des raisons impérieuses d’intérêt général, pourvu qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (voir en ce sens, notamment, arrêt du 9 mars 2017, Piringer, C‑342/15, EU:C:2017:196, point 53 et jurisprudence citée).

52

Plus particulièrement, il y a encore lieu de rappeler qu’une législation nationale n’est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué que si elle répond véritablement au souci de l’atteindre d’une manière cohérente et systématique (voir, en ce sens, arrêts du 10 mars 2009, Hartlauer, C‑169/07, EU:C:2009:141, point 55, et du 23 décembre 2015, Hiebler, C‑293/14, EU:C:2015:843, point 65).

53

En l’occurrence, la commune de Padoue et le gouvernement italien soutiennent que la réglementation nationale en cause au principal, dont il est constant qu’elle s’applique sans discrimination tenant à la nationalité, est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général tenant à la protection de la santé publique, à la nécessité de veiller au respect dû à la mémoire des défunts ainsi qu’à la protection des valeurs morales et religieuses dominantes en Italie, ces dernières s’opposant à l’existence d’activités commerciales et mondaines liées à la conservation des cendres des défunts et donc à ce que les activités de garde de restes mortels aient une visée lucrative.

54

À cet égard, s’agissant, premièrement, de la justification tenant à la protection de la santé publique, il découle, certes, d’une jurisprudence constante de la Cour que la protection de la santé publique figure parmi les raisons impérieuses d’intérêt général reconnues par le droit de l’Union et que les États membres disposent dans ce domaine d’une large marge d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 2010, Blanco Pérez et Chao Gómez, C‑570/07 et C‑571/07, EU:C:2010:300, points 44, 68 et 106).

55

Toutefois, un tel objectif ne saurait justifier la restriction en cause au principal dans la mesure où les cendres funéraires, à la différence des dépouilles mortelles, sont inertes d’un point de vue biologique, puisque rendues stériles par la chaleur, de sorte que leur conservation ne saurait représenter une contrainte imposée par des considérations de santé publique.

56

Par conséquent, l’objectif de protection de la santé publique mis en avant par la commune de Padoue et le gouvernement italien n’est pas propre à justifier les restrictions à la liberté d’établissement instituées par la réglementation nationale en cause au principal.

57

En ce qui concerne, deuxièmement, l’objectif de protection du respect dû à la mémoire des défunts, celui-ci est également susceptible de constituer une raison impérieuse d’intérêt général.

58

En outre, il peut, certes, être considéré qu’une réglementation nationale interdisant aux entreprises privées d’exercer la garde d’urnes cinéraires est à même de garantir la réalisation de cet objectif. En effet, d’une part, une telle interdiction est susceptible de garantir que la garde de ces urnes soit confiée à des structures faisant l’objet d’obligations et de contrôles spécifiques destinés à assurer le respect dû à la mémoire des défunts. D’autre part, elle est propre à garantir que, en cas de cessation, par les entreprises concernées, de leurs activités de garde, les urnes en cause ne soient pas abandonnées ou leur contenu dispersé de manière et dans des lieux inappropriés.

59

Cependant, il doit être constaté qu’il existe des mesures moins contraignantes permettant de réaliser ledit objectif, telles que, notamment, l’obligation d’assurer la garde des urnes cinéraires dans des conditions analogues à celles des cimetières communaux et, en cas de cessation d’activité, de transférer ces urnes à un cimetière public ou de les restituer aux proches du défunt.

60

Par conséquent, la réglementation nationale en cause au principal va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre un objectif de protection du respect dû à la mémoire des défunts.

61

Dans ces conditions, les restrictions à la liberté d’établissement instituées par ladite réglementation ne sauraient être justifiées au regard de la protection du respect dû à la mémoire des défunts.

62

Pour ce qui est, troisièmement, des valeurs morales et religieuses dominantes dans l’État membre concerné, le gouvernement italien soutient que celles-ci s’opposent à ce que les activités de garde de restes mortels puissent avoir une visée lucrative.

63

Toutefois, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la valeur d’un tel objectif, il convient de relever qu’il ressort du libellé même de l’article 5, paragraphe 2, de la loi no 130, du 30 mars 2001, que l’activité de conservation de cendres mortuaires fait l’objet, dans cet État membre, d’une tarification qui est fixée par le ministère de l’Intérieur, après consultation du ministère de la Santé et de certaines associations.

64

Or, l’ouverture à des acteurs privés des activités de garde de restes mortels aurait pu être soumise à ce même encadrement tarifaire lequel, en lui-même, n’est pas visiblement considéré, par l’État membre concerné, comme contraire à ses valeurs morales et religieuses.

65

Dès lors, à défaut, la réglementation nationale en cause au principal va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif invoqué, et, par conséquent, elle ne saurait, en tout état de cause, être justifiée à la lumière de celui-ci.

66

Il découle de ce qui précède qu’il convient de répondre à la question posée que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit, même en dépit de la volonté expresse du défunt, au dépositaire d’une urne cinéraire d’en confier la garde à un tiers, qui lui impose de la conserver dans son habitation, sauf à la confier à un cimetière municipal, et, en outre, qui proscrit toute activité exercée à titre lucratif ayant pour objet, même non exclusif, la garde d’urnes cinéraires, à quelque titre que ce soit et quelle qu’en soit la durée.

Sur les dépens

67

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

 

L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit, même en dépit de la volonté expresse du défunt, au dépositaire d’une urne cinéraire d’en confier la garde à un tiers, qui lui impose de la conserver dans son habitation, sauf à la confier à un cimetière municipal, et, en outre, qui proscrit toute activité exercée à titre lucratif ayant pour objet, même non exclusif, la garde d’urnes cinéraires, à quelque titre que ce soit et quelle qu’en soit la durée.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’italien.