ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

12 mars 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union européenne – Article 20 TFUE – Articles 7 et 24 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Nationalités d’un État membre et d’un État tiers – Perte de plein droit de la nationalité d’un État membre et de la citoyenneté de l’Union – Conséquences – Proportionnalité »

Dans l’affaire C‑221/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas), par décision du 19 avril 2017, parvenue à la Cour le 27 avril 2017, dans la procédure

M. G. Tjebbes,

G. J. M. Koopman,

E. Saleh Abady,

L. Duboux

contre

Minister van Buitenlandse Zaken,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme A. Prechal, M. M. Vilaras, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos (rapporteur), présidents de chambre, MM. A. Rosas, E. Juhász, J. Malenovský, E. Levits, L. Bay Larsen et D. Šváby, juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : M. M.-A. Gaudissart, greffier adjoint,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 avril 2018,

considérant les observations présentées :

pour Mme Tjebbes, par M. A. van Rosmalen,

pour Mmes Koopman et Duboux, par Me E. Derksen, advocaat,

pour Mme Saleh Abady, par Me N. van Bremen, advocaat,

pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et M. H. S. Gijzen ainsi que par M. J. Langer, en qualité d’agents,

pour l’Irlande, par Mmes M. Browne et L. Williams ainsi que par M. A. Joyce, en qualité d’agents,

pour le gouvernement hellénique, par Mme T. Papadopoulou, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par M. H. Kranenborg ainsi que par Mme E. Montaguti, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 juillet 2018,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 20 et 21 TFUE ainsi que de l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mmes M. G. Tjebbes, G. J. M. Koopman, E. Saleh Abady et L. Duboux au Minister van Buitenlandse Zaken (ministre des Affaires étrangères, Pays-Bas) (ci-après le « ministre ») au sujet du refus de ce dernier d’examiner leur demande respective d’obtention d’un passeport national.

Le cadre juridique

Le droit international

La convention sur la réduction des cas d’apatridie

3

La convention des Nations unies sur la réduction des cas d’apatridie, adoptée à New York le 30 août 1961 et entrée en vigueur le 13 décembre 1975 (ci-après la « convention sur la réduction des cas d’apatridie »), est applicable au Royaume des Pays-Bas depuis le 11 août 1985. L’article 6 de cette convention dispose :

« Si la législation d’un État contractant prévoit que le fait pour un individu de perdre sa nationalité ou d’en être privé entraîne la perte de cette nationalité pour le conjoint ou les enfants, cette perte sera subordonnée à la possession ou à l’acquisition par ces derniers d’une autre nationalité. »

4

L’article 7, paragraphes 3 à 6, de ladite convention prévoit :

« 3.   Sous réserve des dispositions des paragraphes 4 et 5 du présent article, nul ne peut perdre sa nationalité, s’il doit de ce fait devenir apatride, parce qu’il quitte le pays dont il possède la nationalité, réside à l’étranger, ne se fait pas immatriculer ou pour toute autre raison analogue.

4.   La perte de la nationalité qui affecte un individu naturalisé peut être motivée par la résidence à l’étranger pendant une période dont la durée, fixée par l’État contractant, ne peut être inférieure à sept années consécutives, si l’intéressé ne déclare pas aux autorités compétentes son intention de conserver sa nationalité.

5.   En ce qui concerne les individus nés hors du territoire de l’État contractant dont ils possèdent la nationalité, la conservation de cette nationalité au-delà d’une date postérieure d’un an à leur majorité peut être subordonnée par la législation de l’État contractant à des conditions de résidence à cette date sur le territoire de cet État ou d’immatriculation auprès de l’autorité compétente.

6.   À l’exception des cas prévus au présent article, un individu ne peut perdre la nationalité d’un État contractant s’il doit de ce fait devenir apatride, alors même que cette perte ne serait pas expressément exclue par toute autre disposition de la présente [c]onvention. »

La convention sur la nationalité

5

La convention européenne sur la nationalité, adoptée le 6 novembre 1997 dans le cadre du Conseil de l’Europe et entrée en vigueur le 1er mars 2000 (ci-après la « convention sur la nationalité »), est applicable au Royaume des Pays-Bas depuis le 1er juillet 2001. L’article 7 de la convention sur la nationalité dispose :

« 1.   Un État [p]artie ne peut prévoir dans son droit interne la perte de sa nationalité de plein droit ou à son initiative, sauf dans les cas suivants :

[...]

e)

absence de tout lien effectif entre l’État [p]artie et un ressortissant qui réside habituellement à l’étranger ;

[...]

2.   Un État [p]artie peut prévoir la perte de sa nationalité par les enfants dont les parents perdent sa nationalité, à l’exception des cas couverts par les alinéas c et d du paragraphe 1. Cependant, les enfants ne perdent pas leur nationalité si l’un au moins de leurs parents conserve cette nationalité.

[...] »

Le droit de l’Union

6

L’article 20 TFUE dispose :

« 1.   Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. La citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas.

2.   Les citoyens de l’Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les traités. Ils ont, entre autres :

a)

le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ;

[...]

c)

le droit de bénéficier, sur le territoire d’un pays tiers où l’État membre dont ils sont ressortissants n’est pas représenté, de la protection des autorités diplomatiques et consulaires de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État ;

[...] »

7

Aux termes de l’article 7 de la Charte, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications.

8

L’article 24, paragraphe 2, de la Charte prévoit :

« Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »

Le droit néerlandais

9

L’article 6, paragraphe 1, sous f), de la Rijkswet op het Nederlanderschap (loi sur la nationalité néerlandaise, ci-après la « loi sur la nationalité ») dispose :

« 1.   

f)

Après le dépôt d’une déclaration écrite rédigée à cet effet, la nationalité néerlandaise est acquise par voie de confirmation telle que visée au paragraphe 3, par : l’étranger majeur qui, à un moment donné, a possédé la nationalité néerlandaise [...] et dispose d’une autorisation pour une durée indéterminée et réside depuis au moins un an aux Pays-Bas [...] à moins qu’il n’ait perdu la nationalité néerlandaise au titre de l’article 15, paragraphe 1, sous d) ou f). »

10

L’article 15 de cette loi dispose :

« 1.   Un majeur perd la nationalité néerlandaise :

[...]

c.

s’il possède également une nationalité étrangère et qu’il a eu sa résidence principale pendant une période ininterrompue de dix ans au cours de sa majorité, en ayant les deux nationalités, en dehors des Pays-Bas [...] et des territoires auxquels le [traité UE] est applicable [...]

[...]

3.   La période visée au premier paragraphe, sous c), est réputée ininterrompue si l’intéressé a sa résidence principale aux Pays-Bas [...] ou dans les territoires auxquels le [traité UE] est applicable pendant une période inférieure à un an.

4.   La période visée au premier paragraphe, sous c), est interrompue par la délivrance d’une déclaration relative à la possession de la nationalité néerlandaise ou d’un document de voyage ou d’une carte d’identité néerlandaise au sens de la [Paspoortwet (loi sur les passeports)]. Un nouveau délai de dix ans commence à courir le jour de la délivrance. »

11

L’article 16 de la loi sur la nationalité dispose :

« 1.   Un mineur perd la nationalité néerlandaise :

[...]

d.

si son père ou sa mère perd la nationalité néerlandaise au titre de l’article 15, paragraphe 1, sous b), c) ou d) [...]

[...]

2.   La perte de la nationalité néerlandaise visée au premier paragraphe ne prend pas effet :

a.

si et aussi longtemps qu’un des parents est en possession de la nationalité néerlandaise ;

[...]

e.

si le mineur est né dans le pays dont il a acquis la nationalité et y a son lieu de séjour principal au moment de l’acquisition [...]

f.

si le mineur a ou a eu son lieu de séjour principal dans le pays dont il a acquis la nationalité pendant une période ininterrompue de cinq ans [...]

[...] »

12

En vertu de l’article IV de la Rijkswet tot wijziging Rijkswet op het Nederlanderschap (verkrijging, verlening en verlies van het Nederlanderschap) [loi modifiant la loi sur la nationalité néerlandaise (acquisition, octroi et perte de la nationalité néerlandaise)], du 21 décembre 2000, la période de dix ans visée à l’article 15, paragraphe 1, de la loi sur la nationalité ne commence pas à courir avant le 1er avril 2003.

Le litige au principal et la question préjudicielle

13

Mme Tjebbes est née le 29 août 1984 à Vancouver (Canada) et possède, depuis sa naissance, les nationalités néerlandaise et canadienne. Le 9 mai 2003, un passeport néerlandais lui a été délivré. La validité de ce passeport expirait le 9 mai 2008. Le 25 avril 2014, Mme Tjebbes a introduit une demande de passeport auprès du consulat néerlandais de Calgary (Canada).

14

Mme Koopman est née le 23 mars 1967 à Hoorn (Pays-Bas). Le 21 mai 1985, elle s’est établie en Suisse et, le 7 avril 1988, elle s’est mariée avec M. P. Duboux qui possédait la nationalité suisse. En conséquence de cette union, Mme Koopman a également obtenu la nationalité suisse. Elle possédait un passeport néerlandais qui lui avait été délivré le 10 juillet 2000 et qui était valable jusqu’au 10 juillet 2005. Le 8 septembre 2014, Mme Koopman a introduit une demande de passeport auprès de l’ambassade du Royaume des Pays-Bas à Berne (Suisse).

15

Mme Saleh Abady est née le 25 mars 1960 à Téhéran (Iran). Elle possède la nationalité iranienne par sa naissance. Par arrêté royal du 3 septembre 1999, elle a également obtenu la nationalité néerlandaise. Le 6 octobre 1999, un passeport néerlandais, valable jusqu’au 6 octobre 2004, lui a été délivré pour la dernière fois. Le 3 décembre 2002, son inscription au registre des personnes a été suspendue en raison de son émigration. À partir de cette date, Mme Saleh Abady a apparemment eu sa résidence principale de manière ininterrompue en Iran. Le 29 octobre 2014, elle a introduit une demande de passeport auprès de l’ambassade du Royaume des Pays-Bas à Téhéran (Iran).

16

Mme Duboux est née le 13 avril 1995 à Lausanne (Suisse). Elle a acquis la nationalité néerlandaise par sa naissance, en raison de la double nationalité de sa mère, Mme Koopman, ainsi que la nationalité suisse en raison de la nationalité suisse de son père, M. P. Duboux. Aucun passeport néerlandais n’a jamais été délivré à Mme Duboux. Elle a cependant été inscrite, en tant que mineure, sur le passeport de sa mère, lequel a été délivré le 10 juillet 2000 et était valable jusqu’au 10 juillet 2005. Le 13 avril 2013, Mme Duboux est devenue majeure. Le 8 septembre 2014, elle a, en même temps que sa mère, introduit une demande de passeport auprès de l’ambassade du Royaume des Pays-Bas à Berne (Suisse).

17

Par quatre décisions rendues, respectivement, les 2 mai et 16 septembre 2014 ainsi que les 20 janvier et 23 février 2015, le ministre a refusé d’examiner les demandes de passeport introduites par Mmes Tjebbes, Koopman, Saleh Abady et Duboux. Le ministre a, en effet, constaté que ces personnes avaient perdu de plein droit la nationalité néerlandaise, en vertu de l’article 15, paragraphe 1, sous c), ou de l’article 16, paragraphe 1, sous d), de la loi sur la nationalité.

18

Les réclamations introduites contre ces décisions ayant été rejetées par le ministre, les requérantes au principal ont introduit quatre recours distincts devant le rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye, Pays-Bas). Par jugements rendus, respectivement, les 24 avril, 16 juillet et 6 octobre 2015, le rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye) a déclaré non fondés les recours introduits par Mmes Tjebbes, Koopman et Saleh Abady. Par jugement du 4 février 2016, cette juridiction a, en revanche, déclaré fondé le recours introduit par Mme Duboux et a annulé la décision du ministre rendue sur sa réclamation tout en maintenant les effets juridiques de cette décision.

19

Les requérantes au principal ont séparément interjeté appel de ces jugements devant le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas).

20

Cette juridiction indique qu’elle est saisie de la question de savoir si la perte de plein droit de la nationalité néerlandaise est compatible avec le droit de l’Union et, notamment, avec les articles 20 et 21 TFUE, lus à la lumière de l’arrêt du 2 mars 2010, Rottmann (C‑135/08, EU:C:2010:104). Elle considère, à cet égard, que ces articles sont applicables à l’affaire au principal, même si, dans cette affaire, la perte du statut de citoyen de l’Union résulte de la perte de plein droit de la nationalité d’un État membre et non d’une décision individuelle explicite ayant pour effet de retirer la nationalité comme c’était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt.

21

Le Raad van State (Conseil d’État) se demande s’il est possible d’examiner la conformité au principe de proportionnalité, auquel se réfère la Cour au point 55 de l’arrêt mentionné au point précédent, d’une réglementation nationale qui prévoit la perte de plein droit de la nationalité d’un État membre et, le cas échéant, de quelle manière cet examen doit être mené. Bien que l’examen de la proportionnalité des conséquences de la perte de la nationalité néerlandaise sur la situation des personnes concernées, au regard du droit de l’Union, pourrait nécessiter un examen de chaque cas individuel, cette juridiction n’exclut toutefois pas, comme le ministre l’a fait valoir, qu’un tel examen de proportionnalité puisse être inhérent au régime légal général, à savoir, en l’occurrence, celui prévu par la loi sur la nationalité.

22

Le Raad van State (Conseil d’État) estime, s’agissant de la situation des personnes majeures, qu’il existe des arguments convaincants en faveur de la conformité au principe de proportionnalité et de la compatibilité avec les articles 20 et 21 TFUE de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la loi sur la nationalité. Cette juridiction relève, à cet égard, que cette disposition prévoit une période substantielle de dix ans de résidence à l’étranger avant que la nationalité néerlandaise ne soit perdue, ce qui permettrait de supposer que les intéressés n’ont plus de lien ou ont uniquement un lien très ténu avec le Royaume des Pays-Bas et, partant, avec l’Union européenne. En outre, la nationalité néerlandaise pourrait être conservée d’une manière relativement simple, étant donné que cette période de dix ans est interrompue lorsque l’intéressé, au cours de cette période et pendant au moins une année ininterrompue, réside aux Pays-Bas ou dans l’Union ou obtient une déclaration relative à la possession de la nationalité néerlandaise, un document de voyage ou une carte d’identité néerlandaise au sens de la loi sur les passeports. Par ailleurs, la juridiction de renvoi indique que toute personne qui remplit les conditions requises pour bénéficier d’une « option », au sens de l’article 6 de la loi sur la nationalité, a le droit d’acquérir par voie de confirmation la nationalité néerlandaise précédemment possédée.

23

En outre, le Raad van State (Conseil d’État) exprime l’avis provisoire que le législateur néerlandais n’a pas agi arbitrairement en adoptant l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la loi sur la nationalité et qu’il n’a donc pas violé l’article 7 de la Charte, relatif au respect de la vie privée et familiale.

24

Toutefois, de l’avis du Raad van State (Conseil d’État), dans la mesure où il n’est pas exclu que l’examen de la proportionnalité des conséquences de la perte de la nationalité néerlandaise sur la situation des personnes concernées nécessite un examen de chaque cas individuel, il n’est pas certain qu’un régime légal général, tel que celui prévu par la loi sur la nationalité, soit conforme aux articles 20 et 21 TFUE.

25

En ce qui concerne la situation des mineurs, la juridiction de renvoi indique que l’article 16, paragraphe 1, sous d), de la loi sur la nationalité traduit l’importance accordée par le législateur national à l’unité de nationalité au sein de la famille. À cet égard, elle se demande s’il est proportionné de retirer à un mineur le statut de citoyen de l’Union, et les droits qui y sont attachés, uniquement en vue de maintenir l’unité de nationalité au sein de la famille et dans quelle mesure l’intérêt supérieur de l’enfant, au sens de l’article 24, paragraphe 2, de la Charte, est appelé à jouer un rôle à cet égard. Elle relève que l’enfant mineur n’a que peu d’influence sur le maintien de sa nationalité néerlandaise et que les possibilités d’interrompre certains délais ou l’obtention, par exemple, d’une déclaration relative à la possession de la nationalité néerlandaise ne constituent pas des motifs d’exception pour les mineurs. Ainsi, la conformité de l’article 16, paragraphe 1, sous d), de la loi sur la nationalité au principe de proportionnalité ne serait pas clairement établie.

26

C’est dans ces conditions que le Raad van State (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Convient-il d’interpréter les articles 20 et 21 TFUE, notamment à la lumière de l’article 7 de la [Charte], en ce sens qu’en raison de l’absence d’examen individuel au titre du principe de proportionnalité en ce qui concerne les conséquences que la perte de la nationalité comporte sur la situation de la personne concernée au regard du droit de l’Union, ils s’opposent à des dispositions législatives telles que celles en cause au principal, en vertu desquelles :

a)

une personne majeure, ayant également la nationalité d’un État tiers, perd de plein droit la nationalité de son État membre et, partant, le statut de citoyen de l’Union, au motif qu’elle a eu sa résidence principale pendant une période ininterrompue de dix ans à l’étranger et en dehors de l’[Union], alors qu’il existe des possibilités d’interrompre ce délai de dix ans,

b)

une personne mineure perd de plein droit, dans certaines conditions, la nationalité de son État membre et, partant, le statut de citoyen de l’Union, en conséquence de la perte de la nationalité par son parent, comme dans l’hypothèse visée [...] au point a) ? »

Sur la question préjudicielle

27

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 20 et 21 TFUE, lus à la lumière de l’article 7 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit, sous certaines conditions, la perte de plein droit de la nationalité de cet État membre, entraînant, s’agissant des personnes n’ayant pas également la nationalité d’un autre État membre, la perte de leur statut de citoyen de l’Union et des droits qui y sont attachés, sans qu’il soit procédé à un examen individuel, au titre du principe de proportionnalité, des conséquences d’une telle perte sur la situation de ces personnes au regard du droit de l’Union.

28

Il y a lieu d’emblée de relever que, dans la mesure où il ne ressort pas de la décision de renvoi que les requérantes au principal ont exercé leur droit à la libre circulation à l’intérieur de l’Union, il n’y a pas lieu de répondre à la question posée au regard de l’article 21 TFUE.

29

Cette précision étant faite, il convient de constater que la loi sur la nationalité dispose, à son article 15, paragraphe 1, sous c), qu’un majeur perd la nationalité néerlandaise s’il possède également une nationalité étrangère et qu’il a eu sa résidence principale pendant une période ininterrompue de dix ans au cours de sa majorité, en ayant les deux nationalités, en dehors des Pays-Bas et des territoires auxquels le traité UE est applicable. En outre, l’article 16, paragraphe 1, sous d), de cette loi prévoit qu’un mineur perd, en principe, la nationalité néerlandaise si son père ou sa mère perd la nationalité néerlandaise au titre, notamment, de l’article 15 paragraphe 1, sous c), de ladite loi.

30

À cet égard, il importe de rappeler que la Cour a déjà jugé que, si la définition des conditions d’acquisition et de perte de la nationalité relève, conformément au droit international, de la compétence de chaque État membre, le fait qu’une matière ressortit à la compétence des États membres n’empêche toutefois pas que, dans des situations relevant du droit de l’Union, les règles nationales concernées doivent respecter ce dernier (arrêt du 2 mars 2010, Rottmann, C‑135/08, EU:C:2010:104, points 39 et 41 ainsi que jurisprudence citée).

31

Or, l’article 20 TFUE confère à toute personne ayant la nationalité d’un État membre le statut de citoyen de l’Union, lequel a vocation, selon une jurisprudence constante, à être le statut fondamental des ressortissants des États membres [arrêt du 8 mai 2018, K.A. e.a. (Regroupement familial en Belgique), C‑82/16, EU:C:2018:308, point 47 ainsi que jurisprudence citée].

32

Partant, la situation de citoyennes de l’Union qui, telles les requérantes au principal, ne possèdent la nationalité que d’un seul État membre et qui, par la perte de cette nationalité, sont confrontées à la perte du statut conféré par l’article 20 TFUE ainsi que des droits y attachés relève, par sa nature et ses conséquences, du droit de l’Union. Ainsi, les États membres doivent, dans l’exercice de leur compétence en matière de nationalité, respecter le droit de l’Union (arrêt du 2 mars 2010, Rottmann, C‑135/08, EU:C:2010:104, points 42 et 45).

33

Dans ce contexte, la Cour a déjà jugé qu’il est légitime pour un État membre de vouloir protéger le rapport particulier de solidarité et de loyauté entre lui-même et ses ressortissants ainsi que la réciprocité de droits et de devoirs, qui sont le fondement du lien de nationalité (arrêt du 2 mars 2010, Rottmann, C‑135/08, EU:C:2010:104, point 51).

34

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que, par l’adoption de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la loi sur la nationalité, le législateur néerlandais a entendu introduire un régime visant, notamment, à écarter les effets indésirables de la possession, par une même personne, de nationalités multiples. Le gouvernement néerlandais précise, par ailleurs, dans les observations qu’il a soumises à la Cour, que, parmi les objectifs de la loi sur la nationalité figure celui d’empêcher que des personnes obtiennent ou conservent la nationalité néerlandaise alors même qu’elles n’ont pas ou plus de lien avec le Royaume des Pays-Bas. L’objectif de l’article 16, paragraphe 1, sous d), de cette loi consisterait, quant à lui, à rétablir l’unité de nationalité au sein de la famille.

35

Ainsi que l’indique M. l’avocat général aux points 53 et 55 de ses conclusions, dans l’exercice de sa compétence lui permettant de définir les conditions d’acquisition et de perte de la nationalité, il est légitime pour un État membre de considérer que la nationalité traduit la manifestation d’un lien effectif entre lui-même et ses ressortissants, et d’attacher en conséquence à l’absence ou à la cessation d’un tel lien effectif la perte de sa nationalité. Il est, de même, légitime qu’un État membre veuille protéger l’unité de nationalité au sein d’une même famille.

36

À cet égard, un critère, tel que celui prévu à l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la loi sur la nationalité, fondé sur la résidence habituelle des ressortissants du Royaume des Pays-Bas pendant une période ininterrompue de dix ans en dehors de cet État membre et des territoires auxquels le traité UE est applicable peut être considéré comme reflétant l’absence de ce lien effectif. De même, il peut être considéré, ainsi que l’indique le gouvernement néerlandais à propos de l’article 16, paragraphe 1, sous d), de cette loi, que l’absence de lien effectif entre les parents d’un enfant mineur et le Royaume des Pays-Bas implique, en principe, l’absence de ce lien entre cet enfant et cet État membre.

37

La légitimité, dans son principe, de la perte de la nationalité d’un État membre dans de telles situations est, d’ailleurs, corroborée par les dispositions de l’article 6 et de l’article 7, paragraphes 3 à 6, de la convention sur la réduction des cas d’apatridie, qui prévoient, dans des situations similaires, qu’un individu est susceptible de perdre la nationalité d’un État contractant, pour autant qu’il ne devient pas apatride. Ce risque d’apatridie est, en l’occurrence, écarté par les dispositions nationales en cause au principal, étant donné que leur application est subordonnée à la possession par la personne concernée, en plus de la nationalité néerlandaise, de celle d’un autre État. De même, l’article 7, paragraphe 1, sous e), et paragraphe 2, de la convention sur la nationalité dispose qu’un État partie peut prévoir la perte de sa nationalité, notamment, dans le cas d’un majeur, lorsque tout lien effectif est absent entre cet État et un ressortissant qui réside habituellement à l’étranger et, dans le cas d’un mineur, pour l’enfant dont les parents perdent la nationalité dudit État.

38

Cette légitimité est encore confortée par le fait que, ainsi que le relève la juridiction de renvoi, lorsque la personne concernée sollicite, dans la période de dix ans visée à l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la loi sur la nationalité, la délivrance d’une déclaration relative à la possession de la nationalité néerlandaise, d’un document de voyage ou d’une carte d’identité néerlandaise, au sens de la loi sur les passeports, le législateur néerlandais considère que cette personne entend ainsi conserver un lien effectif avec le Royaume des Pays-Bas, ainsi que l’atteste le fait que, aux termes de l’article 15, paragraphe 4, de la loi sur la nationalité, la délivrance de l’un de ces documents interrompt ladite période et exclut, par conséquent, la perte de la nationalité néerlandaise.

39

Dans ces conditions, le droit de l’Union ne s’oppose pas, par principe, à ce que, dans des situations telles que celles visées à l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la loi sur la nationalité et à l’article 16, paragraphe 1, sous d), de cette loi, un État membre prévoie, pour des motifs d’intérêt général, la perte de sa nationalité, quand bien même cette perte entraîne, pour la personne concernée, celle de son statut de citoyen de l’Union.

40

Toutefois, il appartient aux autorités nationales compétentes et aux juridictions nationales de vérifier si la perte de la nationalité de l’État membre concerné, lorsqu’elle entraîne la perte du statut de citoyen de l’Union et des droits qui en découlent, respecte le principe de proportionnalité en ce qui concerne les conséquences qu’elle comporte sur la situation de la personne concernée et, le cas échéant, des membres de sa famille, au regard du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2010, Rottmann, C‑135/08, EU:C:2010:104, points 55 et 56).

41

La perte de plein droit de la nationalité d’un État membre serait incompatible avec le principe de proportionnalité si les règles nationales pertinentes ne permettaient, à aucun moment, un examen individuel des conséquences que comporte cette perte pour les personnes concernées au regard du droit de l’Union.

42

Il s’ensuit que, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle la perte de la nationalité d’un État membre intervient de plein droit et entraîne la perte du statut de citoyen de l’Union, les autorités et les juridictions nationales compétentes doivent être en mesure d’examiner, de manière incidente, les conséquences de cette perte de nationalité et, le cas échéant, de faire recouvrer ex tunc la nationalité à la personne concernée, à l’occasion de la demande, par celle-ci, d’un document de voyage ou de tout autre document attestant de sa nationalité.

43

D’ailleurs, la juridiction de renvoi indique, en substance, que tant le ministre que les juridictions compétentes sont appelés, en vertu du droit national, à examiner la possibilité de maintenir la nationalité néerlandaise dans le cadre de la procédure relative aux demandes de renouvellement de passeports, en effectuant une appréciation complète au regard du principe de proportionnalité consacré par le droit de l’Union.

44

Un tel examen exige une appréciation de la situation individuelle de la personne concernée ainsi que de celle de sa famille afin de déterminer si la perte de la nationalité de l’État membre concerné, lorsqu’elle emporte celle du statut de citoyen de l’Union, a des conséquences qui affecteraient de manière disproportionnée, par rapport à l’objectif poursuivi par le législateur national, le développement normal de sa vie familiale et professionnelle, au regard du droit de l’Union. De telles conséquences ne sauraient être hypothétiques ou éventuelles.

45

Dans le cadre de cet examen de proportionnalité, il incombe, en particulier, aux autorités nationales compétentes et, le cas échéant, aux juridictions nationales de s’assurer qu’une telle perte de nationalité est conforme aux droits fondamentaux garantis par la Charte dont la Cour assure le respect et, tout particulièrement, au droit au respect de la vie familiale, tel qu’il est énoncé à l’article 7 de la Charte, cet article devant être lu en combinaison avec l’obligation de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant, reconnu à l’article 24, paragraphe 2, de la Charte (arrêt du 10 mai 2017, Chavez-Vilchez e.a., C‑133/15, EU:C:2017:354, point 70).

46

S’agissant des circonstances relatives à la situation individuelle de la personne concernée, susceptibles d’être pertinentes aux fins de l’appréciation que les autorités nationales compétentes et les juridictions nationales doivent effectuer en l’occurrence, il y a lieu de mentionner, notamment, le fait que, à la suite de la perte de plein droit de la nationalité néerlandaise et du statut de citoyen de l’Union, la personne concernée se verrait exposée à des limitations dans l’exercice de son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres comportant, le cas échéant, des difficultés particulières pour continuer à se rendre aux Pays-Bas ou dans un autre État membre afin d’y maintenir des liens effectifs et réguliers avec des membres de sa famille, d’y exercer son activité professionnelle ou d’y entreprendre les démarches nécessaires pour y exercer une telle activité. Sont également pertinents, d’une part, le fait que la personne concernée n’aurait pas pu renoncer à la nationalité d’un État tiers et, de ce fait, relève de l’application de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la loi sur la nationalité et, d’autre part, le risque sérieux de détérioration substantielle de sa sécurité ou de sa liberté d’aller et venir auquel serait exposée la personne concernée en raison de l’impossibilité pour elle de bénéficier, sur le territoire de l’État tiers où cette personne réside, de la protection consulaire au titre de l’article 20, paragraphe 2, sous c), TFUE.

47

S’agissant de personnes mineures, les autorités administratives ou judiciaires compétentes se doivent, en outre, de prendre en compte, dans le cadre de leur examen individuel, l’existence éventuelle de circonstances dont il découle que la perte, par le mineur concerné, de sa nationalité néerlandaise, qui est attachée par le législateur national à la perte de la nationalité néerlandaise de l’un de ses parents aux fins de préserver l’unité de nationalité au sein de la famille, ne correspond pas, en raison des conséquences d’une telle perte pour ce mineur au regard du droit de l’Union, à l’intérêt supérieur de l’enfant, tel que consacré à l’article 24 de la Charte.

48

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 20 TFUE, lu à la lumière des articles 7 et 24 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit, sous certaines conditions, la perte de plein droit de la nationalité de cet État membre, entraînant, s’agissant des personnes n’ayant pas également la nationalité d’un autre État membre, la perte de leur statut de citoyen de l’Union et des droits qui y sont attachés, pour autant que les autorités nationales compétentes, y compris, le cas échéant, les juridictions nationales, sont en mesure d’examiner, de manière incidente, les conséquences de cette perte de nationalité et, éventuellement, de faire recouvrer ex tunc la nationalité aux personnes concernées, à l’occasion de la demande, par celles-ci, d’un document de voyage ou de tout autre document attestant de leur nationalité. Dans le cadre de cet examen, ces autorités et juridictions doivent vérifier si la perte de la nationalité de l’État membre concerné, qui emporte celle du statut de citoyen de l’Union, respecte le principe de proportionnalité en ce qui concerne les conséquences qu’elle comporte sur la situation de chaque personne concernée et, le cas échéant, sur celle des membres de sa famille au regard du droit de l’Union.

49

Eu égard à la réponse apportée à la question posée, il n’y a pas lieu de se prononcer sur la demande du gouvernement néerlandais, exposée à l’audience, visant à ce que la Cour limite dans le temps les effets de l’arrêt à intervenir dans l’hypothèse où elle constaterait l’incompatibilité de la législation néerlandaise avec l’article 20 TFUE.

Sur les dépens

50

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

 

L’article 20 TFUE, lu à la lumière des articles 7 et 24 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit, sous certaines conditions, la perte de plein droit de la nationalité de cet État membre, entraînant, s’agissant des personnes n’ayant pas également la nationalité d’un autre État membre, la perte de leur statut de citoyen de l’Union européenne et des droits qui y sont attachés, pour autant que les autorités nationales compétentes, y compris, le cas échéant, les juridictions nationales, sont en mesure d’examiner, de manière incidente, les conséquences de cette perte de nationalité et, éventuellement, de faire recouvrer ex tunc la nationalité aux personnes concernées, à l’occasion de la demande, par celles-ci, d’un document de voyage ou de tout autre document attestant de leur nationalité. Dans le cadre de cet examen, ces autorités et juridictions doivent vérifier si la perte de la nationalité de l’État membre concerné, qui emporte celle du statut de citoyen de l’Union, respecte le principe de proportionnalité en ce qui concerne les conséquences qu’elle comporte sur la situation de chaque personne concernée et, le cas échéant, sur celle des membres de sa famille au regard du droit de l’Union.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.