ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

7 août 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Agriculture – Soutien au développement rural – Règlement (CE) no 1257/1999 – Articles 10 à 12 – Aide à la préretraite – Législation nationale prévoyant la transmission de l’aide à la préretraite par voie successorale – Législation approuvée par la Commission européenne – Changement ultérieur de position – Protection de la confiance légitime »

Dans l’affaire C‑120/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Latvijas Republikas Satversmes tiesa (Cour constitutionnelle, Lettonie), par décision du 28 février 2017, parvenue à la Cour le 7 mars 2017, dans la procédure

Administratīvā rajona tiesa

contre

Ministru kabinets,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. J. Malenovský, président de chambre, MM. D. Šváby et M. Vilaras (rapporteur), juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 janvier 2018,

considérant les observations présentées :

pour le gouvernement letton, par Mmes I. Kucina et G. Bambāne, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mme J. Aquilina et M. I. Naglis, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 mai 2018,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 10 à 12 du règlement (CE) no 1257/1999 du Conseil, du 17 mai 1999, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) et modifiant et abrogeant certains règlements (JO 1999, L 160, p. 80), ainsi que du principe de protection de la confiance légitime.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’une demande de contrôle de constitutionnalité introduite par l’Administratīvā rajona tiesa (tribunal administratif de district, Lettonie), à l’occasion d’un litige entre plusieurs personnes privées et le Lauku atbalsta dienests (service de soutien au monde rural, Lettonie), au sujet de la validité de conventions de droit public relatives à l’octroi de l’aide à la préretraite agricole sur le fondement des articles 10 à 12 du règlement no 1257/1999.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Le considérant 23 du règlement no 1257/1999 énonçait :

« considérant qu’il convient d’encourager la préretraite en agriculture dans le but d’améliorer la viabilité des exploitations agricoles, en tenant compte de l’expérience acquise lors de la mise en œuvre du règlement (CEE) no 2079/92 [du Conseil, du 30 juin 1992, instituant un régime communautaire d’aides à la préretraite en agriculture (JO 1992, L 215, p. 91)] ».

4

Le chapitre IV, intitulé « Préretraite », du titre II, lui-même intitulé « Mesures de développement rural », du règlement no 1257/1999 contenait les articles 10 à 12. L’article 10, paragraphe 1, de ce règlement disposait :

« Un soutien est accordé à la préretraite en agriculture afin de contribuer aux objectifs suivants :

offrir un revenu aux exploitants agricoles âgés qui décident de cesser l’activité agricole,

favoriser le remplacement de ces exploitants âgés par des agriculteurs qui pourront améliorer, le cas échéant, la viabilité économique des exploitations restantes,

réaffecter des terres agricoles à des usages non agricoles lorsque leur affectation à des fins agricoles n’est pas envisageable dans des conditions satisfaisantes de viabilité économique. »

5

L’article 11, paragraphes 1 et 5, dudit règlement prévoyait :

« 1.   Le cédant agricole doit :

cesser définitivement toute activité agricole à des fins commerciales ; il peut néanmoins continuer à pratiquer l’agriculture à des fins non commerciales et conserver l’usage des bâtiments,

être âgé d’au moins 55 ans, sans avoir atteint l’âge normal de la retraite au moment de la cessation

et

avoir exercé l’activité agricole pendant les dix ans qui précèdent la cessation.

[...]

5.   Les conditions définies dans le présent article doivent s’appliquer pendant toute la période au cours de laquelle le cédant bénéficie d’une aide à la préretraite. »

6

Aux termes de l’article 12, paragraphe 2, du même règlement :

« Le versement de l’aide à la préretraite ne peut excéder une durée totale de quinze ans pour le cédant et de dix ans pour le travailleur agricole. Il ne continue pas après le soixante-quinzième anniversaire du cédant et ne se poursuit pas au-delà de l’âge normal de la retraite du travailleur agricole.

Si le cédant perçoit une pension de retraite versée par l’État membre, l’aide à la préretraite est octroyée sous la forme d’un complément de retraite prenant en compte le montant fixé par le régime national de retraite. »

7

Le titre III du règlement no 1257/1999, intitulé « Principes généraux, dispositions administratives et financières », contenait les articles 35 à 50.

8

Aux termes de l’article 39 dudit règlement :

« 1.   Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour assurer la compatibilité et la cohérence des mesures de soutien en faveur du développement rural conformément aux dispositions du présent chapitre.

2.   Les plans en faveur du développement rural soumis par les États membres incluent une évaluation de la compatibilité et de la cohérence de mesures de soutien envisagées et l’indication des dispositions prises pour assurer lesdites compatibilité et cohérence.

3.   Le cas échéant, les mesures de soutien peuvent être révisées ultérieurement en vue d’assurer la compatibilité et la cohérence. »

9

L’article 44, paragraphe 2, du même règlement prévoyait :

« La Commission apprécie les plans proposés en fonction de leur cohérence avec le présent règlement. Elle approuve, sur la base de ces plans, le document de programmation en matière de développement rural selon la procédure visée à l’article 50, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1260/1999 [du Conseil, du 21 juin 1999, portant dispositions générales sur les Fonds structurels (JO 1999, L 161, p. 1),] dans les six mois suivant la présentation des plans. »

Le droit letton

10

Le Ministru kabinets (Conseil des ministres, Lettonie) a adopté, le 30 novembre 2004, le décret no 1002, portant modalités de mise en œuvre du document de programmation « Plan de développement rural de la Lettonie en vue de la réalisation du programme de développement rural 2004-2006 » (Latvijas Vēstnesis, 2004, no 193, ci-après le « décret no 1002 »).

11

Le point 9.3 du plan de développement rural de la Lettonie en vue de la réalisation du programme de développement rural 2004-2006 (ci-après le « plan de développement rural ») prévoyait la possibilité pour les propriétaires d’exploitation agricole âgés de 55 ans au minimum de céder leur exploitation à un tiers en recevant une aide à la préretraite (ci-après l’« aide à la préretraite »), dont les conditions d’admission correspondaient, dans une large mesure, à celles prévues à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1257/1999.

12

Le point 12.3.2 de ce plan comportait une section intitulée « Préretraite » dont le point a) mentionnait que, en cas de décès du bénéficiaire de l’aide à la préretraite pendant la période au cours de laquelle une convention relative à l’octroi d’une aide à la préretraite était en vigueur, la pension mensuelle de préretraite pour la période restante continuait d’être versée à la personne dont les droits successoraux avaient été consacrés conformément au droit national.

13

Le point 1 du décret no 187 du Conseil des ministres, du 14 avril 2015, modifiant le décret no 1002 (Latvijas Vēstnesis, 2015, no 74, ci-après le « décret no 187 »), a supprimé la possibilité de transmission par voie successorale de cette aide.

14

Selon son point 2, ce décret est entré en vigueur le 30 avril 2015.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

15

Par une décision du 30 juillet 2004, la Commission des Communautés européennes a approuvé le plan de développement rural, qui prévoyait la transmission par voie successorale de l’aide à la préretraite.

16

L’Administratīvā rajona tiesa (tribunal administratif de district) a été saisi par des personnes privées d’une demande de constatation de la validité de conventions de droit public relatives à l’octroi de l’aide à la préretraite agricole, dès lors que, à la suite de l’entrée en vigueur du décret no 187, le service de soutien au monde rural avait cessé de respecter ses engagements concernant la transmission par voie successorale d’aides à la préretraite.

17

Cette juridiction estime que l’adoption du décret no 187 a créé une situation dans laquelle les héritiers du cédant agricole peuvent perdre le droit de percevoir l’aide à la préretraite, même lorsque l’exploitation agricole a été cédée à un tiers. Dès lors que ni le règlement no 1257/1999 ni le plan de développement rural n’interdisaient la cession de l’exploitation agricole aux héritiers du cédant, la conclusion d’une convention relative à l’octroi d’une aide à la préretraite ferait naître en faveur du cédant agricole et de ses héritiers une confiance légitime dans le fait que ces derniers puissent hériter de l’aide à la préretraite si les engagements figurant dans cette convention continuaient d’être respectés.

18

L’Administratīvā rajona tiesa (tribunal administratif de district) a, par conséquent, saisi la Latvijas Republikas Satversmes tiesa (Cour constitutionnelle, Lettonie) pour qu’elle statue sur la conformité du décret no 187 à l’article 105 de la Latvijas Republikas Satversme (Constitution de la République de Lettonie, ci-après la « Constitution »), qui vise le droit de propriété.

19

Devant la Latvijas Republikas Satversmes tiesa (Cour constitutionnelle), le Conseil des ministres considère que le décret no 187 est conforme à l’article 105 de la Constitution. Il relève que, dans sa réunion du 19 octobre 2011, le comité pour le développement rural de la Commission a conclu que « le FEOGA ne s’appliquait pas à la transmission par voie successorale d’une aide à la préretraite ». Cette transmission ne correspondrait pas, dès lors, à l’objectif fixé par le règlement no 1257/1999. Or, l’un des buts du décret no 187 consisterait à éviter l’incompatibilité du droit letton avec les exigences résultant de ce règlement ainsi qu’avec le principe d’utilisation utile et efficace des finances de l’Union et des États membres.

20

La juridiction de renvoi rappelle qu’elle a jugé que le droit à une aide directe de l’État prenant la forme d’une somme d’argent prévue par un acte normatif relève de l’article 105 de la Constitution.

21

Elle s’interroge sur le point de savoir si le règlement no 1257/1999 interdisait d’inclure dans le droit letton une disposition relative à la transmission par voie successorale de l’aide à la préretraite ou s’il a laissé une marge d’appréciation aux États membres à cet égard. Elle constate, cependant, que les conditions de perception de cette aide, figurant aux articles 11 et 12 de ce règlement, attestent du caractère personnel de ladite aide et que les héritiers d’un cédant agricole ne sont pas des parties à la convention relative à l’octroi d’une telle aide.

22

La juridiction de renvoi fait toutefois observer que, dans le règlement no 1257/1999, il était fait référence à l’expérience acquise lors de la mise en œuvre du règlement no 2079/92. La fonction de ce dernier règlement était d’assurer un revenu aux exploitants agricoles âgés qui décidaient de cesser leur activité agricole. Ainsi, la transmission par voie successorale de l’aide à la préretraite pourrait être de nature à inciter les agriculteurs à participer à la mesure de préretraite.

23

Elle en conclut que les dispositions du règlement no 1257/1999 relatives à la préretraite ne pouvaient être considérées comme comportant des obligations claires et précises et qu’elles pourraient être regardées comme accordant une marge d’appréciation aux États membres.

24

Elle met également en avant l’existence d’une compétence partagée entre l’Union et les États membres dans le domaine de l’agriculture.

25

À cet égard, la juridiction de renvoi souligne que la Commission aurait adopté, le 30 juillet 2004, une décision portant approbation du plan de développement rural et aurait ainsi approuvé la disposition relative à la transmission par voie successorale de l’aide à la préretraite.

26

Cette juridiction indique, néanmoins, que, le 19 octobre 2011, le comité pour le développement rural de la Commission a conclu, au sujet du règlement ayant succédé au règlement no 1257/1999, que la transmission par voie successorale d’une aide à la préretraite n’était pas conforme à la réglementation de l’Union alors applicable, position qui aurait été réaffirmée au cours de l’année 2015.

27

Elle exprime ses doutes sur la lettre de la Commission du 11 mai 2015, selon laquelle il devrait être clair pour tous les États membres que les paiements au titre de l’aide à la préretraite ne se transmettent pas aux héritiers du cédant agricole et qu’il ne serait plus possible, depuis le 19 octobre 2011, d’invoquer une confiance légitime, cette date devant être considérée comme étant la date limite pour un nouvel engagement.

28

Ainsi, elle se demande si l’affaire dont elle est saisie ne constitue pas un cas dans lequel la pratique non conforme au droit de l’Union d’un État membre a pu produire des effets juridiques, un agriculteur, partie à une convention relative à l’octroi d’une aide à la préretraite, ne pouvant pas avoir connaissance d’une éventuelle erreur de cet État membre et de la Commission.

29

Dans ces conditions, la Latvijas Republikas Satversmes tiesa (Cour constitutionnelle) a décidé de surseoir à statuer et de soumettre à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Faut-il, compte tenu de la compétence partagée de l’Union européenne et des États membres dans le domaine de l’agriculture, interpréter les dispositions du règlement no 1257/1999, lues [en combinaison] avec l’un des objectifs dudit règlement (faire participer les agriculteurs à la mesure de préretraite), en ce sens que, dans le cadre des mesures d’application de ce règlement, il est interdit à un État membre d’adopter une réglementation qui permettrait d’hériter d’une aide à la préretraite ?

2)

Si la première question appelle une réponse affirmative, à savoir si les dispositions du règlement no 1257/1999 interdisent d’hériter d’une aide à la préretraite, une situation de fait où la Commission [...] a valablement approuvé une norme d’un État membre comme étant conforme aux dispositions du règlement no 1257/1999 et où des agriculteurs ont participé à une mesure de préretraite conformément à la pratique en vigueur dans l’État a-t-elle pu faire naître au bénéfice d’une personne un droit subjectif d’hériter de l’aide accordée dans le cadre de cette mesure ?

3)

Si la deuxième question appelle une réponse affirmative, à savoir si un tel droit subjectif a pu naître au bénéfice d’une personne, la conclusion de la réunion du 19 octobre 2011 du comité pour le développement rural de la Commission [...] aux termes de laquelle l’aide à la préretraite n’est pas transmissible aux héritiers du cédant agricole, peut-elle servir de fondement à la suppression anticipée du droit subjectif acquis précité ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

30

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 10 à 12 du règlement no 1257/1999 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, dans le cadre de la mise en œuvre de ces articles, les États membres adoptent des mesures permettant la transmission par voie successorale de l’aide à la préretraite.

31

Selon une jurisprudence constante, les États membres peuvent adopter des mesures d’application d’un règlement s’ils n’entravent pas son applicabilité directe, s’ils ne dissimulent pas sa nature d’acte de droit de l’Union et s’ils précisent l’exercice de la marge d’appréciation qui leur est conférée par ce règlement tout en restant dans les limites de ses dispositions (arrêts du 7 juillet 2016, Občina Gorje, C‑111/15, EU:C:2016:532, point 35, et du 30 mars 2017, Lingurár, C‑315/16, EU:C:2017:244, point 18).

32

C’est en se référant aux dispositions pertinentes du règlement en cause, interprétées à la lumière des objectifs de celui-ci, qu’il convient de déterminer si celles-ci interdisent, imposent ou permettent aux États membres d’arrêter certaines mesures d’application et, notamment dans cette dernière hypothèse, si la mesure concernée s’inscrit dans le cadre de la marge d’appréciation reconnue à chaque État membre (arrêts du 7 juillet 2016, Občina Gorje, C‑111/15, EU:C:2016:532, point 36, et du 30 mars 2017, Lingurár, C‑315/16, EU:C:2017:244, point 19).

33

En l’occurrence, le titre II du règlement no 1257/1999, intitulé « Mesures de développement rural », comprend un chapitre IV, lui-même intitulé « Préretraite », lequel définit, aux articles 10 à 12 de ce règlement, les objectifs, les conditions d’octroi et les grandes lignes des modalités de mise en œuvre d’une mesure d’aide à la préretraite, accordée à un exploitant agricole âgé en contrepartie de la cession de son exploitation.

34

Il convient de constater que ces articles n’envisagent pas l’hypothèse du décès du bénéficiaire de cette mesure. Plus particulièrement, ils n’autorisent ni n’interdisent la possibilité de transmettre par voie successorale le droit de percevoir l’aide à la préretraite.

35

Or, selon la jurisprudence de la Cour, il convient, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêts du 6 novembre 2014, Feakins, C‑335/13, EU:C:2014:2343, point 35, et du 12 novembre 2015, Jakutis et Kretingalės kooperatinė ŽŪB, C‑103/14, EU:C:2015:752, point 93).

36

En l’occurrence, certains éléments du libellé des articles 10 à 12 du règlement no 1257/1999, lus isolément, pourraient être compris comme permettant aux États membres, dans le cadre de leur marge d’appréciation, de prévoir la transmission par voie successorale de l’aide à la préretraite.

37

Ainsi, l’article 10 de ce règlement dispose que cette aide a, notamment, pour objectif d’offrir un revenu aux exploitants agricoles âgés qui décident de cesser l’activité agricole. En tant que mesure d’incitation à la cessation d’une telle activité, l’aide à la préretraite pourrait être considérée, dans cette mesure, comme étant susceptible de mieux remplir cet objectif si, en cas de décès du cédant agricole, il était possible de la transmettre aux héritiers de celui-ci.

38

Pour sa part, l’article 12, paragraphe 2, dudit règlement, selon lequel le versement de ladite aide ne peut excéder une durée totale de quinze ans, sans autres précisions, pourrait être compris, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 37 de ses conclusions, comme instituant une limite concernant tant le cédant agricole que ses héritiers, faute de référence à des caractéristiques propres à ce cédant.

39

Néanmoins, en dépit de ces éléments, il ressort de l’ensemble des articles 10 à 12 du règlement no 1257/1999, lus à la lumière des finalités de la mesure d’aide à la préretraite qu’ils instituent, que celle-ci est soumise à des conditions qui sont strictement personnelles au cédant agricole et que, par suite, ces articles doivent être compris en ce sens qu’ils n’autorisent pas les États membres à prévoir la transmission par voie successorale de ladite aide.

40

Ainsi, premièrement, l’article 11 de ce règlement énonce, à son paragraphe 1, des conditions qui sont toutes liées à la personne du cédant agricole. Il en va ainsi de l’obligation de cesser définitivement toute activité agricole à des fins commerciales, d’être âgé d’au moins 55 ans, sans avoir atteint l’âge normal de la retraite au moment de la cessation, et d’avoir exercé l’activité agricole pendant les dix ans précédant la cessation. Cet article 11 prévoit également, à son paragraphe 5, que le bénéficiaire de l’aide à la préretraite, à savoir le cédant agricole, doit respecter ces conditions pendant toute la période au cours de laquelle il bénéficie de cette aide.

41

Deuxièmement, s’il fixe une durée maximale de quinze ans pour le versement de l’aide à la préretraite, l’article 12, paragraphe 2, du règlement no 1257/1999 prévoit également une seconde limite temporelle, à savoir que ce versement ne continue pas après le soixante-quinzième anniversaire du cédant agricole. Ce faisant, cette disposition ne saurait être interprétée comme ouvrant un droit inconditionnel au versement de l’aide durant une période de quinze ans. En effet, non seulement elle souligne le caractère non pérenne de cette aide, mais elle implique a fortiori que le décès du cédant agricole met fin à son versement.

42

Troisièmement, les finalités du règlement no 1257/1999 conduisent également à considérer que l’aide à la préretraite ne peut faire l’objet d’une transmission par voie successorale.

43

En effet, tout d’abord, l’article 10, paragraphe 1, dudit règlement fixe plusieurs objectifs à la mesure d’aide à la préretraite, à savoir offrir un revenu aux exploitants agricoles âgés qui décident de cesser l’activité agricole, favoriser le remplacement des exploitants agricoles âgés par des agriculteurs qui pourront améliorer, le cas échéant, la viabilité des exploitations restantes et réaffecter des terres agricoles à des usages non agricoles, lorsque leur affectation à des fins agricoles n’est pas envisageable dans des conditions satisfaisantes de viabilité économique.

44

Ensuite, la Cour a déduit de l’existence de ces différents objectifs que le législateur de l’Union avait souhaité encourager la retraite anticipée dans le secteur de l’agriculture dans le but d’améliorer la viabilité des exploitations agricoles et de fournir une incitation économique aux agriculteurs âgés pour qu’ils cessent leurs activités de manière anticipée et dans des circonstances où ils ne le feraient normalement pas, le complément à la pension de retraite ou le revenu additionnel n’étant qu’une des conséquences de l’application du règlement no 1257/1999 (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2016, Pologne/Commission, C‑210/15 P, non publié, EU:C:2016:529, point 39).

45

Il s’ensuit que, d’une part, l’aide à la préretraite est octroyée au cédant agricole au regard de conditions qui lui sont strictement personnelles et, d’autre part, l’objectif déterminant de cette aide ne consiste pas à compléter le revenu de ce cédant. Dès lors, compte tenu de son caractère personnel, ladite aide ne saurait être transmise aux héritiers du cédant agricole dans l’hypothèse où celui-ci décéderait.

46

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que les articles 10 à 12 du règlement no 1257/1999 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, dans le cadre de la mise en œuvre de ces articles, les États membres adoptent des mesures permettant la transmission par voie successorale d’une aide à la préretraite telle que celle en cause au principal.

Sur les deuxième et troisième questions

47

Par ses deuxième et troisième questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si le principe de protection de la confiance légitime doit être interprété en ce sens qu’une norme nationale telle que celle en cause au principal, qui prévoyait la transmission par voie successorale d’une aide à la préretraite et qui avait été approuvée par la Commission comme étant conforme au règlement no 1257/1999, a fait naître une confiance légitime à l’égard des héritiers des exploitants agricoles ayant bénéficié de cette aide, et, dans l’affirmative, si une conclusion telle que celle mentionnée au procès-verbal de la réunion du comité pour le développement rural de la Commission du 19 octobre 2011, aux termes de laquelle ladite aide n’est pas transmissible par voie successorale, a mis fin à cette confiance légitime.

48

À cet égard, il découle d’une jurisprudence constante, d’une part, que, lorsque les États membres adoptent des mesures par lesquelles ils mettent en œuvre le droit de l’Union, ils sont tenus de respecter les principes généraux de ce droit, au nombre desquels figure, notamment, le principe de protection de la confiance légitime (voir, en ce sens, arrêts du 14 septembre 2006, Elmeka, C‑181/04 à C‑183/04, EU:C:2006:563, point 31, ainsi que du 26 mai 2016, Județul Neamț et Județul Bacău, C‑260/14 et C‑261/14, EU:C:2016:360, point 54).

49

Il s’ensuit que, dans la mise en œuvre de l’aide à la préretraite prévue aux articles 10 à 12 du règlement no 1257/1999, les États membres sont tenus de respecter le principe de protection de la confiance légitime.

50

D’autre part, le droit de se prévaloir de ce principe s’étend à tout justiciable à l’égard duquel une autorité administrative nationale a fait naître des espérances fondées du fait d’assurances précises qu’elle lui aurait fournies (arrêts du 9 juillet 2015, Salomie et Oltean, C‑183/14, EU:C:2015:454, point 44, ainsi que du 14 juin 2017, Santogal M-Comércio e Reparação de Automóveis, C‑26/16, EU:C:2017:453, point 76).

51

À cet égard, il convient de vérifier si les actes de l’autorité administrative concernée ont créé, dans l’esprit du justiciable concerné, une confiance raisonnable et, si tel est le cas, d’établir le caractère légitime de cette confiance (voir arrêts du 14 septembre 2006, Elmeka, C‑181/04 à C‑183/04, EU:C:2006:563, point 32, ainsi que du 9 juillet 2015, Salomie et Oltean, C‑183/14, EU:C:2015:454, point 45).

52

Toutefois, selon la jurisprudence de la Cour, le principe de protection de la confiance légitime ne peut être invoqué à l’encontre d’une disposition précise d’un texte du droit de l’Union et le comportement d’une autorité nationale chargée d’appliquer le droit de l’Union, qui est en contradiction avec ce dernier, ne saurait fonder, dans le chef d’un justiciable, une confiance légitime à bénéficier d’un traitement contraire au droit de l’Union (arrêts du 1er avril 1993, Lageder e.a., C‑31/91 à C‑44/91, EU:C:1993:132, point 35 ; du 20 juin 2013, Agroferm, C‑568/11, EU:C:2013:407, point 52, ainsi que du 20 décembre 2017, Erzeugerorganisation Tiefkühlgemüse, C‑516/16, EU:C:2017:1011, point 69).

53

En premier lieu, il importe, conformément à la jurisprudence citée au point 51 du présent arrêt, de vérifier si les actes des autorités lettones, à savoir le décret no 1002 et les conventions relatives à l’octroi d’une aide à la préretraite par le service de soutien au monde rural ont créé une confiance raisonnable, dans l’esprit des héritiers des exploitants agricoles ayant bénéficié de l’aide à la préretraite, dans le fait que cette dernière était transmissible par voie successorale.

54

Premièrement, il ressort de l’examen de la première question que les articles 10 à 12 du règlement no 1257/1999 ne précisent aucunement s’il est possible pour un État membre de prévoir, pour leur mise en œuvre, la transmission par voie successorale du droit de percevoir l’aide à la préretraite.

55

Partant, lesdits articles 10 à 12 ne peuvent pas être considérés comme des dispositions précises du droit de l’Union, en ce sens que les personnes bénéficiant des droits qu’elles établissent aient pu comprendre sans ambiguïté qu’elles interdisaient aux États membres de prévoir la transmission par voie successorale de l’aide à la préretraite.

56

Deuxièmement, il y a lieu de souligner que, en application de l’article 44, paragraphe 2, du règlement no 1257/1999, la Commission a, le 30 juillet 2004, approuvé le plan de développement rural, qui prévoyait que l’aide à la préretraite était transmissible par voie successorale.

57

Or, en vertu de cet article 44, paragraphe 2, la Commission appréciait les plans qui lui étaient soumis en fonction de leur cohérence avec le règlement no 1257/1999, ce qui impliquait un examen du contenu de ces plans, afin de vérifier sa cohérence avec les différentes conditions et obligations fixées par ce règlement.

58

En l’occurrence, c’est à la suite de l’approbation du plan de développement rural par la Commission que les autorités lettones ont adopté le décret no 1002, portant modalités de mise en œuvre de ce plan, et ont ainsi introduit, au point a) de la section intitulée « Préretraite » du point 12.3.2 dudit plan, la transmission par voie successorale de l’aide à la préretraite.

59

En outre, la signature des conventions relatives à l’octroi d’une aide à la préretraite par le service de soutien au monde rural n’a pu que conforter tant les exploitants agricoles, cosignataires de ces conventions, que leurs héritiers dans leur confiance dans la légalité de la transmission par voie successorale de cette aide prévue par le décret no 1002.

60

Troisièmement, il convient de relever qu’il s’est écoulé plus de sept années entre le moment où la Commission a approuvé, le 30 juillet 2004, le plan de développement rural et, le 19 octobre 2011, date à laquelle le comité pour le développement rural de la Commission a conclu que « le FEOGA ne s’appliquait pas à la transmission par voie successorale d’une aide à la préretraite ». L’écoulement d’un tel délai avant que les articles 10 à 12 du règlement no 1257/1999 ne soient interprétés comme interdisant la transmission par voie successorale de l’aide à la préretraite était de nature à renforcer la confiance des héritiers dans la légalité d’une telle transmission prévue par le plan de développement rural.

61

Il résulte des considérations qui précèdent que les actes des autorités lettones, à savoir le décret no 1002 et les conventions relatives à l’octroi d’une aide à la préretraite par le service de soutien au monde rural, ont créé une confiance raisonnable, dans l’esprit des héritiers des exploitants agricoles ayant bénéficié de l’aide à la préretraite, dans le fait que celle-ci était transmissible par voie successorale.

62

En deuxième lieu, il est nécessaire de déterminer, conformément à la jurisprudence citée au point 51 du présent arrêt, si la confiance de ces héritiers dans la possibilité de transmettre l’aide à la préretraite par voie successorale revêt un caractère légitime.

63

Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 52 de ses conclusions, le caractère légitime de la confiance doit être reconnu lorsque le justiciable, qui s’en prévaut, se trouve dans une situation particulière, digne de protection, telle que celle en cause au principal.

64

En effet, les héritiers des exploitants agricoles ayant bénéficié de l’aide à la préretraite tiraient leurs droits successoraux d’une réglementation nationale, dont le contenu avait été approuvé par la décision de la Commission du 30 juillet 2004 et dont il ne ressortait pas de manière évidente que, nonobstant cette approbation, cette réglementation était contraire aux articles 10 à 12 du règlement no 1257/1999. En outre, ces droits successoraux avaient été concrétisés dans des conventions relatives à l’octroi d’une aide à la préretraite, passées entre un service habilité à engager la responsabilité de l’État pour l’octroi de cette aide, le service de soutien au monde rural, et des exploitants agricoles ayant cédé leurs exploitations en contrepartie de l’aide à la préretraite, conventions auxquelles les héritiers n’étaient pas parties.

65

Dans ces circonstances, la confiance raisonnable qu’ont pu placer ces héritiers dans la légalité de leurs droits successoraux revêt un caractère légitime.

66

En troisième lieu, il convient certes de rappeler que, comme l’a relevé le gouvernement letton, les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d’une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d’appréciation des institutions de l’Union ou des autorités nationales mettant en œuvre le droit de l’Union (arrêts du 22 octobre 2009, Elbertsen, C‑449/08, EU:C:2009:652, point 45, et du 26 juin 2012, Pologne/Commission, C‑335/09, EU:C:2012:385, point 180).

67

Néanmoins, la juridiction de renvoi ne cherche pas à savoir si le principe de protection de la confiance légitime peut être invoqué pour se prémunir des effets de la modification réglementaire introduite par le décret no 187. Elle souhaite seulement savoir si les héritiers des exploitants agricoles ayant bénéficié de l’aide à la préretraite peuvent se prévaloir d’une confiance légitime pour la période antérieure au 30 avril 2015, date d’entrée en vigueur de ce décret.

68

Dès lors, la jurisprudence mentionnée au point 66 du présent arrêt ne peut influer sur la réponse à donner à cette juridiction.

69

En dernier lieu, il convient de relever que la juridiction de renvoi s’interroge sur l’incidence des conclusions du comité pour le développement rural de la Commission, adoptées lors de la réunion du 19 octobre 2011, sur la confiance légitime dont peuvent se prévaloir les héritiers des exploitants agricoles ayant bénéficié de l’aide à la préretraite.

70

Or, il ressort du dossier que ces conclusions ont été adressées aux seuls États membres et que, s’agissant de la République de Lettonie, elles ne se sont pas traduites par une modification de la réglementation prévoyant la transmission par voie successorale de l’aide à la préretraite avant l’adoption du décret no 187, le 14 avril 2015.

71

Par ailleurs, il apparaît que les héritiers des exploitants agricoles ayant bénéficié de l’aide à la préretraite n’ont eu connaissance ni de la réunion du comité pour le développement rural de la Commission ni des conclusions de celle-ci.

72

En outre, il ne saurait être exigé de ces héritiers qu’ils aient été suffisamment diligents pour s’informer, par eux-mêmes, du contenu de ces mêmes conclusions.

73

Dans ces conditions, les conclusions adoptées lors de la même réunion ne sauraient avoir d’incidence sur la confiance légitime dont peuvent se prévaloir les héritiers des exploitants agricoles ayant bénéficié de l’aide à la préretraite.

74

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions que le principe de protection de la confiance légitime doit être interprété en ce sens qu’une norme nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoyait la transmission par voie successorale d’une aide à la préretraite et qui a été approuvée par la Commission comme étant conforme au règlement no 1257/1999, a fait naître une confiance légitime à l’égard des héritiers des exploitants agricoles ayant bénéficié de cette aide, et qu’une conclusion telle que celle mentionnée au procès-verbal de la réunion du comité pour le développement rural de la Commission du 19 octobre 2011, aux termes de laquelle ladite aide n’est pas transmissible par voie successorale, n’a pas mis fin à cette confiance légitime.

Sur les dépens

75

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

 

1)

Les articles 10 à 12 du règlement (CE) no 1257/1999 du Conseil, du 17 mai 1999, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) et modifiant et abrogeant certains règlements, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, dans le cadre de la mise en œuvre de ces articles, les États membres adoptent des mesures permettant la transmission par voie successorale d’une aide à la préretraite telle que celle en cause au principal.

 

2)

Le principe de protection de la confiance légitime doit être interprété en ce sens qu’une norme nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoyait la transmission par voie successorale d’une aide à la préretraite et qui a été approuvée par la Commission européenne comme étant conforme au règlement no 1257/1999, a fait naître une confiance légitime à l’égard des héritiers des exploitants agricoles ayant bénéficié de cette aide, et qu’une conclusion telle que celle mentionnée au procès-verbal de la réunion du comité pour le développement rural de la Commission européenne du 19 octobre 2011, aux termes de laquelle ladite aide n’est pas transmissible par voie successorale, n’a pas mis fin à cette confiance légitime.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le letton.