ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

21 juin 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (UE) no 650/2012 – Article 4 – Compétence générale d’une juridiction d’un État membre pour statuer sur l’ensemble d’une succession – Réglementation nationale régissant la compétence internationale en matière d’établissement de certificats successoraux nationaux – Certificat successoral européen »

Dans l’affaire C‑20/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin, Allemagne), par décision du 10 janvier 2017, parvenue à la Cour le 18 janvier 2017, dans la procédure engagée par

Vincent Pierre Oberle

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Tizzano, vice–président de la Cour, faisant fonction de juge de la deuxième chambre, Mmes C. Toader (rapporteur), A. Prechal et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : Mme V. Giacobbo-Peyronnel, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 23 novembre 2017,

considérant les observations présentées :

pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze, M. Hellmann et E. Lankenau, en qualité d’agents,

pour le gouvernement français, par Mme E. Armoët, en qualité d’agent,

pour le gouvernement polonais, par MM. B. Majczyna et M. Nowak ainsi que par Mme S. Żyrek, en qualité d’agents,

pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes et M. Figueiredo ainsi que par Mme M. Carvalho, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par M. M. Wilderspin et Mme M. Heller, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 22 février 2018,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4 du règlement (UE) no 650/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen (JO 2012, L 201, p. 107).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure engagée par M. Vincent Pierre Oberle auprès de l’Amtsgericht Schöneberg (tribunal de district de Schöneberg, Allemagne), aux fins de l’obtention d’un certificat successoral national à la suite du décès de son père, ressortissant français, dont la dernière résidence habituelle se trouvait en France.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Les considérants 7 à 9, 27, 32, 34, 59 et 67 du règlement no 650/2012 sont libellés comme suit :

« (7)

Il y a lieu de faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur en supprimant les entraves à la libre circulation de personnes confrontées aujourd’hui à des difficultés pour faire valoir leurs droits dans le contexte d’une succession ayant des incidences transfrontières. Dans l’espace européen de justice, les citoyens doivent être en mesure d’organiser à l’avance leur succession. Les droits des héritiers et légataires, des autres personnes proches du défunt ainsi que des créanciers de la succession doivent être garantis de manière effective.

(8)

Afin d’atteindre ces objectifs, le présent règlement devrait regrouper les dispositions sur la compétence, la loi applicable, la reconnaissance – ou, le cas échéant, l’acceptation –, la force exécutoire et l’exécution des décisions, des actes authentiques et des transactions judiciaires ainsi que sur la création d’un certificat successoral européen.

(9)

Le champ d’application du présent règlement devrait s’étendre à tous les aspects de droit civil d’une succession à cause de mort, à savoir tout mode de transfert de biens, de droits et d’obligations à cause de mort, qu’il s’agisse d’un acte volontaire de transfert en vertu d’une disposition à cause de mort ou d’un transfert dans le cadre d’une succession ab intestat.

[...]

(27)

Les dispositions du présent règlement sont conçues pour assurer que l’autorité chargée de la succession en vienne, dans la plupart des cas, à appliquer son droit national. [...]

[...]

(32)

Afin de faciliter la vie des héritiers et légataires résidant habituellement dans un autre État membre que celui dans lequel la succession est ou sera réglée, le présent règlement devrait permettre à toute personne ayant le droit, en vertu de la loi applicable à la succession, de faire des déclarations relatives à l’acceptation de la succession, d’un legs ou d’une réserve héréditaire ou à la renonciation à ceux-ci, ou une déclaration visant à limiter sa responsabilité à l’égard des dettes de la succession, de faire ces déclarations sous la forme prévue par la loi de l’État membre de sa résidence habituelle devant les juridictions dudit État membre. Cette disposition ne devrait pas empêcher de faire de telles déclarations devant d’autres autorités de cet État membre qui sont compétentes pour recevoir les déclarations en vertu du droit national. Les personnes qui choisissent de se prévaloir de la possibilité de faire une déclaration dans l’État membre de leur résidence habituelle devraient informer elles-mêmes la juridiction ou l’autorité qui est ou sera chargée de la succession de l’existence de telles déclarations dans le délai éventuellement fixé par la loi applicable à la succession.

[...]

(34)

Dans l’intérêt du fonctionnement harmonieux de la justice, il conviendrait d’éviter que des décisions inconciliables soient rendues dans différents États membres. À cette fin, le présent règlement devrait prévoir des règles générales de procédure semblables à celles d’autres instruments de l’Union dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile.

[...]

(59)

À la lumière de l’objectif général du présent règlement qui est la reconnaissance mutuelle des décisions rendues dans les États membres en matière de successions, indépendamment du fait que de telles décisions aient été rendues dans le cadre d’une procédure contentieuse ou gracieuse, le présent règlement devrait fixer des règles relatives à la reconnaissance, à la force exécutoire et à l’exécution des décisions qui soient semblables à celles d’autres instruments de l’Union adoptés dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile.

[...]

(67)

Afin de régler de manière rapide, aisée et efficace une succession ayant une incidence transfrontière au sein de l’Union, les héritiers, les légataires, les exécuteurs testamentaires ou les administrateurs de la succession devraient être à même de prouver facilement leur statut et/ou leurs droits et pouvoirs dans un autre État membre, par exemple dans un État membre où se trouvent des biens successoraux. À cette fin, le présent règlement devrait prévoir la création d’un certificat uniforme, le certificat successoral européen [...] qui serait délivré en vue d’être utilisé dans un autre État membre. Afin de respecter le principe de subsidiarité, ce certificat ne devrait pas se substituer aux documents internes qui peuvent exister à des fins similaires dans les États membres. »

4

Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement :

« Le présent règlement s’applique aux successions à cause de mort. Il ne s’applique pas aux matières fiscales, douanières et administratives. »

5

L’article 1er, paragraphe 2, dudit règlement énumère les questions exclues du champ d’application de celui-ci.

6

L’article 2 du même règlement est libellé comme suit :

« Le présent règlement ne porte pas atteinte aux compétences des autorités des États membres en matière de règlement des successions. »

7

Selon l’article 3, paragraphe 1, sous a) et g), du règlement no 650/2012 :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

a)

“succession”, la succession à cause de mort, ce terme recouvrant toute forme de transfert de biens, de droits et d’obligations à cause de mort, qu’il s’agisse d’un acte volontaire de transfert en vertu d’une disposition à cause de mort ou d’un transfert dans le cadre d’une succession ab intestat ;

[...]

g)

“décision”, toute décision en matière de successions rendue par une juridiction d’un État membre, quelle que soit la dénomination qui lui est donnée, y compris une décision concernant la fixation par le greffier du montant des frais du procès ;

[...] »

8

L’article 3, paragraphe 2, premier alinéa, de ce règlement définit la notion de « juridiction » comme suit :

« Aux fins du présent règlement, le terme “juridicion” désigne toute autorité judiciaire, ainsi que toute autre autorité et tout professionnel du droit compétents en matière de successions qui exercent des fonctions juridictionnelles ou agissent en vertu d’une délégation de pouvoirs d’une autorité judiciaire ou sous le contrôle d’une autorité judiciaire, pour autant que ces autres autorités et professionnels du droit offrent des garanties en ce qui concerne leur impartialité et le droit de toutes les parties à être entendues, et que les décisions qu’ils rendent en vertu du droit de l’État membre dans lequel ils exercent leurs fonctions :

a)

puissent faire l’objet d’un recours devant une autorité judiciaire ou d’un contrôle par une telle autorité ; et

b)

aient une force et un effet équivalents à une décision rendue par une autorité judiciaire dans la même matière. »

9

Le chapitre II dudit règlement est intitulé « Compétence ». Il comprend notamment les articles 4, 13, et 15 de celui-ci.

10

L’article 4 du même règlement, intitulé « Compétence générale », prévoit :

« Sont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès. »

11

L’article 13 du règlement no 650/2012 dispose :

« Outre la juridiction compétente pour statuer sur la succession au titre du présent règlement, les juridictions de l’État membre de la résidence habituelle de toute personne qui, en vertu de la loi applicable à la succession, peut faire une déclaration devant une juridiction concernant l’acceptation de la succession, d’un legs ou d’une réserve héréditaire ou la renonciation à ceux-ci, ou une déclaration visant à limiter la responsabilité de la personne concernée à l’égard des dettes de la succession, sont compétentes pour recevoir ce type de déclarations lorsque, en vertu de la loi de cet État membre, ces déclarations peuvent être faites devant une juridiction. »

12

L’article 15 de ce règlement est rédigé en ces termes :

« La juridiction d’un État membre saisie d’une affaire de succession pour laquelle elle n’est pas compétente en vertu du présent règlement se déclare d’office incompétente. »

13

Aux termes de l’article 21, paragraphe 1, dudit règlement :

« Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à l’ensemble d’une succession est celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès. »

14

L’article 23, paragraphe 1, du même règlement dispose :

« La loi désignée en vertu de l’article 21 ou 22 régit l’ensemble d’une succession. »

15

Aux termes de l’article 62, paragraphes 2 et 3, du règlement no 650/2012 :

« 2.   Le recours au certificat [successoral européen] n’est pas obligatoire.

3.   Le certificat [successoral européen] ne se substitue pas aux documents internes utilisés à des fins similaires dans les États membres. Toutefois, dès lors qu’il est délivré en vue d’être utilisé dans un autre État membre, le certificat [successoral européen] produit également les effets énumérés à l’article 69 dans l’État membre dont les autorités l’ont délivré en vertu du présent chapitre. »

16

L’article 64 de ce règlement prévoit :

« Le certificat [successoral européen] est délivré dans l’État membre dont les juridictions sont compétentes en vertu de l’article 4, 7, 10 ou 11. [...] »

Le droit allemand

17

Aux termes de l’article 105 du Gesetz über das Verfahren in Familiensachen und in den Angelegenheiten der freiwilligen Gerichtsbarkeit (loi relative à la procédure en matière familiale et dans les affaires gracieuses, ci-après le « FamFG »), dans sa version du 17 décembre 2008 (BGBl. 2008 I, p. 2586) :

« Dans le cadre des autres procédures prévues par la présente loi, les juridictions allemandes sont compétentes lorsqu’une juridiction allemande est territorialement compétente. »

18

En matière de successions, la compétence territoriale est régie par l’article 343 du FamFG. Dans sa version résultant du Gesetz zum Internationalen Erbrecht und zur Änderung von Vorschriften zum Erbschein sowie zur Änderung sonstiger Vorschriften (loi sur le droit successoral international et modifiant les dispositions relatives au certificat d’hérédité ainsi que d’autres dispositions), du 29 juin 2015 (BGBl. 2015 I, p. 1042), entré en vigueur le 17 août 2015 :

« 1.   La juridiction territorialement compétente est celle dans le ressort de laquelle le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès.

2.   Si, au moment de son décès, le défunt n’avait pas de résidence habituelle sur le territoire national, la juridiction compétente est celle dans le ressort de laquelle le défunt avait sa dernière résidence habituelle sur le territoire national.

3.   Si les conditions de la compétence en vertu des paragraphes 1 et 2 ne sont pas remplies, [l’Amtsgericht Schöneberg (tribunal de district de Schöneberg)] à Berlin est compétent lorsque le défunt est allemand ou lorsque des biens de la succession se trouvent sur le territoire national.

[...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

19

M. Adrien Théodore Oberle (ci-après le « défunt »), ressortissant français, dont la dernière résidence habituelle était située en France, est décédé le 28 novembre 2015, ab intestat. Le défunt a laissé deux fils, Vincent Pierre (ci-après « M. Oberle ») et son frère, l’épouse du défunt étant prédécédée. Le patrimoine successoral se trouve en France et en Allemagne.

20

À la demande de M. Oberle, le 8 mars 2016, le tribunal d’instance de Saint-Avold (France) a délivré un certificat successoral national déterminant que M. Oberle et son frère sont héritiers chacun pour moitié de ce patrimoine.

21

Devant l’Amtsgericht Schöneberg (tribunal de district de Schöneberg), M. Oberle a sollicité la délivrance d’un certificat d’hérédité de portée limitée à la partie de la succession qui est située en Allemagne, indiquant que, en conformité avec le droit français, ils avaient hérité, lui et son frère, chacun pour moitié, des biens du défunt.

22

Après avoir opéré la vérification de sa compétence, conformément à l’article 15 du règlement no 650/2012, l’Amtsgericht Schöneberg (tribunal de district de Schöneberg), par décisions du 17 novembre et du 28 novembre 2016, s’est déclaré incompétent pour statuer sur cette demande, estimant que les dispositions de l’article 105 et de l’article 343, paragraphe 3, du FamFG ne sauraient être appliquées pour déterminer la compétence internationale, sans enfreindre l’article 4 du règlement no 650/2012, en vertu duquel sont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa dernière résidence habituelle.

23

M. Oberle a formé un recours contre cette décision devant la juridiction de renvoi, le Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin, Allemagne).

24

La juridiction de renvoi estime que l’Amtsgericht Schöneberg (tribunal de district de Schöneberg) est internationalement compétent pour délivrer le certificat d’hérédité de portée limitée demandé par M. Oberle, en raison de la présence de biens successoraux sur le territoire allemand, conformément à la condition visée à l’article 343, paragraphe 3, du FamFG.

25

Selon la juridiction de renvoi, il n’apparaît pas clairement que le législateur de l’Union a entendu réglementer de manière exhaustive, par les dispositions du chapitre II du règlement no 650/2012, la compétence internationale en matière de délivrance des certificats d’hérédité nationaux, comme il l’a fait en ce qui concerne celle du certificat successoral européen, par l’article 64, paragraphe 1, de ce règlement.

26

En effet, la juridiction de renvoi estime que s’il fallait considérer que la compétence internationale en matière de délivrance du certificat successoral européen est déjà réglée par les dispositions du chapitre II du règlement no 650/2012, il aurait été inutile que ce législateur prévoie une disposition spécifique à cet égard, à savoir l’article 64, paragraphe 1, de ce règlement. De l’avis de cette juridiction, si ledit législateur avait voulu réglementer la compétence internationale en matière de délivrance des certificats d’hérédité nationaux au même titre que celle du certificat successoral européen, il aurait prévu, dans ce règlement, s’agissant de ces premiers certificats, une disposition correspondant, mutatis mutandis, à celle de l’article 64, paragraphe 1, dudit règlement.

27

En outre, la juridiction de renvoi considère que c’est à tort que l’Amtsgericht Schöneberg (tribunal de district de Schöneberg) a conclu à l’application en l’espèce de la règle figurant à l’article 4 du règlement no 650/2012. En effet, la compétence générale des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le défunt avait sa résidence habituelle pour « statuer sur l’ensemble d’une succession », au sens de ladite disposition, concernerait uniquement l’adoption de décisions juridictionnelles, alors que les certificats successoraux nationaux ne constitueraient pas de telles décisions. Ces derniers seraient en effet délivrés au terme d’une procédure gracieuse et la décision de délivrance d’un tel certificat ne comporterait que des constatations de fait et elle n’aurait donc pas vocation à acquérir force de chose jugée.

28

Dans ces conditions, le Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 4 du règlement [no 650/2012] doit-il être interprété en ce sens qu’il détermine également la compétence internationale exclusive en matière de délivrance, dans les États membres, des certificats successoraux nationaux qui n’ont pas été remplacés par le certificat successoral européen (voir article 62, paragraphe 3, du règlement no 650/2012), si bien que les dispositions divergentes adoptées par les législateurs nationaux en ce qui concerne la compétence internationale en matière de délivrance des certificats successoraux nationaux – telles que l’article 105 du [FamFG] en Allemagne – sont inopérantes au motif qu’elles sont contraires à des dispositions de droit de l’Union de rang supérieur ? »

Sur la question préjudicielle

29

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4 du règlement no 650/2012 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit que, bien que le défunt n’avait pas, au moment de son décès, sa résidence habituelle dans cet État membre, les juridictions de ce dernier demeurent compétentes pour la délivrance des certificats successoraux nationaux, dans le cadre d’une succession ayant une incidence transfrontalière, lorsque des biens successoraux sont situés sur le territoire dudit État membre ou si le défunt avait la nationalité du même État membre.

30

À titre liminaire, il convient de rappeler que le règlement no 650/2012 s’applique, en vertu de son article 1er, paragraphe 1, lu à la lumière du considérant 9 de celui-ci, à tous les aspects de droit civil d’une succession à cause de mort, à l’exclusion des matières fiscales, douanières et administratives. L’article 1er, paragraphe 2, dudit règlement énumère, pour sa part, diverses questions qui sont exclues du champ d’application dudit règlement, parmi lesquelles ne figurent ni les certificats successoraux nationaux ni les procédures y afférentes.

31

L’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 650/2012 précise que le terme « succession » recouvre « toute forme de transfert de biens, de droits et d’obligations à cause de mort, qu’il s’agisse d’un acte volontaire de transfert en vertu d’une disposition à cause de mort ou d’un transfert dans le cadre d’une succession ab intestat ».

32

Par ailleurs, ce règlement s’applique aux successions ayant une incidence transfrontalière, ainsi qu’il ressort de ses considérants 7 et 67. Tel est le cas en l’occurrence, étant donné que la succession comprend des biens situés dans plusieurs États membres.

33

S’agissant, plus précisément, de la question de savoir si l’article 4 du règlement no 650/2012 définit la compétence internationale des juridictions des États membres en ce qui concerne la délivrance des certificats successoraux nationaux, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, les dispositions relatives aux règles de compétence, dans la mesure où celles-ci ne renvoient pas au droit des États membres pour déterminer leur sens et leur portée, doivent trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme, qui doit être recherchée en tenant compte non seulement des termes de celles-ci, mais également du contexte de ces dispositions et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (voir, en ce sens, arrêts du 18 décembre 2014, Sanders et Huber, C‑400/13 et C‑408/13, EU:C:2014:2461, point 24, ainsi que du 1er mars 2018, Mahnkopf, C‑558/16, EU:C:2018:138, point 32).

34

Selon son libellé, l’article 4 du règlement no 650/2012 établit la compétence des juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès pour statuer sur l’ensemble d’une succession.

35

À cet égard, il y a lieu de préciser que, bien que rien dans le libellé de cette disposition n’indique que l’application de la règle générale de compétence que cet article énonce serait soumise à la condition de l’existence d’une succession impliquant plusieurs États membres, il n’en demeure pas moins que cette règle est fondée sur l’existence d’une succession ayant une incidence transfrontalière.

36

En outre, il ressort de l’intitulé de l’article 4 du règlement no 650/2012 que cette disposition régit la détermination de la compétence générale des juridictions des États membres, tandis que la répartition des compétences sur le plan interne est établie selon les règles nationales, conformément à l’article 2 de ce règlement.

37

Il ressort du libellé dudit article 4 que la règle de compétence générale qu’il établit vise « l’ensemble d’une succession », ce qui suggère, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 67 de ses conclusions, qu’elle devrait s’appliquer, en principe, à toutes les procédures en matière successorale qui se déroulent devant les juridictions des États membres.

38

S’agissant de l’interprétation du verbe « statuer », figurant dans cette même disposition, il y a lieu d’examiner si le législateur de l’Union a ainsi entendu se référer aux seules décisions adoptées par les juridictions nationales dans l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles. En l’occurrence, comme rappelé au point 27 du présent arrêt, il ressort de la décision de renvoi que la procédure de délivrance des certificats successoraux nationaux est une procédure de nature gracieuse et que les décisions relatives à la délivrance de tels certificats comportent uniquement des constatations de fait, à l’exclusion de tout élément susceptible d’acquérir force de chose jugée.

39

À cet égard, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 64 de ses conclusions, la notion de « juridiction », au sens de l’article 4 du règlement no 650/2012, telle que définie à l’article 3, paragraphe 2, de ce règlement, ne fournit pas d’indications quant à la portée du verbe « statuer ».

40

Il y a dès lors lieu de constater que le libellé de l’article 4 du règlement no 650/2012 ne permet pas, en soi, de déterminer si la nature contentieuse ou gracieuse de la procédure affecte l’applicabilité de la règle de compétence prévue par cette disposition et si par « statuer », au sens de ladite disposition, il convient d’entendre le fait d’adopter une décision de nature exclusivement juridictionnelle. L’interprétation littérale de cette disposition n’apporte ainsi pas de réponse à la question de savoir si une procédure de délivrance des certificats successoraux nationaux, telle que celle en cause au principal, doit être considérée comme relevant dudit article 4.

41

Concernant l’analyse du contexte dans lequel s’inscrit ladite disposition, il ressort de l’article 13 du règlement no 650/2012 que, outre la juridiction compétente pour statuer sur la succession au titre de ce règlement, les juridictions de l’État membre de la résidence habituelle de toute personne qui, en vertu de la loi applicable à la succession, peut faire une déclaration concernant l’acceptation de la succession, d’un legs ou d’une réserve héréditaire ou la renonciation à ceux-ci, ou une déclaration visant à limiter la responsabilité de la personne concernée à l’égard des dettes de la succession, sont compétentes pour recevoir ces déclarations.

42

Ainsi, cet article 13, lu à la lumière du considérant 32 du règlement no 650/2012, vise à simplifier les démarches des héritiers et des légataires, en dérogeant aux règles de compétence prévues aux articles 4 à 11 de ce règlement. Par conséquent, les juridictions compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession en vertu de l’article 4 dudit règlement sont, en principe, compétentes pour recevoir des déclarations successorales. Il s’ensuit que la règle de compétence énoncée à cet article 4 vise également les procédures n’aboutissant pas à l’adoption d’une décision juridictionnelle.

43

Cette interprétation est corroborée par le considérant 59 du règlement no 650/2012, dont il ressort que les dispositions de ce dernier s’appliquent indépendamment du fait que des décisions concernant une succession ayant une incidence transfrontalière aient été rendues dans le cadre d’une procédure contentieuse ou gracieuse.

44

Dès lors, l’article 4 du règlement no 650/2012 détermine la compétence internationale des juridictions des États membres relative aux procédures visant des mesures portant sur l’ensemble d’une succession, telles que, notamment, la délivrance des certificats successoraux nationaux, indépendamment de la nature contentieuse ou gracieuse de ces procédures.

45

Cette interprétation n’est pas infirmée par l’article 64 du règlement no 650/2012, en ce que celui-ci prévoit que le certificat successoral européen est délivré dans l’État membre dont les juridictions sont compétentes en vertu des articles 4, 7, 10 et 11 de ce règlement.

46

Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 90 de ses conclusions, le certificat successoral européen, qui a été créé par le règlement no 650/2012, jouit d’un régime juridique autonome, établi par les dispositions du chapitre VI de ce règlement. Dans ce contexte, l’article 64 dudit règlement a pour objet de préciser que tant les juridictions que certaines autres autorités sont compétentes pour délivrer un tel certificat successoral tout en spécifiant, par renvoi aux règles de compétence contenues aux articles 4, 7, 10 et 11 de ce même règlement, dans quel État membre une telle délivrance est appelée à intervenir.

47

Par ailleurs, il convient de préciser que, aux termes de l’article 62, paragraphes 2 et 3, du règlement no 650/2012, le recours au certificat successoral européen n’est pas obligatoire et ce certificat ne se substitue pas aux documents internes utilisés à des fins similaires dans les États membres, tels que les certificats successoraux nationaux.

48

Dans ces conditions, l’article 64 du règlement no 650/2012 ne saurait être interprété en ce sens que les certificats successoraux nationaux se trouvent exclus du champ d’application de la règle de compétence contenue à l’article 4 de ce règlement.

49

Quant aux objectifs poursuivis par le règlement no 650/2012, il ressort des considérants 7 et 8 de celui-ci qu’il vise, notamment, à aider les héritiers et légataires, les autres personnes proches du défunt ainsi que les créanciers de la succession à faire valoir leurs droits dans le contexte d’une succession ayant des incidences transfrontalières ainsi qu’à permettre aux citoyens de l’Union de préparer leur succession.

50

Dans cette même perspective, le considérant 27 du règlement no 650/2012 souligne que les dispositions de ce règlement sont conçues pour assurer que l’autorité chargée de la succession puisse appliquer, dans la plupart des cas, son droit national.

51

À cet égard, l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 650/2012 concernant la règle générale relative à la loi applicable ainsi que l’article 4 de ce règlement concernant la compétence générale des juridictions des États membres se référent, tous deux, au critère de la résidence habituelle du défunt au moment de son décès.

52

Or, l’application du droit national afin de déterminer la compétence générale des juridictions des États membres pour émettre des certificats successoraux nationaux irait à l’encontre de l’objectif ainsi visé au considérant 27 du règlement no 650/2012, tendant à assurer la cohérence entre les dispositions relatives à la compétence et celles relatives à la loi applicable dans cette matière.

53

En outre, en vertu de l’objectif général de ce règlement, énoncé à son considérant 59, visant la reconnaissance mutuelle des décisions rendues dans les États membres en matière de successions, le considérant 34 dudit règlement souligne que ce dernier tend à éviter que des décisions inconciliables soient rendues dans les différents États membres.

54

Cet objectif se rattache au principe de l’unité de la succession, concrétisé notamment à l’article 23, paragraphe 1, du règlement no 650/2012, qui précise que la loi applicable en vertu de ce règlement est destinée à régir « l’ensemble d’une succession ».

55

Or, ce principe de l’unité de la succession sous-tend également la règle établie à l’article 4 du règlement no 650/2012, dans la mesure où cet article précise, lui aussi, que ladite règle détermine la compétence des juridictions des États membres pour statuer « sur l’ensemble d’une succession ».

56

Comme M. l’avocat général l’a rappelé aux points 109 et 110 de ses conclusions, la Cour a ainsi déjà jugé qu’une interprétation des dispositions du règlement no 650/2012 qui entraînerait un morcellement de la succession serait incompatible avec les objectifs dudit règlement (voir, en ce sens, arrêt du 12 octobre 2017, Kubicka, C‑218/16, EU:C:2017:755, point 57). En effet, l’un de ces objectifs consistant à établir un régime uniforme applicable aux successions ayant une incidence transfrontalière, la réalisation de celui-ci implique l’harmonisation des règles relatives à la compétence internationale des juridictions des États membres dans le cadre tant des procédures contentieuses que gracieuses.

57

L’interprétation de l’article 4 dudit règlement selon laquelle cette disposition détermine la compétence internationale des juridictions des États membres quant aux procédures de délivrance des certificats successoraux nationaux tend, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice au sein de l’Union, à la réalisation de cet objectif, en limitant le risque de procédures parallèles devant les juridictions des différents États membres et de contradictions qui pourraient en résulter.

58

En revanche, la réalisation des objectifs poursuivis par le règlement no 650/2012 serait entravée si, dans une situation telle que celle en cause au principal, les dispositions du chapitre II de ce règlement, et notamment son article 4, devaient être interprétées en ce sens qu’elles ne déterminent pas la compétence internationale des juridictions des États membres relative aux procédures portant sur la délivrance des certificats successoraux nationaux.

59

Il résulte de l’ensemble de ces considérations que l’article 4 du règlement no 650/2012 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit que, bien que le défunt n’avait pas, au moment de son décès, sa résidence habituelle dans cet État membre, les juridictions de ce dernier demeurent compétentes pour la délivrance des certificats successoraux nationaux, dans le cadre d’une succession ayant une incidence transfrontalière, lorsque des biens successoraux sont situés sur le territoire dudit État membre ou si le défunt avait la nationalité du même État membre.

Sur les dépens

60

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

 

L’article 4 du règlement (UE) no 650/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit que, bien que le défunt n’avait pas, au moment de son décès, sa résidence habituelle dans cet État membre, les juridictions de ce dernier demeurent compétentes pour la délivrance des certificats successoraux nationaux, dans le cadre d’une succession ayant une incidence transfrontalière, lorsque des biens successoraux sont situés sur le territoire dudit État membre ou si le défunt avait la nationalité du même État membre.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.