CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 7 juin 2018 ( 1 )

Affaire C‑295/17

MEO – Serviços de Comunicações e Multimédia SA

contre

Autoridade Tributária e Aduaneira

(demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Arbitral Tributário [Centro de Arbitragem Administrativa] [tribunal arbitral en matière fiscale (service central de procédure arbitrale en matière administrative), Portugal])

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Champ d’application – Opérations imposables – Prestation à titre onéreux – Distinction entre des dommages et intérêts non imposable et des prestations de services imposables fournies moyennant paiement d’une “indemnité” »

I. Introduction

1.

Dans la présente affaire, la Cour doit examiner la distinction du point de vue de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) entre un paiement effectué pour une prestation de services (imposable et assujettie) et un paiement effectué pour compenser un préjudice financier (et donc une opération non imposable).

2.

La raison en est que le droit en matière de TVA impose non pas tout versement d’argent à un assujetti mais seulement le paiement d’une livraison ou d’une prestation de services. Toutefois, qu’en est-il du point de vue de la TVA, lorsque le paiement prévu dans le contrat doit être effectué, bien que la totalité des prestations de services fournies jusqu’alors aient cessé de l’être et que, donc, justement, plus aucune prestation de services n’est fournie ? Quel est l’objet du paiement dans un tel cas de figure ? Est-il alors encore possible de parler de rémunération versée en contrepartie d’une livraison ou d’une prestation de services ?

3.

La Cour a déjà examiné une problématique similaire dans sa jurisprudence relative à des versements compensatoires en cas de non-utilisation d’une prestation dans les affaires Société thermale d’Eugénie-les-Bains ( 2 ) et Air France‑KLM et Hop !Brit-Air ( 3 ). Le présent renvoi préjudiciel lui donne l’occasion de développer cette jurisprudence.

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

4.

La présente affaire a pour cadre juridique la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ( 4 ) (ci-après la « directive TVA »).

5.

L’article 2, paragraphe 1, sous c), de cette directive dispose :

« 1.   Sont soumises à la TVA les opérations suivantes :

[…]

c)

les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ;

[…] »

6.

L’article 73 est libellé comme suit :

« Pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées aux articles 74 à 77, la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acquéreur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations. »

B.   Le droit portugais

7.

Les prescriptions de la directive TVA ont été transposées en droit portugais dans le Código do Imposto sobre o Valor Acrescentado (code de la taxe sur la valeur ajoutée portugais, ci-après le « CIVA »), par les articles 1er, paragraphe 1, sous a), et 16, paragraphe 1, dans leur version applicable.

III. Le litige au principal

8.

MEO – Serviço de Comunicações e Multimédia SA (ci-après « MEO ») est une société anonyme ayant pour objet l’installation, le raccordement, le développement, la gestion et l’exploitation de réseaux et d’infrastructures de télécommunications ainsi que la fourniture de prestations de services de télécommunication et de transmission ainsi que de diffusion de signaux de télécommunication.

9.

MEO fournit des prestations de services (de télécommunication, d’accès Internet, de télévision et multimédia) grâce à une infrastructure complexe, dont l’installation et la maintenance requièrent des investissements matériels et en personnel importants. En fonction du montant nécessaire à la fourniture des prestations de service, MEO détermine un nombre (minimum) de contrats qu’elle doit conclure pour atteindre son objectif commercial.

10.

Dans le cadre de son activité, MEO conclut avec ses clients des contrats portant sur la fourniture desdites prestations de services. Certains de ces contrats prévoient une durée minimale d’engagement du client tout en accordant certaines conditions avantageuses, notamment sous forme de mensualités moins élevées.

11.

Ces contrats comportent des clauses imposant au client de payer un montant équivalent à la somme des mois manquants pour atteindre la durée minimale d’engagement (hors TVA) (ci-après l’« indemnité »), lorsque les services sont désactivés avant la fin de la durée minimale d’engagement prévue dans le contrat à l’initiative de MEO mais pour une raison imputable au client, notamment l’absence de paiement des mensualités d’abonnement dues en vertu du contrat.

12.

Si un client ne s’acquitte pas de ses obligations, MEO l’avertit tout d’abord de la nécessité de verser les montants impayés et le menace de désactiver les services prévus dans le contrat en cas de non‑versement, ainsi que de percevoir l’indemnité pour non-respect de la durée minimale d’engagement.

13.

Si le client ne règle pas les montants impayés suite à cet avertissement, MEO procède à la désactivation définitive des services prévus dans le contrat. Ensuite, MEO perçoit l’indemnité « d’un montant équivalent à la somme des mois manquants pour atteindre la durée minimale d’engagement », qu’elle considère comme due en vertu des dispositions du contrat.

14.

En raison du risque de devoir payer l’indemnité, en général, les clients de MEO respectent les conditions du contrat et maintiennent la relation contractuelle pendant la durée minimale d’engagement. La requérante a déclaré et dûment versé à l’État la TVA sur les mensualités d’abonnement payées par les clients pendant la période d’exécution du contrat.

15.

En revanche, lorsqu’elle désactive les services, MEO facture l’indemnité à ses clients qui ont rompu le contrat, sans indiquer la TVA et en précisant « non assujetti à la TVA ». Seule une petite partie des montants dus en raison de l’inexécution de contrats sont effectivement réglés.

16.

L’Unidade dos Grandes Contribuintes (service des gros contribuables) a réalisé un contrôle fiscal chez MEO. Il est apparu à cette occasion que MEO n’avait pas versé de TVA sur les indemnités perçues de ses clients pendant l’année 2012.

17.

MEO a fait valoir notamment que les indemnités en cause ne seraient pas assujetties à la TVA. À cet effet, elle invoque notamment une expertise juridique qu’elle a fait réaliser par le professeur Englisch (université de Münster). De surcroît, compte tenu des différents modes de recouvrement prévus à l’article 78 du CIVA, un tel versement de TVA n’aurait aucun sens et, d’ailleurs, le calcul de la taxe effectué par les services fiscaux serait inapproprié, car le montant perçu inclurait déjà la TVA.

18.

Les services fiscaux n’ont pas accepté cette argumentation. Selon eux, les indemnités auraient été dues au titre de l’obligation de verser les mensualités jusqu’à la fin de la durée minimale d’engagement du bénéficiaire des prestations de services et non pas à titre de dédommagement d’un préjudice causé au prestataire. C’est pourquoi ces indemnités versées relèveraient de la notion de « manque à gagner » et seraient à ce titre assujetties à la TVA. Les services fiscaux ont fixé le montant de la taxe et ont procédé à un redressement d’un montant de 1812195,35 euros.

19.

MEO a formé un recours gracieux. Ce recours gracieux a été rejeté. Le 23 décembre 2015, la requérante a formé contre la décision de rejet de son recours gracieux un recours hiérarchique sur lequel il n’a pas été statué dans le délai légal. C’est pourquoi, le 20 mai 2016, elle a formé un recours devant le Tribunal Arbitral Tributário (tribunal arbitral en matière fiscale, Portugal).

IV. Le renvoi préjudiciel et la procédure devant la Cour

20.

Par décision du 8 janvier 2017, parvenue à la Cour le 22 mai 2017, le Tribunal Arbitral Tributário (tribunal arbitral en matière fiscale) a saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes en vertu de l’article 267 TFUE :

« 1)

L’article 2, paragraphe 1, sous c), l’article 64, paragraphe 1, l’article 66, sous a), et l’article 73 de la directive 2006/112/CE doivent-ils être interprétés en ce sens que la taxe sur la valeur ajoutée est due par un opérateur de télécommunications (télévision, internet, réseau mobile et réseau fixe) sur le montant prédéterminé qu’il facture aux clients en cas de résiliation d’un contrat prévoyant une durée d’engagement déterminée (période de fidélisation), pour une raison qui leur est imputable, avant le terme de cette période, et qui équivaut au montant de la mensualité de base due par le client en vertu dudit contrat multiplié par le nombre de mensualités restant jusqu’au terme de la période de fidélisation, dans la mesure où, lorsque ce montant est facturé au client, et indépendamment de son recouvrement effectif, l’opérateur a déjà cessé de fournir les services, et si :

a)

le montant facturé a contractuellement pour but de dissuader les clients de ne pas respecter la période contractuelle de fidélisation et de réparer le préjudice que l’opérateur subit en cas de non-respect de celle-ci, à savoir le fait qu’il est privé du bénéfice qu’il aurait pu réaliser si le contrat avait été mené jusqu’au terme de cette période, qu’il a pratiqué des tarifs plus faibles, fournit des équipements ou d’autres offres, gratuitement ou à prix réduit, et les dépenses de publicité et de prospection de clientèle ;

b)

la rémunération de l’agent commercial est plus élevée en cas de souscription de contrats prévoyant une période de fidélisation qu’en cas de souscription de contrats sans fidélisation, dans la mesure où cette rémunération, tant pour les contrats avec fidélisation que sans fidélisation, est calculée sur la base du montant des mensualités fixé par le contrat ;

c)

le montant facturé est qualifié en droit national de clause pénale ?

2)

Le fait que les conditions visées dans un ou plusieurs points de la première question ne soient pas remplies est-il susceptible de modifier la réponse ? »

21.

Dans la procédure devant la Cour, MEO, le gouvernement portugais, l’Irlande et la Commission européenne ont déposé des observations écrites et, à l’exception de l’Irlande, participé à l’audience du 26 avril 2018.

V. Appréciation

A.   Recevabilité et interprétation de la question préjudicielle

22.

Ainsi que l’a déjà jugé la Cour, le Tribunal Arbitral Tributário (tribunal arbitral en matière fiscal) doit être considéré comme une juridiction d’un État membre au sens de l’article 267 TFUE et donc habilité à saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel ( 5 ).

23.

Lorsque le gouvernement portugais estime que le renvoi préjudiciel serait irrecevable au motif que les considérations de la juridiction de renvoi relèveraient de la spéculation, cet argument ne saurait prospérer. Selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel, qu’il définit sous sa responsabilité et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ( 6 ).

24.

Il n’y a absolument rien de tout cela en l’espèce. En effet, la question que se pose la juridiction de renvoi est celle de l’interprétation et de l’application de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA en cas de versement d’une indemnité contractuelle. Il n’est pas douteux que cette question est recevable.

25.

Néanmoins, il est opportun de préciser un peu la question préjudicielle, qui est très longue. En substance, la juridiction de renvoi cherche à savoir si le paiement de l’indemnité à MEO par un (désormais ancien) client doit être considéré comme une rémunération d’une prestation de services au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA.

26.

Cela n’est pas évident, car les services contractuels fournis jusqu’alors ont été désactivés et, donc, MEO ne fournit plus de prestations de services. Toutefois, le montant de l’indemnité à payer est égal à la rémunération nette convenue en cas de fourniture des prestations de services, afin de dissuader le client de ne pas respecter la durée du contrat convenue.

27.

Partant, il convient de déterminer si l’indemnité est payée par le client « seulement » à titre de réparation du préjudice financier subi par MEO ou bien vraiment pour une prestation de services imposable et assujettie que MEO lui a fournie.

B.   Appréciation juridique

1. Paiement d’une rémunération pour une livraison ou une prestation de services

28.

Conformément à l’article 2, paragraphe 1, de la directive TVA, seules des opérations déterminées, énumérées limitativement, sont soumises à la TVA. Les deux principaux faits générateurs se trouvent à l’article 2, paragraphe 1, sous a) et c). D’après ces dispositions, les livraisons de biens et les prestations de services sont soumises à la TVA lorsqu’elles sont effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. En tant qu’impôt général à la consommation, la TVA doit frapper la capacité financière du consommateur, que celui-ci manifeste par une dépense d’actifs en vue de se procurer un avantage consommable (livraison de biens ou prestation de services) ( 7 ).

29.

Ainsi, il ressort déjà a contrario du libellé de l’article 2, paragraphe 1, sous a) et c), de la directive TVA que le versement d’un montant (c’est-à-dire le paiement d’une rémunération) ne suffit pas en soi à générer une dette fiscale du bénéficiaire, même si ce dernier est un assujetti. En effet, il doit avoir effectué une livraison ou fourni une prestation de services dont le paiement d’un montant est la contrepartie ( 8 ).

30.

Il résulte de la jurisprudence de la Cour qu’il ne peut en être ainsi que s’il existe un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue, les sommes versées constituant la contrepartie effective d’un service individualisable fourni dans le cadre d’un rapport juridique où des prestations réciproques sont échangées ( 9 ).

31.

Des paiements effectués en dehors d’un tel rapport juridique, notion qui doit toutefois s’entendre dans un sens large étant donné le caractère général de l’impôt sur la consommation, ne constituent pas des opérations imposables. C’est pourquoi, lorsque l’entreprise reçoit un paiement mais que cet argent est versé, non pas pour un avantage consommable (c’est-à-dire une livraison ou une prestation), mais pour d’autres motifs (comme la pitié ( 10 )), il ne s’agit pas d’une prestation de services effectuée à titre onéreux.

32.

Le même raisonnement s’applique lorsque le paiement compense seulement un préjudice financier subi par l’entreprise, comme des intérêts de retard (préjudice patrimonial sous forme de préjudice de refinancement en raison d’un retard de paiement ( 11 )) ou manque à gagner en raison d’une résiliation du contrat ( 12 ). Dans tous ces cas de figure, le paiement d’argent est non pas la contrepartie d’une livraison ou d’une prestation de services effectuée mais la compensation des conséquences financières de leur non-exécution pour l’entreprise.

33.

En fin de compte, dans ces cas de figure, l’argent est utilisé pour compenser un préjudice financier (préjudice pécuniaire). Le paiement d’argent pour de l’argent est caractéristique d’un paiement pour quelque chose qui n’est pas une prestation ou une livraison ( 13 ) (« l’argent ne se mange pas» ( 14 )). Il équivaut à la réparation de préjudices patrimoniaux (comme la compensation d’un manque à gagner ou d’un retard), car, dans ce cas, il ne s’agit pas de procurer un avantage consommable mais de compenser de manière adéquate une opportunité de gain perdue.

34.

En revanche, la manière dont le droit national traite l’indemnité importe peu. Il est indifférent du point de vue de la TVA qu’il s’agisse d’un droit à réparation délictuel ou d’une pénalité contractuelle ou bien qu’elle soit qualifiée de réparation, de dédommagement ou de rémunération, ainsi que la Commission et le gouvernement portugais l’ont souligné lors de l’audience. L’appréciation du point de savoir si le paiement d’une rémunération intervient en contrepartie d’une livraison ou d’une prestation est une question de droit de l’Union qu’il convient de trancher indépendamment de l’appréciation portée en droit national ( 15 ).

2. Jurisprudence de la Cour relative à des « indemnités » similaires

35.

Partant, s’agissant d’indemnités, de dommages et intérêts ou de réparations, il convient toujours de déterminer pour quelle raison et pour quoi cet argent est versé, afin d’apprécier s’il y a livraison ou prestation effectuée à titre onéreux au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a) et c), de la directive TVA.

36.

Dans l’arrêt Société thermale d’Eugénie-les-Bains, la Cour s’est prononcée sur une indemnité forfaitaire destinée à compenser le préjudice subi par l’hôtelier en raison du dédit du client (« arrhes »). Une telle indemnité ne constitue pas la rétribution d’une prestation et ne fait pas partie de la base d’imposition de la TVA ( 16 ). Le versement des arrhes ne constituant pas la rétribution perçue par un exploitant d’établissement hôtelier à titre de contrepartie effective d’un service autonome et individualisable fourni à son client, d’une part, et la conservation de ces arrhes, à la suite du désistement de ce client, ayant pour objet de réparer les conséquences de l’inexécution du contrat, d’autre part, il convient de considérer que ni le versement des arrhes, ni la conservation de celles-ci, ni leur restitution au double ne relèvent de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA ( 17 ).

37.

En revanche, dans l’arrêt Air France-KLM et Hop !Brit-Air, la Cour a jugé qu’une compagnie aérienne ne peut pas faire valoir que le prix payé par le passager défaillant et conservé par la compagnie constitue une indemnité contractuelle qui, parce qu’elle vise à réparer un préjudice subi par la compagnie, n’est pas soumise à la TVA(c’est‑à‑dire non imposable) ( 18 ).

38.

La Cour a considéré en substance que, d’une part, le prix payé par le passager défaillant correspond au prix total du billet ( 19 ). D’autre part, dès lors que le passager a payé le prix du billet et que la compagnie aérienne confirme qu’une place lui est réservée, la vente est ferme et définitive. De plus, les compagnies aériennes se réservent le droit de revendre le service non utilisé à un autre passager, sans être tenues d’en rembourser le prix au passager initial. Il en résulterait que l’octroi d’une indemnité serait, en l’absence de préjudice, dépourvu de justification. Il conviendrait donc de constater que le montant conservé par les compagnies aériennes ne vise pas à indemniser un préjudice qu’elles auraient subi du fait de la défaillance d’un passager, mais constitue bien une rémunération, et ce même si le passager n’a pas bénéficié du transport ( 20 ).

39.

Le cas de figure de l’espèce se situe à mi-chemin entre les cas de figures en cause dans ces deux arrêts. D’une part, il est constant qu’en raison de la désactivation MEO ne fournit plus de prestations de services aux clients défaillants. C’est ce que souligne surtout MEO. D’autre part, le montant à payer correspond exactement à la rémunération nette des prestations de services prévue dans le contrat. C’est ce que soulignent surtout la Commission, l’Irlande et le gouvernement portugais.

40.

Toutefois, à la différence des deux arrêts évoqués ci-avant, en l’espèce des prestations de services ont été fournies aux clients à titre onéreux, la résiliation du contrat entraînant des frais supplémentaires, prévus dans le contrat. Or, contrairement à ce qu’affirme MEO, il importe peu à cet égard que le contrat soit désormais résilié. Des paiements effectués après la réalisation d’un contrat peuvent encore concerner des prestations de services antérieures dues en vertu du contrat.

41.

De surcroît, la compensation d’un préjudice financier correspondant au manque à gagner devrait normalement toujours être inférieure au prix net convenu, car il est quasiment impossible que la marge bénéficiaire corresponde à la contrepartie (nette) convenue. En général, la fourniture d’une prestation de services entraîne certains frais qui disparaissent si la prestation n’est pas fournie. Ainsi, en l’espèce, il n’y a plus de frais de maintenance et de gestion à supporter pour le client « défaillant ». Il est difficile de considérer qu’il s’agit d’une réparation forfaitaire, ainsi que MEO l’a soutenu lors de l’audience. C’est pourquoi, ainsi que l’ont exposé la Commission et le gouvernement portugais lors de l’audience, il convient de se demander pourquoi un client qui a utilisé la prestation de services pendant 24 mois et un client qui, en raison de la désactivation, n’a pu l’utiliser que pendant, par exemple, 18 mois, dépensent le même montant, mais sont traités différemment du point de vue de la TVA.

3. Solutions possibles en l’espèce

42.

Dans ces conditions, selon nous, seulement deux solutions sont envisageables. Soit l’indemnité vise bien à compenser le manque à gagner de MEO et répare un préjudice patrimonial subi par celle-ci. Alors il convient d’y voir une opération non imposable.

43.

Soit, d’un point de vue économique, l’indemnité doit être considérée comme faisant partie intégrante du prix total payé pour la fourniture par MEO de prestations de services spécifiques, qui a seulement été divisé en mensualités (comme une sorte de paiement échelonné) et dont le montant encore dû devient immédiatement exigible en cas de manquements à l’obligation de paiement.

44.

À l’instar de la Commission, du gouvernement portugais et de l’Irlande, nous considérons que cette seconde approche est la bonne. D’une part, il convient de se demander quel préjudice est réparé de manière forfaitaire si le préjudice supposé est du même montant que le prix à payer en cas de fourniture de la prestation. D’autre part, lors de la conclusion d’un tel contrat, le montant touché par MEO pendant la durée minimale d’engagement est déjà déterminé, indépendamment de la durée effective de la fourniture des prestations de services. Ainsi, comme la Commission l’a souligné à juste titre lors de l’audience, il n’y a pas de préjudice causé par la résiliation prématurée. MEO touche le même montant qu’en cas d’exécution du contrat. Or, ainsi que l’a déjà jugé la Cour, « l’octroi d’une indemnité serait, en l’absence de préjudice, dépourvu de justification» ( 21 ).

45.

Une approche économique du système contractuel de MEO plaide également en faveur d’une telle conclusion. La Cour reconnaît elle-même l’importance de la réalité économique dans le droit en matière de TVA ( 22 ).

46.

Dans le cadre d’une approche économique, nous considérons, à l’instar de la Commission, du gouvernement portugais et de l’Irlande, qu’il s’agit d’une sorte de prix fixe sous forme de rémunération contractuelle minimale. À cet égard, qu’un client paie 100 euros par mois pendant 24 mois pour un accès à Internet et qu’il doive continuer à payer les 100 euros s’il déménage avant l’expiration du contrat (montant total : 2400 euros) ne fait aucune différence. Le résultat serait le même s’il payait tout de suite 2400 euros et avait le droit d’utiliser l’accès Internet pendant une durée maximale de 24 mois tant qu’il ne change de logement. Dans les deux cas, le montant contractuel (2400 euros) est la contrepartie d’une prestation de services déterminée (accès Internet), dont la durée est incertaine. En fin de compte, il en va de même de tout prix forfaitaire.

47.

En l’espèce, seule la durée de l’utilisation est incertaine, en revanche la contrepartie des prestations de services ne l’est pas. En fin de compte, dans le cadre des contrats prévoyant une durée minimale d’engagement, MEO touche toujours le même montant, quelle que soit la durée effective de fourniture des prestations de services.

48.

Ainsi, d’un point de vue économique, l’« indemnité » doit être considérée seulement comme un dernier paiement en plus des paiements mensuels effectués jusqu’alors. Comme les paiements antérieurs, elle rémunère seulement les prestations de services fournies jusqu’alors.

49.

D’ailleurs, l’approche économique correspond également à l’esprit et à la finalité de la clause qui, selon la juridiction de renvoi, vise à dissuader les clients d’interrompre le paiement de leurs « mensualités ». L’exigibilité immédiate de toutes les « mensualités » encore dues d’un prix forfaitaire produit bien un tel effet. En fin de compte, il s’agit d’une sorte de pénalité contractuelle qui porte non pas sur le montant mais sur l’exigibilité du prix (restant) [rémunération au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA]. En raison de sa « défaillance », le client doit payer immédiatement le montant encore dû pour les prestations de services effectuées jusqu’alors, au lieu de le verser sous forme de mensualités. Or, ainsi que le gouvernement portugais l’a souligné à juste titre, le mode de paiement (immédiat ou échelonné sur plusieurs mois) ne peut rien changer à la nature de la prestation de services.

50.

Il en va de même de la rémunération différente des intermédiaires. L’appréciation du rapport entre les clients et MEO ne saurait dépendre des modalités contractuelles de la relation entre MEO et des tiers. La commission plus élevée montre seulement que MEO retire sans doute un bénéfice plus élevé de contrats conclus pour une durée minimale d’engagement, car cela garantit un prix minimal pour les prestations à fournir, ce qui confirme à cet égard l’approche économique de la situation examinée ci-avant.

51.

Partant, il s’agit d’une prestation de services effectuée à titre onéreux au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA.

4. Calcul et montant de la TVA

52.

Comme il ressort de la décision de renvoi que, dans la plupart des cas, l’indemnité en cause en l’espèce n’est pas payée et que les autorités fiscales ont manifestement ajouté la TVA sur les indemnités encore dues, il semble opportun de donner encore deux indications utiles à la juridiction de renvoi.

53.

D’une part, la TVA due doit être déduite des montants convenus ou touchés (en l’occurrence le montant de l’indemnité). Cela découle du libellé clair de l’article 73 et de l’article 78, sous a), de la directive TVA. Par conséquent, la base d’imposition est le montant total que touche ou doit toucher le prestataire, à l’exclusion de la TVA elle-même.

54.

D’autre part, la Cour a décidé à plusieurs reprises que l’entreprise assujettie agit « simplement » comme un collecteur de taxes pour le compte de l’État ( 23 ), parce que la TVA est un impôt indirect sur la consommation qui grève le consommateur final ( 24 ). C’est pourquoi, logiquement, elle a jugé à plusieurs reprises que « la base d’imposition de la TVA à percevoir par les autorités fiscales ne peut pas être supérieure à la contrepartie effectivement payée par le consommateur final et sur laquelle a été calculée la TVA qui pèse en définitive sur ce consommateur» ( 25 ). Par conséquent, lorsque l’entreprise n’est pas payée par le consommateur final, matériellement elle ne doit pas non plus de TVA.

55.

C’est pourquoi la dette fiscale de l’entreprise doit impérativement être corrigée en vertu de l’article 90 de la directive TVA ( 26 ), lorsqu’il est établi avec suffisamment de certitude que son partenaire contractuel ne paiera plus. La détermination du moment où une telle certitude intervient est une question de fait que doit apprécier la juridiction nationale en prenant en considération les droits fondamentaux de l’assujetti et le principe de proportionnalité, d’une part, ainsi que l’intérêt de l’État à une imposition effective, d’autre part.

VI. Conclusion

56.

Eu égard aux observations qui précèdent, nous proposons à la Cour d’apporter la réponse suivante à la demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Arbitral Tributário [Centro de Arbitragem Administrativa] [tribunal arbitral en matière fiscale (service central de procédure arbitrale en matière administrative), Portugal] :

1)

L’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens que le paiement d’un montant prédéterminé en cas de résiliation prématurée d’un contrat entraîne une obligation de paiement de la TVA s’il doit être considéré comme une rémunération des prestations de services déjà fournies et ne se limite pas à la réparation d’un préjudice patrimonial.

2)

À cet égard, il importe peu que l’intermédiaire qui conclut de tels contrats pour une durée minimale d’engagement touche une rémunération plus élevée que pour des contrats sans durée minimale d’engagement. Il importe peu également que, selon le droit national, ce montant doive être considéré comme une pénalité contractuelle.


( 1 ) Langue originale : l’allemand.

( 2 ) Arrêt du 18 juillet 2007, Société thermale d’Eugénie-les-Bains (C‑277/05, EU:C:2007:440).

( 3 ) Arrêt du 23 décembre 2015, Air France-KLM et Hop !Brit-Air (C‑250/14 et C‑289/14, EU:C:2015:841).

( 4 ) JO 2006, L 347, p. 1.

( 5 ) Arrêt du 12 juin 2014, Ascendi Beiras Litoral e Alta, Auto Estradas das Beiras Litoral e Alta (C‑377/13, EU:C:2014:1754, points 23 à 34).

( 6 ) Arrêts du 17 septembre 2014, Cruz & Companhia (C‑341/13, EU:C:2014:2230, point 32) ; du 30 avril 2014, Pfleger e.a. (C‑390/12, EU:C:2014:281, point 26) ; du 22 juin 2010, Melki et Abdeli (C‑188/10 et C‑189/10, EU:C:2010:363, point 27), et du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital (C‑390/99, EU:C:2002:34, point 19).

( 7 ) Voir, par exemple, arrêts du 18 décembre 1997, Landboden-Agrardienste (C‑384/95, EU:C:1997:627, points 20 et 23), et du 11 octobre 2007, KÖGÁZ e.a. (C‑283/06 et C‑312/06, EU:C:2007:598, point 37 – « fixation de son montant proportionnellement au prix perçu par l’assujetti en contrepartie des biens et des services qu’il fournit »).

( 8 ) Ainsi qu’il est indiqué expressément également dans l’arrêt du 3 mars 1994, Tolsma (C‑16/93, EU:C:1994:80, point 18).

( 9 ) Voir en ce sens arrêts du 18 juillet 2007, Société thermale d’Eugénie-les-Bains (C‑277/05, EU:C:2007:440, point 19) ; du 23 mars 2006, FCE Bank (C‑210/04, EU:C:2006:196, point 34) ; du 21 mars 2002, Kennemer Golf (C‑174/00, EU:C:2002:200, point 39), et du 3 mars 1994, Tolsma (C‑16/93, EU:C:1994:80, point 14).

( 10 ) Arrêt du 3 mars 1994, Tolsma (C‑16/93, EU:C:1994:80, point 17 – « en fonction… de motivations subjectives »).

( 11 ) Arrêt du 1er juillet 1982, BAZ Bausystem (222/81, EU:C:1982:256, point 8).

( 12 ) Arrêt du 18 juillet 2007, Société thermale d’Eugénie-les-Bains (C‑277/05, EU:C:2007:440, point 35).

( 13 ) Du point de vue de la TVA, l’argent est seulement un moyen pour se procurer un avantage consommable (bien de consommation), mais il ne constitue pas en soi un tel avantage exploitable. La seule exception concerne l’acquisition de pièces de collection, dont ce n’est plus la valeur nominale mais la valeur numismatique qui importe.

( 14 ) Sous sa forme longue, cette formule est connue en tant que prophétie des Amérindiens Cree : « Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière empoisonnée, le dernier poisson capturé, alors seulement vous vous apercevrez que l’argent ne se mange pas ».

( 15 ) Concernant l’interprétation autonome de notions de droit de l’Union, voir seulement arrêts du 28 juillet 2011, Nordea Pankki Suomi (C‑350/10, EU:C:2011:532) ; du 14 décembre 2006, VDP Dental Laboratory (C‑401/05, EU:C:2006:792, point 26), et du 4 mai 2006, Abbey National (C‑169/04, EU:C:2006:289, point 38).

( 16 ) Arrêt du 18 juillet 2007, Société thermale d’Eugénie-les-Bains (C‑277/05, EU:C:2007:440, point 32), voir en ce sens, concernant des intérêts de retard, également arrêt du 1er juillet 1982, BAZ Bausystem (222/81, EU:C:1982:256, points 8 à 11).

( 17 ) Ainsi que cela figure expressément dans l’arrêt du 18 juillet 2007, Société thermale d’Eugénie-les-Bains (C‑277/05, EU:C:2007:440, point 35).

( 18 ) Arrêt du 23 décembre 2015, Air France-KLM et Hop !Brit-Air (C‑250/14 et C‑289/14, EU:C:2015:841, point 29).

( 19 ) Arrêt du 23 décembre 2015, Air France-KLM et Hop !Brit-Air (C‑250/14 et C‑289/14, EU:C:2015:841, points 32 et 33).

( 20 ) Arrêt du 23 décembre 2015, Air France-KLM et Hop !Brit-Air (C‑250/14 et C‑289/14, EU:C:2015:841, point 34).

( 21 ) Arrêt du 23 décembre 2015, Air France-KLM et Hop !Brit-Air (C‑250/14 et C‑289/14, EU:C:2015:841, point 34).

( 22 ) Arrêt du 20 juin 2013, Newey (C‑653/11, EU:C:2013:409, points 48 et 49) ; voir également conclusions de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire Saudaçor (C‑174/14, EU:C:2015:430, point 55).

( 23 ) Arrêts du 20 octobre 1993, Balocchi (C‑10/92, EU:C:1993:846, point 25), et du 21 février 2008, Netto Supermarkt (C‑271/06, EU:C:2008:105, point 21) ; voir également nos conclusions dans l’affaire dans l’affaire Di Maura (C‑246/16, EU:C:2017:440, point 21).

( 24 ) Arrêts du 24 octobre 1996, Elida Gibbs (C‑317/94, EU:C:1996:400, point 19), et du 7 novembre 2013, Tulică et Plavoşin (C‑249/12 et C‑250/12, EU:C:2013:722, point 34), ainsi qu’ordonnance du 9 décembre 2011, Connoisseur Belgium (C‑69/11, non publiée, EU:C:2011:825, point 21).

( 25 ) Arrêts du 24 octobre 1996, Elida Gibbs (C‑317/94, EU:C:1996:400, point 19) ; du 15 octobre 2002, Commission/Allemagne (C‑427/98, EU:C:2002:581, point 30), et du 16 janvier 2003, Yorkshire Co-operatives (C‑398/99, EU:C:2003:20, point 19) ; de même que conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire MyTravel (C‑291/03, EU:C:2005:283, point 69).

( 26 ) Arrêt du 23 novembre 2017, Di Maura (C‑246/16, EU:C:2017:887, points 20 et suiv.), et nos conclusions dans l’affaire Di Maura (C‑246/16, EU:C:2017:440, point 27).