ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre élargie)

24 octobre 2018 ( *1 )

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne figurative représentant une rainure en forme de « L » – Motif absolu de refus – Signe constitué exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique – Article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement (CE) no 40/94 – Article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009 [devenu article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement 2017/1001] –Règlement (UE) 2015/2424 – Application de la loi dans le temps – Forme du produit – Nature du signe – Prise en compte des éléments utiles à l’identification des caractéristiques essentielles du signe – Intérêt général sous-tendant l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 »

Dans l’affaire T‑447/16,

Pirelli Tyre SpA, établie à Milan (Italie), représentée par Mes T. M. Müller et F. Togo, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. J. Ivanauskas, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

The Yokohama Rubber Co. Ltd, établie à Tokyo (Japon), représentée par Mes F. Boscariol de Roberto, D. Martucci et I. Gatto, avocats,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la cinquième chambre de recours de l’EUIPO du 28 avril 2016 (affaire R 2583/2014-5), relative à une procédure de nullité entre Yokohama Rubber et Pirelli Tyre,

LE TRIBUNAL (septième chambre élargie),

composé de Mmes V. Tomljenović, président, M. Kancheva, M. E. Bieliūnas (rapporteur), Mme A. Marcoulli et M. A. Kornezov, juges,

greffier : Mme J. Weychert, administrateur,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 4 août 2016,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 26 octobre 2016,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 7 novembre 2016,

à la suite de l’audience du 17 novembre 2017,

rend le présent

Arrêt

Antécédents du litige

1

Le 23 juillet 2001, la requérante, Pirelli Tyre SpA, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié, lui-même remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

2

La marque de l’Union européenne dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant :

Image

3

Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent de la classe 12 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Pneumatiques, gommes, jantes et couvertures pleines, semi-pneumatiques et pneumatiques pour roues de véhicules en tout genre, roues de véhicules en tout genre, chambres à air, jantes, pièces, accessoires et pièces de rechange pour roues de véhicules en tout genre ».

4

La demande de marque de l’Union européenne a été publiée au Bulletin des marques communautaires no 36/2002, du 6 mai 2002, et le signe figuratif mentionné au point 2 ci-dessus a été enregistré en tant que marque, le 18 octobre 2002, sous le numéro 2319176.

5

Le 27 septembre 2012, l’intervenante, The Yokohama Rubber Co. Ltd, a introduit, devant l’EUIPO, une demande en nullité de la marque contestée pour les produits « Pneumatiques, gommes pleines, semi-pneumatiques et pneumatiques pour roues de véhicules en tout genre ». Cette demande était fondée sur l’article 52, paragraphe 1, sous a), du règlement no 40/94, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, sous b) ou avec l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du même règlement.

6

Par décision du 28 août 2014, la division d’annulation de l’EUIPO a déclaré la marque contestée nulle pour les produits mentionnés au point 5 ci‑dessus ainsi que pour les « jantes et couvertures pleines pour roues de véhicules en tout genre », au motif que le signe contesté était constitué exclusivement par la forme des produits concernés, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94.

7

La requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 58 à 64 du règlement no 207/2009 (devenus articles 66 à 71 du règlement 2017/1001), contre la décision de la division d’annulation.

8

Par décision du 28 avril 2016 (ci-après la « décision attaquée »), la cinquième chambre de recours de l’EUIPO a accueilli partiellement le recours. Au point 1 du dispositif de la décision attaquée, elle a annulé la décision de la division d’annulation en ce que cette dernière avait déclaré la marque contestée nulle pour les « jantes et couvertures pleines pour roues de véhicules en tout genre ». En effet, la chambre de recours a constaté que ces produits n’étaient pas visés par la demande en nullité et que l’annulation prononcée par la division d’annulation excédait la portée de cette demande. Au point 2 du dispositif de la décision attaquée, la chambre de recours a confirmé la décision de la division d’annulation pour le surplus et a déclaré la marque contestée nulle pour les « Pneumatiques, gommes pleines, semi-pneumatiques et pneumatiques pour roues de véhicules en tout genre ». À cet égard, dans un premier temps, la chambre de recours a considéré que, eu égard aux éléments de preuve présentés et aux produits en cause, « il [était] clair que le signe représent[ait] une bande de roulement d’un pneu et, dès lors la partie (peut-être) la plus cruciale des produits contestés, […] du moins sur le plan technique ». Dans un deuxième temps, la chambre de recours a relevé que la principale caractéristique de la marque en cause était une rainure en forme de « L » qui possédait les caractéristiques essentielles suivantes : un angle d’environ 90°, un segment courbé et deux parties distinctes passant de pointues à épaisses. Dans un troisième temps, la chambre de recours a décidé, en substance, qu’il ressortait des preuves produites par l’intervenante que le signe contesté jouait un rôle essentiel dans le bon fonctionnement des pneumatiques afin de faciliter une traction et un freinage efficaces et d’améliorer le confort. Au point 3 du dispositif de la décision attaquée, la chambre de recours a condamné la requérante à rembourser 1700 euros à l’intervenante au motif que la requérante avait succombé devant l’EUIPO.

Conclusions des parties

9

La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler la décision attaquée pour autant qu’elle :

confirme la décision de la division d’annulation du 28 août 2014 et déclare la marque contestée nulle pour les produits suivants : « Pneumatiques ; gommes pleines, semi-pneumatiques et pneumatiques pour roues de véhicules en tout genre » ;

la condamne à rembourser 1700 euros à l’intervenante.

condamner l’EUIPO aux dépens.

10

L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours ;

condamner la requérante aux dépens.

En droit

11

À l’appui de son recours, la requérante soulève trois moyens. Par son premier moyen, la requérante reproche à la chambre de recours d’avoir fondé sa décision sur une version de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), qui n’était pas applicable ratione temporis. Par son deuxième moyen, la requérante dénonce des irrégularités procédurales et une violation de l’obligation de motivation. Par son troisième moyen, elle invoque une violation de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94.

12

Dans leurs mémoires en réponse, l’EUIPO et l’intervenante font valoir que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés. Ils soutiennent également que les éléments de preuve qui figurent à l’annexe 5 de la requête et qui consistent en des mesures angulaires de différentes rainures de pneus doivent être déclarés irrecevables au motif qu’ils ont été produits pour la première fois devant le Tribunal.

13

Il convient d’examiner successivement les premier et troisième moyens invoqués par la requérante.

Sur le premier moyen, tiré de ce que la décision attaquée est fondée sur une version de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), inapplicable ratione temporis

14

La requérante soutient que, dans la décision attaquée, la chambre de recours a appliqué l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009, dans sa version issue du règlement (UE) 2015/2424 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015, modifiant le règlement no 207/2009 et le règlement (CE) no 2868/95 de la Commission portant modalités d’application du règlement no 40/94, et abrogeant le règlement (CE) no 2869/95 de la Commission relatif aux taxes à payer à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (JO 2015, L 341, p. 21).

15

Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009, tel que modifié par le règlement 2015/2424, sont refusés à l’enregistrement les signes « constitués exclusivement par la forme, ou une autre caractéristique du produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ».

16

Or, selon la requérante, l’existence d’une cause de nullité absolue devait, en l’espèce, être appréciée sur le fondement de la disposition en vigueur à la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée, à savoir l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), dans sa version issue du règlement no 40/94 qui excluait uniquement l’enregistrement des signes constitués exclusivement « par la forme du produit » nécessaire à l’obtention d’un résultat technique.

17

À cet égard, il convient, dans un premier temps, de déterminer la disposition qui était applicable ratione temporis devant l’EUIPO et, dans un second temps, d’apprécier si, dans la décision attaquée, la chambre de recours a effectivement appliqué la disposition qui était applicable ratione temporis.

Sur la disposition applicable ratione temporis

18

Selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45 et jurisprudence citée), à la différence des règles de fond qui sont habituellement interprétées comme ne visant des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur que dans la mesure où il ressort clairement de leurs termes, de leur finalité ou de leur économie qu’un tel effet doit leur être attribué (arrêts du 12 novembre 1981, Meridionale Industria Salumi e.a., 212/80 à 217/80, EU:C:1981:270, point 9, et du 11 décembre 2008, Commission/Freistaat Sachsen, C‑334/07 P, EU:C:2008:709, point 44).

19

Premièrement, l’EUIPO ne conteste pas que c’était l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), dans sa version issue du règlement no 40/94, qui était applicable en l’espèce.

20

Deuxièmement, il importe de souligner que le règlement 2015/2424 a effectivement modifié le libellé de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009 [devenu article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement 2017/1001], qui concerne une règle de fond et, plus précisément, l’un des motifs absolus pour lesquels un signe peut être refusé à l’enregistrement ou, en combinaison avec l’article 52, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 [devenu article 59, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001], l’une des causes de nullité absolue pour lesquelles une marque peut être déclarée nulle. Or, le règlement 2015/2424 est entré en vigueur le 23 mars 2016 et il ne ressort pas de ses termes, de sa finalité et de son économie que l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009, dans sa version issue du règlement 2015/2424, devrait s’appliquer à des situations acquises antérieurement à son entrée en vigueur.

21

Il s’ensuit que l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009, dans sa rédaction issue du règlement 2015/2424, n’est manifestement pas applicable en l’espèce, étant donné que la marque contestée a été enregistrée le 18 octobre 2002 à la suite d’une demande d’enregistrement déposée le 23 juillet 2001.

22

Compte tenu de ce qui précède, la chambre de recours était tenue, en l’espèce, d’apprécier si la marque contestée devait être déclarée nulle au regard de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94.

Sur la disposition appliquée dans la décision attaquée

23

Au point 14 de la décision attaquée, la chambre de recours a rappelé les termes de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009 dans sa version modifiée par le règlement 2015/2424.

24

À cet égard, il convient de souligner que, ainsi que le reconnaît l’EUIPO, la chambre de recours a, dans la décision attaquée, cité erronément le libellé de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009 dans sa version modifiée par le règlement 2015/2424.

25

Cependant, il importe de relever que, lorsque la chambre de recours a exposé, de manière détaillée, l’interprétation qu’il convenait de donner à cette disposition dans la décision attaquée, ladite chambre a mentionné à de nombreuses reprises la jurisprudence rendue sous l’empire de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94, qui fait uniquement référence à la « forme du produit ». En outre, il ressort de la lecture de la décision attaquée que la chambre de recours a livré son appréciation des faits à l’aune des conditions posées à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94, telles qu’elles sont interprétées par la jurisprudence pertinente.

26

Dans ces conditions, bien qu’elle ait cité erronément le libellé de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009 dans sa version modifiée par le règlement 2015/2424, la chambre de recours n’a pas appliqué la modification opérée par le règlement 2015/2424 dans la décision attaquée.

27

Par conséquent, il y a lieu de considérer que la décision attaquée est fondée sur la disposition qui était applicable dans le temps, à savoir l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94, qui prévoit le refus à l’enregistrement des « signes constitués exclusivement […] par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ».

28

Le premier moyen doit donc être écarté.

Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94

29

Par la première branche de son troisième moyen, la requérante fait valoir que le signe contesté ne constitue pas la forme des produits en cause au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94. À cet égard, la requérante soutient que la chambre de recours a commis une erreur lorsqu’elle a considéré que le signe contesté faisait partie intégrante de la bande de roulement d’un pneu et donc des produits couverts par la marque contestée, à savoir des « pneumatiques, gommes pleines, semi-pneumatiques et pneumatiques pour roues de véhicules en tout genre ».

30

L’EUIPO souligne, premièrement, que la conclusion de la chambre de recours, selon laquelle le signe contesté représente une bande de roulement d’un pneu qui, du moins sur le plan technique, constitue (peut-être) la partie la plus cruciale des produits contestés, a été tirée, d’une part, à partir de l’examen de la représentation graphique qui constitue le signe contesté au regard des produits demandés et, d’autre part, à partir des preuves produites par les parties. Deuxièmement, pour qu’un signe soit visé par l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94, il suffirait qu’il se compose d’une partie d’un produit inclus dans sa spécification. En d’autres termes, le simple fait que la forme en question puisse être appliquée à un produit plus complexe ou y être incorporée n’interdirait pas l’application de ce motif de refus. Troisièmement, l’EUIPO fait observer qu’une rainure de pneu n’est pas un produit, puisqu’elle ne forme pas un élément séparable d’un pneu. Par conséquent, le signe contesté aurait été enregistré pour des pneus, qui seraient des produits incorporant la rainure en forme de « L » en question et sur lesquels cette rainure exercerait une fonction technique. Quatrièmement, la perception présumée du signe par le public ne serait pas un élément décisif dans le cadre de l’application du motif de refus énoncé à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94. Ce motif reposerait sur un critère objectif pour lequel, outre la représentation graphique d’un signe, l’EUIPO pourrait tenir compte de tous les éléments utiles à l’identification convenable d’un signe dans le contexte de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94. Cinquièmement, l’objet de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 serait d’empêcher l’octroi d’un monopole sur des caractéristiques utilitaires d’un produit. Par conséquent, si la requérante se voyait octroyer des droits liés à la marque pour le signe contesté (parce qu’il représente uniquement une partie d’un pneu), elle serait en mesure d’empêcher d’autres entreprises de commercialiser des pneus qui incorporent les mêmes signes ou des signes similaires, c’est-à-dire des rainures.

31

L’intervenante fait valoir, premièrement, que certaines pièces du dossier montrent que la requérante a déjà, par le biais de son représentant, décrit et donc reconnu que la marque contestée était le « dessin d’une bande de roulement ». Deuxièmement, une marque devrait être examinée à la lumière des circonstances de l’espèce et aucune disposition n’empêcherait l’EUIPO de procéder à une « rétroconception », c’est-à-dire de découvrir ce que la marque représente réellement et l’élément sur lequel le titulaire de la marque cherche à s’assurer des droits exclusifs. Troisièmement, il serait exact d’affirmer que la marque contestée constitue la forme des produits ou la partie la plus cruciale des produits concernés au regard, notamment, des pièces du dossier et des produits effectivement commercialisés par la requérante. Quatrièmement, les exemples d’utilisation, par la requérante, du signe contesté comme une indication d’origine dépourvue de fonction technique, dans des brochures et des catalogues, pour désigner certains de ses modèles de pneus, ne seraient pas pertinents.

Observations liminaires

32

En premier lieu, il convient de souligner que, dans la présente affaire, la demande en nullité partielle déposée devant l’EUIPO par l’intervenante était fondée sur l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 ainsi que sur l’article 7, paragraphe 1, sous b), de ce même règlement. En ce qui concerne la demande en nullité fondée sur l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94 et donc fondée sur l’absence de caractère distinctif de la marque contestée, la requérante a fait valoir, devant l’EUIPO, que ladite marque présentait un caractère distinctif, à tout le moins par l’usage qui en avait été fait, conformément à l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 40/94.

33

La division d’annulation, puis la chambre de recours, ont déclaré la nullité de la marque contestée sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 et n’ont pas examiné l’existence éventuelle d’une cause de nullité tirée de l’absence de caractère distinctif de ladite marque.

34

En effet, les marques qui peuvent être refusées à l’enregistrement pour les motifs énumérés à l’article 7, paragraphe 1, sous b) à d), du règlement no 40/94 peuvent, conformément au paragraphe 3 de cette même disposition, acquérir un caractère distinctif par l’usage qui en a été fait. En revanche, un signe qui est refusé à l’enregistrement sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous e), du règlement no 40/94 ne peut jamais acquérir un caractère distinctif aux fins de l’article 7, paragraphe 3, par l’usage qui en a été fait. Ledit article 7, paragraphe 1, sous e), vise donc certains signes qui ne sont pas de nature à constituer des marques et il est un obstacle préliminaire susceptible d’empêcher qu’un signe constitué exclusivement par la forme d’un produit puisse être enregistré (voir, par analogie, arrêt du 18 juin 2002, Philips, C‑299/99, EU:C:2002:377, points 75 et 76).

35

En conséquence, l’examen d’un signe au regard de l’article 7, paragraphe 1, sous e), du règlement no 40/94, s’il conduit à constater que l’un des critères mentionnés à cette disposition est rempli, dispense de l’examen du même signe au regard de l’article 7, paragraphe 3, du même règlement, l’impossibilité d’enregistrement de ce signe étant, dans cette hypothèse, caractérisée. Cette dispense explique l’intérêt de procéder à un examen préalable du signe au regard de l’article 7, paragraphe 1, sous e), du règlement no 40/94 dans l’hypothèse où une application de plusieurs des motifs absolus de refus prévus audit paragraphe 1 serait possible, sans pour autant qu’une telle dispense puisse être interprétée comme impliquant une obligation d’examen préalable du même signe au regard de l’article 7, paragraphe 1, sous e), du règlement no 40/94 [arrêt du 6 octobre 2011, Bang & Olufsen/OHMI (Représentation d’un haut-parleur), T‑508/08, EU:T:2011:575, point 44].

36

En deuxième lieu, il importe de rappeler que l’intérêt sous-tendant l’article 7, paragraphe 1, sous e), du règlement no 40/94 est d’éviter que le droit des marques aboutisse à conférer à une entreprise un monopole sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d’un produit (voir, par analogie, arrêt du 18 juin 2002, Philips, C‑299/99, EU:C:2002:377, point 78).

37

Les règles fixées par le législateur reflètent, à cet égard, la mise en balance de deux considérations qui sont, chacune, susceptibles de contribuer à la réalisation d’un système de concurrence sain et loyal (arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 44).

38

D’une part, l’insertion à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 40/94 de l’interdiction d’enregistrer en tant que marque tout signe constitué par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique assure que des entreprises ne puissent utiliser le droit des marques pour perpétuer, sans limitation dans le temps, des droits exclusifs portant sur des solutions techniques (arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 45).

39

D’autre part, en limitant le motif de refus énoncé à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 aux signes constitués « exclusivement » par la forme du produit « nécessaire » à l’obtention d’un résultat technique, le législateur a dûment considéré que toute forme de produit est, dans une certaine mesure, fonctionnelle et qu’il serait, par conséquent, inapproprié de refuser à l’enregistrement en tant que marque une forme de produit au simple motif qu’elle présente des caractéristiques utilitaires. Par les termes « exclusivement » et « nécessaire », ladite disposition assure que seules les formes de produit qui ne font qu’incorporer une solution technique et dont l’enregistrement en tant que marque gênerait donc réellement l’utilisation de cette solution technique par d’autres entreprises soient refusées à l’enregistrement (arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 48).

40

En troisième lieu, une application correcte de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 implique que les caractéristiques essentielles d’un signe tridimensionnel soient dûment identifiées par l’autorité statuant sur la demande d’enregistrement de celui-ci en tant que marque. L’expression « caractéristiques essentielles » doit être comprise comme visant les éléments les plus importants du signe (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, points 68 et 69).

41

L’identification desdites caractéristiques essentielles doit être opérée au cas par cas. Il n’existe, en effet, aucune hiérarchie systématique entre les différents types d’éléments qu’un signe peut comporter. Au demeurant, dans sa recherche des caractéristiques essentielles d’un signe, l’autorité compétente peut soit se fonder directement sur l’impression globale dégagée par le signe, soit procéder, dans un premier temps, à un examen successif de chacun des éléments constitutifs du signe (arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 70).

42

Par conséquent, l’identification des caractéristiques essentielles d’un signe tridimensionnel en vue d’une éventuelle application du motif de refus énoncé à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 peut, selon le cas, et en particulier eu égard au degré de difficulté de celui-ci, être effectuée par une simple analyse visuelle dudit signe ou, au contraire, être fondée sur un examen approfondi dans le cadre duquel sont pris en compte des éléments utiles à l’appréciation, tels que des enquêtes et des expertises, ou encore des données relatives à des droits de propriété intellectuelle conférés antérieurement en rapport avec le produit concerné (arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 71).

43

La possibilité offerte à l’autorité compétente, de prendre en compte les éléments utiles à l’identification des caractéristiques essentielles d’un signe tridimensionnel contesté, a été étendue à l’examen des signes bidimensionnels (voir, en ce sens, arrêt du 6 mars 2014, Pi-Design e.a./Yoshida Metal Industry, C‑337/12 P à C‑340/12 P, non publié, EU:C:2014:129, point 55).

44

En quatrième lieu, il convient de relever que, dans sa décision, la division d’annulation a souligné qu’il était vrai qu’un signe figuratif pouvait être une indication de l’origine commerciale et se trouver sur un pneu, sans être une représentation d’une bande de roulement d’un pneu. Toutefois, la division d’annulation a ajouté que, dans la présente affaire, il était difficile de nier que la marque contestée était la représentation réaliste d’un type de bande de roulement utilisée sur de véritables pneus.

45

Au point 25 de la décision attaquée, la chambre de recours a expliqué qu’elle soutenait totalement l’approche suivie par la division d’annulation qui avait qualifié le signe contesté de « représentation d’un type de bande de roulement ». En effet, la chambre de recours a précisé que la division d’annulation était non seulement en droit, mais aussi tenue, de prendre en considération les éléments de preuve produits par les parties afin d’identifier de manière appropriée la nature du signe et ce qu’il représentait dans le contexte des produits en cause. La chambre de recours en a déduit que, « eu égard aux éléments de preuve présentés et aux produits en cause, il [était] clair que le signe représent[ait] une bande de roulement d’un pneu et, dès lors, la partie (peut-être) la plus cruciale des produits contestés “pneumatiques, gommes pleines, semi-pneumatiques et pneumatiques pour roues de véhicules en tout genre” compris dans la classe 12, du moins sur le plan technique ».

46

C’est à la lumière de ces observations qu’il convient d’examiner la première branche du troisième moyen invoqué par la requérante, tirée de ce que le signe contesté ne constitue pas la forme du produit au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94.

Sur la nature du signe contesté

47

Il ressort de la jurisprudence, d’une part, que la représentation graphique d’une marque doit être complète par elle-même, facilement accessible et intelligible afin qu’un signe puisse faire l’objet d’une perception constante et sûre qui garantisse la fonction d’origine de ladite marque. D’autre part, l’exigence de la représentation graphique a pour fonction notamment de définir la marque elle-même afin de déterminer l’objet exact de la protection conférée par la marque enregistrée à son titulaire (voir, en ce sens, arrêt du 6 mars 2014, Pi-Design e.a./Yoshida Metal Industry, C‑337/12 P à C‑340/12 P, non publié, EU:C:2014:129, point 57 et jurisprudence citée).

48

En l’espèce, en premier lieu, il importe de souligner que, au regard de sa représentation graphique, la marque contestée est constituée d’un signe figuratif et bidimensionnel. Lorsqu’il est analysé d’une manière abstraite, ce signe rappelle, par exemple, la forme d’une crosse de hockey inclinée, ainsi que le fait valoir la requérante, ou encore, la forme d’un « L » incliné.

49

Ainsi, d’abord, il est manifeste que, tel qu’il a été enregistré, le signe contesté ne représente ni la forme d’un pneu ni la forme d’une bande de roulement d’un pneu. Ensuite, il ne ressort pas de la représentation graphique qui constitue le signe contesté que ce signe est destiné à figurer sur un pneu ou sur la bande de roulement d’un pneu. Enfin, il ne ressort pas davantage de la représentation graphique du signe contesté qu’il s’agit d’une forme fonctionnelle qui remplit ou comporte une fonction technique. D’ailleurs, lors de son enregistrement, le signe contesté n’était accompagné d’aucune description additionnelle.

50

En deuxième lieu, il ressort de la jurisprudence mentionnée aux points 40 à 43 ci-dessus que, aux fins d’identifier les caractéristiques essentielles d’un signe bidimensionnel tel que le signe contesté, la chambre de recours peut effectuer un examen approfondi dans le cadre duquel sont pris en compte, outre la représentation graphique et les éventuelles descriptions déposées lors du dépôt de la demande d’enregistrement, les éléments utiles qui permettent d’apprécier ce que représente concrètement le signe en cause.

51

En l’espèce, la représentation graphique qui constitue le signe contesté ne fait apparaître aucun contour et ce signe n’est accompagné d’aucune description additionnelle. Par ailleurs, la requérante ne conteste pas que certains de ses modèles de pneus contiennent, sur leur surface de roulement, une rainure de la forme représentée par le signe contesté.

52

Ainsi, compte tenu de la jurisprudence mentionnée au points 40 à 43 ci-dessus, il ne peut être reproché à l’EUIPO d’avoir, dans le cadre de son appréciation du signe contesté au regard de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94, envisagé la nature du signe en cause dans le contexte des produits désignés par la marque contestée et d’avoir considéré que ce signe pouvait représenter une rainure semblable à celle qui figure sur les pneus que la requérante commercialise.

53

Cependant, la circonstance que certains des modèles de pneus de la requérante contiennent une rainure de la forme représentée par le signe contesté sur leur surface de roulement ne permet pas de conclure que le signe contesté représente un pneu ou l’intégralité d’une bande de roulement d’un pneu.

54

En effet, d’abord, il y a lieu de souligner qu’un pneu est un produit complexe qui se compose de plusieurs éléments, à savoir, notamment, une carcasse, des nappes, de la gomme, des flancs et une bande de roulement. Ensuite, et ainsi que cela ressort du dossier de l’EUIPO, une bande de roulement d’un pneu n’est pas uniquement composée d’une rainure isolée. Une bande de roulement d’un pneu se compose de multiples éléments, à savoir, notamment, des nervures, des rainures circonférentielles ou transversales et des blocs centraux ou d’épaulement sur lesquels figurent des lamelles. Enfin, les éléments de preuve présentés devant l’EUIPO montrent que la rainure représentée par le signe contesté ne figure pas de manière isolée sur les pneus de la requérante. Ladite rainure figure de manière répétitive et entrecroisée sur la bande de roulement au point de composer une forme qui montre des entrelacs et qui est différente de la forme de la rainure isolée initiale.

55

Ainsi, le signe contesté, y compris s’il est tenu compte du fait qu’il est la représentation bidimensionnelle d’une forme tridimensionnelle en raison de sa profondeur, n’est, ainsi que le soutient la requérante, qu’une partie très limitée, c’est-à-dire une rainure isolée, d’une autre partie, à savoir une bande de roulement, laquelle est composée de multiples éléments entrelacés. Cette bande de roulement est elle-même, une partie qui, avec d’autres parties, notamment les flancs, constitue les produits en cause couverts par la marque contestée, à savoir des pneumatiques, des gommes pleines, des semi-pneumatiques et des pneumatiques pour roues de véhicules en tout genre. Le signe contesté ne représente donc ni les produits en cause désignés par la marque contestée, ni la bande de roulement d’un pneu.

56

Certes, il ressort de la jurisprudence rappelée aux points 40 à 43 ci‑dessus que l’EUIPO peut prendre en compte toutes les informations utiles qui permettent d’apprécier les « différents types d’éléments qu’un signe peut comporter », ou encore, les « éléments constitutifs du signe ». L’EUIPO est donc en droit d’identifier ce que représente concrètement la forme en cause.

57

Toutefois, cette jurisprudence ne peut pas être interprétée en ce sens que l’EUIPO serait autorisé, afin de qualifier la forme que représente un signe contesté, à ajouter à cette forme des éléments qui ne sont pas constitutifs de ce signe et qui lui sont donc extérieurs ou étrangers. En d’autres termes, l’expertise et tous les éléments pertinents mentionnés dans ladite jurisprudence servent à déterminer ce que représente le signe concrètement. En revanche, l’expertise et tous les éléments pertinents ne permettent pas à l’EUIPO de définir le signe contesté en y incorporant des caractéristiques que ce signe ne comporte pas et ne couvre pas.

58

Dans la décision attaquée, la chambre de recours s’est écartée de la forme représentée par le signe contesté et a altéré ladite forme. En effet, même s’il est tenu compte de la circonstance, non discutée par la requérante, que certains de ses modèles de pneus contiennent une rainure de la forme représentée par ledit signe sur leur surface de roulement, la chambre de recours n’était pas en droit de s’affranchir du signe contesté afin de le qualifier de « représentation d’une bande de roulement d’un pneu ». En d’autres termes, la chambre de recours a, par l’ajout d’éléments qui ne sont pas constitutifs du signe contesté, à savoir sur le fondement de l’ensemble des éléments qui figurent sur une bande de roulement, considéré que ce dernier représentait la forme des produits en considération desquels il avait été enregistré.

59

Cette appréciation n’est pas remise en cause par l’argument, avancé par l’intervenante, selon lequel certaines pièces du dossier montreraient que la requérante a déjà, par le biais de son représentant, décrit et donc reconnu que la marque contestée était le « dessin d’une bande de roulement ».

60

En effet, d’une part, les pièces, invoquées par l’intervenante et dans lesquelles la requérante aurait prétendument reconnu que la marque contestée était le « dessin d’une bande de roulement », mentionnent ou montrent des signes différents de ladite marque. Plus précisément, il convient de souligner que, dans l’annexe 8 des observations de l’intervenante déposées devant l’EUIPO le 19 décembre 2013, la marque contestée est décrite comme une représentation d’une crosse (figura di mazza). Par ailleurs, en ce qui concerne les annexes 9 et 10 de ces mêmes observations, il y a lieu de relever que celles-ci montrent des signes différents de la marque contestée.

61

D’autre part, il convient de souligner que l’inscription d’une marque au registre des marques de l’Union européenne vise à permettre à la chambre de recours d’exercer ses compétences et à sauvegarder les intérêts des parties à un litige, mais vise aussi à informer les tiers de la nature exacte des droits enregistrés et donc à définir l’objet de la protection conférée [voir, en ce sens, arrêt du 21 juin 2017, M/S. Indeutsch International/EUIPO – Crafts Americana Group (Représentation de chevrons entre deux lignes parallèles), T‑20/16, EU:T:2017:410, point 46]. Or, il y a lieu de constater que, analysée objectivement et concrètement, la marque contestée ne représente pas le dessin d’une bande de roulement. Elle représente, tout au plus, une rainure isolée d’une bande de roulement.

62

En troisième lieu, la jurisprudence invoquée par les parties, et notamment par l’EUIPO et l’intervenante, ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle autoriserait la chambre de recours à qualifier le signe contesté de pneu ou de « représentation d’une bande de roulement ».

63

En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 10 novembre 2016, Simba Toys/EUIPO (C‑30/15 P, EU:C:2016:849), le juge de l’Union a été saisi d’un signe composé de la représentation tridimensionnelle des produits désignés par la marque contestée, à savoir des puzzles en trois dimensions. Par ailleurs, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516), le juge de l’Union a été saisi d’un signe composé de la représentation tridimensionnelle d’une brique des produits désignés par la marque contestée, à savoir des jeux de construction. En outre, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 18 juin 2002, Philips (C‑299/99, EU:C:2002:377) concernait un signe composé de la représentation tridimensionnelle des têtes de rasage des produits désignés par la marque contestée, à savoir des rasoirs électriques. Enfin, l’affaire ayant donné lieu aux arrêts du 6 mars 2014, Pi-Design e.a./Yoshida Metal Industry (C‑337/12 P à C‑340/12 P, non publié, EU:C:2014:129), et du 11 mai 2017, Yoshida Metal Industry/EUIPO (C‑421/15 P, EU:C:2017:360) portait sur un signe composé de la représentation bidimensionnelle d’un objet défini par ses contours, à savoir le manche des produits désignés par la marque contestée (ustensiles de cuisine tels qu’un couteau).

64

Par conséquent, les affaires mentionnées au point 63 ci-dessus concernaient des signes qui ne présentaient pas les mêmes caractéristiques que le signe contesté. La conclusion à laquelle le juge de l’Union est parvenu dans lesdites affaires n’est donc pas transposable à un signe, tel que celui qui est contesté en l’espèce, qui ne laisse pas apparaître le contour des produits désignés par la marque contestée et qui représente uniquement une infime partie d’une partie desdits produits.

65

D’ailleurs, il importe de relever que, dans les affaires mentionnées au point 63 ci-dessus, la forme représentée concrètement par le signe en cause a été définie par le juge de l’Union sur le fondement de caractéristiques, visibles ou invisibles, qui étaient « propres » au signe en cause ou « constitutives » de celui-ci, et non sur le fondement d’éléments que le signe ne comportait pas.

66

Il s’ensuit que la jurisprudence invoquée par les parties ne remet pas en cause l’appréciation effectuée au point 58 ci-dessus.

67

En quatrième lieu, force est de constater que l’appréciation de ce que représente concrètement le signe contesté est une démarche qui permet, dans un premier temps, d’identifier ses caractéristiques essentielles et, dans un second temps, d’apprécier l’éventuelle fonctionnalité desdites caractéristiques essentielles. Or, le seul fait que la chambre de recours inclue, dans son appréciation, des éléments qui ne sont pas constitutifs de la forme représentée concrètement par le signe contesté est susceptible de vicier la conclusion selon laquelle les conditions posées à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 sont réunies. Dès lors, l’intérêt général, qui sous-tend l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 et qui est rappelé au point 36 ci-dessus, n’autorise pas la chambre de recours à s’affranchir, dans le cadre de l’application de cette disposition spécifique, de la forme représentée par le signe contesté et à tenir compte d’éléments qui ne sont pas constitutifs de la forme représentée concrètement par ledit signe.

68

En cinquième lieu, l’EUIPO fait observer qu’une rainure n’est pas un produit, puisqu’elle ne forme pas un élément séparable d’un pneu. Il en déduit que le signe contesté a été enregistré pour des pneus qui sont des produits incorporant la rainure en forme de « L » en question et sur lesquels cette rainure exerce une fonction technique.

69

À cet égard, il est vrai que le champ d’application du motif absolu de refus prévu à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 n’est pas limité aux seuls signes constitués exclusivement par la forme d’« un produit » en tant que tel. En effet, ainsi que le soutient en substance l’EUIPO, l’intérêt général qui sous-tend cette disposition pourrait exiger que soient également refusés à l’enregistrement les signes constitués par la forme d’une partie d’un produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique. Tel serait le cas si cette forme représentait, sur le plan quantitatif et qualitatif, une partie significative dudit produit.

70

Toutefois, il importe de constater que, en l’espèce, le signe contesté représente une rainure isolée d’une bande de roulement d’un pneu. Ainsi, dans le contexte des produits en cause, le signe contesté ne représente pas une bande de roulement étant donné qu’il n’intègre pas les autres éléments d’une bande de roulement avec lesquels ledit signe compose des formes nombreuses, complexes et différentes de la forme de chacune des rainures et de chacun des éléments, pris isolément.

71

Par conséquent, le signe contesté n’est pas constitué exclusivement par la forme des produits en cause, ni par une forme qui, en elle-même, représente, sur le plan quantitatif et qualitatif, une partie significative desdits produits.

72

D’ailleurs, les preuves produites par l’intervenante et examinées par la chambre de recours n’établissent pas qu’une rainure isolée, d’une forme identique à celle représentée par le signe contesté, est susceptible de produire le résultat technique retenu dans la décision attaquée. En effet, ces preuves montrent que c’est la combinaison et l’interaction des différents éléments qui composent une bande de roulement et qui figurent de manière répétitive sur l’intégralité de cette dernière, au point de composer une forme différente de ces éléments pris isolément, qui sont éventuellement susceptibles de produire le résultat technique retenu dans la décision attaquée.

73

Il s’ensuit que l’enregistrement du signe contesté, dont la protection est limitée à la forme de ce qu’il représente, n’est pas susceptible d’empêcher les concurrents de la requérante de fabriquer et de commercialiser des pneus qui incorporent une forme identique ou une forme semblable à celle que représente ledit signe lorsque cette forme identique ou semblable est combinée à d’autres éléments d’une bande de roulement et compose, avec ces autres éléments, une forme différente de chacun des éléments, pris isolément. En effet, en tant que telle, la forme que représente le signe contesté ne figure pas nécessairement sur la bande de roulement d’un pneu de manière à permettre d’identifier ledit signe.

74

Dès lors, c’est à tort que la chambre de recours a considéré que le signe contesté représentait la bande de roulement d’un pneu et que ledit signe était constitué par la « forme du produit » au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94. Cette disposition ne pouvait donc pas être appliquée à la marque contestée et la déclaration de nullité de cette marque, effectuée dans la décision attaquée, repose sur un fondement juridique erroné.

75

Par conséquent, la première branche du troisième moyen invoqué par la requérante doit être accueillie sans qu’il soit besoin de prendre en considération les éléments de preuve mentionnés au point 12 ci-dessus et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur le deuxième moyen exposé au point 11 ci-dessus, ainsi que sur la seconde branche du troisième moyen invoqué par la requérante, tirée de ce que les caractéristiques essentielles du signe contesté n’ont pas toutes une fonctionnalité exclusive.

76

Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, la décision attaquée est annulée dans la mesure où, au point 2 du dispositif de cette décision, la chambre de recours a confirmé partiellement la décision de la division d’annulation mentionnée au point 6 ci-dessus et a déclaré la nullité de l’enregistrement de la marque contestée pour les « pneumatiques, gommes pleines, semi-pneumatiques et pneumatiques pour roues de véhicules en tout genre », sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1, sous a), du règlement no 40/94, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du même règlement. En outre, et par voie de conséquence, la décision attaquée est également annulée dans la mesure où, au point 3 du dispositif de cette décision, la chambre de recours a condamné la requérante, en qualité de partie ayant succombé devant l’EUIPO, à rembourser 1700 euros à l’intervenante.

Sur les dépens

77

Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

78

L’EUIPO ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.

79

La requérante n’ayant pas conclu à la condamnation de l’intervenante aux dépens, il suffit de décider que cette dernière supportera ses propres dépens.

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre élargie)

déclare et arrête :

 

1)

Les points 2 et 3 du dispositif de la décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 28 avril 2016 (affaire R 2583/2014-5) sont annulés.

 

2)

L’EUIPO supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par Pirelli Tyre SpA.

 

3)

The Yokohama Rubber Co. Ltd supportera ses propres dépens.

 

Tomljenović

Kancheva

Bieliūnas

Marcoulli

Kornezov

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 octobre 2018.

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.