ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

16 novembre 2017 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 12, paragraphes 1 et 2 – Article 135, paragraphe 1, sous j) – Opérations imposables – Exonération des livraisons de bâtiments – Notion de “première occupation” – Notion de “transformation” »

Dans l’affaire C‑308/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), par décision du 23 février 2016, parvenue à la Cour le 30 mai 2016, dans la procédure

Kozuba Premium Selection sp. z o.o.

contre

Dyrektor Izby Skarbowej w Warszawie,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de MM. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Rosas, Mmes C. Toader (rapporteur), A. Prechal et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par M. R. Lyal et Mme M. Owsiany-Hornung, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 juillet 2017,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 12, paragraphes 1 et 2, et de l’article 135, paragraphe 1, sous j), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après « la directive TVA »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Kozuba Premium Selection sp. z o.o. (ci-après « Kozuba ») au Dyrektor Izby Skarbowej w Warszawie (directeur de la chambre fiscale de Varsovie, Pologne, ci-après le « Directeur »), au sujet de la soumission à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) d’une opération de vente d’un bâtiment ayant été utilisé par son propriétaire pour ses propres besoins et ayant fait l’objet de travaux de modernisation avant cette vente.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Les considérants 7 et 35 de la directive TVA se lisent comme suit :

« (7)

Le système commun de TVA devrait, même si les taux et les exonérations ne sont pas complètement harmonisés, aboutir à une neutralité concurrentielle, en ce sens que sur le territoire de chaque État membre les biens et les services semblables supportent la même charge fiscale, quelle que soit la longueur du circuit de production et de distribution.

(35)

Il convient d’établir une liste commune d’exonérations en vue d’une perception comparable des ressources propres dans tous les États membres. »

4

La directive TVA dispose, à son article 2, paragraphe 1 :

« Sont soumises à la TVA les opérations suivantes :

a)

les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ;

[...] »

5

L’article 9, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

Est considérée comme “activité économique” toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. »

6

Aux termes de l’article 12, paragraphes 1 et 2, de ladite directive :

« 1.   Les États membres peuvent considérer comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, une opération relevant des activités visées à l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, et notamment une seule des opérations suivantes :

a)

la livraison d’un bâtiment ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant, effectuée avant sa première occupation ;

b)

la livraison d’un terrain à bâtir.

2.   Aux fins du paragraphe 1, point a), est considérée comme “bâtiment” toute construction incorporée au sol.

Les États membres peuvent définir les modalités d’application du critère visé au paragraphe 1, point a), aux transformations d’immeubles, ainsi que la notion de sol y attenant.

Les États membres peuvent appliquer d’autres critères que celui de la première occupation, tels que celui du délai écoulé entre la date d’achèvement de l’immeuble et celle de la première livraison, ou celui du délai écoulé entre la date de la première occupation et celle de la livraison ultérieure, pour autant que ces délais ne dépassent pas respectivement cinq et deux ans. »

7

Selon l’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA, est considéré comme « livraison de biens » le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.

8

L’article 135, paragraphe 1, de cette directive, figurant au chapitre 3 de celle-ci, intitulé « Exonérations en faveur d’autres activités », dispose :

« Les États membres exonèrent les opérations suivantes :

[...]

j)

les livraisons de bâtiments ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant autres que ceux visés à l’article 12, paragraphe 1, point a) ;

[...] »

Le droit polonais

9

L’article 2, point 14, de l’ustawa o podatku od towarów i usług (loi relative à la taxe sur les biens et les services), du 11 mars 2004 (Dz. U. no 54, position 535), telle que modifiée (ci-après la « loi relative à la TVA »), dispose ce qui suit :

« Aux fins des dispositions ci-après, on entend par :

[...]

“première occupation”, la mise en service, dans l’exercice d’opérations taxables, pour le premier acquéreur ou utilisateur d’un bâtiment, d’une construction ou d’une fraction de ceux-ci, après leur :

a)

construction ou

b)

amélioration, si les dépenses engagées pour l’amélioration, au sens des dispositions relatives à l’impôt sur le revenu, représentent au moins 30 % de la valeur initiale ;

[...] »

10

L’article 43, paragraphe 1, points 10 et 10a, et paragraphe 7a, de cette loi prévoit :

« 1.   Sont exonérées :

[...]

10.

les livraisons de bâtiments, de constructions ou d’une fraction de ceux-ci, sauf si :

a)

la livraison est effectuée dans le cadre de la première occupation ou avant celle-ci,

b)

une période de moins de deux ans s’est écoulée entre la première occupation et la livraison du bâtiment, de la construction ou de la fraction de ceux-ci ;

10a.

les livraisons de bâtiments, de constructions ou d’une fraction de ceux-ci exclues du bénéfice de l’exonération prévue au point 10 pour autant que :

a)

le fournisseur n’ait pas eu, pour ce qui est de la livraison des biens concernés, le droit à déduction de la taxe payée en amont,

b)

le fournisseur n’ait pas engagé de dépenses pour améliorer les biens livrés ouvrant droit à la déduction de la taxe payée en amont ou, s’il a supporté de telles dépenses, leur montant ait été inférieur à 30 % de la valeur initiale desdits biens ;

[...]

7a.   La condition énoncée au paragraphe 1, point 10a, sous b), n’est pas applicable si les bâtiments, les constructions ou la fraction de ceux-ci, une fois améliorés, ont été utilisés par l’assujetti pour effectuer des opérations taxables pendant une période d’au moins cinq ans. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

11

Le 17 septembre 2005, Poltrex sp. z o.o., établie en Pologne, dont la dénomination a été modifiée par la suite pour devenir Kozuba, a décidé d’augmenter son capital social. Le même jour, un associé a fait apport à la société d’un immeuble d’habitation situé dans la localité de Jabłonka (Pologne) (ci-après le « bâtiment en cause »), construit au cours de l’année 1992.

12

Au cours de l’année 2006, le bâtiment en cause a été aménagé aux fins de l’activité économique de Kozuba, cette dernière ayant consenti à cette fin des investissements à hauteur, environ, de 55 % de la valeur initiale de ce bien. Après l’achèvement des travaux, le bâtiment en cause a été inscrit, le 31 juillet 2007, comme immobilisation corporelle distincte au registre des immobilisations, sous la rubrique « maison d’exposition », sous laquelle il est demeuré jusqu’à la date de sa vente à un tiers, le 15 janvier 2009.

13

Dans la mesure où il s’agissait d’un bâtiment ancien, Kozuba a estimé que cette vente était exonérée de la TVA et elle n’a pas inscrit dans sa déclaration de TVA le bénéfice généré par cette vente pour le premier trimestre de l’année 2009.

14

Par décision du 12 avril 2013, le Dyrektor Urzędu Kontroli Skarbowej (directeur de l’inspection fiscale, Pologne), estimant que c’est sans fondement que Kozuba n’avait pas inclus, dans sa déclaration de TVA pour le premier trimestre de l’année 2009, le bénéfice généré par la vente du bâtiment en cause, a fixé le montant de l’imposition de Kozuba au titre de la TVA pour cette période en y ajoutant le montant de la vente de ce bâtiment.

15

Le 17 mai 2013, Kozuba a formé un recours contre cette décision devant le Directeur.

16

Par décision du 30 juillet 2013, celui-ci a confirmé la décision du directeur de l’inspection fiscale. À l’instar de ce dernier, le Directeur a en effet considéré que, si, à la suite des améliorations y apportées, le bâtiment en cause avait bien été affecté, du point de vue comptable, aux besoins propres de la société à compter du 31 juillet 2007, ladite affectation n’avait toutefois pas généré, dès cette date, des opérations taxables. Par conséquent, d’une part, la « première occupation » du bâtiment en cause, après les améliorations y apportées, devait être fixée non pas à la date du 31 juillet 2007, mais au 15 janvier 2009, cette dernière date correspondant à celle de la première opération taxable à laquelle le bâtiment en cause avait donné lieu depuis ces améliorations, à savoir sa vente et, d’autre part, Kozuba ne pouvait prétendre à l’exonération prévue à l’article 43, paragraphe 1, point 10, de la loi relative à la TVA, dès lors que cette vente avait été effectuée dans le cadre de la première occupation du bâtiment en cause.

17

Kozuba a introduit un recours contre cette décision du Directeur devant le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de voïvodie de Varsovie, Pologne), qui, par jugement du 22 mai 2014, a annulé cette décision pour des motifs d’ordre procédural. Néanmoins, cette juridiction a confirmé le bien-fondé du point de vue de l’administration fiscale.

18

Kozuba a formé un pourvoi contre ce jugement devant la juridiction de renvoi.

19

Dans sa décision de renvoi, celle-ci précise que la transposition de l’article 135, paragraphe 1, sous j), de la directive TVA en droit polonais soulève des doutes quant à la conformité avec la directive TVA de la notion de « première occupation », définie à l’article 2, point 14, de la loi relative à la TVA, et employée à l’article 43, paragraphe 1, point 10, de cette même loi.

20

À cet égard, ladite juridiction souligne qu’il est nécessaire de savoir si la notion de « première occupation » d’un bâtiment, au sens de l’article 12, paragraphe 1, de la directive TVA, doit être comprise en ce sens que la première occupation doit avoir lieu dans le cadre d’une opération taxable.

21

Cette juridiction éprouve également des doutes s’agissant de la condition figurant à l’article 2, point 14, de la loi relative à la TVA, selon laquelle, en cas d’amélioration d’un bâtiment, l’exonération de TVA n’est possible que si les dépenses occasionnées par ces travaux d’amélioration sont d’un montant inférieur à 30 % de la valeur initiale du bâtiment en question. Ainsi, la loi polonaise assimile toute amélioration quelconque d’un bâtiment générant une valeur ajoutée égale ou supérieure à ce seuil à une transformation au sens l’article 12, paragraphe 2, de la directive TVA susceptible de donner lieu à une « nouvelle première occupation », ce qui justifierait un nouvel assujettissement à la TVA.

22

Dans ces conditions, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Convient-il d’interpréter l’article 135, paragraphe 1, sous j), de la directive [2006/112] en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale (article 43, paragraphe 1, point 10, de la [loi relative à la TVA]) [...] qui exonère de la TVA les livraisons de bâtiments, de constructions, ou d’une fraction de ceux-ci, sauf lorsque :

a)

la livraison est effectuée dans le cadre de la première occupation ou avant celle-ci,

b)

une période de moins de deux ans s’est écoulée entre la première occupation et la livraison du bâtiment, de la construction ou de la fraction de ceux-ci,

étant entendu que l’article 2, point 14, de la loi relative à la TVA définit la “première occupation” comme la mise en service, dans l’exercice d’opérations taxables, pour le premier acquéreur ou utilisateur d’un bâtiment, d’une construction ou d’une fraction de ceux-ci, après leur :

a)

construction ou

b)

amélioration, si les dépenses engagées pour celle-ci, au sens des dispositions relatives à l’impôt sur le revenu, représentaient au moins 30 % de la valeur initiale ? »

Sur la question préjudicielle

23

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphes 1 et 2, et l’article 135, paragraphe 1, sous j), de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui subordonne l’exonération de TVA des livraisons de bâtiments à la double condition que l’opération ne concerne pas une livraison effectuée dans le cadre d’une première occupation s’étant produite dans l’exercice d’une opération taxable et que, en cas d’amélioration d’un bâtiment existant, les dépenses engagées à cette fin soient inférieures à 30 % de la valeur initiale de celui-ci.

24

Il convient d’emblée de rappeler que la directive TVA établit un système commun de TVA fondé, notamment, sur une définition uniforme des opérations taxables (arrêt du 11 mai 2017, Posnania Investment, C‑36/16, EU:C:2017:361, point 25 et jurisprudence citée).

25

Selon l’article 2, paragraphe 1, sous a), de cette directive, sont soumises à la TVA les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel.

26

En vertu de l’article 9, paragraphe 1, de ladite directive, est considéré comme « assujetti » quiconque exerce, de façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. Est en particulier considérée comme « activité économique » l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence.

27

Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 43 de ses conclusions, la directive TVA tient ainsi compte du caractère professionnel et habituel de l’exercice d’activités économiques comme critères généraux pour attribuer aux personnes exerçant ces activités la qualité d’assujetti à la TVA. Toutefois, ces critères sont aménagés en ce qui concerne les opérations immobilières, car, conformément à son article 12, paragraphe 1, sous a), la directive TVA autorise les États membres à considérer également comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, la livraison d’un bâtiment ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant, avant sa première occupation.

28

L’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA définit une « livraison de biens » comme étant le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.

29

Pour sa part, l’article 135, paragraphe 1, sous j), de la directive TVA prévoit une exonération de TVA au bénéfice des livraisons de bâtiments, autres que ceux visés à l’article 12, paragraphe 1, sous a), de celle-ci.

30

L’article 12, paragraphe 1, sous a), de cette directive se réfère à la livraison d’un bâtiment ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant, effectuée avant sa première occupation. Ainsi, ces dispositions, lues ensemble, opèrent une distinction entre le caractère ancien et le caractère nouveau d’un bâtiment, la vente d’un bien immeuble ancien n’étant, en principe, pas soumise à la TVA (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2012, J. J. Komen en Zonen Beheer Heerhugowaard, C‑326/11, EU:C:2012:461, point 21).

31

La ratio legis de ces dispositions est l’absence relative de valeur ajoutée générée par la vente d’un bâtiment ancien. En effet, bien qu’elle relève de la notion d’« activité économique », au sens de l’article 9 de la directive TVA, la vente d’un bâtiment consécutive à sa première livraison à un consommateur final, qui marque la fin du processus de production, ne génère pas une valeur ajoutée significative et doit dès lors, en principe, être exonérée (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2001,  Goed Wonen , C‑326/99, EU:C:2001:506, point 52).

32

L’article 12, paragraphe 2, de la directive TVA confirme également que c’est la valeur ajoutée qui détermine l’assujettissement de la livraison d’un bâtiment à la TVA, puisqu’il habilite les États membres à définir les modalités d’application du critère visé au paragraphe 1, sous a), de ce même article, à savoir celui de la « première occupation », aux transformations d’immeubles. De cette manière, la directive TVA ouvre la voie à la taxation des livraisons de bâtiments ayant fait l’objet d’une transformation, cette dernière opération conférant au bâtiment visé une valeur ajoutée, à l’instar de la construction initiale de celui-ci.

33

En l’espèce, le bâtiment en cause a été construit au cours de l’année 1992 et l’opération de vente de celui-ci dans le courant de l’année 2009, faisant l’objet du litige au principal, pouvait, en principe, être exonérée de la TVA. En revanche, ce bâtiment a fait l’objet d’une modernisation après avoir intégré le patrimoine de Kozuba, soulevant ainsi la possibilité de son assujettissement à la TVA, du fait que ces travaux de modernisation ont généré une valeur ajoutée.

34

La législation en cause au principal, à savoir l’article 2, point 14, de la loi relative à la TVA, définit la « première occupation » comme la mise en service, dans l’exercice d’opérations taxables, pour le premier acquéreur ou utilisateur d’un bâtiment, d’une construction ou d’une fraction de ceux-ci, après leur construction ou amélioration, si les dépenses engagées à cette fin représentent au moins 30 % de la valeur initiale.

35

Le législateur polonais a ainsi, d’une part, exclu de ladite exonération, par l’association de la notion de « première occupation » à l’exercice d’une opération taxable, les occupations qui ne sont pas à la source ou qui ne génèrent pas d’opérations taxables, avec pour conséquence que l’exonération prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous j), de la directive TVA n’est pas applicable à un transfert d’un bâtiment existant ayant fait l’objet, comme dans l’affaire au principal, d’une utilisation par son propriétaire pour ses propres besoins commerciaux, au motif que cette utilisation ne saurait être qualifiée de « première occupation » en l’absence d’une telle opération taxable. D’autre part, dans la mesure où il a étendu le critère de la « première occupation » aux transformations d’immeubles, il a fixé un critère quantitatif selon lequel les coûts d’une telle transformation doivent s’élever à un certain pourcentage de la valeur initiale du bâtiment concerné, à savoir, en l’occurrence au moins 30 % de celle-ci, pour entraîner l’assujettissement à la TVA de sa vente.

36

Dans ces circonstances, il convient d’examiner si l’article 12, paragraphes 1 et 2, et l’article 135, paragraphe 1, sous j), de la directive TVA s’opposent à une telle réglementation nationale.

37

S’agissant, premièrement, de la notion de « première occupation », il y a lieu d’observer que celle-ci figure à l’article 12 de la directive TVA, sans toutefois y être définie.

38

Selon une jurisprudence constante de la Cour, les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres doivent normalement trouver une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (voir, en ce sens, arrêt du 13 octobre 2016, Mikołajczyk, C‑294/15, EU:C:2016:772, point 44 et jurisprudence citée).

39

Il convient également de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, les termes employés pour désigner les exonérations visées à l’article 135, paragraphe 1, de la directive TVA sont d’interprétation stricte, étant donné que ces dernières constituent des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque livraison de biens et chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti (arrêt du 19 novembre 2009, Don Bosco Onroerend Goed, C‑461/08, EU:C:2009:722, point 25 et jurisprudence citée).

40

Toutefois, l’interprétation desdits termes doit être conforme aux objectifs poursuivis par lesdites exonérations et respecter les exigences du principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de TVA. Ainsi, cette règle d’interprétation stricte ne signifie pas que les termes utilisés pour définir les exonérations visées audit article doivent être interprétés d’une manière qui priverait ces exonérations de leurs effets (arrêt du 19 novembre 2009, Don Bosco Onroerend Goed, C‑461/08, EU:C:2009:722, point 25 et jurisprudence citée).

41

Ainsi qu’il ressort, tout d’abord, des travaux préparatoires de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1), lesquels demeurent pertinents aux fins de l’interprétation de la directive TVA, dans le contexte des exonérations prévues à l’article 135, paragraphe 1, sous j), de celle-ci, le critère de la « première occupation » d’un bâtiment doit être compris comme correspondant à celui de la première utilisation du bien par son propriétaire ou par son locataire. Il est précisé dans ces travaux préparatoires que ce critère a été retenu comme déterminant le moment où le produit est susceptible de sortir de la chaîne de production pour entrer dans le secteur de la consommation. Il ne résulte cependant pas de cette analyse historique que l’utilisation du bien par son propriétaire doit avoir lieu dans le cadre d’une opération taxable.

42

Ensuite, en ce qui concerne le contexte dans lequel s’inscrit cette disposition, il convient de constater que, ainsi que l’indique le considérant 7 de la directive TVA, le système commun de TVA devrait, même si les taux et les exonérations ne sont pas complètement harmonisés, aboutir à une neutralité concurrentielle, en ce sens que, sur le territoire de chaque État membre, les biens et les services semblables supportent la même charge fiscale, quelle que soit la longueur du circuit de production et de distribution. De surcroît, il ressort du considérant 35 de cette directive qu’il convient d’établir une liste commune d’exonérations en vue d’une perception comparable des ressources propres dans tous les États membres.

43

Il en résulte que le principe de neutralité fiscale, qui est la traduction par le législateur de l’Union, en matière de TVA, du principe général d’égalité de traitement (arrêts du 10 avril 2008, Marks & Spencer, C‑309/06, EU:C:2008:211, point 49, et du 14 juin 2017, Compass Contract Services, C‑38/16, EU:C:2017:454, point 21), s’oppose à ce que le système d’exonérations fiscales, tel que transposé dans les réglementations nationales, soit applicable différemment d’un État membre à l’autre.

44

Enfin, les exonérations de TVA ont pour but de permettre une perception comparable des ressources propres de l’Union dans l’ensemble des États membres. Il s’ensuit que, même si l’article 135, paragraphe 1, sous j), de la directive TVA, lu en combinaison avec l’article 12 de cette directive, auquel il se réfère, renvoie aux conditions d’exonération fixées par les États membres, les exonérations prévues par cette disposition doivent correspondre à des notions autonomes de droit de l’Union, afin de pouvoir déterminer l’assiette de la TVA de manière uniforme et selon des règles communes (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2001,  Goed Wonen , C‑326/99, EU:C:2001:506, point 47 et jurisprudence citée).

45

Il en résulte notamment que, si l’article 12, paragraphe 2, de la directive TVA habilite les États membres à définir les modalités d’application, aux transformations d’immeubles, du critère visé au paragraphe 1, sous a), de cet article, en ce qui concerne notamment la livraison d’un bâtiment effectuée avant sa première occupation, cette disposition ne saurait toutefois être interprétée en ce sens que les États membres bénéficient d’une marge leur permettant de modifier la notion même de « première occupation » dans leurs législations nationales, sous peine de mettre à mal l’effet utile de ladite exonération.

46

D’une analyse littérale de l’article 12 et de l’article 135, paragraphe 1, sous j), de la directive TVA, combinée à l’examen du contexte et des objectifs poursuivis par cette directive, il résulte ainsi que celle-ci ne confère pas aux États membres la faculté de conditionner ou de restreindre les exonérations qui y sont prévues.

47

Il s’ensuit que les États membres ne sont notamment pas autorisés à subordonner l’exonération de TVA en matière de livraisons de bâtiments postérieures à leur première occupation à la condition, non prévue par la directive TVA, que cette première occupation se soit produite dans le cadre d’une opération taxable.

48

S’agissant, deuxièmement, de la possibilité, pour les États membres, de définir, selon l’article 12, paragraphe 2, de la directive TVA, les modalités d’application du critère de la « première occupation » visé au paragraphe 1, sous a), de ce même article, aux transformations d’immeubles, il convient d’observer que l’imposition d’un critère quantitatif, selon lequel les coûts d’une telle transformation doivent s’élever à un certain pourcentage de la valeur initiale du bâtiment concerné, à savoir, en l’occurrence au moins 30 % de celle-ci, pour entraîner l’assujettissement à la TVA constitue une mise en œuvre de cette possibilité.

49

En l’espèce, il résulte de la décision de renvoi que le bâtiment en cause était un bien immeuble ayant fait l’objet d’un réaménagement dont le coût a dépassé 30 % de sa valeur initiale.

50

Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 69 de ses conclusions, il convient, par conséquent, de préciser le contenu de la notion de « transformation », figurant à l’article 12, paragraphe 2, de la directive TVA, d’un point de vue qualitatif.

51

À cet égard, il y a lieu de faire observer que la directive TVA ne définit pas la notion de « transformation ».

52

Si un tel terme n’est pas univoque, comme les différentes versions linguistiques, dont celles de « conversions » en langue anglaise, « Umbauten » en langue allemande, « transformări » en langue roumaine, et « przebudowa » en langue polonaise, le confirment, il suggère à tout le moins que le bâtiment concerné doit avoir subi des modifications substantielles destinées à en modifier l’usage ou à en changer considérablement les conditions d’occupation.

53

Cette interprétation de la notion de « transformation » est corroborée par la jurisprudence de la Cour selon laquelle est exonérée de la TVA une opération de livraison d’un bien immeuble composé d’un terrain et d’un bâtiment ancien en cours de transformation en un bâtiment nouveau, dès lors que, au moment de cette livraison, le bâtiment ancien n’avait subi que des travaux de démolition partielle et était, à tout le moins en partie, encore utilisé en tant que tel (arrêt du 12 juillet 2012, J. J. Komen en Zonen Beheer Heerhugowaard, C‑326/11, EU:C:2012:461, point 39).

54

Ainsi, la notion de « transformation » couvre notamment l’hypothèse dans laquelle des travaux complets ou suffisamment avancés ont été effectués et au terme desquels le bâtiment concerné sera destiné à être utilisé à d’autres fins.

55

L’interprétation de la notion de « transformation » figurant au point 52 du présent arrêt s’inscrit, par ailleurs, dans l’objectif de la directive TVA, notamment celui de la taxation d’une opération visant à augmenter la valeur du bien en cause. Pour les nouveaux bâtiments, comme l’a relevé, en substance, M. l’avocat général aux points 71 et 72 de ses conclusions, cette valeur ajoutée est issue d’un travail de construction, qui entraîne une modification substantielle de la réalité matérielle, du fait du passage d’un bien immeuble non bâti, voire d’un sol non viabilisé, à un bâtiment habitable. Pour les anciens bâtiments, ladite valeur ajoutée intervient lorsqu’une transformation substantielle a lieu, de sorte que le bâtiment ancien en cause peut être assimilé à un nouveau bâtiment.

56

En l’occurrence, il convient d’observer que la notion de « transformation » figurant à l’article 12, paragraphe 2, de la directive TVA, a été transposée en droit polonais à l’article 2, point 14, de la loi relative à la TVA, en ayant recours à celle d’« amélioration ».

57

Toutefois, à condition que ce dernier terme soit interprété par les juridictions nationales comme étant synonyme de celui de « transformation » au sens précisé au point 52 du présent arrêt, la différence terminologique ainsi relevée n’est pas de nature, à elle seule, à emporter une incompatibilité de la loi relative à la TVA avec la directive TVA .

58

En l’occurrence, les dépenses occasionnées par l’« amélioration » du bâtiment en cause se sont élevés à 55 % de sa valeur initiale. Bien qu’un tel pourcentage suggère a priori que les modifications apportées au bâtiment ont, de par leur ampleur, pu contribuer à en changer considérablement les conditions d’occupation, il revient toutefois au juge national d’apprécier, sur la base des éléments de preuves dont il dispose, dans quelle mesure l’« amélioration » en cause au principal a entraîné une modification substantielle de ce bâtiment, au sens précisé au point 52 du présent arrêt.

59

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 12, paragraphes 1 et 2, et l’article 135, paragraphe 1, sous j), de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui subordonne l’exonération de TVA en ce qui concerne les livraisons de bâtiments à la condition que la première occupation de ceux-ci se soit produite dans le cadre d’une opération taxable. Ces mêmes dispositions doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à ce qu’une telle réglementation nationale subordonne pareille exonération à la condition que, en cas d’« amélioration » d’un bâtiment existant, les dépenses engagées n’aient pas dépassé 30 % de la valeur initiale de celui-ci, pour autant que ladite notion d’« amélioration » soit interprétée de la même manière que celle de « transformation » figurant à l’article 12, paragraphe 2, de la directive TVA, à savoir en ce sens que le bâtiment concerné doit avoir subi des modifications substantielles destinées à en modifier l’usage ou à en changer considérablement les conditions d’occupation.

Sur les dépens

60

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

 

L’article 12, paragraphes 1 et 2, et l’article 135, paragraphe 1, sous j), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui subordonne l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée en ce qui concerne les livraisons de bâtiments à la condition que la première occupation de ceux-ci se soit produite dans le cadre d’une opération taxable. Ces mêmes dispositions doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à ce qu’une telle réglementation nationale subordonne pareille exonération à la condition que, en cas d’« amélioration » d’un bâtiment existant, les dépenses engagées n’aient pas dépassé 30 % de la valeur initiale de celui-ci, pour autant que ladite notion d’« amélioration » soit interprétée de la même manière que celle de « transformation » figurant à l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2006/112, à savoir en ce sens que le bâtiment concerné doit avoir subi des modifications substantielles destinées à en modifier l’usage ou à en changer considérablement les conditions d’occupation.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le polonais.