ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

20 juillet 2017 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Droit des sociétés – Directive 2004/25/CE – Offres publiques d’acquisition – Article 5, paragraphe 4, deuxième alinéa – Possibilité de modifier le prix de l’offre dans des circonstances et selon des critères clairement déterminés – Réglementation nationale prévoyant la possibilité pour l’autorité de contrôle d’augmenter le prix d’une offre publique d’acquisition en cas de collusion entre l’offrant ou les personnes agissant de concert avec lui et un ou plusieurs vendeurs »

Dans l’affaire C‑206/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), par décision du 10 novembre 2015, parvenue à la Cour le 13 avril 2016, dans la procédure

Marco Tronchetti Provera SpA,

Antares European Fund Limited,

Antares European Fund II Limited,

Antares European Fund LP,

Luca Orsini Baroni,

UniCredit SpA,

Camfin SpA

contre

Commissione Nazionale per le Società e la Borsa (Consob),

en présence de :

Camfin SpA,

Generali Assicurazioni Generali SpA,

Antares European Fund Limited,

Antares European Fund II Limited,

Antares European Fund LP,

Luca Orsini Baroni,

Marco Tronchetti Provera & C. SpA,

UniCredit SpA,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. M. Vilaras (rapporteur), J. Malenovský, M. Safjan et D. Šváby, juges,

avocat général : M. N. Wahl,

greffier : M. R. Schiano, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er février 2017,

considérant les observations présentées :

pour Camfin SpA, par Mes A. Zoppini, G. M. Roberti et I. Perego, avvocati,

pour la Commissione Nazionale per le Società e la Borsa (Consob), par Mes G. Randisi, S. Lopatriello, S. Providenti et A. Atripaldi, avvocati,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de MM. P. Gentili et S. Fiorentino, avvocati dello Stato,

pour la Commission européenne, par MM. V. Di Bucci et H. Støvlbæk, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 mars 2017,

rend le présent

Arrêt

1

La demande préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les offres publiques d’acquisition (JO 2004, L 142, p. 12).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre de quatre litiges opposant plusieurs sociétés commerciales italiennes à la Commissione Nazionale per le Società e la Borsa (Consob) (commission nationale pour les sociétés et la Bourse, Italie), au sujet de la légalité d’une décision de cette dernière de modifier à la hausse le prix d’une offre publique d’acquisition (OPA).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Aux termes des considérants 1 à 3 et 9 de la directive 2004/25 :

« (1)

Conformément à l’article [50], paragraphe 2, [sous] g), du [traité FUE], il est nécessaire de coordonner, en vue de les rendre équivalentes dans toute [l’Union européenne], certaines garanties que les États membres exigent, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers, des sociétés relevant du droit d’un État membre et dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé d’un État membre.

(2)

Il est nécessaire de protéger les intérêts des détenteurs de titres de sociétés relevant du droit d’un État membre lorsque ces sociétés font l’objet d’offres publiques d’acquisition ou de changements de contrôle et qu’une partie au moins de leurs titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé d’un État membre.

(3)

Il est nécessaire d’assurer, à l’échelle de [l’Union], la clarté et la transparence en ce qui concerne les questions juridiques à régler en cas d’offres publiques d’acquisition et d’empêcher que les plans de restructuration d’entreprises dans [l’Union] soient faussés du fait de différences arbitraires dans les cultures d’administration et de gestion.

[...]

(9)

Il convient que les États membres prennent les mesures nécessaires pour la protection des détenteurs de titres, et en particulier ceux possédant des participations minoritaires, lorsque le contrôle de leurs sociétés a été pris. Il convient que les États membres assurent cette protection en imposant à l’acquéreur qui a pris le contrôle d’une société l’obligation de lancer une offre proposant à tous les détenteurs de titres de cette société d’acquérir la totalité de leurs participations à un prix équitable conformément à une définition commune. Les États membres devraient pouvoir créer d’autres instruments visant à protéger les intérêts des détenteurs de titres, comme l’obligation de lancer une offre partielle lorsque l’offrant n’acquiert pas le contrôle de la société ou l’obligation d’annoncer une offre simultanément à la prise de contrôle de la société. »

4

L’article 3 de cette directive, intitulé « Principes généraux », dispose :

« 1.   Aux fins de l’application de la présente directive, les États membres veillent à ce que les principes suivants soient respectés :

a)

tous les détenteurs de titres de la société visée qui appartiennent à la même catégorie doivent bénéficier d’un traitement équivalent ; en outre, si une personne acquiert le contrôle d’une société, les autres détenteurs de titres doivent être protégés ;

b)

les détenteurs de titres de la société visée doivent disposer de suffisamment de temps et d’informations pour être à même de prendre une décision sur l’offre en toute connaissance de cause ; lorsqu’il conseille les détenteurs de titres, l’organe d’administration ou de direction de la société visée doit présenter son avis relatif aux répercussions de la mise en œuvre de l’offre sur l’emploi, les conditions d’emploi et les sites d’activité de la société ;

c)

l’organe d’administration ou de direction de la société visée doit agir dans l’intérêt de la société dans son ensemble et ne peut pas refuser aux détenteurs de titres la possibilité de décider des mérites de l’offre ;

d)

il ne doit pas se créer de marchés faussés pour les titres de la société visée, de la société offrante ou de toute autre société concernée par l’offre de sorte que la hausse ou la baisse des cours des titres devienne artificielle et que le fonctionnement normal des marchés soit perturbé ;

e)

un offrant ne doit annoncer une offre qu’après s’être assuré qu’il peut fournir entièrement la contrepartie en espèces, si une telle contrepartie a été offerte, et après avoir pris toutes les mesures raisonnables pour assurer la fourniture de tout autre type de contrepartie ;

f)

la société visée ne doit pas être gênée au-delà d’un délai raisonnable dans ses activités en raison d’une offre concernant ses titres.

2.   Aux fins d’assurer le respect des principes prévus au paragraphe 1, les États membres :

a)

veillent à ce que soient respectées les exigences minimales énoncées dans la présente directive ;

b)

peuvent prévoir des conditions supplémentaires et des dispositions plus strictes que celles qui sont prévues par la présente directive pour réglementer les offres. »

5

L’article 5 de ladite directive, intitulé « Protection des actionnaires minoritaires, offre obligatoire et prix équitable », prévoit, à ses paragraphes 1 à 4 :

« 1.   Lorsqu’une personne physique ou morale détient, à la suite d’une acquisition faite par elle-même ou par des personnes agissant de concert avec elle, des titres d’une société au sens de l’article 1er, paragraphe 1, qui, additionnés à toutes les participations en ces titres qu’elle détient déjà et à celles des personnes agissant de concert avec elle, lui confèrent directement ou indirectement un pourcentage déterminé de droits de vote dans cette société lui donnant le contrôle de cette société, les États membres veillent à ce que cette personne soit obligée de faire une offre en vue de protéger les actionnaires minoritaires de cette société. Cette offre est adressée dans les plus brefs délais à tous les détenteurs de ces titres et porte sur la totalité de leurs participations, au prix équitable défini au paragraphe 4.

2.   L’obligation de lancer une offre prévue au paragraphe 1 n’est plus applicable lorsque le contrôle a été acquis à la suite d’une offre volontaire faite conformément à la présente directive à tous les détenteurs de titres pour la totalité de leurs participations.

3.   Le pourcentage de droits de vote conférant le contrôle aux fins du paragraphe 1 et son mode de calcul sont fixés par la réglementation de l’État membre dans lequel la société a son siège social.

4.   Est considéré comme le prix équitable le prix le plus élevé payé pour les mêmes titres par l’offrant, ou par des personnes agissant de concert avec lui, pendant une période, déterminée par les États membres, de six mois au minimum à douze mois au maximum précédant l’offre visée au paragraphe 1. Si, après publication de l’offre et avant expiration de la période d’acceptation de celle-ci, l’offrant ou toute personne agissant de concert avec lui acquiert des titres à un prix supérieur au prix de l’offre, l’offrant porte son offre à un prix au moins égal au prix le plus élevé payé pour les titres ainsi acquis.

Sous réserve du respect des principes généraux énoncés à l’article 3, paragraphe 1, les États membres peuvent autoriser leurs autorités de contrôle à modifier le prix prévu au premier alinéa dans des circonstances et selon des critères clairement déterminés. À cette fin, ils peuvent dresser une liste de circonstances dans lesquelles le prix le plus élevé peut être modifié, vers le haut ou vers le bas, par exemple si le prix le plus élevé a été fixé par accord entre l’acheteur et un vendeur, si les prix de marché des titres en cause ont été manipulés, si les prix de marché en général ou certains prix de marché en particulier ont été affectés par des événements exceptionnels, ou pour permettre le sauvetage d’une entreprise en détresse. Ils peuvent également définir les critères à utiliser dans ces cas, par exemple la valeur moyenne de marché sur une certaine période, la valeur de liquidation de la société ou d’autres critères objectifs d’évaluation généralement utilisés en analyse financière.

Toute décision des autorités de contrôle qui modifie le prix équitable doit être motivée et rendue publique. »

Le droit italien

6

L’article 106 du decreto legislativo n. 58 – Testo unico delle disposizioni in materia di intermediazione finanziaria, ai sensi degli articoli 8 e 21 della legge 6 febbraio 1996, n. 52 (décret législatif no 58 – texte unique des dispositions en matière d’intermédiation financière, au sens des articles 8 et 21 de la loi no 52, du 6 février 1996), du 24 février 1998 (supplément ordinaire à la GURI no 71, du 26 mars 1998), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après le « TUF »), intitulé « Offre publique d’acquisition de la totalité des actions », dispose :

« 1.   Toute personne qui, à la suite d’acquisitions, détient une participation supérieure au seuil de trente pour cent, lance une offre publique d’acquisition adressée à tous les détenteurs de titres portant sur la totalité de leurs titres admis à la négociation sur un marché réglementé.

2.   Pour chaque catégorie de titres, l’offre est lancée dans un délai de vingt jours à un prix non inférieur au prix le plus élevé payé par l’offrant et les personnes qui agissent de concert avec lui, au cours des douze mois précédant la communication prévue à l’article 102, [premier alinéa], aux fins des achats de titres de la même catégorie. Si aucun achat à titre onéreux de titres de la même catégorie n’est intervenu pendant la période indiquée, l’offre est lancée pour cette catégorie de titres, à un prix qui n’est pas inférieur au taux moyen pondéré de marché au cours des douze derniers mois ou de la période inférieure disponible.

[...]

3.   La Consob régit par règlement les hypothèses dans lesquelles :

a)

la participation visée [au premier alinéa] est acquise par l’achat de participations dans des sociétés dont le capital est majoritairement constitué de titres émis par une autre société, conformément aux dispositions de l’article 105, paragraphe 1 ;

b)

l’obligation d’offre découle d’achats supérieurs à 5 % par ceux détenant déjà la participation visée au paragraphe 1, sans détention de la majorité des droits de vote à l’assemblée ordinaire ;

c)

l’offre, après l’adoption d’une décision motivée de Consob, est lancée à un prix inférieur au prix le plus élevé déjà payé, en fixant les critères pour déterminer ledit prix et à condition que soit satisfaite l’une des situations suivantes :

1)

les prix de marché ont été influencés par des événements extraordinaires, ou lorsqu’il y a de bonnes raisons de croire qu’ils ont fait l’objet de manipulations ;

2)

le prix le plus élevé payé par l’offrant ou par des personnes agissant de concert avec lui au cours de la période visée au paragraphe 2 correspond au prix d’opérations d’achat/vente sur les titres qui font l’objet de l’offre, effectuées aux conditions du marché et dans le cadre de la gestion courante de son activité caractéristique ou correspond au prix d’opérations d’achat/vente qui auraient bénéficié de l’une des exonérations visées au paragraphe 5 ;

d)

l’offre, après l’adoption d’une décision motivée de la Consob, est lancée à un prix supérieur à celui le plus élevé payé, à condition que cela soit nécessaire aux fins de la protection des investisseurs et qu’au moins une des circonstances suivantes soit satisfaites :

1)

l’offrant ou les personnes agissant de concert avec lui ont fixé un prix en vue de l’acquisition de titres à un montant supérieur à celui payé pour l’acquisition de titres de la même catégorie ;

2)

il y a eu collusion entre l’offrant ou les personnes qui agissent de concert avec celui-ci et un ou plusieurs vendeurs ;

3)

[...]

4)

lorsqu’il y a lieu de soupçonner que les prix de marché ont fait l’objet de manipulations.

3-bis.   La Consob, compte tenu des caractéristiques des instruments financiers émis, peut établir, par voie de règlement, les hypothèses dans lesquelles l’obligation d’offre résulte d’acquisitions qui entraînent la détention conjointe de titres et d’autres instruments financiers conférant un droit de vote sur les thèmes visés à l’article 105, dans une mesure susceptible de conférer un pouvoir total de vote équivalant à celle de quiconque détient la participation indiquée au paragraphe 1.

3-ter.   Les mesures prévues [sous] c) et d) du paragraphe 3 sont publiées selon les modalités indiquées dans le règlement visé à l’article 103, alinéa 4, [sous] f).

[...] »

7

Par la décision no 11971 du 14 mai 1999, la Consob a adopté le regolamento di attuazione del decreto legislativo 24 febbraio 1998, n. 58, concernente la disciplina degli emittenti (règlement d’application du décret législatif no 58, du 24 février 1998, portant réglementation sur les émetteurs), qui a été modifié par la suite à plusieurs reprises (ci-après le « règlement émetteurs »). L’article 47 octies de ce règlement, intitulé « Augmentation du prix en cas de collusion », énonce, à son paragraphe 1 :

« Le prix de l’offre est modifié à la hausse par la Consob, conformément à l’article 106, paragraphe 3, [sous] d), point 2), [du TUF], lorsqu’un prix plus élevé que celui déclaré par l’offrant découle de la collusion constatée entre l’offrant ou les personnes agissant de concert avec celui-ci et un ou plusieurs vendeurs. Dans ce cas, le prix de l’offre est égal à celui constaté. »

Les litiges au principal et la question préjudicielle

8

Marco Tronchetti Provera & C. SpA (ci-après « MTP ») a constitué, par sociétés interposées, Lauro Sessantuno SpA (ci-après « Lauro 61 ») dans le but d’acquérir la majorité des actions de Camfin SpA, holding de participations qui n’effectue directement aucune activité industrielle, mais tire ses résultats des entreprises dont elle détient le capital. Au nombre de ces entreprises figure Pirelli & C. SpA (ci-après « Pirelli »), que Camfin détient à hauteur de 26,19 % des droits de vote.

9

Le 5 juin 2013, Lauro 61 a communiqué au marché une OPA de la totalité des actions ordinaires de Camfin à un prix de 0,80 euro par action, s’agissant du prix le plus élevé payé au cours des douze derniers mois conformément à l’article 106, paragraphe 2, du TUF. L’OPA avait été rendue obligatoire en raison de la détention par Lauro 61 d’une participation de 60,99 % du capital social de Camfin, à la suite de l’acquisition de plusieurs participations directes d’autres actionnaires de Camfin, dont Malacalza Investimenti Srl (ci-après « MCI »).

10

Parallèlement à l’OPA, Lauro 61 a communiqué au marché la dissolution d’accords existant entre MTP et MCI concernant notamment Camfin. Pour sa part, MCI a communiqué au marché avoir vendu ses actions dans cette dernière société et avoir procédé à une opération distincte, à savoir l’acquisition d’une participation de 6,98 % du capital social de Pirelli auprès de deux sociétés, qui, avec Camfin et d’autres actionnaires importants de celle-ci, étaient signataires d’une convention de blocage (ci-après le « pacte Pirelli »), les cédants ayant été autorisés par ce pacte à en dégager tout ou partie de leurs actions bloquées.

11

Le 11 octobre 2013, l’OPA s’est achevée avec succès, Lauro 61 devenant titulaire de la totalité du capital social de Camfin.

12

Entretemps, le 12 septembre 2013, la Consob, saisie par des actionnaires minoritaires de Camfin, avait lancé une procédure d’augmentation du prix, fondée notamment sur l’article 106, paragraphe 3, sous d), point 2, du TUF et sur l’article 47 octies du règlement émetteurs.

13

Par une décision no 18662, du 25 septembre 2013, la Consob a considéré qu’il existait entre, d’une part, Lauro 61 et d’autres personnes agissant de concert avec elle, et, d’autre part, MCI, une collusion par laquelle MCI avait vendu à Lauro 61 des actions de Camfin au prix de 0,80 euro par action et, en contrepartie, avait acquis des actions de Pirelli auprès de signataires du pacte Pirelli au prix de 7,80 euros par action, prix inférieur à celui qui aurait résulté de la valeur de marché de 8 euros par action. Eu égard à l’avantage ainsi perçu par MCI, la Consob a considéré que le prix d’une action de Camfin devait être porté à 0,83 euro (ci-après la « décision no 18662 »).

14

Le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie) a été saisi de plusieurs recours tendant à l’annulation de la décision no 18662. Dans le cadre de certains recours, il était soutenu que l’article 106, paragraphe 3, sous d), point 2, du TUF et l’article 47 octies du règlement émetteurs n’étaient pas applicables, au motif qu’ils étaient contraires à l’article 5, paragraphe 4, de la directive 2004/25.

15

Le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium) a rejeté les différents recours. Selon lui, la constatation de l’existence d’un accord collusoire constituait seulement la condition de fait pour que la Consob exerce son pouvoir de modification du prix, dont la finalité était exclusivement de rétablir une situation d’équité pour protéger les actionnaires minoritaires de Camfin, en leur permettant d’obtenir le même avantage que celui obtenu par le détenteur d’une participation de contrôle importante. Il a également estimé que les conditions pour poser une question préjudicielle à la Cour n’étaient pas remplies, la réglementation de l’Union ne suscitant aucun doute sur la réponse à apporter.

16

S’agissant du bien-fondé de la décision no 18662, cette juridiction a considéré qu’il n’était pas nécessaire que la Consob démontre que le comportement des parties était volontairement destiné à éluder la réglementation en matière d’OPA, mais seulement qu’il était objectivement propre à entraîner cet effet en raison de l’attribution à MCI d’une contrepartie plus importante que celle déclarée aux fins de l’OPA, à savoir l’acquisition des actions Pirelli à un prix réduit. Dans son analyse globale des intérêts des différents opérateurs impliqués, elle a considéré que l’accord avec MCI constituait un objectif poursuivi par les signataires du pacte Pirelli qui réalisaient l’opération d’acquisition de Camfin, mais également par tous les autres signataires du pacte, qui étaient des personnes objectivement intéressées par la conclusion d’un accord global entre MTP et MCI.

17

Les sociétés déboutées en première instance ont fait appel des jugements qui les concernaient devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie).

18

La juridiction de renvoi rappelle tout d’abord la raison d’être des dispositions relatives à la détermination du prix de l’OPA obligatoire et expose les considérations principales des jugements de première instance. Ensuite, elle présente la substance des arguments des requérantes au principal, selon lesquels l’absence d’obligation de constater l’existence de l’élément volontaire de la collusion chez tous les participants à celle-ci confère à l’autorité de contrôle une marge d’appréciation illimitée dans l’évaluation des comportements de l’offrant et du vendeur ainsi que des tiers opérant sur le marché. Selon elles, une telle marge serait incompatible avec l’exigence de sécurité dans la définition ex ante des comportements pertinents aux fins de l’augmentation du prix de l’OPA.

19

La juridiction de renvoi relève qu’il existe, dans différents domaines du droit italien, des dispositions qui qualifient certains comportements de collusion et dans lesquels cette notion a le sens d’« accord clandestin et frauduleux au détriment de tiers, et éludant des dispositions législatives impératives », ce qui suppose l’existence d’un élément volontaire intentionnel de tous les participants à l’accord. Or, si l’on appliquait cette notion, telle quelle, au domaine juridique en cause au principal, il conviendrait d’accueillir les moyens d’appel, puisque les sociétés ayant cédé leurs participations dans Pirelli à MCI sont étrangères à tout accord clandestin et frauduleux.

20

Toutefois, la juridiction de renvoi relève la spécificité du domaine juridique en cause au principal, qui tient à la nature réglementaire et non répressive du pouvoir de modification attribué à la Consob et qui pourrait faire obstacle à une transposition pure et simple, dans ce domaine juridique, de la signification de la notion de « collusion » telle qu’elle existe dans les autres domaines du droit italien. Elle souligne au demeurant que, dans le droit de la concurrence et de la réglementation connexe des marchés, la notion d’« accord interdit » peut également être déduite de comportements apparemment autonomes des opérateurs dans le cas où ces comportements conduisent objectivement à l’effet prohibé par la loi. Il en résulterait que, comme le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium) l’a jugé, aux fins de constater la collusion, il n’est pas nécessaire que l’autorité démontre que le comportement des parties a eu pour objet d’éluder la réglementation en matière d’OPA.

21

À l’instar des parties au principal, la juridiction de renvoi s’interroge, néanmoins, sur le point de savoir si, en raison de son caractère indéterminé, la notion de « collusion », telle que retenue dans le TUF et le règlement émetteurs, est en contradiction avec le principe de certitude des conditions du pouvoir de modification du prix de l’OPA par les autorités nationales, prévu à l’article 5, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2004/25. Elle note que les opérateurs de marché d’une société cotée ne pourraient pas effectuer une évaluation préalable des comportements à adopter avant une OPA, ce qui aurait pour conséquence que des comportements neutres et licites sur la base d’une évaluation ex ante pourraient être qualifiés ex post, sur la base d’une requalification axée exclusivement sur les effets objectifs d’une situation plus complexe, inconnue des opérateurs et des personnes impliquées, de comportements collusoires justifiant une augmentation du prix de l’OPA.

22

Dans ces conditions, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 5, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2004/25, eu égard aux principes généraux prévus à l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, ainsi qu’à la bonne application des principes généraux du droit européen de la sécurité juridique, de protection de la confiance légitime, de proportionnalité, de raison, de transparence et de non-discrimination, s’oppose-t-il à une réglementation nationale telle que l’article 106, paragraphe 3, sous d), point 2, du TUF et l’article 47 octies du règlement émetteurs, dans la mesure où ces dispositions permettent à la Consob d’augmenter le prix de l’OPA, prévue à l’article 106 susmentionné, lorsqu’est remplie la condition selon laquelle “il y a eu collusion entre l’offrant ou les personnes qui agissent de concert avec ce dernier et un ou plusieurs vendeurs”, sans préciser les comportements spécifiques qui constituent cette notion de collusion et donc sans déterminer clairement les circonstances et critères en présence desquels la Consob est autorisée à augmenter le prix de l’OPA ? »

Sur la question préjudicielle

23

Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2004/25 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet à l’autorité nationale de contrôle d’augmenter le prix d’une OPA en cas de collusion, sans préciser les comportements spécifiques qui caractérisent cette notion.

24

Ainsi qu’il ressort de ses considérants 1 à 3 et 9, la directive 2004/25 a pour objectif de protéger les intérêts des détenteurs de titres de sociétés dont le contrôle a été pris par une personne physique ou morale et vise, dans cette perspective, à assurer la clarté et la transparence des règles en matière d’OPA.

25

À cet effet, conformément à son article 1er, paragraphe 1, cette directive prévoit des mesures de coordination des droits des États membres concernant les OPA de titres de sociétés relevant du droit d’un de ces États, lorsque tout ou partie de ces titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé.

26

L’article 3, paragraphe 1, de ladite directive fixe, en les qualifiant de principes généraux, les principes directeurs qui doivent être respectés dans l’application de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2009, Audiolux e.a., C‑101/08, EU:C:2009:626, point 51). Parmi ces principes figure celui selon lequel, lorsqu’une personne acquiert le contrôle d’une société, les détenteurs de titres doivent être protégés.

27

Aux fins d’assurer le respect desdits principes, l’article 3, paragraphe 2, sous a) et b), de la directive 2004/25 dispose que les États membres, d’une part, veillent à ce que les exigences minimales énoncées par cette directive soient respectées et, d’autre part, peuvent prévoir des conditions supplémentaires et des dispositions plus strictes que celles qui sont prévues par ladite directive pour réglementer les offres.

28

Sous l’intitulé « Protection des actionnaires minoritaires, offre obligatoire et prix équitable », l’article 5 de cette même directive prévoit, afin de protéger les intérêts des détenteurs de titres de sociétés, essentiellement deux règles s’imposant aux États membres et une autre qu’ils peuvent choisir d’appliquer.

29

Tout d’abord, l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2004/25 fixe le principe de l’offre obligatoire d’acquisition des titres de participation d’une société donnée. Il prévoit ainsi que, lorsqu’une personne physique ou morale détient, à la suite d’une acquisition faite par elle-même ou par des personnes agissant de concert avec elle, des titres d’une société entrant dans le champ d’application de cette directive, qui, additionnés à toutes les participations qu’elle et les personnes agissant de concert avec elle détiennent déjà, lui confèrent directement ou indirectement un pourcentage déterminé de droits de vote dans cette société lui donnant le contrôle de celle-ci, les États membres veillent à ce que cette personne soit obligée de faire une offre en vue de protéger les actionnaires minoritaires de cette société, cette offre devant porter sur la totalité des participations de ces actionnaires au prix équitable défini à l’article 5, paragraphe 4, de ladite directive.

30

Ensuite, afin également d’assurer la protection des actionnaires minoritaires de la société visée par l’OPA, l’article 5, paragraphe 4, premier alinéa, de la directive 2004/25 considère, à titre principal, comme étant le prix équitable le prix le plus élevé payé pour les mêmes titres par l’offrant, ou par les personnes agissant de concert avec lui, pendant une période déterminée par les États membres, de six mois au minimum à douze mois au maximum précédant l’offre visée à l’article 5, paragraphe 1, de cette directive.

31

Enfin, l’article 5, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2004/25 prévoit que, sous réserve du respect des principes énoncés à l’article 3, paragraphe 1, les États membres peuvent autoriser leurs autorités de contrôle, visées à l’article 4 de cette directive, à modifier le prix équitable dans des circonstances et selon des critères déterminés. À cette fin, les États membres peuvent, d’une part, dresser une liste de circonstances dans lesquelles ce prix équitable peut être modifié, vers le haut ou vers le bas, et, d’autre part, définir les critères à utiliser dans ces cas, étant précisé que ces circonstances et critères doivent être clairement déterminés. Des exemples de telles circonstances et de tels critères sont mentionnés à l’article 5, paragraphe 4, deuxième alinéa, de ladite directive.

32

Il ressort de ces dispositions que, lorsqu’un État membre a décidé d’autoriser l’autorité de contrôle à modifier le prix équitable, défini à l’article 5, paragraphe 4, premier alinéa, de la directive 2004/25, afin de fixer le prix auquel une OPA doit avoir lieu, ce pouvoir de modification doit être exercé dans le respect des principes directeurs visés à l’article 3, paragraphe 1, de cette directive.

33

À cet égard, lorsqu’il fixe, conformément à l’article 5, paragraphe 4, deuxième alinéa, de ladite directive, les circonstances déterminées dans lesquelles ledit pouvoir de modification peut être exercé, l’État membre doit tenir tout particulièrement compte du principe de protection des intérêts des détenteurs de titres de la société dont le contrôle a été pris par une personne physique ou morale, énoncé audit article 3, paragraphe 1.

34

C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient de répondre à la question préjudicielle.

35

Il ressort de la demande de décision préjudicielle que la portée de la question est double. D’une part, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si un concept juridique abstrait ne renvoyant pas à des comportements précisément identifiés peut constituer une circonstance clairement déterminée au sens de l’article 5, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2004/25. D’autre part, elle s’interroge sur le point de savoir si la circonstance que ce même concept revêt une signification différente dans d’autres domaines du droit national que la réglementation en cause au principal est susceptible d’avoir une incidence sur la réponse qu’il convient de donner à la première question.

36

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que la réglementation en cause au principal retient la « collusion entre l’offrant ou les personnes qui agissent de concert avec celui-ci et un ou plusieurs vendeurs » comme étant l’une des circonstances déterminées dans lesquelles l’autorité de contrôle peut modifier vers le haut le prix équitable d’une OPA.

37

En premier lieu, il convient de constater que l’article 5, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2004/25 confère aux États membres une marge d’appréciation pour définir les circonstances dans lesquelles leurs autorités de contrôle peuvent modifier le prix équitable, à la condition, cependant, que ces circonstances soient clairement déterminées.

38

Cette disposition indique que les États membres peuvent dresser une liste de telles circonstances et mentionne, à cet effet, plusieurs exemples qui renvoient à des formulations générales pour illustrer les circonstances susceptibles de justifier une modification à la hausse ou à la baisse du prix équitable, telles qu’un accord entre acheteur et vendeur, des évènements exceptionnels ou une manipulation du prix des titres en cause.

39

Dans un tel contexte, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général aux points 52 et 53 de ses conclusions, l’article 5, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2004/25 ne peut être interprété comme s’opposant à ce qu’un État membre ait recours, dans la réglementation qu’il adopte aux fins de transposer cette disposition, à une notion juridique abstraite, telle que, en l’occurrence, celle de « collusion », comme circonstance clairement déterminée au sens de ladite disposition.

40

Au demeurant, en soi, le recours à une notion juridique abstraite ne saurait signifier que la norme nationale la comprenant souffrirait d’une telle ambiguïté qu’elle ferait obstacle à ce que l’État membre l’ayant adoptée ne puisse lever avec une certitude suffisante d’éventuels doutes sur la portée et le sens de ladite norme (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2005, Belgique/Commission, C‑110/03, EU:C:2005:223, point 31).

41

Certes, tant le respect du principe de la sécurité juridique que la nécessité de garantir la pleine application des directives, en droit et non seulement en fait, exigent que tous les États membres reprennent les prescriptions de la directive en cause dans un cadre légal clair, précis et transparent prévoyant des dispositions contraignantes dans le domaine concerné par celle-ci (arrêts du 16 novembre 2000, Commission/Grèce, C‑214/98, EU:C:2000:624, point 23, et du 14 janvier 2010, Commission/République tchèque, C‑343/08, EU:C:2010:14, point 40).

42

Pour autant, ces exigences ne sauraient être comprises comme imposant qu’une norme utilisant une notion juridique abstraite mentionne les différentes hypothèses concrètes dans lesquelles elle est susceptible de s’appliquer, dans la mesure où toutes ces hypothèses ne peuvent pas être déterminées à l’avance par le législateur.

43

Dès lors, l’article 5, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2004/25 ne saurait être interprété comme exigeant d’un État membre, qui, dans la réglementation qu’il adopte aux fins de transposer cette disposition, prévoit, comme dans l’affaire au principal, la « collusion entre l’offrant ou les personnes qui agissent de concert avec celui-ci et un ou plusieurs vendeurs » comme étant l’une des circonstance clairement déterminées au sens de ladite disposition, qu’il précise les comportements spécifiques qui caractérisent une telle collusion.

44

En second lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si l’article 5, paragraphe 4, deuxième alinéa, de cette directive s’oppose à ce qu’un État membre se réfère, pour définir l’une des circonstances dans lesquelles le prix équitable peut être modifié, à la notion de « collusion », qui revêt, dans le contexte de la réglementation en cause au principal, une signification différente de celle qui lui est donnée dans d’autres domaines du droit national.

45

Dans la mesure où cette disposition poursuit l’objectif de protection des détenteurs de titres de la société faisant l’objet d’une OPA, et notamment des actionnaires minoritaires, consacré par la directive 2004/25 et relevé aux points 24 à 33 du présent arrêt, lorsqu’un État membre a recours à une notion telle que celle de « collusion » pour définir l’une des circonstances dans lesquelles le prix équitable peut être modifié, la circonstance que cette notion revêt un sens différent dans d’autres domaines du droit national ne fait pas obstacle à ce que, utilisée dans le contexte de la réglementation nationale relative aux OPA, elle puisse être considérée comme satisfaisant aux exigences de l’article 5, paragraphe 4, deuxième alinéa, de cette directive.

46

Cela étant, afin de satisfaire à l’exigence de sécurité juridique, les États membres doivent veiller à ce que l’interprétation qu’il convient de donner à une telle notion dans le domaine des OPA puisse se déduire d’une façon suffisamment claire, précise et prévisible de la réglementation nationale en cause, au moyen des méthodes d’interprétation reconnues par le droit interne.

47

Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si tel est le cas en ce qui concerne notion de « collusion » dans le contexte de la réglementation en cause au principal.

48

Il découle des considérations qui précèdent que l’article 5, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2004/25 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet à l’autorité nationale de contrôle d’augmenter le prix d’une OPA en cas de « collusion », sans préciser les comportements spécifiques qui caractérisent cette notion, pour autant que l’interprétation de ladite notion puisse se déduire d’une façon suffisamment claire, précise et prévisible de cette réglementation, au moyen des méthodes d’interprétation reconnues par le droit interne.

Sur les dépens

49

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

 

L’article 5, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les offres publiques d’acquisition, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet à l’autorité nationale de contrôle d’augmenter le prix d’une offre publique d’acquisition en cas de « collusion », sans préciser les comportements spécifiques qui caractérisent cette notion, pour autant que l’interprétation de ladite notion puisse se déduire d’une façon suffisamment claire, précise et prévisible de cette réglementation, au moyen des méthodes d’interprétation reconnues par le droit interne.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’italien.