ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

20 mars 2018 ( *1 )

« Manquement d’État – Directives 92/50/CEE et 2004/18/CE – Marchés publics de services – Imprimerie d’État – Production de documents d’identité et d’autres documents officiels – Attribution des marchés à une entreprise de droit privé sans recours préalable à une procédure de passation de marché – Mesures particulières de sécurité – Protection des intérêts essentiels des États membres »

Dans l’affaire C‑187/16,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 4 avril 2016,

Commission européenne, représentée par MM. A. Tokár et B.‑R. Killmann, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République d’Autriche, représentée par M. M. Fruhmann, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice‑président, MM. L. Bay Larsen (rapporteur), T. von Danwitz, J. L. da Cruz Vilaça, A. Rosas et J. Malenovský, présidents de chambre, MM. E. Juhász, A. Borg Barthet, D. Šváby, Mmes M. Berger, A. Prechal, MM. C. Lycourgos, M. Vilaras et E. Regan, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. I. Illéssy, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 7 juin 2017,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 juillet 2017,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, d’une part, en attribuant des marchés de services pour la production de documents tels que les passeports à puce, les passeports de secours, les titres de séjour, les cartes d’identité, les permis de pyrotechnie, les permis de conduire au format carte de crédit et les certificats d’immatriculation au format carte de crédit directement à Österreichische Staatsdruckerei GmbH (ci‑après l’« ÖS ») et, d’autre part, en maintenant en vigueur des dispositions nationales faisant obligation aux pouvoirs adjudicateurs d’attribuer directement ces marchés de services à cette société, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 et 56 TFUE et de l’article 4 ainsi que de l’article 8 de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO 1992, L 209, p. 1), lu en combinaison avec les articles 11 à 37 de cette directive, et de l’article 14 ainsi que de l’article 20 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114), lu en combinaison avec les articles 23 à 55 de cette directive.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

2

Pour la passation des marchés publics qui ont pour objet les « services de publication et d’impression sur la base d’une redevance ou sur une base contractuelle », les directives 92/50 et 2004/18 imposent de recourir à des procédures conformes aux prescriptions du droit de l’Union.

La directive 92/50

3

Le quatorzième considérant de la directive 92/50 est ainsi rédigé :

« considérant que, dans le domaine des services, il convient d’appliquer les mêmes dérogations que dans les directives 71/305/CEE [du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO 1971, L 185, p. 5)] et 77/62/CEE [du Conseil, du 21 décembre 1976, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO 1977, L 13, p. 1)] en ce qui concerne la sécurité ou les secrets de l’État et la priorité d’autres règles de passation des marchés, telles que celles qui découlent d’accords internationaux ou celles qui concernent le stationnement des troupes ou les règles des organisations internationales ».

4

L’article 1er, sous a), de cette directive prévoit notamment que « les “marchés publics de services” sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur ».

5

L’article 3, paragraphe 1, de ladite directive dispose :

« Pour passer leurs marchés publics de services [...], les pouvoirs adjudicateurs appliquent des procédures adaptées aux dispositions de la présente directive. »

6

L’article 4, paragraphe 2, de la même directive énonce :

« La présente directive ne s’applique pas aux services lorsqu’ils sont déclarés secrets ou lorsque leur exécution doit s’accompagner de mesures particulières de sécurité, conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives en vigueur dans l’État membre considéré, ou lorsque la protection des intérêts essentiels de cet État l’exige. »

7

L’article 8 de la directive 92/50 dispose :

« Les marchés qui ont pour objet des services figurant à l’annexe I A sont passés conformément aux dispositions des titres III à VI. »

8

Lesdits titres III à VI contiennent les articles 11 à 37 de cette directive.

9

L’annexe I A de ladite directive vise, notamment, sous la catégorie 15, les « Services de publication et d’impression sur la base d’une redevance ou sur une base contractuelle ».

La directive 2004/18

10

Sous l’intitulé « Marchés secrets ou exigeant des mesures particulières de sécurité », l’article 14 de la directive 2004/18 prévoit :

« La présente directive ne s’applique pas aux marchés publics lorsqu’ils sont déclarés secrets ou lorsque leur exécution doit s’accompagner de mesures particulières de sécurité, conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives en vigueur dans l’État membre considéré, ou lorsque la protection des intérêts essentiels de cet État membre l’exige. »

11

L’article 20 de cette directive, intitulé « Marchés de services figurant à l’annexe II A », dispose :

« Les marchés qui ont pour objet des services figurant à l’annexe II A sont passés conformément aux articles 23 à 55. »

12

Cette annexe vise, notamment, sous la catégorie 15, les « Services de publication et d’impression sur la base d’une redevance ou sur une base contractuelle ».

Le règlement (CE) no 2252/2004

13

Aux termes de l’article 3, paragraphe 2, du règlement (CE) no 2252/2004 du Conseil, du 13 décembre 2004, établissant des normes pour les éléments de sécurité et les éléments biométriques intégrés dans les passeports et les documents de voyage délivrés par les États membres (JO 2004, L 385, p. 1) :

« Chaque État membre désigne un organisme unique ayant la responsabilité de l’impression des passeports et des documents de voyage. Il communique le nom de cet organisme à la Commission et aux autres États membres. Un même organisme peut être désigné par deux États membres ou plus. Chaque État membre conserve la faculté de changer d’organisme. Il en informe la Commission et les autres États membres. »

Le droit autrichien

Le StDrG

14

L’article 1a du Bundesgesetz zur Neuordnung der Rechtsverhältnisse der Österreichischen Staatsdruckerei (loi fédérale sur la réorganisation de la situation juridique de l’ÖS, Bundesgesetzblatt I, 1/1997, ci‑après le « StDrG ») est ainsi libellé :

« [...] La société [...] a pour raison sociale “Österreichische Staatsdruckerei GmbH” ; il lui revient d’assumer pour les services fédéraux la production d’imprimés pour la production desquels le secret ou le respect de normes de sécurité (impression sécurisée) s’impose. [...] »

15

L’article 2, paragraphe 2, du StDrG dispose :

« La société assume en tout état de cause les tâches suivantes :

1.   La production pour les services fédéraux d’imprimés pour la production desquels le secret ou le respect de normes de sécurité (impression sécurisée) s’impose [...] »

16

L’article 2, paragraphe 3, du StDrG prévoit :

« Les organes fédéraux chargent à titre exclusif de la production des produits visés à l’article 2, paragraphe 2, point 1, [l’ÖS] [...] sauf si [ladite] société n’est pas en mesure, pour des raisons matérielles ou juridiques, d’exécuter dûment les tâches à des prix raisonnables, ou si le produit en cause est proposé à l’organe fédéral par un tiers, à prestations et conditions contractuelles égales, à un prix moins élevé. [...] »

17

Sous le titre « Contrôle de l’impression sécurisée », l’article 6, paragraphe 1, du StDrG dispose que les opérations administratives et commerciales et les processus de travail concernant la production, le traitement et le stockage des impressions sécurisées sont soumis au contrôle du ministre fédéral dont relève l’impression sécurisée considérée.

18

Conformément au paragraphe 2 dudit article 6, l’ÖS doit adopter toutes les mesures de sécurité nécessaires en matière de fabrication, de traitement et de stockage des impressions de sécurité afin d’éviter les abus.

19

Selon le paragraphe 3 du même article 6, l’ÖS doit permettre au ministre fédéral dont relève l’impression sécurisée considérée, dans la mesure nécessaire aux fins du contrôle, l’accès aux locaux d’activité et l’inspection des dossiers concernés.

L’arrêté relatif aux passeports

20

La production de passeports à puce, dont les passeports de service et les passeports diplomatiques, de cartes d’identité et de passeports de secours, est régie par la Verordnung der Bundesministerin für Inneres über die Gestaltung der Reisepässe und Passersätze (arrêté du ministre fédéral de l’Intérieur relatif à la conception des passeports et des documents tenant lieu de passeports, Bundesgesetzblatt 861/1995, ci‑après l’« arrêté relatif aux passeports »).

21

Les annexes A, D et E de l’arrêté relatif aux passeports contiennent des spécimens des passeports, des passeports de service et des passeports diplomatiques à produire, qui présentent sur leur dernière page la mention « PRINT by ÖSD ».

22

Concernant plus particulièrement les cartes d’identité, l’article 5 de l’arrêté relatif aux passeports prévoit une sécurisation contre la contrefaçon ou la falsification.

23

Il découle ainsi d’une application combinée de l’article 2, paragraphe 3, du StDrG et de l’arrêté relatif aux passeports que, sous réserve des exceptions prévues par cette disposition, les passeports à puce, les cartes d’identité et les passeports de secours doivent être produits par l’ÖS.

L’arrêté relatif aux titres de séjour

24

En application de l’article 3, paragraphe 3, de l’article 10a, paragraphe 2, et de l’article 10c, paragraphe 2, de la Verordnung der Bundesministerin für Inneres zur Durchführung des Niederlassungs‑ und Aufenthaltsgesetzes (arrêté de la ministre fédérale de l’Intérieur portant application de la loi relative à l’établissement et au séjour, Bundesgesetzblatt II, 451/2005), les attestations d’enregistrement, les attestations de séjour permanent, les attestations de dépôt de demande et les attestations de régularité du séjour doivent être produites exclusivement par l’ÖS.

L’arrêté ministériel relatif aux permis de conduire au format carte de crédit

25

La présentation des permis de conduire au format carte de crédit est régie par la Verordnung des Bundesministers für Wissenschaft und Verkehr über die Durchführung des Führerscheingesetzes (arrêté du ministre fédéral des Sciences et des Transports portant application de la loi sur le permis de conduire, Bundesgesetzblatt II, 320/1997).

26

Conformément à l’article 1er, paragraphe 2, de cet arrêté, les permis de conduire doivent présenter des éléments de sécurisation contre la contrefaçon ou la falsification.

27

Cette disposition prévoit également que les permis de conduire au format carte de crédit ne peuvent être produits que par un prestataire de service, désigné par le ministre fédéral compétent.

28

Eu égard à l’article 2, paragraphe 3, du StDrG, sous réserve des exceptions prévues par cette disposition, ce prestataire de services ne peut être que l’ÖS.

L’arrêté ministériel relatif aux certificats d’immatriculation au format carte de crédit

29

La présentation des certificats d’immatriculation de véhicules au format carte de crédit est régie par la Verordnung des Bundesministers für Wissenschaft und Verkehr, mit der Bestimmungen über die Einrichtung von Zulassungsstellen festgelegt werden (arrêté du ministre fédéral des Sciences et des Transports portant fixation de dispositions relatives à la création de bureaux d’immatriculation, Bundesgesetzblatt II, 464/1998).

30

L’article 13, paragraphe 1a, de cet arrêté prévoit pour ces certificats d’immatriculation des éléments de sécurisation contre la contrefaçon ou la falsification.

31

L’article 13, paragraphe 3, dudit arrêté dispose que les certificats d’immatriculation ne peuvent être produits que par un prestataire de services désigné par le ministre fédéral compétent.

32

Eu égard à l’article 2, paragraphe 3, du StDrG, sous réserve des exceptions prévues par cette disposition, ce prestataire de services ne peut être que l’ÖS.

L’arrêté ministériel relatif aux permis de pyrotechnie

33

Conformément à l’article 8 de la Verordnung der Bundesministerin für Inneres über die Durchführung des Pyrotechnikgesetzes 2010 (arrêté du ministre fédéral de l’Intérieur portant application de la loi de 2010 sur les articles pyrotechniques, Bundesgesetzblatt II, 499/2009), le formulaire de demande de délivrance d’un permis de pyrotechnie doit être conforme au modèle figurant à l’annexe II de cet arrêté. Ce modèle exige que la demande soit adressée à l’ÖS.

34

L’article 9 dudit arrêté prévoit la sécurisation des permis de pyrotechnie contre la contrefaçon ou la falsification.

La procédure précontentieuse

35

Par sa lettre de mise en demeure du 6 avril 2011, la Commission a fait part à la République d’Autriche de ses doutes sur la compatibilité avec les dispositions du traité FUE ainsi que des directives 92/50 et 2004/18 de l’attribution directe à l’ÖS de certains marchés publics de services portant sur l’impression de documents officiels, à savoir des passeports à puce, des passeports de secours, des titres de séjour, des cartes d’identité, des permis de conduire au format carte de crédit, des certificats d’immatriculation aux formats papier et carte de crédit, des permis de pyrotechnie, des brevets de batelier, des formulaires de documents de sécurité, des vignettes pour substances toxicomanogènes et des permis cyclomoteur.

36

À cet égard, la Commission précisait que l’ÖS, société de droit privé, fournissait, par l’impression de ces documents, une prestation de services dont l’attribution aurait dû se faire conformément à la directive 92/50 ou à la directive 2004/18, dans la mesure où elle relève du champ d’application de l’une de ces directives, ou dans le respect de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services consacrées aux articles 49 et 56 TFUE, dans la mesure où elle ne relève pas du champ d’application desdites directives.

37

Dans sa réponse du 7 juin 2011, la République d’Autriche a soutenu que les marchés de services en cause servent la protection de ses intérêts essentiels de sécurité et ne relèvent, par conséquent, ni du traité FUE ni des directives 92/50 et 2004/18. Elle a ajouté que l’attribution directe des marchés d’impression des documents en cause à la seule ÖS était justifiée par la nécessité de préserver le secret des informations, de garantir l’authenticité et l’exactitude desdits documents, d’assurer l’approvisionnement en ces documents et de garantir la protection des données sensibles.

38

Par courriers du 17 juillet 2012 et du 28 mars 2013, la République d’Autriche a complété sa réponse à la lettre de mise en demeure.

39

Estimant insatisfaisantes les réponses fournies par cet État membre, la Commission a, par lettre du 11 juillet 2014, adressé à celui‑ci un avis motivé. Elle y a souligné que la République d’Autriche n’apportait pas la preuve que l’attribution directe à l’ÖS des marchés d’impression des passeports à puce, des passeports de secours, des titres de séjour, des cartes d’identité, des permis de conduire au format carte de crédit, des certificats d’immatriculation au format carte de crédit et des permis de pyrotechnie était justifiée par la protection de ses intérêts de sécurité et qu’il était possible d’aménager un appel d’offres public de telle sorte que seules pouvaient entrer en ligne de compte des entreprises spécialisées dans l’impression de documents satisfaisant à des exigences particulières de sécurité et soumises aux contrôles correspondants.

40

En revanche, la Commission a abandonné ses griefs relatifs aux permis cyclomoteur, aux certificats d’immatriculation au format papier, aux brevets de batelier, aux formulaires de documents de sécurité et aux vignettes pour substances toxicomanogènes soit parce que ces documents ont été supprimés, soit parce que leur production faisait l’objet d’un appel d’offres.

41

La République d’Autriche a répondu à l’avis motivé par courrier du 10 septembre 2014. Pour l’essentiel, cet État membre a invoqué à nouveau les intérêts tirés de la protection de sa sécurité nationale et a souligné que l’exécution des marchés d’impression en cause était étroitement liée à l’ordre public et au fonctionnement institutionnel de cet État. Elle a notamment soutenu que le respect des exigences de sécurité ne pouvait être imposé à l’égard d’autres entreprises que l’ÖS que par le recours aux règles de droit civil, tandis que la loi conférait aux autorités publiques autrichiennes des pouvoirs de contrôle particuliers à l’égard de l’ÖS.

42

S’agissant des marchés d’impression de permis de pyrotechnie, le montant de ces marchés serait si minime que leur exécution ne présenterait pas d’intérêt pour d’autres entreprises, si bien que la passation de ces marchés ne relèverait pas du champ d’application des libertés inscrites dans le traité FUE.

43

N’étant pas satisfaite des réponses apportées par la République d’Autriche, la Commission a introduit le présent recours.

Sur le recours

44

Le recours introduit par la Commission vise, d’une part, des marchés de services pour l’impression des passeports à puce, des passeports de secours, des titres de séjour, des cartes d’identité, des permis de conduire au format carte de crédit ainsi que des certificats d’immatriculation au format carte de crédit et, d’autre part, un marché de service d’impression des permis de pyrotechnie.

Les marchés de services d’impression des passeports à puce, des passeports de secours, des titres de séjour, des cartes d’identité, des permis de conduire au format carte de crédit et des certificats d’immatriculation au format carte de crédit

Argumentation des parties

45

La Commission fait observer que, les montants estimatifs des marchés en cause dépassant les seuils applicables en vertu des directives 92/50 et 2004/18, ces marchés relèvent du champ d’application matériel de ces directives. Par conséquent, en ce qui concerne lesdits marchés, les procédures de passation de marché prévues à l’article 8 de la directive 92/50, lu en combinaison avec les articles 11 à 37 de cette directive, et à l’article 20 de la directive 2004/18, lu en combinaison avec les articles 23 à 55 de cette directive, auraient dû être appliquées par la République d’Autriche.

46

La Commission soutient, en substance, que les dérogations prévues à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 92/50 et à l’article 14 de la directive 2004/18, invoquées par la République d’Autriche, doivent faire l’objet d’une interprétation stricte.

47

En outre, ces articles ne pourraient conférer aux États membres le pouvoir de déroger aux dispositions du traité FUE ou des directives 92/50 et 2004/18 par la seule invocation de leurs intérêts essentiels de sécurité.

48

Dans ces conditions, la seule affirmation de la République d’Autriche selon laquelle les marchés de services en cause requerraient des mesures particulières de sécurité ou selon laquelle une dérogation aux dispositions de l’Union serait nécessaire pour protéger les intérêts essentiels de sécurité de cet État membre serait insuffisante pour démontrer l’existence de circonstances justifiant l’application de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 92/50 ou de l’article 14 de la directive 2004/18.

49

Par ailleurs, la Commission précise que l’ÖS est une société de droit privé à responsabilité limitée, dont le seul associé est Österreichische Staatsdruckerei Holding AG, les actions de cette dernière étant cotées en bourse et détenues par des personnes privées. Au demeurant, à la différence des dispositions législatives antérieures, le StDrG ne prévoirait plus aucun mécanisme spécial de contrôle étatique. Lors de l’audience, la Commission a précisé à cet égard que les autorités autrichiennes sont dotées de prérogatives de contrôle stipulées dans un contrat conclu avec l’ÖS.

50

Selon la Commission, la République d’Autriche ne démontre pas qu’un appel d’offres est totalement impossible au motif qu’il compromettrait gravement le respect de l’obligation de confidentialité ainsi que les mesures de sécurité et de contrôle. Si la nécessité de garantir l’authenticité et l’exactitude de documents servant à prouver l’identité de personnes, de protéger des données à caractère personnel, ainsi que d’assurer l’approvisionnement aux fins de l’impression des documents concernés relève de l’intérêt général, un tel intérêt ne correspondrait toutefois pas systématiquement à un intérêt essentiel de sécurité.

51

S’agissant de la nécessité de garantir l’approvisionnement en documents officiels, alléguée par la République d’Autriche, la Commission considère qu’une telle garantie ne constitue pas un intérêt de sécurité et peut être obtenue, le cas échéant, en concluant plusieurs contrats‑cadres.

52

La Commission admet qu’un État membre peut prendre des mesures en vue d’éviter la falsification des documents officiels. Néanmoins, rien n’indiquerait que ces objectifs seraient menacés si l’impression des documents était confiée à d’autres imprimeurs, même ceux d’autres États membres, le caractère confidentiel des données traitées nécessaires à l’impression des documents pouvant être garanti par une obligation de confidentialité à la charge des entreprises participant à une procédure d’adjudication.

53

La centralisation de l’exécution des marchés en cause pourrait être atteinte en soumettant l’impression de l’ensemble des documents sécurisés à un appel d’offres, les possibilités de contrôle par les autorités autrichiennes pouvant être prévues dans le contrat passé avec l’entreprise retenue.

54

S’agissant de la confiance dans l’entreprise exécutant le service d’impression de titres de séjour, la Commission rétorque que cet argument invoqué par la République d’Autriche ne peut être retenu dans la mesure où les autorités autrichiennes peuvent également attribuer des marchés d’impression de documents sécurisés à d’autres entreprises que l’ÖS, notamment lorsque cette dernière n’est pas en mesure d’exécuter lesdits marchés.

55

La République d’Autriche conteste le manquement allégué. Elle soutient que, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 92/50 et de l’article 14 de la directive 2004/18, les marchés en cause ne relèvent pas du champ d’application de ces directives. Elle serait en droit de protéger ses intérêts essentiels de sécurité et d’assortir l’exécution des marchés en question de mesures particulières de sécurité, en application des dispositions légales et administratives en vigueur en Autriche.

56

Lors de l’audience, la République d’Autriche a précisé que les dérogations prévues à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 92/50 et à l’article 14 de la directive 2004/18 s’appliquent indépendamment de celle prévue à l’article 346, paragraphe 1, sous a), TFUE.

57

Cet État membre rappelle en substance que la politique de sécurité est un élément essentiel de la souveraineté étatique et qu’il incombe aux États membres de définir leurs intérêts essentiels de sécurité et de déterminer si des mesures de sécurité sont nécessaires, ces États membres disposant, à cet égard, d’un large pouvoir d’appréciation.

58

La République d’Autriche met en avant certains aspects de ses intérêts essentiels en matière de sécurité publique qui sont importants lors de l’impression des documents de sécurité. À cet égard, il conviendrait, selon elle, tout d’abord, de garantir l’authenticité et l’exactitude des documents qui servent à prouver l’identité d’une personne dans la mesure où les documents d’identité sont des documents étroitement liés à l’ordre public et au fonctionnement institutionnel de l’État. Ensuite, il serait nécessaire d’assurer la protection des données sensibles de la personne. Enfin, il s’agirait de veiller à garantir la sécurité d’approvisionnement.

59

En premier lieu, s’agissant de la nécessité de garantir l’authenticité et l’exactitude des documents d’identité, la République d’Autriche soutient que cet impératif implique la définition d’un niveau technique élevé en matière de sécurité afin d’éviter tout risque de falsifications, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la criminalité.

60

En deuxième lieu, s’agissant de la protection des données personnelles sensibles, dans la mesure où les documents d’identité contiennent de telles données, notamment des données biométriques, la protection de ces documents supposerait des exigences de sécurité élevées. À cet égard, la République d’Autriche conteste l’argument de la Commission selon lequel seuls des intérêts individuels seraient ici en cause alors que, selon cet État membre, l’atteinte à de telles données devrait, au contraire, être considérée comme constituant, notamment dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, une menace pour la sécurité publique intérieure et, dès lors, devrait être empêchée par tout moyen.

61

En troisième lieu, la réception rapide des documents officiels en cause supposerait de garantir l’approvisionnement de l’État. Or, si l’impression des documents d’identité était confiée à des entreprises autres que l’ÖS, cela porterait atteinte de manière durable à la stratégie de la République d’Autriche en matière de sécurité, puisque, en cas d’impossibilité de fournir le nombre de passeports nécessaires, des passeports provisoires seraient certes imprimés, mais dans des conditions de sécurité moindres.

62

La République d’Autriche fait valoir que, dans un contexte de menaces et d’activités terroristes, seule une imprimerie placée sous la tutelle effective de l’État doit être habilitée à produire des documents d’identité.

63

La République d’Autriche rappelle que la centralisation de toutes les prestations pertinentes en matière de sécurité auprès d’un seul prestataire constitue également un élément essentiel de la stratégie en matière de sécurité. À cet égard, cet État membre soutient qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 2252/2004 et, plus précisément, de l’exigence de désignation d’un « organisme unique ayant la responsabilité de l’impression des passeports et des documents de voyage » que ceux‑ci ne peuvent pas être fabriqués par plusieurs organismes. Par ailleurs, afin d’éviter que des informations sensibles en matière de sécurité ne se dispersent, une centralisation de l’impression des documents en cause constituerait une mesure appropriée.

64

Selon la République d’Autriche, la stratégie qu’elle poursuit et qui consiste à attribuer les marchés en cause à un seul adjudicataire, ayant son ou ses sites de production sur le territoire national, vise, en premier lieu, à éviter que la connaissance des mesures de sécurité ne soit répandue parmi d’autres adjudicataires, qu’ils opèrent en Autriche ou dans un autre État membre.

65

Une telle attribution aurait, en second lieu, pour objectif un contrôle plus efficace de cette imprimerie par les autorités nationales dans le cadre de leurs prérogatives administratives de contrôle. En effet, la République d’Autriche soutient qu’un contrôle mis en œuvre par la voie judiciaire, qui déboucherait sur des sanctions du non‑respect des conditions de sécurité en vertu des dispositions contractuelles au terme d’une procédure éventuellement fastidieuse, ne serait pas aussi efficace qu’un contrôle étatique.

66

En ce qui concerne le grief de la Commission selon lequel il appartiendrait à la République d’Autriche de démontrer qu’un appel d’offres est totalement impossible, cet État membre soutient que ni l’article 4, paragraphe 2, de la directive 92/50 ni l’article 14 de la directive 2004/18 ne comportent une telle condition.

67

En outre, cet État membre ne se serait pas contenté d’invoquer les intérêts liés à sa sécurité, mais aurait identifié les intérêts devant être protégés et les mesures ayant été prises aux fins de la protection de ces intérêts.

68

Enfin, lors de l’audience, la République d’Autriche a soutenu que les marchés en cause ne peuvent pas être exécutés dans le cadre d’un appel d’offres dès lors que les entreprises établies dans d’autres États membres ne peuvent pas totalement se soustraire à l’intervention des autorités de leurs États respectifs et que ces entreprises sont parfois tenues de collaborer avec lesdites autorités ou avec les services de renseignement desdits États, et ce même si elles exécutaient ces marchés depuis un établissement situé en Autriche, de telle sorte que des informations sensibles risqueraient d’être révélées.

Appréciation de la Cour

69

Il convient de relever d’emblée que, ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour, les premiers marchés attribués à l’ÖS visés par le présent recours datant de l’année 2004, ces marchés sont susceptibles de relever de la directive 92/50, alors que les marchés attribués à cette entreprise entre le 31 janvier 2006 et le 12 septembre 2014, date de l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, peuvent relever de la directive 2004/18, cette dernière directive ayant abrogé et remplacé les dispositions pertinentes de la directive 92/50 à compter du 31 janvier 2006.

70

Par ailleurs, d’une part, les marchés en cause constituent des marchés ayant pour objet des services visés aux annexes I A de la directive 92/50 et II A de la directive 2004/18, et, plus précisément, des services de publication et d’impression sur la base d’une redevance ou sur une base contractuelle. D’autre part, il est constant entre les parties que la valeur estimée de ces marchés dépasse les seuils d’application de ces directives.

71

En vertu de l’article 8 de la directive 92/50, lu en combinaison avec les articles 11 à 37 de cette directive, et de l’article 20 de la directive 2004/18, lu en combinaison avec les articles 23 à 55 de cette directive, dès lors que l’impression des documents en cause constitue un service de publication et d’impression sur la base d’une redevance ou sur une base contractuelle, ce service est, en principe, soumis à l’obligation de recourir à une procédure de passation de marché conforme aux prescriptions de ces articles.

72

Toutefois, d’une part, aux termes de l’article 346, paragraphe 1, sous a), TFUE, aucun État membre n’est tenu de fournir des renseignements dont il estimerait la divulgation contraire aux intérêts essentiels de sa sécurité. Ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 42 de ses conclusions, cette disposition a, par la généralité de ses termes, vocation à s’appliquer, notamment, au domaine des marchés publics non militaires, tels que les marchés d’impression en cause dans le présent recours.

73

D’autre part, il ressort de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 92/50 et de l’article 14 de la directive 2004/18, rédigés en des termes quasi identiques, que ces directives ne s’appliquent pas aux services lorsque, notamment, leur exécution doit s’accompagner de mesures particulières de sécurité, conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives en vigueur dans l’État membre considéré, ou lorsque la protection des intérêts essentiels de cet État l’exige.

74

Ces dérogations sont invoquées dans la présente procédure par la République d’Autriche afin de justifier l’attribution directe à l’ÖS des marchés de services d’impression en cause.

75

À cet égard, il y a lieu de relever que, ainsi que le fait valoir la République d’Autriche, il appartient aux États membres de définir leurs intérêts essentiels de sécurité, et, en l’occurrence, aux autorités autrichiennes de définir les mesures de sécurité nécessaires à la protection de la sécurité publique de cet État membre dans le cadre de l’impression des documents d’identité et d’autres documents officiels tels que ceux en cause dans la présente affaire (voir, par analogie, arrêt du 16 octobre 2003, Commission/Belgique, C‑252/01, EU:C:2003:547, point 30).

76

Néanmoins, il convient également de rappeler que, comme la Cour l’a déjà jugé, les mesures que les États membres adoptent dans le cadre des exigences légitimes d’intérêt national ne sont pas soustraites dans leur ensemble à l’application du droit de l’Union du seul fait qu’elles interviennent notamment dans l’intérêt de la sécurité publique (voir, en ce sens, arrêt du 8 avril 2008, Commission/Italie, C‑337/05, EU:C:2008:203, point 42 et jurisprudence citée).

77

Par ailleurs, les dérogations en cause dans le présent recours, comme il est de jurisprudence constante pour celles relatives aux libertés fondamentales, doivent faire l’objet d’une interprétation stricte [voir, par analogie, s’agissant de l’article 346, paragraphe 1, sous b), TFUE, arrêt du 7 juin 2012, Insinööritoimisto InsTiimi, C‑615/10, EU:C:2012:324, point 35 et jurisprudence citée].

78

En outre, bien que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 92/50 et l’article 14 de la directive 2004/18, invoqués, à titre principal, par la République d’Autriche, laissent aux États membres une marge d’appréciation pour décider des mesures jugées nécessaires à la protection des intérêts essentiels de leur sécurité, ces articles ne sauraient toutefois être interprétés de manière à conférer aux États membres le pouvoir de déroger aux dispositions du traité FUE par la seule invocation desdits intérêts. En effet, l’État membre qui invoque le bénéfice de ces dérogations doit démontrer la nécessité de recourir à celles‑ci dans le but de protéger les intérêts essentiels de sa sécurité. Une telle exigence s’impose également dans la mesure où cet État membre invoque de surcroît l’article 346, paragraphe 1, sous a), TFUE (voir, par analogie, arrêt du 4 septembre 2014, Schiebel Aircraft, C‑474/12, EU:C:2014:2139, point 34).

79

Partant, l’État membre qui invoque le bénéfice de ces dérogations doit établir que le besoin de protéger de tels intérêts n’aurait pas pu être atteint dans le cadre d’une mise en concurrence telle que prévue par les directives 92/50 et 2004/18 (voir, par analogie, arrêt du 8 avril 2008, Commission/Italie, C‑337/05, EU:C:2008:203, point 53).

80

En l’occurrence, si la République d’Autriche a, certes, identifié les intérêts essentiels de sa sécurité qu’elle estime devoir être protégés ainsi que les garanties inhérentes à la protection de ces intérêts, il convient, toutefois, de vérifier, eu égard à ce qui a été rappelé aux points 75 et 76 du présent arrêt, si cet État membre a démontré que les objectifs qu’il poursuit n’auraient pas pu être atteints dans le cadre d’une mise en concurrence, telle que prévue par ces deux directives.

81

À cet égard, la République d’Autriche fait valoir, en premier lieu, que la protection des intérêts essentiels de la sécurité nationale exige l’exécution centralisée des marchés d’impression de documents officiels moyennant leur attribution à une seule entreprise.

82

Or, en admettant que la centralisation de l’exécution des marchés en cause puisse être considérée, pour les raisons avancées par la République d’Autriche, comme un moyen de protection des intérêts essentiels de sa sécurité nationale, il convient de relever que le respect des procédures de passation de marché prévues respectivement à l’article 8 de la directive 92/50, lu en combinaison avec les articles 11 à 37 de cette directive, et à l’article 20 de la directive 2004/18, lu en combinaison avec les articles 23 à 55 de cette directive, ne fait pas obstacle à ce que soit confiée à un opérateur unique l’exécution des marchés en cause.

83

Si, comme le relève la République d’Autriche, les États membres ont l’obligation de respecter les prescriptions de l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 2252/2004, lequel leur impose la désignation d’un organisme unique ayant la responsabilité de l’impression des passeports et des documents de voyage, il convient de constater que cette disposition se limite à prévoir l’obligation de désigner un tel organisme unique, sans aucunement écarter le recours préalable à une procédure de passation de marché aux fins d’une telle désignation.

84

S’agissant, en deuxième lieu, de l’argument de la République d’Autriche tiré de la nécessité pour les autorités autrichiennes de pouvoir assurer, dans le cadre des prérogatives qui leur sont reconnues à l’article 6, paragraphe 3, du StDrG, des contrôles administratifs efficaces à l’égard d’un adjudicataire unique ayant ses lieux de production et de stockage sur le territoire de cet État membre, en l’occurrence à l’égard de l’ÖS, il convient de relever que, si, certes, l’opérateur qui s’est vu confier l’exécution du marché d’impression en cause doit répondre aux exigences en matière de sécurité afin d’assurer la confidentialité des informations à protéger, la République d’Autriche ne démontre pas que seuls les contrôles administratifs que peuvent effectuer les autorités autrichiennes, en vertu de cette disposition, auprès de l’ÖS sont de nature à assurer cette confidentialité et qu’il convient, à cet effet, d’écarter l’application des dispositions en matière de passation de marché prévues par les directives 92/50 et 2004/18.

85

À cet égard, il n’apparaît pas que de tels contrôles administratifs ne pourraient pas être exercés auprès d’autres entreprises établies en Autriche que l’ÖS. En outre, cet État membre ne démontre pas que le contrôle du respect de la confidentialité des informations qui seraient communiquées aux fins de l’impression des documents officiels en cause serait moins bien garanti si cette impression était confiée, dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres, à d’autres entreprises auxquelles seraient imposées, par un dispositif contractuel soumis aux règles de droit civil, des mesures de confidentialité et de sécurité, et ce que lesdites entreprises soient établies en Autriche ou dans d’autres États membres.

86

En particulier, il serait envisageable de prévoir, dans le cadre d’une procédure de passation de marché, l’obligation pour le cocontractant retenu d’accepter des contrôles de sécurité, des visites ou des inspections au sein des locaux de son entreprise, que celle‑ci soit établie en Autriche ou dans un autre État membre, ou encore de respecter des exigences techniques en matière de confidentialité, même particulièrement élevées, dans le cadre de l’exécution des marchés en question.

87

S’agissant, en troisième lieu, de l’impératif d’assurer la garantie d’approvisionnement invoqué par la République d’Autriche, il convient de relever que, si les documents officiels en cause sont étroitement liés à l’ordre public et au fonctionnement institutionnel d’un État, lesquels supposent qu’une garantie d’approvisionnement soit assurée, cet État membre n’a, toutefois, pas démontré que l’objectif allégué ne pourrait pas être assuré dans le cadre d’un appel d’offres et qu’une telle garantie serait compromise si l’impression de ces documents était confiée à d’autres entreprises, y compris, le cas échéant, à des entreprises établies dans d’autres États membres.

88

S’agissant, en quatrième lieu, de la nécessité de garantir la fiabilité de l’adjudicataire, si les États membres doivent pouvoir s’assurer que, pour la passation de marchés publics tels que ceux en cause dans la présente affaire, seules des entreprises fiables se voient attribuer ces marchés dans le cadre d’un système qui assure le respect de normes de confidentialité et de sécurité particulières s’agissant de l’impression des documents en question, la République d’Autriche n’a cependant pas établi que le caractère confidentiel des données communiquées ne pourrait pas être suffisamment garanti si l’impression de ces documents était confiée à une autre entreprise que l’ÖS, désignée au terme d’une procédure d’appel d’offres.

89

À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a jugé que la nécessité de prévoir une obligation de confidentialité n’empêche pas en elle‑même de recourir à une procédure de mise en concurrence pour l’attribution d’un marché (voir, en ce sens, arrêt du 8 avril 2008, Commission/Italie, C‑337/05, EU:C:2008:203, point 52).

90

En outre, la Cour a également jugé que la confidentialité des données peut être assurée par une obligation de secret, sans qu’il soit nécessaire de contrevenir aux procédures en matière de passation de marchés publics (voir, par analogie, arrêt du 5 décembre 1989, Commission/Italie, C‑3/88, EU:C:1989:606, point 15).

91

Ainsi que l’a indiqué Mme l’avocat général au point 68 de ses conclusions, rien n’empêche le pouvoir adjudicateur d’imposer des exigences particulièrement élevées concernant l’aptitude et la fiabilité des adjudicataires, d’aménager en ce sens les conditions régissant les appels d’offres ainsi que les contrats de prestation de services et de demander aux candidats éventuels les justificatifs requis.

92

À cet égard, la République d’Autriche a soutenu à l’audience qu’il existe un risque que des informations sensibles soient divulguées dès lors que les entreprises établies en dehors de cet État membre ne peuvent pas totalement se soustraire à l’intervention des autorités de leur État membre respectif, dans la mesure où, dans certains cas, elles sont elles‑mêmes tenues, en vertu des législations applicables dans ces États, de collaborer avec ces autorités ou avec les services de renseignement desdits États, et ce même lorsqu’elles exécutent des marchés publics depuis un établissement situé en Autriche.

93

Il convient, toutefois, de souligner qu’il est loisible aux autorités autrichiennes d’insérer, dans les conditions régissant les appels d’offres aux fins de la passation des marchés en cause, des clauses obligeant l’adjudicataire à une confidentialité générale ainsi que de prévoir que l’entreprise candidate qui ne serait pas en mesure, en raison notamment de la législation de son État membre, d’offrir des garanties suffisantes quant au respect de cette obligation à l’égard des autorités de cet État sera exclue de la procédure d’attribution. Il est également loisible aux autorités autrichiennes de prévoir l’application à l’adjudicataire de sanctions, notamment contractuelles, en cas de non‑respect d’une telle obligation en cours d’exécution du marché en cause.

94

À cet égard, la République d’Autriche n’a pas démontré que l’objectif consistant à empêcher la divulgation d’informations sensibles relatives à la production des documents officiels en cause n’aurait pas pu être atteint dans le cadre d’une mise en concurrence, telle que prévue respectivement à l’article 8 de la directive 92/50, lu en combinaison avec les articles 11 à 37 de cette directive, et à l’article 20 de la directive 2004/18, lu en combinaison avec les articles 23 à 55 de cette directive.

95

Il s’ensuit que le non‑respect des procédures de passation de marché prévues par lesdites directives apparaît disproportionné au regard d’un tel objectif.

96

Eu égard à tout ce qui précède, l’article 346, paragraphe 1, sous a), TFUE, l’article 4, paragraphe 2, de la directive 92/50 et l’article 14 de la directive 2004/18 ne peuvent utilement être invoqués par la République d’Autriche pour justifier l’inobservation des procédures de passation de marché prévues par ces deux directives.

Le marché de service d’impression des permis de pyrotechnie

Argumentation des parties

97

La Commission soutient que, dans la mesure où le montant du marché de production de permis de pyrotechnie ne dépasse pas les seuils prévus par ces directives, il doit néanmoins être passé dans le respect des principes énoncés par le traité FUE, notamment ceux de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services.

98

Selon la Commission, les principes généraux d’égalité de traitement et de non‑discrimination en raison de la nationalité, dont découle l’obligation de transparence, exigent que ledit marché fasse l’objet d’un avis présentant un degré de publicité suffisant.

99

Cette institution précise que, même si le montant d’un marché de production de permis de pyrotechnie apparaît relativement faible, un tel marché pourrait, compte tenu de ses caractéristiques techniques, susciter l’intérêt des entreprises d’autres États membres. Il existerait ainsi un intérêt transfrontalier certain dès lors que le marché des entreprises productrices de documents d’identité sécurisés serait spécialisé, réduit et internationalisé et que la proximité géographique ne constituerait pas un impératif pour l’exécution de marchés de production de documents sécurisés.

100

En outre, la Commission met en avant la circonstance que l’ÖS elle‑même a été chargée par plusieurs États membres de l’impression de visas et de passeports, ce qui constituerait à cet égard un indice très important de l’existence d’un intérêt transfrontalier certain.

101

La République d’Autriche rétorque que, s’agissant d’un marché dont le montant est inférieur au seuil prévu par le droit de l’Union, les principes fondamentaux invoqués par la Commission ne s’appliquent pas. Au regard du faible montant de ce marché, l’intérêt transfrontalier certain ne serait pas établi par la Commission.

102

En outre, le fait que l’ÖS fabrique des documents sécurisés pour d’autres États membres ne démontrerait pas qu’il existe un intérêt transfrontalier certain pour le marché de service d’impression des permis de pyrotechnie.

Appréciation de la Cour

103

Il y a lieu de rappeler qu’il est constant entre les parties que la valeur estimée du marché de production de permis de pyrotechnie est de 56000 euros, à savoir un montant nettement inférieur aux seuils fixés par les directives 92/50 et 2004/18 pour les marchés publics de services. Dès lors, il n’existait pas d’obligation découlant de ces directives de recourir à une procédure de passation de marché.

104

Néanmoins, selon une jurisprudence constante, la passation des marchés qui, eu égard à leur valeur, ne relèvent pas du champ d’application des directives en matière de passation des marchés publics est soumise aux règles fondamentales et aux principes généraux du traité FUE, en particulier aux principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination en raison de la nationalité ainsi qu’à l’obligation de transparence qui en découle, pour autant que ces marchés présentent un intérêt transfrontalier certain (arrêt du 6 octobre 2016, Tecnoedi Costruzioni, C‑318/15, EU:C:2016:747, point 19 et jurisprudence citée).

105

À cet égard, il convient de rappeler qu’il appartient à la Commission d’établir que le marché en cause présente, pour une entreprise située dans un État membre autre que celui dont relève le pouvoir adjudicateur concerné, un intérêt certain, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque en ce sens (voir, en ce sens, arrêt du 13 novembre 2007, Commission/Irlande, C‑507/03, EU:C:2007:676, points 32 et 33 ainsi que jurisprudence citée).

106

En ce qui concerne les critères objectifs susceptibles d’indiquer l’existence d’un intérêt transfrontalier certain, la Cour a déjà jugé que de tels critères pourraient être, notamment, le montant d’une certaine importance du marché en cause, en combinaison avec le lieu d’exécution des travaux ou encore les caractéristiques techniques du marché et les caractéristiques spécifiques des produits concernés (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2016, Tecnoedi Costruzioni, C‑318/15, EU:C:2016:747, point 20 et jurisprudence citée).

107

Si, ainsi que l’a soutenu la Commission, l’existence d’un tel intérêt transfrontalier ne peut être déterminée uniquement à partir de la valeur du marché, une appréciation d’ensemble d’autres critères et de toutes les circonstances pertinentes du cas d’espèce étant nécessaire, il y a lieu de relever que le marché de production des permis de pyrotechnie se distingue non seulement par son montant relativement faible, mais également par son caractère très technique, supposant en outre le respect de mesures de sécurité particulières avec les coûts que la mise en œuvre de telles mesures implique.

108

S’agissant de la circonstance, mise en avant par la Commission, selon laquelle le fait que l’ÖS a été chargée par plusieurs États étrangers de l’impression de visas et de passeports constituerait un indice important de l’existence d’un intérêt transfrontalier certain, cette circonstance est sans pertinence en ce qui concerne l’impression des permis de pyrotechnie.

109

Dans ces conditions, les indications apportées par la Commission ne sauraient suffire à démontrer que ledit marché présentait un intérêt transfrontalier certain.

110

La Commission n’ayant pas apporté la preuve de ses allégations, son recours doit être rejeté en tant qu’il porte sur le marché de service d’impression des permis de pyrotechnie en cause.

111

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, d’une part, en ayant attribué directement à l’ÖS, sans avoir procédé à un appel d’offres à l’échelle de l’Union européenne, des marchés de services pour la production des passeports à puce, des passeports de secours, des titres de séjour, des cartes d’identité, des permis de conduire au format carte de crédit et des certificats d’immatriculation au format carte de crédit et, d’autre part, en ayant maintenu en vigueur des dispositions nationales faisant obligation aux pouvoirs adjudicateurs d’attribuer directement ces marchés de services à cette société, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 8 de la directive 92/50, lu en combinaison avec les articles 11 à 37 de cette directive, ainsi que de l’article 14 et de l’article 20 de la directive 2004/18, lu en combinaison avec les articles 23 à 55 de cette directive.

112

Il convient de rejeter le recours pour le surplus.

Sur les dépens

113

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

114

En l’espèce, la Commission et la République d’Autriche ont conclu respectivement à la condamnation de l’autre partie à l’instance aux dépens.

115

L’article 138, paragraphe 3, dudit règlement prévoit que, si cela paraît justifié au vu des circonstances de l’espèce, la Cour peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie. En l’occurrence, le recours de la Commission ayant été accueilli sauf en ce qu’il concerne le marché de service d’impression des permis de pyrotechnie, il y a lieu, en application de cette disposition, de décider que, outre ses propres dépens, la République d’Autriche est condamnée à supporter les quatre cinquièmes des dépens de la Commission.

116

La Commission est condamnée à supporter un cinquième de ses propres dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

 

1)

En ayant attribué directement à Österreichische Staatsdruckerei GmbH, sans avoir procédé à un appel d’offres à l’échelle de l’Union européenne, des marchés de services pour la production des passeports à puce, des passeports de secours, des titres de séjour, des cartes d’identité, des permis de conduire au format carte de crédit ainsi que des certificats d’immatriculation au format carte de crédit, et en ayant maintenu en vigueur des dispositions nationales faisant obligation aux pouvoirs adjudicateurs d’attribuer directement ces marchés de services à cette société, sans avoir procédé à un appel d’offres à l’échelle de l’Union, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 8 de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, lu en combinaison avec les articles 11 à 37 de cette directive, ainsi que de l’article 14 et de l’article 20 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, lu en combinaison avec les articles 23 à 55 de cette directive.

 

2)

Le recours est rejeté pour le surplus.

 

3)

La République d’Autriche supporte ses propres dépens ainsi que quatre cinquièmes des dépens de la Commission européenne. La Commission supporte un cinquième de ses propres dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.