CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 28 juin 2018 ( 1 )

Affaire C‑652/16

Nigyar Rauf Kaza Ahmedbekova,

Rauf Emin Ogla Ahmedbekov

contre

Zamestnik-predsedatel na Darzhavna agentsia za bezhantsite

[demande de décision préjudicielle formée par l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia, Bulgarie)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Frontières, asile et immigration – Normes relatives à l’octroi du statut de réfugié – Directives 2005/85/CE et 2011/95/UE – Demandes de protection internationale des membres d’une famille d’une personne qui a demandé la reconnaissance du statut de réfugié – Disposition nationale qui reconnaît le statut de réfugié aux membres de la famille d’un réfugié reconnu – Directive 2013/32/UE – Droit à un recours effectif »

1.

Par la demande de décision préjudicielle objet des présentes conclusions, l’Administrativen sad Sofia‑grad (tribunal administratif de Sofia, Bulgarie) pose à la Cour une série de neuf questions préjudicielles portant sur l’interprétation des directives 2011/95/UE ( 2 ) et 2013/32/UE ( 3 ). La plupart de ces questions concernent des aspects de procédure et de fond liés au traitement de demandes de protection internationale introduites par les membres d’une même cellule familiale ( 4 ). La deuxième, la troisième, la huitième et la neuvième question concernent en revanche des aspects relatifs à l’examen de la recevabilité des demandes de protection internationale et à l’étendue du contrôle du juge de première instance sur les décisions de refus de cette protection, aspects déjà soulevés, mais sous des angles en partie différents, par l’Administrativen sad Sofia‑grad (tribunal administratif de Sofia) dans l’affaire Alheto dans laquelle j’ai présenté mes conclusions le 17 mai dernier (C‑585/16, EU:C:2018:327).

A. Le contexte juridique

2.

Afin d’améliorer la lisibilité des présentes conclusions, les dispositions pertinentes du droit de l’Union et du droit national seront rappelées dans l’analyse des questions préjudicielles. Il suffit de rappeler ici que l’examen des demandes de protection internationale est régi, en droit bulgare, par le Zakon za ubezhishteto i bezhantsite (loi sur l’asile et sur les réfugiés, ci-après le « ZUB ») qui prévoit deux formes de protection internationale, celle liée à la reconnaissance du statut de réfugié (article 8 du ZUB) et celle qui découle de l’octroi du statut humanitaire (article 9 du ZUB), correspondant à la protection subsidiaire prévue par la directive 2011/95. Cette directive et la directive 2013/32 ont été transposées en droit bulgare par des modifications introduites dans le ZUB par deux lois respectivement entrées en vigueur le 16 octobre et le 28 décembre 2015 ( 5 ).

II.   Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

3.

Les faits du litige au principal sont ainsi résumés dans la décision de renvoi. Le 16 décembre 2012, Mme Ahmedbekova et les membres de sa famille ont quitté légalement l’Azerbaïdjan pour l’Ukraine en passant par la Turquie. Pendant le séjour en Ukraine, où ils sont restés un an et deux mois, Mme Ahmedbekova et les membres de sa famille ont introduit une demande de protection internationale et ont été enregistrés auprès du Haut‑commissariat des Nations unies pour les réfugiés (ci-après le « HCR »). Sans attendre une réponse à leur demande de protection, ils sont partis légalement pour la Turquie le 19 janvier 2014 et, depuis la Turquie, ils sont entrés illégalement en Bulgarie. Le même jour, ils ont été arrêtés alors qu’ils tentaient de quitter le pays avec des passeports grecs ( 6 ).

4.

Le 20 janvier 2014, Mme Ahmedbekova et son mari, M. Emin Ahmedbekov, ont déposé séparément une demande d’asile auprès du président de la République de Bulgarie. La demande de Mme Ahmedbekova était introduite également pour le fils mineur du couple, né le 5 octobre 2007. Les deux demandes ont été rejetées le 4 novembre 2014.

5.

Le 19 novembre 2014, M. Ahmedbekov a introduit une demande de protection internationale auprès de la Drzhavnata agentsia za bezhantsite (Agence nationale pour les réfugiés, ci-après la « DAB ») qui a été rejetée par décision du 12 mai 2015. Le recours de M. Ahmedbekov contre cette décision a été rejeté par la juridiction de première instance par décision du 2 novembre 2015. À la date de la demande de décision préjudicielle, la procédure en cassation contre cette décision était encore pendante devant le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême, Bulgarie).

6.

Le 25 novembre 2014, Mme Ahmedbekova a également introduit une demande de protection internationale pour elle et une autre pour son fils, auprès de la DAB. Ces demandes ont été rejetées par décision du 12 mai 2015. Mme Ahmedbekova a contesté cette décision par un recours devant la juridiction de renvoi. Dans ce recours, Mme Ahmedbekova indique que sa demande de protection internationale est faite, d’une part, à titre personnel, en raison de la crainte d’être persécutée du fait de ses opinions politiques et, d’autre part, en tant que membre de la famille d’une personne, en l’espèce le conjoint, qui a été persécutée dans son pays.

7.

Il ressort de la décision de renvoi que Mme Ahmedbekova et son fils ont fait l’objet d’une décision de retour au sens de la directive 2008/115/CE ( 7 ).

8.

Par décision du 5 décembre 2016, l’Administrativen sad Sofia‑grad (tribunal administratif de Sofia) a décidé de suspendre la procédure et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Découle-t-il de l’article 78, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous a), d) et f), [TFUE] ainsi que du considérant 12 et de l’article 1 de la directive [2013/32] que le motif d’irrecevabilité de demandes de protection internationale prévu à l’article 33, paragraphe 2, sous e), de cette directive est une disposition ayant un effet direct dont les États membres ne peuvent pas écarter l’application, notamment en appliquant des dispositions plus favorables du droit national prévoyant un examen de la première demande de protection internationale, tout d’abord pour savoir si le demandeur remplit les conditions d’octroi d’un statut de réfugié et ensuite pour savoir s’il remplit les conditions d’octroi d’une protection subsidiaire, comme le requiert l’article 10, paragraphe 2, de ladite directive ?

2)

Découle-t-il de l’article 33, paragraphe 2, sous e), de la directive [2013/32], lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 3, et l’article 2, sous a), c) et g), ainsi qu’avec le considérant 60 de ladite directive, dans la situation de l’affaire au principal, qu’une demande de protection internationale déposée au nom d’un mineur accompagné par l’un de ses parents est irrecevable lorsqu’elle est motivée par le fait que l’enfant est un membre de la famille d’une personne ayant déposé une demande de protection internationale au titre de l’article 1er, section A, de la convention relative au statut des réfugiés [signée à Genève le 28 juillet 1951 et entrée en vigueur le 22 avril 1954, ci‑après la « convention de Genève »] ( 8 ) ?

3)

Découle-t-il de l’article 33, paragraphe 2, sous e), de la directive [2013/32], lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 1, et l’article 2, sous a), c) et g), ainsi qu’avec le considérant 60 de ladite directive, dans la situation de l’affaire au principal, qu’une demande de protection internationale déposée au nom d’une personne majeure est irrecevable lorsqu’elle est motivée dans le cadre des procédures devant l’autorité administrative compétente uniquement par le fait que le demandeur est un membre de la famille d’une personne ayant déposé une demande de protection internationale au titre de l’article 1er, section A, de la convention de Genève, alors que ce demandeur n’a pas le droit d’exercer une activité professionnelle au moment du dépôt de la demande ?

4)

Découle-t-il de l’article 4, paragraphe 4, de la directive [2011/95], lu conjointement avec le considérant 36 de ladite directive, qu’il requiert qu’une évaluation de la crainte fondée de persécution ou du risque réel de préjudice grave soit basée seulement sur des faits et des circonstances concernant le demandeur ?

5)

L’article 4 de la directive [2011/95], lu conjointement avec le considérant 36 de ladite directive, et l’article 31, paragraphe 1, de la directive [2013/32], permet-il une jurisprudence nationale qui :

a)

impose à l’autorité compétente d’examiner dans le cadre d’une procédure commune les demandes de protection internationale des membres d’une famille, lorsque ces demandes sont fondées sur des faits généraux et, plus précisément sur des allégations, selon lesquelles seulement l’un des membres de la famille a la qualité de réfugié ;

b)

impose à l’autorité compétente de suspendre la procédure concernant les demandes de protection internationale des membres d’une famille, qui, à titre personnel, ne remplissent pas les conditions d’octroi d’une telle protection, jusqu’à la clôture de la procédure concernant la demande du membre de la famille qui est déposée au titre de l’article 1er, section A, de la convention de Genève ;

notamment, cette jurisprudence est-elle permise en vertu de considérations liées à l’intérêt supérieur de l’enfant, au maintien de l’unité familiale et au respect du droit à la vie privée et familiale, au droit de rester dans l’État membre jusqu’à l’examen de la demande, compte tenu des articles 7, 18 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, des considérants 12 et 60, ainsi que de l’article 9, de la directive [2013/32], des considérants 16, 18 et 36, ainsi que de l’article 23, de la directive [2011/95], des considérants 9, 11 et 35, ainsi que des articles 6 et 12, de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale ( 9 ) ?

6)

Découle-t-il des considérants 16, 18 et 36, ainsi que de l’article 3, de la directive [2011/95], lus conjointement avec le considérant 24, ainsi que l’article 2, sous d) et j), l’article 13 et l’article 23, paragraphes 1 et 2, de ladite directive, qu’ils permettent une réglementation nationale comme celle en cause au principal, prévue à l’article 8, paragraphe 9, du ZUB, en vertu de laquelle sont également considérés comme réfugiés les membres de la famille d’un étranger ayant obtenu le statut de réfugié, dans la mesure où cela est compatible avec leur statut personnel et en l’absence de motifs, prévus par le droit national, excluant l’octroi du statut de réfugié ?

7)

Découle-t-il des motifs de persécution prévus à l’article 10 de la directive [2011/95] que l’introduction d’un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme contre l’État d’origine de la personne détermine l’appartenance de celle-ci à un certain groupe social au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de ladite directive, ou que l’introduction du recours doit‑elle être considérée comme une opinion politique au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous e), de cette directive ?

8)

Découle-t-il de l’article 46, paragraphe 3, de la directive [2013/32] que la juridiction est tenue d’examiner au fond des motifs d’octroi d’une protection internationale nouveaux, invoqués dans le cadre de la procédure juridictionnelle, qui ne sont pas mentionnés dans la requête déposée contre la décision de refus d’accorder une protection internationale ?

9)

Découle-t-il de l’article 46, paragraphe 3, de la directive [2013/32] que la juridiction est tenue d’apprécier la recevabilité de la demande de protection internationale sur la base de l’article 33, paragraphe 2, sous e), de ladite directive dans le cadre d’une procédure juridictionnelle de recours contre une décision de refus d’accorder une protection internationale, dès lors que dans la décision attaquée, la demande est appréciée au regard du point de savoir si le demandeur remplit tout d’abord les conditions d’octroi de statut de réfugié et ensuite les conditions d’octroi d’une protection subsidiaire, comme le requiert l’article 10, paragraphe 2, de cette directive ? »

9.

Des observations écrites ont été déposées devant la Cour par les gouvernements tchèque, hellénique, hongrois et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission européenne.

III.   Analyse

A. Remarques préliminaires

10.

Il convient de relever, à titre liminaire que, pour les mêmes motifs que ceux indiqués aux points 58 à 61 des conclusions que j’ai présentées le 17 mai 2018 dans l’affaire Alheto (C‑585/16, EU:C:2018:327), auxquelles je me permets de renvoyer, la directive 2013/32 est inapplicable ratione temporis aux faits du litige au principal. En effet, puisque Mme Ahmedbekova a introduit sa demande de protection internationale et celle pour le compte de son fils le 25 novembre 2014, ces demandes, antérieures tant à la date d’entrée en vigueur de la loi de transposition de la directive 2013/32 en droit bulgare (le28 décembre 2015) qu’à la date prévue à l’article 52, premier alinéa, première phrase, de cette directive (le 20 juillet 2015), doivent être examinées, tant en vertu du droit national (article 37 de la loi de transposition de la directive 2013/32 ( 10 )) que du droit de l’Union (article 52, premier alinéa, deuxième phrase, de la directive 2013/32), sur la base des dispositions de transposition en droit bulgare de la directive 2005/85/CE ( 11 ) qui a précédé la directive 2013/32. Dans ces conditions, je tenterai, dans la mesure du possible, de reformuler les questions préjudicielles posées par l’Administrativen sad Sofia‑grad (tribunal administratif de Sofia) comme si elles portaient sur la directive 2005/85.

11.

En ce qui concerne la directive 2011/95, sur la base des informations fournies par l’Administrativen sad Sofia‑grad (tribunal administratif de Sofia) dans sa demande de décision préjudicielle dans l’affaire Alheto, cette directive a été transposée en droit bulgare par une loi entrée en vigueur le 16 octobre 2015 non susceptible d’une application rétroactive. Cette loi ne devrait donc pas être applicable à la demande de protection internationale de Mme Ahmedbekova et à celle présentée par celle-ci pour le compte de son fils – qui ont été introduites le 25 novembre 2014 et rejetées par décision du 12 mai 2015 – de même qu’elle n’était pas applicable à la demande présentée par Mme Alheto ( 12 ). Toutefois, à la différence de la demande de décision préjudicielle dans l’affaire Alheto, la décision de renvoi dans le présent litige ne se prononce pas expressément sur cette inapplicabilité, ni ne donne d’indications sur d’éventuelles divergences dans les versions des dispositions pertinentes du ZUB qui se sont succédé à la suite de la transposition de la directive 2004/83/CE ( 13 ), qui a précédé la directive 2011/95, et de la transposition de cette dernière directive. Par ailleurs, la directive 2011/95 est certainement applicable aux faits du litige au principal et, en tout état de cause, la réponse aux questions préjudicielles qui portent sur l’interprétation de ses dispositions ne serait pas différente même si l’on prenait en considération les dispositions correspondantes de la directive 2004/83. J’estime donc qu’il n’est pas nécessaire de reformuler ces questions.

B. Sur les première, deuxième et troisième questions préjudicielles

12.

Les trois premières questions préjudicielles portent sur l’interprétation de l’article 33, paragraphe 2, sous e), de la directive 2013/32 et il y a lieu de les examiner ensemble.

13.

Conformément à l’article 33, paragraphe 1, de la directive 2013/32, « les États membres ne sont pas tenus de vérifier si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre à une protection internationale en application de la directive [2011/95], lorsqu’une demande est considérée comme irrecevable en vertu du présent article ». Le paragraphe 2, sous e), de ce même article précise que « [l]es États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme irrecevable uniquement lorsque : […] e) une personne à charge du demandeur introduit une demande après avoir, conformément à l’article 7, paragraphe 2, consenti à ce que son cas soit traité dans le cadre d’une demande introduite en son nom, et que rien dans la situation de la personne à charge ne justifie une demande distincte ».

14.

Il ressort de la décision de renvoi que le ZUB ne contient pas une disposition correspondante à l’article 33, paragraphe 2, sous e), de la directive 2013/32. Par conséquent, la DAB a procédé à l’examen du bien-fondé des demandes de protection internationale dans le litige au principal sans examiner au préalable la recevabilité de ces demandes sur la base du motif d’irrecevabilité prévu par cette disposition.

15.

Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’examen de la recevabilité d’une demande de protection internationale, sur la base de l’article 33, paragraphe 2, sous e), de la directive 2013/32, est obligatoire et si cette disposition a un effet direct. Par les deuxième et troisième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, une demande de protection internationale peut être jugée irrecevable, sur le fondement de la disposition susmentionnée, lorsqu’elle est motivée par le fait que la personne qui l’a introduite est un membre de la famille d’un demandeur d’asile au titre de l’article 1er, section A, de la convention de Genève. Cette question se pose concernant, d’une part, le cas dans lequel la demande a été déposée par le conjoint du demandeur d’asile au nom du fils mineur du couple (deuxième question préjudicielle) et, d’autre part, le cas dans lequel la demande a été présentée par le conjoint en son nom propre (troisième question préjudicielle).

16.

Étant donné que la directive 2013/32 n’est pas applicable ratione temporis aux faits du litige au principal, comme indiqué au point 10 des présentes conclusions, il y a lieu de reformuler toutes les questions préjudicielles de sorte qu’elles portent sur l’article 25, paragraphe 2, sous g), de la directive 2005/85, dont le texte est reproduit en termes quasiment identiques à l’article 33, paragraphe 2, sous e), de la directive 2013/32 qui a procédé à la refonte de la directive 2005/85.

17.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner aux points 78 à 80 des conclusions que j’ai présentées le 17 mai 2018 dans l’affaire Alheto (C‑585/16, EU:C:2018:327), il résulte du libellé de l’article 25, paragraphe 1, de la directive 2005/85 que les États membres avaient la faculté et non l’obligation d’inclure, dans les procédures nationales respectives d’examen des demandes d’asile, les motifs d’irrecevabilité prévues au paragraphe 2 de cet article, tandis qu’il ressort du considérant 22 de cette directive que l’article 25 de cette dernière constituait une exception à la règle selon laquelle les autorités compétentes des États membres doivent examiner toutes les demandes d’asile au fond ( 14 ).

18.

En d’autres termes, l’article 25, paragraphe 1, de la directive 2005/85 se limitait à autoriser les État membres à ne pas procéder à l’examen au fond des demandes d’asile en présence d’un des motifs d’irrecevabilité prévus au paragraphe 2 de cet article, mais ne leur imposait pas d’introduire, dans leurs droits respectifs, l’obligation, pour les autorités compétentes, de procéder à l’examen de la recevabilité des demandes d’asile, ni de prévoir, en présence d’un de ces motifs, le rejet automatique de la demande sans examen au fond.

19.

Il en résulte que, lors de la transposition de la directive 2005/85, le législateur bulgare pouvait légalement décider, ce qu’il a d’ailleurs fait, de ne pas transposer certains motifs ou tous les motifs d’irrecevabilité de la demande d’asile prévus à l’article 25, paragraphe 2, de la directive 2005/85 et notamment le motif prévu au point g) de cette disposition.

20.

Il convient donc de répondre à la première question préjudicielle, telle que reformulée, dans la mesure où elle interroge la Cour sur le caractère obligatoire de l’examen de la recevabilité des demandes de protection internationale au titre de l’article 25, paragraphe 2, sous g), de la directive 2005/85, en déclarant que l’article 25 de cette directive, lu à la lumière du considérant 22 de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’il n’impose aux États membres ni de procéder à l’examen de la recevabilité d’une demande d’asile sur la base des motifs prévus par le paragraphe 2 de cet article, ni de rejeter cette demande en présence d’un de ces motifs.

21.

Eu égard à cette réponse, il n’est en revanche pas nécessaire de se prononcer sur la première question préjudicielle, telle que reformulée, en ce qu’elle demande à la Cour si l’article 25, paragraphe 2, sous g), de la directive 2005/85 est directement applicable.

22.

En ce qui concerne les deuxième et troisième questions telles que reformulées, étant donné qu’il découle de la réponse à la première question que, sur la base du droit bulgare applicable à l’examen des demandes de protection internationale de Mme Ahmedbekova et de son fils, ces demandes ne pouvaient, en tout état de cause, pas être déclarées irrecevables pour le motif prévu à l’article 25, paragraphe 2, sous g), de la directive 2005/85, ces questions ont manifestement une nature hypothétique et sont donc irrecevables ( 15 ). En conséquence, je ne les examinerai que brièvement et à titre subsidiaire.

23.

La juridiction de renvoi fait observer qu’il n’existe pas de jurisprudence constante du Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême) sur la question de savoir si une demande de protection internationale fondée sur la crainte de persécution à l’encontre d’une personne appartenant à la même cellule familiale que le demandeur peut être examinée dans le cadre d’une procédure séparée de celle ayant pour objet la demande d’asile introduite par cette personne. En effet, l’article 32 de l’administrativnoprotsesualen Kodeks (code de procédure administrative, ci-après l’« APK ») qui, en vertu de son article 2, paragraphe 1, s’applique aux procédures administratives devant toutes les autorités bulgares, à moins qu’une loi n’en dispose autrement, prévoit que lorsque dans le cadre de procédures différentes « les droits et obligations des parties découlent de la même situation de fait et qu’une seule autorité administrative est compétente, il est possible de mener une seule procédure à l’égard de plusieurs parties ». En ce qui concerne les circonstances de la procédure au principal, l’Administrativen sad Sofia‑grad (tribunal administratif de Sofia) relève que la demande de protection internationale présentée par Mme Ahmedbekova au nom de son fils mineur devrait être considérée comme faisant partie de celle introduite par M. Ahmedbekov, puisqu’elle est fondée sur des motifs concernant ce dernier et souhaite savoir si cette demande ne doit pas, pour cette raison, être jugée irrecevable en application de l’article 33, paragraphe 2, sous e), de la directive 2013/32 [l’article 25, paragraphe 2, sous g), de la directive 2005/85, dans la version reformulée des questions préjudicielles] ( 16 ). En ce qui concerne la demande présentée par Mme Ahmedbekova en son nom propre, la juridiction de renvoi se demande si elle peut être introduite séparément de celle de M. Ahmedbekov, étant donné que Mme Ahmedbekova invoque au soutien de sa demande le fait qu’elle est un membre de la famille de ce dernier.

24.

L’article 6, paragraphe 2, de la directive 2005/85 dispose que « [l]es États membres font en sorte que toute personne majeure jouissant de la capacité juridique ( 17 ) ait le droit de déposer une demande d’asile en son nom ». Sur le fondement de l’article 6, paragraphe 3, de cette directive, lorsque les États membres prévoient qu’une demande d’asile peut être présentée par un demandeur pour le compte des personnes à sa charge, ceux-ci veillent « à ce que les personnes majeures qui sont à la charge du demandeur consentent à ce que la demande soit déposée en leur nom ; à défaut, ces personnes ont la possibilité d’introduire une demande en leur nom propre» ( 18 ).

25.

Il découle de ces dispositions qu’une personne qui a atteint la majorité et dispose de la capacité d’agir a le droit de présenter une demande de protection internationale en son nom propre, indépendamment du fait que le seul motif invoqué au soutien de sa demande soit le fait d’être un membre de la famille d’une personne qui a demandé la reconnaissance du statut de réfugié. En outre, il résulte de ces dispositions qu’une demande de protection internationale ne peut être présentée par un demandeur au nom d’une personne majeure qui dispose de la capacité d’agir sauf si cette personne est à sa charge ( 19 ) et a expressément consenti à cette façon de procéder, renonçant ainsi au droit de présenter une demande en son nom propre.

26.

Or, il ne résulte de la décision de renvoi ni que Mme Ahmedbekova doive être considérée comme étant à charge de son mari ( 20 ), ni qu’elle ait consenti à ce que ce dernier présente une demande de protection internationale en son nom. Par ailleurs, il est constant que M. Ahmedbekov n’a pas introduit une telle demande au nom de son épouse. Au contraire, les deux conjoints ont toujours introduit des procédures distinctes, tant lorsqu’ils se sont adressés au président de la République de Bulgarie que lorsqu’ils ont présenté leur demande à la DAB.

27.

Dans une telle situation, dans laquelle les conditions d’application de l’article 25, paragraphe 2, sous g), de la directive 2005/85, notamment celle relative au consentement de la personne concernée, ne sont pas remplies, la demande de Mme Ahmedbekova n’aurait, en toute hypothèse, pas pu être déclarée irrecevable sur le fondement du motif prévu par cette disposition, même si cette dernière avait été transposée en droit bulgare et elle n’aurait pas non plus pu être considérée comme faisant partie de la demande de M. Ahmedbekov, mais elle devait être examinée au fond de façon séparée, comme l’a d’ailleurs fait la DAB.

28.

En ce qui concerne la demande introduite par Mme Ahmedbekova au nom de son fils mineur, je relève qu’également dans ce cas l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2005/85 ne conditionne pas la possibilité pour un demandeur de présenter une demande de protection internationale au nom d’un mineur à sa charge au type de motifs invoqués au soutien de cette demande. Par conséquent, si le fils de Mme Ahmedbekova peut être considéré comme étant à sa charge, la demande introduite par cette dernière au nom de celui-ci n’aurait pas pu être déclarée irrecevable sur le fondement du motif prévu à l’article 25, paragraphe 2, sous g), de la directive 2005/85 – à supposer même que cette disposition eût été transposée en droit bulgare – sur la seule considération que les motifs au soutien de cette demande concernent la qualité de réfugié de M. Ahmedbekov ( 21 ).

C. Sur la quatrième question préjudicielle

29.

Par sa quatrième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’article 4, paragraphe 4, de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens qu’il requiert que l’évaluation de la crainte fondée de persécution (en vue de la reconnaissance du statut de réfugié) ou du risque réel de préjudice grave (en vue de la reconnaissance de la protection subsidiaire) soit basée seulement sur des faits et des circonstances concernant le demandeur.

30.

Il ressort des considérations exposées par la juridiction de renvoi et des circonstances du litige au principal que cette question vise à préciser si la reconnaissance du statut de réfugié à un demandeur de protection internationale sur la base du seul fait que ce demandeur est membre de la famille d’un réfugié reconnu est conforme avec l’économie de la directive 2011/95.

31.

Aux termes de l’article 2, sous d), de la directive 2011/95, on entend par « réfugié »« tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». L’article 4, paragraphe 3, de cette directive dispose qu’« [i]l convient de procéder à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale » et prévoit qu’il faut tenir compte des éléments énoncés aux points a) à e) de cette disposition, parmi lesquels figure au point c) « [l]e statut individuel et la situation personnelle du demandeur […] pour déterminer si, compte tenu de la situation personnelle du demandeur, les actes auxquels le demandeur a été ou risque d’être exposé pourraient être considérés comme une persécution ou une atteinte grave ». Selon l’article 4, paragraphe 4, de la directive 2011/95, seule disposition à être visée dans la question préjudicielle, « [l]e fait qu’un demandeur a déjà été persécuté ou a déjà subi des atteintes graves ou a déjà fait l’objet de menaces directes d’une telle persécution ou de telles atteintes est un indice sérieux de la crainte fondée du demandeur d’être persécuté ou du risque réel de subir des atteintes graves, sauf s’il existe de bonnes raisons de penser que cette persécution ou ces atteintes graves ne se reproduiront pas ». L’article 9, paragraphe 1, de la directive 2011/95 définit les conditions que doit remplir un acte pour constituer un « acte de persécution » au sens de l’article 1er, section A, de la convention de Genève, tandis que le paragraphe 2 de cet article donne quelques exemples de la forme que peuvent revêtir de tels actes. L’article 10, paragraphe 1, de la directive 2011/95 énumère aux points a) à e) les éléments que les États doivent prendre en considération dans l’appréciation des motifs de persécution prévus à l’article 2, sous d), de cette directive. Enfin, en vertu de l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2011/95, il doit y avoir un lien entre les actes de persécution au sens du paragraphe 1 de cet article et les motifs mentionnés à l’article 10 de ladite directive.

32.

Les dispositions rappelées ci-dessus requièrent que l’existence des conditions pour la reconnaissance du statut de réfugié soit appréciée au regard de la personne du demandeur d’asile. Toutefois, celles-ci n’excluent pas que ces conditions puissent être considérées comme remplies eu égard au lien familial existant entre le demandeur et une personne qui a été victime d’actes de persécution au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2011/95 ou qui craint, avec raison, d’être persécuté pour les motifs indiqués à l’article 2, sous d), de cette directive. Si le fait, pour un demandeur d’asile, d’invoquer au soutien de sa propre demande la persécution d’un membre de sa famille n’est pas en soi suffisant à cette fin, le statut de réfugié doit en revanche être reconnu au membre de la famille d’un réfugié qui en a fait la demande lorsque, sur la base de l’examen de sa situation individuelle et des circonstances personnelles de ce dernier, et à la lumière de l’ensemble des éléments pertinents relatifs notamment à la situation existant dans le pays d’origine et au mode opératoire des acteurs de la persécution ( 22 ), il apparaît que, à cause de ce lien de famille, il nourrit à titre individuel une crainte fondée d’être lui aussi victime de persécutions et lorsqu’il n’existe pas à son égard de causes d’exclusion d’un tel statut ( 23 ). Dans de telles circonstances, le lien entre les actes et les motifs de persécution exigé à l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2011/95 est assuré indirectement par référence aux motifs à la base de la persécution du membre de la famille du demandeur.

33.

Ainsi que l’a souligné la juridiction de renvoi, cette situation est expressément envisagée par le considérant 36 de la directive 2011/95 selon lequel « [l]es membres de la famille, du seul fait de leur lien avec le réfugié, risquent en règle générale d’être exposés à des actes de persécution susceptibles de motiver l’octroi du statut de réfugié» ( 24 ). Le risque qu’une telle situation d’exposition à la persécution se réalise est par ailleurs considéré comme étant significatif par le législateur de l’Union.

34.

Au regard des considérations qui précèdent, je suggère de répondre à la quatrième question préjudicielle que la directive 2011/95, notamment son article 2, sous d), et son article 4, paragraphe 3, lus à la lumière de son considérant 36, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à la reconnaissance du statut de réfugié à un demandeur de protection internationale en raison de son lien familial avec une personne qui a été victime d’actes de persécution au sens de l’article 9, paragraphe 1, de cette directive ou qui craint avec raison d’être persécutée pour un des motifs énoncés à l’article 2, sous d), de cette directive, lorsqu’il résulte, sur la base de la situation individuelle du demandeur et des circonstances personnelles de celui-ci, et à la lumière de l’ensemble des éléments pertinents, qu’à cause de ce lien familial il nourrit à titre individuel une crainte fondée d’être lui aussi victime de persécutions.

D. Sur la cinquième question préjudicielle

35.

Par sa cinquième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’article 4 de la directive 2011/95 et l’article 31, paragraphe 1, de la directive 2013/32, ainsi que notamment des considérations liées à l’intérêt supérieur de l’enfant, au maintien de l’unité familiale et au respect du droit à la vie privée et familiale, s’opposent à une jurisprudence nationale qui impose à l’autorité compétente d’examiner dans le cadre d’une procédure commune les demandes de protection internationale des membres d’une famille lorsque ces demandes sont fondées sur des allégations selon lesquelles seulement l’un des membres de la famille remplit les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié, ou impose à l’autorité compétente de suspendre la procédure concernant les demandes des membres d’une famille jusqu’à la clôture de la procédure concernant la demande du membre de la famille qui est déposée au titre de l’article 1er, section A, de la convention de Genève.

36.

Pour les motifs exposés au point 10 des présentes conclusions, cette question doit être examinée à la lumière des dispositions non pas de la directive 2013/32, mais de la directive 2005/85 qui l’a précédée.

37.

Il ressort de l’examen des trois premières questions préjudicielles et notamment du point 27 des présentes conclusions que, dans les circonstances de l’affaire au principal, la demande de protection internationale de Mme Ahmedbekova, en l’absence de consentement de cette dernière au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2005/85, doit être examinée séparément de celle du mari et cela indépendamment des motifs invoqués au soutien de cette demande.

38.

À cet égard, l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2005/85 est clair lorsqu’il indique qu’il est aux seuls fins de l’article 6, paragraphe 3, de cette directive, à savoir seulement lorsqu’une demande a été présentée au nom d’une ou plusieurs personnes à charge, que « les États membres peuvent adopter une décision unique concernant toutes les personnes à charge » si « la demande est fondée sur les mêmes motifs» ( 25 ).

39.

Par conséquent, lorsque les conditions d’application de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2005/85 ne sont pas remplies – comme c’est le cas de Mme Ahmedbekova – l’autorité compétente devra examiner les demandes introduites en leur nom propre par les divers membres d’une même famille dans le cadre de procédures distinctes.

40.

Il convient de souligner qu’il en est ainsi tant dans le cas où, comme le laissent entendre certains passages de la décision de renvoi, la demande de Mme Ahmedbekova devant la DAB était fondée sur sa seule qualité de conjoint d’une personne qui a demandé le statut de réfugié, que dans le cas où, comme il semble résulter d’autres passages de cette même décision, la demande était motivée par la crainte personnelle de persécution en raison de la situation du mari.

41.

La demande du fils mineur des époux Ahmedbekov, présentée au nom de celui-ci par Mme Ahmedbekova et fondée sur les mêmes motifs que ceux invoqués par celle-ci, doit en revanche être examinée conjointement à celle de la mère, conformément à l’article 6, paragraphe 3, et à l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2005/85.

42.

Dans la mesure où la juridiction de renvoi paraît estimer qu’un traitement disjoint des demandes de protection internationale des membres d’une même famille serait susceptible de porter atteinte au maintien de l’unité familiale ou de nuire à l’intérêt supérieur de l’enfant, par exemple dans le cas où ces demandes sont rejetées à des moments différents, j’observe que de telles considérations ne peuvent restreindre le droit du demandeur, consacré par l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2005/85, de présenter une demande de protection internationale séparément des autres membres de sa famille. Il reviendra à l’État membre concerné d’assurer le respect des principes mentionnés ci-dessus dans le cadre des procédures éventuelles de retour initiées à la suite du rejet définitif des demandes de protection internationale de chaque membre de la famille ( 26 ). Pour le reste, je rappelle, comme l’a fait la Commission dans ses observations écrites, que tant qu’ils sont « demandeurs » au sens de l’article 2, sous c), de la directive 2005/85, c’est-à-dire tant qu’une décision définitive n’a pas été prise sur leur demande d’asile, Mme Ahmedbekova et son fils jouissent des avantages liés à ce statut, notamment ceux prévus par les directive 2003/9/CE ( 27 ) et 2013/33.

43.

Il résulte de ce qui précède que la directive 2005/85 s’oppose à ce que la demande de protection internationale introduite en son nom propre par un membre de la famille du demandeur d’asile, quels que soient les motifs qui justifient cette demande, soit considérée comme faisant partie intégrante de la demande de ce demandeur et traitée conjointement à celle-ci.

44.

En revanche, ni la directive 2005/85 ni la directive 2011/95 ne semblent s’opposer à ce que les procédures relatives aux demandes de protection internationale introduites séparément par les membres d’une même famille, motivées par la crainte de persécution en raison de la situation d’un des membres de ce groupe, soient suspendues dans l’attente de l’issue de la procédure ayant pour objet la demande du membre dont la situation est à l’origine de la crainte de persécution du groupe familial (ci-après le « demandeur principal »).

45.

Toutefois, pour qu’une telle suspension soit permise, il faut selon moi que trois conditions soient réunies. En premier lieu, comme l’affirme la Commission dans ses observations écrites, la suspension doit être nécessaire à la réalisation d’un examen approprié, adéquat et exhaustif de ces demandes ou répondre à des considérations liées à l’intérêt supérieur de l’enfant, au maintien de l’unité familiale et au respect du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées. En deuxième lieu, la suspension ne doit pas porter atteinte au caractère autonome des demandes introduites séparément par les membres de la famille du demandeur principal. En troisième lieu, elle ne doit pas avoir comme conséquence d’empêcher un examen au fond de ces demandes d’une façon individuelle, objective et impartiale, comme l’exige l’article 8, paragraphe 2, sous a), de la directive 2005/85, et cela indépendamment de l’issue de la demande du demandeur principal, à savoir tant lorsque celle-ci a été définitivement rejetée que dans le cas où elle a été accueillie.

46.

Sur la base de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la cinquième question préjudicielle que la directive 2005/85, notamment l’article 6, paragraphes 2 et 3, et l’article 9, paragraphe 3, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce que les demandes de protection internationale introduites en leur nom propre par les membres de la famille d’une personne qui a demandé la reconnaissance du statut de réfugié soient considérées comme faisant partie de la demande introduite par cette dernière et traitées dans le cadre d’une procédure unique, même lorsqu’elles sont fondées exclusivement sur les mêmes motifs, concernant cette personne, qui justifient la demande, par celle-ci, de reconnaissance du statut de réfugié. Les directives 2005/85 et 2011/95 doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à ce que les procédures relatives aux demandes de protection internationale introduites séparément par les membres d’un même groupe familial, motivées par la crainte de persécution en raison de la situation d’un des membres de ce groupe, soient suspendues dans l’attente de l’issue de la procédure ayant pour objet la demande d’asile du membre dont la situation est à l’origine de la crainte de persécution dudit groupe. Toutefois, cette suspension ne doit pas porter atteinte au caractère autonome des demandes présentées, en leur nom, par les membres de la famille du demandeur dont la situation est à l’origine de leur crainte d’être persécutés, ni empêcher l’examen au fond au terme de la procédure d’examen de la demande introduite par ce demandeur, indépendamment du résultat de cette procédure.

E. Sur la sixième question

47.

Par sa sixième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande à la Cour si la directive 2011/95 s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit la reconnaissance du statut de réfugié aux membres de la famille d’un réfugié en vertu du seul lien familial qui les unit à ce dernier.

48.

Conformément à l’article 8, paragraphe 9, du ZUB « sont également considérés comme réfugiés les membres de la famille ( 28 ) d’un étranger ayant obtenu le statut de réfugié» ( 29 ). Il ressort de la décision de renvoi que, en vertu de cette disposition, la reconnaissance du statut de réfugié aux membres de la famille d’un réfugié reconnu est automatique et n’implique pas la vérification, dans le chef des membres de la famille, de l’existence d’une crainte fondée de persécution qui les concerne individuellement. La juridiction de renvoi estime que cette disposition pourrait être incompatible avec la directive 2011/95 qui ne prévoit pas un tel automatisme.

49.

Je relève tout d’abord – comme le fait d’ailleurs la juridiction de renvoi dans la demande de décision préjudicielle – que l’article 8, paragraphe 9, du ZUB ne serait applicable à Mme Ahmedbekova (et à son fils) que dans le cas où la demande d’asile présentée par M. Ahmedbekov serait acceptée. Or, en réponse à une demande d’éclaircissements fondée sur l’article 101 du règlement de procédure de la Cour, la juridiction de renvoi a précisé que, par un arrêt du 25 janvier 2017, le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême) a rejeté le pourvoi en cassation formé par M. Ahmedbekov contre l’arrêt qui a confirmé le rejet de sa demande d’asile, rendant ce rejet définitif. Par conséquent, l’automatisme prévu à l’article 8, paragraphe 9, du ZUB ne peut plus jouer en faveur de Mme Ahmedbekova et de son fils si l’on prend en considération, aux fins de l’application de cette disposition, la situation de M. Ahmedbekov. Pour autant, je ne considère pas que cela ait pour conséquence de rendre irrecevable la sixième question préjudicielle. En effet, il ressort de la décision de renvoi que Mme Ahmedbekova a invoqué au cours de la procédure juridictionnelle des motifs supplémentaires, relatifs à sa situation personnelle, au soutien de sa demande de protection internationale. Or, si l’examen de ces motifs (par la juridiction de renvoi) devait conduire à reconnaître à Mme Ahmedbekova le statut de réfugié, l’article 8, paragraphe 9, du ZUB pourrait être appliqué en faveur du fils de cette dernière dont le rejet par la DAB est également contesté dans le litige au principal. La sixième question préjudicielle ne revêt donc pas un caractère purement hypothétique et garde un lien suffisant avec le litige pendant devant la juridiction de renvoi.

50.

Sur le fond, cette question porte sur la compatibilité avec la directive 2011/95 d’une réglementation nationale qui admet l’octroi automatique d’un statut de réfugié à titre dérivé aux membres de la famille d’une personne qui remplit les critères pour être reconnue comme réfugié.

51.

Il convient de relever que si un tel « statut dérivé n’est pas envisagé par la convention de Genève ( 30 ), qui n’intègre pas le principe de l’unité de la famille dans la définition du terme « réfugié» ( 31 ), l’acte final de la Conférence de plénipotentiaires des Nations unies ayant élaboré le texte de la convention a toutefois reconnu expressément le « droit essentiel » du réfugié à l’unité de sa famille et a recommandé aux États signataires de prendre les mesures nécessaires à son maintien et, plus généralement, à la protection de la famille du réfugié. Ces recommandations ont été plusieurs fois renouvelées au fil du temps par les organes du HCR ( 32 ). Ainsi, dans un document du 4 juin 1999, le Comité permanent du HCR a affirmé qu’« il découle du principe de l’unité familiale que, si le chef de famille satisfait aux critères régissant la reconnaissance du statut de réfugié, les membres à charge de sa famille doivent normalement se voir reconnaître la qualité de réfugié» ( 33 ). Plus récemment, le HCR a préconisé la reconnaissance à titre dérivé du statut de réfugié aux membres de la famille de potentielles victimes de mutilations génitales féminines et admis la possibilité, également pour le mineur accompagné, d’être le demandeur principal titulaire du droit à l’unité familiale ( 34 ). Une référence au « statut dérivé de réfugié » figure également dans les principes directeurs sur la protection internationale relatifs aux demandes des mineurs ( 35 ). Enfin, ce statut est normalement admis dans le cadre des procédures de détermination du statut de réfugié qui relèvent du mandat du HCR ( 36 ).

52.

À l’instar de la convention de Genève, la directive 2011/95 ne prévoit pas la reconnaissance de la qualité de réfugié à titre dérivé aux membres de la famille d’un réfugié reconnu.

53.

L’article 23 de cette directive, intitulé « maintien de l’unité familiale », prévoit au paragraphe 2 que les membres de la famille d’un réfugié qui ne bénéficient pas individuellement de la protection internationale peuvent néanmoins prétendre à certains avantages ( 37 ), énumérés aux articles 24 à 35 de cette directive, dont le contenu est en substance le même que celui dont bénéficient les réfugiés reconnus ( 38 ). Cependant, le régime reconnu en vertu de cette disposition n’inclut pas la forme de protection la plus typique du statut de réfugié, à savoir la protection contre le refoulement prévue à l’article 21 de la directive 2011/95 et ne peut donc être assimilée à la reconnaissance d’un « statut de réfugié dérivé ». Toutefois, le fondement juridique de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2011/95 est le même, c’est-à-dire le droit du réfugié au maintien de l’unité familiale, au respect duquel les États membres doivent veiller, conformément à l’article 23, paragraphe 1, de cette directive ( 39 ).

54.

L’article 3 de la directive 2011/95, lu à la lumière du considérant 14 de cette directive, autorise les États membres à adopter ou maintenir des dispositions nationales, compatibles avec cette directive, plus favorables pour les ressortissants de pays tiers ou les apatrides qui demandent une protection internationale « lorsqu’une telle demande est comprise comme étant introduite au motif que la personne concernée a la qualité de réfugié au sens de l’article 1er, section A, de la convention de Genève» ( 40 ). Une disposition telle que celle prévue à l’article 8, paragraphe 9, du ZUB relève, à mon avis, du champ d’application de la réserve prévue par cet article.

55.

Certes, la requête par laquelle le membre de la famille d’une personne qui satisfait aux critères pour la reconnaissance du statut de réfugié demande que lui soit également reconnue la qualité de réfugié, indépendamment de l’existence d’une crainte fondée d’être persécutée qui le concerne personnellement, ne peut être considérée, au sens strict, comme fondée sur l’article 1er, section A, de la convention de Genève, comme le requiert l’article 3 de la directive 2011/95, lu à la lumière du considérant 14 de la même directive.

56.

Toutefois, je rappelle que dans les cas dans lesquels elle a exclu le recours à la réserve prévue à l’article 3 de la directive 2004/83 afin d’autoriser des dispositions nationales plus favorables dans la détermination des critères d’attribution de la qualité de réfugié, la Cour ne s’est pas fondée sur la constatation de l’impossibilité de rattacher la demande du demandeur d’asile à l’article 1er, section A, de la convention de Genève, mais a souligné l’incompatibilité de cette demande avec le système de cette convention ou son extranéité radicale audit système, privilégiant ainsi un critère de fond et non de forme dans l’interprétation et l’application de cette réserve.

57.

Ainsi, dans l’arrêt du 9 novembre 2010, B et D, (C‑57/09 et C‑101/09, EU:C:2010:661, points 114 et 115), la Cour a jugé que l’article 3 de la directive 2004/83 ne s’applique pas à des dispositions nationales octroyant le statut de réfugié à une personne qui en est exclue en vertu de l’article 12, paragraphe 2, de cette directive et a justifié cette inapplicabilité par le fait que la finalité des causes d’exclusion du statut de réfugié est de « préserver la crédibilité du système de protection » prévu par cette directive. De même, dans l’arrêt du 18 décembre 2014, M’Bodj (C‑542/13, EU:C:2014:2452, points 42 à 44), la Cour a déclaré qu’« il serait contraire à l’économie générale et aux objectifs de la directive 2004/83 de faire bénéficier des statuts qu’elle prévoit des ressortissants de pays tiers placés dans des situations dénuées de tout lien avec la logique de protection internationale» ( 41 ).

58.

Or, comme indiqué ci-dessus, d’une part, la reconnaissance du statut de réfugié à titre dérivé aux membres de la famille d’un réfugié reconnu n’est pas incompatible avec le système de la convention de Genève et est même recommandée par le HCR et admise en règle générale dans les procédures de détermination du statut de réfugié relevant du mandat de cet organisme ( 42 ). D’autre part, celle-ci poursuit des objectifs conformes à la directive 2011/95 qui prescrit expressément à l’article 23, paragraphe 1, l’obligation pour les États membres de veiller au maintien de l’unité familiale du réfugié ( 43 ), laissant par ailleurs ces derniers libres de décider quelles mesures adopter à cette fin, tout en fixant au paragraphe 2 de cet article le contenu minimum du régime applicable aux membres de la famille. En outre, le traitement réservé aux membres de la famille d’un réfugié reconnu concerne des situations qui relèvent pleinement de la « logique de protection internationale », ainsi qu’il résulte tant de l’acte final de la convention de Genève que de la pratique du HCR et comme le souligne la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »), notamment dans l’arrêt Mugenzi c. France ( 44 ).

59.

Avant de conclure, j’ajoute que pour que l’on puisse considérer qu’elle est compatible avec la directive 2011/95, en application de la réserve prévue à l’article 3 de cette directive, une disposition telle que celle de l’article 8, paragraphe 9, du ZUB doit permettre au membre de la famille d’un réfugié de demander et d’obtenir dans l’État membre concerné la reconnaissance du statut du réfugié à titre autonome et non à titre dérivé lorsqu’il remplit à titre individuel les conditions pour obtenir ce statut.

60.

Sur la base de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient, selon moi, de répondre à la sixième question préjudicielle en ce sens qu’est compatible avec les dispositions de la directive 2011/95, aux fins de l’application de la réserve prévue à l’article 3 de cette directive, une disposition nationale, telle que celle en cause dans le litige au principal, en vertu de laquelle les membres de la famille d’une personne à qui a été reconnue le statut de réfugié au sens de l’article 1er, section A, de la convention de Genève sont reconnus comme réfugiés indépendamment du fait qu’ils satisfassent ou non individuellement aux critères prévus par cet article, lorsque cela est compatible avec leur statut juridique personnel et que ne s’y opposent pas les causes d’exclusion énoncées à l’article 12 de ladite directive. Une telle disposition nationale relève de la réserve prévue à l’article 3 de la directive 2011/95 seulement à condition qu’il soit laissé aux membres de la famille du réfugié la possibilité de demander et d’obtenir la reconnaissance du statut de réfugié à titre autonome lorsqu’ils remplissent à titre individuel les conditions pour obtenir ce statut.

F. Sur la septième question préjudicielle

61.

Par sa septième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande à la Cour si l’introduction par le demandeur d’asile d’un recours devant la Cour EDH à l’encontre de son État d’origine détermine l’appartenance de ce demandeur à un « groupe social » au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95 ou si elle constitue l’expression d’une opinion politique au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous e), de cette directive.

62.

Il ressort de la décision de renvoi, même si de manière pas tout à fait claire, que Mme Ahmedbekova a invoqué pour la première fois devant l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia) des motifs de persécution qui la concernent personnellement – et non en sa qualité de membre de la famille de M. Ahmedbekov – liés à ses opinions politiques et son activité au soutien de personnes poursuivies par le gouvernement de l’Azerbaïdjan. Parmi les circonstances mentionnées devant la juridiction de renvoi par Mme Ahmedbekova figure son implication (on ne comprend pas si c’est en tant que requérant ou plus simplement en tant que personne proche des requérants effectifs) dans l’introduction d’un recours devant la Cour EDH contre l’Azerbaïdjan. La juridiction de renvoi se demande si cette circonstance permet en soi d’appliquer les notions définies à l’article 10, paragraphe 1, sous d) et sous e), de la directive 2011/95 à la situation de Mme Ahmedbekova.

63.

Je partage l’avis de tous les États membres qui ont présenté des observations écrites devant la Cour et de la Commission qui suggèrent de répondre par la négative à la question préjudicielle en cause.

64.

Conformément à l’article 2, sous d), de la directive 2011/95, est « réfugié » tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, dans les circonstances prévues par cet article, a une crainte fondée d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social. L’article 10, paragraphe 1, de cette directive indique les éléments que les États membres doivent prendre en considération lorsqu’ils apprécient les motifs de persécution.

65.

Cette disposition définit, au point d), la notion de « certain groupe social ». Aux termes de cette définition, un groupe est considéré comme un « certain groupe social » lorsque, en particulier, deux conditions cumulatives sont remplies. D’une part, les membres du groupe doivent partager une « caractéristique innée » ou une « histoire commune qui ne peut être modifiée », ou encore une « caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce ». D’autre part, ce groupe doit avoir son identité propre dans le pays tiers en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante ( 45 ). Or, il me semble évident que cette notion n’est pas applicable à un groupe de personnes en vertu du seul fait que ceux-ci ont introduit, individuellement ou collectivement, un recours devant une juridiction internationale contre leur pays d’origine. En effet, une telle circonstance ne permet en soi ni d’affirmer que ces personnes, bien qu’unies par certaines convictions politiques, partagent une « caractéristique innée commune » ou une « histoire qui ne peut être modifiée » ou une « croyance essentielle », au sens de la disposition susmentionnée, ni de juger que ceux-ci sont considérés, dans leur pays d’origine, comme faisant partie d’un groupe doté d’une identité propre en ce qu’il est perçu comme étant différent.

66.

En ce qui concerne l’expression « opinion politique », l’article 10, paragraphe 1, sous e), de la directive 2011/95 précise qu’elle recouvre « les opinions, les idées ou les croyances dans un domaine lié aux acteurs de la persécution potentiels […] ainsi qu’à leurs politiques et à leurs méthodes, que ces opinions, idées ou croyances se soient ou non traduites par des actes de la part du demandeur ». Même s’il n’est pas possible d’exclure a priori qu’un recours devant la Cour EDH constitue la traduction en actes d’une « croyance dans un domaine lié aux acteurs de la persécution potentiels ainsi qu’à leurs politiques et à leurs méthodes » (lorsque la persécution est imputable à l’État contre lequel le recours est introduit), ou puisse être perçu comme tel, je ne pense pas que cette seule circonstance doive automatiquement conduire les autorités compétentes de l’État membre concerné à retenir l’existence du motif de persécution lié aux opinions politiques du demandeur.

67.

À cet égard, je rappelle que, conformément à l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2011/95, l’évaluation des demandes de protection internationale est effectuée en tenant compte de l’ensemble des faits et circonstances pertinents qui concernent, en particulier, le demandeur d’asile et c’est donc à la lumière de l’ensemble de ces faits et circonstances qu’il sera décidé si le demandeur professe une opinion politique non tolérée par les autorités de son pays d’origine et qu’à cause de cette opinion il craint avec raison d’être persécuté s’il retournait dans ce pays ( 46 ).

68.

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la septième question préjudicielle en ce sens que l’introduction d’un recours devant la Cour EDH par un demandeur d’asile contre son État d’origine ne détermine pas automatiquement l’appartenance de ce demandeur à un certain groupe social au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95 ou son adhésion à une opinion politique au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous e), de cette directive.

G. Sur la huitième question préjudicielle

69.

Par sa huitième question préjudicielle, l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia) demande, en substance, à la Cour si l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32 doit être interprété en ce sens que la juridiction de première instance saisie d’un recours contre une décision de refus de protection internationale est tenue d’examiner les motifs au soutien de la reconnaissance de la protection internationale invoquée par le demandeur pour la première fois dans la procédure juridictionnelle et qui ne sont mentionnés ni dans la demande de protection internationale rejetée par la décision attaquée ni dans la requête introductive d’instance ( 47 ).

70.

Pour les motifs indiqués au point 10 des présentes conclusions, cette question doit, à mon avis, être jugée irrecevable, car l’on ne saurait considérer, pour les motifs indiqués au point 65 des conclusions que j’ai présentées le 17 mai 2018 dans l’affaire Alheto (C‑585/16, EU:C:2018:327), qu’elle porte sur l’interprétation de l’article 39 de la directive 2005/85. Les considérations qui suivent sont par conséquent présentées à titre subsidiaire.

71.

Conformément à l’article 46, paragraphe 1, sous a), i), de la directive 2013/32, « [l]es États membres font en sorte que les demandeurs disposent d’un droit à un recours effectif devant une juridiction contre […] une décision concernant leur demande de protection internationale, y compris […] les décisions considérant comme infondée une demande quant au statut de réfugié et/ou au statut conféré par la protection subsidiaire ». Le paragraphe 3 du même article dispose que « [p]our se conformer au paragraphe 1, les États membres veillent à ce qu’un recours effectif prévoie un examen complet et ex nunc tant des faits que des points d’ordre juridique, y compris, le cas échéant, un examen des besoins de protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE, au moins dans le cadre des procédures de recours devant une juridiction de première instance ».

72.

Lorsqu’elle expose les raisons qui l’ont conduite à poser à la Cour la huitième question préjudicielle, la juridiction de renvoi relève que, en cours d’instance, Mme Ahmedbekova a invoqué une crainte fondée d’être persécutée à cause de ses opinions politiques, en alléguant, au soutien de cette invocation, les liens entretenus avec des personnes qui ont introduit un recours contre l’Azerbaïdjan devant la Cour EDH ( 48 ) ainsi que son activité en défense de personnes poursuivies par les autorités de l’Azerbaïdjan ( 49 ).

73.

S’il ressort clairement de la décision de renvoi que ces allégations ont été avancées pour la première fois au cours de la procédure juridictionnelle, il n’est en revanche pas aussi évident, comme je l’ai déjà fait observer au point 40 des présentes conclusions, que la demande de protection internationale de Mme Ahmedbekova rejetée par la DAB ne concernait pas déjà un risque de persécution qui pesait sur elle à titre individuel en tant que conjoint d’une personne persécutée pour ses orientations politiques ou en raison des opinions qu’elle avait exprimées, notamment pendant la détention de son mari ( 50 ).

74.

Si ce risque de persécution à titre individuel (même s’il est lié à la situation du mari) avait déjà été invoqué devant la DAB, ce que la juridiction de renvoi devra établir, les faits et les circonstances allégués et les documents présentés pour la première fois en justice par Mme Ahmedbekova doivent, selon moi, être considérés comme des éléments nouveaux visant à démontrer ce risque et non comme de nouveaux « motifs d’asile» ( 51 ). En effet, indépendamment de tout autre considération, tous les éléments invoqués par Mme Ahmedbekova, tant devant la DAB que devant la juridiction de renvoi, peuvent être rattachés à un unique motif de persécution (directe ou indirecte) ( 52 ), lié aux opinions exprimées par Mme Ahmedbekova (ou par son mari) contre le gouvernement de l’Azerbaïdjan et à son activisme en défense des droits des personnes qu’elle considère comme persécutées par ce gouvernement ( 53 ).

75.

Or, comme je l’ai déjà soutenu au point 69 des conclusions que j’ai présentées le 17 mai 2018 dans l’affaire Alheto (C‑585/16, EU:C:2018:327), lorsque l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32 dispose que l’examen complet en fait et en droit des moyens du recours contre une décision de refus de protection internationale doit être effectué « ex nunc », cela signifie que cet examen doit être conduit non pas sur la base de circonstances dont l’autorité qui a adopté la décision attaquée avait ou aurait dû avoir connaissance au moment de cette adoption, mais de celles existant au moment où le juge statue ( 54 ). Cela implique, d’une part, la possibilité pour le demandeur de se prévaloir d’éléments nouveaux qui n’ont pas été invoqués devant l’autorité qui a examiné la demande de protection internationale ( 55 ), et, d’autre part, le pouvoir, pour le juge qui examine le recours, de collecter d’office des éléments pertinents aux fins de l’appréciation de la situation du demandeur ( 56 ).

76.

Il s’ensuit que, dans une situation telle que celle en cause au principal, lorsque les faits et les circonstances allégués ainsi que les documents déposés pour la première fois en justice par Mme Ahmedbekova peuvent être considérés comme destinés à prouver une crainte fondée d’être persécutée à titre personnel déjà invoquée dans la demande de protection internationale rejetée par la décision attaquée devant la juridiction de renvoi, ce juge peut et doit en tenir compte en procédant lui-même, au regard de ces faits, circonstances et documents, dès lors que l’ensemble des éléments dont il dispose le lui permettent, à l’examen des besoins de protection internationale de Mme Ahmedbekova, conformément à l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, sans être tenu de renvoyer le dossier à l’administration ( 57 ).

77.

En revanche, si la demande introduite par Mme Ahmedbekova devant la DAB n’invoquait aucune crainte d’être persécutée à titre individuel – ne fût-ce qu’en sa qualité de membre de la famille d’une personne qui a subi ou risque de subir des persécutions – mais se limitait à demander, sur la base des dispositions nationales applicables, la reconnaissance d’un statut de réfugié à titre dérivé comme celui examiné ci-dessus, les faits allégués et les documents présentés par Mme Ahmedbekova en justice pourraient, en effet, comme semble l’envisager la juridiction de renvoi, être considérés comme visant à introduire, pour la première fois, devant ce juge, une demande de protection internationale fondée sur l’article 1er, section A, de la convention de Genève ( 58 ).

78.

Dans ce cas, si sur la base des dispositions pertinentes du droit national, ce juge était incompétent pour examiner cette demande, je considère qu’une telle compétence ne saurait être déduite de l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32 qui définit la portée du contrôle juridictionnel que les États membres sont tenus d’assurer concernant une décision de refus de la protection internationale au sens de la directive 2011/95 et concerne donc uniquement des situations dans lesquelles une telle décision existe et a été attaquée.

H. Sur la neuvième question préjudicielle

79.

Par sa neuvième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32 doit être interprété en ce sens qu’il impose à la juridiction de première instance saisie d’un recours contre une décision de refus de la protection internationale de se prononcer sur le motif d’irrecevabilité de la demande prévue par l’article 33, paragraphe 2, sous e), de cette directive même si la demande a été examinée par l’autorité compétente sur le fond.

80.

Selon moi, pour les motifs indiqués aux points 10 et 70 des présentes conclusions, cette question préjudicielle doit également être déclarée irrecevable. Sur le fond, la réponse à apporter est négative pour les motifs déjà exposés aux points 17 à 19 des présentes conclusions.

IV.   Conclusion

81.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de déclarer irrecevables la deuxième, la troisième, la huitième et la neuvième question préjudicielle et de répondre, après reformulation, comme suit aux autres questions préjudicielles :

« L’article 25 de la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres, lu à la lumière du considérant 22 de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas aux États membres de procéder à l’examen de la recevabilité d’une demande d’asile sur la base des motifs prévus au paragraphe 2 de cet article, ni de rejeter cette demande dans le cas où existe un de ces motifs.

La directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, notamment son article 2, sous d), et son article 4, paragraphe 3, lus à la lumière de son considérant 36, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à la reconnaissance du statut de réfugié à un demandeur de protection internationale en raison de son lien de famille avec une personne qui a été victime d’actes de persécution au sens de l’article 9, paragraphe 1, de cette directive ou qui craint avec raison d’être persécutée pour un des motifs énoncés à l’article 2, sous d), de cette directive, lorsqu’il résulte, sur la base de la situation individuelle du demandeur et des circonstances personnelles de celui-ci, et à la lumière de l’ensemble des éléments pertinents, qu’à cause de ce lien familial il nourrit à titre individuel une crainte fondée d’être lui aussi victime de persécutions.

La directive 2005/85, et en particulier son article 6, paragraphes 2 et 3, et son article 9, paragraphe 3, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce que les demandes de protection internationale introduites en leur nom propre par les membres de la famille d’une personne qui a demandé la reconnaissance du statut de réfugié soient considérées comme faisant partie de la demande introduite par cette dernière et traitées dans le cadre d’une procédure unique, même lorsqu’elles sont exclusivement fondées sur les mêmes motifs, relatifs à cette personne, qui justifient sa demande de reconnaissance du statut de réfugié. Les directives 2005/85 et 2011/95 doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à ce que les procédures relatives aux demandes de protection internationale introduites séparément par les membres d’un même groupe familial, motivées par la crainte de persécution en raison de la situation d’un des membres de ce groupe, soient suspendues dans l’attente de l’issue de la procédure ayant pour objet la demande d’asile du membre dont la situation est à l’origine de la crainte de persécution dudit groupe. Toutefois, cette suspension ne doit pas porter atteinte au caractère autonome des demandes présentées, en leur nom, par les membres de la famille du demandeur dont la situation est à l’origine de leur crainte d’être persécutés, ni en empêcher l’examen au fond au terme de la procédure d’examen de la demande introduite par ce demandeur, indépendamment du résultat de cette procédure.

Est compatible avec les dispositions de la directive 2011/95, aux fins de l’application de la réserve prévue à l’article 3 de cette directive, une disposition nationale, telle que celle en cause dans le litige au principal, en vertu de laquelle les membres de la famille d’une personne à qui a été reconnu le statut de réfugié au sens de l’article 1er, section A, de la convention de Genève sont reconnus comme réfugiés indépendamment du fait qu’ils satisfassent ou non individuellement aux critères prévus par cet article, lorsque cela est compatible avec leur statut juridique personnel et que ne s’y oppose pas les causes d’exclusion énoncés à l’article 12 de ladite directive. Une telle disposition nationale relève de la réserve prévue à l’article 3 de la directive 2011/95 seulement à condition qu’il soit laissé aux membres de la famille du réfugié la possibilité de demander et d’obtenir la reconnaissance du statut de réfugié à titre autonome lorsqu’ils remplissent à titre individuel les conditions pour obtenir ce statut.

L’introduction d’un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme par un demandeur d’asile contre son État d’origine ne détermine pas automatiquement l’appartenance de ce demandeur à un certain groupe social au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95 ou son adhésion à une opinion politique au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous e), de cette directive. »


( 1 ) Langue originale : l’italien.

( 2 ) Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9).

( 3 ) Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60).

( 4 ) Conformément à la directive 2011/95, sont considérées comme des « membres de la famille » les personnes énumérées à l’article 2, sous j), de cette directive, appartenant à la famille du bénéficiaire de protection internationale déjà fondée dans le pays d’origine, et qui sont présentes dans le même État membre en raison de la demande de protection internationale. On compte parmi ces membres, pour ce qui nous importe en l’espèce, le conjoint du bénéficiaire d’une protection internationale et les enfants mineurs du couple.

( 5 ) Il s’agit respectivement des dispositions complémentaires de la loi modifiant et complétant le ZUB (publiés au DV no 80 de 2015) et des dispositions complémentaires de la loi modifiant et complétant le ZUB (publiés au DV no 101 de 2015).

( 6 ) Lors de l’entretien personnel du 25 novembre 2014, Mme Ahmedbekova a déclaré qu’elle et sa famille avaient négocié avec un trafiquant pour qu’il les emmène en Allemagne mais que celui‑ci les avait laissés en Bulgarie sans les avertir.

( 7 ) Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98). Cette décision a été adoptée le 20 janvier 2014, c’est-à-dire le jour où Mme Ahmedbekova, son mari et son fils ont été arrêtés par les autorités bulgares.

( 8 ) La convention de Genève a été complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, adopté le 31 janvier 1967 et entré en vigueur le 4 octobre 1967.

( 9 ) JO 2013, L 180, p. 96.

( 10 ) Comme il a déjà été indiqué au point 61 des conclusions que j’ai présentées le 17 mai 2018 dans l’affaire Alheto (C‑585/16, EU:C:2018:327), l’article 37 de la loi de transposition de la directive 2013/32, entrée en vigueur le 28 décembre 2015, indique que les procédures initiées avant cette date sont finalisées sur la base des dispositions en vigueur précédemment.

( 11 ) Directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (JO 2005, L 326, p. 13).

( 12 ) Voir point 50 et note 39 des conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Alheto (C‑585/16, EU:C:2018:327).

( 13 ) Directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (JO 2004, L 304, p. 12).

( 14 ) Il en va de même, actuellement, pour ce qui est de l’article 33, paragraphe 1, de la directive 2013/32 (voir son considérant 43 dont la teneur est la même que celle du considérant 22 de la directive 2005/85). Je relèverai, en revanche, que la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une procédure commune en matière de protection internationale dans l’Union et abrogeant la directive 2013/32/UE (COM/2016/0467 final) rend obligatoire l’examen de la recevabilité des demandes de protection internationale (voir le point 1 de l’exposé des motifs de cette proposition relatif aux objectifs de celle-ci et notamment à l’objectif de rendre les « procédures plus simples, plus claires et plus courtes », p. 4). Pour ce qui importe en l’espèce, l’article 36, paragraphe 1, sous d), de cette proposition de règlement est rédigé dans les termes suivants : « [l]’autorité responsable de la détermination apprécie la recevabilité d’une demande dans le respect des principes de base et des garanties fondamentales énoncés au chapitre II, et la déclare irrecevable lorsque l’un des motifs suivants est applicable : […] un conjoint, un partenaire ou un mineur non accompagné introduit une demande après avoir consenti à ce qu’une demande soit introduite en son nom, et rien dans la situation de cette personne ne justifie une demande distincte ».

( 15 ) Voir, notamment, ordonnance du 22 juin 2017, Fondul Proprietatea (C‑556/15 et C‑22/16, non publiée, EU:C:2017:494, points 20 et 21).

( 16 ) La juridiction de renvoi s’interroge également sur la notion de « personne à charge » qui figure à l’article 33, paragraphe 2, sous e), de la directive 2013/32, compte tenu du fait que ni Mme Ahmedbekova ni M. Ahmedbekov ne semblent être en mesure du subvenir de façon autonome à leurs propres besoins et à ceux de leur fils.

( 17 ) Voir, dans ce même sens, article 7, paragraphe 1, de la directive 2013/32. Dans la version italienne de cette disposition, le terme « capacité juridique » a été correctement remplacé par « capacité d’agir ».

( 18 ) Voir, en ce sens, article 7, paragraphe 3, de la directive 2013/32.

( 19 ) Je relève que la condition d’être « à la charge » du demandeur, si elle figure encore à l’article 7 de la directive 2013/32, n’est en revanche pas reprise dans la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une procédure commune en matière de protection internationale dans l’Union et abrogeant la directive 2013/32/UE, citée à la note 14 des présentes conclusions, dont l’article 31, paragraphes 1 et 2, prévoit que le demandeur peut introduire une demande au nom de son conjoint ou partenaire engagé dans une relation stable et durable, à condition que ces personnes y aient consenti, de mineurs ou de personnes majeures à charge ne jouissant pas de la capacité juridique.

( 20 ) La juridiction de renvoi relève que ni Mme Ahmedbekova ni M. Ahmedbekov ne semblent être en mesure du subvenir de façon autonome à leurs propres besoins et à ceux de leur fils.

( 21 ) L’article 7, paragraphe 3, de la directive 2013/32 dispose que « [l]es États membres font en sorte que les mineurs aient le droit de présenter une demande de protection internationale soit en leur nom si, conformément au droit de l’État membre concerné, ils ont la capacité juridique d’agir dans les procédures, soit par l’intermédiaire de leurs parents ou de tout autre membre adulte de leur famille », dissociant donc le droit du parent de présenter une demande au nom du fils mineur du fait que celui-ci soit à sa charge et mettant dès lors les deux parents sur un pied d’égalité à cet effet. Dans le même sens, l’article 31, paragraphe 6, de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une procédure commune en matière de protection internationale dans l’Union et abrogeant la directive 2013/32/UE, citée à la note 14 des présentes conclusions, prévoit que « [l]es mineurs ont le droit d’introduire une demande en leur propre nom si, conformément au droit de l’État membre concerné, ils ont la capacité juridique d’agir dans les procédures, soit par l’intermédiaire d’un adulte responsable d’eux, de par le droit ou la pratique de l’État membre concerné, dont leurs parents ou une autre personne chargée, selon la loi ou la coutume, de s’occuper d’eux, ou de membres adultes de leur famille dans le cas d’un mineur accompagné ».

( 22 ) Sur la notion d’« acteur de la persécution », voir article 6 de la directive 2011/95.

( 23 ) Les causes d’exclusion du statut de réfugié sont énoncées à l’article 12 de la directive 2011/95. Outre l’absence de causes d’exclusion, il est également nécessaire que le statut juridique du membre de la famille ne s’oppose pas à la reconnaissance du statut de réfugié (par exemple, parce qu’il a la nationalité d’un État tiers dont il peut invoquer la protection).

( 24 ) Mise en italique par nos soins.

( 25 ) La même disposition figure actuellement à l’article 11, paragraphe 3, de la directive 2013/32 concernant les cas de demandes présentées au nom de personnes à charge au sens de l’article 7, paragraphe 2, de cette directive. Une exception à l’adoption d’une décision unique est toutefois introduite pour le cas dans lequel une telle action conduirait à « une divulgation de la situation particulière d’un demandeur, qui pourrait nuire à ses intérêts, notamment en cas de persécution fondée sur le genre, l’orientation sexuelle, l’identité de genre et/ou sur l’âge ». En pareil cas, les autorités compétentes sont tenues de communiquer une décision distincte à la personne concernée.

( 26 ) Voir article 5 de la directive 2008/115 et son considérant 22, au vu desquels l’« intérêt supérieur de l’enfant » et le respect de la vie familiale devraient constituer des considérations primordiales pour les États membres lorsqu’ils mettent en œuvre cette directive.

( 27 ) Directive 2003/9/CE du Conseil, du 27 janvier 2003, relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres (JO 2003, L 31, p. 18).

( 28 ) D’après les indications données par la décision de renvoi, sont considérés « membres de la famille », au sens du ZUB, le conjoint du demandeur de protection internationale ou la personne avec laquelle ces derniers ont un lien stable et de long terme établi, les enfants mineurs non mariés du couple, ainsi que les enfants majeurs non mariés qui ne sont pas en mesure de subvenir eux-mêmes à leurs besoins pour des raisons de santé sérieuses. La juridiction de renvoi n’a pas donné d’indications concernant d’éventuelles autres catégories à prendre en considération relevant de l’article 8, paragraphe 9, de la ZUB.

( 29 ) Dans la mesure où cela est compatible avec son statut personnel et en l’absence de motifs d’exclusion prévus par la ZUB.

( 30 ) Conformément à cette convention, le réfugié est celui qui craint avec raison à titre individuel d’être persécuté au sens de l’article 1er, section A.

( 31 ) Voir, HCR, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (HCR/1P/4/FRE/REV.1), 1992, point 183.

( 32 ) Voir, par exemple, conclusion du Comité exécutif du Programme du Haut‑commissariat sur la protection internationale adoptée lors de sa 49e session en 1998 (A/AC.96/911, paragraphe 21) et conclusion 88 (L), 1999, point b), iii), disponible à l’adresse internet http://www.unhcr.org/excom/exconc/3ae68c4340/protection-refugees-family.html

( 33 ) Voir document intitulé « Questions relatives à la protection de la famille » (EC/49/SC/CRP.14) disponible à l’adresse internet http://www.unhcr.org/fr/excom/standcom/4b30a618e. Déjà dans le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, le HCR relevait que la majorité des États, qu’ils soient ou non parties à la convention de Genève, observe la recommandation formulée dans l’acte final de la conférence de plénipotentiaires mentionné ci-dessus, voir les points 183 et 184. Aux termes de ces documents, il y a lieu d’inclure au moins le conjoint et les enfants mineurs parmi les membres de la famille en faveur desquels joue le principe de l’unité familiale.

( 34 ) Voir, HCR, Note d’orientation sur les demandes d’asile relatives aux mutilations génitales féminines, mai 2009, disponible à l’adresse internet http://www.refworld.org/docid/4d70cff82.html, point 11.

( 35 ) Voir, HCR, Principes directeurs sur la protection internationale no 8 : les demandes d’asile d’enfants, 22 décembre 2009, disponible à l’adresse internet http://www.unhcr.org/fr/publications/legal/4fd736c99/principes-directeurs-no-8-demandes-dasile-denfants-cadre-larticle-1a2-larticle.html, point 9.

( 36 ) Voir, HCR, Normes relatives aux procédures de détermination du statut de réfugié relevant du mandat du HCR, 20 novembre 2003, point 5.1.1.

( 37 ) Conformément aux procédures nationales et dans la mesure où cela est compatible avec leur statut juridique personnel.

( 38 ) L’unique différence résulte de l’article 24, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2011/95 en ce qui concerne la durée du titre de séjour qui peut être inférieure à trois ans, sans préjudice de l’exigence prévue à l’article 23, paragraphe 1, de cette directive, c’est-à-dire l’exigence de maintenir l’unité familiale.

( 39 ) Cette disposition prévoit que « [l]es États membres veillent à ce que l’unité familiale puisse être maintenue ».

( 40 ) Voir considérant 14 de la directive 2011/95. Selon l’article 3 de la directive 2011/95, « [l]es États membres peuvent adopter ou maintenir des normes plus favorables pour décider quelles sont les personnes qui remplissent les conditions d’octroi du statut de réfugié ou de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et pour déterminer le contenu de la protection internationale, dans la mesure où ces normes sont compatibles avec la présente directive ». Voir, dans le même sens, article 3 et considérant 8 de la directive 2004/83.

( 41 ) Mise en italique par nos soins. En l’espèce, il s’agissait de l’octroi du statut de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire à un ressortissant d’un pays tiers atteint d’une maladie grave, en raison du risque de détérioration de son état de santé résultant de l’inexistence de traitements adéquats dans le pays d’origine.

( 42 ) L’importance du rôle du HCR lors de la décision sur la reconnaissance du statut de réfugié conformément à la convention de Genève est reconnue au considérant 22 de la directive 2011/95.

( 43 ) Voir également considérant 16 de la directive 2011/95, selon lequel cette dernière vise notamment à assurer le droit d’asile des demandeurs d’asile et des membres de leur famille, et à promouvoir l’application notamment de l’article 7 de la charte des droits fondamentaux qui consacre le respect de la vie familiale.

( 44 ) Cour EDH, 10 juillet 2014, Mugenzi c. France (CE:ECHR:2014:0710JUD005270109, § 54).

( 45 ) Voir arrêt du 7 novembre 2013, X e.a. (C‑199/12 à C‑201/12, EU:C:2013:720, point 45).

( 46 ) Voir, HCR, Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, décembre 2011, disponible à l’adresse internet http://www.refworld.org/docid/4f33c8d92.html, points 80 à 86.

( 47 ) Je relève que la même problématique a été soulevée par deux questions préjudicielles soumises à la Cour par le Raad van State Afdeling Bestuursrechtspraak (Conseil d’État, section du contentieux administratif, Pays‑Bas) dans l’affaire pendante C‑586/17, Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, I., D. Dans cette affaire, est en cause la compatibilité, avec l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, de l’interdiction, imposée au juge administratif par une jurisprudence constante du Raad van State (Conseil d’État) des Pays-Bas, d’examiner, lors du recours contre la décision de refus de la protection internationale, des motifs de protection qui n’ont pas été invoqués antérieurement devant l’autorité administrative.

( 48 ) La décision de renvoi évoque un premier recours introduit par M. Ahmedbekov en 2008 et un second introduit par Mme Ahmedbekova en 2010. Ces recours auraient par la suite fait l’objet d’une jonction.

( 49 ) Mme Ahmedbekova cite à cet égard sa collaboration avec une chaîne de télévision d’opposition installée en Turquie : « Azerbaydzhanski chas ». Il n’est cependant pas précisé à partir de quelle date a commencé cette collaboration.

( 50 ) La juridiction de renvoi expose que M. Ahmedbekov a été condamné à trois années de prison le 30 mars 2010 et que, selon les affirmations de Mme Ahmedbekova, à partir du 1er juin 2010, cette dernière se serait exprimée publiquement sur le droit à la correspondance et le droit de visite, elle aurait été convoquée au commissariat de police, interrogée et menacée afin de la pousser à ne pas intervenir publiquement. Mme Ahmedbekova a également déclaré avoir été la victime d’un harcèlement sexuel sur son lieu de travail. Ces allégations pourraient avoir été présentées devant la DAB.

( 51 ) En revanche, je ne pense pas, si la demande de Mme Ahmedbekova devait être interprétée comme invoquant déjà un risque personnel de persécution à cause des opinions politiques exprimées par elle ou par son mari contre le gouvernement de l’Azerbaïdjan, que les allégations relatives à ses liens avec des opposants de ce gouvernement ou à son activité en faveur de ses opposants puissent être considérées comme des « nouvelles déclarations » au sens de l’article 40, paragraphe 1, de la directive 2013/32. Sur ce point, les circonstances de la procédure principale dans la présente demande de décision préjudicielle se distinguent de celles des procédures qui ont donné lieu au renvoi préjudiciel dans l’affaire pendante C‑586/17, Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, I., D. dans laquelle les requérantes avaient invoqué pour la première fois en justice des motifs de reconnaissance de la protection subsidiaire sans lien avec ceux invoqués devant l’autorité administrative.

( 52 ) Je rappelle que les motifs de persécution sont énoncés à l’article 1er, section A, de la convention de Genève et repris à l’article 2, sous d), de la directive 2011/95. L’article 10 de cette directive précise les éléments que les États membres doivent prendre en considération afin d’apprécier ces motifs.

( 53 ) Même l’allégation de harcèlement sexuel sur son lieu de travail, faite par Mme Ahmedbekova devant la DAB, semble avoir été présentée par la requérante comme une mesure de rétorsion contre l’activité d’opposition au gouvernement de l’Azerbaïdjan invoquée par les époux Ahmedbekov.

( 54 ) Voir, en ce sens, concernant l’application des articles 3 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment les arrêts de la Cour EDH, du 23 août 2016, J.K. e.a. c. Suède, (CE:ECHR:2016:0823JUD005916612, § 83), du 23 mars 2016, F.G. c. Suède, (CE:ECHR:2016:0323JUD004361111, § 115), du 2 octobre 2012, Singh e.a. c. Belgique (CE:ECHR:2012:1002JUD003321011, § 91), du 11 janvier 2007, Salah Sheekh c. Pays-Bas, (CE:ECHR:2007:0111JUD000194804, § 136).

( 55 ) Voir, en ce sens, Cour EDH, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, (CE:ECHR:2011:0121JUD003069609, § 389).

( 56 ) Voir, en ce sens, en ce qui concerne le contrôle de la Cour EDH les arrêts, notamment, du 14 février 2017, Allanazarova c. Russie, (CE:ECHR:2017:0214JUD004672115, § 68) et du 11 janvier 2007, Salah Sheekh c. Pays-Bas, (CE:ECHR:2007:0111JUD000194804, § 136).

( 57 ) Voir le point 71 des conclusions que j’ai présentées le 17 mai 2018 dans l’affaire Alheto (C‑585/16, EU:C:2018:327).

( 58 ) Il n’est guère besoin de souligner qu’également dans ces hypothèses n’entrent pas en jeu les dispositions de l’article 40 de la directive 2013/32, notamment celles relatives aux demandes ultérieures, puisque la demande présentée par Mme Ahmedbekova devant la DAB ne pourrait être considérée comme introduite sur le fondement de la directive 2011/95 et, en tout état de cause, aucune décision définitive sur cette demande n’a été adoptée, contrairement à ce qu’exige l’article 2, sous q), de la directive 2013/32 pour pouvoir qualifier une demande de protection internationale d’« ultérieure ».