CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 20 décembre 2017 ( 1 )

Affaire C‑647/16

Adil Hassan

contre

Préfet du Pas-de-Calais

[demande de décision préjudicielle formée par le tribunal administratif de Lille (France)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Frontières, asile et immigration – Demande de protection internationale – Interprétation de l’article 26 du règlement (UE) no 604/2013 – Obligation, pour les autorités nationales ayant formulé une demande de prise en charge, de ne pas adopter de décision de transfert en l’attente de l’acceptation de la prise en charge par l’État requis »

1.

Les autorités d’un État membre peuvent-elles adopter à l’égard d’un demandeur de protection internationale, et lui notifier, une « décision de transfert anticipée », à savoir une décision qui dispose son transfert vers l’État membre que ces autorités ont identifié comme responsable de l’examen de sa demande au titre du règlement (UE) no 604/2013 (ci‑après le « règlement Dublin III ») ( 2 ) avant que cet État membre, dûment requis par lesdites autorités, ait accepté la prise ou la reprise en charge de l’intéressé ?

2.

Telle est la teneur de la question préjudicielle posée à la Cour par le tribunal administratif de Lille (France) dans la demande de décision préjudicielle qui fait l’objet de l’affaire qui nous occupe aujourd’hui. Cette demande a été soulevée dans le cadre d’un litige entre M. Adil Hassan, ressortissant irakien, et le préfet du Pas-de Calais (France), au sujet de la validité de la décision par lequel ce dernier a ordonné le transfert de M. Hassan vers l’Allemagne.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3.

Conformément à son article 1er, le règlement Dublin III a pour objet d’établir les critères et les mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride (ci-après l’« État membre responsable »). Ces critères sont fixés dans le chapitre III dudit règlement, aux articles 8 à 15, et, conformément à l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement, doivent être appliqués dans l’ordre dans lequel ils sont énoncés. Conformément à l’article 3, paragraphe 2, dudit règlement, lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans ce règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l’examen.

4.

Le chapitre V du règlement Dublin III fixe les obligations de l’État membre responsable. Sous ce chapitre, l’article 18, paragraphe 1, sous b), prévoit que cet État membre est tenu de « reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29 [dudit règlement], le demandeur ( 3 ) dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ». L’État membre responsable est également tenu, conformément à l’article 18, paragraphe 2, du même règlement, d’examiner la demande de protection internationale présentée par le demandeur ou de mener à son terme l’examen.

5.

Conformément à l’article 20, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement Dublin III, « [l]’État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite pour la première fois est tenu, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, et en vue d’achever le processus de détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale, de reprendre en charge le demandeur qui se trouve dans un autre État membre sans titre de séjour ou qui y introduit une demande de protection internationale après avoir retiré sa première demande présentée dans un autre État membre pendant le processus de détermination de l’État membre responsable ».

6.

L’article 24, paragraphe 1, de ce même règlement prévoit que, lorsqu’un État membre, sur le territoire duquel une personne visée à l’article 18, paragraphe 1, sous b), c) ou d), dudit règlement se trouve sans titre de séjour et auprès duquel aucune nouvelle demande de protection internationale n’a été introduite (ci-après l’« État membre requérant »), estime qu’un autre État membre est responsable, conformément à l’article 20, paragraphe 5, et à l’article 18, paragraphe 1, sous b), c) ou d), du même règlement, il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne.

7.

Conformément à l’article 25, paragraphe 1, du règlement Dublin III, l’État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aussi rapidement que possible, et, en tout état de cause, dans un délai n’excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, visé au règlement (UE) no 603/2013 ( 4 ), ce délai est réduit à deux semaines. L’article 25, paragraphe 2, du règlement Dublin III précise que l’absence de réponse à l’expiration du délai d’un mois ou du délai de deux semaines mentionnés à l’article 25, paragraphe 1, dudit règlement équivaut à l’acceptation de la requête, et entraîne l’obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée.

8.

L’article 26 du règlement Dublin III figure à la section IV du chapitre VI de ce règlement, intitulée « Garanties procédurales ». Sous le titre « Notification d’une décision de transfert », cet article prévoit, à ses paragraphes 1 et 2, premier alinéa, ce qui suit :

« 1.   Lorsque l’État membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d’un demandeur ou d’une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l’État membre requérant notifie à la personne concernée la décision de transférer [celle-ci] vers l’État membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale […]

2.   La décision visée au paragraphe 1 contient des informations sur les voies de recours disponibles, y compris sur le droit de demander un effet suspensif, le cas échéant, et sur les délais applicables à l’exercice de ces voies de recours et à la mise [en] œuvre du transfert[,] et comporte, si nécessaire, des informations relatives au lieu et à la date auxquels la personne concernée doit se présenter si cette personne se rend par ses propres moyens dans l’État membre responsable. »

9.

Conformément à l’article 27, paragraphes 1 et 2, du règlement Dublin III, le destinataire d’une décision de transfert dispose d’un droit de recours effectif, dans un délai raisonnable, sous la forme d’un recours contre cette décision ou d’une révision, en fait et en droit, de celle-ci devant une juridiction.

10.

L’article 28, paragraphe 2, du règlement Dublin III, inclus dans la section V du chapitre VI dudit règlement, intitulée « Placement en rétention aux fins de transfert », est libellé comme suit :

« Les États membres peuvent placer les personnes concernées en rétention en vue de garantir les procédures de transfert conformément au présent règlement lorsqu’il existe un risque non négligeable de fuite de ces personnes, sur la base d’une évaluation individuelle et uniquement dans la mesure où le placement en rétention est proportionnel et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être effectivement appliquées. »

Le droit français

11.

Aux termes de l’article L. 742-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (ci-après le « Ceseda »), dans sa rédaction applicable au litige au principal :

« Lorsque l’autorité administrative estime que l’examen d’une demande d’asile relève de la compétence d’un autre État qu’elle entend requérir, l’étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu’à la fin de la procédure de détermination de l’État responsable de l’examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu’à son transfert effectif à destination de cet État. […] »

12.

Aux termes de l’article L. 742-3 du Ceseda :

« Sous réserve du second alinéa de l’article L. 742-1, l’étranger dont l’examen de la demande d’asile relève de la responsabilité d’un autre État peut faire l’objet d’un transfert vers l’État responsable de cet examen.

Toute décision de transfert fait l’objet d’une décision écrite motivée prise par l’autorité administrative.

Cette décision est notifiée à l’intéressé. Elle mentionne les voies et délais de recours ainsi que le droit d’avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. Lorsque l’intéressé n’est pas assisté d’un conseil, les principaux éléments de la décision lui sont communiqués dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu’il la comprend. »

13.

En application des dispositions de l’article L. 742-4, paragraphe I, du Ceseda, le délai dont dispose le magistrat désigné par le président du tribunal administratif pour statuer sur la légalité d’une décision de transfert vers l’État membre responsable au titre du règlement Dublin III est de quinze jours, ce délai n’étant toutefois pas prescrit à peine de nullité. Le recours formé contre cette décision est suspensif.

14.

L’article L. 551‑1, relatif au placement en rétention administrative dispose, en son premier alinéa, que, dans les cas prévus à l’article L. 561-2, paragraphe I, points 1 à 7, du Ceseda, l’étranger peut, lorsque certaines conditions sont remplies, être placé en rétention par l’autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, pour une durée de quarante-huit heures. Conformément à l’article L. 561-2, paragraphe I, point 1, du Ceseda, l’autorité administrative peut prendre une décision d’assignation à résidence à l’égard de l’étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l’éloignement demeure raisonnable lorsque cet étranger « fait l’objet d’une décision de transfert en application de l’article L. 742‑3 [du Ceseda] ». L’article L. 742‑5 du Ceseda précise que l’article L. 551‑1 est applicable à l’étranger faisant l’objet d’une décision de transfert « dès la notification de cette décision ».

Le litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

15.

M. Hassan, né le 5 janvier 1991 à Shingal (Irak), a été interpellé par les services de la police de l’air et des frontières du Pas‑de-Calais (France) le 26 novembre 2016 alors qu’il se trouvait dans la zone d’accès restreint du terminal du port de Calais (France). La consultation du fichier Eurodac a montré que ses empreintes avaient été relevées par les autorités allemandes les 7 novembre et 14 décembre 2015 en tant que demandeur d’asile ( 5 ).

16.

Le jour même de cette interpellation et de cette consultation du fichier Eurodac, le préfet du Pas-de-Calais a saisi les autorités allemandes d’une demande de reprise en charge. Concomitamment, il a décidé de transférer M. Hassan vers l’Allemagne et de le placer en rétention administrative.

17.

M. Hassan, à qui cette décision a été notifiée ce même jour, a, d’une part, contesté son placement en rétention administrative auprès du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Lille (France) et, d’autre part, a sollicité, auprès de la juridiction de renvoi, l’annulation de la décision du 26 novembre 2016 (ci-après la « décision attaquée au principal ») ( 6 ) en tant qu’elle ordonne son transfert vers l’Allemagne.

18.

Par un jugement en date du 29 novembre 2016, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Lille a ordonné la mainlevée de la mesure de rétention visant M. Hassan.

19.

Dans le cadre de son recours en annulation, M. Hassan soutient, entre autres, que la décision attaquée au principal méconnaît l’article 26 du règlement Dublin III, dès lors que cette décision a été prise et lui a été notifiée avant que l’État membre requis, en l’occurrence la République fédérale d’Allemagne, n’ait expressément ou implicitement répondu à la requête des autorités françaises. En défense, le préfet du Pas-de-Calais soutient que ni l’article 26 du règlement Dublin III ni l’article L. 742-3 du Ceseda ne s’opposent à ce qu’il prenne, dès le placement en rétention, une décision de transfert et qu’il notifie celle-ci à l’intéressé, qui est en mesure d’exercer les voies de recours qui lui sont ouvertes, conformément à l’article 27 dudit règlement. Il fait valoir que, en tout état de cause, le transfert ne pourra pas être exécuté tant que l’État membre requis n’aura pas accepté de prendre ou de reprendre en charge la personne concernée.

20.

La juridiction de renvoi observe que le fondement légal retenu dans la décision attaquée au principal pour ordonner le placement en rétention de M. Hassan est non pas l’article 28 du règlement Dublin III, mais les articles L. 551-1 et L 561-2 du Ceseda, et que le préfet du Pas‑de‑Calais a considéré que, eu égard au droit national applicable, il devait nécessairement, pour pouvoir procéder au placement en rétention de M. Hassan, prendre préalablement une décision de transfert, sans attendre la réponse de l’État membre requis. Une telle manière de procéder correspondrait à une pratique répandue des autorités compétentes françaises.

21.

Cette juridiction souligne également qu’il existe des jurisprudences divergentes quant à la validité d’une telle pratique. Alors que certains tribunaux administratifs appelés à connaître de la légalité de décisions de transfert anticipées ont annulé ces dernières pour méconnaissance de l’article 26 du règlement Dublin III ( 7 ), d’autres ont considéré que cet article ne faisait pas obstacle à ce que les autorités françaises prennent une décision et la notifie à la personne concernée avant la réponse de l’État membre requis à la demande de prise ou de reprise en charge formulée par ces autorités ( 8 ).

22.

Enfin, la juridiction de renvoi relève que, si l’interprétation tant littérale que téléologique de l’article 26 du règlement Dublin III va dans le sens de considérer qu’une décision de transfert ne peut être prise par les autorités de l’État membre requérant et ne peut être notifiée à la personne concernée qu’après acceptation, expresse ou implicite, de l’État membre requis, l’adoption et la notification à la personne intéressée d’une telle décision n’empêchent pas cette personne de contester utilement ladite décision devant le juge compétent, conformément à ce qui est prévu à l’article 27 dudit règlement. Elle fait remarquer que, en tout état de cause, cette décision ne pourra pas être exécutée avant la réponse de l’État membre requis et sera annulée dans le cas où cet État membre s’opposait à la prise en charge ou à la reprise en charge du demandeur.

23.

La décision de renvoi précise que M. Hassan n’a pas déposé de demande d’asile en France.

24.

C’est dans ces circonstances que le tribunal administratif de Lille a décidé de surseoir à statuer sur la requête de M. Hassan et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les dispositions de l’article 26 du règlement [Dublin III] font-elles obstacle à ce que les autorités compétentes de l’État membre qui a formulé, auprès d’un autre État membre qu’il considère comme étant l’État responsable par application des critères fixés par le règlement, une demande de prise en charge ou de reprise en charge d’un ressortissant d’un pays tiers ou d’un apatride qui a présenté une demande de protection internationale sur laquelle il n’a pas encore été statué définitivement, ou d’une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, [sous] c) ou d), du[dit] règlement, prenne une décision de transfert et la notifie à l’intéressé avant que l’État requis ait accepté cette prise ou cette reprise en charge ? »

25.

La République française, la Hongrie et la Commission européenne ont déposé des observations écrites.

Analyse

Observations liminaires

26.

Avant de procéder à l’analyse de la question préjudicielle, deux précisions doivent être apportées au cadre factuel et juridique de l’affaire au principal.

27.

En premier lieu, je relève que si, dans la base Eurodac, M. Hassan figure comme demandeur d’asile en Allemagne, il paraît, à la lecture du dossier au principal déposé au greffe de la Cour, que la procédure pour qu’il puisse être formellement considéré comme demandeur d’asile dans cet État membre n’a pas été achevée ( 9 ).

28.

Certes, l’article 20, paragraphe 2, du règlement Dublin III énonce un critère très large pour déterminer le moment à partir duquel une demande de protection internationale est réputée introduite dans un État membre pour les besoins de l’application de l’article 20, paragraphe 1, de ce règlement ( 10 ). Ainsi, il suffit, à cette fin, qu’« un formulaire présenté par le demandeur ou un procès-verbal dressé par les autorités [soit] parvenu aux autorités compétentes de l’État membre concerné ». En outre, dans le cas de M. Hassan, l’on peut vraisemblablement présumer que ces conditions sont remplies, même à défaut du dépôt par ce dernier d’une demande formelle d’asile en Allemagne ( 11 ), compte tenu notamment du fait qu’il a été désigné dans la base Eurodac comme demandeur d’asile dans cet État membre ( 12 ). Il n’en reste pas moins que ni la décision de renvoi ni la décision attaquée au principal ne précisent sur quelle lettre de l’article 18, paragraphe 1, du règlement Dublin III a été fondée la requête adressée à la République fédérale d’Allemagne visant à la reprise en charge de M. Hassan ( 13 ).

29.

Dans ces circonstances, et compte tenu du fait que la juridiction de renvoi ne doute pas que le règlement Dublin III s’applique au cas de M. Hassan et qu’elle n’a pas interrogé la Cour a cet égard, j’assumerai, pour les besoins des présentes conclusions, que la situation de M. Hassan relève de l’article 18, paragraphe 1, sous b), du règlement Dublin III (demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre) et que la demande de reprise en charge adressée à la République fédérale d’Allemagne par les autorités françaises a été présentée au titre de l’article 24 de ce règlement (présentation d’une requête aux fins de reprise en charge lorsque aucune nouvelle demande n’a été introduite dans l’État membre requérant).

30.

En second lieu, je signale que, après le dépôt de la demande de décision préjudicielle faisant l’objet de l’affaire qui nous occupe, la cour d’appel de Douai (France), saisie d’un appel contre un arrêt du tribunal administratif de Lille annulant une décision de transfert anticipée adoptée par le préfet du Pas-de-Calais dans des circonstances analogues à celles de l’affaire au principal, a posé au Conseil d’État (France) une série de questions portant, entre autres, sur la légalité de ce type de décisions à l’égard des articles L. 742-2 et L. 742-3 du Ceseda. Le Conseil d’État a rendu son avis le 19 juillet 2017 ( 14 ), en déclarant, à ce propos, qu’une décision de transfert d’un demandeur d’asile vers l’État membre responsable « ne peut être prise, et a fortiori être notifiée à l’intéressé, qu’après l’acceptation de la prise en charge par l’État requis ». L’intervention du Conseil d’État devrait donc mettre un terme à la pratique administrative en cause au principal ( 15 ), ainsi qu’aux divergences jurisprudentielles mentionnées par la juridiction de renvoi.

31.

Une dernière notation liminaire, faisant cette fois abstraction des circonstances de l’affaire au principal, mérite d’être faite.

32.

Si la réforme du système de Dublin envisagée par la Commission dans sa proposition de règlement modifiant le règlement Dublin III ( 16 ) devait être adoptée, la question préjudicielle posée par le tribunal administratif de Lille perdrait son intérêt en ce qui concerne les procédures de reprise en charge. L’article 26 de cette proposition prévoit en effet de remplacer les requêtes aux fins de reprise en charge par des « notifications aux fins de reprise en charge », qui ne requièrent pas une réponse de la part de l’État membre requis mais un simple accusé de réception. L’article 27 de cette proposition modifie, par conséquent, l’article 26, paragraphe 1, du règlement Dublin III, dont le libellé demeure, pour le reste, substantiellement inchangé, en restreignant sa portée aux seules procédures de prise en charge. En revanche, s’agissant des procédures de reprise en charge, l’article 27, paragraphe 2, de ladite proposition prévoit que « l’État membre où la personne concernée est présente notifie à cette dernière, par écrit et sans délai, la décision de la transférer vers l’État membre responsable ».

Sur la question préjudicielle

33.

Par sa question préjudicielle, le tribunal administratif de Lille demande, en substance, à la Cour si l’article 26, paragraphe 1, du règlement Dublin III s’oppose à ce que l’autorité compétente d’un État membre adopte et notifie à un demandeur de protection internationale une décision disposant son transfert vers l’État membre qu’elle estime responsable de l’examen de sa demande en application des dispositions du règlement Dublin III avant que ce dernier État n’ait donné son accord explicite ou implicite à la prise ou à la reprise en charge dudit demandeur.

34.

Tous les intéressés ayant déposé des observations devant la Cour sont de l’avis que l’interprétation littérale de l’article 26, paragraphe 1, première phrase, du règlement Dublin III conduit à conclure que la décision de transfert vers l’État membre responsable ne peut être notifiée à la personne concernée qu’après que cet État a accepté, explicitement ou implicitement, sa prise ou sa reprise en charge.

35.

Je suis de ce même avis. Le libellé de cette disposition est clair. Dans pratiquement toutes les versions linguistiques, l’emploi d’une conjonction introduisant une subordonnée circonstancielle conditionnelle ou temporelle ( 17 ) marque sans ambiguïté l’établissement d’un ordre procédural et chronologique précis entre, d’une part, l’acceptation de l’État membre requis et, d’autre part, la notification de la décision de transfert à l’intéressé. L’État membre requérant ne procède à une telle notification que si (et, donc nécessairement après que) l’État membre responsable a répondu favorablement à la demande de prise ou de reprise en charge, ou si le délai pour une telle réponse est expiré, donnant lieu à un accord implicite.

36.

Le libellé de l’article 26, paragraphe 1, première phrase, du règlement Dublin III reflète d’ailleurs l’intention du législateur de l’Union, telle que celle-ci ressort des travaux préparatoires de ce règlement. Ainsi, la proposition initiale de la Commission de refonte du règlement Dublin II ( 18 ), qui a conduit à l’adoption du règlement Dublin III ( 19 ) (ci-après la « proposition de règlement de la Commission »), mentionnait l’exigence de « préciser davantage » la procédure de notification de la décision de transfert à la personne intéressée. Le document rédigé par les services de la Commission accompagnant cette proposition indiquait que les précisions à apporter devaient concerner le « délai, la forme et le contenu de cette notification» ( 20 ). Conformément à ces indications, l’article 25, paragraphe 1, de ladite proposition définissait une procédure unique de notification ‐ valable tant dans la procédure de prise en charge du demandeur de protection internationale que dans celle de reprise en charge ( 21 ) ‐, ayant pour objet la « décision de transfert » de la personne concernée à l’État membre responsable ( 22 ). Cet article était rédigé pratiquement dans les mêmes termes que l’article 26, paragraphe 1, première phrase, du règlement Dublin III, et n’a subi, au cours du processus législatif, que des modifications de moindre importance ( 23 ).

37.

Malgré l’absence d’ambiguïté du libellé de l’article 26, paragraphe 1, première phrase, du règlement Dublin III, la Commission propose à la Cour, dans ses observations écrites, de répondre à la question préjudicielle en affirmant que cette disposition ne s’oppose pas à l’adoption et à la notification d’une décision de transfert anticipée. Une telle solution est, à son avis, cohérente avec l’objectif principal du règlement Dublin III – qui consisterait à établir une méthode efficace permettant la détermination rapide de l’État membre responsable, en empêchant les mouvements secondaires des demandeurs d’asile ‐ et ne porte pas atteinte aux droits des personnes concernées.

38.

À cet égard, je relève d’emblée que, bien que n’étant pas investie d’une question portant sur l’interprétation de cette disposition, dans un arrêt récent, prononcé après la fin de la procédure écrite dans l’affaire qui fait l’objet des présentes conclusions, la Cour a reconnu que, en application de l’article 26, paragraphe 1, du règlement Dublin III, une décision de transfert ne peut être notifiée à la personne concernée qu’après que l’État membre requis a accepté la prise en charge ou la reprise en charge de celle-ci ( 24 ). L’interprétation proposée par la Commission semblerait donc avoir déjà été rejetée par la Cour.

39.

Indépendamment de cela, cette interprétation n’emporte, de toute manière, pas ma conviction, tout d’abord d’un point de vue méthodologique.

40.

Il est certes vrai que, ainsi que le rappelle la Commission, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union doit tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie ( 25 ). Cependant, je doute que le recours à des argumentations d’ordre systématique ou téléologique puisse conduire à attribuer à une telle disposition une signification radicalement différente, sinon opposée, à celle qui ressort de son libellé clair, et cela même lorsqu’une telle opération devait, par hypothèse, aboutir à un résultat cohérent avec les objectifs de l’acte dans lequel ladite disposition s’insère.

41.

Ensuite, contrairement à ce que fait valoir la Commission, je suis de l’avis qu’une analyse systématique et téléologique corrobore l’interprétation qui ressort du libellé non ambigu de l’article 26, paragraphe 1, première phrase, du règlement Dublin III.

42.

En premier lieu, s’il ressort de l’article 20, paragraphe 5, du règlement Dublin III que le processus de détermination de l’État membre responsable ne s’achève qu’avec le transfert du demandeur vers cet État, le chapitre VI, sections II et III, de ce règlement fixe les procédures applicables respectivement aux « requêtes aux fins de prise en charge » et aux « requêtes aux fins de reprise en charge », qui se présentent comme des étapes internes à ce processus. Or, ces procédures débutent avec la présentation ‐ par l’État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite (article 21 dudit règlement) ou de l’État membre auprès duquel une personne visée à l’article 18, paragraphe 1, sous b), c) ou d), du même règlement a introduit une nouvelle demande de protection internationale (article 23 du même règlement) ou sur le territoire duquel elle se trouve (article 24 du même règlement) ‐ d’une requête de prise en charge ou de reprise en charge adressée à l’État membre considéré comme responsable et se clôture uniquement avec la réponse, explicite ou implicite, de cet État. Ce n’est qu’une fois ces procédures accomplies qu’il est possible de passer à la dernière étape du processus de détermination de l’État membre responsable, à savoir le transfert de la personne concernée (article 29 du même règlement), qui ne peut être entamée avant qu’une décision définitive sur le recours ou sur la demande de révision contre la décision de transfert ait été prise, si un effet suspensif est accordé. La section IV du même chapitre VI du règlement Dublin III, dans laquelle figure l’article 26, est placée après les sections consacrées aux procédures décrites ci-dessus et avant la section VI. Dans le système de ce chapitre, la notification de la décision de transfert (article 26 dudit règlement) et l’exercice du droit de recours (article 27 dudit règlement) sont des phases (éventuelles) du processus de détermination de l’État membre responsable qui interviennent uniquement lorsque et si les procédures décrites aux sections II et III du même chapitre s’achèvent par l’accord, explicite ou implicite, de l’État membre requis.

43.

En deuxième lieu, une telle lecture systématique est confirmée par l’analyse des termes employés par le législateur de l’Union. Alors que les articles 22 et 25 du règlement Dublin III emploient la locution « État membre requis » pour indiquer l’État membre auquel une requête de prise ou de reprise en charge a été adressée et à laquelle il n’a pas encore été répondu, l’article 26 dudit règlement utilise l’expression « État membre responsable » pour indiquer l’État membre vers lequel le transfert de la personne concernée est envisagé. Cette diversité terminologique marque, de toute évidence, le passage à une étape procédurale du processus de détermination de l’État membre responsable, ultérieure par rapport à celles décrites au chapitre VI, sections II et III, du règlement Dublin III, passage qui intervient lorsque l’État membre requis accepte la prise ou la reprise en charge de la personne concernée.

44.

En troisième lieu, je relève que l’article 26, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement Dublin III précise que la décision de transfert visée au paragraphe 1 de cet article contient des informations, entre autres, « sur les délais applicables […] à la mise en œuvre du transfert et comporte, si nécessaire, des informations relatives au lieu et à la date auxquels la personne concernée doit se présenter si cette personne se rend par ses propres moyens dans l’État membre responsable ». Puisque de telles informations dépendent, d’une part, de la date à laquelle l’État membre requis a consenti implicitement ou explicitement à la prise ou à la reprise en charge de la personne concernée et, d’autre part, de la teneur de cette réponse (lorsqu’elle est explicite), la précision contenue à l’article 26, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement Dublin III corrobore une lecture du paragraphe 1 de cet article selon laquelle la notification de la décision de transfert n’est faite qu’une fois que l’État membre requérant a reçu l’accord de l’État membre requis.

45.

En quatrième lieu, l’article 27, paragraphe 3, du règlement Dublin III prévoit que les États membres adoptent l’une des trois options précisées sous a) à c) de cette disposition pour, soit assurer un effet suspensif automatique au recours contre la décision de transfert ou à la demande visant à sa révision, soit donner à la personne concernée la possibilité de demander la suspension de l’exécution d’une telle décision. Le paragraphe 4 du même article prévoit, quant à lui, la faculté pour les État membres de prévoir que les autorités compétentes puissent d’office décider une telle suspension. Or, ces dispositions présupposent que la décision de transfert soit immédiatement exécutable, ce qui n’est pas le cas d’une décision de transfert anticipée ( 26 ).

46.

En cinquième lieu, si le fait de notifier la décision de transfert avant que l’État membre requis ait consenti à la prise ou à la reprise en charge de la personne concernée n’empêcherait pas cette dernière d’introduire un recours contre cette décision (ou une demande de révision) au titre de l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III, il convient cependant de se demander si une telle circonstance n’aurait pas pour conséquence de limiter la portée de ce recours, telle que celle-ci est précisée au considérant 19 dudit règlement, au vu duquel ledit recours doit permettre le contrôle de l’application correcte de ce règlement ( 27 ).

47.

À ce propos, il convient de souligner que la Cour a mis en garde contre une interprétation restrictive de l’étendue du droit de recours prévu à l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III. Une telle interprétation serait en effet susceptible de s’opposer à la réalisation de l’objectif d’améliorer la protection octroyée aux demandeurs au titre du système de Dublin, énoncé par le considérant 9 dudit règlement ( 28 ). Or, obliger l’intéressé à entamer un recours contre une décision qui ne contiendrait pas l’ensemble des éléments permettant de vérifier si les dispositions du règlement Dublin III ont été correctement appliquées pour que le transfert puisse être opéré reviendrait, de fait, à réduire l’étendue de son droit de recours.

48.

Plus particulièrement, si l’on devait considérer, contrairement au libellé clair de l’article 26, paragraphe 1, première phrase, du règlement Dublin III, que la notion de « décision de transfert » aux fins de l’application de cette disposition inclut les décisions de transfert anticipées, cela impliquerait que l’obligation de notification mise à la charge de l’État membre requérant ne s’étend pas nécessairement à des éléments tels que la date ou le contenu de la réponse donnée par l’État membre requis, lorsque cette réponse est explicite. De tels éléments pourraient donc ne jamais être communiqués à l’intéressé. Dans ce cas, comme dans le cas où leur communication interviendrait après qu’une décision sur le recours ou sur la demande de révision a été prise ‐ ce qui pourrait être souvent le cas, étant donné les délais très brefs de ces types de procédures ‐, l’intéressé n’aurait aucune possibilité de contester les informations éventuellement contenues dans la réponse de l’État membre requis quant aux motifs l’ayant conduit à accepter la requête de prise ou de reprise en charge ( 29 ), ni de vérifier, dans le cas où un effet suspensif ne serait pas accordé, si l’exécution de son transfert se fait dans le respect des dispositions du règlement Dublin III. Enfin, l’intéressé ne serait pas non plus mis dans les conditions de vérifier si son transfert est exécuté dans les délais prévus, selon les cas, par l’article 28, paragraphe 3, troisième alinéa, ou par l’article 29, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement Dublin III ( 30 ), et, dès lors, si l’État membre vers lequel il est transféré demeure responsable pour l’examen de sa demande de protection internationale au regard de la règle énoncée respectivement à l’article 28, paragraphe 3, quatrième alinéa, ou à l’article 29, paragraphe 2, dudit règlement. Or, bien que ce soit dans des circonstances différentes de celles de l’affaire au principal, dans l’arrêt du 25 octobre 2017, Shiri (C‑201/16, EU:C:2017:805, point 44), la Cour a dit pour droit que le demandeur de protection internationale doit pouvoir disposer d’un droit de recours effectif et rapide qui lui permette de se prévaloir de l’expiration du délai de six mois tel que défini à l’article 29, paragraphes 1 et 2, du règlement Dublin III ( 31 ). Or, un tel droit ne serait, dans les circonstances décrites ci‑dessus, pas garanti.

49.

En sixième lieu, si, comme le souligne la Commission, autoriser l’État membre requérant à procéder à la notification de la décision de transfert sans attendre la réponse de l’État membre requis serait sans doute cohérent avec l’objectif de célérité dans le traitement des demandes d’asile, mentionné au considérant 5 du règlement Dublin III, je rappelle que la Cour a déjà jugé, dans le contexte du règlement Dublin II, que le législateur de l’Union n’a pas entendu sacrifier la protection juridictionnelle des demandeurs d’asile à une telle exigence de célérité ( 32 ). Ce constat vaut, selon la Cour, a fortiori en ce qui concerne le règlement Dublin III, dans la mesure où le législateur de l’Union a sensiblement développé, par ce règlement, les garanties procédurales offertes aux demandeurs d’asile dans le cadre du système de Dublin ( 33 ). Par ailleurs, il convient de souligner que, conformément aux articles 22 et 25 du règlement Dublin III, l’obligation d’attendre l’accord explicite ou implicite de l’État membre requis entraînerait, tout au plus, un retard de la notification de la décision de transfert de deux mois, dans le cas d’une requête aux fins de prise en charge, et d’un mois, dans le cas d’une requête de reprise en charge.

50.

Compte tenu de l’ensemble des motifs exposés ci-dessus, je suis de l’avis que l’article 26, paragraphe 1, première phrase, du règlement Dublin III doit être lu en ce sens qu’il interdit à l’État membre requérant de notifier à la personne concernée la décision de la transférer vers l’État membre requis avant que ce dernier ait donné, de manière explicite ou implicite, son accord à un tel transfert.

51.

Une fois exclue la possibilité d’une telle « notification anticipée », la question de savoir si une décision de transfert peut être adoptée avant que l’accord de l’État membre requis ne soit intervenu perd forcement tout intérêt pratique. Les délais pour introduire le recours prévu à l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III ne pouvant courir qu’à partir du moment où cette décision a été notifiée à l’intéressé, son adoption « anticipée » ne comporterait aucune réduction significative des temps de procédure de prise ou de reprise en charge et demeurerait, dès lors, neutre à l’égard de l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale mis en avant par la Commission.

52.

Cela dit, je relève que, bien que l’article 26, paragraphe 1, du règlement Dublin III ne vise expressément que la notification de la décision de transfert et non pas son adoption, l’article 5, paragraphe 2, sous b), et paragraphe 3, du règlement Dublin III désigne l’article 26, paragraphe 1, de ce règlement comme étant la disposition sur le fondement de laquelle est prise la décision de transfert d’un demandeur vers l’État membre responsable ( 34 ). Or, des arguments systématiques substantiellement identiques à ceux exposés aux points 42 à 45 des présentes conclusions conduisent à écarter une lecture de cette disposition selon laquelle il serait permis aux États membres de décider le transfert avant que l’État membre requis ait consenti à la prise ou à la reprise en charge de la personne concernée. Au contraire, ces arguments conduisent à considérer que, avant l’accord de l’État membre requis à la prise ou à la reprise en charge de la personne concernée, les éléments pour qu’une décision de transfert vers cet État membre puisse être adoptée par l’État membre requérant en conformité avec les procédures établies par le règlement Dublin III ne sont pas tous réunis.

53.

Je suis, dès lors, de l’avis que l’article 26, paragraphe 1, du règlement Dublin III n’autorise ni la notification ni l’adoption d’une décision de transfert vers l’État membre requis avant que ce dernier État ait donné son accord, implicite ou explicite, à la prise ou à la reprise en charge de la personne concernée.

54.

Avant de conclure, il reste à préciser, eu égard aux raisons qui sous-tendent la pratique des autorités françaises d’adopter des décisions de transfert anticipées, que l’article 28 du règlement Dublin III ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit placée en rétention avant que son transfert ait été décidé, lorsque toutes les conditions prévues à cette disposition pour qu’une telle mesure soit prise sont remplies ( 35 ). L’interdiction de procéder à des mesures de rétention avant l’adoption d’une décision de transfert résulte donc du seul droit français et non pas du droit de l’Union ( 36 ).

Conclusion

55.

Sur la base de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle posée par le tribunal administratif de Lille (France) :

L’article 26, paragraphe 1, du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, s’oppose à ce que l’État membre qui a présenté, auprès de l’État membre qu’il estime responsable d’un tel examen, une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge sur la base des articles 21, 23 et 24 de ce règlement adopte et notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’État membre requis avant que ce dernier ait accepté la prise en charge ou la reprise en charge de cette personne.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31). Ce règlement constitue la refonte du règlement (CE) no 343/2003 du Conseil européen, du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (JO 2003, L 50, p. 1, ci-après le règlement « Dublin II »), lequel a, à son tour, remplacé la convention de Dublin du 15 juin 1990 (JO 1997, C 254, p. 1). Une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, de la Commission européenne, visant à modifier le règlement Dublin III a été présentée le 4 mai 2016 (ci-après la « proposition de règlement modifiant le règlement Dublin III ») [COM(2016) 270 final].

( 3 ) L’article 2, sous c), du règlement Dublin III définit le demandeur comme le ressortissant de pays tiers ou l’apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle il n’a pas encore été statué définitivement.

( 4 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d’Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace du règlement no 604/2013 et relatif aux demandes de comparaison avec les données d’Eurodac présentées par les autorités répressives des États membres et Europol à des fins répressives, et modifiant le règlement (UE) no 1077/2011 portant création d’une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (JO 2013, L 180, p. 1).

( 5 ) Il ressort du dossier que le numéro de référence attribué au relevé d’empreintes de M. Hassan indique la catégorie à laquelle ce relevé correspond, en l’occurrence la catégorie 1, à savoir celle de « demandeur d’asile ».

( 6 ) Cette décision précise que « [l]es autorités [allemandes] ont été saisies ce jour d’une demande de reprise en charge et qu’elles n’ont pas encore fait connaître, de manière souveraine, leur accord partant, la date et les modalités d’une éventuelle réadmission de l’intéressé sur leur territoire ». L’article 1er de la décision arrête que « M. Hassan, ressortissant irakien en séjour irrégulier en France, devra être transféré aux autorités allemandes ». La mesure de transfert a été adoptée sur le fondement de l’article L. 742-3 du Ceseda. S’agissant de la mesure de rétention administrative, son adoption est justifiée par le préfet du Pas-de-Calais au motif que l’intéressé « ne présente pas des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu’il se soustraie à la […] mesure d’éloignement et ne peut quitter immédiatement le territoire français en raison de la nécessité d’obtenir des autorités de l’État membre requis leur accord ». Cette mesure est adoptée sur le fondement de l’article L. 511-1, III, 3°, et de l’article L. 551-1 du Ceseda, bien que la décision précise également qu’il existe un risque de fuite de l’intéressé à l’égard de l’article 28 du règlement Dublin III.

( 7 ) La juridiction de renvoi cite, à titre d’exemple, l’arrêt du tribunal administratif de Rouen (France) no 1603104, du 23 septembre 2016. Elle fait également référence à une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Lille du 10 novembre 2016.

( 8 ) La juridiction de renvoi cite notamment les arrêts du tribunal administratif de Rouen no 1603199, du 5 octobre 2016, et no 1603674, du 19 novembre 2016, ainsi que les arrêts du tribunal administratif de Lille no 1606297, du 26 août 2016 et no 1607048, du 23 septembre 2016.

( 9 ) Dans sa requête devant la juridiction de renvoi, M. Hassan a soutenu qu’il « [aurait] voulu demander l’asile en Allemagne, mais qu’[il n’avait] jamais eu d’entretien concernant les motifs de sa demande ». Dans un autre passage de cette requête, il soutient que le préfet du Pas-de-Calais n’a pas démontré que [la République fédérale d’Allemagne] était le premier État membre dans lequel l’asile a été sollicité.

( 10 ) L’article 20, paragraphe 1, du règlement Dublin III prévoit que « le processus de détermination de l’État membre responsable commence dès qu’une demande de protection internationale est introduite pour la première fois auprès d’un État membre ».

( 11 ) À cet égard, je renvoie aux points 75 à 103 de l’arrêt du 26 juillet 2017, Mengesteab (C‑670/16EU:C:2017:587), où la Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur l’interprétation de l’article 20 du règlement Dublin III à l’égard des modalités d’introduction des demandes d’asile en Allemagne.

( 12 ) L’article 9, paragraphe 1, du règlement no 603/2013 prévoit que « [c]haque État membre relève sans tarder l’empreinte digitale de tous les doigts de chaque demandeur d’une protection internationale âgé de 14 ans au moins et la transmet au système central dès que possible et au plus tard 72 heures suivant l’introduction de la demande de protection internationale telle que définie à l’article 20, paragraphe 2, du règlement [Dublin III], accompagnée des données visées à l’article 11, points b) à g) du présent règlement ».

( 13 ) La juridiction de renvoi se borne, à cet égard, à rejeter comme non fondé le moyen avancé par M. Hassan tiré d’un défaut de motivation de la décision attaquée au principal au motif que celle-ci ne précise pas de quelle lettre de l’article 18, paragraphe 1, du règlement Dublin III relève la situation de M. Hassan.

( 14 ) Avis no 408919 (ECLI:FR:CECHR:2017:408919.20170719).

( 15 ) Dans ses observations écrites, la République française tient à souligner que, si cette pratique est répandue parmi certaines autorités préfectorales, elle n’est pas partagée par l’autorité administrative centrale française.

( 16 ) Citée à la note en bas de page 2 des présentes conclusions.

( 17 ) Une telle conjonction dont la signification correspond en français, selon le cas, aux expressions « lorsque », « quand », « dans le cas où », « si », « dans la mesure où » est employée dans les versions en langues bulgare (« когато »), tchèque (« pokud »), danoise (« når »), estonienne (« kui »), irlandaise (« i gcás ina »), grecque (« όταν »), espagnole (« cuando »), croate (« kada »), italienne (« quando »), lettone (« Ja »), lituanienne (« Jei »), hongroise (« amennyiben »), maltaise (« meta »), néerlandaise (« wanneer »), polonaise (« w przypadku gdy »), portugaise (« caso »), roumaine (« atunci când »), slovène (« kadar se »), slovaque (« keď »), finnoise (« jos »), suédoise (« om »), et anglaise (« where »). Dans la version en langue allemande, c’est la construction de la phrase qui rend la succession temporelle entre les deux actes.

( 18 ) Cité à la note en bas de page 2 des présentes conclusions.

( 19 ) Voir proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale présentée dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (Refonte) (COM/2008/0820 final).

( 20 ) Document SEC(2008) 2962, du 3 décembre 2008, disponible uniquement dans la version en langue anglaise, voir section « Effective right to remedy », point 1, dans lequel est mentionnée, dans toutes les options prévues, l’exigence de « further specify the procedure for notification of transfer decisions to asylum-seekers, in particular as regards the time, form and content of such notifications ». En ce sens, voir, également, arrêt du 7 juin 2016, Ghezelbash (C‑63/15EU:C:2016:409, point 49).

( 21 ) En ce sens, l’article 25, paragraphe 1, de la proposition de règlement de la Commission était destiné à remplacer l’article 19, paragraphe 1 (en matière de prise en charge), et l’article 20, paragraphe 1, sous e) (en matière de reprise en charge), du règlement Dublin II.

( 22 ) L’expression « décision de transfert » n’apparaît pas dans le règlement Dublin II qui, à son article 19, paragraphe 1, disposait que, après l’acceptation de l’État membre requis, l’État membre dans lequel la demande d’asile avait été introduite devait notifier au demandeur « la décision de ne pas examiner la demande, ainsi que l’obligation de le transférer vers l’État membre responsable ». Quant à l’article 20, paragraphe 1, sous e), de ce même règlement, il prévoyait que l’État membre requérant « notifie au demandeur d’asile la décision relative à sa reprise en charge par l’État membre responsable », sans donner des précisions quant au moment où cette notification devait être faite.

( 23 ) Voir rapport du Parlement européen sur la proposition de règlement de la Commission, A6‑0284/2009, du 29 avril 2009, p. 18.

( 24 ) Arrêt du 26 juillet 2017, A.S. (C‑490/16, EU:C:2017:585, points 33 et 60).

( 25 ) Voir, en ce sens, entre autres, arrêt du 15 mars 2017, Al Chodor (C‑528/15, EU:C:2017:213, point 30).

( 26 ) Bien que le règlement Dublin III n’interdise pas expressément le transfert d’un ressortissant de pays tiers vers l’État membre requis avant que ce dernier ait consenti à sa prise ou à sa reprise en charge, autoriser les États membres à procéder à un tel transfert ferait échec à la clarté et à l’efficacité du système mis en place par le règlement Dublin III. Ainsi que la Cour l’a précisé, l’application de ce règlement repose essentiellement sur la conduite d’un processus de détermination de l’État membre responsable, désigné sur le fondement des critères énoncés au chapitre III de ce règlement (arrêts du 7 juin 2016, Ghezelbash, C‑63/15, EU:C:2016:409, point 41, et du 7 juin 2016, Karim, C‑155/15, EU:C:2016:410, point 23). Dans le cadre d’un tel processus, les procédures de prise en charge et de reprise en charge « doivent obligatoirement être conduites en conformité avec les règles énoncées, notamment, au chapitre VI dudit règlement » (arrêt du 26 juillet 2017, Mengesteab (C‑670/16, EU:C:2017:587, point 49). Or, ces règles détaillent une procédure se composant de différentes étapes successives et un transfert opéré avant que les étapes procédurales antérieures n’aient été achevées ne saurait être en conformité avec celles-ci. La Cour s’est d’ailleurs orientée dans ce sens dans l’arrêt du 26 juillet 2017, A.S. (C‑490/16, EU:C:2017:585), où, au point 50, elle a précisé que l’article 29, paragraphe 2, du règlement Dublin III « se rapporte à l’exécution de la décision de transfert et ne peut être appliqué qu’une fois que le principe du transfert est acquis, soit, au plus tôt, lorsque l’État membre requis a accepté la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge ».

( 27 ) Voir arrêts du 7 juin 2016, Ghezelbash (C‑63/15, EU:C:2016:409, point 40), et du 26 juillet 2017, Mengesteab (C‑670/16, EU:C:2017:587, point 43). Voir, également, arrêt du 7 juin 2016, Karim (C‑155/15, EU:C:2016:410, point 22).

( 28 ) Voir arrêt du 7 juin 2016, Ghezelbash (C‑63/15, EU:C:2016:409, point 53).

( 29 ) Certes, de telles informations ‐ qui devraient faire l’objet d’une communication au destinataire de la décision de transfert, afin d’assurer son droit à un recours effectif ‐ sont plutôt susceptibles d’être contenues dans la réponse à une requête aux fins de prise en charge que dans celle à une requête aux fins de reprise en charge, à savoir dans des cas de figure différents de celui en cause au principal. Dans le traitement du premier type de requêtes, l’État membre requis est, en effet, tenu de vérifier de manière exhaustive et objective si sa responsabilité pour l’examen de la demande d’asile est établie, en tenant compte de toutes les informations qui lui sont directement ou indirectement disponibles, et donc en tenant compte également d’informations qui ne sont pas connues par l’État membre requérant [voir règlement (CE) no 1560/2003 de la Commission, du 2 septembre 2003, portant modalités d’application du règlement no 343/2003]. Cependant, il ne peut à mon sens être envisagé d’adopter une lecture différente de l’article 26, paragraphe 1, première phrase, du règlement Dublin III et de l’étendue de l’obligation de notification que cet article prévoit selon le type de requête, aux fins de prise en charge ou de reprise en charge, qui a été introduite par l’État membre qui procède à la détermination de l’État membre responsable.

( 30 ) Ce délai est de six semaines à compter de l’acceptation implicite ou explicite de l’État membre requis à la requête de prise ou de reprise en charge, ou à compter du moment où le recours ou la demande de révision n’a plus d’effet suspensif lorsque la personne concernée est en rétention au moment où l’un de ces deux événements se réalise (article 28, paragraphe 3, troisième alinéa, du règlement Dublin III, tel qu’interprété par l’arrêt du 13 septembre 2017, Khir Amayry, C‑60/16, EU:C:2017:675, points 39 et 54). Dans les autres cas, ce délai est de six mois à compter de l’un des événements mentionnés ci-dessus.

( 31 ) Je relève, incidemment, que la proposition de règlement modifiant le règlement Dublin III prévoit l’élimination du système de passage de responsabilité à l’État requérant en cas de non-respect par ce dernier des délais prévus pour effectuer le transfert.

( 32 ) Voir, en ce sens, arrêt du 29 janvier 2009, Petrosian (C‑19/08, EU:C:2009:41, point 48).

( 33 ) Voir arrêt du 7 juin 2016, Ghezelbash (C‑63/15, EU:C:2016:409, point 57).

( 34 ) Je relève, incidemment, que la proposition de règlement modifiant le règlement Dublin III envisage de modifier les paragraphes susmentionnés de l’article 5 de ce règlement, en faisant disparaître toute référence à la décision de transfert.

( 35 ) La proposition de règlement modifiant le règlement Dublin III prévoyait que la rétention ne pouvait être appliquée qu’à partir du moment où la décision de transfert vers l’État membre responsable avait été notifié à l’intéressé (article 27, paragraphe 4), mais cette disposition a été modifiée au cours de la procédure d’adoption du règlement Dublin III.

( 36 ) À cet égard, je relève que, dans son avis du 19 juillet 2017, cité au point 30 des présentes conclusions, le Conseil d’État a confirmé que l’article L. 742‑2 du Ceseda ne permet pas l’adoption d’une décision de rétention administrative sur le fondement de l’article L. 551‑1 du Ceseda avant l’adoption (et la notification) d’une décision de transfert.