CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 29 mai 2018 ( 1 )

Affaire C‑619/16

Sebastian W. Kreuziger

contre

Land Berlin

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberverwaltungsgericht Berlin-Brandenburg (tribunal administratif supérieur de Berlin-Brandebourg, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Aménagement du temps de travail – Droit au congé annuel payé – Directive 2003/88/CE – Article 7, paragraphe 2 – Indemnité financière pour congés annuels payés non pris lors de la fin de la relation de travail – Perte du droit à cette indemnité lorsque le travailleur ne demande pas à bénéficier de son congé annuel payé et lorsqu’il ne démontre pas avoir été dans l’impossibilité de prendre ce congé pour des raisons indépendantes de sa volonté »

1.

La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail ( 2 ).

2.

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Sebastian W. Kreuziger à son ancien employeur, le Land Berlin (Land de Berlin, Allemagne), au sujet du refus de ce dernier de verser à M. Kreuziger une indemnité financière pour congés annuels payés non pris avant la fin de la relation de travail.

3.

La présente affaire offre à la Cour l’occasion de préciser les conditions dans lesquelles un travailleur dont la relation de travail prend fin peut réclamer le versement d’une telle indemnité sur le fondement de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88.

4.

Dans les présentes conclusions, nous exposerons les raisons pour lesquelles nous estimons que l’article 7, paragraphe 2, de cette directive doit être interprété en ce sens qu’il ouvre droit à une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail lorsqu’un travailleur n’a pas été en mesure de prendre tous les congés annuels payés auxquels il avait droit durant cette relation.

5.

Nous expliquerons également pourquoi, à notre avis, cette même disposition doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à des législations ou à des pratiques nationales en vertu desquelles un travailleur perd son droit à une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail lorsque ce travailleur, d’une part, n’a pas demandé à bénéficier de ces congés quand il était en activité et, d’autre part, ne démontre pas avoir été dans l’impossibilité de prendre lesdits congés pour des raisons indépendantes de sa volonté, sans vérification préalable du point de savoir si ce travailleur a été effectivement mis en mesure par son employeur d’exercer son droit au congé annuel payé.

6.

Nous préciserons, enfin, que, lorsqu’une juridiction nationale est saisie d’une contestation relative au droit d’un travailleur à une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail, il lui incombe de vérifier si l’employeur justifie avoir pris les mesures propres à assurer à ce travailleur la possibilité d’exercer effectivement son droit au congé annuel payé durant cette relation. Si l’employeur démontre qu’il a accompli les diligences nécessaires et que, malgré les mesures qu’il a prises, le travailleur a renoncé délibérément et de façon éclairée à exercer son droit au congé annuel payé bien qu’il en ait eu la possibilité durant la relation de travail, ce travailleur ne peut pas réclamer, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88, le paiement d’une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail.

I. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

7.

Aux termes du considérant 4 de la directive 2003/88 :

« L’amélioration de la sécurité, de l’hygiène et de la santé des travailleurs au travail représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations de caractère purement économique. »

8.

L’article 1er, paragraphe 3, premier alinéa, de cette directive énonce :

« La présente directive s’applique à tous les secteurs d’activités, privés ou publics, au sens de l’article 2 de la directive 89/391/CEE [ ( 3 )], sans préjudice des articles 14, 17, 18 et 19 de la présente directive. »

9.

L’article 7 de ladite directive dispose :

« 1.   Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.

2.   La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail. »

10.

L’article 17 de cette même directive prévoit que les États membres peuvent déroger à certaines de ses dispositions. Toutefois, aucune dérogation n’est admise en ce qui concerne l’article 7 de celle-ci.

11.

L’article 2 de la directive 89/391 énonce :

« 1.   La présente directive s’applique à tous les secteurs d’activités, privés ou publics (activités industrielles, agricoles, commerciales, administratives, de service, éducatives, culturelles, de loisirs, etc.).

2.   La présente directive n’est pas applicable lorsque des particularités inhérentes à certaines activités spécifiques dans la fonction publique, par exemple dans les forces armées ou la police, ou à certaines activités spécifiques dans les services de protection civile s’y opposent de manière contraignante.

[...] »

B.   Le droit allemand

12.

Aux termes de l’article 9 du Verordnung über den Erholungsurlaub der Beamten und Richter (règlement relatif au congé de détente des fonctionnaires et des juges, ci-après l’« EUrlVO ») ( 4 ), du 26 avril 1988 :

« 1.   Le fonctionnaire prend, dans la mesure du possible en une seule fois, le congé de détente auquel il a droit. À la demande de l’intéressé, le congé est accordé par tranches. En général, il convient cependant d’éviter un fractionnement en plus de deux périodes. En cas de fractionnement du congé, celui-ci est accordé au fonctionnaire pour au moins deux semaines consécutives.

2.   Le congé doit normalement être pris au cours de l’année de référence. Le droit au congé qui n’a pas été pris dans un délai de douze mois après la fin de l’année de référence s’éteint. [...] »

13.

L’EUrlVO ne comporte pas de disposition prévoyant l’octroi d’une indemnisation financière de congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail.

II. Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

14.

Du 13 mai 2008 au 28 mai 2010, M. Kreuziger a effectué, en tant que Rechtsreferendar (stagiaire en droit), son stage de préparation aux professions juridiques auprès du Land de Berlin, dans le cadre d’une formation relevant du droit public, mais hors du statut des fonctionnaires. Sa réussite, le 28 mai 2010, à l’épreuve orale du deuxième examen d’État a marqué la fin de cette formation et de ce stage auprès de ce Land.

15.

M. Kreuziger a décidé de ne pas prendre de congés annuels payés entre le 1er janvier 2010 et la date de la fin de sa formation. Le 18 décembre 2010, il a demandé à ce que lui soit accordée une indemnité financière pour congés annuels payés non pris. Cette demande a, d’abord, été rejetée par décision de la présidente du Kammergericht (tribunal régional supérieur, Allemagne) du 7 janvier 2011, puis, sur réclamation, par décision du 4 mai 2011 du Gemeinsame Juristische Prüfungsamt der Länder Berlin und Brandenburg (office d’examen juridique commun des Länder de Berlin et de Brandebourg, Allemagne), aux motifs que l’EUrlVO ne prévoit pas un tel droit à indemnité et que, pour sa part, la directive 2003/88 ne s’applique qu’aux travailleurs, et que son article 7 présuppose, en tout état de cause, que l’intéressé n’ait pas pu prendre son congé pour des raisons qui ne lui sont pas imputables.

16.

M. Kreuziger a saisi le Verwaltungsgericht Berlin (tribunal administratif de Berlin, Allemagne) d’un recours dirigé contre ces décisions, recours qui a été rejeté par jugement du 3 mai 2013. Dans ce jugement, cette juridiction a relevé, d’une part, que l’EUrlVO ne prévoit pas de droit à indemnité financière pour congés annuels payés non pris et, d’autre part, que l’article 9 de l’EUrlVO fait obligation au travailleur de prendre ses congés et d’en faire la demande. Or, M. Kreuziger s’étant volontairement abstenu d’introduire une telle demande, tout en sachant que sa relation de travail s’achèverait le 28 mai 2010, son droit au congé annuel payé se serait éteint à cette date.

17.

S’agissant de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88, ladite juridiction a considéré qu’il ne fonde pas davantage un droit à indemnité financière pour congés annuels payés dans le chef de M. Kreuziger. En effet, il se déduirait de la jurisprudence de la Cour que le droit au congé payé garanti par l’article 7, paragraphe 1, de cette directive peut être perdu, en vertu du droit national, si le travailleur a eu la possibilité de prendre son congé mais ne l’a pas fait, auquel cas, le droit dérivé à indemnité compensatrice ne saurait davantage exister.

18.

M. Kreuziger ayant saisi l’Oberverwaltungsgericht Berlin-Brandenburg (tribunal administratif supérieur de Berlin-Brandebourg, Allemagne), la juridiction de renvoi, d’un recours dirigé contre ce jugement, cette juridiction relève à son tour que l’EUrlVO ne comporte aucune règle qui fonderait un droit à compensation financière dans le chef de M. Kreuziger, de sorte qu’un tel droit éventuel ne saurait, en l’absence de transposition de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88, en droit national, découler que de l’effet direct de cette disposition.

19.

À cet égard, la juridiction de renvoi considère, d’abord, que M. Kreuziger relève bien du champ d’application personnel de ladite directive. Les fonctionnaires relevant de ce champ d’application, il ne saurait, selon cette juridiction, en aller autrement des stagiaires dans le cadre d’une formation relevant du droit public, eu égard, en particulier, à l’article 1er, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive 2003/88 qui précise que celle-ci s’applique aux secteurs d’activités privés ou publics au sens de l’article 2 de la directive 89/391 et donc, notamment, aux activités « éducatives » visées à cette dernière disposition.

20.

Ensuite, M. Kreuziger satisferait aux deux conditions expresses énoncées à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 puisqu’il n’a pas pris les congés annuels payés auxquels il avait droit et que sa relation de travail a pris fin.

21.

Enfin, la juridiction de renvoi indique, toutefois, nourrir des doutes sur le point de savoir si, au-delà de ces deux conditions expresses, le droit à une indemnité financière pour congés annuels payés non pris peut être exclu, lorsque le travailleur n’a pas demandé, avant la fin de la relation de travail, à bénéficier de son congé, bien qu’il en ait eu la possibilité, et si un tel droit présuppose, plus généralement, que le travailleur n’ait pas été en mesure, pour des raisons indépendantes de sa volonté, d’exercer son droit au congé annuel payé avant la fin de la relation de travail.

22.

Dans ces conditions, l’Oberverwaltungsgericht Berlin-Brandenburg (tribunal administratif supérieur de Berlin-Brandebourg) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 7, paragraphe 2, de la directive [2003/88] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des législations ou à des pratiques nationales en vertu desquelles le droit à une indemnité financière à la fin d’une relation de travail est exclu lorsque le travailleur n’a pas demandé à bénéficier du congé annuel payé alors qu’il pouvait le faire ?

2)

L’article 7, paragraphe 2, de la directive [2003/88] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des législations ou à des pratiques nationales en vertu desquelles le droit à une indemnité financière à la fin d’une relation de travail présuppose que le travailleur n’était pas en mesure, pour des raisons indépendantes de sa volonté, d’exercer son droit au congé annuel payé avant la fin de la relation de travail ? »

III. Notre analyse

23.

Par ses deux questions préjudicielles qu’il convient, à notre avis, d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des législations ou à des pratiques nationales en vertu desquelles un travailleur perd son droit à une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail lorsque ce travailleur, d’une part, n’a pas demandé à bénéficier de ces congés quand il était en activité et, d’autre part, ne démontre pas avoir été dans l’impossibilité de prendre lesdits congés pour des raisons indépendantes de sa volonté.

24.

À titre liminaire, nous observons que, même si plusieurs parties intéressées, dont le Land de Berlin, ont formulé des observations en ce qui concerne la nature de la relation liant ce Land et M. Kreuziger en sa qualité de Rechtsreferendar (stagiaire en droit) et, notamment, sur le point de savoir si cette relation relevait du champ d’application de la directive 2003/88, il convient d’indiquer que la juridiction de renvoi a considéré que M. Kreuziger relevait bien de ce champ d’application, ne formulant, dès lors, aucune question à cet égard. Nous nous contenterons donc sur ce point d’indiquer que l’article 1er, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive 2003/88 prévoit que celle-ci s’applique à tous les secteurs d’activités, privés ou publics, et notamment aux activités « éducatives ». Il résulte de la jurisprudence de la Cour que le champ d’application de la directive 2003/88 doit être conçu de manière large ( 5 ). Nous renvoyons, par ailleurs, à la définition de la notion de « travailleur », au sens de l’article 7 de la directive 2003/88 et de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ( 6 ), que la Cour a retenue dans sa jurisprudence ( 7 ). À l’instar de la Commission européenne, nous sommes enclin à considérer que la préparation aux professions juridiques est une activité éducative présentant de surcroît, en l’espèce, les caractéristiques générales d’une relation de travail. Le droit au congé annuel payé que chaque stagiaire se voit accorder dans le cadre du régime national applicable aux fonctionnaires et aux juges doit, dès lors, de notre point de vue, être exercé conformément à l’article 7 de cette directive et à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte.

25.

Nous indiquons, par ailleurs, que, en l’absence dans le droit allemand applicable de disposition prévoyant une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail, un droit à une telle indemnité découle directement de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 ( 8 ).

26.

Afin de répondre aux interrogations de la juridiction de renvoi, il importe de rappeler que, ainsi qu’il ressort du libellé même de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88, disposition à laquelle cette directive ne permet pas de déroger, tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines. Comme la Cour l’a itérativement jugé, « [c]e droit au congé annuel payé doit être considéré comme un principe du droit social de l’Union revêtant une importance particulière, dont la mise en œuvre par les autorités nationales compétentes ne peut être effectuée que dans les limites expressément énoncées par la directive 2003/88 elle-même » ( 9 ).

27.

Par ailleurs, il ressort des termes de la directive 2003/88 et de la jurisprudence de la Cour que, « s’il appartient aux États membres de définir les conditions d’exercice et de mise en œuvre du droit au congé annuel payé, ils sont tenus de s’abstenir de subordonner à quelque condition que ce soit la constitution même dudit droit qui résulte directement de cette directive » ( 10 ).

28.

La Cour a déjà été conduite à plusieurs reprises à se prononcer sur des questions portant sur le droit au congé annuel payé d’un travailleur qui n’a pas été en mesure d’exercer, avant la fin de sa relation de travail, son droit audit congé pour des raisons indépendantes de sa volonté, que ce soit en raison d’une maladie ( 11 ) ou bien en raison du refus de l’employeur de rémunérer ses congés ( 12 ).

29.

Dans ce contexte, la Cour a posé la règle selon laquelle « la directive 2003/88 ne permet aux États membres ni d’exclure la naissance du droit au congé annuel payé ni de prévoir que le droit au congé annuel payé d’un travailleur ayant été empêché d’exercer ce droit s’éteint à l’expiration de la période de référence et/ou d’une période de report fixée par le droit national » ( 13 ).

30.

De plus, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’« un travailleur qui n’a pas été en mesure, pour des raisons indépendantes de sa volonté, d’exercer son droit au congé annuel payé avant la fin de la relation de travail a droit à une indemnité financière au titre de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88. Le montant de cette indemnité doit être calculé de sorte que ledit travailleur soit placé dans une situation comparable à celle dans laquelle il se serait trouvé s’il avait exercé ledit droit pendant la durée de sa relation de travail » ( 14 ).

31.

Selon la Cour, la règle posée par l’article 7 de la directive 2003/88 ainsi que par l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, est donc celle selon laquelle « un droit au congé annuel payé acquis ne peut s’éteindre à l’expiration de la période de référence et/ou d’une période de report fixée par le droit national, lorsque le travailleur n’a pas été en mesure de prendre ses congés » ( 15 ).

32.

L’idée qui sous-tend cette règle est celle selon laquelle, si les États membres peuvent prévoir des modalités d’exercice du droit au congé annuel payé, comprenant même la perte de ce droit à la fin d’une période de référence ou d’une période de report, c’est toutefois à la condition que le travailleur dont le droit au congé annuel payé est perdu ait effectivement eu la possibilité d’exercer le droit que ladite directive lui confère ( 16 ).

33.

Il semble découler de la réglementation nationale en cause, telle qu’interprétée par certaines juridictions nationales, que le droit au congé annuel payé doit être considéré comme s’éteignant à la fin de la période de référence lorsque le travailleur n’a pas demandé à l’exercer au cours de cette période. Cette extinction du droit au congé annuel payé dont la jouissance n’a pas été réclamée par le travailleur entraîne la perte du droit à une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail.

34.

Une telle réglementation nationale, ainsi interprétée, nous paraît contraire à l’article 7 de la directive 2003/88 dans la mesure où elle déduit de façon automatique de l’absence d’une demande par le travailleur de prendre ses congés pendant la période de référence la perte de ces derniers à la fin de cette période, sans vérification préalable du point de savoir si ce travailleur a été effectivement mis en mesure d’exercer son droit au congé annuel payé, conformément à ce qui est requis par la jurisprudence de la Cour.

35.

Or, eu égard à la finalité que la directive 2003/88 assigne au droit au congé annuel payé, à savoir celle d’assurer au travailleur le bénéfice d’un repos effectif, dans un souci de protection efficace de sa sécurité et de sa santé, il appartient à l’employeur de prendre les mesures propres à assurer au travailleur la possibilité d’exercer effectivement son droit au congé annuel payé et, en cas de contestation, de justifier qu’il a pris de telles mesures.

36.

Nous rappelons, à cet égard, que la directive 2003/88 « consacre [...] la règle selon laquelle le travailleur doit normalement pouvoir bénéficier d’un repos effectif, dans un souci de protection efficace de sa sécurité et de sa santé » ( 17 ). La finalité du droit au congé annuel payé consiste à « permettre au travailleur de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisirs » ( 18 ).

37.

L’employeur a une responsabilité particulière afin que les travailleurs qui sont sous sa direction exercent effectivement leur droit au congé annuel payé.

38.

Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, « le travailleur doit être considéré comme la partie faible dans la relation de travail, de sorte qu’il est nécessaire d’empêcher que l’employeur ne dispose de la faculté de lui imposer une restriction de ses droits » ( 19 ). En effet, selon la Cour, « compte tenu de cette situation de faiblesse, un tel travailleur peut être dissuadé de faire valoir explicitement ses droits à l’égard de son employeur dès lors que la revendication de ceux-ci est susceptible de l’exposer à des mesures prises par ce dernier de nature à affecter la relation de travail au détriment de ce travailleur » ( 20 ). Dès lors, « toute pratique ou omission d’un employeur, ayant un effet potentiellement dissuasif sur la prise du congé annuel par un travailleur, est également incompatible avec la finalité du droit au congé annuel payé » ( 21 ).

39.

Compte tenu de ce déséquilibre inhérent à la relation de travail, il incombe à l’employeur d’adopter les mesures adéquates afin de permettre aux travailleurs d’exercer leur droit au congé annuel payé. La Cour nous paraît d’ailleurs avoir mis en exergue l’existence d’une obligation pesant sur l’employeur quant à la prise effective de leurs congés par les travailleurs en indiquant que « l’employeur qui ne met pas un travailleur en mesure d’exercer son droit au congé annuel payé doit en assumer les conséquences » ( 22 ).

40.

L’existence d’une telle obligation est corroborée par la directive 89/391, qui demeure applicable, comme l’indiquent le considérant 3 et l’article 1er, paragraphe 4, de la directive 2003/88 ( 23 ). En effet, l’article 5, paragraphe 1, de la directive 89/391 dispose que « [l]’employeur est obligé d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail ». En outre, l’article 6, paragraphe 1, de cette directive prévoit que, « [d]ans le cadre de ses responsabilités, l’employeur prend les mesures nécessaires pour la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs ».

41.

Il convient donc de tenir compte de l’obligation que la directive 89/391 impose aux employeurs afin d’interpréter l’article 7 de la directive 2003/88.

42.

Nous relevons, par ailleurs, que la République fédérale d’Allemagne a admis lors de l’audience que, en vertu du principe de sollicitude, l’employeur est obligé, de façon générale, de veiller au bien-être de ses travailleurs et que, dans ce devoir de sollicitude, on trouve également la nécessité de mettre le travailleur en mesure d’exercer ses droits.

43.

Cette obligation doit se traduire, en matière d’aménagement du temps de travail, par l’adoption par l’employeur de mesures d’organisation concrètes propres à permettre aux travailleurs d’exercer leur droit au congé annuel payé ainsi que par une information précise et effectuée en temps utile de ce que, si ces travailleurs ne prennent pas effectivement leurs congés, ceux-ci risquent d’être perdus à la fin de la période de référence ou d’une période de report autorisée. L’employeur doit également informer les travailleurs de ce que, s’ils ne prennent pas leurs congés au cours de la relation de travail, alors qu’ils en ont effectivement la possibilité, ils ne pourront pas revendiquer le droit à une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail. L’obligation qui pèse sur l’employeur ne va cependant pas « jusqu’à contraindre l’employeur à imposer à ses travailleurs d’exercer effectivement les périodes de repos auxquelles ils ont droit » ( 24 ). Sous cette réserve, l’obligation mise à la charge de l’employeur doit se traduire, à notre avis, par un régime probatoire en vertu duquel, en cas de contestation, c’est à l’employeur de démontrer qu’il a pris les mesures propres à assurer à un travailleur la possibilité d’exercer effectivement ce droit.

44.

Compte tenu de l’obligation qui pèse sur l’employeur de donner effectivement à ses travailleurs la possibilité d’exercer leur droit au congé annuel payé, une réglementation ou une pratique nationale ayant pour effet d’imputer aux seuls travailleurs la responsabilité d’exercer ce droit, sans vérification préalable du point de savoir si cet employeur a respecté son obligation, est contraire à l’article 7 de la directive 2003/88. En effet, admettre qu’une réglementation ou une pratique nationale puisse prévoir l’extinction du droit du travailleur au congé annuel payé, sans que le travailleur ait effectivement eu la possibilité d’exercer ce droit, porterait atteinte à la substance du droit social directement conféré par l’article 7 de la directive 2003/88 à chaque travailleur ( 25 ). Il résulte de ce qui précède que la circonstance qu’un travailleur n’a pas demandé à exercer son droit au congé annuel payé durant la période de référence ne saurait entraîner ipso facto la perte de ce droit à la fin de cette période et, corrélativement, la perte du droit à une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail. La jurisprudence de la Cour semble d’ailleurs dénier toute pertinence au point de savoir si un travailleur a introduit ou non des demandes de congé annuel payé ( 26 ).

45.

Il incombe, par conséquent, à la juridiction de renvoi de rechercher, eu égard à la finalité qu’assigne au droit au congé annuel payé la directive 2003/88, si l’employeur justifie avoir pris les mesures propres à assurer au travailleur la possibilité d’exercer effectivement son droit au congé annuel payé en accomplissant à cette fin les diligences qui lui incombent. Dès lors que l’employeur démontre qu’il a accompli les diligences nécessaires et que, malgré les mesures qu’il a prises, le travailleur a renoncé délibérément à exercer son droit au congé annuel payé bien qu’il en ait eu la possibilité durant la relation de travail, ce travailleur ne peut pas réclamer, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88, le paiement d’une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail. En effet, le travailleur a alors été mis en mesure d’exercer son droit. Il y a renoncé de manière éclairée, en sachant les effets juridiques qui pourraient lui être opposés à la fin de la relation de travail.

46.

Il est vrai que certaines considérations formulées par la Cour peuvent donner l’impression qu’elle interprète l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 comme conférant directement et de façon automatique aux travailleurs une indemnité financière pour congés annuels payés non pris en cas de cessation de la relation de travail. S’agissant des conditions d’existence d’une telle indemnité, la Cour a ainsi souligné que, « lorsque la relation de travail a pris fin et que, partant, la prise effective du congé annuel payé n’est plus possible, l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 prévoit que le travailleur a droit à une indemnité afin d’éviter que, du fait de cette impossibilité, toute jouissance par celui-ci du droit au congé annuel payé, même sous forme pécuniaire, soit exclue » ( 27 ). La Cour a également jugé que, « [d]ans le souci de garantir le respect de ce droit fondamental du travailleur consacré par le droit de l’Union, [elle] ne saurait se livrer à une interprétation restrictive de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 au détriment des droits que le travailleur tire de celle-ci » ( 28 ). Par ailleurs, la Cour a jugé que « l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88, tel qu’interprété par la Cour, ne pose aucune condition à l’ouverture du droit à une indemnité financière autre que celle tenant au fait, d’une part, que la relation de travail a pris fin et, d’autre part, que le travailleur n’a pas pris tous les congés annuels auxquels il avait droit à la date où cette relation a pris fin » ( 29 ).

47.

Cela étant, il convient de souligner que ces considérations sont étroitement liées aux contextes factuels dans lesquels elles sont intervenues, à savoir des situations dans lesquelles un travailleur avait été empêché d’exercer son droit au congé annuel payé en raison d’une maladie ou de son décès.

48.

Par ailleurs, et en tout état de cause, l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 ne saurait être interprété en ce sens qu’un travailleur ayant renoncé volontairement et de façon éclairée à prendre ses congés annuels payés puisse revendiquer le droit au paiement d’une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail, lorsque son employeur apporte la preuve qu’il a effectivement mis ce travailleur en mesure de prendre ses congés durant la relation de travail.

49.

En effet, une interprétation de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 qui serait en faveur d’un versement automatique au travailleur d’une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail, sans examen des comportements respectifs de l’employeur et de ce travailleur, irait à l’encontre tant du libellé de cette disposition que de la finalité du droit au congé annuel payé, telle qu’elle a été mise en exergue puis rappelée par la Cour dans sa jurisprudence constante. Or, il convient d’interpréter l’article 7 de la directive 2003/88 à la lumière de son libellé ainsi que de l’objectif qu’il poursuit ( 30 ).

50.

Concernant, en premier lieu, le libellé de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88, il en ressort que le versement d’une indemnité financière ayant pour objet de remplacer la période minimale de congé annuel payé est possible uniquement en cas de fin de relation de travail. La prise effective du congé constitue donc la règle, et l’indemnité financière l’exception. De surcroît, même en cas de fin de relation de travail, le libellé de cette disposition n’exprime pas l’idée d’un bénéfice automatique de cette indemnité en cas de fin de la relation de travail, mais bien seulement l’idée d’une possibilité.

51.

S’agissant, en second lieu, de la finalité du droit au congé annuel payé, celle-ci consiste, nous le rappelons, à « permettre au travailleur de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisirs » ( 31 ). Par ailleurs, il convient de faire à nouveau mention de la règle selon laquelle le travailleur doit normalement pouvoir bénéficier d’un repos effectif.

52.

Interpréter l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 en ce sens qu’il conférerait directement et de façon automatique au travailleur une indemnité financière pour congés annuels payés non pris en cas de fin de la relation de travail porterait atteinte à cette finalité et à l’exigence d’un repos effectif du travailleur, lesquelles impliquent que la jouissance du droit au congé annuel payé doit en principe s’effectuer en nature.

53.

En effet, une telle interprétation pourrait inciter les travailleurs qui savent, par exemple parce qu’ils sont en formation ou embauchés en vertu d’un contrat à durée déterminée, que leur relation de travail pourrait arriver à échéance dans un avenir proche à ne pas prendre de congés afin d’augmenter leur rémunération par la perception, à la fin de cette relation, d’une indemnité financière pour congés annuels payés non pris. Or, la Cour a déjà jugé qu’il faut se garder de retenir une interprétation de l’article 7 de la directive 2003/88 qui « créerait une incitation, incompatible avec les objectifs de [cette] directive, à renoncer au congé de repos ou à faire en sorte que les travailleurs y renoncent » ( 32 ). Il convient donc, afin de respecter la finalité du droit au congé annuel payé, de veiller à ce que l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 ne puisse pas être utilisé comme un outil permettant de capitaliser des jours de congés annuels payés en vue de les faire rémunérer à la fin de la relation de travail ( 33 ).

54.

Nous ajoutons que la protection de la sécurité et de la santé du travailleur ne relève pas uniquement de l’intérêt individuel de ce dernier, mais également de celui de son employeur ainsi que de l’intérêt général ( 34 ).

55.

Au vu de ces éléments, il convient, dès lors, de relativiser le passage de l’arrêt du 12 juin 2014, Bollacke ( 35 ), dans lequel la Cour a indiqué que « l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88, tel qu’interprété par la Cour, ne pose aucune condition à l’ouverture du droit à une indemnité financière autre que celle tenant au fait, d’une part, que la relation de travail a pris fin et, d’autre part, que le travailleur n’a pas pris tous les congés annuels auxquels il avait droit à la date où cette relation a pris fin » ( 36 ). Pour être conforme à la double finalité du droit au congé annuel payé, à savoir permettre au travailleur, d’une part, de se reposer et, d’autre part, de disposer d’une période de détente et de loisirs, ainsi qu’à la règle selon laquelle le travailleur doit normalement pouvoir bénéficier d’un repos effectif, la seconde condition posée par l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88, c’est-à-dire celle selon laquelle « le travailleur n’a pas pris tous les congés annuels payés auxquels il avait droit à la date où [sa relation de travail] a pris fin » ( 37 ), doit nécessairement être comprise comme signifiant que le travailleur « n’a pas été en mesure de prendre tous ses [...] congé[s] annuel[s] payé[s] avant la fin de sa relation de travail » ( 38 ). C’est seulement si la première condition, à savoir la cessation de la relation de travail, et la seconde condition, ainsi comprise, sont remplies que le travailleur dont la relation de travail a pris fin a droit, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88, à une indemnité financière pour congés annuels payés non pris.

56.

Ainsi interprété, l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88, permet alors d’assurer un juste équilibre entre la nécessaire compensation financière d’un droit au congé annuel payé qui n’a pas pu faire l’objet d’une jouissance effective durant la relation de travail et le respect de la finalité de ce droit qui requiert, en principe, la prise effective du congé.

57.

En somme, nous proposons à la Cour de rejeter la thèse selon laquelle le versement de l’indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail dépendrait de la double condition, d’une part, que le travailleur ait personnellement réclamé le bénéfice des congés litigieux à son employeur et, d’autre part, que ce travailleur établisse avoir été mis dans l’impossibilité d’exercer son droit au congé annuel payé pour des raisons qui ne lui sont pas imputables.

58.

Nous suggérons à la Cour de suivre une autre logique reposant sur la règle selon laquelle la prise effective des congés doit être privilégiée et sur le rôle que l’employeur doit jouer à cet égard. Dans cette optique, il est exclu de faire peser sur les seuls travailleurs la responsabilité de veiller à prendre effectivement leurs congés sous peine d’en perdre le bénéfice. En effet, une telle solution méconnaît la réalité des rapports de travail qui se traduit par un déséquilibre entre l’employeur et le travailleur, ce dernier pouvant, de diverses manières, être incité à travailler plus, singulièrement lorsqu’il espère un renouvellement de son contrat. Pour pallier ce risque ainsi que la propension des travailleurs à transformer leurs jours de congés en supplément de salaire, il convient d’imposer à l’employeur l’obligation de prendre les mesures propres à permettre au travailleur d’user effectivement de son droit au congé annuel payé. Si l’employeur établit qu’il a mis ce travailleur en mesure d’exercer ce droit, ledit travailleur ne peut alors pas revendiquer, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88, le versement d’une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail.

59.

Par conséquent, nous proposons à la Cour de répondre à la juridiction de renvoi que l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il ouvre droit à une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail lorsqu’un travailleur n’a pas été en mesure de prendre tous les congés annuels payés auxquels il avait droit durant cette relation.

60.

Cette même disposition doit, selon nous, être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à des législations ou à des pratiques nationales en vertu desquelles un travailleur perd son droit à une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail lorsque ce travailleur, d’une part, n’a pas demandé à bénéficier de ces congés quand il était en activité et, d’autre part, ne démontre pas avoir été dans l’impossibilité de prendre lesdits congés pour des raisons indépendantes de sa volonté, sans vérification préalable du point de savoir si ce travailleur a été effectivement mis en mesure par son employeur d’exercer son droit au congé annuel payé.

61.

Lorsqu’une juridiction nationale est saisie d’une contestation relative au droit d’un travailleur à une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail, il lui incombe de vérifier si l’employeur justifie avoir pris les mesures propres à assurer à ce travailleur la possibilité d’exercer effectivement son droit au congé annuel payé durant cette relation. Si l’employeur démontre qu’il a accompli les diligences nécessaires et que, malgré les mesures qu’il a prises, le travailleur a renoncé délibérément et de façon éclairée à exercer son droit au congé annuel payé bien qu’il en ait eu la possibilité durant la relation de travail, ce travailleur ne peut pas réclamer, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88, le paiement d’une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail.

62.

En l’occurrence, s’il résulte des vérifications effectuées par la juridiction de renvoi que le Land de Berlin, en sa qualité d’employeur de M. Kreuziger, a mis ce dernier en mesure d’exercer son droit au congé annuel payé et que, malgré cela, M. Kreuziger n’a pas souhaité prendre ses congés avant sa réussite à l’épreuve orale du deuxième examen d’État, cette juridiction pourra considérer que c’est à bon droit qu’une telle indemnité lui a été refusée.

IV. Conclusion

63.

Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par l’Oberverwaltungsgericht Berlin-Brandenburg (tribunal administratif supérieur de Berlin-Brandebourg, Allemagne) de la manière suivante :

1)

L’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens qu’il ouvre droit à une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail lorsqu’un travailleur n’a pas été en mesure de prendre tous les congés annuels payés auxquels il avait droit durant cette relation.

2)

L’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des législations ou à des pratiques nationales en vertu desquelles un travailleur perd son droit à une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail lorsque ce travailleur, d’une part, n’a pas demandé à bénéficier de ces congés quand il était en activité et, d’autre part, ne démontre pas avoir été dans l’impossibilité de prendre lesdits congés pour des raisons indépendantes de sa volonté, sans vérification préalable du point de savoir si ce travailleur a été effectivement mis en mesure par son employeur d’exercer son droit au congé annuel payé.

3)

Lorsqu’une juridiction nationale est saisie d’une contestation relative au droit d’un travailleur à une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail, il lui incombe de vérifier si l’employeur justifie avoir pris les mesures propres à assurer à ce travailleur la possibilité d’exercer effectivement son droit au congé annuel payé durant cette relation. Si l’employeur démontre qu’il a accompli les diligences nécessaires et que, malgré les mesures qu’il a prises, le travailleur a renoncé délibérément et de façon éclairée à exercer son droit au congé annuel payé bien qu’il en ait eu la possibilité durant la relation de travail, ce travailleur ne peut pas réclamer, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88, le paiement d’une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) JO 2003, L 299, p. 9.

( 3 ) Directive du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (JO 1989, L 183, p. 1).

( 4 ) GVBl. 1988, p. 846.

( 5 ) Voir, par analogie, concernant la directive 89/391, arrêt du 26 mars 2015, Fenoll (C‑316/13, EU:C:2015:200, point 20).

( 6 ) Ci-après la « Charte ».

( 7 ) Voir, notamment, arrêt du 26 mars 2015, Fenoll (C‑316/13, EU:C:2015:200, points 24 à 27).

( 8 ) S’agissant de l’effet direct de l’article 7 de la directive 2003/88, nous renvoyons à nos conclusions dans les affaires jointes Bauer et Broßonn (C‑569/16 et C‑570/16, EU:C:2018:337, points 45 et 46). Compte tenu de la nature verticale du litige opposant M. Kreuziger au Land de Berlin, il ne fait pas de doute que cet article peut être invoqué directement devant la juridiction de renvoi en vue d’écarter l’application de toute disposition ou pratique nationale qui ferait obstacle au versement en sa faveur d’une indemnité financière pour congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail, à supposer, bien entendu, que les conditions posées à tel versement soient réunies.

( 9 ) Voir, notamment, arrêt du 29 novembre 2017, King (C‑214/16, EU:C:2017:914, point 32 et jurisprudence citée).

( 10 ) Voir, notamment, arrêt du 29 novembre 2017, King (C‑214/16, EU:C:2017:914, point 34 et jurisprudence citée).

( 11 ) Voir, notamment, arrêt du 20 janvier 2009, Schultz-Hoff e.a. (C‑350/06 et C‑520/06, EU:C:2009:18).

( 12 ) Voir arrêt du 29 novembre 2017, King (C‑214/16, EU:C:2017:914).

( 13 ) Voir, notamment, arrêt du 29 novembre 2017, King (C‑214/16, EU:C:2017:914, point 51 et jurisprudence citée).

( 14 ) Voir, notamment, arrêt du 29 novembre 2017, King (C‑214/16, EU:C:2017:914, point 52 et jurisprudence citée).

( 15 ) Voir arrêt du 29 novembre 2017, King (C‑214/16, EU:C:2017:914, point 56), italique ajouté par nos soins.

( 16 ) Voir, notamment, en ce sens, arrêts du 20 janvier 2009, Schultz-Hoff e.a. (C‑350/06 et C‑520/06, EU:C:2009:18, point 43), du 22 novembre 2011, KHS (C‑214/10, EU:C:2011:761, point 26), et du 19 septembre 2013, Réexamen Commission/Strack (C‑579/12 RX‑II, EU:C:2013:570, point 30).

( 17 ) Arrêt du 26 juin 2001, BECTU (C‑173/99, EU:C:2001:356, point 44). Autrement dit, comme l’a indiqué M. l’avocat général Mengozzi au point 17 de ses conclusions dans l’affaire Ministerul Justiţiei e.a. (C‑12/17, EU:C:2018:195), « une période de travail effectif doit ouvrir droit à une période de repos tout aussi effectif ».

( 18 ) Voir, notamment, arrêt du 29 novembre 2017, King (C‑214/16, EU:C:2017:914, point 37 et jurisprudence citée).

( 19 ) Voir, notamment, arrêt du 25 novembre 2010, Fuß (C‑429/09, EU:C:2010:717, point 80 et jurisprudence citée).

( 20 ) Ibidem, point 81.

( 21 ) Arrêt du 29 novembre 2017, King (C‑214/16, EU:C:2017:914, point 39 et jurisprudence citée).

( 22 ) Arrêt du 29 novembre 2017, King (C‑214/16, EU:C:2017:914, point 63).

( 23 ) Sur le lien entre la directive 2003/88 et l’amélioration de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, voir, notamment, arrêt du 19 septembre 2013, Réexamen Commission/Strack (C‑579/12 RX‑II, EU:C:2013:570, point 44 et jurisprudence citée). Dans la lignée de l’objectif poursuivi par la directive 89/391, la directive 2003/88 fixe, comme l’indique son article 1er, paragraphe 1, « des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail ».

( 24 ) Voir arrêt du 7 septembre 2006, Commission/Royaume-Uni (C‑484/04, EU:C:2006:526, point 43).

( 25 ) Voir, notamment, arrêt du 19 septembre 2013, Réexamen Commission/Strack (C‑579/12 RX‑II, EU:C:2013:570, point 32 et jurisprudence citée).

( 26 ) Voir, à cet égard, arrêt du 29 novembre 2017, King (C‑214/16, EU:C:2017:914, point 62 et jurisprudence citée).

( 27 ) Voir, notamment, arrêt du 12 juin 2014, Bollacke (C‑118/13, EU:C:2014:1755, point 17 et jurisprudence citée).

( 28 ) Voir, notamment, arrêt du 12 juin 2014, Bollacke (C‑118/13, EU:C:2014:1755, point 22 et jurisprudence citée).

( 29 ) Voir, notamment, arrêt du 12 juin 2014, Bollacke (C‑118/13, EU:C:2014:1755, point 23).

( 30 ) Voir, notamment, arrêt du 22 mai 2014, Lock (C‑539/12, EU:C:2014:351, point 15).

( 31 ) Voir, notamment, arrêt du 29 novembre 2017, King (C‑214/16, EU:C:2017:914, point 37 et jurisprudence citée).

( 32 ) Voir arrêt du 6 avril 2006, Federatie Nederlandse Vakbeweging (C‑124/05, EU:C:2006:244, point 32). Voir, également, pour un raisonnement fondé sur la règle selon laquelle le travailleur doit normalement pouvoir bénéficier d’un repos effectif, arrêt du 16 mars 2006, Robinson-Steele e.a. (C‑131/04 et C‑257/04, EU:C:2006:177).

( 33 ) Voir, dans le même sens, conclusions de l’avocat général Tanchev dans l’affaire King (C‑214/16, EU:C:2017:439, point 97).

( 34 ) Voir, également, sur cette idée, conclusions de l’avocat général Stix-Hackl dans les affaires jointes Robinson-Steele e.a. (C‑131/04 et C‑257/04, EU:C:2005:650, point 79).

( 35 ) C‑118/13, EU:C:2014:1755.

( 36 ) Voir arrêt du 12 juin 2014, Bollacke (C‑118/13, EU:C:2014:1755, point 23).

( 37 ) Voir, notamment, arrêt du 20 juillet 2016, Maschek (C‑341/15, EU:C:2016:576, point 27 et jurisprudence citée), italique ajouté par nos soins.

( 38 ) Voir, à cet égard, arrêt du 20 juillet 2016, Maschek (C‑341/15, EU:C:2016:576, point 28), italique ajouté par nos soins.